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Philosophie Roger Rabbit.
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Au beau milieu des gravats de l’édition hexagonale, émerge dès le début des années 80 une ribambelle de bandes dessinées tristes et crues comme l’époque et dont le trait venimeux infecte encore nos pupilles anxieuses. Signées Imagex, ces histoires glaçantes, racontées pour la plupart à hauteur d’enfant, furent à notre grande joie l’objet d’une anthologie aux éditions The Hoochie Coochie à l’été 2023. Ô surprise ! Plus de 40 ans après l’abdication totale de l’auteur de son poste à l’avant garde du 9eme art, ses planches en bichromie rouge et bleue n’ont rien perdu de leur virulence désespérée comme de leur fulgurance punk. L'auteur de BD Imagex est mort depuis des lustres mais le bonhomme derrière le pseudo reste toujours vaillant. Il nous a donc accordé un entretien fleuve pour nous parler de fanzine, d’enfance, de jeux vidéo, de slips Dim et de Roger Rabbit.
Imagex : « La bande dessinée, j'ai  commencé sérieusement à en faire vers 14-15 ans, en seconde, quand j'ai rencontré un garçon qui écrivait très bien. J'ai donc fait mes premières BD sur des scénarios de ce jeune homme. Après, bien sûr, j'ai fait mes propres histoires mais tout a commencé comme ça. Mais bon c'est pas le tout de commencer, faut être publié et surtout trouver son style. Mon style j'ai fini par le trouver au début des années 80. J'ai fini par être publié et comme il fallait bien croûter j'ai vite compris qu'il fallait faire de l'illustration de presse. J'ai finalement aussi réussi à avoir quelques publications dans des revues prestigieuses comme à Suivre. Mon pseudo - Imagex- était un peu une manière de me donner un nom de produit à mes débuts ; il sonne et se retient bien. A l’époque, il y avait un peintre, qui travaille encore d’ailleurs, Speedy Grafito, et bien je me suis donné un nom un peu comme lui.
Des critiques assez judicieux de l'époque trouvaient que mon style de dessinateur se situait entre Vuillemin et Corben. On peut dire que ces deux-là ressemblent effectivement à des influences, Vuillemin et moi  étant à mon avis tous les deux inspirés par ce génie Kurtzman, par son trait  très vif. J'en revendique d'autres comme Franquin, même si ce ne c'est pas forcément visible. Tout E.C. Comics, bien sûr, ça se voit dans certaines de mes histoires... Severin, Wood... L'utilisation des trames dans mon travail de BD, c'est clair que ça vient de Corben. Je me demandais comment il faisait. Comme dessinateur de BD, je n'étais pas branché couleurs. Il fallait que je fasse du noir et blanc et si je voulais faire des gris, la trame était la seule et unique solution parce qu'à l'époque, on pouvait éventuellement faire des lavis et les passer en simili, mais les éditeurs préféraient quand même shooter en noir ou blanc. La trame est devenue mon instrument de prédilection parce que j'ai découvert que je pouvais créer des ambiances, donner des sensations, grâce à des superpositions de trame  soit en la grattant au cutter pour faire des effets d’ombre et de lumière. En fait, je me souciais plus de l'ambiance de l'image à la manière de certains auteurs underground dont je ne me souviens plus du nom à part Placid et Muzo pour ne citer que ceux qui me reviennent en tête. Contrairement à Corben, je n'avais pas de soucis de réalisme en termes d'anatomie,des vêtements, des décors.
Le bleu et le rouge, ça vient des BD des années 20-30. C'était aussi pour mettre de la couleur dans la revue Viper ; on en a discuté et on s'est dit, en noir et blanc, on a un passage noir, je vous propose pas de faire 4 passages, ce qui aurait été économiquement impossible mais 2. J'avais repéré le truc sur ces anciennes BD ; on a le rouge, on a le bleu mais, la superposition des 2 fait le noir. Bon, c'était assez technique pour faire ça. Et du coup, moi, j'ai fait pas mal de BD dans Viper avec cette technique là. Puis on m'a proposé de faire l'album pour Artefact et les gars de la maison d'édition m'ont demandé de faire tout comme ça. Ça a été un boulot d'enfer mais ça a donné une densité à l'album qui est quand même assez notable. Et finalement ces trames m'ont donné un style.
Au bout d'un moment, je me suis rendu compte que ça n'allait pas être tellement viable comme boulot puisque ce que la presse recherchait c'était de moins en moins la BD d'auteur mais de plus en plus la BD classique. Je l'ai compris lorsque Mandryka, qui avait repris la direction de Charlie Mensuel racheté alors par Dargaud, m'a demandé au téléphone que l'on prenne rendez-vous et si je dessinais dans le style Buck Danny… Mandryka,quand même ! Je suis resté poli, j'ai raccroché; ce n'était pas la peine d'y aller. Cet événement a marqué la fin de ma carrière d'auteur de BD. Ça puis aussi tout un ensemble de planches qui étaient prises à droite à gauche sans jamais être publiées que ça soit par Dionnet, par Manoeuvre... Même Willem m'avait pris des BD qui n'ont pas été publiées, alors qu'il m'avait garanti qu'elles le seraient mais il ne devait pas contrôler le truc.
Je me suis mis à faire des polices de caractère au début des années 2010 et comme je signais Imagex, un garçon m'a écrit sur le site Dafont, là où je poste mes travaux. Il me demandait si j'étais bien l'Imagex qui faisait de la bande dessinée dans les années 80 et je lui ai répondu que oui. Ce jeune homme, c'était Maël Rannou. Aussitôt, il m'a proposé de publier des inédits dans son fanzine. On a démarré une relation très cordiale même si on se voit peu parce que déjà géographiquement, nous sommes assez éloignés. Mais on se voit tout de même de temps en temps , on se téléphone. Maël m'a quand même appris que j'avais des fans trente ans après mes premières publications et plutôt des fans de l'âge de ma fille. Il m'a parlé des frères Guedin dont j'ai découvert qu'ils ont eu envie de faire de la BD en lisant mon livre Mauvais Rêve. Maël voulait faire une intégrale mais ça traînait. C'est un garçon qui n'a pas beaucoup de temps pour lui. Ce n'est pas la volonté qui lui manque, ça non, c'est plutôt le temps. On se demande même comment il arrive à faire certaines choses.
La fille de ma compagne a une maison dans la Drôme près de Die, là où se trouve la maison d'édition The Hoochie Coochie. Un jour, il y a un peu plus de deux ans, nous nous sommes baladés dans la rue principale avec ses boutiques et je suis tombé sur une librairie-galerie où étaint exposées des planches originales de bd alors je suis rentré. C'est la galerie de The Hoochie Coochie dont je connais assez bien le travail d'éditeur parce que je suis un grand fan du travail de Hittinger, qui pour moi est un maître. Je discute ce jour-là avec Gautier Ducatez, l’éditeur,  on sympathise. Je repasse le lendemain, on parle des livres de la collection dans laquelle Stéphane Blanquet avait publié et je lui dis que j'en ai fait un, moi aussi. Il me demande sous quel nom et quand je lui réponds ; il est très ému. Pour moi c'est touchant. J'ai même du mal à le croire encore aujourd'hui mais il m'a immédiatement proposé de faire, non pas une intégrale comme voulait le faire Maël, mais une anthologie. J'ai bien sûr accepté mais j'ai précisé que les planches originales étaient toutes pourries pour des raisons techniques et il m'a répondu que ça ne lui faisait pas peur. Finalement, il a eu raison de ne pas avoir peur parce qu'il en a eu du boulot ! La trame a fait baver le feutre avec le temps donc ça fait une espèce de masse dans la colle, entre le film et le papier, un truc noirâtre absolument dégueulasse qui pourrit toutes les planches. C'est impossible à retirer parce que ça risque de déchirer la page et en plus il faudrait recommencer la trame avec la main que j'avais à l'époque.Mais Gautier a rusé entre les planches originales, les publications, des photocopies que j'avais, parfois des photogravures et il a réussi à faire l'impossible : il a ressuscité mes planches.
Le travail d'éditeur qu'a fait impeccablement Gautier ne s'arrête pas là, il a aussi donné une cohérence à l'album que n'aurait pas eu une intégrale. Dans l'intégrale, il y aurait des trucs que j'avais fait avant et qui n'étaient pas terribles, sans le trait Imagex en plus. Ou alors des trucs que j'ai fait un petit peu en parallèle qui ont été publiés dans la revue Viper, qui auraient pu être pas mal mais qui n'étaient pas dans ce registre d' écriture que rechercher Gautier pour l'album, c'est à dire ce trait Imagex avec la trame et ce rapport à l'enfance même si il y a une ou deux histoires qui en sortent un petit peu. Gautier a choisi de ne pas les publier dans l'ordre chronologique et à part peut-être une ou deux exceptions, je l'ai laissé libre. Je lui ai tout de même suggéré de terminer par Mauvais Rêve, ce qui me semblait plus pertinent. Lui voulait que le livre débute par les histoires publiées chez à Suivre, du moins les deux premières puis toute la suite qui n'avait pas été éditée en album seulement en magazine.
J'ai fait beaucoup d'histoires ayant pour sujet l'enfance parce que j'étais aussi animateur dans ces années-là, je faisais les cantines et les garderies donc j'étais assez proche des gamins. En plus, j'ai eu un enfant assez jeune, à 24 ans. J'ai fait ces histoires quand j'étais animateur parce que je voyais régulièrement un gosse arriver à la cantine avec la gueule tuméfiée. La personne qui surveillait la cour avec moi me disait que c'était le père qui le tabassait mais qu'on pouvait rien faire. C'est des choses qui me bouleversaient. Plus les histoires de gamins enfermés dans les placards, des horreurs comme ça, des histoires d'inceste...Ce qui est terrible, même si c'est dur de voir arriver un enfant avec la tête qui a doublé de volume et que ça ne passerait plus aujourd'hui, je reste consterner que quarante ans après des petites filles qui pourraient raconter l'histoire que je raconte dans Mon Grand Père est Mort. C'est des histoires pour venger ces enfants. Je me le formulais pas comme ça mais je me dis qu'il y avait quand même l'envie d'au moins témoigner de ça. De dire que ça se passe, que tout le monde ne vit pas chez les Bisounours.Sans oublier que les enfants entre eux, leur organisation sociale, d'autant plus si ils sont livrés à eux même, peut rejouer les rapports de domination que l'on trouve chez les adultes.
Il y a beaucoup de bande dessinées pour enfants mais la bande dessinée sur les enfants, avec des enfants, à part les Petits Spirou et compagnie qu'il y a maintenant, mais avant non. Il y avait bien Totoche, mais c'était toujours des visions romancées de l'enfance. Rarement, on mettait à plat l'âpreté de l 'enfance. Pas de Sa Majesté des Mouches en BD, un roman que j'ai lu sur le tard, je connaissais son existence mais je n'ai pas voulu le lire pour ne pas me laisser influencer dans mes BD, de perdre mon jus d'auteur. Je pense que j'ai bien fait.
En BD, Je suis un très grand fan de Lewis Trondheim mais aussi de toute la bande que j'appellerai L'Asso étendue donc ; Riad Sattouf, Larcenet, tout ça. J'adore Pierre Gabus et Romuald Reutimann qui ont réalisé Cité 14. C'est un travail génial qui n'a pas rencontré son public comme on dit. Maintenant, ils font un truc qui s'appelle New Cherbourg Stories. J'aime aussi bien les histoires que le dessin. J'aime tout Donjon, La Bibliomule de Lupano, un des grands scénaristes actuels et Charles Burns, forcément. Il y a un autre auteur qui me vient, c'est Ludovic Debeurme. Epiphania m'a énormément plu... Je n'y avais pas pensé mais chez Burns comme chez Debeurme, on retrouve ses enfants ou adolescents mutants qu'il y a aussi dans mes histoires.
Tout petit déjà, j'adorais le fantastique. Quand j'ai découvert ce genre à l'école, ça a été un grand choc. Mais c'était considéré comme un sous genre à l'époque, c'était pas populaire.  Et quand Star Wars est sorti au cinéma et même si j'étais adulte, je me suis dit "ça y est enfin!". Le fantastique, j'en ai toujours glissé dans mes BD. Ma passion pour Corben en témoigne. Si j'avais continué la bande dessinée la suite de Colonie de Vacances serait parti vers encore plus fantastico-bidule-machin. Je ne suis sûr que ça aurait été bien par rapport au début. Je serai peut-être volontiers plus dans des univers que l'on retrouve dans l'histoire Pas de Papa. J'étais un peu en avance sur mon temps avec cette histoire là. L'histoire d'une société dystopique où on peut se payer le sperme de génie où des mères se complaisent à vivre ensemble avec des enfants qui ont le patrimoine génétique du même monsieur. C'est sous entendu. Si j'avais bien géré mon truc, j'aurais continué à raconter des histoires comme ça, en mettant en perspective des avancées technologiques et sociales. Mais bon, aujourd'hui, ça serait plus un cauchemar qu'une histoire fantastique vu le contexte actuel. Les harcèlements sur les réseaux sociaux, les attentats terroristes, etc... Quand je dis ça, je pense à mes frères de Charlie Hebdo qui ont été assassinés. Je pense à notre confrérie des dessinateurs tués. Caroline Fourest a dit :" c'est horrible, ils ont abattu des nounours."
Quand j’ai été papa, il a fallu que je trouve autre chose que la BD pour vivre . C'est comme ça que je me suis retrouvé dans le jeu vidéo pour lequel j'avais beaucoup de goût à cette époque là. C'était encore un secteur pionnier, je me suis lancé corps et âme là dedans avec passion. Ce boulot  a été un grand bonheur de création mais pas de milieu. Dans la BD, j'avais beaucoup d'échanges avec plein plein de gens intellectuellement très intéressants sur plein de domaines, avec beaucoup de respect pour les auteurs... Le milieu du jeu vidéo, c'était rien, le niveau zéro comparé à ça. Les seules personnes qui allaient au-delà du jeu vidéo, on pouvait parler avec eux de films de science fiction et c'était tout.
Dans le jeu vidéo, j'ai commencé par faire ce que l'on appelle du graphisme. D'ailleurs, j'étais consterné que l'on appelle le dessin du graphisme. Pour moi le graphisme c'est la création de logo, la maquette, pas du dessin. Alors je crée des personnages  pour des écrans qui faisaient quand même 320 par 200, il fallait être à la fois économe et très ambitieux pour pas que ça ne fasse pas trop pixel. La boîte pour qui j'ai bossé avait des des connexions avec Liberatore et l'Echo des Savanes et les patrons ont voulu que l'on fasse un jeu vidéo sur Rank Xerox ; ça a été un cauchemar parce que les mecs ne se préoccupaient que de l'histoire et pas du tout du gameplay. Nous, en tant que graphiste et programmeur, on était contraints de faire du play alors qu'on y connaissait rien. Mais on a tout de même réussi à livrer à temps. Tout ça, c'était chez Ubisoft. J'avais fait tous les personnages mais ce n'est pas le tout d'être dessinateur quand on fait du jeu vidéo, il faut être aussi animateur. Si on s'occupe que des décors, tout va bien. Mais à partir du moment où on fait les personnages, il faut qu'ils soient animés. Heureusement, c'était un truc qui me passionnait. J'avais même trouvé une bible Disney pour me former au procédé de l'animation : comment faire pour que ça soit fluide, que ça soit souple, que ça fasse-ci ou ça. Je me louais des films Disney et je me les passais image par image sur mon magnétoscope pour étudier tel ou tel mouvement. Faire des personnages en jeu vidéo, c'est aussi faire du dessin animé. C'était vraiment pas facile mais c'était passionnant.Des croquis, des esquisses pour des  jeux, j'en ai des tas... J'en ai même à revendre.
Après un moment, je me suis mis à faire du concept design : trouver un pitch, ensuite créer un univers, même si il est linéaire à la Mario et ne pas oublier que ce n'est pas comme raconter une histoire; ce n'est pas linéaire du tout. Je me rappelle que j'avais proposé à type que l'on travaille ensemble sur  un jeu vidéo mais il était incapable de se sortir de l'écriture linéaire. A chaque fois qu'il m'en parlait c'était pour me donner un bout de livre, de roman ou de BD. Il aurait fallu qu'il sache faire une arborescence dans sa tête : si je propose que le joueur rencontre tel ou tel objet, tel ou tel personnage, etc, il peut arriver ça, ça, ça ou ça. Lui, c'était, il va arriver ça. Mais un jeu vidéo, ce n'est pas ça. Il faut prévoir toutes les trappes, les adversaires, et ce qui peut les contraindre, c'est un taf très lourd mais très excitant.
Mon jeu vidéo Baby Jo est sorti en 1991. J'ai dû le faire entre 89 et 90. J'avais travaillé pour une boîte assez importante, Delphine Software qui avait eu plusieurs succès. La boîte  faisait surtout de l'aventure ; un personnage se balade dans un décor dans un style heroquest de cette époque là, on peut ouvrir des placards, on peut trouver des indices... J'avais fait la plupart des décors sur certains jeux de cette période et quelques personnages. C'est là que j'ai  rencontré un programmeur pour mon projet. Bon, il faut savoir que les programmeurs sont des types très étranges. Par exemple, celui qui avait fait la programmation sur Rank Xerox, en plus d'avoir boulot de programmation, était aussi vétérinaire. C'était un génie. Les programmeurs sont aussi des gens qui ne tiennent jamais aucun engagement en termes de délai. Heureusement, celui que j'ai trouvé pour mon jeu était nickel. C'était génial de bosser avec lui. Je lui ai proposé assez vite de bosser sur un jeu de style Mario. Il a accepté immédiatement. Nous nous sommes donc lancés dans cet espèce de jeu de plateforme entre Mario Bros et Tex Avery avec des petits morceaux de Roger Rabbit dedans bien sûr. C'est comme ça que Baby Jo est né. Le jeu a du succès mais malheureusement, je suis tombé sur des escrocs que j’ai dus traîner au tribunal !
Entre les jeux vidéos et les polices, j'ai fait du design textile pendant 10 ans pour la grande distribution, essentiellement du motif pour t-shirt. Mais aussi des motifs de chemises et de lingerie, et il y a eu une période où beaucoup de slips Dim fantaisies étaient de mon cru. En ce qui concerne les polices de caractère, comme je dessinais déjà mes typos et mes lettres quand je faisais mes titres de  BD, je me suis dit que je pourrais en faire un gagne pain. J'ai commencé à poster mes travaux sur Dafont vers fin 2010 et ça marché instantanément. Je me suis aperçu que je pouvais me faire plus qu'un petit complément pour m'aider à vivre, je n'ai jamais aussi bien gagné ma vie. J'en vends dans le monde de l'édition, à la distribution, aux rares clients honnêtes mais encore une fois, je suis tombé sur des escrocs que je ne citerai pas qui me pillent toujours et encore. En tout cas,grâce à la création de fonts, je suis enfin à l’abri du besoin.
Récemment, je me suis mis à la peinture. Enfin, récemment, disons que ça c'est passé en plusieurs temps. Avant, j'essayais de la figuration un peu iconique et puis je me suis mis à faire des choses abstraites au milieu des années 2000. Et puis ma copine m'a offert une mallette de Posca et là, je me suis dit qu'il fallait que j'y aille. Donc maintenant, je fais un espèce d'abstrait où il y a toujours des créatures, des matières, dans un sens presque BD mais j'évite de le faire mais ça ressurgit malgré moi.
Un pote m'a demandé d'ailleurs pourquoi je ne me remettais pas à la bd si j'ai ça en moi. Ben, d'abord, c'est que je n'ai plus la main. Et surtout, je n'ai plus cette main qui me permettait de faire ça. J'ai 67 ans et j'ai toujours une bonne main mais pas pour refaire ce que je faisais il y a longtemps. Et la BD, c'est un truc de galérien. Sattouf le raconte très bien dans le dernier album de l'Arabe du Futur ; le cauchemar des planches, etc... Mais là, avec la peinture, pour moi qui ait fait de la musique il y a un moment comme bassiste, j'ai retrouvé exactement les mêmes sensations. Ce n'est pas une contrainte de s'y mettre, c'est simple, c'est facile, c'est jouissif.
La force de la BD c'est qu'il y a une personne, ou deux, ou trois grands max qui peuvent mettre leurs tripes sur la table, sur la planche comme rarement on peut le faire. Les romanciers peuvent le faire mais ça n'aura pas la force d'une planche de BD avec son dessin, son expression. Bien sûr, il y a la peinture aussi. Avec la peinture, on peut raconter une histoire, mais c'est très limité. Moi, je relis Tintin tout le temps parce que ça m'embarque tout le temps même si je connais l'histoire par cœur. La capacité qu' a la BD de permettre la relecture, c'est incroyable. Il y a aussi ça avec le jeu vidéo. Bon, il y a tout de même moins de fond dans le jeu vidéo. La BD permet une expression extraordinaire. Quand j'ai commencé les jeux vidéos c'était l'âge d'or, des gens pouvaient créer tout seul un truc comme ça où ils n'étaient pas obligés de répondre à des critères. Comme par exemple Eric Chahi pour Another World qui avait une identité et une créativité folle. En ce temps-là, sortaient des trucs parfaitement étonnant que notre marketing contemporain aurait complètement interdit. Moi, je ne joue plus au jeu vidéo mais j'y ai joué très longtemps.J'ai eu une console Mattel où je jouais à des trucs assez classiques d'arcade. C'était les balbutiements des jeux de donjon vu de dessus. Je m'étais ensuite payé  un Atari. Je jouais aussi à des jeux type Mario Bros, des jeux de plateformes qui sortaient un peu du lot. Sachant que Mario Bros et son gameplay c'était quand même le must, ça rigolait pas, c'était super affûté. Sinon, mon jeu préféré des années 2000, c'est Half Life.J'y ai passé des heures de bonheur ; un concept génial, un gameplay réglé comme du papier à musique, des idées démentes, des armes et des personnages au top... Un vrai bijou! Je vois les jeux auxquels jouent des potes, je les trouve tous très beaux mais c'est tout. Et ce n'est pas un compliment. Mais j'ai l'impression qu'avec le net a émergé de nouvelles créations dans le jeu vidéo qui retrouvent un peu l'esprit pionnier  des débuts. Mais bon, j'ai été un grand joueur mais je ne joue plus du tout, c'est comme ça, ça ne m’amuse plus.
J'étais et je suis toujours un fan de Roger Rabbit. Ma philosophie, c'est la philosophie Roger Rabbit. C'est pas très compliqué comme philosophie : dans le film, à un moment, Roger dit à Eddy Vaillant : "Au nom de la loi, je vous arrête!"  et clac ! Il met des menottes à leurs poignets. Problème: il a perdu les clés ! Et voilà qu'ils se baladent enchaînés l'un à l'autre pendant un bon moment. Eddy finit par trouver une lime à métaux et un billot et il commence à scier. Roger retire alors sa main de la menotte pour l'aider : il peut tout faire, c'est un toon. Eddy en colère lui demande pourquoi il n'a pas fait ça tout de suite et Roger lui répond : "J'aurai pu mais ça n'aurait pas été drôle". Ça, c'est la philosophie Roger Rabbit. C'est d'ailleurs la même philosophie que celle du Comédien dans Watchmen quoiqu'elle soit plus dark...  Entre un truc fun et un truc pas fun, il faut prendre le truc fun! »
https://www.thehoochiecoochie.com/catalogue/livres/hors-collection/302-imagex-anthologie
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Première de corvée.
