Tumgik
#route cf + divergente canon
lilias42 · 4 months
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Acte 6 et épilogue : "Tout ce que je veux, c'est te revoir..."
ET C'EST FINI ! Déesse, j'en voyais plus le bout mais, c'est bon, les dernières péripéties ont eu lieu ! Honnêtement, j'avais pas prévu que ça fasse 659 pages en taille 14 ! ça devait juste faire deux actes max comme ma version d'AM... et le déroulé a tellement changé de ce que ça devait être de base... y a de quoi en faire un billet entier... mais bon, on ne se refait pas...
C'est donc le dernier acte de cette histoire : on reprend juste après la révolution qui a eu à Fhirdiad et on explore les conséquences des actes de tout le monde en refermant les arcs de tout le monde.
Juste une petite précision avant de commencer : Arundel a un rôle dans cette partie, même s'il est absent des autres parties car, je voudrais pouvoir raccrocher ma partie pré-Duscur de CF (oui, je n'ai toujours pas oublié cette histoire) avec cette version du post-Duscur pour en faire une histoire pouvant se lire indépendamment du jeu, afin de pouvoir la faire lire à des proches qui n'y ont pas joué. Si vous avez des questions sur le pourquoi du comment d'Arundel, n'hésitez pas à demander en cas de besoin.
Et aussi, les avertissements habituels : fans de Rufus fuyez, et fans de Lambert, fuyez encore plus (surtout vu comment il tourne ici). Fans de Gustave... il est tellement transparent que pourquoi pas même si bon, si vous arrivez avec l'acte 6 et que vous voulez lire les parties précédentes, ça ne va pas vous faire plaisir...
(suite sous la coupe)
Rodrigue et Alix passaient un peu de temps après leur journée de travail avec Félix, l’aidant à fabriquer ses bracelets. D’après Pierrick, ils pourraient bientôt retourner travailler normalement, même s’ils devraient toujours faire attention à ne pas s’épuiser, étant plus sensible à la fatigue à présent. Rodrigue pourrait même bientôt reprendre la magie à son ancien niveau, même si là aussi, il y aurait une période où ils devraient s’assurer que la transformation ne reviendrait pas avec son entrainement, même partiellement. Enfin, ils étaient sur la bonne voie, c’était le principal… au moins pour ça… politiquement par contre, c’était une autre histoire… ils n’avaient toujours pas annoncé officiellement leur retour à part à leur allié mais, ce n’était qu’une question de temps avant que Lambert, Rufus et Gustave ne l’apprennent par les rumeurs et n’agissent en conséquence pour les faire rentrer dans le rang…
Ils étaient en train de graver une des plaques quand ils entendirent du bruit monté depuis la ville, vite suivi par un domestique qui entra en trombe en hurlant, tout excité.
« Vos Grâces ! Venez vite ! On a des nouvelles de Fhirdiad ! Il n’y a plus de roi ! Lambert a été renversé par la capitale et les nôtres !
– Attendez, quoi ? S’étonnèrent les jumeaux. Est-ce que vous avez des nouvelles d’Estelle et Bernard ainsi que de nos autres hommes là-bas ? Ce sont eux qui ont envoyé ces nouvelles ?
– Venez vite ! Le messager est en ville ! Il a aussi des lettres pour vous de tout le monde !
Échangeant un regard, les jumeaux se levèrent pour le suivre, vite suivit de Félix, voulant tous en savoir plus, même s’ils se cachèrent sous une cape pour qu’on ne les reconnaisse pas, au moins pas les messagers… Trois jeunes gens attiraient toute l’attention sur la place, racontant ce qui s’était passé, du début de la révolte avec la prise du marché noir, la perte du peu de respect que les fhirdiadais avaient encore en leur seigneur, puis le début de la bataille entre les murailles de la capitale quand l’expédition punitive contre Gautier mené par Isidore et Miklan avait tourné à la mutinerie, les deux meneurs ayant même été tués par leurs propres soldats, ainsi que le rôle central d’un certain Ludovic Hange dans la chute des Blaiddyd.
« Vu le nom, c’était limite le destin choisi par la Déesse pour lui ! » S’était exclamé un des messagers.
Ils finirent en expliquant comment s’était organisé la ville et les priorités pour les révoltés, à savoir au moins assurer la survie de tous sans que le Royaume ne se délite trop à cause d’ambitieux.
