Tumgik
plexussolaire · 4 months
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Pousser la porte et prendre une chaise
Hier soir, troisième semaine de réunion des Alcooliques Anonymes. C'est ma sixième réunion.
La plus belle réunion depuis la première.
Ça fait quinze jours que je suis abstinente, j’en savoure les premiers effets bénéfiques. Je dors le même nombre d’heure mais la qualité de mon sommeil s’est significativement améliorée, si l’on exclue les réveils nocturnes causés par le chat. Je me sens calme, reposée, mon humeur s’est stabilisée : je ne pars pas dans les tours, je n’ai pas l’impression d’avoir besoin de re-fonder ma vie entièrement et sur de nouvelles bases, chaque matin. Je ne me mets pas en colère, je ne panique pas dès qu’un problème se présente, je suis tranquille. Je crois que j’ai cessé d’avoir peur tout le temps, et d’avoir honte. Je n’ai plus cette croix à porter, si lourde sur mes épaules, le lendemain d’une simple bière légère.
Je suis même heureuse, je peux le dire. C’est aussi simple. C’est ce sentiment euphorique qui m’avait convaincu d’arrêter la thérapie. Je me souviens de ce fameux mois de septembre, il y a un an et demi, où tout roulait, mon quotidien, ma vie sociale, mes valeurs, l’intérêt que je portais à la vie, le désir, l’enthousiasme. Sans alcool. J’ai replongé après, mais c’était la première fois de ma vie que je me sentais légère et joyeuse, durablement. J’ai passé un temps infini à livrer une bataille titanesque contre le poison qu’insinuait l’alcool dans mes veines, même quand je ne buvais pas deux jours, et c’est ça que je trouve fascinant aujourd’hui, en écrivant et réfléchissant à mon rapport à l’alcool, c’est que tant qu’on n’est pas abstinent, tant qu’on laisse une place à l’alcool dans notre vie, même quand on ne le consomme pas abusivement, il nous empoisonne l’esprit. Il est présent. Il ravive une petite honte, une fatigue, des souvenirs douloureux, des symptômes physiques. Il reste physiquement et mentalement dans notre système et nous met des bâtons invisibles dans les roues. Il change la face de notre quotidien sans qu’on s’en aperçoive.
J’ai tellement lutté pour dépasser la honte et la culpabilité d’être alcoolique, que j’ai développé à force d’obstination et de persévérance, des attitudes très saines pour compenser cet excès morbide. J’apprenais à lire tous les jours, à faire du sport régulièrement, j’ai mis en place des routines du matin, du soir, essayé des choses, reporté, recommencé, pendant des mois, à installer des habitudes pour bien vivre. J’ai lutté pour ma santé mentale. C’est un cadeau que je me suis fait : après tant d’effort pour les inscrire dans mon quotidien, arrêter l’alcool a suffit. Toutes ces habitudes qui me demandaient tant d’effort face à la petite voix de mon cerveau qui me disait : “tu es nulle”, “tu n’arriveras jamais à rien”, “tu ne sais rien faire”, deviennent infiniment plus simples depuis que j’ai retiré l’alcool de ce même quotidien. Tout est plus simple, alors, juste comme ça, je suis simplement heureuse. J’ai enlevé le bâton de ma roue, et je l’ai fait quand j’ai compris qu’il fallait le faire pour moi. Arrêter de boire, je l’ai fait pour moi, et il n’y a pas d’autre façon d’arrêter de boire.
Le partage de P. Hier en réunion parlait de ça. Pour certains, on arrête pour les autres, pour retrouver un travail, récupérer son permis, son appartement… mais c’est seulement quand on comprend qu’on mérite d’arrêter de boire et d’aller mieux, soi, parce que personne ne le fera pour nous, qu’on passe le cap de l’abstinence. On replongera plusieurs fois, mais on n’attendra plus que la solution viennent de l’extérieur. C’est pas qu’on en est pas capable, mais on arrête de boire seulement quand on se met à penser qu’on le mérite. Parce que nous sommes nos propres parents, nous devons d’abord être aimés par nous même, comme nous aurions aimé être aimé au départ. Toutes les personnes que je croise en réunion ont eu des enfances et des foyers dysfonctionnels. C’est tellement fort d’être parmi les siens. D’être parmi des gens qui comprennent ce que c’est que de vouloir se détruire parce qu’on n’a pas trouvé d’autre voie dans la vie, parce qu’on a pas trouvé de soutien ni de raison, déjà tout petit, de se lever et d’avancer.
Hier soir, j’ai trouvé du soutien. J’ai senti mon appartenance. Comme a dit S. Ici, j’ai ma place, parce que quand j’arrive, j’ai une chaise pour m’asseoir. Je peux m’exprimer. Personne ne va m’interrompre, je vais parler aussi longtemps que je le veux, et ces gens vont m’écouter comme on ne m’a jamais écouté nulle part. Ces gens dont je ne sais rien, à part les lieux sombres de leur addictions, leurs démons, leurs joies aussi dans leur rétablissement, m’ont apporté plus que ne l’a jamais fait ma propre famille.
Il y a trois semaines, c’était Noël. Un événement tellement désacralisé et obligatoire, qu’il ne ressemble plus qu’à un simple repas de famille du samedi midi. Il ne s’est rien passé de différent, mais j’ai mis deux semaines à m’en remettre, à me sentir terriblement vide, blessée, profondément malheureuse, dévastée, déprimée. Je n’arrivais plus à sortir de ce marasme d’idées noires, jusqu’à me dire mais à quoi bon ? À quoi bon vivre, si c’est pour ressentir ça ? Mais alors que s’était-il passé là-bas, pour qu’avec ma propre famille, je me sente si abîmée ? Et bien, il n’y avait rien. Pas de lien, pas de regard, pas de sourire, pas de câlin, pas même une tape sur l’épaule, un compliment ou une parole affectueuse. Que des visages renfrognés derrière des masques de personne qui luttent, qui ne veulent pas montrer leurs émotions, ni les ressentir ni les offrir. Pas d’écoute, pas d’attention, pas d’amour. Pas de connexion. Rien, en vérité. Des mots vides, répétés cent fois, sans foi, des mots qui passent entre les couverts, les verres de vins et s’échouent plus loin au pied de la table. Des ricanements débiles, des moqueries, des humiliations même parfois, de celles qui vous saccagent l’esprit avant même de savoir que vous en avez un.
Hier, T. A dit une phrase qui m’a fait réfléchir. La puissance supérieure des AA, c’est la puissance supérieure que nous avions placé dans l’alcool et qui nous dictait nos façons d’agir. Il suffirait de la déplacer dans autre chose, que ce soit Dieu, que ce soit l’Univers, que ce soit le groupe. Je crois qu’il a raison. Il existe encore quelque part dans mon cerveau une croyance, que je tends à déconstruire à présent grâce au programme, une croyance que l’alcool va m’aider à ne plus ressentir la souffrance d’abandon que m’a fait vivre ma famille, qu’il va m’aider à m’extirper de ma dépendance affective. J’ai déplacé en quelque sorte, ma dépendance désastreuse à ma famille, vers une dépendance désastreuse à l’alcool. Car je souffrais, et je souffre encore profondément, Noël me l’a montré. Renoncer à l’alcool, c’est aussi renoncer à cet amour que je n’aurai jamais, ce soutien que je n’aurai jamais, de leur part. Renoncer à mes dépendances, c’est m’accorder enfin la liberté de vivre sans cela, d’en faire le deuil. C’est vivre librement, sans attendre ce réconfort qui ne viendra jamais, qui n’est qu’illusion, et se change en griffe quand on s’approche un peu trop près.