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À l’adolescence, Salomé Lahoche décrète qu’elle deviendra autrice de bande dessinée, pour mourir adulée et sans le sous. Avec un premier livre publié à 25 ans, 30 000 abonnés sur Instagram et un article élogieux dans Libération, elle réussit plutôt bien son coup. Alors qu’avec ce début de carrière fulgurant, richesse et célébrité jusqu’à la fin des temps s’offrent à Salomé, le titre de son livre reste sans appel: La vie est une corvée (Ed.Exemplaire).Enfin, tout est relatif. Elle nous le confie en interview : «Elle pourrait l’être infiniment plus. J’en conviens.» Salomé Lahoche s’initie assez jeune à la bande dessinée. Si à quatre ans et demi elle avait déjà fini de lire toute seule Maus d’Art Spiegelman, ce sont les blogs autobiographiques de Boulet et de Pénélope Bagieu qui la confirment dans sa vocation d’autrice alors qu’elle entre au collège.Après son bac, Salomé Lahoche part à Paris pour étudier les arts appliqués à l’école Olivier de Serres. Elle ne se sent pas vraiment à sa place dans ce cadre trop austère à son goût, et met donc les voiles pour les Beaux-Arts d’Angoulême, puis pour les Arts-Décoratifs de Strasbourg. Elle est depuis revenue vivre à Angoulême, d’où elle chronique en bande dessinée sa vie de jeune femme moderne en prise avec la réalité… Et quelle vie ! Avec un dessin faussement candide et une plume grinçante, Salomé n’épargne aucun sujet. Les troubles psychologiques, la sexualité, les crises politiques ou le féminisme, voilà autant de thèmes qui font « l’air du temps » dans lequel baignent Salomé et son entourage. C’est dans la faune des milieux artistiques et dans les conversations quotidiennes qu’elle s’amuse à piocher les points de départ de ses strips. Finalement, la limite que l’autrice s’impose c’est sa sphère intime. Si elle n’hésite pas à se mettre en scène, elle évite par contre de trop impliquer ses proches. Même si certaines anecdotes feraient de super blagues... Salomé publie tous ses strips sur Instagram. Elle fait le choix d’un format adapté à la plateforme car comme pour bon nombre de ses camarades auteurices de bande dessinée, c’est un moyen redoutable pour se faire en-tendre. Et le futur ? Même si la vie est une corvée (et le restera), Salomé Lahoche ne lâche pas l’affaire. Elle prépare pour fin 2023 un nouvel album, Ernestine, qui parlera d’enfance, de clopes et de poker en ligne... Affaire à suivre !
Quand et pourquoi avez-vous commencé à publier des bd autobiographiques sur Instagram alors qu’au début vous ne postiez que des illustrations?
- En fait, j’ai commencé à faire de la bande dessinée quand j’étais au collège, parce que je lisais des blogs bd autobiographiques, donc j’ai toujours dessiné des petites blagues sur ma vie dans des carnets, mais je ne les montrais pas. Et puis à un moment, des copains au-tour de moi, comme le désopilant Adrien Yeung, ont commencé à faire des strips sur Instagram, et voyant que ça marchait bien je me suis dit : pourquoi ne pas m’y mettre moi aussi ? Avant, je ne produisais pas de bande dessinée spécialement pour Instagram, et ce que je pouvais montrer de mon travail, c’étaient les illustrations, puisque c’est assez compliqué de montrer 40 planches en for-mat A4 sur dix cases en format carré. Donc pour résumer, en bonne opportuniste, j’ai un peu suivi le mouvement du strip sur Instagram, qui est en plein essor ces dernières années, et je fais de l’autobiographie car j’aime bien en lire et que c’est un support confortable qui permet d’avoir de la matière à blague en permanence sans trop se creuser la tête.Ça permet aussi une forme de catharsis car plus la vie est merdique plus elle va faire rire les autres, et leur permettre de se reconnaître. Je pense que c’est compliqué de faire de l’autobiographie drôle quand tout va bien, mais sans doute pas impossible...
De parler de vous et de votre entourage n’a jamais posé de problèmes dans votre vraie vie?
- J’essaie au maximum de ne pas foutre la honte à mes amis ou ma famille, ce ne serait pas juste pour eux d’étaler leur vie privée alors qu’ils n’ont rien demandé. J’essaie de rester assez pudique aussi quant à certains sujets dont j’estime qu’ils ne regardent personne d’autre que moi, notamment ma vie amoureuse. Je parle un peu de ma famille mais j’évite de leur en mettre plein la gueule, déjà parce qu’ils se sont tous créé un compte Instagram pour lire mes bandes dessinées, et ensuite parce qu’eux aussi ont un paquet de dossiers sur moi. De manière générale, je n’ai pas envie de régler mes comptes sur Internet et de confondre Instagram avec une psychanalyse, donc j’essaie de rester soft dans ce que je raconte. En fait, ma famille réagit plutôt bien à ce que je poste, les seules petites tensions ont été avec mes colocs, que je mets beaucoup en scène. Parfois, ils n’ont pas trop apprécié et se sont sentis exposés. Du coup, je me censure et il y a pas mal de choses de la vraie vie que je ne raconte pas, alors qu’elles feraient des super gags.
Quels blogs BD lisiez-vous?
- Je lisais un peu tous ceux que je trouvais, mais certains avec plus d’avidité que d’autres notamment ceux de Pénélope Bagieu, Boulet et Kek.
Elles racontaient quoi vos premières bandes dessinées au collège?
- Elles parlaient d’histoires d’ado assez banales, des trucs qui m’arrivaient ou qui arrivaient à mes potes. Ça tournait beaucoup autour de ce qui occupait majoritairement ma vie à cette époque : le vomi, les pétards et les histoires d’amour foireuses.Récemment, j’ai fait un grand tri chez ma mère et j’ai jeté deux sacs de dessins pourris au stylo bic où je ra-contais ma vie de branleuse de 14 ans.
Vous ne redoutez aucun sujet et vous trouvez toujours matière première dans votre vie pour aborder la politique, le social, le féminisme... Comment travaillez-vous vos gags?
- Il y a certains sujets qui m’accompagnent au quotidien, notamment sur les questions de politique, d’écologie et de féminisme. Ce sont des thèmes actuels qui reviennent souvent dans les conversations avec mes amis ou dans mes lectures. Donc, parfois, je me dis «tiens, aujourd’hui je vais traiter de tel sujet.». L’humour est une parade contre l’air du temps.Et puis, parfois, j’ai une idée qui apparaît subite-ment pendant que je suis en train de penser à autre chose, et qui est en lien avec quelque chose qui m’est arrivé récemment, et je commence à me raconter des blagues dans ma tête pendant que je prends des bains ou que je marche dans la rue, et je remâche le truc jusqu’à avoir la structure du strip en 10 cases. Et pendant que je dessine, je trouve des blagues qui sont souvent des expressions que j’ai entendues, ou des gros mots qui font rire à tous les coups.Pour faire une bonne chute, j’ai l’impression qu’une recette qui marche pas mal est de faire un pas de côté et de proposer quelque chose d’un peu absurde, qui n’est pas tout à fait sur le même ton que le reste du strip. En fait c’est un peu comme ra-conter une anecdote au bar à des amis, mais en ayant 5h pour s’appliquer, donc il y a moins de risques de faire un bide.
Et concernant votre dessin, comment est né votre style?
- À quels impératifs obéit-il?Quand j’étais ado, je dessinais beaucoup, mais de manière très machinale, avec énormément de tics graphiques. En école d’art, j’ai un peu pris la mesure de mes lacunes, et vaguement dessiné d’après nature parce qu’on me forçait à le faire. La pratique régulière du dessin et de la bande dessinée m’ont permis de progresser et de sortir un peu des automatismes dans lesquels je m’étais enfermée. Aujourd’hui, mon « style » est un peu un mélange de ces tics qui ne sont jamais partis avec ceux que j’ai acquis en cours de route et aussi évidemment de tout ce que j’ai pu lire, aimer et trouver cool. C’est à mi-chemin, je dirais, entre les modes que j’ai eu envie de suivre sans que cela ne se voie trop et une touche plus personnelle. Il est très important pour moi que mon dessin, même s’il n’est pas réaliste ou impressionnant, puisse être clair et lisible. Si en plus il peut être joli, c’est mieux, mais ce n’est pas forcément ma priorité. Je n’ai jamais eu la volonté de devenir une brute en dessin, je voulais avant tout raconter des histoires
Souvent on qualifie mon trait de « naïf », or ce qui semble à première vue « mal dessiné » est en fait le fruit de presque 10 ans de pratique, et ce n’est pas toujours aussi évident qu’il y paraît de composer une image, de la rendre compréhensible et de l’agencer, de placer correctement le texte et d’avoir un découpage cohérent. Je ne prétends pas du tout faire des prouesses graphiques, loin de là, mais même si mon trait est simple et spontané, je réfléchis quand même un peu à ce que je fais. Et là encore, on ne parle que des strips que je publie sur Instagram, pour lesquels je dessine très vite et sans brouillon, alors que pour mes autres bandes dessinées je me donne un peu plus de mal. Bref, pour résumer, mon dessin est un compromis entre ce que j’aimerais savoir faire, ce dont je suis réellement capable techniquement, une certaine recherche d’efficacité et une forme de velléité esthétique, tout de même.
On parle peu du travail d’écriture des auteurices de bande dessinée. Du choix des mots, des expressions, de la façon d’écrire.Comment travaillez-vous vos textes ?
- Je ne suis pas tellement bavarde dans la vraie vie, mais assez dans mes bds. Pour les bandes dessinées d’Instagram, le format est assez limité en termes de taille et de longueur, donc souvent je dois couper dans le lard et me limiter un peu dans le flot de parole. J’essaie d’expliquer mes idées le plus drôlement et le plus clairement possible avec un minimum de mots (même si ça ne se voit pas toujours). J’ai parfois un peu peur que le lecteur passe à côté de quelque chose, donc je ne laisse pas beaucoup de place à l’implicite, mais je pense que j’essaierai de faire plus confiance aux gens à l’avenir. Sinon, pour ce qui est du choix des mots, en dehors de ceux vraiment signifiants et ne peuvent pas être remplacés, je m’autorise quelques petites fantaisies que je vais piocher dans les expressions que j’entends, et les livres que je lis. Ça crée une forme de contraste entre un patois assez «oral», plein de jurons et de dialectes de djeunz comme disent les vieux, et un discours plus châtié que je retrouve dans les romans que j’aime. La grossièreté, tout comme un idiome plus soutenu, par-fois un peu emprunté, sont des outils avec lesquels il est possible de jouer et qui ne sont pas clichés tant qu’on les maîtrise et que l’on est pas asservis par eux.
Avez-vous déjà eu des soucis avec des lecteurs grincheux ou des lectrices ronchonnes ?
- Je viens de commencer une tournée de dédicace et en fait je suis plutôt surprise car les gens sont vraiment hyper sympa et bien élevés. Il m’est arrivé de recevoir des messages un peu pénibles à propos de détails que je trouve insignifiants, mais la plupart du temps c’est fait sans mauvaise intention et avec pédagogie, donc ça va. Le côté pénible, c’est plutôt de recevoir 20 fois le même message, mais les gens ne peuvent pas savoir qu’ils sont la 19eme personne de la journée à m’expliquer la même chose. Dans l’ensemble, j’ai l’impression que mon lectorat est sympa et bienveillant, donc je m’estime chanceuse.
Premier livre à 25 ans, 30 000 followers sur Insta, un super article dans Libération... Votre vie est-elle vraiment une corvée?
- Oui. Mais elle pourrait l’être infiniment plus, j’en conviens.
Qu’est-ce qui vous fait rire?
Thomas VDB, Marina Rollman, Blanche Gardin, Antoine Marchalot, Anouk Ricard, Vincent Dedienne et ma pote Charlotte. Enfin ça, ce serait plutôt «qui» que «que». Du coup pour donner une réponse plus générale, je dirais : les blagues bien débiles et absurdes et les anecdotes de malaise absolu. De manière générale l’humour noir marche assez bien sur moi mais le trash pour le trash, ça peut aussi devenir lourdingue à force.Qu’est-ce qui ne vous fait pas du tout rire?C’est tentant de répondre un truc du genre «l’injustice», mais franchement les gens qui proutent à table ça me gave un peu.
Pouvez-vous nous parler plus longuement de ce nouveau livre dont on découvre en avant première les planches à Formula Bula?
- Oui ! ça va sortir chez même pas mal d’ici fin 2023 si tout se passe bien, et ce sera un album de 120 pages qui s’appellera Ernestine, qui racontera les aventures de l’héroïne éponyme, une petite fille rousse de neuf ans qui fume plein de clopes et qui joue au poker en ligne. Les histoires de ce livre tournent beaucoup autour de sa vie familiale, avec un père pas très concerné, un frère adolescent plutôt crétin, et une mère épuisée de porter tout le monde à bout de bras. C’est en gros l’histoire d’une fillette pas du tout adaptée à la société et prête à tout pour arriver à ses fins. On la suit sur une année scolaire, dans des épisodes de 4 à 8 pages.Une petite fille rousse qui vit dans une cabane, ça rappelle un film... Il y a un passage de la bande dessinée où Ernestine regarde un film d’horreur avec sa baby-sitter, et j’ai choisi Hérédité de Ari Aster, que j’aime beaucoup. En regardant le film avant de dessiner ce passage, je me suis aperçue qu’il y avait plu-sieurs motifs récurrents et similaires entre ce film et Ernestine: la petite fille rousse bizarre, la cabane, la mère qui pète les plombs, une éventuelle possession démoniaque... Mais ce n’était pas du tout un choix conscient, et j’ai commencé cette bd alors que je n’avais jamais vu le film, mais j’ai trouvé ça marrant de le citer et de faire un clin d’œil.
Ça n’a pas été trop difficile de passer des strips format carré de La Vie est une Corvée à des planches plus construites?
- En fait, j’ai commencé ce projet avant de faire de la bande dessinée sur Instagram, quand j’étais en 3eme année des Arts-Déco de Strasbourg. J’ai tout redessiné depuis, mais c’était déjà un format plus construit. Les gens ne connaissent que mes strips sur Internet, mais je faisais déjà de la bande dessinée avant, de manière plus classique, sur des formats A4. Donc c’est plutôt l’inverse, c’est s’adapter à des formats courts et carrés qui a été difficile, parce qu’il faut beaucoup condenser et qu’il n’y a pas de place pour les silences, ou pour la contemplation.
Texte et entretien réalisés en collaboration avec Raphaël Barban pour Formula Bula 11.
https://www.instagram.com/salomelahoche/?hl=fr
https://www.exemplaire-editions.fr/auteurs/salome-lahoche
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Vallées de l'Étrange.
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La revue en ligne Vallées de l'Etrange, revue de qualité visant à analyser et critiquer l'objet Jeu Vidéo et qui en 2023 m a laissé publier en ses pages web mes entretiens Jeu vidéo / Bande dessinée, vient de sortir sa première mouture papier. Un tout premier numéro donc avec pour invité Chris Crawford, un article sur les clivages player / non player, des usines d'uranium enrichi, un dragon et le tout emballé par un dessin de Pierre Ferrero. Un de ses rédacteurs en chef, n'est autre qu' Antoine Fontaine du duo fleuryfontaine et il a beaucoup à dire sur celui que l'on nomme depuis peu le 10eme Art. Pour les lecteurices des Cahiers Lyophilisés, je vous propose un entretien en mode arcade.
Pourriez vous vous présenter pour nos lecteurices qui ne vous connaissent pas encore ?
Antoine Fontaine : "Je m’appelle Antoine Fontaine, je suis artiste et j’œuvre depuis maintenant plus de 10 ans en duo avec Galdric Fleury, sous le pseudonyme fleuryfontaine. Tout au long de notre carrière nous sommes passés par différentes pratiques allant de la sculpture à l’installation, la vidéo d’art, le jeu vidéo et plus récemment nous écrivons et réalisons nos propres court-métrages documentaires. Nos centres d’intérêt ont longtemps porté sur les technologies numériques, les utopies qui en émergent, comment elles contraignent nos corps, influent sur notre comportement.
Nous nous sommes progressivement affirmés un peu plus politiquement, ancrant nos travaux dans des sujets de société plus concrets, mais aussi plus clivants, toujours en lien avec les nouveaux médias que nous manipulons et expérimentons depuis le début de notre collaboration. En 2020 suite à la réalisation d’un court-métrage sur la violence d’État (Contraindre, 2020), nous nous sommes rapprochés de l’agence d’expertise indépendante Index alors en pleine création, et avons contribué à ses toutes premières enquêtes vidéos, plongeant les spectateurices au cœur de reconstitutions en images de synthèse de scènes de crimes commis par la police française. Ayant une formation d’architectes en plus d’une formation en école d’art, les questions relatives à l’espace et aux environnements normés et sécurisés nous ont toujours semblés cruciales, c’est pourquoi après avoir quitté Index il y a environ un an et demi, nous avons continué à travailler sur ces thématiques.
Parallèlement, j’ai développé une petite maison d’édition avec un autre de mes amis, Constantin Dubois-Choulik, ayant pour objectif d’aborder le jeu vidéo sous un angle critique, aussi bien philosophique que politique. Nous rédigeons depuis bientôt 4 ans sur notre blog valleesdeletrange.fr nos propres articles et avons depuis peu publié le premier numéro de notre revue papier éponyme. Sans verser dans l’académisme et avec le ton qui est le nôtre, nous y décortiquons le jeu vidéo pour en comprendre les rouages, les valeurs qu’il sous-tend, ce que ce médium du 21ème siècle dit de notre société. Ouverte aux autres auteurices françai.ses, la maison d’édition Vallées de l’Etrange s’est aussi donnée comme objectif de traduire des textes anglo-saxons, malheureusement bien trop peu souvent traduits en français, voire pas du tout.
Si j’ai longtemps consacré mon travail aux arts visuels, l’écriture occupe de plus en plus une place prépondérante dans ma vie, puisque depuis peu j’écris également des scénarios de livres pour enfant que j’espère voir un jour publiés !"
Es tu et as tu été un « gamer », si oui à quels jeux joues tu ? Et à quoi as tu joué gamin ?
A.F. : "J’ai vu enfant, émerger les jeux vidéo à domicile, sur les consoles de salon, puis sur les ordinateurs de bureau, qui apparaissent chez de plus en plus de monde. Je garde un souvenir marquant de la première fois que j’ai joué à Sonic (Sega, 1991), chez mes cousines. Dédaigneux d’un médium que je ne connaissais pas encore, je leur avais dit ne pas être intéressé par les jeux vidéo, elles m’ont convaincues et je n’ai pas lâché la manette de la soirée. Encore plus présent est mon souvenir du tout premier Age of Empires (Ensemble Studios, 1997) sur PC. Je nous revois en robe de chambre devant l’ordinateur familial, un matin de Noël mon père et moi face aux petits personnages s’activant à l’écran, mon père qui n’en revenait pas de les voir ployer sous le poids des tronçons de bois qu’ils ramenaient au campement.
Ça a été le début d’une longue histoire d’amour entre les jeux de stratégie / gestion et moi. Bâtir sa petite cité, organiser la vie dans cette boîte de pétri, c’était tout simplement fascinant. Tous les grands classiques y sont passés, de Starcraft (Blizzard Entertainment, 1998) à Stronghold (Firefly Studios, 2001), jusqu’à encore récemment Frost Punk (11 Bit Studios, 2018). Je reviens régulièrement dans différents articles sur le blog Vallées de l’Etrange, sur ces jeux dérangeants que sont les jeux de gestion, les valeurs douteuses qu’ils véhiculent et leur violence sous-jacente. Ce sujet me passionne, et je compte encore prochainement produire un article autour de ces enjeux.
Récemment cependant je dois dire que peu de jeux vidéo m’ont réellement captivé sur des périodes longues, trouvant plutôt mon bonheur chez les studios indépendants et les petites productions aussi courtes que percutantes. D’un obscur jeu dédié aux espaces liminaux comme Anemoiapolis (Andrew Quist, 2023), aux plus produits Little Nightmares (Tarsier Studios, 2017), je ne suis fermé à aucun type de jeu, et des FPS comme SUPERHOT (SUPERHOT Team, 2016) ou Scorn (Ebb Software, 2022) m’apportent aussi leur comptant de plaisir et de réflexion. Background d’architecte oblige, j’ai un attrait pour les jeux escheriens aux géométries non-euclidiennes et aux puzzles aussi grandioses que cauchemardesques, je pense notamment à Manifold Garden (William Chyr, 2019), Fragments of Euclid (NuSan, 2017) ou encore le jeu sur smartphone Monument Valley (Ustwo, 2014). Plus récemment, la déferlante de jeux sur les espaces liminaux et autour de l’univers des Backrooms, héritiers de cette mouvance, m’ont inspiré un article fleuve, parmi les plus personnels que j’ai écris. Les jeux indé ont encore beaucoup à apporter au médium, et je m’en régale en attendant le prochain titre odieusement chronophage qui me prendra mes nuits (certainement Path of Exile 2 (Grinding Gear Games) au train où vont les choses, car je suis aussi féru de hack’n’slash)."
En quoi cette pratique a une influence sur ton travail d’artiste ?
A.F. :"Nous avons toujours eu à cœur avec Galdric Fleury d’exploiter l’outil informatique pour produire des formes et des images résolument contemporaines, tout en cherchant et en expérimentant comment pousser leur potentiel expressif et narratif le plus loin possible. Comment rendre ce médium, plus qu’aucun autre, absolument indispensable à exprimer notre propos ? Le jeu vidéo est le médium par excellence du 21ème siècle, c’est là que tout se passe, que tout à lieu, que tout s’invente et se réinvente, son industrie est aussi gargantuesque et terrifiante que lilliputienne, des développeur.euses seul.es derrière leur écran d’ordinateur révolutionnent encore le genre à l’ombre des grands studios, qui leurs emboîtent le pas quelques années plus tard. De Return of the Obra Dinn (Lucas Pope, 2018) à Undertale (Toby Fox, 2015), en passant encore une fois par la folie des Backrooms qui propulse des adolescents au rang d’artistes de renommée mondiale ; l’image de synthèse, l’interactivité, internet, sont autant de médiums qui inspirent notre pratique.
Ainsi lorsque nous avons réalisé un film sur un hikikomori reclu dans une cabane de jardin depuis plus de 13 ans (Ange, 2019), c’est à travers de petits jeux vidéo réalisés spécialement pour lui que nous avons pu échanger sur sa manière de vivre, son environnement, ses craintes, ses joies. Idem lors notre passage chez Index qui - même si nous n’étions pas dans le domaine de l’art - posait de nouvelles façons d’exploiter l’image de synthèse, qui plus est à des fins de justice et de vérité. Cette façon nouvelle d’utiliser la 3D nous a inspiré notre prochain court-métrage, en cours de production.
