Changement
C’était un simple crush, une histoire d’une nuit. Mais au matin, Manon se leva, encore vêtue de son t-shirt déchiré. La rouquine prépara ses pinceaux et invita Paul à la rejoindre. Elle trouvait son visage si charmant qu’elle voulait garder une trace. Dès lors, elle dessina son portrait, usant de la peinture et du temps. Son coup du soir demeurait nu, assis sur une chaise, prenant une position sérieuse et intime. Contrairement à l’artiste qui, sans complexe, n’hésita pas à garder les cuisses ouvertes. D’ailleurs, Paul ne pouvait que profiter de son sexe rasé et sa poitrine généreuse à peine voilée par le tissu blanc de son maillot.
Manon peignait, profitant de son inspiration. Elle dessinait magnifiquement mais ne souhaitait pas exposer ni vendre ce nouveau tableau. Contrairement à ses habitudes, celui-ci n’était qu’une envie, un moment de plaisir, un cadeau pour remercier Paul pour cette jolie nuit passionnée.
Je vais faire entrer ton corps dans l’immortalité. Tu changeras mais ce tableau montrera combien tu étais beau, dit-elle.
Paul sourit à cet instant. Cependant, constatant que Manon arrêta de peindre tout en présentant un regard sérieux. Il comprit qu’elle ne voulait pas qu’il bouge, y compris dans la mimique.
A moins que ce soit le tableau qui vieillisse pour toi, comme dans le portrait de Dorian Gray, ajouta Manon. Voudrais-tu que ton portrait change et vieillisse à ta place ?
Non, répondit-il après une hésitation.
Il avait peur qu’elle rate son œuvre parce qu’il aurait remué les lèvres. Toutefois, elle arrêta de peindre et regarda son amant avec étonnement. Dès lors, il se sentit obligé de se justifier.
Je préfèrerais changer ma vie entièrement…Parfois, j’ai l’impression d’avoir loupé quelque-chose. Que ça ne s’est pas passé comme prévu. Rien ne me plait dans cette vie.
La jeune femme écoutait avec attention. Elle comprenait ce qu’il ressentait. Elle avait bientôt 40 ans, pas d’enfant et une vie, pourtant magnifique, mais triste. Elle avait vécu des moments de galère avant la reconnaissance. Cependant, elle sait que la galère peut revenir à tout moment. Et oui, elle aussi, aurait voulu changer sa vie, si elle le pouvait. Paul interrompit sa perdition soudaine. Aussitôt, Manon se remit à peindre.
Le soir venu, le tableau n’était pas encore fini. Paul proposa de revenir le lendemain soir, car il devait rentrer chez lui. Personne ne l’attendait si ce n’est une pile de dossiers pour le boulot. Il s’habilla puis sortit après avoir embrassé langoureusement Manon.
Dehors, il faisait déjà nuit. Le ciel magnifiquement dégagé, se voilait d’un tapis d’étoiles. Paul marcha longtemps, en repensant à leur discussion sur leur vie. Il se demandait si ce n’était pas l’occasion de se ranger, arrêter des histoires sans lendemain et enfin, de pouvoir vivre une vraie histoire d’amour. Il leva la tête pour admirer la lune. Tout à coup, il aperçut une étoile filante. Cette dernière laissait derrière elle, un éphémère trait argenté. Puis il entra dans son appartement et s’endormit en oubliant cette belle journée.
Chéri, tu vas être en retard !
Paul regarda avec des yeux exorbités la belle brune qui se promenait en jogging dans sa chambre. Elle ouvrit la porte d’une armoire qu’il n’avait jamais vue. Un coup d’œil par la fenêtre, il n’était pas dans son logement. Lui qui, d’ordinaire, voyait une petite cour, se trouvait à découvrir une avenue ou un boulevard. Il se leva, approcha de la femme qu’il ne connaissait pas. Il allait poser une question lorsqu’il entendit parler. Dès lors, il approcha de la cuisine. Deux petites filles, assises autour d’une table, mangeaient une tartine et buvaient un bol de chocolat.
Bonjour papa ! dirent-elles en cœur.
Hé bien Paul, tu ne t’habilles pas ? Tu vas être en retard.
Et toi, tu ne travailles pas aujourd’hui ? demanda Paul.
Elle sourit à sa question Cependant, ce n’était pas la première qui lui venait en tête. Mais il ne savait pas comment expliquer qu’il y avait erreur. Il n’était pas marié, n’a jamais eu d’enfant. Et brusquement, il se retrouvait avec une femme et deux gamines dans un appartement qui ne lui disait rien.
Tu sais bien que le mardi, je suis en télétravail, annonça la femme.
Elle pria les filles de prendre leur cartable et les accompagna jusqu’à l’école. Pendant ce temps, Paul se lavait puis quittait à son tour l’appartement pour rejoindre son bureau.