Les personnes dépendantes cherchent à jamais la nourriture affective dont ils ont manqué, cherchent à jamais la sécurité affective et l’attention qu’on leur a refusé. Jusqu’au jour où ils s’aperçoivent que le produit qu’ils consomment possède la même essence que ce poison d’abandon, que le dépit familial. Consommer à outrance, c’est s’enfoncer un peu plus dans la mort et les idées noires, à rechercher l’oubli et l’aisance que nous aurait apporté cet amour initial. Mais la vie sans eux est plus douce, et c’est cela qui soigne.
Remplacer un vide par un gouffre, mais alors qu’est-ce qui vient après ? Comment remplace-t-on l’alcool ? Je crois que les AA sont effectivement une réponse. Je crois que ça marche. Ils m’apportent, une à deux fois par semaine, une drogue douce, humaine : la connexion, le partage, l’écoute, le soutien, gratuit, inébranlable, inconditionnel. Une drogue de rêve que j’ai désespéré de trouver un jour, alors qu’il suffisait de pousser la porte, et de s’asseoir sur une chaise.
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plexussolaire · 7 months
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La maigreur n'est pas une faim en soi.
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plexussolaire · 8 months
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Détresse d'une bonne prof
31.08.2023
Cette année, c’est ma cinquième rentrée.
Je suis arrivée en 2019 en tant que professeure de français. Je ne pense pas avoir fait le mauvais choix, en passant ce concours et en faisant ce métier. Les débuts ont été effrayants et difficiles, faute de formation convenable. Je suis tombée sur des classes compliquées dès la première année, et puis il y a eu le covid. J’ai longtemps eu peur de ne pas réussir, j’étais exigeante envers moi-même et un peu timorée pour croire en mon autorité naturelle. Mais le métier s’est fait, l’expérience s’est construite, maintenant je suis le mirador qui voit tout (ou croit tout voir), je répète en boucle les règles et les limites, les élèves m’ont dit qu’ils se sentaient bien avec moi et que j’expliquais bien. Certains trouvent mon cours intéressant, je peux leur parler sans qu’il y ait de tension et c’est déjà ça. Les petits fauteurs de trouble m’apprécient dans l’ensemble, parce que je ne les laisse pas tomber. Je suis reconnue comme une bonne prof, à mon échelle. Déjà puisque je suis pleinement là, avec toute mon énergie, avec le plaisir de chercher à donner le meilleur de ce que j’ai, et de leur montrer comme j’aime parler de littérature.
Je ne fais pas mille projets par an, je n’ai pas l’ambition de devenir inspectrice, je ne fais pas des jeux, je ne crée pas d’escape game ni ne plastifie des quizz de toutes les couleurs. Je suis vieux jeu, mais pour les petits loups que j’accompagne, parfois c’est rassurant et cadrant. Ils apprennent des choses, ils se souviennent d’informations l’année d’après pourtant très loin de leurs vies quotidiennes. Ils peuvent rire dans ma classe, ils peuvent s’exprimer, ils sont parfois remuants mais reviennent toujours au calme quand c’est nécessaire. Les ados sont différents d’il y a dix ans et je leur souhaite d’embrasser ces changements qu’on voudrait les empêcher d’incarner, sous prétexte qu’ils ne sont “plus au niveau”, et qu’on ne leur répétera jamais assez. Et puis je les aime, inconditionnellement et sans attente, et ça c’est déjà quelque chose.
Le problème c’est de dire immédiatement, comme présupposé, que ça aurait pu être un mauvais choix. Plus à aucun moment on ne parle de bon choix d’être prof. On finit prof. C’est ma cinquième rentrée demain, je vais retrouver mes collègues chouettes, ce collège que je connais faute de l’apprécier vraiment, étant donné qu’il tombe en ruine (littéralement, il penche) et sue le béton, dans un quartier moche et au milieu des cités. Je vais retrouver les élèves et faire mieux que l’année dernière. Je vais développer mes activités syndicales et apprendre plein de choses, car moi aussi j’apprends tous les jours quand je vais au collège. Je suis une vieille prof, maintenant. Je fais partie des murs, comme on dit. Mais cette année encore, je suis terrorisée.
Mais ça il faut bien que je me garde d’en parler à tout ceux qui ne sont pas prof. Personne ne regarde cela d’un bon oeil et quand on raconte ce qu’on vit vraiment au quotidien, on est juste pénibles. On se plaint alors qu’on a des vacances. On se plaint alors qu’on est fonctionnaire, et qu’on ne doit “que 18H”. J’ai commencé de préparer mes cours le 1er août. C’est un choix, je peux organiser mon travail comme je veux. Au début c’était une heure par jour, puis deux, puis trois, puisque c’est un travail infiniment long, qui demande de faire une tâche en plusieurs heures, parfois plusieurs jours, et qu’on n’est pas sûr qu’elle fonctionnera auprès des élèves. Cela fait une semaine et demi que je travaille plus de sept heures par jour. Je n’arrive pas à me rendre compte du résultat obtenu. Certaines choses vont être abandonnées, car je ne connais pas encore le profil de mes classes ou le caractère de mes élèves, leur rythme, ou leurs difficultés. J’ai peut-être deux mois de prêt. Je travaillerai pendant tous les weekend et toutes les vacances. Ce travail est invisible. Dans le privé, on vous parlerait de télétravail. Je compterai le nombre de jour de “vacances” réels que j’ai cette année, mais je pense qu’ils sont moins impressionnants que prévus, et cela avec 5 ans d’expérience et des cours un peu rodés.
Je travaille, et je ne gagne pas grand chose pour tout ce que je fais, pour la fatigue accumulée et les problèmes de santé mentale que mon travail me cause. Souvent la dernière semaine avant les vacances, je pleure. Je pleure de fatigue et de désespoir. Ça dépend des périodes, parfois c’est dès la deuxième semaine. Des fois je me contente d’arrêter de vivre et de serrer les dents en attendant les vacances. Car corriger, préparer, diriger, punir, encourager, parler, parler, écouter, consoler, répéter, parler, répéter encore, dix fois, vingt fois, s’interrompre, exiger, appeler, parler encore, et fort, toute la journée, ça brûle à petit feu toutes les réserves.
C’est le bruit surtout qui vous roule dessus. Le bruit des cris, le bruit des disputes, le bruit cours de travaux en groupe à 30, le bruit des couloirs qui résonnent, plus puissant qu’un moteur d’avion par période, le bruit de la salle des profs plein d’enseignants encore dans le flux de stress et de bruit. Le bruit des sonneries, le bruit de la ville, et tous les bruits ensuite qui vous assaillent jusque chez vous. Chaque jour, même quand vous n’avez pas la force, vous devez affronter ce bruit et parler, assurer le silence pour qu’ils soient 30 à vous écouter, du haut de votre mètre cinquante huit, dans une salle trop longue et mal prévue pour accueillir ces bruits. Parfois, dans ces salles, il fait 40°C et il n’y a pas de limite légale qui nous autorise à ne pas assurer le cours quand on sent qu’on a chaud à en vomir.