Le jeu vidéo nous a inspiré plus ou moins directement tout au long de notre collaboration au sein de notre duo fleuryfontaine, nous avons même réalisé ce que nous aimons à appeler des jouets vidéo, objets interactifs sans objectifs réels, relevant de la déambulation et du walking simulator. Toujours nous avons cherché comment amener ce médium dans les espaces d’exposition, aux yeux d’un public de non-joueur.euses, tantôt en le présentant en installation, tantôt en le performant. Même si j’ai une tendresse toute particulière pour nos jouets vidéo, j’ai le sentiment que c’est à travers le court-métrage que nous y sommes le mieux parvenus."
En quoi le jeu vidéo est politique ? Philosophique ?
A.F. : "Le jeu vidéo n’est pas plus ou moins politique ou philosophique que n’importe quel autre médium. En revanche il reste le dernier venu au « Panthéon des Arts », et peine donc encore à être reconnu comme un art à part entière, tout aussi puissant que le cinéma, la musique ou l’écriture peuvent l’être. En cela il rejoint très nettement la bande dessinée, qui malgré les milliards de recettes qu’elle rapporte chaque année, reste considérée comme un art « mineur », un art pour les (grands) enfants. Dans le monde, mais particulièrement en France, le jeu vidéo reste… un jeu. Quelque chose de pas très sérieux donc, qui passe après tout le reste, parce que bien souvent on a « pas le temps de jouer aux jeux vidéos ». Quand j’entends ça, c’est comme si j’entendais « Je ne lis pas, je n’ai pas le temps », « Je ne regarde pas de films, je n’ai pas le temps. » C’est absurde.
Le premier numéro de la revue papier Vallées de l’Etrange comprend la traduction inédite en français du célèbre Discours du Dragon de Chris Crawford, donnée en 1993 lors de la Games Developers Conference de Santa Clara. Dans cette conférence-manifeste, Chris Crawford, game designer et pionnier d’Atari, souligne et prédit l’incroyable puissance de narration et d’apprentissage de ce qu’on appelait encore à l’époque le jeu informatique. Il revient sur notre façon d’apprendre, comment nous l’avons coupée de tout aspect ludique, l’avons rendue morne, terne, voire terrifiante, à en croire aujourd’hui le malaise au sein d’une jeunesse en proie aux suicides et à la réclusion à domicile.
Ignorer le jeu vidéo c’est se couper du médium le plus important de notre époque et des années à venir, l’objet culturel phare de toute une génération qui arrive et pour qui le jeu vidéo a une place capitale dans la construction de leur être, de leur manière de penser, de percevoir le monde et de se présenter à lui. En ce sens, le jeu vidéo est éminemment politique, le défendre et le considérer dans un monde dominé par des arts centenaires est nécessaire, pour ne pas dire vital. La question du crédit que nous apportons au jeu vidéo revient plus largement à reconsidérer simplement la place que nous accordons au jeu dans notre société, soit notre mépris pour la jeunesse et l’enfance, faite de jeux et d’échanges ludiques, en opposition à la sagesse de l’adulte, qui ne joue plus, lui."
Quels sont tes domaines d’intérêts voire tes obsessions quand tu écris sur le jeu vidéo ?
A.F. : "Comme dit plus haut, les jeux de stratégie et de gestion m’intéressent tout particulièrement, par ce qu’ils disent de notre société, qu’ils prétendent justement simuler. Capitalisme, colonialisme, patriarcat, destruction du vivant, autant de sujets à aborder à travers le décorticage de ce type de jeux ; mais j’ai aussi écrit sur le body-horror, mon amour des jeux indépendants, ma haine gratuite des jeux “de société”, la police, le second tour des dernières élections, le jeu de go, Top Gun et le cerf-volant.
De façon plus générale, ce qui me passionne dans le jeu vidéo et que j’essaye d’aller chercher dans ce que j’écris, c’est ce miroir qu’il nous tend et l’image qu’il renvoie de nous même, collectivement. N’importe quel autre médium en est tout autant capable, mais si vous m’avez bien suivi.e tout au long de cet entretien (fleuve), aucun autre médium ne le peut aussi bien que le jeu vidéo, tant il épouse à merveille notre contemporanéité.
Également, le jeu vidéo est interactif, en plus d’être un jeu. Ce qui veut dire qu’il dit encore d’autres choses que ce que les médiums plus anciens et non interactifs disaient avant. Il n’en dit pas forcément plus, mais rend selon moi une image plus nette, et surtout nous dit quelque chose de différent, de nouveau. Quoi exactement ? C’est ce que nous nous évertuons à comprendre avec Constantin Dubois-Choulik sur notre blog Vallées de l’Etrange."
D’où vient le titre de la revue ?
A.F. : "La vallée de l’étrange, c’est l’uncanny valley, terme utilisé dans la robotique pour parler des humanoïdes de synthèse approchant la ressemblance humaine, sans y arriver parfaitement : ce moment extrêmement dérangeant ou un robot à tout d’un.e humain.e… sauf l’humanité, ce qui nous le rend absolument terrifiant.
Le jeu vidéo connaît bien cette problématique, puisqu’encore aujourd’hui, nombre de jeux nous infligent la vision de marionnettes numériques dépourvues de toute expression faciale convaincante, tentant pourtant de s’adresser à nous le plus naturellement du monde, en agitant exagérément leurs bras et leur tête, moyens d’expression finalement le plus parlant en attendant que les progrès de la motion capture leur offre une humanité. 
Sans me lancer dans un article à charge contre les talking heads en général et Quantic Dream en particulier, cet objet qui nous ressemble autant qu’il nous effraie, c’est aussi le jeu vidéo lui-même. Des jeux de stratégie évoqués plus haut, aux fameux 4X (eXplore, eXpand, eXploit, eXterminate) en passant par les FPS (First Person Shooter) - lubie de mon co-éditeur Constantin Dubois-Choulik - le jeu vidéo nous met aux commandes et joue à nous faire peur… de nous-même. Massacres, destructions, rage, feu, poussière, contre curiosité, découverte, émerveillement, humour : le jeu vidéo c’est tout ça à la fois, et c’est ce qui le rend passionnant."
Sur le fait de « jouer » que ce soit de la part du public dédié ou du point de vue du créateur ou développeur. Qui joue avec qui ou quoi?
A.F. : "Nous avons développé quelques petits jeux / jouets vidéo avec Galdric Fleury, mais il m’est difficile de parler depuis le point de vue d’un créateur de jeu vidéo et de son rapport aux joueur.euses, dans la mesure où comme je l’explique plus haut, nos jeux étaient présentés dans des galeries, centres d’art, lors de performances. Nous avions à cœur d’amener le jeu vidéo dans ces mondes qui lui sont - ou en tout cas à l'époque lui étaient - complètement étrangers. Je ne peux pas dire que nous ayons réussi, notre travail était souvent observé avec amusement, curiosité ou scepticisme, et la plupart du temps avec de la distance, ce qui est convenu en galerie d’art, mais pose un inconvénient dans le cas de jeux vidéo qui nécessitent d’être… joués. Nous aurions beaucoup aimé qu’ils soient plus manipulés, sans jamais parvenir à briser ce mur entre “l'œuvre” et son public, qui n’est pas censé y toucher. Nous avons usé de subterfuges, de la vidéo procédurale, au jeu qui se joue tout seul, à la performance, cette dernière étant au final la plus à même de retranscrire le plaisir de manipuler nos créations. Comme la performance n’était pas notre objectif premier quand nous produisions nos jouets vidéos, nous n’avons pas plus exploité ses potentialités. 
Avec du recul, je pense qu’il faut imaginer ces jouets comme ces environnements créés de toutes pièces par les fans d’un jeu vidéo qui imaginent leur propre terrain de jeu, pour ensuite l’arpenter, seuls ou à plusieurs. Finalement, le public que nous avions en tête lorsque nous développions ces jouets : c’était nous même. C’est pourquoi ces objets me sont encore si chers, contrairement à d’autres de nos travaux dans lesquels il m'arrive de ne plus me reconnaître." 
Pourquoi, dans un sens ou dans un autre, y prenons-nous autant de plaisir?
A.F. : "Je ne saurais pas dire pourquoi, mais ce qui est sûr c’est que ce plaisir réciproque à jouer comme à développer, au même titre que lire et être lu, regarder un film et réaliser, etc., témoigne de notre amour inconditionnel pour le jeu, et je ne pense pas que cet amour puisse être expliqué, il est commun à tous les mammifères, humanité comprise."
Que nous disent les formes de jeux ou de lectures de nous-mêmes?
A.F. : "Souvent les développeur.euses de jeu vidéo qui se lancent dans un projet, disent qu’ils ont voulu créer le jeu auquel ils ou elles avaient envie de jouer. C’est un peu la remarque que je me fais à moi même quand je crée un film, ou que j’écris un article pour Vallées de l’Etrange : puisque personne ne se décide à le faire, je vais réaliser ce film que j’ai envie de voir, je vais écrire cet article que j’ai envie de lire, et je me rassure en me disant que si je trouve que cela nécessite d’être fait, d’autres personnes, quelque part, doivent bien elles aussi ressentir ce manque et seront donc heureuses de trouver ce que je fait. En ce sens, ce que nous produisons - comme ce que nous lisons, jouons, regardons - exprime qui nous sommes par ce qui nous manque et que nous pensons nécessaire de faire advenir."
En quoi ces deux choses très différentes sont-elles un enrichissement et non une perte de temps?
A.F. : "Si je devais synthétiser tout ce que j’ai dit plus haut : Jouer, c’est la vie."
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Un Bon Petit Diable.
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La jambe légère et l’oeil polisson, L’artiste Florent Dubois nous parle de de sa vie, de son œuvre mais aussi de Pikachu, de bande dessinée , avec à la bouche plein de joyeux ramages.
Parle-nous un peu de toi et de tes études et de l'après école ? De comment tu concilies vie privée et vie artistique ? Comment ton oeuvre travail a t-elle germé durant tes études ?
Florent Dubois : « J'ai fait toutes mes études aux beaux arts de Lyon entrecoupées d'un stage Erasmus à Glasgow en 4eme année ou j'assistais l'artiste Mick Peter. Après le diplôme, ma sœur qui faisait des études de webdesign en Franche-Comté m'a proposé de venir la rejoindre pour une formation spéciale de 6 mois pour les personnes qui ont fait des études artistiques suivie de 6 mois de stage pour bosser en agence. Je me suis inscrit et ça ne m'a pas du tout plu, c'est même un des rares moments de ma vie où je me suis demandé ce que je foutais là. Mais par chance, au 19 le centre d'art contemporain de Montbéliard, ils cherchaient quelqu'un pour faire les ateliers avec les enfants. J'ai donc postulé et j'ai été pris. C'est jamais facile la sortie d'une école d'art mais je m'en suis bien sorti en trouvant ce petit boulot qui, certes, ne payait pas des mille et des cent mais qui me permettait de vivre modestement et surtout de continuer ma pratique.
Une fois aux beaux-arts, j'étais obnubilé par l'idée de faire de la sculpture inspirée par l'Arte Povera avec des matériaux naturels et qui ne se retrouve plus vraiment dans mon travail actuel. C'est après, petit à petit, que sont apparus le dessin et la céramique. La prof de sculpture – Katinka Bock - à l'époque était une jeune artiste allemande qui commençait à être connue avec une approche justement très germanique de la pédagogie artistique soit un rapport très sensible aux matériaux, un certain laisser-faire intellectuel et des références européenes et pas que françaises. Toutes les œuvres qu'elle nous montrait étaient souvent des pièces in situ, beaucoup de land art et ça a forcément teinté mon œil, mon regard d'étudiant et ce que je pouvais regarder avec amour.
Quand tu es aux Beaux-arts, ce qui est important c'est la rencontre avec les autres élèves. Tu échanges beaucoup, c'est très généreux, tu échanges des images, (on échangeait même encore des disques ou des DVDS:-) tu te montres des livres, le dernier catalogue de David Hockney ou celui de Richard Prince, sur d'autres artistes. Tu formes vite une petite communauté intellectuelle qui continue après l'école.
Juste après la fin de mon contrat, j'ai été embauché pour le même travail à l'école des beaux arts de Toulouse. J'y ai fait plein de supers rencontres mais j'ai commencé à un peu à tourner en rond. Toulouse est une drôle de ville pour la pratique des arts-plastiques avec une petite scène artistique assez dynamique mais un désintérêt flagrant de la mairie que tu connais également bien.
Après Toulouse, je suis parti à Cherbourg pour enseigner la céramique et là c'était cool. Mais - il y a eu un gros MAIS - c'est qu'en fait, l'école étant fragile artistiquement, pédagogiquement, économiquement et dérivant sans réels projet ambitieux et sans réponses, de nombreux postes ont été supprimés, dont le mien. J'avais pris une pente ascendante et elle est devenue descendante d'un seul coup. Cette ambiance délétère m'a tellement incommodé que je suis parti. Je me suis donc réinstallé dans le Doubs où j'ai toujours gardé mon atelier, mon propre four à céramique ainsi qu'un espace de stockage. Pour l'instant, je me dis que je passe cette année comme ça.
C'est assez exaltant de retrouver un vieil atelier. Je range énormément (rires). J'ai retrouvé plein de dessins que je n'avais jamais terminé et qui sont très bien comme ça, des céramiques pas cuites, des embryons de projets, des carnets fatigués, des collages usés et en fait, Ce qui pourrait apparaître comme triste et désuet et en fait hyper grisant et très stimulant. Comme c'est dans un coin isolé et rural, j'essaie aussi de participer à toutes les activités culturelles locales ; projections, expositions, conférences.
J'essaie également de me concentrer sur les ressources régionales en termes culturels voir transfrontalières (frontière avec la Suisse où je découvre une scène régionale Jurassienne et Neuchâteloise dynamique que je ne connaissais pas). C'est un gros avantage des petites régions c'est qu'il est assez facile de rencontrer des interlocuteurs qui sont souvent très disponibles et généreux dans leur temps. »
L’enfance, et a la tienne en particulier, a-t’elle une influence sur ton œuvre ?
F.D. : « Je suis né en 1990. J'ai donc grandi avec la culture visuelle de cette génération. Les images qui m'ont marqué dans mon enfance, on les sent un peu dans mon travail artistique même si, au final, elles ne sont pas si omniprésentes que ça, voir cryptiques parce que noyées dans un flux de différentes choses ou trop déformées pour être aisément reconnaissables en un seul coup d’œil. Les Pokémon, par exemple, ont été très importants pour moi et reste encore aujourd'hui une source d'inspiration intarissable. Pas tellement dans la forme (je n'ai jamais dessiné de Pokémon jusque là rires ) mais dans l'idée. En fait, j'aime surtout les Pokémon un peu pourris (les fans sauront les reconnaître) comme Grotadmorv ou Lippoutou, ceux qui peuvent transformer les clés en animaux. Ils posent des questions sur ce qui est anthropomorphe ou humanoïde, sur comment on définit ce qui est vivant ou animal. J'aime bien l'idée que les Pokémon peuvent être tout en même temps, une fleur, un rocher, un sportif, un cheval... L'idée même des Pokémons qui évoluent est presque un geste plastique de transformations. Pikachu a tout effacé sur son jaune passage mais il y a des pokémons vraiment très singuliers en termes plastiques et même en terme d'anecdotes qui leurs sont associées
Ce qui est assez fondamental dans mon travail c'est comment des formes d'expressions qui étaient marginales et singulières se sont transformées en imagerie et comment petit à petit on est resté bloqué sur des systèmes de représentations.
J'aime bien l'idée de déplacement, comment une forme se déplace, comment un grain de sable peut la rendre un peu étrange, pas comme d'habitude et perturber une lecture que l'on ne connaît que trop bien. J'aime l'idée que l'on puisse bousculer des choses sans utiliser une critique trop frontale. Le fait d'utiliser des chansons pop dans mes titres d'œuvres permet de faire des connexions, de m'appuyer sur un imaginaire commun puisque normalement tout le monde les connaît. Dans mes vidéos d'étudiant, j'utilisais tout le temps et de façon très précise de la musique pop très connue qui permettait de donner tout de suite un ton au film. L'exemple de la musique est vraiment flagrant parce que c'est un univers englobant. J'aime bien m'appuyer sur des choses que l'on a tous et toutes en commun et que l'on peut bouger plus ou moins fort et plus ou moins dans tel ou tel sens,etc. Comme la forme est connue ou reconnaissable elle se prête facilement à des jeux de déformations plastiques. Comme les masques par exemple.
Quand j'étais étudiant je faisais plein d'installations en utilisant des guirlandes, de confettis, je les rassemblais et les déformais dans de drôles compositions. J'adorai cette idée que tu ne saches pas trop si c'était une fête qui allait commencer ou si elle était finie, où comme si tu étais dans les coulisses d'un spectacle excité à l'idée que ça débute, ou bien que tu te sens triste parce que tu avais raté la fête. J'aime bien cette zone temporelle un peu floue où tu hésites entre deux choses. Cette l'idée d'un autel ou d'une célébration, où tu ne sais pas pourquoi tu es là, où tu es, si tu es le bienvenu ou la bienvenue ou pas. Tu ne sais pas ce qui va se passer.
Le dessin est un endroit de libération et de transformation, il y a aussi cette toujours très belle idée que le dessin résume ou développe les envies de son auteur. Je ne me considère pas comme un bon dessinateur dans le sens où je ne suis pas très assidu. Je suis nul en dessin d'observation et n'ai absolument aucun goût pour ça. Je pense par contre avoir cette logique du dessin faites de micro-gestes et de micros césures. Ce que j'aime dans le dessin, c'est que ça part de rien : un crayon et une feuille. Le fait de partir de rien est très libérateur. Tu peux donc facilement hybrider et superposer des formes, raturer et recommencer.
Je ne sais pas comment les choses circulent entre le dessin, la peinture et la céramique. Par exemple, j'ai commencé à faire des céramiques pour accompagner une vidéo, pour créer des éléments de décor, des accessoires comme des chandeliers, des bols. Maintenant, elles prennent toute la lumière et le reste est un peu autour, voilà. Au final, je ne trouve pas ça si mal de ne pas pouvoir expliquer comment tout ça circule. Cela reste un secret alchimique même pour moi. Dans l'imaginaire de la céramique, la métamorphose est omniprésente : rien ne se perd, tout se transforme. L'idée de la transformation par des actions successives est la base de cette pratique et peut être bien que j'applique ce mode de travail à d'autres champs. Tout bouge tout le temps, tout évolue.
Comment la céramique est arrivée dans ton travail ?
F.D. : « Je suis arrivé à la pratique de la céramique assez simplement par un cours aux beaux arts où je me suis inscrit un peu mollement. Pour être honnête, je ne savais pas trop ce qu'était la céramique. J'y suis allé comme ça, les mains dans les poches, j'en ai fait un petit peu parce que ça m'a plu mais bon, pas plus. Un peu en mode ado, genre ouais bof, je ne sais pas trop si j'aime ou pas. Et puis petit à petit, je m'y suis mis à fond et j'ai commencé à investir dans du matériel. Ce que j'aime dans la céramique c'est qu'elle me permet de connecter plein de choses antagonistes. Avec la céramique, tu ne peux pas faire abstraction que c'est beaucoup de choses condensées dans un seul médium. C'est à la fois des bidets, une prothèse dentaire, un bol ou et des objets précieux confectionnés pour les repas de Marie-Antoinette.
Beaucoup d'objets en céramique sont assez difficiles à dater, à nommer, leurs origines sont mystérieuses, leurs usages également. Il est même parfois difficile de décrire visuellement un objet en céramique. Sachant que cette histoire est souvent méconnue et d'une richesse folle avec des productions délirantes dans leur technique, leur façon de faire ou dans l'imaginaire qui tapisse le fond de l'objet.
A titre d'exemple. Un des objets les plus horribles du monde à mes yeux, c'est le chef d’œuvre de la collection de la céramique française : un bol en forme de sein sensé avoir été moulé sur le sein de Marie-Antoinette, un bol tout blanc avec un petit téton. Il représente à la fois une brillante technicité et maitrise tout en étant extrêmement flippant dans ces formes. (boucs, tétons saillants...) On bascule tout de suite dans un univers faits de rituels et d'étranges processions.
* Le bol sein ou jatte-téton La jatte-téton se compose d’un bol en forme de sein en porcelaine tendre et d’un trépied indépendant en porcelaine dure, orné de têtes de bouc, sur lequel repose le récipient. Cet incroyable objet était utilisé pour boire du lait, symbole de fécondité et surtout d’une vie bucolique qui permettait à Marie-Antoinette d’oublier la sévère étiquette de la Cour.
Le potentiel narratif de l'émail est également l'objet de mes recherches. Quand on apprends la céramique on a coutume de dire que l'émail est une matière et non juste uniquement une surface.
Cette matière change le sens de la pièce car l'émail peut être hyper-réaliste, volcanique, minéral, aquatique, bourssoufflé etc Appliqué à tel ou tel endroit il change le sens que l'on donne à la sculpture. »
Quel rapport entretiens tu avec le carnaval et le grotesques ?
F.D. : « Pendant mes études, j'ai lu beaucoup de textes de Bakhtine sur Rabelais qui développe cette notion du carnavalesque.
Ce qui est assez drôle, je trouve c'est que tout peut être vite grotesque ou carnavalesque. On peut appliquer ces adjectifs à tout. Imaginons une voiture grotesque, un champignon carnavalesque, un sac à main grotesque, un fromage carnavalesque etc etc C'est un grand fourre-tout avec des niveaux de lectures plus ou moins complexes.
Travailler des formes grotesques permet selon moi de charrier un univers plastique assez extrême. Plus coloré, plus texturé, plus sensuel et vite de basculer dans un ailleurs. Plus je vieillis, plus je pense que oui, il y a un côté politique au final là-dedans ; laisser sourire les personnes qui visitent les expositions, laisser sourire les formes.
Le grotesque est également capable de contenir des méthodes qui sont souvent dépréciées comme l'expression d'un goût partial, d'un moi-individuel, des sentiments ou de l'imaginaire. Ce tropisme grotesque vient peut-être parfois en réaction au trop grand esprit de sérieux qui encombre l'art contemporain. Je vois une capacité critique dans l'imaginaire et dans des notions comme la fééerie ou la merveille. A titre d'exemple, une de mes lectures de chevet est Madame d’Aulnoy et le rire des fées de MAINIL Jean aux éditions Kimé, sous titrée Essai sur la subversion féerique et le merveilleux comique sous l’Ancien régime.
Comment travailles-tu ?