Durant tout le trajet, il interrogea son esprit. Comment était-il possible qu’il ait changé de vie en une nuit ? Les vœux se réalise-t-il ? Il n’avait pas changé d’apparence. Il n’avait pas pris la vie d’un autre. Il était bien lui, mais ne comprenait rien de ce qu’il lui arrivait.
En entrant dans le hall, l’hôtesse d’accueil le regard avec insistance. Paul passa, comme tous les jours, montrant un grand sourire et en disant bonjour. Il partait en direction de l’ascenseur pour rejoindre son bureau minable, encerclé de cloisons qui n’empêchait pas d’entendre les discussions de ses collègues. Seulement, il fut arrêté.
S’il vous plait, monsieur ! Avez-vous rendez-vous ?
Je travaille ici, répondit Paul avec étonnement. Vous ne me reconnaissez pas Mathilde ?
Surprise d’entendre son prénom de la bouche d’un inconnu, Mathilde resta bouche bée. Puis, elle reposa la question. Paul continuait d’affirmer qu’il travaillait dans cette entreprise depuis quatre ans. Finalement, il demanda qu’on appelle son collègue de bureau.
Norbert n’avait pas changé. Petit gros, les cheveux gris, il sortit de l’ascenseur avec son air patibulaire connu. Il commença par engueuler Mathilde tout en dévisageant Paul et un agent de sécurité. Et quand Paul le salua. Il chercha dans son esprit s’il l’avait déjà rencontré.
Non, désolé, je ne vous connais pas, dit-il. Et ne m’appelez pas pour ce genre de foutaise…Déjà que j’étais en pleine réunion !
Il partit sans écouter les appels de Paul. Celui-ci, sentant qu’il n’était pas le bienvenu, quitta le hall surveillé de près par la sécurité. Toutefois, une fois dans la rue, son téléphone sonna. L’écran afficha un nom qu’il ne connaissait pas. Cependant, il répondit et entendit une voix d’homme
Bonjour Paul, Vous allez bien ? Parce que vous ne nous avez pas prévenu de votre absence.
Oui, ça va. Mais je devais aller où ?
Bin, à la Sorbonne. Vous avez votre cours.
Choqué, il attendit et n’eut pas le temps de parler.
Vous êtes sûr que vous allez bien ? Je peux annuler vos cours de la journée.
Non, ça va. Je...j’arrive.
Paul prit le métro et descendit à Maubert-Mutualité. Il remonta la rue et entra dans l’université par la porte principale. Il ne savait pas où aller ni quoi faire. Il resta hagard jusqu’à ce qu’il croise un étudiant qui le salua. Dès lors, il profita de la discussion pour en savoir plus. Et il apprit ce qu’il n’aurait jamais pensé. Il était professeur de grec ancien.
Après avoir écouté le jeune érudit. Paul s’arrêta devant une salle de cours. Une vingtaine d’élèves attendait patiemment tout en discutant. Son entrée imposa le silence. Il posa une valisette sur la table avant d’observer les étudiants. Le grec ne s’apprend pas. Il avait quelques notions mais cela datait du collège. Il prononça un bonjour obtenant la pareille de ses élèves.
Vous ai-je déjà donné un exercice à faire ? Une traduction ?
Oui, répondit un étudiant.
Immédiatement, il lui proposa de venir au tableau et de traduire le texte étudié. En écoutant, le jeune homme, Paul réalisa qu’il comprenait tout comme s’il parlait couramment le grec ancien. Il s’étonna en corrigeant lui-même quelques erreurs d’accents et de grammaire. Le cours lui parut normal, tout comme la journée.
Au moment de quitter la Sorbonne, son téléphone sonna de nouveau. C’était son épouse.
A quelle heure rentres-tu ? demanda-t-elle.
Je ne sais pas encore.
Si tu vas chez Manon, ne rentre pas trop tard comme hier, s’il te plait. Ce matin, tu m’as paru déboussolé.
Manon ?
Oui, Manon, la peintre.
Il ne s’attendait pas à connaitre déjà Manon. Dans sa nouvelle vie, c’était une amie, alors qu’il l’avait rencontrée la veille. Il se dirigea chez elle. Peut-être avait-elle des explications ? Il reconnut la rue, le même immeuble. Il grimpa jusqu’à son atelier qui servait aussi d’appartement. Il sonna et entendit crier : « C’est ouvert ».
Sans hésiter, le professeur de grec entra. Manon était assise, elle peignait un tableau. La vue de Paul s’attarda sur la raie de ses fesses, indiquant qu’elle ne portait qu’un maillot à moitié déchiré. Elle tourna la tête lorsqu’il toussa.