Parfois, le président nous dit qu’il faudrait qu’on revienne bosser le 20 août, donc par 40°C, avec des gosses qui se révolteront car déjà ils n’aiment pas l’école et vous êtes là pour les torturer. Parfois il nous dit qu’il faudrait bosser plus, et faire nos formations pendant les vacances et le mercredi après-midi, sans prendre en compte que l’on bosse déjà plus, depuis longtemps. Nous avons besoin du mercredi pour préparer les cours, et des formations en semaine pour faire une pause de nos élèves et apprendre à être meilleure à ce que l’on fait. On est seul dans sa classe, sans retour ni commentaires, parler en formation fait parfois du bien. Prendre du recul est essentiel.
Et puis il nous promet le pacte. Un moyen d’encadrer des actions pédagogiques que l’on fait déjà en heure supplémentaire. Comprenez bien que le plus précieux dans notre métier, c’est la liberté pédagogique que nous devons à notre statut si privilégié de fonctionnaire. Le droit de choisir comment l’on enseigne, selon une durée légale, que l’on peut augmenter moyennant des heures supplémentaires en remplaçant des collègues pendant leurs absences, afin d’assurer un suivi qui nous semble pertinent. Le pacte veut obliger les professeurs à faire ce qu’ils font déjà. Le pacte retire la liberté pédagogique. Si l’on ne remplace pas 18H d’absence de nos collègues (moyennant 36H de présence obligatoire au collège), nous ne pourront pas assurer les autres missions qui nous tiennent à coeur, et qui monteront nos heures supplémentaires bien au-delà de ce que nos corps pourront souffrir. Nous gérons notre temps, car la pédagogie demande du calme et de la clarté d’esprit. 50h supplémentaires par an, c’est subir des heures et nous mettre en colère pour le moindre mouvement de table, ou le moindre cahier oublié par mégarde. C’est briser petit à petit le lien qui nous unit aux élèves, faute d’énergie pour maintenir la confiance.
Le pacte veut nous offrir plein d’argent en échange. Mais attendez, pas trop vite. Cela dépendra de votre ancienneté, plus vous êtes ancien, moins vous aurez besoin d’argent pour vous donner l’envie de rester. On vous pousse plutôt vers la sortie. Sans compter que ce ne sont que des primes, qui ne seront pas prises en compte pour la retraite. Sans les primes REP et autres primes d’activité que je dois à mon jeune âge, je ne toucherais presque rien. En fait, dire que tous les profs seront payer 2000€ dès le début de leur carrière, reviendront à dire qu’ils seront payés pareil au bout d’un an et au bout de 8 ou 9 ans de carrière. Grâce au pacte, les dix ans de carrière vont même voir leur salaire baisser. Les mères n’auront pas cette possibilité d’avoir les primes et n’auront plus l’occasion de se former, puisque ce sera le mercredi après-midi. Pourquoi les professeurs ne veulent pas du pacte, demande Léa Salamé à Gabriel Attal sur France Inter la veille de la rentrée, et bien parce que c’est une réforme profondément injuste et méprisante.
Le plus dur de ce métier, c’est l’absence de respect. J’allais dire l’absence de reconnaissance, mais ça c’est le salaire le plus rare du système capitaliste. Depuis que j’ai commencé, il n’y a pas eu un mois, que dis-je, une semaine, sans l’annonce d’un projet menaçant qui nous promettent un avenir encore plus lugubre que le présent déjà morne et hostile. Pas une semaine sans une parole, un mépris de notre institution et de leurs gouvernants. C’est cela qui me terrorise. C’est de retourner affronter à bout de bras une situation très difficile qui repose sur la chance ou non d’avoir des élèves sympa, sans aucune chance de réussir à faire correctement mon travail, puisque je n’en ai pas les moyens matériels, (salle, matériel de qualité, salaire. En plus de cela, il faut espérer avoir une direction juste et compétente. Et cette dernière situation est très rare : on ne compte plus le nombre de cas de harcèlement ou d’abus des principaux que le pacte voudrait également rendre tout-puissants et transformer en néo-manager.
Ce qui me terrorise, c’est de retourner avaler jour après jour les directives injustes, les solutions indignes du terrain, les manques de l’institution que nous essuyons poliment sans faire de vague. Affronter cela en entendant le rejet de nos revendications au respect d’avoir un salaire qui nous permettent de supporter les mois d’inflation, qui nous permettent de retrouver un niveau de salaire, gelé depuis vingt-cinq ans, décent pour un fonctionnaire de catégorie A ayant fait 5 ans d’études. Ce qui me terrorise, c’est de voir que leurs réponses à tous les problèmes c’est d’engager sur une simple lettre de motivation et d’un CV des générations de professeurs contractuels non formés, parfois idéalistes, qui finissent par souffrir terriblement et se casser les dents, qu’on peut virer comme ça nous chante et surtout en juillet pour ne pas les payer de l’été. Mais vous comprenez, il faut bien garder les enfants pendant que les parents vont travailler, alors on a besoin de quelqu’un devant la classe pour garder les mômes. Peu importe si on lui balance des stylos ou s’il fait mordre par le petit loup autiste qui n’a plus d’AESH parce qu’il n’y a personne sur le poste et que c’est normal de le laisser au milieu de 27 neurotypiques qui se demandent pourquoi, très stressé, il pousse des cris en plein cours. Peu importe, puisque la garderie nationale est là pour ça. On voudrait juste du respect, pour nous et pour les gamins. Mais vraiment, simplement, demander la grâce de ne pas rendre notre métier plus difficile qu’il n’est et de nous foutre la paix pendant une semaine.
Quand je parle de tout cela, je suis sans cesse interrompue car il y a trop à dire et que c’est éprouvant pour celui qui écoute. Chacun a ses problèmes, et certains font semblant de comprendre, tout en méprisant un propos qu’ils jugent un petit peu abusé. Ah ces profs qui n’ont jamais été dans le privé, qui sont restés à l’école. Et puis tout le monde a son mot à dire sur la question, sur notre travail, ils sont passés par là. Ils ont été élèves, donc ils savent ce que c’est, le collège. Il y a des profs qui ne font rien vous comprenez, qui n’en foutent pas une. Une fois que tu as préparé tes cours, c’est bon t’as plus rien à faire. Tout le monde vous envie vos vacances mais pour rien au monde on ne voudrait devenir prof. C’est trop mal payé, et puis c’est horrible d’être face à des adolescents qui foutent le bordel toute la journée et ne vous respectent pas. Mais bon, vous comprenez. Vous avez beaucoup de vacances alors ne vous plaignez pas, jamais. Dire “je suis prof” ouvre la porte à tout un tas d’insanités en soirée, chez le coiffeur, partout où vous allez, je vous laisse faire l’expérience si ça vous chante.
Mais en attendant, si vous croisez un professeur, faites lui un câlin. Si vous êtes parent et que votre enfant vous en dit du bien, faites lui savoir par un petit mot. Pour l'aider, plutôt que l'enfoncer, à persévérer pour des enfants qui méritent une éducation qui les libère et leur ouvre l'esprit à d'autres horizons. Faites leur sentir qu'ils ne sont pas juste là pour garder les gosses, mais qu'ils servent à quelque chose, quand ils motivent un enfant et lui font découvrir le bonheur d'ecrire une histoire et de la lire à leurs camarades, quand ils lisent une nouvelle à chute et s'extasient des pouvoirs de la littérature. Parce que c'est gratuit. Parce que ça aide. Le moral des profs s'effondre, les congés maladie pour burn out se multiplient. Faites lui un câlin, ecoutez-le. Demain, il doit y retourner, avec son petit sac sous le bras, dire bonjour avec le sourire, faire le plus beau métier du monde que personne au monde ne voudrait faire.
