7 avril : la mémoire du génocide tutsi au Rwanda
Il y a 30 ans, jour pour jour, commençait un gĂ©nocide qui allait faire disparaĂźtre, en trois mois, un million de personnes dans un pays de moins de 7 millions dâhabitants, le Rwanda.
Tutsi et de Hutu sont des appartenances fixĂ©es par le colonisateur belge. Ă lâĂ©poque coloniale, les EuropĂ©ens ont voulu catĂ©goriser les populations soumises en ethnies bien identifiables. Dans le cas du Rwanda, cette construction Ă©tait trĂšs largement artificielle, car Tutsis et Hutus habitent le mĂȘme territoire, partagent la mĂȘme langue et ont adoptĂ© la mĂȘme religion, le catholicisme. Lâethnie figurait sur les cartes dâidentitĂ©, câest ce qui facilita les massacres, car comment identifier Ă coup sĂ»r les individus Ă Ă©liminer ?
En 1962, le colonisateur belge avait laissĂ© le pouvoir Ă un mouvement radical Hutu, aussitĂŽt des massacres se sont produits. En 1973, quand JuvĂ©nal Habyarimana prend le pouvoir Ă la suite dâun coup dâĂtat, les Tutsis ne sont plus dĂ©sormais que des citoyens de seconde zone ce qui engendrera la crĂ©ation du FPR (Front patriotique rwandais) pour combattre le dictateur. Ce mouvement rebelle, implantĂ© dans les pays voisins, est composĂ© de Tutsis et de Hutus modĂ©rĂ©s qui ont fui leur pays. Le dictateur JuvĂ©nal Habyarimana fini par accepter un partage du pouvoir (accord dâArusha, en aoĂ»t 1993) mais en mĂȘme temps le pouvoir de Kigali laissait se dĂ©velopper une propagande anti-tutsi aux accents meurtriers. La radio Mille collines qui appelle quotidiennement Ă Ă©liminer tous les Tutsis du pays est fondĂ©e en juillet 1993. Par ses discours de haine, elle joua un grand rĂŽle pendant le gĂ©nocide. Le 6 avril 1994, lâavion prĂ©sidentiel est abattu par un missile, on nâa jamais su qui avait tuĂ© JuvĂ©nal Habyarimana, mais la propagande hutue dĂ©signe aussitĂŽt les Tutsis. Le 7 avril 1994, commence des massacres qui ne sâachĂšveront que le 17 juillet par la prise de contrĂŽle du pays par le FPR et la fuite des extrĂ©mistes Hutus au ZaĂŻre (aujourdâhui RDC).
Depuis, le FPR a pris le pouvoir, son leader Paul KagamĂ© est prĂ©sident de la rĂ©publique. Il appartient Ă une famille de Tutsis qui sâĂ©tait rĂ©fugiĂ©e en Ouganda, bien avant le gĂ©nocide. Son rĂ©gime est autoritaire, mais le pays a retrouvĂ© la paix et a prospĂ©rĂ© sous son rĂšgne.
Le rĂ©gime organise tous les ans, le 7 avril, une commĂ©moration du gĂ©nocide mais sans pour autant avoir cherchĂ© Ă identifier les coupables et les victimes. La mention de lâethnie sur les cartes dâidentitĂ© a Ă©tĂ© enlevĂ©e dĂšs aoĂ»t 1994, aujourdâhui il nây a officiellement plus de Hutus ni de Tutsis, rien que des Rwandais. NĂ©anmoins, la cohabitation entre victimes et bourreaux pose de grandes difficultĂ©s Ă la reconstruction du pays. Dans un souci de rĂ©conciliation nationale, les victimes ont Ă©tĂ© enjointes de pardonner Ă des bourreaux qui ont rapidement dĂ©bitĂ© un texte de contrition. Un lourd silence pĂšse sur le gĂ©nocide qui est commĂ©morĂ©s aujourdâhui. Le pays a mis beaucoup de temps Ă le faire entrer dans les manuels dâHistoire. Câest fait Ă prĂ©sent mais que ce nâest plus quâun fait historique pour une trĂšs large partie de la population. Le Rwanda est un pays trĂšs jeune : 70% de la population a moins de 30 ans et nâa pas vĂ©cu le gĂ©nocide.
De commĂ©morations en commĂ©morations, les choses Ă©voluent Ă lâinternational. En 2021, le prĂ©sident Macron, mettait un terme au dĂ©ni de la France et admettait des responsabilitĂ©s dans le dĂ©roulement du gĂ©nocide du fait dâun soutien coupable Ă la dicature extrĂ©miste hutue. En 2024, pour ce 30e anniversaire, le prĂ©sident français affirme que la France, « avec ses alliĂ©s occidentaux et africains » aurait ou arrĂȘter le gĂ©nocide mais nâen a pas eu, Ă lâĂ©poque, la volontĂ©. Il rappelle que, « quand la phase d'extermination totale contre les Tutsis a commencĂ©, la communautĂ© internationale avait les moyens de savoir et d'agir, par sa connaissance des gĂ©nocides que nous avaient rĂ©vĂ©lĂ©e les survivants des ArmĂ©niens et de la Shoah ». Le Vatican, en revanche nâa jamais fait le moindre commentaire sur lâaveuglement de lâĂglise face Ă ce gĂ©nocide.
En lâan 2000, le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, avait Ă©tĂ© beaucoup plus clair : « Jâassume ici devant vous la responsabilitĂ© de mon pays, des autoritĂ©s politiques et militaires belges, et au nom de mon pays, je vous demande pardon pour cela. » La mĂȘme annĂ©e, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâONU, Kofi Annan, avait juste exprimĂ© des remords : « Au nom de lâONU, je reconnais cet Ă©chec et jâexprime mon profond remords. » En 2003, lâONU institue le 7 avril comme la JournĂ©e internationale de rĂ©flexion sur le gĂ©nocide au Rwanda qui deviendra, en 2018, la JournĂ©e internationale de rĂ©flexion sur le gĂ©nocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Chaque annĂ©e, Ă cette date ou aux alentours de cette date, lâOrganisation des Nations Unies organise des manifestations commĂ©moratives Ă son siĂšge, Ă New York, et dans ses bureaux dans le monde entier.
Le Rwanda a deux jours fĂ©riĂ©s pour commĂ©morer le gĂ©nocide. La pĂ©riode de deuil national dĂ©bute avec Kwibuka (âse souvenirâ, en kinyarwandais), la commĂ©moration nationale du 7 avril et se termine avec le Jour de la libĂ©ration, le 4 juillet.
Un article de l'Almanach international des Ă©ditions BiblioMonde, 6 avril 2024
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