« Nous avons des lettres diplomatiques à remettre à l’intendante du duché de Fraldarius qui le dirige en l’absence de ses ducs, ainsi qu’une invitation à Fhirdiad pour les ducs jumeaux une fois qu’ils auront été retrouvés. Les chefs du gouvernement voudraient les rencontrer afin de reprendre des relations diplomatiques saines entre nos deux territoires. Voici les documents officiels, » ajouta une seconde en leur montrant des lettres scellées avec un sceau représentant un mouton et une étoile, les symboles de la ville, mais aussi imprégné de l’odeur de leur oncle Ludovic, comme si c’était lui qui les avait écrites, gardant son parfum incrusté dans l’encre et le papier malgré que ce soit impossible… même si… si Alix ne se trompait pas… et aux vues des derniers évènements… ce ne serait pas le plus étrange au final…
Étant elle aussi descendue, Loréa émergea de la foule et prit les lettres en déclarant, jetant juste un regard aux jumeaux pour se mettre d’accord.
« Bien, je les confierais personnellement à nos ducs dès qu’ils seront de nouveau parmi nous. En attendant, je me chargerais personnellement des relations avec Fhirdiad et le nouveau gouvernement.
– Nous vous en remercions, et nous espérons de tout cœur que les loups de cendre reviendront vite auprès de vous et de leur enfant. Nous avons tous besoin d’une protection divine à l’heure actuelle, et nul doute que cela est un signe de la Déesse qu’elle les ait transformés en ses protecteurs. Enfin, maintenant que Lambert n’est plus roi, nous devrions peut-être retrouvé ses faveurs en même temps que celle du Flutiste des Glaces. »
En entendant ceci, les jumeaux réfléchirent un peu plus à cette histoire… Rodrigue et Alix devaient avouer que ces rumeurs de loups de cendre étaient bien le cadet de leurs soucis quand ils avaient retrouvé forme humaine, cherchant plus à comprendre ce qui leur était arrivé et essayant de ne pas rechuter, mais sans les ignorer non plus. Après tout, ils correspondaient à la description de ses créatures mythiques : d’immenses loups noirs ou gris aux yeux bleus et humains, assez grand pour être monter par la Déesse. Même Loréa les avait pris pour ça en les voyant malgré son esprit très terre à terre, d’autres devaient le croire encore plus facilement, surtout vu comment ils s’étaient transformés… Rodrigue était loin d’être le seul magicien à avoir un tel surplus de magie dans son corps tout en étant au proie au désespoir mais, ils ne s’étaient pas tous transformé… d’après Sylvain et Fregn dans les quelques missives diplomatiques qu’ils avaient pu échangé avec eux, ce serait le signe qu’il serait des berserkir selon les croyances srengs… les guerriers d’Odin combattant à ses côtés lors du Ragnarök, ne se révélant que dans le désespoir de la bataille afin d’accomplir leur objectif et survivre… alors si en plus, le Flutiste des Glaces rejetait Lambert, il serait facile de recoller les morceaux de cette histoire pour en faire une intervention divine…
Enfin, s’ils les tournaient correctement, ces rumeurs pourraient jouer en leur faveur… au moins pour enfin pouvoir vivre en paix loin de cet homme… Loréa fit le nécessaire pour que les trois messagers puissent se reposer avant de reprendre la route avec leurs réponses, puis les rejoignit une fois qu’ils furent de retour dans leur forteresse.
Sur le chemin de leur forteresse, alors que toutes les informations qu’il venait d’apprendre infusaient doucement dans son esprit, Rodrigue eut du mal à y croire, se croyant être en train de rêver… Lambert n’était plus roi… il n’était plus roi… il n’avait plus le pouvoir… plus le pouvoir de les forcer à faire quoi que ce soit… plus le pouvoir de tous les mettre en danger… plus le pouvoir de faire le mal autour de lui à cause de son inconscience… plus le pouvoir de faire du mal à sa famille…
Plus aucun pouvoir…
Aucun…
Il sentit Félix lui serrer la main alors qu’ils rentraient à l’intérieur, soufflant en le regardant.
« Il ne te fera plus de mal. À plus personne et surtout pas à toi et à Alix.
– Oui… répondit-il en passant sa main dans ses cheveux, retrouvant pied à ses mots. Il ne nous fera plus jamais de mal.