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plexussolaire · 8 months
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Tu n'as fait qu'écrire
Je ne saurais dire combien j’ai de textes sur mon ordinateur. Combien de pages ai-je noirci sur des carnets au fil des années. Des années qui se comptent en dix-huit ans, 216 mois, 6570 jours. Je n’ai pas écrit tous les jours. Parfois des amants m’ont fait mettre le genou à terre et le stylo avec. Mais quand sur mon ordinateur j’ouvre un dossier, il y a deux dossiers dedans qui s’ouvrent sur d’autres dossiers. Des centaines de fichiers .odt s’allongent en listes interminables, aucun fichier n’a le même titre.
Je n’écris pas ici mon journal intime, j’ai deux carnets papiers et un carnet numérique que je remplis depuis 2018 pour cela. Se relire des années plus tard est un cadeau sans pareil, on revient alors sur le jugement négatif que l’on portait sur soi. On se croyait un peu vaine, un peu drama, on pensait qu’on écrivait mal. Je relis les mots d’une gamine qui, à treize ans, citait Alain à la fin de ses textes, à côté de Radiohead, Aragon, Pink Floyd, Léo Ferré, et j’en passe. Elle comprenait tout à la vie, elle passait au crible chacune de ses expériences, elle faisait de son mieux, elle imitait le style de ses auteurs préférés, elle lisait Voltaire et Musset, Flaubert et Maupassant.
J’étais une gamine qui me rend fière aujourd’hui, quand je vois la trace de ce qui traversait sa tête. Sérieusement, la petite de 13 ans me fait lire tout ce que j’ai besoin d’entendre, à 30 ans, avec un texte amusant qu'elle appelle son “contrat de solidité”. Comment n’ont-ils pas été épatés par cette petite ceux qui l’avaient chaque jour sous les yeux ? Mais comment ont-ils pu la dénigrer, alors qu’elle avait tant de malice et bonnes idées ? Quel gâchis.
Je pensais que je n’avais jamais vraiment réussi à écrire quoique ce soit de bien, que tout était un peu stérile. Et soudain, je vois s’ouvrir devant moi cette infinité de mots qui se foutent de ma gueule. Si je meurs demain, vous aurez besoin de plusieurs semaines pour étaler mes plus profonds secrets devant vous sur la table. Mon œuvre est là. Ce blog est une extension en beauté. Je n’ai plus qu’à jouer, sans me vociférer de plus belle aux oreilles qu’il faudrait faire une œuvre reconnue pour mériter le titre d’écrivain. Je n’existe pas sans écrire, pas un seul jour, ou presque. Je n’ai plus qu’à jouer avec ce plaisir immense de tracer des lettres et d'en faire ce que je veux. Il n’est plus question de penser autrement.
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plexussolaire · 8 months
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Celle qui aime trop
J’écoute le podcast “Mes 14 ans.” J’en suis à l’épisode 10 où elle raconte qu’elle est en couple avec un garçon qui n’est pas amoureux d’elle, mais amoureux de son ex. Elle explique qu’en fait, elle est devenu son plan cul, qu’il reste avec elle pour ça, que c’est clair entre eux, mais qu’elle ne se l’avoue pas. Elle essaye de le reconquérir. Et elle énumère les règles qu’elle se donne pour ne pas paraître dépendante ou amoureuse, elle énumère tous les comportements qu’elle met en place pendant des mois, sans succès, pour le reconquérir quoiqu’il arrive, et reprendre le contrôle. Mais le contrôle, c’est quelque chose qu’on ne reprend pas dans cette situation. Par contre, qu’est-ce qu’il est épuisant de contrôler chacun de ses mots, chacun de ses gestes, pour trouver la posture qu’il attend, pour devenir la personne dont il retombera amoureux.
J’ai trouvé une fois ce visage, et je n’ai pu le porter que quelques heures : c’était monstrueux.
J’ai hésité à mettre ce podcast pendant que je dessinais. Je sais pourquoi j’ai irrésistiblement envie de l’écouter jusqu’au bout. Mon adolescence bat dans mon coeur comme une boule au ventre. Je suis cette gamine amoureuse qui couche pour l’amour, qui couche pour le lien, alors que celui-ci devrait être défait au plus vite, pour sa sécurité et son amour propre. Malgré tout ce que je me raconte sur le mal que ce garçon m’a fait, sur son emprise, qui était réelle, puisqu’il ne me laissait jamais partir et qu’il n’était pas bienveillant avec moi, il est important de s’avouer que j’étais bien trop jeune pour tant de mépris. Je ne savais pas me défendre, je n’avais pas les outils pour comprendre ce qui était bien pour moi et ce qui ne l’était pas. Tout cela était des couleurs qui se traversaient et se fondaient entre elles. Il aurait fallu partir plutôt qu’être utilisée, et partir où ? Tout était si flou et embrouillé, que je ne m’étais même pas rendu compte de ça, même à 30 ans, que moi aussi, j’étais devenu un plan cul, et que ça avait duré deux ans. Je ne m’en étais même pas rendu compte. Je l’aimais, ou du moins j’aimais atrocement ce qu’il m’avait fait ressentir quand j’étais encore à conquérir. Et je voulais qu’il se rende compte qu’il éprouvait encore cela, par tous les moyens. Mais de déesse vaporeuse et lointaine, je me suis abîmée jusqu’à devenir une ombre.
Je comprends sa détresse qui en moi est encore vive. J’ai vécu comme elle la première fois qui s’est faite un peu tôt certes, mais avec la bonne personne. Ce que j’ai vécu trop tôt c’est la violence d’un plan cul non désiré, d’une non exclusivité subie, au moment où je croyais encore très fort à l’amour avec un grand A. Trop jeune pour avoir le coeur et l’estime écrasés, sans autres bras qui me serrent pour me calmer et m’aimer autrement. Sans les juger suffisant, peut-être. On sous-estime parfois les blessures profondes d’un amour adolescent, mais celui-ci me revient souvent en rêve, et n’épuise pas les questions. Comment aurais-je pu m’en sortir ? Aurait-il été préférable de ne pas vivre cela ? Comment aurais-je pu empêcher toute la souffrance immense qui me pèse encore 15 ans plus tard ?
N'est-il pas un jour nécessaire de tomber à la ramasse pour savoir ce que ça fait ?
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plexussolaire · 9 months
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Procné trouve un lieu où lui retirer les signes sacrés, découvre le visage honteux de sa pauvre soeur, veut l'embrasser, celle-ci ne supporte pas de lever les yeux, elle se croit rivale de sa soeur, elle jette au sol son regard, à elle qui veut jurer et prendre à témoin les dieux que par violence elle a vécu la honte, la main sert de voix. Procné brûle, ne contient pas sa colère et les pleurs de sa soeur, elle attaque : "on ne peut rien faire avec des larmes, dit-elle, mais avec le fer - ou alors tu as quelque chose de plus fort que le fer ? à toute barbarie, moi, ta soeur, je suis prête. Moi, avec ces torches je vais cramer le toit du palais royal, je jetterai Terée, le coupable, dans les flammes, ou bien sa langue, ou ses yeux, ou les parties qui ont pris ta pudeur, je les trancherai au fer, par mille blessures je chasserai sa vie de meurtrier. Je suis prête à tout, au pire. A quoi, je ne sais pas encore."