Oh Paul, je ne t’attendais pas. Je pensais qu’on aurait continué ton portrait demain. (Elle se leva pour faire la bise). Tu vois j’étais en train de faire quelques retouches.
Paul découvrit son portrait nu, assis comme il l’était hier. Elle proposa de reprendre où ils en étaient. Il se retira dans la chambre, se déshabilla et revint s’assoir. Manon se mit à peindre de suite.
Excuse-moi, Manon, mais, on se connait intimement pour que tu restes…
Pour que je reste à poil ? Non, on n’a jamais couché ensemble. C’est une habitude pour mettre à l’aise mes modèles. Je me mets à poil quand ils le sont. Et puis, je ne couche pas avec les maris de mes amies.
Et pourquoi, je pose nu ?
Un cadeau pour Fabienne. Enfin, c’est ce que tu m’avais dit. Je vais faire entrer ton corps dans l’immortalité. Tu changeras mais ce tableau montrera combien tu étais beau
Paul sourit à cet instant parce qu’il avait déjà entendu Manon prononcer ces mots.
A moins que ce soit le tableau qui vieillisse pour toi, comme dans le portrait de Dorian Gray, ajouta Manon. Voudrais-tu que ton portrait change et vieillisse à ta place ?
Cette fois-ci Paul ne répondit pas. Cette nouvelle vie lui paraissait plus belle.
Alex@r60 – août 2023
79 notes
·
View notes
BACK TO THE FUTURE.
Un projet sur lequel j'ai travaillé avec Monocle et Sophie. Design by Monocle, code par moi-même.
Contexte :
2024. A l’orée du Parc National de Yosemite se trouve une petite ville dont personne ne se soucie. A Mariposa, la vie est tranquille, sans vague. On ne s’inquiète pas des problèmes du vaste monde, principalement parce que les nouvelles mettent du temps à arriver. Coupée de tout, il semblerait que Mariposa soit passée à la trappe quand les avancées technologiques ont envahi l’Ouest des États-Unis. Les câbles électriques qui entourent la ville sont vieux, défaillants. On a appris à ne pas se fier à la technologie, et surtout pas à s'appuyer sur elle. Pas de téléphone dernier cri, pas de 5G dans les rues, pas de réseaux sociaux pour venir influencer le quotidien des habitant·e·s. C’est une vie particulière, car en dehors des frontières de la ville, le monde est géré depuis des décennies par ces technologies qui n’en finissent plus d’avancer. L’ère moderne s’est faite une place dans les domiciles, dans les poches, dans les cerveaux. On ne peut plus la quitter, sauf ici. Ici où le temps lui-même semble s’être arrêté. Si le calendrier tourne au même rythme qu’ailleurs, les influences culturelles, les styles, les activités, n’ont pas évolué depuis les années 1980. Trente ou quarante ans plus tôt, on a fait le choix de tout arrêter, de ne plus changer, et aujourd’hui on a un peu oublié comment tout a commencé. Certains disent que c’était le choix du conseil municipal, effrayé de voir le monde évoluer à une vitesse folle. D’autres pensent que Mariposa est sujet à une expérimentation du gouvernement, mais cette théorie ne plaît pas à tout le monde. La plupart des gens, de toute façon, ne s’en préoccupent pas tellement.
Parce qu’ici, on mène une existence paisible en appréciant ce qu’on a, plutôt qu’en se souciant de l’extérieur. Les jeunes grandissent entre le skatepark et la salle d’arcade, les moins jeunes se bougent sur des vieilles musiques de fitness. C’est une petite communauté qui vit à Mariposa, où l’on fait de son mieux pour prendre soin de ses voisins et vivre en paix. Et puis il y a le rendez-vous du samedi soir, celui où presque toute la ville se rend. Chacun dans sa voiture, ou peut-être regroupé à deux ou trois pour ceux qui n’ont pas peur des rumeurs. Le parking du drive-in se remplit au coucher du soleil, tout le monde allume sa radio pour suivre un film qui est sorti plus de vingt ans auparavant. Ce n’est pas ici que sortent les nouveaux films, mais tout le monde s’en fiche. L’intérêt du drive-in, c’est de s’y retrouver en famille, entre amis, avec ses voisins. Qu’importe si un film passe en boucle pendant un mois ou si ce sont toujours les mêmes qui finissent par revenir. Les habitants de Mariposa sont ancrés dans leurs habitudes, ils n’aiment pas tellement que les choses changent. Et pourtant, chaque fois qu’un touriste traverse la ville, il apporte avec lui un peu de ces nouvelles de l’autre monde, brisant l’illusion que la terre entière n’est pas coincée dans les années 80. Mais combien de temps la ville pourra-t-elle encore tenir ainsi ?
24 notes
·
View notes