F.D. : «Pour mes peintures comme pour mes dessins, je trouve mes images sur ebay, leboncoin voir vinted. Je farfouille au hasard et maintenant, grâce aux algorithmes, les sites me proposent ce que je suis censé aimer, ce qui est un peu étrange vu qu'à la base cette sélection reposait uniquement sur ma capacité à me projeter plastiquement ou non dans les formes qui passaient sous mes yeux à toute vitesse. »
Tu viens de sortir un recueil de dessins chez l’éditeur de bandes dessinées Réalistes, peux tu me parler de ton rapport aux livres et ton intérêt pour une certaine scène graphique contemporaine ?
J'avais édité un premier petit livre d'artiste, Simple Gift, designé par officeabc avec tombolo presses en 2017 qui est un livre objet serti de milles petites références et de micro-gestes graphiques en terme de manipulations des images qui le compose. Simple Gift est comme un menu de restaurant ludique avec des nombreux ingrédients précisemment choisis et associés. C'est une proposition plastique qui pose des questions d'assemblages de la pensée, de réminiscences et leurs traductions formelles.
Chipie est différente. C'est un livre habituel dans sa forme et aussi dans son usage. Chipie est édité par Réalistes qui est une maison d'édition de B.D. Je trouve ça pertinent (et excitant) qu'un artiste avec ma pratique puisse deviser dans un même catalogue avec des auteurices de BD et d'illustrations. Que je puisse m'appuyer sur ce réseau qui n'est pas le même pour donner le meilleur livre possible en bossant avec une structure pro comme Réalistes.
Pour Chipie j'avais envie d'un livre replet et généreux qui se repose sur un geste à la fois fort simple et fort difficile, celui de la juxtaposition de deux dessins, côte à côte, touche-touche, en vis à vis.
Concernant la bande dessinée, il y a une vraie actualité, un public qui suit ce qui sort, ce qui se fait. Un certain dynamismes avec des endroits dédiés comme Formula Bula ou nous nous sommes rencontrés.
On en avait discuté mais il y a une scène graphique très intéressante en France en ce moment. Il y a Jochen Gerner avec son livre sur les chiens, Pia Melissa Laroche, Paul Descamp (éditions Matière) avec ses ados qui font du roller, le Nécromanchien de Léo Maret, des BD sans bulles, des bulles sans images, Sammy Stein. Louise Aleksiejew qui se régale de faire des grands écarts et des pirouettes. Une nébuleuse de création où la frontière entre art contemporain et bd est assez poreuse et ou j'ai l'impression que la B.D est un médium ou langage plastique comme un autre, comme peut l'être la taille de pierre ou la vannerie.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
F.D. : « Depuis peu, l’envie de raconter des histoires se fait sentir, à travers l’inclusion de textes dans mes dessins ou des clins d’œil à la littérature jeunesse et ses fantômes. Je réfléchis donc à ça. Comment inclure du texte dans mon travail de peinture ou de dessins. Des textes trouvés, des textes cités et des textes dont je suis l'auteur.
Avec la même envie, je travaille également sur un film d'animation où je joue le jeu de la narration pour la première fois, avec une histoire avec un début, un milieu et une fin. Le film s'appelle Chasse Spleen 2 et parle des adolescents. Il questionne le rapport identitaire et la construction de soi au sein d’un groupe, à travers la mise en scène, le self-design et l’usage des identifiants numériques à l’adolescence tels que l'on peut voir sur certains forums communautaires. Ce qui m'intéresse est comment la construction de la masculinité des jeunes hommes s’opère, entre postures viriles et émois adolescents et post-adolescents, au travers des identités éphémères et anonymes permises par internet. Je tente de comprendre les constructions d’identités, tour à tour affabulatrices, fallacieuses, usurpatrices et sincères.
Je suis également en train de collecter des contes et légendes de Franche-Comté pour un futur projet de recueil. Je travaille également à un livre jeu de dessin et de peintures pour les petits.
Je prépare une exposition au Musée des Beaux-Arts de la Chaux de Fonds en Suisse avec la commissaire Jill Gasparina qui s'appelle Le temps de Mars (09.03.24-09.06.24). Cette exposition parle des Jura.s, du futur du Jura pour être même plus précis. Dans l'idée, l'exposition juxtapose à une vision science fictionnelle contemporaine du massif Jura dont les paysages se transforment suite au réchauffement climatique, des tableaux historiques et anciens des mêmes massifs. »
Des artistes dont tu te sens proche ? 
F.D. : « Oui. Toute une lignée Pop. Lily van der Stokker, Marck Leckey, Jeremy Deller, Julia Wachtel, Haim Steinbach et Karen Kilimnik. »
Crois tu en la magie des histoires ? 
F.D. : « Bien sûr ! J'adore raconter des histoires ou plutôt de saupoudrer des éléments qui peuvent permettre dans créer une, comme si je jouais avec des Playmobils cassés. Pour filer la métaphore « playmobilienne » j'aime également ce temps de travail très patient ou tu sors tout ton petit monde des boites, tu tries, tu ordonnes, tu regardes sur la boîte comment est installée la maison qu'elle contient,etc. »
https://florentdubois.art/
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Humus.
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Entre conte de fée et faits divers, Véronique Dorey met en scène dans ses dernières oeuvres un univers en sirop de plomb, à la fois sensuel et inquiétant.
Connue dans le petit monde de la bd pour son travail de coloriste sous le pseudo de Ruby – notamment sur la trilogie du Roi des Mouches de Mezzo & Pirus – Véronique Dorey révèle dans des dessins ultra-chiadés les pulsions peu avouables que cachent derrière un sourire de façade nos sociétés civilisés. Qu’elle reproduise dans une précision quasi maniaque les grand yeux candides des jouets de son enfance ou des versions modèles réduits de couples venus tout droit des 50’s, ce qui amuse Véronique Dorey s’est de voir s’effondrer les murs de nos maisons de poupée : promesse de bonheur, joie de vivre et santé.
Mais ces derniers temps, son travail s’est fait plus plus naturaliste et le satin de l’acrylique a cédé sa place au charbonneux du crayon, l’ironie colorée à la grisaille d’ une étrange mélancolie.
Dans une récente série, « Der Wald », Véronique Dorey met en scène les agapes d’une faune de teenagers dans les bois. Grâce à un clair-obscur de cinéma et le choix des cadrages, les images s’enchaînent comme des séquences muettes et la trame de cette presque fête païenne se fait dans notre tête.
Mais que nous racontons nous vraiment alors qu’une jeune fille à la peau blanche gît en nuisette dans la pénombre d’ un buisson, qu’un jeune homme se tient agenouillé dans l’humus d’un sous-bois un bonnet enfoncé sur le visage ou qu’une meute d’adolescents aux oripeaux guerrier de supporters s’enfonce dans une forêt de contes médiévaux ?
Véronique sait que le diable se cache dans les détails et c’est comme pour mieux l’invoquer qu’elle ne lésine pas sur les coups de crayons pour rendre avec minutie les nervures des feuilles qui jonchent le sol d’un sous bois, la texture d’une veste en jean sali par la terre, les plis d’une robe ou l’implantation d’une chevelure anonyme. C’est de ce réalisme presque trivial que surgissent d’étranges secrets  qu’on ose deviner et que l’angoisse devient alors palpable.
Véronique Dorey mêle ici nos peurs d’enfants à nos obsessions d’adultes, nos mémoires adolescentes à nos peurs primitives dans un spectacle oppressant et fascinant où tout est trop calme, trop silencieux pour qu’un cri ne vienne pas déchirer la nuit.
Les livres de Véronique Dorey sont trop rares pour ne pas tous les acheter, alors commander dès à présent son Inventarium, tout l’art de Véronique Dorey aux éditions Cernunnos.
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Augure.
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Tout commence en 1999 à l'Académie des beaux arts de Liège, lors d'une séance de cours du soir de bande dessinée où des étudiants décident de former un collectif. Leur première idée : publier un petit magazine photocopié où ils pourront diffuser librement leurs bande dessinées. L’aventure aura pour nom : Mycose. Un titre qui sonne comme une promesse de chatouilles et d’irritations. Au sommaire ; Bosley, Gof et P'tit Marc, Gentiane Angeli, Benjamin Monti, Laurent Impéduglia et Aurélie William Leveaux qui détonne déjà avec ses récits intimes et cruels. Au fil des années, Mycose s’ouvre alors à l’international, gagne à un plus large public et se voit couronner d’un prix par le Festival international de bande dessinée de Sierre. Au plus haut de son succès, le groupe explose. Les aléas de la vie communautaire sans doute. Mais chacun de ses membres part développer dans son coin des œuvres radicales et singulières. Sur une page d’un de ces fanzines tirés à 300 exemplaires, un dessin : un couple de rednecks s’enlacent dans un camping, la femme murmure à son amant : «  Achète moi une caravane … S’il te plaît». L’air de rien dans ce petit crobard au crayon de papier, toute l’ œuvre d’Aurélie est déjà là : un trait brut et fragile au service d’une poétique de l’ordinaire pour parler de l’amour, de ses promesses comme de sa précarité.
La jeune liégeoise publie très vite sa première bande dessinée (Menses Ante Rosam à la Cinquième Couche) où elle brode sur papier, au propre comme au figuré, la déliquescence d’une relation face à l’enfant qui vient de naître. Un récit autobiographique, douloureux comme une épisiotomie péridurale. Son style, alors inspiré par l’iconographie religieuse comme la tapisserie flamande et l’art brut, ourdi d’aphorismes poétiques ou de maximes cinglantes, atteint son apogée avec le livre Sisyphe, les joies du couple paru aux éditions Atrabile. Elle y détricote sur fonds de couleurs criardes le mythe de l’éternel retour, durable (ou pas) et définitif (ou non), de l’être aimé pour en présenter le revers peu glorieux : un chemin de croix pour âme damnée.
Une œuvre cathartique donc, où la franchise la plus crue rivalise avec une rage authentique sans pour autant sombrer dans la vaine provocation. Car si Aurélie ne fait jamais dans la dentelle quand elle nous raconte sa vie, ses fictions autobiographiques ne sont pas pour autant dénuées d’un humour mordant et scabreux.
Ces derniers années, Aurélie signe pas moins de quatre ouvrages  ; deux recueils de textes indispensables chez Cambourakis (Bataille, pas l’auteur, Justice (pas le groupe)), une digression assez grinçante sur le travail (Le Jour de Travail) suivi d’une charge lapidaire contre la gestion désastreuse de la pandémie (Les Nouveaux Ordres) aux éditions du Monte en l’air, ainsi qu’ un étrange récit illustré chez Atrabile ( La Vie Intelligente). Une fois Le fil et les aiguilles mis de côté, le dessin comme l’écriture s’y fait plus pressé, comme pour confirmer l’urgence de témoigner en tant que mère, fille, sœur, femme, amante et artiste, du naufrage de ce monde tel qu’il va avant le déluge qui vient. Et si sur l’arche d’Aurélie William Levaux il ne doit au final rester que sa fille, son Néandertal de chéri et sa sœur trisomique, elle dessinera sur les parois de la cale une fresque sur le Cantique des Cantiques, un dernier chant d’Amour.
AWL : « Je change de supports car je m'ennuie vite et parce que c'est essentiellement le message et ce que j'ai à exprimer qui compte, je ne me cantonne pas à une forme par tempérament et parce que j'aime le bouillonnement et la nouveauté. Pour moi, les outils, moyens, techniques, sont au service du propos, de mon engagement et seront utilisés avec le même esprit. Ils servent à mes causes. J'aime dire cinquante fois la même chose sur tous les tons et par tous les biais. J'écris, je dessine, je fais de la musique et de la perf (avec Baptiste), je passe de l'un à l'autre et tout sert à tout, c'est la même base de réflexion pour chacun des projets, un grand tout, quoi. Mais surtout, je remarque que c'est difficile de répondre à cette question parce que ça va un peu de soi, à mon sens, j'ai toujours fonctionné comme ça, je mêle tout, ma vie privée et ma vie artistique, je fais tout en même temps, et j'ai l'impression qu'on cloisonne moins les choses aujourd'hui. Ne faire que de la BD est sacrificiel et peut rendre dépressif, mieux vaut s'enchanter ailleurs. Pour moi, il est important de ne pas rester cachée derrière le papier, de pouvoir vivre des expériences, humaines si possibles et de me sentir vivante. »
(Texte et entretien réalisés dans le cadre de l’exposition Débordements produite par l’Agence Culturelle Dordogne Périgord)
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La Cuisine Presse Bouton.
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Question popote graphique, ça va faire un bail que notre bon vieux Moolinex a troqué ses pâles rouillées pour une paire de chaînes à vélo. Alors, oubliez les fines purées conceptuelles et le velouté pop-fadasse habituel, la tambouille qu’on sert ici tient plus de la graille de taulards que du rata pour becs fins.
Aux enfants de la chance qui n’ont pas connu la France de Giscard, des H.L.M. et du Punk, Moolinex aurait tant à raconter. Né en 66 du côté de Nogent, celui que sa mère appelait encore Jean-Phi, obtient haut la main un C.A.P. petite frappe, option coup bas. Aussi précoce que féroce, le mec comprend vite que le plan de vie qui lui est promis reste assez basique : école > caserne > usine > cimetière. Du coup, à la question, comment ne pas crever d’ennui avant la Mort ? La réponse est simple, prendre sa carte à l’internationale du R.M.I. et rejoindre le seul prolétariat qui vaille encore le coup ; le fanzinat. Depuis, c’est avec l’enthousiasme criminel d’un délinquant juvénile qui aurait troqué son cran d’arrêt pour des pinceaux que Moolinex braque la culture populaire hexagonale et détourne l’esprit gaulois à des fins forcément immorales. Pif poche, 45 tours, Babar, Malabar, broderies et points de croix… Tout ce que le prolo remise à la cave ou au grenier, Moolinex le passe sous sa dent creuse et le recrache en pleine lumière, dans notre gueule.
Adepte des chicanes sur le circuit de l’édition alternative - des Requins Marteaux ( « Inculte Futur », « Flip & Flopi ») à l’Association ( « H.L.M. ») en passant par le Dernier Cri ( « Les Carnets  de l’Art Pute ») et Cornélius ( « Tattootoo ») - Moolinex s’autorise aussi quelques sorties de route musicales en compagnie des Magnetix . Mais ça reste encore dans les galeries que son « Art », à qui il accole volontiers l’adjectif de « Pute », bastonne le plus. Barbouilles criardes XXL, installations méchamment kitch, patch ou tatouages idiots, ses œuvres, où sarcasme hilarant et humeurs noires se tirent la bourre, font de lui le champion toute catégorie du choc esthétique sans constat à l’amiable.
En quelques années de vie de chien, Moolinex aura pris du gallon. De guerre las, certaines institutions, autrefois frileuses à exposer ce genre de trublions, se sont enfin résolues à lui déballer le tapis rouge. Tant pis si certains tordent du nez devant un dessin porno ou un canevas à la devise provoc du genre « En tant de paix la chair à canon brûle des voitures ».
Comme tous les artistes visionnaires, Moolinex sait que la prochaine lutte des crasses finira dans un bain de sang. Car si l’époque est vulgaire, c’est surtout que derrière son culte du divertissement, elle dissimule mal la violence des dominants.
Alors, antisociaux de tous les pays, unissez-vous ! Et profitez de votre conditionnelle pour zoner sur Poitiers, Moolinex vous attend au détour d’une ruelle pour vous faire les poches sinon, retrouvez le sur insta.
@moolinex
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Prendre la main.
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Anne-Margot Ramstein : “À 7 ans j’ai découvert les jeux vidéo. J'ai trois petits frères et je n'ai jamais joué aux jeux vidéos seule. C’était une aventure collective faite d'alliance et de rivalité. Ce qui m'intéressait le plus, n'était pas d'avoir la manette entre les mains mais de participer au jeu à distance. La position de spectateur n’était jamais passive. Être spectateur permettait de commenter le jeu ce que nous faisions abondamment. L’image était notre sujet favori. Nous avions appris lors d’un salon des nouvelles technologies le mot « graphisme » qui sonnait comme un vocabulaire de spécialiste. Nous l’employons à longueur de commentaires. Nous nous improvisions critiques. Lorsqu’un monde virtuel nous séduisait, nous en faisions l’éloge de façon théâtrale.
En revanche, nous ne commentions pas le texte parce que celui-ci était nécessairement intelligible contrairement à l’image souvent ambivalente. Le jeu qui m’a le plus marqué est Zelda sur Super Nes. Le jeu donnait peu d’explications sur la marche à suivre. Évoluer dans le monde ouvert (c’était ouvert pour l’époque) de Zelda nécessite l’exploration du territoire et la lecture de la carte. Comme nous nous passions sans arrêt la manette, aucun de nous n’était propriétaire d’une partie. Ce n’était pas le cas d’autres jeux. Je pense notamment à des jeux de combats ou de courses dans lesquels nous avions nos avatars attitrés.
Aujourd’hui je ne joue plus aux jeux vidéos faute de temps mais je sais que c’est une pause plutôt qu’une rupture. J’ai un enfant trop jeune pour jouer. Il me tarde qu’il découvre ce pan de la culture et du divertissement. Les derniers jeux auxquels j’ai joué sont des jeux indépendants. Le jeu d’auteur (comme il existe le livre d’auteur) est une proposition en marge. Ce sont des propositions d’artistes qui ne répondent pas à une demande connue sur le marché du jeu vidéo.
Je pense par exemple à Monument Valley, un jeu indé qui a rencontré un succès public. Pour moi, l'attrait d'un jeu est avant tout visuel. Monument Valley est inspiré des dessins d'Escher avec des perspectives impossibles, des espaces invisibles qui se révèlent par des jeux de perspective. C'est une architecture que l'on peut manipuler, faire tourner à 360° jusqu'à trouver comment faire passer un personnage d'un point A à un point B en évitant des obstacles graphiques.
L’influence du jeu vidéo sur mes projets est certaine. J’adorais les énigmes visuelles dans les jeux vidéos: les formes polysémiques, les portes dérobées, les espaces dissimulés… C’est par le jeu vidéo que j’ai découvert les jeu d’images qui sont à l’origine de mes projets. Dans le livre Faune & Flore paru en 2016 aux éditions Les Grandes Personnes, des formes d’animaux sont dissimulées dans la contre-forme de dessins représentant des végétaux. Le lecteur aperçoit dans un premier temps l’univers végétal puis découvre les silhouettes blanches des bêtes. Un texte court évoque la vie des animaux cachés sur la page.Lorsque une forme dissimulée se découvre, l’image nous dévoile un secret. Un lien intime se crée entre le spectateur et l’image.
Mon goût pour la cartographie vient aussi des jeux vidéos (il j’y a souvent des cartes parmi mes images). La carte est une image à lire. Lorsqu’on découvre une carte on apprécie d’abord sa forme plastique. Mais cette appréciation esthétique est de courte durée, car dès que l’on en saisit le sens, il est impossible de retrouver ce jugement exclusivement plastique. Décoder l’image est un jeu auquel j’invite mes lecteurs. Dans certains livres tels que Faune & Flore, J’étais au pays de Ava & Ève, La Perle (réalisé à quatre mains avec Matthias Aregui) l’image répond à une logique à laquelle le lecteur ou la lectrice doit se plier s’il veut accéder au récit.
Ces livres comme chacun de mes projets d’autrice procède de la contrainte créative. La création d’un projet consiste d’abord à créer les règles du jeu qui va se jouer. Dans un premier temps c’est moi qui joue. Je suis seule à mon bureau et je tente de créer un artefact guidée par cette règle du jeu. On peut dire que « j’ai la main ». Le jeu comme moteur créatif est indispensable car il m’impose d’imaginer autrement. La différence entre mes habitudes et la nouvelle proposition créative n’est évidemment pas radicalement autre. Mais dans le champ créatif qui est le mien s’opère un décalage.
Passer par le jeu (la contrainte créatrice) permet de prendre des vacances de soi. Le jeu m’offre le loisir de n’être pas tout à fait maître des images que je fabrique. Cet abandon de la maîtrise est visible du lecteur dès le départ. Les indices de la « contrainte créatrice » l’enjoignent à lire le livre sachant que le créateur n’a pas eu une liberté pleine et entière. Ainsi le jeu atténue la responsabilité du créateur. En montrant le cadre du jeu, on dévoile les chaînes qui nous ont bridées. On montre les limites du terrain sur lequel on joue. Ce qui me plait le plus dans ce jeu de contrainte créatrice, c’est le message sous entendu: la forme prime sur le fond. Peu importe ce que l’on raconte, la manière de le faire prime. Mais le jeu est pertinent lorsqu’il motive un projet ; il ne doit pas en être la finalité. Le terrain de jeu n’est pas l’enjeu. Si le livre revient à exhiber la performance d’un artiste qui déjoue les tours qu’il s’est lui-même imposé, on verse dans le cabotinage. Je suis parfois tombée dans ce piège, hélas.
Mon style graphique aussi répond à certaines règles. Avant chaque projet je définis une gamme de formes et de couleurs de telle sorte que les lecteurices soient plongé.es dans un univers graphique régit par des lois visibles. Cela aussi est inspiré du monde du jeu vidéo et en particulier de Zelda. Le monde de Zelda est construit de telle sorte que certaines formes prolifèrent et pas d’autres. On saisit à mesure de nos aventures (ou celles de Link) ce qui peut et ne peut advenir dans ce monde. D’ailleurs je garde un souvenir mémorable du moment où nous basculons dans le monde des Ténèbres parce qu’ Aganhim (un sorcier puissant) gagne sa bataille contre notre héros. L’univers que nous avons apprivoisé se renverse. On découvre alors un monde en miroir, hostile et aride. Les monstres y prospèrent et nos alliés sont tous traqués ou prisonniers. La gamme de couleurs se métamorphose. Dans le monde des ténèbres les accords de couleurs jurent.
Le style graphique en question est construit. J’utilise systématiquement un papier quadrillé et des normographes (règles trouées destinées au dessin industriel) pour l’élaboration de mes crayonnés. J’utilise un corpus de formes simples pour élaborer des images complexes. C’est la logique du pixel en somme. Aujourd'hui, le pixel n'est plus visible, ou bien alors il est mis en scène dans des jeux à l’esthétique rétro. Lorsque j’ai découvert le jeu vidéo étant enfant le pixel était le vocabulaire palpable du jeu. La visibilité du pixel rendait l’image magique. Il était possible de ressentir d’intenses émotions face à des images dont la construction restait visible.
Mon dernier livre édité aux éditions La Partie, « Me Manque », est un projet particulier car pour la première fois j’évoque un sujet personnel: des souvenirs d’enfance passée sur l'île de la Réunion. Cela n’aurait pas été possible si ce n’était sous couvert de jouer.  Puisque la forme prime, puisqu’elle est le sujet du projet je peux évoquer l’intime sans souffrir d’impudeur. Ce livre est traversé par un manque : le trou au centre du livre. Ainsi chaque image se fabrique autour de ce trou ce qui limite les souvenirs que l’on peut évoquer.  Il a fallu glaner les souvenirs qui puissent intégrer cette forme ronde. Certains sont évidents (le ballon, la bille, les fruits) d’autres plus inattendus (l’entrée d’un nid d‘oiseau bélier). Une difficulté de ce projet consistait à donner une image à des souvenirs. 