Ovide, les Métamorphoses, "Philomèle et Procné", Livre VI, trad. par Marie Cosnay, Editions de l'Ogre, 2017.
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plexussolaire · 11 months
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Come back
Ce matin, l’ennui. Et les jours qui s’allongent dans une nouvelle sérénité. Je me suis tue longtemps. J’ai cru devoir dissocier des parts de moi-même, les comparer, les soupeser, les caresser aussi, lesquelles avaient les couleurs de la peur, les autres du chagrin. Prendre une à une ces douces bandes et les lisser le long de ma paume. Les voir, et simplement se taire. Taire le balancement exiguë de la pensée, pour ne sentir que la piqûre, ou le frottement des épines le long de l’échine. Parler me semble encore un peu dérisoire, ou bien intrusif. La mue s’opère encore en fond, qui sait s’il ne faut pas quand même respirer à travers ? Que dire d’une transformation dont on doute à chaque instant des bienfaits ? Que dire des mouvements de reculs et projections, des obsessions manifestes et nombreuses ; que faire des angoisses infinies de ne pas savoir qui l’on est, ce qu’on devrait être ou faire, du temps qu’on a perdu à pleurer dans sa chambre, à maudire le monde entier, du temps perdu à s’en vouloir soi-même de n’avoir pas été assez, d’avoir eu trop peur.
Ce matin, la peur, donc. Mais la peur de l’ennui qui nous fait croire qu’on a creusé dans sa vie un sillon trop profond qu’on ne pourra jamais combler. Croire fort qu’encore une fois les choix qui ont été faits étaient vains, qu’on se retrouve à nouveau, sans retour possible, dans les bras de la solitude promise, en échec, à l’abandon, au bout d’un chemin douloureux qui n’a pas vraiment de borne. La peur s’apitoye sur ton corps fatigué, jamais satisfait, jamais vraiment heureux, parfois en paix. Autrefois tu écrivais pour freiner la course de ces grandes douleurs. Autrefois tu écrivais, et on te demandait quand est-ce que tu trouvais le temps. Autrefois tu écrivais, et puis tu t’es tue.  
Respirer. Refuser l’abîme. Refuser la souffrance fabriquée par les croyances maternelles. L’ennui que tu ressens est aujourd’hui comme fenêtre, une ouverture : oui, ça y est, c’en est la preuve, tu es enfin en sécurité. Tu sens en toi suffisamment d’espace pour revenir quand tu sens l’effroi t’embraser. Tu as le luxe de t’ennuyer. Ouvre les yeux sur l’espace qui t’entoure, sans les oeillères de la survie pour étouffer les petits chemins et les détours futiles. C’est l’heure du come back. Tu peux aller jouer maintenant. Tu peux risquer, gambader, te faire une frayeur, revenir. Le temps n’est plus un problème. Prend les poignées des portes qu’on te pointe du doigt, et prononce une formule tout droit sortie du fond de la sagesse humaine. Elle tient en trois lettres.
Ose.
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plexussolaire · 1 year
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Tenir ta main
Longtemps je me suis tournée vers l’adolescente que j’étais en n’y voyant qu’une étrangère. Un être vil et mal formé, la voix un peu aigüe, un peu criarde, qui pleure souvent et se plaint tout le temps. Longtemps je lui en ai voulu d’avoir fait des choix et pris des chemins qui m’ont mené à un endroit dans ma vie qui ne fait pas sens, d’avoir choisi la compagnie de personnes qui n’étaient pas bonnes pour moi, des actions qui m’amenaient à ma désolation. Je lui en voulais, d’avoir été si faible, si veule, de ne pas avoir saisi sa chance comme les autres, d’avoir loupé des opportunités fructueuses. Je ressens encore la honte et la douleur qu’elle a ressenti sans véritable distance. Je ressens de la colère quand cette plaie se rouvre. Je n’arrive pas à la comprendre, et je porte sur elle le regard qu’on portait sur moi : une chose pénible et bruyante, inintéressante, qui ne mérite pas d’être aimée tant elle est bizarre, et chiante, et empêche tout le monde d’être tranquille. Une chose qu’on laisse seule et dont on se moque dès qu’elle ouvre la bouche. Une chose qui crève en silence entre les murs épais de sa chambre des heures durant et qui ne fait rien pour y remédier.
A cause d’elle, je gèle tous les après-midi. A cause d’elle je crois que je ne vaux rien, que je ne sais rien faire de mes dix doigts, que je ne m’intéresse à rien. Que je suis gauche, et qu’au fond je n’apprends jamais à bien faire quelque chose car je n’en suis pas capable. A cause d’elle je remets tout au lendemain, et je sens des larmes envahir mon ventre quand il faut réparer quelque chose ou apprendre quelque chose que je ne sais pas faire. Ma colère à son égard à quelque chose de viscéral : je suis prise d’animosité farouche quand je devrais la prendre contre moi.
Ce regard est injuste. Cette animosité n’est pas la mienne, mais celle qu’elle a subi, et subit encore à travers moi. Parce que l’adolescente a été blessée au plus profond de son être, au fond d’une plaie ouverte depuis dix ans qui pourrissait et brûlait déjà en silence. Elle s’est retrouvée seule dans le noir, pendant cinq ans, avec une lame replantée chaque jour, dans la même plaie, chaque heure, sans amour pour lumière. Et je vais choisir aujourd’hui de la remercier avec la révérence la plus basse qui puisse exister, parce qu’elle a été pour la deuxième fois de sa vie brisée avec une violence inénarrable, et puis elle a survécu. Parce que les choix qui ont été faits et qui nous déplaisent, sont ceux d’une jeune fille qui devait survivre envers et contre tout, sans aide, sans soutien, persuadée de fautes qu’elle n’avait pas commises, et qui venaient de toutes parts. Une jeune fille a survécu au travers d’heures plus douloureuses les unes que les autres, (à ce moment de l’écriture, j’ai voulu changer la musique comme si j’étais sur l’ordinateur depuis lequel elle écrivait à tout prix pour respirer). Elle a survécu pour que je me retrouve ici, aujourd’hui, en sécurité, dans un appartement que j’aime et qui m’appartiens, avec un chat qui se repose dans un coin de la pièce, près de la fenêtre, à deux doigts d’aller prendre une douche bien chaude pour aller retrouver mon amie un peu plus tard. Je la remercie d’avoir survécu pour ce moment-là, et pour tous les moments de joie et de connexion qui colorent les journées à venir. Comme une mère qu’on oublie dans un coin de la photo, je la remercie d’avoir été présente, et d’avoir avancé quoiqu’il en coûte, vers la vie. Je rendrai l’animosité à qui elle appartient, et lui verserait sur les épaules l’amour à grands flots qu’elle méritait depuis l’enfance.
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plexussolaire · 1 year
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Anne
Je vis ce truc bizarre, ce truc dont on parle jamais nulle part. Et j’ai envie de me revoir toute la série En thérapie pour l’occasion, parce que c’est une bonne série.
Je viens de finir ma thérapie.