Ma passion pour l’image est insatiable : d’une part j’essaie autant que possible d’être attentive aux images qui se dressent sur ma route. Quand je croise une publicité par exemple, je prends le temps de la regarder. De comprendre sa structure et de décrypter les moyens de mettre en image un message. D’autre part je découvre de nouvelles images dès que cela est possible dans des expositions, librairies, bibliothèques…
Cette boulimie d’images comporte un inconvénient de taille: je fais des images d’images. Je constate hélas que créer des images consiste parfois à une forme de collage. Cela fait partie « du jeu » lorsqu’on réalise un imagier par exemple, ce qui n’était pas le cas ici. Ce projet m’imposait de creuser un peu. Je devais me souvenir de sensations, d’ambiances à restituer. Cet effort à porter ses fruits sur 3 doubles pages: « Me manque la lune qui se lève derrière les fougères » qui représente mon frère et moi pendant une randonnée nocturne jusqu’au sommet de la Roche Écrite. A près avoir (mal) planté notre tente nous avons attendu que la lune se lève et éclaire le sentier. « Me manque le soleil tout puissant » qui montre la douceur des débuts de soirée sur la plage de l’Ermitage. Les couchers de soleil y sont spectaculaires. « Me manque la cueillette des goyaviers sauvages » qui illustre un de mes rituels favoris: ramasser ces petites baies acides dans les hauts de l’Île de La Réunion entre les mois de juin et d’août.
J’aurais dû faire une page sur la fabrication des confitures …
illustration : LA PERLE avec Matthias Aregui, ed.La Partie, 2021.
https://www.anne-margot.com/
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Big Bisou de l'Au-Delà.
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Dolls.
Pas plus facile de remonter le temps que le gosier d’Amandine Urruty même avec un vélo électrique. Comment je le sais ? Et bien, si je suis bien incapable de vous dire quand et où je l’ai rencontrée pour la première fois, c’est que j’étais fin saoul et qu’elle devait me parler de Roland Barthes avec la voix de Brigitte Bardot. En revanche, ce dont je me souviens très bien, c’est de la découverte d’un de ses dessins sur une affiche de concert pour le groupe de variété underground dans lequel elle officiait comme chanteuse.
Sur une photocopie A4, deux petites poupées de chiffon mou - coupe à frange et gros lolos pour madame, mèche grasse et torse velu pour monsieur - vous fixaient de leurs petits yeux vitreux. Le duo trônait au milieu de nuages cotonneux en compagnie d’une faune incertaine tout en poils ras et dents blanches taillées en pointe. Détail troublant ; ce drôle de petit couple ne possédait ni bouche ni nez, et encore moins de mains (« parce que c’est le plus dur à faire » à ce qui paraît). La faune noctambule de la ville rose d’alors se divisait en deux : certains trouvaient ça niais et foutrement mal branlé, d’autres hurlaient au glauque et au malsain. Pour moi, c’était l’essence même de la pop’: l’union sacrée entre la candeur enfantine et le vice. Il fallait absolument que je rencontre l’artiste!
Chose faîte, j’ai donc pu observer l’éclosion à même la couette - oui, comme Proust, Colette ou Churchill, Amandine Urruty se consacre à son œuvre durant des heures tout en restant au lit - d’un univers coloré à outrance (avalanche de fluos et d’effets néon grâce au premier revival des 90’s ), ultra référencé (Mon Petit Poney feat J-L David) et chargé ras la gueule de mini détails aussi flippants que bidonnants (Jeffrey Dahmer vs Les Crados). Elle venait tout juste abandonner ses études d’histoire de l’art - sans remords, ni regrets comme disent les tatoués- pour se lancer dans la carrière qu’on lui connaît, MGMT à fond dans les enceintes de son PC. Pour fêter ça dignement, nous publierons son premier recueil de dessins avec les Requins Marteaux : Robinet d’Amour. Nous étions en 2011.
10 années se sont écoulées et je reste encore son plus grand fan car, en observateur privilégié de ces premiers tâtonnements, je sais très bien ce qui agite dans la grisaille sa petite sarabande macabre de spectres placides, jouets malveillants et monstres de série B. Pour qui sait la lire, l’oeuvre d’Amandine Urruty n’est pas si hermétique que ça. Il suffit d’avoir garder des yeux bleus, des yeux d’amoureux.
(Texte paru dans le livre Made In The Dark - Tout l'Art d'Amandine Urruty Publié à l'occasion de l'exposition The Model programmée en 2023 à la galerie arts factory, cet ouvrage revient sur quinze années de créativité débridée. Préface de Pacôme Thiellement, contributions de Philippe Katerine, Stéphane Blanquet, moi-même et David Cantolla, co-fondateur de la Collection d'Art Solo à Madrid.)
amandineurruty.com
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Repos éternel.
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Vincent Sardon est né à Bayonne, capitale du Rugby. C’est peut être pour ça qu’il fait des tampons à longueur de journée. En tout cas, pour lui, le sarcasme est un sport de contacts à risques dont la devise reste à jamais : « Plus de mauvais esprit que de bonne volonté ».
Jadis, avant d’être connu sous le sobriquet de « Tampographe », Sardon était dessinateur de BD. Il a même publié ses œuvres, sombres et fendardes, chez Ego comme X (Néneref) et à l’Association (Crevaison et Mormol). Sa plume tout en hachures anxieuses était tellement appréciée à l’époque qu’il a même réalisé une tripotée de dessins de presse pour Libé et le Monde. Mais après 10 ans, allez savoir pourquoi, il a tout envoyé paître. Peut-être parce que ça le faisait suer de bosser pour des nèfles, ou bien que c’est pénible de raconter des histoires, à moins que piger pour des faux-cul lui ait filé la gerbe… Bref, il a finalement trouvé dans la confection de tampon à la chaîne, une petite lubie devenue passion, sa soupape de décompression à ses frustrations, à la fois très agréable et à l’occasion rentable. Un petite astuce de survie pour ne pas sombrer dans la dépression tout en tirant à boulet rouge et sans somation sur tout ce qui le débecte. C’est donc depuis 2007, que Sardon a troqué ses feutres pour une gouge et du sparadrap pour mieux transformer ses pulsions funestes en de cruels ricanements.
Comment ne pas s’étrangler devant des punchlines aussi lapidaires tel que : « Vampire à subventions », « Va chialer à la Drac » ou encore « Guerrillero de canapé » ? Jamais en rade, cet esprit laconique aux fulgurances brutales, Sardon le décline aussi bien en pochoirs (« Le street art c’est de la merde »), en bons points (portrait tramé de Carla Bruni avec mention « les grandes inventions : la matière plastique »), en gaufrettes déprimantes ( « Personne ne t’aime »), en carte à gratter (« Tu mourras seul(e) »), en faux permis ( « De tousser au théâtre »), ou en affiches ornées de calembours douteux (« Kohl and the Gang ») et j’en passe…
Détourner un symbole de l’autorité pour en faire un défouloir jouissif, un exutoire salvateur face à la bêtise ambiante, tient plus de la légitime défense que de la pure méchanceté. Ainsi marquées du sceau sardonique, vos missives auront désormais le pouvoir de repousser tous les fâcheux qui vous accablent ; rentiers de gauche comme prolos de droite. Mais attention, l’humour caustique du Tampographe n’est pas seulement un excellent répulsif à nuisibles, c’est aussi un super décapant. La preuve avec son dernier pavé en date ; Chroniques de la Rue du Repos (Flammarion,2020), le top pour dissoudre tout espoir et un prochain déjà dans les tuyaux pour l’année 2024.
tampographe.com
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La Peau.
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Jusqu’à sa mort – dont nous fêtons le centenaire cette année - « quand-même » fût la devise de la célèbre comédienne et star internationale Sarah Bernhardt. Véritable profession de foi face à la vie, que peut évoquer aujourd'hui cette maxime à des artistes ?
« Quand Même » - Jul Maroh.
J.M. : "J'ai l'impression qu'il y a pas mal de choses que j'ai faites "quand même". Plutôt en mode : je vais pas attendre que d'autres le fassent pour moi, à ma place. En particulier dans mon travail. Clairement "Le bleu est une couleur chaude" je l'ai fait "quand même". Je n'avais pas de référent de littérature lesbienne en bande dessinée francophone mais je l'ai quand même écrit. Je n'avais jamais démarché d'éditeur et avec ce projet je me suis lancé quand même. Un éditeur l'a refusé d'ailleurs, mais ça ne m'a quand même pas arrêté, et dans la foulée Glénat m'a accueilli les bras ouverts.
Un mois après sa sortie, la première édition était épuisée et je me suis exclamé "Ah ouais, quand même !".
Comme vous vous en doutez, c'est de m'être accroché à ces "quand même" qui a été déterminant pour ma vie. Le chemin aurait été très différent autrement."
https://julmaroh.com
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Peek a Boo n°2.
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Jusqu’à sa mort – dont nous fêtons le centenaire cette année - « quand-même » fût la devise de la célèbre comédienne et star internationale Sarah Bernhardt. Véritable profession de foi face à la vie, que peut évoquer aujourd'hui cette maxime à des artistes ?
« Quand Même » -Jean Luc Verna
J.L.V. : "Sarah Bernhardt m'évoque plusieurs choses "quand même"...
 Il n'y a pas si longtemps, j'ai entendu des bandes sons où elle déclame et j'ai beaucoup aimé le grand écart qu'il y a stylistiquement entre les déclamations de l'époque et le théâtre contemporain. J'ai adoré cette emphase grandiloquente, cette outrance. Sarah Bernhardt  a aussi beaucoup joué des rôles d'homme et, pour moi qui adore le Kabuki - où les rôles de femme sont joués par des hommes - ça me plaît bien. 
Pour un vieux gothique comme moi , Sarah Bernhardt, c'est aussi une figure gothique folle avec tout le folklore qui va avec : son lit-cercueil, cette opulence de noirceur, de bijoux, de maquillage, etc... Il y  aussi ce qui nous rassemble elle et moi - toute proportion gardée, bien sûr - qui est cette volonté de faire entrer la théâtralité dans la vie quotidienne. Vie qui est chez elle était en permanence mise en scène. Même son appartement était un décor... Tout ça bien sûr me parle énormément. 
J'aime aussi beaucoup sa façon de s'accrocher... Malgré sa jambe de bois et les gens qui la portaient, elle est montée sur scène jusqu'au bout et ça, je trouve ça vraiment très rock n' roll !
Ce que j'aime aussi, c'est qu' outre son immense talent, c'était aussi une sacrée arriviste et qu'elle était prête à tout. Je trouve ça très drôle et très contemporain.
Et puis, comme la plupart des gens me traitent de monstre à cause de ma gueule, j'ai tout de même un minuscule cousinage avec Sarah Bernhardt que Cocteau avait baptisée "monstre sacré".
Moi, je suis né dans un environnement qui n'avait aucun accès à la culture et qui avait même un profond mépris pour elle, doublé d'un gros complexe de classe. Nous venions d'une classe moins que moyenne et pour ces gens là, la culture était pour les nantis. Il y avait une véritable défiance vis à vis d'elle. Mais j'ai "quand même" réussi à m'extraire à l'art et aux arts de mon milieu social. Milieu dont je n'ai pas honte que je ne renie pas.
J'ai été séropositif en 88 et je ne me suis pas soigné pendant 20 ans. Mon premier mec en est mort. Moi, "quand même", j'ai survécu. Donc, selon mes docteurs successifs m'ont tous dit que j'étais fait comme un tank et effectivement, jusqu'à maintenant (je touche du bois), je suis indéboulonnable. Donc, "quand même", malgré tous mes excès et tout ce que j'ai fait subir à mon corps ;  alcool, toxicomanie, etc... Et bien, "quand même", je survis dans des conditions pas trop mauvaises. C'est pas mal, "quand même"?
Je suis homosexuel mais "quand même" je m'adresse à toute la population. C'est à dire que je ne suis pas dans la communication intracommunautaire d'une quelconque posture militante. Je suis homosexuel - je n'en ai vraiment pas honte - mais "quand même", je préfère parler à des gens qui n'ont rien à voir avec moi ni en termes de sexualité, de couleur, de genre ou de milieu social, "quand même".
Je suis moitié vieux "quand même" mais j'arrive "quand même"  à mener ma barque avec une ascendance régulière et douce depuis 32 ans. J'arrive toujours à survivre dans un milieu de plus en plus jeuniste et compétitif et je m'en tire plutôt pas mal "quand même".
Quand j'ai commencé le dessin, il n'y avait pas de marché ni de foire du dessin. C'était une forme assez méprisée et mineure. Mais ça ne m'a pas empêché "quand même" de m'y accrocher. Maintenant que tout le monde fait du dessin et qu'il y a des foires du dessin à tire-larigot et que le moindre plasticien produit aussi des petits dessins histoire d'avoir au moins des pièces pas chères pour accrocher le marché et bien "quand même", je m'y tiens au dessin."
Entretien réalisé le 08.09.2023.
(Peek a Boo n°2 - 2022, transfert de dessin sur papier Bristol couleur coquille d'oeuf, rehaussé de pastels secs et d'autocollants et tickets variés, 110 x 80 cm, unique. Photo de Marc Domage. ©courtesy de l’artiste ©ADAGP, Paris, 2023)
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Giant on the Land.
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Plutôt bienveillants tes géants, personne ne les remarque ou ne les craint. Ils sont invisibles ou bien ? Au passage, connais-tu la nouvelle de Bram Stoker qui s’appelle Le Géant invisible ?
— Ah non, je ne connais pas cette histoire, tu me l’envoies ?... Ma suite d’images, c’est une déambulation avec ce témoin, ce Géant, sans réelle interaction. Je ne veux pas que ça soit trop narratif. Le Géant qu’on retrouve d’une image à l’autre est comme dans une autre dimension pour les hommes et les choses sur terre, ils ne le voient pas. Seulement parfois, des projecteurs semblent fouiller l’obscurité comme s’ils avaient senti une présence. Au début de la série, le Géant lui-même s’accroupit cherchant à fuir les lumières des projecteurs, c’est comme s’il testait à quel niveau il peut être repérable. Pour les lumières, je pensais aux faisceaux de rayons du Capitaine Nemo sur son île mystérieuse (les dessins qui accompagnaient les romans de Jules Verne sont depuis longtemps une influence majeure pour moi).
Lors de notre première rencontre (qui remonte à loin maintenant), tu m’avais dit que tu n’étais pas le genre de dessinateur à te trimballer avec un carnet et un crayon dans la poche, que tu ne dessinais que pour faire de la bande dessinée. Comment t’es donc venue l’envie de réaliser cette série de dessins avec ces Géants ?
— Oui, si je dessine c’est pour faire des histoires. Faire de beaux dessins isolés, c’est un peu contre-nature pour moi, et justement là je voulais essayer de faire ça, de beaux dessins isolés, pour essayer finalement. Il se trouve que ça produit une narration tout de même, car c’est une série avec un personnage récurrent dans chaque image, et un paysage. Ça fera tout de même un récit, mais cette fois, sans histoire, ni même idée de départ d’histoire, alors que c’est ça qui d’habitude me lance dans mes pages. Finalement, on en revient quand même à l’idée d’un livre. Ça pourrait faire une belle expo aussi c’est sur, mais voilà, ce qui me questionne maintenant que j’ai une quarantaine de dessins (et j’en suis à la moitié disons), c’est plutôt de me demander quel livre ça pourrait faire et quelle nouvelle forme de narration je suis en train d’expérimenter, et justement ce qu’elle permet que je n’ai jamais essayé auparavant.
Forêts, bords de mer, champs, sentiers, marais et talus, périphéries de villes, on sent dans cette série une grande envie de paysages, de les dessiner, d’inventer un lieu (peut-être même un pays), qu’écument à grand pas tes Géants. Plus que des décors, tu inventes un territoire, non ?
— Le paysage, j’ai toujours aimé ça. Des Hollandais de la grande époque du paysage classique, au Romantisme jusqu’à Barbizon et jusqu’à la photographie de paysage du xxe et contemporaine. Question dessin, ça me permet de gratter ces matières denses de signes, de mettre en place des clairs-obscurs, avec l’être humain relégué à une échelle réduite ou disparaissant dans la majesté du paysage. Là, avec ce Géant omniprésent, l’humain est bien là (car le Géant est malgré tout une figure humaine), mais le paysage reste le sujet principal. Le territoire défini passe d’une époque à une autre, de la nature à la ville, ça s’est imposé comme ça de ne pas définir précisément une époque, de passer d’un hommage au paysage de Barbizon à un paysage fantastique ou même urbain ou industriel à la Masereel. Dans mes bandes dessinées, il y a souvent comme thème ce va-et-vient de la nature à la ville, de la sauvagerie de la société urbaine à l’apaisement de la nature... Quoique mes campagnes sont parfois aussi inquiétantes et pas toujours apaisantes.
En plus de la présence de ces Géants lumineux, dont la blancheur spectrale tranche avec les ambiances charbonneuses, certaines de tes scènes relèvent du Fantastique, un fantastique qui t’es très personnel : trois femmes en toge au bord d’une piscine vide s’enlacent au milieu d’arbres munis d’yeux ; dans une autre, deux têtes, comme des bustes d’empereurs romains aux yeux vides, dépassent de l’eau sombre d’un lac. Plus prosaïque mais tout aussi mystérieux, on assiste aussi à une lutte entre un homme et une femme aux abords d’un fleuve.
— J’attends que des visions de scènes me viennent. Chaque image peut être un tableau qu’on peut isoler de la série et fonctionne d’elle même, seule, mais s’inscrit dans une continuité malgré tout, et j’aime bien rester sur une ambiance avec quelques dessins puis désorienter et en amener une autre. Je suis très attaché à cette espèce de vision qui imposerait un départ de dessin et ces visions ne sont pas forcément toujours réalistes. L’onirisme est toujours là : il y a toujours ce Géant blanc qui observe et passe, et l’onirisme est là encore davantage dans certaines saynètes aux apparitions étranges. Si c’est expressionniste majoritairement, c’est important qu’il y ait aussi cette teinte surréaliste dans les images. C’est pourquoi il y a ces apparitions inexplicables de femmes, piscines, statuettes, ruines, bâtiments. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation que l’on pourrait avoir de ces scènes, ce qui m’intéresse c’est plus la force de l’image produite, du motif poétique qu’il convoque.
Tes dessins baignent toujours dans la grisaille, comme trempés dans la suie, imprégnés des souvenirs de ton enfance à Longwy avec ses usines, ses volutes de fumées et ses murs gris. Dans cette série, à de rares exceptions près, j’ai l’impression que tout se passe à l’aurore ou au crépuscule, entre chien et loup. Avant que le jour n’envahisse tout ou que la nuit engloutisse le monde. Les choses sont moins nettes, tout est plus trouble. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette ambiguïté ?
— Déjà, « le crépuscule », « l’aurore », ce sont de jolis mots justement, plus jolis que « jour » ou « nuit ». Le crépuscule, l’aurore, c’est le sommeil encore, l’entre-deux, entre le rêve et le réveil, le moment où l’on se prépare pour la nuit, c’est la zone grise où les visions sont possibles, comme certains matins pas encore vraiment réveillés nous viennent des images étranges, belles, encore rivées à la nuit et au rêve et que le réveil va vite effacer, engloutir. L’apparition de ces chiens ou loups dans la série peut faire référence à cette expression « entre chien et loup ». Si on peut sentir qu’on est dans ce temps-là dans la série, c’est bien. Enfin, c’est vrai que j’ai dit que c’était parce que je venais d’une région industrielle et blafarde, et que ça m’avait marqué esthétiquement, que mes dessins étaient gris et texturés... C’est exagéré et réducteur, mais j’ai eu besoin de le dire, histoire de me définir, ça m’a semblé important tout de même.
Un truc, un détail m’a amusé : il y a deux dessins ou les Géants n’apparaissent pas, l’un avec une sorte de cimetière de statues antiques, et l’autre avec une usine de plâtre (selon mes déductions). Est-ce que tu fonctionnes pour la fabrication de cette série par associations d’idées, par rimes visuelles ?
— Je fonctionne à l’instinct, donc rien n’est prémédité, j’attends... Et oui, il faut aussi qu’il y ait des motifs récurrents, des choses qui reviennent et qui découlent les unes des autres, des associations d’idées, exactement. Sinon, de ne pas faire apparaître le Géant parfois, ça permet de casser le rythme, que ça ne soit pas permanent. Je ne sais pas moi-même ce que peut bien faire le Géant quand il n’apparaît pas dans l’image.
La réalité impose toujours un imaginaire, que le rêve ou la réminiscence reprend à son compte. Cette force d’évocation, je la retrouve dans ce dessin où l’un des Géants est assis sur une table ronde dans un salon, ses deux bras coupés reposant à côté de lui. Il a l’air démuni comme un spectre invoqué lors d’une séance de spiritisme et abandonné là, impuissant. Pour moi, tu invoques plus l’enfance que tu ne l’évoques, c’est un fantôme qui hante ton travail. En bon spirite que tu es, tu communiques avec elle, mais tu ne la laisses jamais t’attirer dans la nostalgie. Comment travailles-tu cette matière première qu’est la mémoire ?
— Dans cette suite, je pense qu’il faut se laisser porter, comme je le fais au gré du dessin, ne pas essayer de tout comprendre, ne pas essayer de s’expliquer le pourquoi de chaque saynète, d’ailleurs, je serais incapable de le faire. Je ne sais pas où la série va me mener et c’est ça qui est bien comme processus de narration, qui me guidait déjà plus ou moins dans mes histoires, mais ici, ça l’est encore davantage, ça restera contre-narratif mais ça fera récit tout de même. Ça m’ouvre sur un autre type de narration, ça m’ouvre encore un peu plus la fenêtre. Je sais que mon champ d’action pour cette série est très vaste et ça va me permettre de ratisser large, d’approfondir des ambiances et des motifs. Quant à la mémoire, ici, on peut imaginer que ce Géant parcourt des paysages qui sont des endroits mémoriels, fondateurs pour lui, qu’il les parcourt sans intervenir, en restant distant, sans juger quoi que ce soit. Les paysages ne sont pas des états d’âme, ce sont les états d’âme du personnage qui deviennent des paysages plutôt, on sent beaucoup de mélancolie dans cette suite, cette balade. Celui qui lira cette série comme moi se baladera, se perdra, devra se laisser aller aussi.
Ah, bien, je viens juste de me rendre compte qu’il y a un Géant qui apparaît dans le ciel, juste au dessus de l’usine finalement... J’étais perdu dans le paysage sûrement.
— Ah oui, si je pense à faire un recueil avec cette série, un format à l’italienne serait parfait, adéquat, ça me ferait un livre différent. C’est la première fois que je fais un récit avec des dessins qui peuvent être pris isolément mais fonctionnent quand même si on les met à la suite les uns des autres, avec l’idée de scénario évacué. Même si pour ce que je fais, le mot « scénario » ne veut pas dire grand chose, j’avance plutôt à tâtons dans mes histoires. J’ai l’idée d’un départ et ensuite j’essaye de voir ce qui peut être fait avec ce début, c’est casse-gueule, mais j’adore réfléchir sur les tenants et aboutissants au fur et à mesure, me laisser aller à accepter des choses inconscientes qui me guideraient autant que ma raison.