Pour l’occasion, j’ai mangé du pain et du bu du vin, pour fêter ça. Mais in a good way. J’ai pris une demi bouteille pour ne pas partir en live, pas de la bière, quelque chose de plus doux, moins fou, moins calorique, que je n’avais pas envie de boire vraiment en entier. J’ai pris le meilleur pain de Paris, j’ai été quand même au sport, même si j’avais pas envie, parce que ça fait partie de mes valeurs. C’est une étape décisive, et j’avais pas pesé à quel point.
Décisive, avec un grand D.
C’est moi qui ait décidé, et c’était le bon moment. Trois ans et des poussières. Depuis le confinement. Confinement qui a été le révélateur de toute la merde et mon carnet peut confirmer. Des crises, tous les jours, tous les après-midi, du vin, de la bière, du pain en guise de repas du soir pendant plus d’un an. Le nouveau boulot qui venait tout trigger, ma relation amoureuse aussi, ma famille. Ma famille à qui je n’osais rien refuser, de peur des représailles, des reproches, des chantages, revenir sur les traditions est toujours un voyage.
Une guerre.
J’ai dis à (presque) tout le monde ce que je pensais et attendais d’eux vis-à-vis de moi. J’ai appris les limites, les besoins, et je pleure parce que j’ai bu. Mais pas en mal. Parce qu’il faut cesser de diaboliser cela, cesser de chercher à contrôler, par fantasme d’une pureté magique. Parce qu’il n’est pas nécessaire de tout régler, pour terminer une thérapie. C’est juste avoir l’intime conviction que ça viendra en temps et en heure, qu’on saura faire, et que ne pas tout savoir et ne pas tout régler, ce n’est pas grave.
J’ai un peu perdu quelqu’un ce soir. Je sais que je dois faire mon deuil. Anne m’a aidée à y voir clair, à trouver les clés, à m’autoriser tellement de choses. A en vouloir à mes parents. A remettre à sa vraie place la souffrance que j’avais pu ressentir pendant des milliers d’années. La rendre légitime. Casser les spirales, exorciser la douleur, dire mon plus gros secret à voix haute, avoir quelqu’un en qui j’ai confiance, qui ne m’a jamais blessé, qui ne m’a jamais contredit, attaqué, qui m’a toujours écouté.
Je pleure avec une telle force. Je n’aurais jamais anticipé une telle réaction. C’est une lumière dans ma vie, une période de métamorphose incroyable qui m’a permis d’atteindre un état plus lumineux. Je ne suis pas encore sûre d’être capable d’en faire quelque chose. Pourtant les possibilités sont entièrement devant moi. Je fais ce que je veux, libérée de tout ce qui m’entravait avant. C’est une toute nouvelle vie, c’est un peu effrayant, surtout grisant. Mais c’est elle que je pleure ce soir. Je lui dirai peut-être demain, à quel point ça a changé ma vie. A quel point j’ai l’impression de vivre pour la première fois. En étant confiante. En ayant foi dans la capacité qu’auront mes sensations de me guider. Que ça va aller, en fait.
Et pourtant, je sais que c’est normal, ce soir je me sens perdue, orpheline, livrée à moi-même. Comme un  tout petit oiseau qui tombe du nid. Vaguement persuadée que tout va redevenir comme avant la thérapie. C’était couper le cordon en quelque sorte. Cela s’est fait dans la joie, et c’est tant mieux. Un peu comme la fin de mon stage. La joie, ça veut dire qu’après ça va être bien.
Ce texte est si important pour moi. On ne parle jamais de l’après thérapie. L’après des batailles. Et c’est vrai que j’attendais cette main sur mon épaule depuis un bout de temps. Cet encouragement qui m’entraîne à affronter à bras le corps les démons. Le courage je l’avais; je me battais avec des fantômes dans tous mes textes. J’y allais à fond, les émotions, la bagarre. Elle m’a mis en face du véritable adversaire. Elle m’a donné les armes et je n’avais qu’à rentrer dans l’arène. J’avais le courage, elle était mon Athéna, guidant mes pas dans la lumière blafarde. Sa présence dans la pièce, quand je buvais les ténèbres.
C’est une vraie, belle relation que j’ai conclus ce soir. Ce n’est pas à jamais. Et elle serait là si j’appelais au secours. Mais je pleure comme une perte, cette relation douce et tendre comme aucune autre, où quelqu’un s’est livré pour vous aider et vous voir grandir. Et on se sent bête parfois, on se dit qu’on est le pire patient, celui qui dit vraiment des trucs inintéressants, ou parfois on se dit qu’on doit vraiment lui pourrir la journée, en lui donnant notre histoire sans filtre et plein de violence et de dégoût. Mais à la fin elle vous dit merci comme vous. Et c’est une perte. C’est la fin.
Vous ne serez plus dans son regard protecteur, mais votre vie pourtant commence...
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plexussolaire · 2 years
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Nouvelle journée
Écrire fut longtemps pour moi un moyen de m'accrocher par à-coup à la vie qui passait et filait sans moi, car j’étais attachée par les pieds à un corps endeuillé pétri de larmes. J’écrivais, souvent, parfois la nuit, quand le blocus de mes émotions lâchait soudain sous la déferlante, quand j’étais enfin seule, et qu’un filet d’air  pouvait circuler dans la chambre, enfin. D’autres fois, j’écrivais le matin, encore protégée par la quiétude de la maison endormie, émerveillée par cette singulière lumière du matin que filtrait mon velux sur les murs jaunes, et que je n’ai jamais vraiment revu autre part.
J’écrivais bien, le rythme des phrases avaient une certaine élégance, une certaine justesse de ton, les mots étaient parfaitement choisis, coloraient à la perfection les sentiments qui habitaient mon corps et résonnaient en moi. Ils éclataient par vague chacun des obstacles, chacune des résistances, et me permettaient de crier quelque chose que je ne pouvais que murmurer à demi-mo(r)t.
J’écrivais dans un texte en 2015 : “Au fond de ma tête, je me suis enfermée dans ma chambre, assourdie par l’immobilité qui m’est restée chevillée au corps durant toute la journée, prostrée, dans l’impossibilité de faire quoique ce soit. Mon corps est gelé. Mon âme est gelée. Je crois que tout en moi est transi par la peur bleue de se déployer. Tout veut rester terré, surtout ne s’engager dans rien, surtout ne pas se mouvoir trop loin, trop fort. Je perds la tête, mon cœur se sclérose, je sens que quelque part quelque chose est mort.”
Tout était dans les mots, et je n’en comprends la portée qu’aujourd’hui, 7 ans plus tard. Lampadophores d’un secret ténu mais radical, je criais pour que la mort ne m’emporte pas avec elle avant que la vie n’ait commencé. Et puis la chaîne s'est brisée. Je sens que j'aime à nouveau depuis quelques mois. Ce qui se meut est moins fatal, moins effrayant, risquer de vivre est devenu plus confortable. J’ai quitté la chambre, quitté la maison, abandonné mes cerbères à leurs tristes chaînes. Les vagues de l'envie caressent le rivage, et j’ai envie de m’envoler parfois. D’une fuite à coeur perdu dans les ombres ignobles, je perçois soudain la possibilité d’une allégresse.
Je crois que je désire. Et ce n'est pas rien. Mes pieds sortent peu à peu du limon dont j’ai, quoiqu’il en coûte, émergé. Les mots se transforment et je cherche un nouveau langage. L’écriture est l’amour d’une vie, ma relation secrète, ma douce sauveuse. Je rêvais les garçons qui viendraient élargir mes contrées et m’emmener au large. Mais le vrai cadeau de cette femme qui un jour m’offrit la reconnaissance, la bienveillance et l’écriture, m’offrit les liens qui me permettraient un jour de sortir du caveau primordial.
Je ne puis qu’écrire puisqu’il le faut, mais je ne veux plus survivre. Je veux que les mots se déploient dans le soleil mérité. ��
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plexussolaire · 2 years
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Habiter l’absence
J’ai écris ce texte voici des mois, plein d’un chagrin déchirant. J’ai choisi de le reprendre, de le réécrire, de lui ôter la tristesse glaciale qui envenimait son air, pour retrouver quelque chose de plus…
Il faut aujourd'hui abandonner cette maison. Il faut maintenant arracher la peau de ses meubles, de ses objets, de ses souvenirs, abattre les murs, abattre les ans qui l'ont vu tomber en poussière. Cette maison est un corps, par tous les orifices elle a vu pendant des années aller et venir des corps chauffés de soleil, l’été pendant les vacances, des petits plats qui sortaient par les fenêtres, des apéritifs, des tintements de verres, des serviettes bleues avec des petits ronds autour. Elle a senti les vélos tourner autour d’elle, les ballons voler au-dessus du toit, les balançoires grincer au fond du jardin. Il y avait une vie.  
Dans le corps de la maison, il y a des pièces qui sont comme dans les musées, des pièces mises en scène, qui donne l'aperçu d'un autre âge, où les objets sont exposés à la vue de tous. Les papiers ont à peine bougé, une plume est dans l'encrier asséché. On y verrait presque encore les traces des pieds posés pendant des heures sur la moquette du bureau. Ce corps sent l'entonnoir, et l'on s'enfonce dans les odeurs des souvenirs. Chaque meuble est une histoire, des fleurs artificielles aux dentelles couvrant les guéridons, de la boite à musique aux actes de naissance, de ceux qui sont morts depuis longtemps. Sur les meubles, des vivants s’invitent sur les photos des morts, et bien sûr l’on s’attarde, mélange d’effroi, de tristesse et de douceur.
Les vies se superposent, les jeunes usurpant la place de ceux qui vivaient avant. Les lieux sont des corps qui s’enfantent. Les années se répondent, et on lit les mêmes livres, on entend les même chansons, les murs s'imprègnent du temps, et la chanson de Brel ronronne au salon. Quand sous la couverture on entend encore le bois qui craque, le corps qui se meut, les poutres qui chagrinent, c'est le sanglot de l'enfance. La balançoire accrochée qui fait sa litanie, la poésie de ce temps où l'on croyait s'envoler, où le baladeur chuchotait la bande-son de la vie d'enfant, avant d'aller faire éclater les framboises sous la langue au jardin. L'enfance, c'est les spaghetti à la Bolognaise. C'est des photos, c'est des petits mots, des listes de courses, des marques pages, des numéros laissés-là, par une écriture enfuie, près du téléphone fixe. Et ça gueule. Ce corps il faut le rendre. Il faut le « retaper ». Ce corps, il faut le vendre.
Je reviens sur les traces d’une absence. Je veux par l'écriture habiter ces années-là, ces années qui l'on vu naître, ce corps, cette âme, cette maison. Si Proust était là, peut-être qu’il comprendrait, car quand je lis Combray, c’est toujours cette maison que je vois.
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plexussolaire · 2 years
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C.
J’ai découvert ce morceau mille ans après sa sortie, j’ai presque honte d’en parler tant j’ai l’impression d’avoir découvert un trésor hyper précieux que tout le monde a déjà usé. Le type qui la chante est mort, c’est dire. C’est une chanson d’amour. Les paroles sont lancinantes, la voix peu harmonieuse, un rap à l’ancienne, un son de début de carrière, une énergie qu’on sent en train de se former. Un éclat de génie. Le type est un gosse. Il est amoureux pour la première fois, d’une fille connue, sublime, une beauté pure, presque violente. Deux gamins qui s’aiment sans mesure, et qui peuvent le chanter ensemble. Il arrête la drogue pour elle. Il revit pour elle. Il raconte la puissance du désir qu’ils ont l’un pour l’autre. Ça me prend dans le ventre. Pourtant c’est pas joli, pas forcément original, je n’oserais pas la faire écouter à quelqu’un, de peur que l’intensité de l’amour que j’ai pour cette chanson ne soit pas saisi. Que la magie s’effondre, l’illusion se fane. C’est rare. C’est si précieux.
J’imagine dans mon corps et dans mon ventre la vie de ce mec à la bouille d’ange, son amour, sa complicité avec cette belle brune enivrante. Il se raconte en entier, sans tabou, morceau par morceau. J’ai l’impression d’être en deuil de sa mort, de son destin tragique et insupportable. J’ai l’impression que je serais tombée amoureuse de lui dans une autre vie. Je me sens portée par cette émotion. Comme si rien ne s’était allumé depuis longtemps dans mon ventre, comme si tout à coup je retrouvais la pulsation particulière de mon coeur de gamine. Celle qui écoutait de la musique pendant des heures et connaissait des dizaines d’albums par coeur, qui cherchait la vibration de toutes les émotions dans les voix, les mots, quand les sons la portait avec toute la justesse qu’il fallait. Celle qui crevait tellement qu’elle cherchait à tout prix des langages, des mots, des sensibilités qui touchaient la sienne. Et pourtant, de demeure en demeure, la chambre de la musique fut peu à peu désertée…
Ça faisait longtemps que je n’étais pas allée marcher pendant des heures pour écouter un album, lire toutes les paroles pour bien comprendre les mots, les mémoriser aussi un peu. Longtemps qu’une chanson n’avait pas à ce point hanté mes pensées, au point de ressentir le besoin pressant d’appuyer à nouveau sur lecture. Je me sens lui, je me sens l’histoire que je me raconte tout bas sur lui. Je rattrape mon retard et j’écoute tous ses albums, comme une urgence, urgence de me lier à lui, de le lier à ma vie, et de l’aimer pour toujours. Ma vie, en quelque sorte, en dépend. Ce n’est pas explicable.
C’est comme si j’étais seule et que tout à coup sa voix venait, familière, porter le poids que je porte. Et je porte un peu le sien, à rebours du temps, je cache en moi quelques unes de ses paroles, et le délivre un peu vivant.
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plexussolaire · 2 years
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À toutes ces femmes qui m'ont regardée avec les yeux tendres en face de ma mère en train de se plaindre de moi. À 8 ans, à 11 ans, à 14 ans, et qui voyaient autre chose qu'une déception de leurs attentes.
À ces quatre professeures qui dans ma vie ont ouvert une fenêtre et ont fait entrer le vent, et qui pendant un bref instant au retentissement éternel m'ont autorisée à respirer.
Merci.
Je m'en vais à présent, à jamais reconnaissante, ouvrir d'autres fenêtres.