As tu lu le beau livre de Guillaume Soulatges chez Adverse, L’Enfant Naturel ? Un bel objet, format paysage (« à l’italienne », non ?), sorte d’itinéraire d’un enfant pas gâté du tout, raconté à la première personne. Ça commence par une petite maison isolée à la campagne pour finir dans une école de centre ville en passant par des bidonvilles, des barres d’immeuble et des résidences pavillonnaires. L’image est en pleine page et le texte vient s’inscrire dessus ou en dessous.
— Oui, j’ai ce livre. Je ne lis plus vraiment de BD, mais plutôt des choses qui en sont à la lisière, différentes, et celui-ci en fait partie. J’aime aussi quand je ne comprends pas complètement ces récits, je me laisse guider dans un mystère, ici c’est aussi le graphisme qui m’a plu, hormis la perfection de la réalisation du livre et l’attachement que j’ai pour Adverse.
Quand on parle d’Expressionnisme pour décrire ton travail, ça me paraît toujours un peu galvaudé. Pas toi ?
— On me colle cette étiquette, c’est vrai... Bon, j’ai des récits expressionnistes et mon dessin des débuts était assez anguleux, et puis j’ai toujours eu des planches au dessin très sombre, ceci explique cela... Mes personnages sont souvent des êtres un peu perdus, emprisonnés dans un système qui les empêche de prendre forme, alors ils se débattent et n’arrivent pas à s’intégrer, à participer au monde, ils sont en inadéquation avec lui, très souvent aussi ils incarnent une espèce d’innocence et de naïveté, ce sont donc bien des personnages expressionnistes. Cela dit, c’est un expressionnisme digéré, le grotesque et l’humour sont quand même hyper présents dans mes histoires alors qu’il n’y a pas de comique dans l’Expressionnisme. C’est un mélange avec la comédie du cinéma italien plutôt. Ou alors je me rangerais plutôt dans la Nouvelle Objectivité des Années 1920 et 30 (Beckman, Grosz, Burra, Stanley Spencer), c’est nourri d’expressionnisme mais c’est plus social ou plus humain. Enfin, dans le cinéma expressionniste il y a des séquences de rêves, ou de réalité délirante qui passe pour du rêve ou du cauchemar, dont j’ai usé et use encore mais mes séquences ont autant à voir avec le Surréalisme. J’essaye parfois de concevoir mes récits de fiction comme des matérialisations de ce à quoi peut ressembler la structure d’un rêve. Les meilleures trames sont celles des rêves : comme tout le monde, je ne me souviens pas complètement de mes rêves mais je sais qu’un récit parfait pour moi serait celui où je réussirai à rendre ça, c’est pour ça que j’aime tant les films muets du début du xxe Siècle. La manière de voir et d’être saisi par ces films repose sur une perception différente, on se laisse porter par un flot curieux qui rappelle qu’on doit être au cinéma entre l’état du rêve et celui de la réalité, les titres sont souvent simples : « la foule », « le vent », c’est de la musique en image. Tout le monde rêve, on est tous des super metteurs en scène et puis on se réveille et on laisse tomber.
Dès tes premiers livres, ton style est déjà très affirmé. Comment es-tu arrivé si vite à ce niveau de maturité graphique ?
— En réalité, ma technique de dessin est limitée, quand j’ai commencé je ne savais pas faire les volumes, ni dessiner correctement les mains, les visages, les nez ou quoi que ce soit, j’aimais juste dessiner ! Ce qui me poussait c’était l’envie d’en découdre tout de même, de dessiner mais surtout de mettre en histoires ces dessins, ça ne m’inspirait pas trop de faire des dessins isolés, mais des suites de dessins qui racontent une histoire, ça oui, et dès l’enfance c’était ça : le plaisir de voir des images qui se suivent et racontent une histoire, et ces pages qui se tournent. Bref, je crois qu’au niveau du dessin, j’étais limité, alors je me suis fait ma petite tambouille, j’ai fait avec mes limites et puis comme j’ingurgitais tout ce que j’ai vu à la fac, j’ai eu des influences de l’Art en plus de celles de la BD que j’avais lue enfant et ado. En découvrant l’Expressionnisme, le Surréalisme, Dada, l’Action Painting, l’Art Brut, Dubuffet, je me disais pourquoi ne pas faire de la BD en étant abreuvé de tout ça et aussi du cinéma, de la littérature. Il faut dire que c’était l’époque du premier Futuropolis, des grandes années (à suivre), alors des graphismes différents, décalés, transgressifs commençaient aussi à se faire une place. Quand j’ai dessiné mes premières planches avec ce style dégueulasse de traces, de gris, de trucs tordus avec des personnages largués, ça me correspondait aussi pleinement parce qu’à cette époque j’étais complètement incompétent devant la vie, je me sentais inapproprié, avec malgré tout une espèce d’énergie de vie qui me disait « c’est normal d’être comme ça car le monde est si incompréhensible »...
Les relations humaines, la nécessité de devoir trouver une place, c’est quoi ce truc ? Mais quand même se jeter dans la mêlée. Et puis il y aurait toujours ces pages auxquelles se raccrocher, j’ai vite compris ou senti que c’était une planche de survie, un outil pour me permettre de retranscrire le monde et comme ça d’en faire partie, vaille que vaille. Enfin, ou finalement, quand je regardais mes planches, celles en format A3, que ça commençait à raconter quelque chose, que ça avait cette gueule, que ça m’étonnait moi-même d’avoir mis en place ça, que cette « laideur » était belle et avait une force, que d’elle pouvait quand même se dégager une voix, que cette « horreur du vide » nerveuse me semblait en accord avec ce que j’étais, qu’elle incarnait aussi un côté subversif, comme un doigt levé à tout le monde, du genre « acceptez-moi comme ça », et comme enfin j’avais commencé à être publié (par Futuropolis dans la collection X et puis à L’Association grâce à Menu), et qu’on me disait que c’était bien, ça m’a donné énormément d’énergie et j’ai gagné en confiance. J’ai continué dans cette veine, mes camarades auteurs et dessinateurs de notre génération m’ont également nourri, il y avait vraiment une synergie liée à une famille esthétique, et depuis mon dessin a un peu changé, évolué, techniquement parlant, j’ai progressé, le dessin est moins nerveux, je passe plus de temps à encrer tranquillement, je recouvre moins qu’avant ; ça reste sombre, gris, penché, tordu, mais pas toujours, mieux composé peut-être : dans mes livres de résidences, de voyages ou de choses glanées du réel, je suis beaucoup plus réaliste, synthétique en essayant de parvenir à une sensibilité différente (Le Passage aux escaliers, D’une île à l’autre, à L’Association, Objets trouvés à La Pastèque, Le Promeneur du Morvan aux Requins Marteaux / Ouïe-Dire ).
Moins visibles ici, tes personnages me font souvent penser à ceux d’Altan, avec leurs nez tordus et leurs trognes de guingois. C’est un dessinateur que tu as beaucoup lu ? Qui d’autre ?
— Voilà : un mélange entre Altan et Götting... D’Altan, j’ai surtout lu Colombo et Ada. Je lui ai piqué ses tronches avec ces nez impossibles, le nez c’est un motif particulier dans l’histoire de la BD, j’ai repris ses nez par hommage avant tout, en plus du fait que je ne voyais pas quels nez dessiner à mes personnages. Enfin, graphiquement, ça allait avec mes dessins et aussi ça symbolise une forme en devenir, un nez qui ne veut pas en être un, ou un nez qui ne veut pas prendre forme dans une humanité. La « déforme », ça me plaît bien, des personnages, des êtres qui n’arrivent pas à vouloir une forme. Sinon, je ne sais plus ce qui m’influençait en BD...  J’étais autant influencé par le cinéma, la littérature, la musique, je faisais des « ponts », me disant pourquoi ne pas faire une BD avec des thèmes littéraires sans pour autant renier l’aspect sauvage et grotesque de Reiser ou de Schlingo... Je faisais mon éducation moi-même et j’ai continué toutes ces années depuis à m’abreuver de tas de nouvelles découvertes, là c’était le milieu des Années 80. C’était une époque importante de découvertes parce que j’étais jeune et on n’avale plus comme ça quand on vieillit, on ne découvre plus avec la même intensité. Aujourd’hui, le vase est plutôt plein, je n’arrive plus et j’oublie même, mais ça va, j’ai mon terreau. J’ai l’impression des fois, que c’est dans mon éducation en autarcie et dans mes expériences de vie de cette époque que je puise toujours mes influences, autant que dans ma psychologie et mon état d’esprit d’alors. Je fais toujours des récits qui sont ceux d’un être humain qui essaierait de devenir adulte ou de comprendre le monde, et se déformerait d’abord de malaise quand il est confronté à lui, ou l’observerait sous un prisme sensible pour l’assimiler. Je dis ça, mais je parle là de mon travail d’auteur... Quand je mène ma vie, comme tout le monde je garde ça caché, je mets mon habit d’homme et puis le soir... quand je suis à mes planches et mes dessins, je laisse parler l’« autre » et c’est la cavalcade.
Comme je suis encore sous le choc (délicieux) du Saint-François d’Assise de Rossellini, j’en profite pour te demander, après un rapide coup d’oeil à ta bibliographie (Rocco et la toison, Panique à St Pancréas, Le Décaméron, le Méchant Petit Poucet, Contes de la désolation, L’Arbre Vengeur) quel rapport entretiens-tu avec le conte et la culture médiévale?
— Plus que de conte, je parlerais plutôt de merveilleux. Dans beaucoup de mes bandes dessinées, oui, j’essaye de verser un jus de merveilleux sur les choses. Ça a commencé en 1989 avec Jean-Pierre dans la collection X, un gars qui voit pousser sur sa tête des champignons géants suite à une rupture amoureuse, puis Simplismus et le colonel Whistler qui inspectent des champs où le colonel fait pousser des pierres, nécessaires pour se défendre des nains qui peuplent la région des montagnes, dans Simplismus en 1993. Ça a continué par exemple dans Panique à St Pancréas avec ce garçon de ferme qui lévite. Ça lévite pas mal aussi dans Simirniakov, une espèce de chronique sociale dans la Russie du xixe, avec des chevaux qui parlent... je fais très souvent intervenir des animaux, ça vient du conte évidemment. Ma grand-mère me racontait des histoires et puis j’ai été longtemps au catéchisme alors les histoires des apôtres et tout ça, ça a dû me marquer. De manière générale, j’aime retrouver ces fantasmagories dans les choses que je lis ou vois, voir comment le merveilleux s’immisce dans le réel. Dans Rocco et la toison ou Le Décaméron, on retrouve cet univers, Rocco est inspiré de l’histoire revisitée de Saint-Roch, c’est une histoire picaresque, c’est le propre du conte de développer un récit d’initiation souvent avec un personnage d’« idiot » un peu naïf qui se heurte à la logique du monde. Et puis ça me permet d’y inclure des récits à tiroirs avec des gens qui vivent une histoire et à qui on raconte d’autres histoires. Dans Aristée, on retrouve ce personnage sur la route, et les scènes sont parfois aussi teintées de merveilleux, mais c’est toujours équilibré avec des scènes plus néo-réalistes disons. Chaque image doit raconter une histoire particulière, même si la suite ne veut pas vraiment en raconter une, c’est encore certainement un récit à tiroirs. On retrouve les histoires à tiroirs dans les récits populaires et j’aime bien ça. J’avais repris celle de La Chasse Galerie à la demande des éditions de la Pastèque, c’est un conte avec des bûcherons qui se bourrent la gueule au Nouvel An, et ça leur permet de revenir au pays sur un navire qui vole au dessus des forêts. J’avais alors lié deux contes qui s’entremêlent pour rendre l’histoire encore plus baroque, qu’elle soit elle aussi le navire qui emmène le lecteur au dessus des choses. Enfin, dans mes histoires sur la vie quotidienne ou mes récits de souvenirs, la porte c’est encore le merveilleux, la rêverie. Je repense à celle de St Jérôme (encore un saint!) dans Objets trouvés à La Pastèque, où une visite à la National Gallery à Londres me fait voyager : j’imagine le saint des tableaux de Patinir, car il en a peint au moins trois, qui disparaît du tableau de Londres pour réapparaître dans ceux de Madrid ou de Paris. Plus généralement, quand je décris un moment réel peut s’ouvrir une faille, comme dans cette page, toujours dans Objets trouvés : un petit garçon, à quatre pattes dans l’allée du jardin, ausculte le sol et quand j’ai saisi cette scène j’ai imaginé qu’il entrait dans un monde parallèle en observant de près le sol, les cailloux, les petites bêtes, l’herbe. Le merveilleux, ça peut être aussi l’absurde, le grotesque, s’il y en a c’est bien. Dans Simirniakov, alors que ça pourrait être un récit social, je n’ai pas de problème pour y intégrer un starets qui vit dans la montagne, dont la barbe immense envahit tout le monastère, ou des chevaux qui parlent. On retrouvera aussi des êtres mi-hommes mi-chevaux dans mon prochain livre à L’Association.
La succession des planches rend merveilleusement belle cette pérégrination fantastique, ce voyage « initiatique » d’un Géant qui s’étale du jour radieux au petit matin blême, en passant par une cotonneuse nuit urbaine. On passe de la nature à la ville puis à la montagne, en ayant l’intuition, avec les militaires en vadrouille et l’observatoire, que la guerre n’est pas loin. Je me raconte que le Géant, vu l’ambiance générale de l’époque, où le merveilleux n’est plus trop l’affaire des hommes, tente de rentrer chez lui...
— Plutôt que de le faire arriver quelque part, comme sa dérive est illusoire en effet, le motif du retour au départ s’est imposé à moi progressivement, le Géant retourne là où il semblerait qu’il soit apparu au début du récit. Une boucle est bouclée. Il est venu, il a vu, mais il n’a rien solutionné, il a été témoin des actes des hommes. Ceux-là apparaissent en petit tout au long des pérégrinations du Géant. Ça ramène leurs actes à une échelle vaine : ils sont des êtres capables de grandes choses, ils construisent, se raccordent et transforment le paysage, mais c’est pour finalement tenter de le dominer, le nier, ce qui veut dire le détruire. Le Géant ne peut rien faire pour eux. Alors, la balade dans ces dessins est une balade bien mélancolique, avec des teintes surréalistes et dramatiques dans le sens romantique comme on parle de paysages « dramatiques ». Sinon, il y a des ruines, des vestiges de civilisation disons grecque, comme métaphore d’une pensée et d’une beauté stylisées, rêvées, qui ne résistent pas au temps et à l’action réelle pragmatique des hommes. Cette balade est une errance au milieu de ce qui est une idée utopique : les hommes pourraient s’accorder à une nature rendue harmonieuse du fait d’une relation sensible et respectueuse. Au lieu de ça, ils sont petits, l’échelle du Géant tout au long du récit les ramène constamment à cette petitesse. C’est un récit un peu métaphysique ou moral finalement. Et puis le Géant repart. Dans la mer. Comme si elle avait pu être épargnée, comme s’il pouvait rester encore sur terre quelque chose d’épargné ! C’est comme ça que le titre de la série est aussi apparu : en cherchant des géants de la mythologie, je suis tombé sur Aristée. Il a été banni et ayant pris refuge sur une île, il réapparait aux hommes parfois après de longues périodes d’absence, comme s’il revenait constater comment le monde allait et, étant à chaque fois déçu, redisparaît. Ça collait parfaitement. J’avais fait toute la série avec le titre provisoire de Géant sur la lande ou Géants, ça venait du titre d’un morceau de Neil Young, Giant on the Land, mais Aristée, c’est plus adapté au sujet, plus joli et bien en rapport avec les quelques apparitions de ruines de temples et de statues qui surgissent au fil de la série. C’est plus ouvert aussi.
Tu m’as dit que tu avais pensé à Buzzati pour la fin. Comment ça ?
— Oui, aux atmosphères des nouvelles ou des romans de Buzzati (Barnabo des montagnes particulièrement, son premier livre je crois), c’est vrai jusqu’aux paysages de montagnes que le géant traverse, en croisant des bersagliere qui nous ramèneraient plus au Désert des Tartares. Et puis la fin, disons que cet engloutissement évoque aussi la fin des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe.
Que retiens-tu de cette expérience de dessin ?
­— Eh bien, ce serait la liberté de pratique permise par la réalisation sans trame établie, avec des dessins qui suggèrent les suivants, avec les digressions qu’il est possible de faire intervenir. Ce que je retiens c’est le plaisir de jouir d’une liberté par le dessin et de voir une atmosphère, un monde surgir de nulle part.
(Entretien réalisé entre février et août 2022, relu et corrigé par J-C Menu en personne, publié dans un livret en supplément intérieur du livre Aristée de Vincent Vanoli aux éditions L’Apocalypse.)
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Epic Fail.
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MICRO-CIRCUIT : une exposition recalée de Paul Loubet sur un commissariat blackboulé de Thomas Bernard.
A/MICRO MACHINES.
«Des jeux? Vous voulez des jeux, je vais vous donner des jeux.» CLU (pour Codified Likeness Utility ) dans le film Tron (1982) réalisé par Steven Lisberger.
Dans son travail, Paul Loubet fait l’archéologie du jeu vidéo sans une once de nostalgie et remet ses fossiles technologiques sur la table dans un esprit DIY que ça soit au moyen de toiles, de dessins muraux, de fanzines, d’objets, d illustrations, ou d’installations. Avec micro-circuit, il s’empare pour la première fois de son modèle : le jeu vidéo vintage et le déploie aussi bien dans l’espace virtuel d’un jeu en ligne que dans l’espace de la galerie.
En effet, pour élaborer cette exposition, Paul Loubet a décidé de créer un jeu de course automobile directement inspiré d’une séquence du célèbre film de science fiction Tron : la compétition mortelle de lightcycle, motos futuristes laissant derrière elles une traînée lumineuse solide contre laquelle les pilotes peuvent s’écraser et ainsi être éliminé.e.s. Le jeu sera développé par EV production, studio indépendant (www.evprod.world).
Durant plusieurs mois, une compétition sera organisée sur le web en amont de l’exposition : chaque semaine, une nouvelle arène de course sera proposée. En tout, il y en aura 8. Dans ce jeu aux visuels pixellisés et à la palette de couleurs simples, les véhicules dessinent à chaque partie une ligne de couleur. Chaque véhicule à sa couleur. Comme ils ne peuvent pas faire de marche arrière et ne peuvent réaliser que des virages à 45° ou angles droits, les véhicules dessinent des lignes raides et anguleuses.
Le nombre limité de joueurs par partie est de 8 . Les participant.e.s peuvent customiser leur véhicule de façon sommaire avant chaque partie ; formes simples, couleurs primaires, design minimal. Une série de 8 maps (cartes) sera créée en amont par Paul Loubet afin d’être intégrée dans le jeu. Ces cartes seront créées à partir d’un archaïque programme servant à réaliser des circuits de PCB (plaques électroniques). Ce programme qui a été créé à l’origine pour des ingénieurs ou des électroniciens, permet pourtant avec un peu de dextérité, la création de graphiques complexes et se prête parfaitement à la réalisation de cartographies précises et détaillées.
Grâce à l’immense bibliothèque de schémas de puces, chips, condensateurs et autres éléments électroniques disponibles dans le programme, il est possible de créer des cartes complexes, dont on ne sait finalement plus s’ il s’agit de vues nocturnes et aériennes de métropoles, ou de circuits électroniques. Ce programme se prête donc parfaitement à notre projet.
Afin de brouiller encore une fois les origines de ces cartes aux allures de dessins techniques , les cartes seront ensuite reportées à la fraiseuse numériques sur des panneaux de bois de 120x120cm, dont les sillons seront ensuite peint d’une couleur vive, et la surface de noir et nuance de gris. C’est une technique déjà développée par Paul Loubet à plusieurs reprises (projet drone pixel, recherches) et qui s’inspire des fraisage des premières consoles de jeu vidéo portables en plastique.Ces 8 panneaux seront ensuite posés sur une structure en bois à 1 mètre de hauteur, disposés symétriquement dans la plus grande salle.
Cette série de 8 supports monolithiques évoqueront des thématiques déjà abordés dans les travaux réalisés par Paul Loubet comme la cartographie des jeux vidéo ( exposition 4X), les nanotechnologies ( expo TMG ) mais aussi ses dernières recherches plastiques autour de l’esthétique des circuits électroniques.32 tracés des sillons colorés laissés par les participant.e.s seront choisis par Paul Loubet et exportés dans un fichier distinct afin d’être réalisés en dessin CNC (Computer Numerical Control ). Paul a acquis depuis deux ans une machine CNC avec laquelle il mène diverses expériences graphiques et plastiques.
Néanmoins voulant faire contrepied à l’utilisation perfectionniste généralement réservé à ces machines (dessins génératifs, et spectaculaires) il s’en sert généralement de la manière la plus élémentaire, poussant parfois la machine à l’erreur mécanique, afin de réaliser des dessins certes droits et robotiques mais à la facture minimale. Ces dessins de très petit format seront ensuite disposés symétriquement sur le un mur. Une toile en grand format panoramique sera également exposée dans la grande salle. Elle représente une vue de la course depuis le cockpit d’un joueur. Il s’agira de la seule œuvre non directement réalisée à partir des données collectées mais qui sera une interprétation personnelle en vue subjective du jeu.
Chaque participant.e.s verra son véhicule reproduit en miniature en étain (3x2x2cm), peint à la main par Paul Loubet selon les options de design qu’il ou elle aura choisi avant sa partie et affublé de son pseudo de gamer ou gameuse. Les véhicules seront disposés sur une longue étagère métallique dessinée et réalisée par l’artiste. Une borne d’arcade artisanale permettra aux visiteurs et visiteuse de s’essayer, seul.e ou à plusieurs (8 maximum) au jeu micro-circuit durant toute la durée de l’exposition. La borne sera réalisée en bois et peinte par Paul Loubet.
B/COMPUTER DRIVERS.
«Le jeu a été créé pour démontrer la futilité de l’effort individuel.» Bartholomew dans le film Rollerball (1975) de Norman Jewison.
Avec micro-circuit, le jeu vidéo devient le médiateur entre le public, celui par qui le dessin arrive, et l’artiste, Le jeu permet ici de contraindre l’artiste à une production de dessins, de peintures et de sculptures dont il n’est pas ou plus l’auteur. Pas plus en tout cas que le public dont la participation à la création d’une œuvre est soumise aux aléas de la partie. Micro-circuit est donc une exposition participative, collective et aléatoire où le dessin est en pilote automatique.
Paul Loubet en s’inspirant d’images digitales et en utilisant des modalités de production artisanales, inverse ainsi la tendance actuelle à la dématérialisation des œuvres et rend palpable une expérience virtuelle collective.
Réduire encore plus le langage des formes, le rendre plus simple, utiliser moins d’éléments possibles tout en s’appropriant les codes du game design, du design d’objet, de l’abstraction comme du minimalisme en histoire de l’art, pour mieux développer un langage codifié simple et basique.
Pour cette dernière création, Paul Loubet opte pour une décroissance électronique choisie : low tech, high pleasure.
“Hey! Thanks for playing!”- Mario
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Venez comme vous êtes.
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Junk Food (éditions Casterman) raconte l’histoire de la pétulante Zazou, une jeune boulimique de 19 ans se rendant à sa première réunion des Food Addicts Anonymes — les Alcooliques Anonymes de la nourriture. Elle y fera la connaissance de différents malades qui racontent leurs vécus au groupe… Encore largement méconnue du grand public, la dépendance aux aliments industriels est une réalité pour des milliers de personnes. En donnant la parole aux victimes, ces food addicts qui ont perdu tout contrôle sur leur alimentation, Junk Food lève le voile sur ces drogues du quotidien, surchargées en sucre et en gras, qui détruisent notre santé et parfois nos vies.
Avec son dessin chewing gum et ses couleurs shamallows, Emilie Gleason (Fauve Révélation au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême 2019) nous embringue en compagnie du bien nommé Arthur Croque, journaliste (StreetPress, Vice, Serieously), dans un docu fiction riche en matière grise sur l’univers amer et acide des accros à la junk-food.
Disponible partout pour presque rien, la junk-food est la drogue parfaite. Si ses dangers ne sont plus à prouver (l’obésité et le diabète tue 11 millions de personnes par an), son impact sur la santé mentale reste encore très sous-estimée. Car oui : avec ses tonnes de sucre, ses protéines fumantes et son fromage fondu, la malbouffe affole le cerveau comme le sexe ou la cigarette — provoquant plaisir, réconfort, mais aussi dépendance.
Emilie Gleason : « Deux anecdotes me viennent à l’esprit quand j’évoque les tous premiers prémices de ce livre. La première date de mes études aux Arts Décoratifs de Strasbourg. Mes cousins mexicains me rendaient alors visite et ils avaient acheté une bouteille de Coca Cola pour le repas. Après la première gorgée, ne le trouvant pas à leur goût, ils y ont rajouté deux grosses cuillères de sucre. Vous ne pouvez pas imaginer la vision d’horreur que c’était ! Il faut tout de même savoir qu’en Amérique du Nord, les industriels utilisent un sucre totalement différent du notre pour la confection de leur soda. C’est donc suite à ce geste d’une banalité extrême, mais révélateur de quelque chose de profondément anormale, que je me suis intéressée à cette potentielle addiction au sucre. Ma seconde anecdote tient plus de l'épiphanie. C'est suite à la lecture du livre de Bernard Pellegrin, Sucre : l'autre poudre (éditions Tallandier), qui parle de l'industrie agro-alimentaire, de son lobbying et de ses manipulations, que j'ai arrêté complètement de consommer du sucre. Une interruption radicale qui m’a fait perdre 9 kilos en deux mois, une acné que j'avais depuis 13 ans et mes sautes d'humeur infernales. Depuis l’enquête, manger est devenu un enfer. J’ai perdu l’appétit et développé une orthorexie en primant les apports nutritionnels avant le goût. Mes repas sont à base d’huile de foie de morue, de topinambours crus et d’ayran aux graines de lin. Si je vous invite à manger, c’est à vos risques et périls. Donc après avoir fait Ted, drôle de Coco (éditions Atrabile) - qui n'était pas encore sorti ni même dessiné à l'époque de la première anecdote - j'avais déjà l'envie de creuser ce sujet  même si je n'ai pas la fibre journalistique. J'ai tout de même contacté Casterman parce que j'avais une vraie passion pour les livres de la collection Sociorama,  sorte de docu-fictions qui détiennent, à mes yeux, la recette magique pour parler de phénomène sociétaux en bande dessinée. La bande dessinée pour moi est un mode d'expression cathartique, idéal pour illuster ce que je ressens. Par exemple avec Ted, Drôle de Coco, je voulais faire rire mes parents de ce qu'il vivait au quotidien avec mon frère sur le spectre. La bd sert à montrer le monde qui m'entoure autrement. C'est pour ça que tout ce qui est bd réaliste ne m'intéresse pas tant. Je trouve que nous avons un medium magnifique avec une économie de moyens tellement forte, à savoir un crayon et une feuille, pour créer un monde complètement fantasque. Ensuite j'ai réalisé que la bd pouvait être aussi militante. Je culpabilise parfois parce que je n'ai pas une voix qui porte, je ne suis pas à l'initiative de plein de trucs, alors que je suis très féministe. Mais c'est à travers le dessin que je m'exprime le mieux et que je peux faire passer des idées avec humour sur des sujets de société. La BD, c'est mon moyen de communication, ma catharsis et mon refuge. C'est mon moyen de traduire tout ce qu'il y a dans ma tête au travers des images. »
Conçu au départ comme une enquête sur l’industrie sucrière, Junk Food est une plongée dans l’addiction à la malbouffe, un désastre passé sous les radars des politiques de santé publique. Avec le journaliste Arthur Croque, la dessinatrice a mené des dizaines d’entretiens avec des spécialistes, lu des tonnes d’articles sur le sujet, et participé en visio à des groupes de parole de foodaddicts anonymes un peu partout dans le monde (France, en Angleterre, aux USA, au Canada et en Australie)
Emilie Gleason : « Pour ce livre, je me suis associée à Arthur Croque, un ami d'enfance qui écrivait pour Vice et dont j'aimais la fibre gonzo de ses papiers. Comme je suis nulle en interview, lui, avec son bagout, était parfait pour aller creuser des infos sur les lobbys ou la toxicologie... Comme nous étions deux petits bleus cette expérience a été très formatrice et lui a permis, je pense, de faire ses preuves en tant que journaliste.»
Arthur Croque : « Nous avons commencé à collaborer sur ce livre en 2019. Avec Emilie, ça fait très longtemps qu’on se connaît ; nous sommes des très vieux potes et nous avons toujours eu une très grande complicité créative. Je lui soufflais parfois des réplique pour ses BD, elle illustrait mes articles et mes vidéos, et nous nous étions promis de travailler un jour ensemble sur un gros projet. Et comme elle avait présenté l’idée de ce livre à Casterman et qu'elle avait besoin d'un journaliste, c'est tout naturellement qu'elle s'est adressée à moi pour l’accompagner. Nous avons commencé par mener les interviews à deux, comme nous l'avait recommandé Lisa Mandel, alors directrice de la collection Sociorama. Mais comme nous ne connaissions rien au sujet, que l'on partait de zéro voire moins, le nombre d'interviews s'est révélé astronomique. Nous interrogions autant des médecins que des industriels, des politiques, des pubards, des experts en santé publique, en addiction, en hormones, en foie — parfois même des profs de biologie qui nous expliquaient comment fonctionne le cerveau et la dopamine. Un matin, on s’est retrouvé en interview à l’Assemblée Nationale en se demandant ce qu’on foutait là… Tous ces entretiens cumulés ont fini par décourager Emilie et du coup, j’ai continué les interviews en solo. »
Emilie Gleason : «La BD a eu plusieurs formes avant d’aboutir à celle-ci. Elle a pris environ trois ans à être réalisée. Nous étions comme des électrons libres et nous ne savions pas exactement quelle forme lui donner. Moi, ce qui m'intéressait c'était bien sûr l'addiction, la toxicologie, et les répercussions sur le métabolisme... Mais nous nous sommes perdu.e.s dans des interviews de diabétologue, d'endocrinologue, des études sur le pancréas, sur le diabète de type 2, sur l'insuline... Bref, difficile de donner corps à tout ça et je n'avais aucune envie de restituer une étude de terrain cases par cases avec des dessins de gens en costard ou en blouse entrain de raconter des trucs indigestes (sans mauvais jeux de mot). Alors que le story-board était bien avancé, je me souviens même avoir appeler Arthur pour lui dire que je n'aurai pas envie de lire ce genre de BD. Nous avons donc décidé en Janvier 2021 de revenir à ce que l'on savait faire tous les deux, c'est à dire raconter des histoires. Tout est inspiré de faits réels dans le livre. Les témoignages et les études sont véridiques. Mais pour les lecteur.ice.s comme pour nous, auteur.ice.s, je pense sincèrement qu'il est plus agréable de rentrer dans un sujet aussi dense et lourd via des personnages haut en couleurs. Je trouverai ça toujours plus pertinent qu'une bande dessinée journalistique, genre dont je ne suis pas spécialement fan car il y manque toujours un petit grain de folie. Ou bien c'est que ce n'est pas mon truc tout simplement, je ne sais pas être didactique... Finalement, tout s'est débloqué comme nous sommes revenu.e.s à la fiction, à ce que je voulais faire à la base : donner la parole aux victimes et le faire avec humour (ce qui me vient naturellement). Un peu à la Ted, drôle de Coco mon premier livre.»
Portées par des personnages hauts en couleur, les histoires de Junk Food sont basées sur des témoignages de food-addicts récoltés au quatre coins du monde. Winnie la bingeuse compulsive, Zazou la boulimique XXS, Némo le mangeur émotionnel, Clochette l’accro au sexe et au sucre...Tous illustrent une facette de cette addiction aux milles nuances.
Arthur Croque : « Toute la BD s’est jouée dans les premiers entretiens. On venait de rencontrer Serge Ahmed, le scientifique qui a mis le doigt sur l'addiction au sucre en 2007, en montrant que les rats en pinçaient plus pour le sucre que pour la cocaïne. Il nous a exposé beaucoup de données, nous montrant que chez les animaux, l’addiction à la junk-food était indiscutable. Nous on demandait : « mais ils sont où les humains comme ça ? » Mais là, pas de réponse. À la rigueur, on nous parlait du taux d’obésité. En réalité, il n’y avait aucune ressource, personne n'avait jamais documenté ça. Un an plus tard, quand on est tombé sur cette association de food-addicts, on s’est dit : « peut être que ces gens là sont les personnes que nous cherchions depuis le début. » J'ai sélectionné ces personnages parce que tous illustrent un aspect de l'addiction. Addict, on peut l'être plus ou moins, mais le parti pris que je voulais, c'est que les témoignages soient des claques dans la gueule. L’idée, c’était de montrer des cas extrêmes, pour que même les gens qui ont une vision de l’addiction très 70's (addiction = marginal avec une seringue dans le bras) comprennent que la bouffe détruit des vies autant la drogue. Sans mentionner que les symptômes qui caractérisent l’addiction sont les mêmes quelque soit le produit. Moi, le côté lobbying ne me passionnait pas. Dénoncer la corruption et les machinations, ça donne la migraine. Puis il y a des ONG comme Corporate Europe Observatory qui font déjà ça très bien. En revanche, le côté toxicomanie et drame humain me fascinait. L’alcoolisme a tué trois personnes dans ma famille et je suis accro au milieu de la nuit, où les toxicos sont monnaie courante. »
Emilie Gleason : « Chaque personnages du livre incarnent différents types d'addiction et différents moyens de s'en sortir. Il était important pour nous que le livre soit choral même si l'on suit surtout  Bambi et Zazou, cette petite fille menue et anorexique qui découvre les Food Addicts In Recovery Anonymous. Je pense que ce n'est pas encore très européen ce genre de regroupement type Alcooliques Anonymes. Nous les voyons dans les films ou les séries mais ce n'est pas ancré en nous. Si ça peut paraître sectaire c'est que souvent ça se passe dans les églises, on y évoque toujours une force supérieure, la religion peut être très présente mais le partage et le soutien y est toujours plus fort que dans n'importe quel suivi ou traitement médical. Nous étions en plein confinement lorsque nous nous sommes intéressés aux addicts et ce fût un coup de chance car toutes les réunions de FA se faisaient sur Zoom. Donc on a pu par ce biais là, se rendre sans bouger de chez nous, à Austin, en Australie, en Angleterre, aux quatre coins du monde pour rencontrer des gens qui voulaient participer à notre projet. C'est très rare que l'on s'intéresse à ces personnes, qu'on prenne leurs problèmes au sérieux. Ils venaient facilement vers nous pour témoigner et ça, ça nous a donné une grande confiance en la validité de notre projet.»
Arthur Croque : « Tous nos personnages ont à peu près leur alter ego dans la réalité, un addict dont l'histoire nous a subjugué. Je dis à peu près car nous avions tellement de témoignages que nous avons dû superposer et mélanger. Par exemple, le personnage de Iago est à 70% inspiré de lui et à 30 % d'un autre boulimique sportif. Winnie est une addict anonyme que j'ai interviewée et dont l'histoire m'a fait chialer. Zazou est inspirée d'une petite française que l'on a rencontrée très tôt dans l'aventure,  à l'époque où nous n'avions pas encore décidé de nous focaliser sur l'addiction. Bambi, la marraine de Zazou, est inspirée d'une new-yorkaise incroyable, dont on a malheureusement pas pu raconter l’histoire. C’est la grande soeur badass de tous les food-addicts. »
Fondée en 98, l’association Food-Addicts in Recovery Anonymous (FA) est un groupe de parole, composé de milliers de food-addicts qui partagent leur expérience personnelle, leur force et leur espoir dans le but de se rétablir de leur addiction alimentaire. Son fonctionnement est calé sur celui des Alcooliques Anonymes : réunions, discussions, parrainages, programme de rétablissement en 12 étapes…
Arthur Croque : « Les groupes de soutien sont un modèle de thérapie qui remonte aux années 50, avec les Alcooliques Anonymes. Malgré leur ancrage religieux, ces groupes font totalement partie de la culture médicale des US. Il y a des groupes pour toutes les addictions mais aussi pour d’autres troubles : les endettés, les kleptomanes, les mecs violents… C'est un lieu où on s’attaque d’abord à la culpabilité, où on dit aux personnes qu'elles ont un problème, qu'elles sont malades et que ce n'est pas de leur faute. »
Emilie Gleason : «Pour en revenir à FA, la solidarité et le soutien entre les victimes est très fort. Les avancées sur la question d’addiction à la malbouffe dans le corps médical est de plus en plus louable, mais ces personnes sont finalement les plus à même de poser des mots sur les émotions vécues, du fait de le vivre au quotidien. C'est sûrement ma sensibilité qui rentre en jeu mais un témoignage me parlera beaucoup plus qu'un article médical sur le sujet. Nous vivons aussi une époque où la solidarité, le soutien émotionnel s'étiole de plus en plus. À l'ère des réseaux sociaux qui nous rendent chaque jour plus nombrilistes, se rendre compte que nous ne sommes pas seul.e.s à vivre l’horreur peut nous aider à surmonter nos problèmes. Je pense que c'est la clé de la réussite pour ce genre de groupes anonymes.»
Arthur Croque :  « Il y a parfois une grossophobie institutionnelle dans le monde médical. Souvent les patients ne trouvent pas d'aide de ce côté-là… mais ça, c’est en train de changer. Mon mentor scientifique et médical, c’est un monsieur s’appelle Paul Brunault. Il bosse à l'hôpital de Tour dans les parcours de chirurgie de l’obésité — ça concerne les gens qui veulent se faire réduire l’estomac pour maigrir. Parfois, certains patients ont aussi des problèmes d’addiction alimentaire, et dans ce cas, c’est lui qui prend le relai comme psychiatre addictologue pour diagnostiquer et suivre les patient.es. Un mec en or. Il existe un groupe de soutien en France — les Outre-mangeurs Anonymes — dont les membres se disent « mangeurs compulsifs ». Mais ce type de regroupement reste très américain, à cause de l’aspect religieux. C’est con parce que ça fait un bien fou. C’est un espace de confiance où la parole peut se libérer, surtout pour des gens qui portent le fardeau de la honte à leur arrivée. D’ailleurs, les premières fois se ressemblent toutes. À ta première réunion, tu entends des qui gens qui parlent le même langage que toi ; des mecs qui bouffent à s’en rendre malade ; des filles qui ramassent des burgers dans la poubelle ; on te raconte les mêmes expériences dégueu avec lesquelles tu te sens seul au monde… et soudain, t’as moins l’impression d’être un monstre. T’es juste une personne en souffrance, entourée d’ami.e.s qui te veulent du bien. Crever ta bulle de solitude, c’est le premier pas vers le rétablissement. Et pour ça, les groupes de soutien peuvent se révéler plus efficace qu’un psychiatre.  »
Dans nos sociétés occidentales où l’image tient un rôle primordial, le poids est une source de discrimination importante. Les personnes obèses, tiraillés entre culture du régime et pubs Burger King, finissent par se détester ; tandis que pour des milliers d’adolescentes enrobées, l’injonction à la maigreur débouche sur des complexes, des troubles de l’image du corps... et parfois de l’addiction alimentaire.
Emilie Gleason : «Ces gens ont passé leur vie à se sentir coupables. Alors que les vrais coupables sont clairement les industriels, qui ont la main sur ce qui se trouve dans les supermarchés et dans nos frigos, et qui font bosser une équipe de scientifiques pour rendre des produits alimentaires extrêmement addictifs. C'est ce qu'on montre au début du livre avec l'expérience des rats de Paul Kenny. La presse a beaucoup parlé du scientifique bordelais Serge Ahmed qui a démontré que 90% des rats en laboratoire préfèrent se tourner vers le sucre alors qu'ils sont déjà accrocs à la coke. Au cours de notre enquête, alors que j'étais à fond contre le sucre,  nous avons découvert le travail de Paul Kenny qui démontre que c'est l'alliance de gras, de sucré qui fait dérailler notre cerveau. Donc pour nous ce livre peut servir aussi à  déculpabiliser ces personnes, ce n'est pas de leurs fautes, ce sont des victimes . Avec des MacDo et des Starbucks partout dans le monde, ce régime alimentaire touche des populations qui n'ont jamais mangé comme ça et ça les dérègle au possible. C'est un problème sanitaire mondial !»
Arthur Croque :  « Le trouble de l'image du corps est fréquent chez les food-addicts. C’est une addiction qui est liée au poids et à l’importance sociale du poids. La grossophobie a été une question centrale dans le livre. On ne voulait pas culpabiliser les gros. C’est facile de tomber dans ce piège quand on parle de gens qui dévorent compulsivement, alors que les obèses ne sont pas toujours des gros mangeurs, le surpoids peut tout à fait être génétique ou hormonal. Il y a beaucoup de clichés sur l’obésité et on ne voulait surtout pas y contribuer. Tout au long de la BD, nous soulignons que si certaines femmes mangent démesurément, c’est aussi parce que dans un premier tempo de leur vie, elles se sont trop privée, trop pesée, trop regardée, qu’elles ont abusé des régimes… et que tout ça engendre des pensées alimentaires obsessionnelles qui peuvent déraper en addiction. Ce n’est pas pour rien que nos témoignages sont surtout féminins : les Food Addicts Anonymes comptent 9 femmes pour 1 homme ! De fait, les femmes sont infiniment plus écrasées par le diktat de la minceur que les mecs — et elles en payent le prix. La balance finit par les rendre folles. Je reste persuadé que dans une société où l'apparence serait moins centrale, où le poids serait déculpabilisé, moins de personnes souffriraient de ce problème.  »
« Manger 5 fruits et légumes par jour », « Limitez l'ajout de sucre et de sel », « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré »… ces messages censés guider notre conduite alimentaire sont-ils vraiment efficaces ? Avec plus de 8 millions d’adultes obèses en France, on peut en douter. Au quatre coins du globe, des pays prennent des mesures draconiennes pour endiguer ce fléau. »
Arthur Croque : « Peu de personnes ont conscience du potentiel addictif de la junk-food. On dit tous que c’est irrésistible ; on dit tous qu’on est accro ; mais ça reste de la métaphore. Nous sommes trop habitués à ces produits pour penser qu’ils entraînent un vrai risque de dépendance. Ça nous parait absurde, comme les prétendus dangers du tabac semblaient absurde en 1980, face à un public qui avait fumé toute sa vie. Puis la nourriture est tellement présente dans nos vies, il y a un élément affectif fort dans la bouffe, bien plus qu’avec d’autres produits. On mange des cochonneries pour célébrer les anniversaires, les mariages, l’amour… »
Emilie Gleason : «Ce que l’on nomme la « comfort food » est vraiment partout, c'est notre lot de consolation à tous nos problèmes. C'est tellement ancré en nous tous que l'on ne se pose même plus la question de la quantité de sucre que l'on donne à un gosse dès ses 6 mois. Aveuglément, on a créé une dépendance assez forte sur plusieurs générations depuis que le sucre est partout. Le malheur, c'est que quand on se sèvre d’un produit on compensera généralement par un autre, c’est ce qu’on appelle un transfert d’addiction. Vu que la malbouffe est une came légale qui se trouve à chaque coin de rue et n'est pas encore officiellement considérée comme addictive, la plupart des personnes qui se sèvrent de la drogue, clopes, alcool, en règle général prennent du poids. C'est normal, elles compensent. Et souvent ça tombe sur des aliments très gras/salé/sucrés. Il est rare de voir les anciens fumeurs se ruer sur des brocolis pour calmer les pulsions.»
Arthur Croque : Il y a 70 ans, les enfants français picolaient encore du vin rouge à la cantine. Il faut attendre 1956 pour que cette pratique soit interdite au moins de 14 ans — et 1981 pour que l’interdiction soit étendue aux lycéens. Culturellement, ça ne posait aucun problème ; aujourd’hui les images d’écoliers ivres font bondir, car notre culture de l’alcool a totalement changé. Notre culture alimentaire aussi est en train de changer ; je soupçonne que dans 30 ans, nos petits-enfants nous prendront pour des tarés. Au Mexique par exemple, plusieurs régions interdisent la vente de junk-food aux mineurs depuis 2020. Le monde regorge de réglementations dont la France pourrait s’inspirer, mais il nous manque souvent le courage politique de les appliquer. Mais bon… Ronaldo qui refuse publiquement du Coca, c’est déjà pas mal. Aucun de nos addicts ne dira que c'est à cause de la pub ou des industriels qu'ils sont devenus accrocs. À la base, ce sont sont des personnes avec d'énormes fragilités ; si ça n'avait pas été la bouffe, ça aurait été autre chose. Par contre, tous racontent que dans un monde où UberEats te bombarde de notifications dès le réveil, leur vie est un enfer. Depuis 2007, l’idée que les aliments gras et sucrés agissent sur le cerveau comme une drogue gagne du terrain scientifiquement. Depuis 2013, on sait même que certaines firmes (coucou Dr Pepper) sucrent leur produits à l’aide d’une formule mathématique qui permet d’obtenir la saveur parfaite : le fameux « point de félicité ». Notre cerveau aime la junk-food comme il aime la cigarette — sauf que nul n’ignore que fumer tue.