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plexussolaire · 2 years
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L'épi naissant mûrit de la faux respecté ; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été Boit les doux présents de l'aurore ; Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux point mourir encore. Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort : Moi je pleure et j'espère. Au noir souffle du nord Je plie et relève ma tête. S'il est des jours amers, il en est de si doux ! Hélas ! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts ? Quelle mer n'a point de tempête ? L'illusion féconde habite dans mon sein. D'une prison sur moi les murs pèsent en vain, J'ai les ailes de l'espérance. Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel, Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel Philomèle chante et s'élance. Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m'endors Et tranquille je veille ; et ma veille aux remords Ni mon sommeil ne sont en proie. Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ; Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux Ranime presque de la joie. Mon beau voyage encore est si loin de sa fin ! Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin J'ai passé les premiers à peine. Au banquet de la vie à peine commencé, Un instant seulement mes lèvres ont pressé La coupe en mes mains encor pleine. Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson, Et comme le soleil, de saison en saison, Je veux achever mon année. Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin, Je n'ai vu luire encor que les feux du matin ; Je veux achever ma journée. O mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ; Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi, Le pâle désespoir dévore. Pour moi Palès encore a des asiles verts, Les Amours des baisers, les Muses des concerts ; Je ne veux point mourir encore. » Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix, Ces vœux d'une jeune captive ; Et secouant le faix de mes jours languissants, Aux douces lois des vers je pliai les accents De sa bouche aimable et naïve. Ces chants, de ma prison témoins harmonieux, Feront à quelque amant des loisirs studieux Chercher quelle fut cette belle. La grâce décorait son front et ses discours, Et comme elle craindront de voir finir leurs jours Ceux qui les passeront près d'elle.
André Chénier, La Jeune Captive.
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plexussolaire · 2 years
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Légère, libre et entière
Il y a des endroits dans ma vie où je me suis sentie légère, libre et entière. Non pas diminuée par le chagrin, non pas rongée par ce deuil qui n'était pas le mien et dont je partageais la robe noire, non pas vaincue par le poids des illusions : légère, libre, et entière, auréolée d'une lumière bigarrée. Je ne suis pas la noirceur qui hante et qui pèse sur mon enfance. Je ne suis pas qu'un regret de liens manqués. Je suis cette gamine en jogging-basket-à-scratch qui joue aux billes. Je ne suis pas ces années où les loups ont envahi les plaines de ma vie pour me tenir captive. Je suis un soir d'eau fraîche auprès du lac, doux et accueillant, baigné d'un rai orangé. Je ne suis pas ces rides accablées et tremblotantes dans le reflet du poste de télévision. Je suis la fin des cauchemars. Je suis le début de l'ère dansante du singe.
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plexussolaire · 2 years
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La peur
Je viens d’entrer dans ma chambre d’enfant. Il fait noir. La veilleuse orange éclaire la porte entrouverte. Derrière se cachent des hommes qui viennent pour me tuer. Il me suffit de tourner mon corps face au mur de ma chambre pour qu’ils viennent planter leurs couteau dans mon dos. Personne ne viendra me sauver. Alors je maintiens la tension, je regarde droit devant moi, je fixe la porte et son éclairage glaçant. J’attends. Je suis prête à bondir. La peur crispe tous les muscles de mon corps. J’imagine mes cinq peluches chiens prendre vie pour me défendre une fois endormie. Je me sécurise comme je peux car la maison est grande, et personne ne viendra. Personne ne s’apercevra que je suis en train de mourir dans mon lit.
Parfois je pleure et je hurle. Mais je dérange. Je dérange ma soeur qui vient, parce que mes parents n’ont pas voulu se lever pour moi. Elle vient parce qu’elle m’entends pleurer fort. Je dois avoir 7 ou 8 ans. J’ai peur de Shining. Ils sont en train de le regarder, je ne sais même pas si j’ai vu le début. Mais je vois ma soeur entrer dans la chambre, et je l’entends me reprocher de l’empêcher de voir la fin du film. Elle vient quand même me voir, parce que je pleurais depuis longtemps. Mes parents ne sont pas montés. Ils voulaient voir la fin du film. A cet instant je sens la culpabilité, l’horrible culpabilité d’avoir dérangé pour quelque chose d’insignifiant : ma peur de mourir. Mes émotions dérangent, elles gênent, elles ne sont pas légitimes. Mon père gueule quand je pleure la nuit après un cauchemar. Ma mère ne m’adresse pas un mot quand elle vient rejoindre mon lit quand je suis malade. Elle ne m’embrasse pas, ne me fait pas de câlin. Je gêne quand je suis vulnérable. Je me sens gelée, tant j’ai peur et tant cette peur m’éloigne irrépressiblement du réconfort dont j’ai tant besoin. Ressentir le besoin d’amour, de réconfort, de reconnaissance et de validation m’éloignent de ceux-ci inexorablement. Je me sens comme un poids pour ma famille. Si je n’existais pas ce serait mieux pour tout le monde, je dérange. On me dit que je suis chiante, que je ne sais rien foutre, que je suis un parasite. Je pense que ça serait mieux pour tout le monde si je disparaissais, si je me faisais assassiner par cet homme de la nuit. Je pense parfois que ce sont mes parents qui veulent me tuer.
Mon père crie beaucoup. Il pousse les meubles, il souffle, ça vient par vagues, il entre dans la pièce, sans un mot il installe ce climat de peur, il claque les portes, il ne dit jamais directement ce qui l’emmerde, ou il le dit en criant, avec beaucoup de gros mots. On reste sur ses gardes, on adapte son comportement pour ne pas amplifier ses réactions, ses colères, pour ne pas devenir la cible. Mais la cible est dessinée sur notre dos. On attend l’impact. Si on bouge. Si on fait un pas de travers. Si on laisse traîner un truc. Si on est un peu en retard. On angoisse à propos des cris, de la menace de l’explosion toujours imminente et imprévisible. Il ne dit jamais je t’aime. Il ne prend jamais dans ses bras. Souvent il fait des blagues, mais elles sont souvent là pour dénigrer ou les autres, qu’il juge très vite et mal, ou nous-mêmes. Nous sommes les dindons de la farce. Tout ce que nous faisons prête au rire. Et quand nous nous défendons il se met en colère, sur la défensive. Il n’admet jamais ses torts. Il ne s’excuse jamais. Il boude, il râle. Il quitte la pièce, en poussant une chaise violemment. Il sème le silence et l’angoisse derrière lui.
Alors pleurer la nuit… pendant son précieux sommeil. C’est bien que j’avais peur. Trop peur pour être seule. J’avais besoin d’aide, j’avais besoin qu’on me sauve de la nuit. Mais cela n’était que caprice à leurs yeux, et dérangement. Si bien que je n’ai jamais été rassurée face à la peur. C’était dans ses bras, que je m’endormais la nuit tombée.
Bon anniversaire, papa.
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plexussolaire · 2 years
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Même si la page est solitaire,
et que parfois, dans les soirs creux,
dans cet univers choisi, déserté, enfin calme,
sans famille, sans amour, sans amis,
tu pleures en silence,
il y a une vérité qui ne sera jamais lasse,
c’est celle que tu mérites de guérir.
Même si le temps allonge sa traine,
même si par un éternel retour, les plaies se rouvrent
et le besoin de réconfort est impossible à rassasier,
même si les idées noires s’y glissent,
et que la terre s’est ouverte à nouveau sous tes pieds,
tu mérites de guérir. Tu mérites d’être aimé.
N’écoute pas ceux qui t’ont convaincu du contraire.
Ne te hais pas pour ce que les autres t’ont fait.
Tu mérites de guérir. Tu mérites d’être aimé.
Ne compte plus les larmes, ce n’était pas de ta faute.
Tu mérites un millier de printemps, couronnés de lauriers.
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