Emilie Gleason : «Je ne pense pas que les messages du type "Pour votre santé évitez de manger trop gras trop sucré trop salé" soient véritablement efficaces. Oui, c’est bien, mais ce n'est pas suffisant car on ne les lis plus par habitude. Il faut savoir que rien que la mise en place du Nutri-score (système d'étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d'un produit alimentaire crée par Serge Hercberg) a été un combat acharné contre les lobbys. Au Mexique, comme ils sont très touchés par l'obésité infantile, les mesures prises sont plus fortes qu'en Europe. Par exemple là bas, la vente de Soda est interdite aux mineurs dans certains états. C'est considéré comme la cigarette ou l'alcool. La vente est légale mais plus cadrée. Le diabète de type 2 en France fait dix fois plus de morts que les accidents de la route. Nous avons parlé avec Dean Schillinger, un médecin de l’hôpital de San Francisco qui a vécu la vague du VIH dans les années 80 et qui nous explique que l'étage anciennement consacré aux séropositifs est maintenant rempli de diabétiques. C'est une pandémie. »
https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/junk-food/9782203203303
https://emiliegleason.com/
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Vies d’Intérieur.
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Formée aux Arts appliqués en graphisme et design d’espace, Agnès Hostache a été directrice artistique dans de grandes agences de pub pendant 8 ans puis dans une agence d’architecture d’intérieur. Freelance depuis 2015, elle consacre ses journées à sa passion: le dessin. Illustratrice imprégnée d’esthétique japonaise, plus précisément du mouvement Mingei udo, elle compose dans ses gouaches comme dans ses acryliques des petites scènes du quotidien, des scènes d’intérieur d’une beauté simple et colorée qu’elle commence à exposer dès 2018. Autrice de bande dessinée, en 2019, elle adapte le roman Nagasaki d’Eric Faye (Ed. Stock-2010) pour les éditions du Lézard Noir.La trame du livre s’inspire d’un fait divers: un salary man japonais découvre qu’une femme squatte son appart en constatant la disparition d’aliments dans son frigo. Le livre, tout en délicatesse et sobriété, où chaque détail insuffle une émotion à l’image, est sélectionné au 47ème FIBD et reçoit le Prix révélation de l’ADAGP/Quai des Bulles en 2020. En 2023, Agnès Hostache adapte le magnifique roman de Célia Houdart Tout un monde lointain (Ed. P.O.L.) dans une bande dessinée publiée au Lézard Noir : Villa E. 1027. La Villa en question, conçue en bord de mer à Roqubrune-Cap-Martin, par l’une des premières femmes architectes Eileen Gray y est un personnage à part entière. Le récit, terminé lors d’une résidence de l’autrice au sein de la Villa E.1027, met en scène Gréco, une ancienne décoratrice qui veille sur ce chef-d’oeuvre de l’architecture moderniste qui a vu défiler toutes les avant gardes artistiques et intellectuelles de l’époque et deux jeunes squatteurs, Louison et Tessa, danseurs au style néo-hippie.Dans Villa E.1027, petites histoires intimes et histoire de l’art, se croisent et se mêlent au fil des pages dans un décor aussi idyllique que mystérieux, chargé de mémoire. Imprégnée de ses études du paysage et de l’architecture lors de sa résidence sur la Côte-d’Azur, Agnès Hostache illumine ses planches de couleurs radieuses au découpage quasi cinématographique, parfait contraste avec les sombres mystères que dissimule cette bâtisse au nom aussi intrigant qu’un code secret.
Agnès, quel est votre parcours ?
- J’ai fait des études de communication visuelle (graphisme et illustration) en école d’arts appliqués. Après un rapide mais déterminant passage chez Jump, je suis rentrée chez Mccann Erickson pendant 8 ans en tant que maquettiste puis DA junior. J’ai repris ensuite mes études en Architecture d’intérieur, c’est un choix de métier qui me permettait de continuer de dessiner. J’ai travaillé pendant 13 ans en agence. Puis, j’ai décidé de prendre mon statut d’indépendante afin d’aménager librement mon temps et pour me permettre de développer enfin des projets plus personnels en illustration et en bande dessinée.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
-J’ai toujours choisi des métiers qui me permettaient de dessiner. Je ne trouvais pas le temps de travailler sur des projets plus personnels. Je n’en prenais pas le risque.
Faut-il une qualité particulière pour exercer ce métier ?
- Mon métier de DA m’a appris la notion de « concept ». J’ai appris à avoir un bon esprit de synthèse, à savoir exprimer une idée par l’image. Je travaillais en équipe avec un rédacteur. À chaque nouvelle campagne je déconstruisais mes idées pour en trouver de nouvelles. Tout allait très vite. Mon second métier d’architecte d’intérieur a été, en ce sens, plus structurant. Il y avait des contraintes réelles et très concrètes. Il fallait être logique, réfléchir en 3 dimensions, aux résistances des matériaux, penser à l’ergonomie, et aux flux humains. Les projets s’inscrivaient dans le temps. J’avais besoin de cette longueur de réflexion. Au-delà de ça,j’étais aussi passionnée par le rapport que chacun peut avoir avec son environnement, à commencer par son lieu d’habitation. Son intimité.
J’ai également beaucoup aidé une amie qui avait une brocante. Le rapport à l’objet y est très fort, et très révélateur de la psychologie de leur propriétaire. Ça me fascinait.
Concrètement, en quoi consiste votre travail ?
- Raconter des histoires est ce que j’ai toujours voulu faire, mais je n’osais pas me lancer. Par manque de confiance (mes études n’étaient pas orientées sur le livre) mais aussi pour des raisons matérielles et concrètes. J’avais autour de moi des amis auteurs qui se retrouvaient en grande insécurité à chaque parution de livres.
Votre formation a-t-elle une incidence dans votre manière d’aborder votre travail de dessinatrice ?
- Oui c’est certain. Aussi bien dans le fond, le thème de mes deux premiers livres sont en lien direct avec mes expériences professionnelles, que dans la forme: n’ayant pas fait d’école de bande dessinée, j’ai appris les principes de narration toute seule. Étudiante, j’étais en colocation avec un élève d’une grande école de bd et d’animation. Je ne me retrouvais pas du tout dans sa formation qui me paraissait très académique et fastidieuse. De mon côté, à l’école d’arts appliqués, nous étions beaucoup plus libres pour tester des choses qui pouvaient partir dans tous les sens.
Quand avez-vous commencé à faire de la bande dessinée et pourquoi ?
- Très tardivement. Comme évoqué ci-dessus, je tournais autour du travail d’auteur sans oser. Mais j’aime l’idée d’être traversée par différentes disciplines. Ne pas appartenir qu’à la bande dessinée ou à l’architecture me rassurent, c’est sans doute là que je trouve mon chemin.Je suis entrée dans la bd par mon amour du dessin. C’était l’assurance de me lancer dans une immense série de dessins. De ne faire plus que ça. Je n’aime pas trop parler de moi. J’ai tendance à m’émerveiller de pas grand-chose, je pense que c’est une qualité qu’il ne faut pas perdre au fil du temps. Mes dessins me permettent de cultiver cette façon de voir le monde. De regarder, puis de garder ce qui m’entoure. J’adore l’idée de me lancer dans un projet qui va m’occuper pendant deux ans ou même plus. Le dessin impose un rythme lent qui me convient.
Enfant, lisiez-vous des bandes dessinées ? Si oui lesquelles ? Et aujourd’hui lesquelles ?
- Non, je ne lisais pas de bande dessinée et c’est aussi pour cela que je n’osais pas en faire. Je ne me retrouvais pas du tout dans ce mode de lecture qui était compliqué pour moi. J’avais du mal à lire images et textes en même temps. Ma mère lisait énormément mais il n’y avait pas de bd à la maison. Elle était bénévole dans une bibliothèque, elle rapportait beaucoup de livres à la maison que nous réparions et recouvrions. C’est peut-être pour cette raison que j’ai aussi un rapport très physique au livre, à sa matérialité, au papier. L’objet en tant que tel est précieux à mes yeux. Commencer par des adaptations était une manière graduelle de trouver mes marques en bande dessinée. D’y aller progressivement.
Pouvez-vous nous raconter un peu la genèse de cette adaptation du roman en bd?
- Pour y avoir de la famille, je séjourne souvent sur la Côte d’Azur. J’ai la chance d’en avoir une approche simple mais plutôt préservée, au contact de la nature, des odeurs et de la lumière qui m’émerveillent à chaque fois. En 2015, sans aucune intention particulière, si ce n’est nourrir mon goût pour l’architecture, je visite le cabanon de Le Corbusier à Roquebrune Cap-Martin. Dans l’ombre de ce château de 15m2, comme Le Corbu se plaisait à le décrire, j’ai découvert un trésor : cette fascinante villa blanche, la Villa E.1027, bâtie par l’une des premières et des plus talentueuses femme architecte, Eileen Gray, elle aussi, cantonnée dans l’ombre de l’architecte suisse. Quelques années plus tard, alors que je m’apprête à terminer Nagasaki, je lis le roman de Célia Houdart, Tout un monde lointain.
Le roman n’est pas très descriptif, votre adaptation l’est un peu plus même s’il y a toujours des parts suggestives, comment s’opère le passage des mots de l’écrivaine aux dessins?
- On me dit que j’ai ma propre façon de faire de la bande dessinée, c’est sans doute parce que je n’ai pas appris, que je n’ai pas de méthode académique. Je fonctionne beaucoup à l’instinct. Je retranscris mes émotions éprouvées à la lecture, avec une impression de passer de la 2D à la 3D et de rendre concrets les sentiments qui me traversent à la lecture d’un texte. Je regarde beaucoup la façon dont sont faits les films, la façon dont on y assemble les mots avec les images, les cadrages, et la façon dont on déroule une histoire. Il me semble que l’adaptation cinématographique d’un livre est beaucoup plus courante qu’en bande dessinée. J’ai besoin d’avoir carte blanche même si j’ai très à cœur de ne pas abîmer le roman initial avec lequel je suis très en empathie. Mais à la différence du cinéma, ici je peux faire des ellipses. Elle en sera d’autant plus solide. Il n’est même pas obligée qu’elle apparaisse dans l’image. En revanche, comme j’écris de plus en plus, j’éprouve aussi beau-coup de plaisir à me libérer des contraintes tech-niques du dessins, les tubes de gouache que l’on visse et dévisse sans cesse, le papier qui gondole, les pinceaux qu’il faut nettoyer..
Comment avez-vous choisi votre palette de couleurs et votre style graphique sur cet album?
- Ma palette de couleurs et mes représentations graphiques sont très en lien avec ce que j’éprouve, ce que je crois voir, ce qui me fait vibrer lors de mes séjours en Méditerranée et cette façon que j’ai de m’intéresser aux petites choses. Ce sont des lieux qui ont beau-coup été représentés. Pour lesquels, sans doute à cause du tourisme de masse qui s’y est développé, les gens ont souvent des à priori. Je ne sais pas si j’y suis arrivée, mais j’avais aussi à souhait de sortir des stéréotypes et des clichés.
Est-ce que l’architecture, les intérieurs et les objets, en plus d’être des éléments décoratifs sont des moteurs de narration pour vous ou bien des personnages ou comme vous dites, des révélateurs du caractère des individus ?
- J’essaie de faire en sorte que la plupart des motifs que j’attribue à tel ou tel personnage aient du sens, mais ils peuvent être également dissonants. Ou dans peu de cas personnels.
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https://lezardnoir.com/
Texte et entretien réalisés en collaboration avec Raphaël Barban pour Formula Bula 11.
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Frise Poulet.
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La pochette d’un disque, c’est un peu l’étendard de la musique qui se niche dans ses sillons. Une promesse d’une contrée phonique particulière que l’image nous permet d’appréhender en un ou plusieurs clins d’oeil. Mais comment est elle choisie ? Que dit-elle du musicien  et de sa pratique ? Quelle est son histoire ? Voilà des questions que j’ai pu poser à Thomas Bonvalet, musicien autodidacte multi-instrumentiste, dont j’apprécie grandement l’oeuvre solo. Surtout depuis un concert à Albi où mon camarade Ludo, patron de la Javanaise la guinguette la plus noise d’Aiguelèze, m’a confié,  en pénétrant dans la salle: « Tu vas voir, c’est tout sauf de la musique intelligente. ». Bon, je dois préciser que l’événement avait lieu dans le cadre d’un festival organisé par le GMEA et pas mal des propositions sonores m’étaient passées au dessus de la tête. Mais en fait, Ludo se trompait. La musique de Thomas Bonvalet, bien qu'empirique voire instinctive, n'est ni brute, ni spontanée, mais au contraire très réfléchie, tout en tension et en ruptures. Son set fût une expérience visuelle et acoustique hors-norme.
Sinon, il se trouve aussi que Thomas Bonvalet est mon voisin et que proximité oblige, j’ai saisi cette occasion rêvée pour parler avec lui de sa musique mais en passant par le regard, d’aborder presque toute sa discographie mais via l’oeil et de parler pratique de la photographie mais en amateur.
Cheval de Frise.
Thomas Bonvalet : "Formé fin 1998, Cheval de Frise est en quelque sorte mon premier vrai groupe au-delà de mes expériences avec mes amis dans ma campagne natale. C'était un duo de rock instrumental, très influencé par toutes sortes de courants du post hardcore mais avec quelques singularités plus ou moins intentionnelles. Le premier album sans titre est sorti en 2000. La première édition, dans sa réalisation graphique, est très maladroite. Il y a eu depuis plusieurs re-pressages et une réédition récente en vinyle qui rendent plus fidèlement la matière utilisée. Les photos sont des autochromes des champs de bataille de la Marne. Il y a aussi un dessin extrait d'un fanzine réalisé par un ami lorsqu'il était étudiant aux beaux arts. Cet homme a été une sorte de mentor pour moi à la sortie de l'adolescence. C'était une sorte d'artiste raté, plein d'amertume. Il projetait sans doute des choses à travers moi, il était ultra attentif à ce que je faisais, très exigeant et critique...et comme j'étais complètement hors circuit, déscolarisé, c'était très structurant pour moi. Il avait surtout été sculpteur et avait une culture dans les arts plastiques que je n'avais pas du tout et qui reste encore très fragmentaire aujourd'hui. Bref, j'ai utilisé deux illustrations prises dans ses fanzines, pour le premier album et pour la pochette du 45tours L’Agonie dans le jardin. Je ne sais même pas dans quelle mesure ces dessins sont de lui, si ce sont des collages. Il les signait en tout cas...un drôle de bonhomme, nous nous sommes brouillés et je ne l'ai jamais revu.
Cette thématique militaire et défensive, dans le nom du groupe et dans le choix des photos, c'est vraiment un truc de gamin anxieux. Petit, j'étais fasciné par le thème du siège désespéré, comme dans Alamo avec John Wayne ou le repli des troupes dans la bataille de Hoth dans l'empire contre-attaque. Un romantisme, un militarisme abstrait de petit garçon qui reste une composante esthétique pour sûr !
Le deuxième album de Cheval de frise, Fresques sur les parois secrètes du crâne, est graphiquement composé de choses très différentes. Des dessins botaniques du 16e siècle de Otto Brunfels, que nous avions retravaillé par superpositions avec mon ami Greg Vezon. La réédition vinyle à venir reprend uniquement la matière brute, seule une illustration de Greg subsiste dans le livret. Il y avait également une photo prise par moi dans le livret d'origine, une sorte de nature morte...je voulais au départ utiliser des photos extraites de la série Polaroid " Fixierte Augenblicke" de Horst Janssen. Horst Janssen était plus un dessinateur et un graveur, son travail photographique est plus marginal. Il y a de l'abandon et de la décomposition dans ces "Moments fixes", ça me touchait et étrangement le procédé d'altération long et involontaire de mes propres natures mortes m'a rapproché de l'esprit de ce travail, je crois. Mais je pourrai revenir plus tard sur ces expériences photographiques. La réédition vinyle comporte tout un livret de photos, mais j'y reviendrai.
Pour infos, ces deux premiers albums n'avaient jamais été édités en vinyle. Je savais que le label Computer Students apportait un grand soin à la conception de leurs disques et j'ai accepté avec joie leur proposition, les voilà donc tous les deux enfin disponibles."
L'ocelle mare.
T.B. : "L'ocelle mare est le projet solo que j'ai initié après la séparation de Cheval de frise, en 2005. D'abord acoustique et très axé autour de la guitare, le projet s'est peu à peu complexifié dans son instrumentation et est devenu très amplifié.Le premier disque à été enregistré in situ dans toutes sortes de lieux autour de Ribérac, des carrières abandonnées, des églises, des grottes, des Cluzeaux. j'avais des bouquins de Serge Avrilleau sur les Cluzeaux et les souterrains-refuges de la région. La pochette du premier disque est une superposition de plans de souterrains, une sorte de nœud de grottes et quelques photos de lieux d'enregistrement.
Le second disque, Porte d'octobre est surtout enregistré à Paris, tunnels de la petite ceinture, grand amphi de la sorbonne, gare du Nord, cimetière Montparnasse, des appartements.La matière de composition de la pochette vient d'illustrations de contes russes de Bilibine. Il doit y avoir un masque Japonais dont les yeux, narines et bouche ont été effacés. J'étais toujours aidé par mon ami Greg Vezon pour faire ces pochettes.
A l'époque du troisième, Engourdissement, je vivais dans une cabane au bord d'un étang dans la forêt de la Double, c'est là que le disque a été enregistré, en hiver. La pochette est composée de photos que j'ai prise là : une de mes chèvres dans la nuit, un bout de cabane.
Le quatrième est mon premier disque amplifié, Serpentement. Il est enregistré au temple protestant de Bergerac. L'étrange figure de la pochette est une photo d'un objet que j'avais trouvé dans une promenade quand j'étais petit et que je croyais être une météorite, mais qui est juste un résidu ferreux, peut être industriel. C'est petit et lourd. J'avais aussi pris une illustration dans un vieux dictionnaire pour l'arrière de la pochette : des enfants qui lancent des pierres dans une mare. J'ai juste demandé à Greg d'effacer les enfants.
Pour le cinquième, Temps en terre, mon premier disque solo en studio, j'ai demandé à ma fille, alors âgée de 5 ans de me dessiner la pochette. Il y a une photo d'un sanatorium dans une mine de sel polonaise à l'intérieur, et des photos du zoologiste Tchèque Václav Jan Staněk.
Et pour le dernier, Sans Chemin, j'ai utilisé des photos de ma collection de photos altérées dont je vais parler plus loin."
Arlt & Thomas Bonvalet.
T.B. : "Pour le disque de Arlt & Thomas Bonvalet, une invitation à revisiter avec moi des chansons des deux premiers disques du groupe, j'ai simplement trouvé des illustrations de Benjamin Rabier que je trouvais drôle et à propos. L'idée à plu à mes camarades, et voilà. Chez mes parents, il y a une petite collection de vieilles éditions de Benjamin Rabier. La dureté et la cruauté de ce monde rural me marque toujours autant : " Renard fut emprisonné et condamné à mort. Les parents et amis de ses victimes vinrent le visiter et lui souhaiter toutes les tortures de l'enfer. Aujourd'hui, la peau du renard, préparée par un fourreur, abrite les épaules d'une élégante Parisienne.""
Loges de Souffle.
T.B. : "Loges de Souffle est le premier enregistrement de mon duo d'improvisation avec l'organiste Jean Luc Guionnet. La pochette est un dessin de Jean Luc, un pan important de son travail je crois, que j'ai découvert en même temps que sa musique, mais je serai bien incapable d'en parler !"
Powerdove.
T.B.: "Powerdove est le projet d'Annie Lewandowski, ce sont des chansons. En 2011, elle m'a invité à faire les arrangements de son second disque, Do you Burn, en compagnie de mon ami john Dieterich de Deerhoof. John a dû quitter le projet après Arrest, le disque suivant, remplacé par un autre ami, le percussionniste Chad Popple. Nous nous sommes retrouvé.e.s en duo pour le dernier disque, Machination. Annie m'a toujours laissé une liberté totale dans mes interventions. Je me suis tout à fait senti chez moi dans ce projet mais je n'ai par contre pas participé du tout à la conception des pochettes, à l'exception de la dernière qui m'a été entièrement confiée. Pour Arrest, John vivait à Albequerque, Nouveau Mexique, à l'époque. Tout comme le dessinateur Mark Beyer. Mark est venu nous voir en concert et nous a beaucoup aimé. La collaboration a été très naturelle.Pour le disque suivant, nous sommes tombé.e.s, Annie et moi, tout à fait par hasard sur le travail de Daniel Götesson en faisant une recherche internet et comme nous avons un ami en commun à Gothenburg, la prise de contact a été très facile et immédiate.
Pour le dernier album, Machination, Annie à choisie une photo extraite de ma collection de photos altérées. Je ne suis pas du tout photographe mais j'ai tout de même eu, par curiosité, par jeu ou parfois par nécessité une sorte de pratique de la photographie, j'ai eu un premier appareil très tardivement, en 1996 il me semble, à l'âge de 19 ans, un appareil APS avec en partie une fonction très classique d'archivage de choses vécues, mais aussi de petites expériences comme des photos de projections de diapositives, des natures mortes et des recherches pour des pochettes de démos ou de disques. J'ai collectionné des choses pendant dix ans, des centaines de photos. J'ai acheté un appareil numérique en 2006 et lorsque je me suis installé dans la cabane en 2007, je n'avais pas d'espace de stockage et pas du tout envie d'avoir toutes ces photos argentiques sous les yeux.
J'ai tout mis dans une malle plastifiée que je croyais parfaitement hermétique et je l'ai enterré dans la forêt. Dix ans plus tard j'ai voulu récupérer ces photos, on est allé déterrer la malle avec ma fille, des racines s'étaient introduites en forçant le couvercle, toutes les photos étaient détrempées, décomposées, baignant dans leur jus, c'était à la fois drôle et lamentable. On a tout extrait soigneusement et fait sécher les photos au soleil, découvrant au fur et à mesure des images parfois devenues totalement abstraites, évoquant des peintures, mais aussi des altérations plus légères laissant entrevoir les formes et les visages. J'ai, ces dernières années, utilisé certaines de ces photos pour des pochettes de disques (Sans Chemin, Machination, le livret de la réédition de Fresques sur les parois secrètes du crâne).
Le cinéaste expérimental canadien Charles André Coderre s'est aussi servi de cette matière pour un film court utilisant des fragments de composition de mon disque Sans Chemin. Il y a donc une grosse collection de photos qui fait corps, mais c'est accidentel. Le conditionnement de ces photos et leur altération ont créé un lien, une unité, dans toute cette matière hétéroclite. C'est une œuvre qui s'est faite toute seule en quelque sorte et c'est en ça que je ne suis pas artiste visuel, en dehors de cette cohésion involontaire mon "travail" n'a pas de corps, pas de consistance… Je prends toujours des photos, mais  sans direction, sans vision. Il y a des petites apparitions parfois, mais ça n'a rien d'un travail artistique. Il y a bien sûr des correspondances entre les mots, images et sons choisis dans mes travaux, une concordance mais je ne me sens légitime, et encore, que dans le travail du son."
http://www.muraillesmusic.com/artistes/locellemare/
https://ocellemare.bandcamp.com/
https://thomasbonvalet.wordpress.com/
Entretien réalisé par mail en septembre 2023.
Merci à Florian Caschera pour sa relecture et ses commentaires.
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