Les jumeaux prirent alors les lettres officielles destinés à tout le duché, les lisant attentivement pour bien comprendre comment fonctionnait Fhirdiad et quels étaient les objectifs des révoltés, surtout en voyant qu’Estelle et Bernard faisaient partie de leurs chefs, même si les connaissant, cela ne les étonnait guère. Ils n’allaient pas rester les bras croisés vu tout ce qu’osait faire Lambert et Rufus, surtout que les résistants avaient surement bien eu besoin de leurs compétences au combat…
« Ils parlent d’un système d’élection pour désigner le prochain roi… ils ont l’air déterminés à rompre avec l’ancienne manière de faire, histoire de ne pas avoir un autre Clovis ou un autre Lambert… déclara Loréa en parcourant les lettres.
– Ils ont peut-être enfin retrouver le testament de Ludovic… ça ressemble à ce qu’il voulait mettre en place… commenta Alix.
– Mais il va arriver quoi à Dimitri ? Demanda Félix, resté avec eux pour savoir ce qui se passait.
– Visiblement, il resterait l’héritier de Lambert mais, en tant que seigneur ordinaire sur le domaine royal, pas au titre de roi, lui expliqua son père, et sa garde reviendrait aux Charon.
– C’est le plus logique faut dire, ajouta Alix. C’est sa famille la plus proche, vu qu’à part Rufus et les descendants des bâtards de Clovis, il n’a pas d’autres tantes, oncles ou cousins du côté de son père. Et il est hors de question de confier un gosse aussi mal en point que lui à Rufus, encore plus après tout ce qu’il a fait.
– Oui, les Charon sauront prendre soin de lui, comme Héléna l’aurait voulu, assura l’ainé des jumeaux en espérant que Félix comprendrait.
Le jeune garçon réfléchit un peu avant de dire sans hésiter, sûr de lui :
– Eux au moins, ils ne l’enverront pas à la mort comme Lambert, et Cassandra peut le protéger. En plus, ils traitent bien Dedue et Sasiama, ça ira.
– J’en suis sûr… En tout cas, les dispositions autour de lui ressemblent vraiment aux travaux de Ludovic, c’est aussi ce qu’il avait prévu pour Lambert, même s’il voulait imposer plusieurs conseillers et fonctions indépendantes du roi pour mieux le contrôler.
– Qui sait ? Si ma truffe ne s’est pas trompée, c’est peut-être lui qui leur en a parlé directement… proposa le cadet.
– Qui sait… » souffla Rodrigue en prenant les lettres qui leur étaient spécifiquement destinés, sentant autant qu’Alix l’odeur de Ludovic imprégné à l’intérieur… une odeur très fraiche comme la neige en montagne, taché de maladie mais, cette dernière n’arrivait à ne jamais à prendre le dessus sur l’odeur neutre et fraiche…
En l’ouvrant, même si l’auteur prétendait s’appeler Ludovic Hange, la présence de leur oncle suintait à chaque lettre… l’écriture, la manière de s’exprimer, les mots choisis, la manière dont il argumentait, tentant de les convaincre de venir à Fhirdiad même s’il comprendrait aussi si les jumeaux ne voulaient plus s’en approcher, au moins pour assurer les bonnes relations entre eux… seul leur Oncle Ludovic avait pu l’écrire… personne ne pouvait se ressembler autant… Rodrigue et Alix étaient bien placés pour le savoir…
« C’est… c’est vraiment Ludovic… notre Oncle Ludovic… balbutia l’ainé, y croyant à peine malgré tout. Mais… mais comment… est-ce que ces sorciers étranges y seraient pour quelque chose ?
– Ce ne serait pas impossible… après tout, quand il a autopsié les mages qui vont ont attaqué, Pierrick trouvait leurs corps étranges, et leur chef semblait ronger par la magie noire. Qui peut savoir quel sacrilège ils ont pu commettre ? Au moins, on peut espérer que les révolutionnaires les ont également éliminés en même temps qu’ils renversaient Lambert… ils vous proposent également de venir à Fhirdiad, au moins pour récupérer officiellement vos troupes… elle les regarda, l’expression neutre et sans jugement, ouverte à tout ce qu’ils diraient. Que pensez-vous faire ?
Les jumeaux hésitèrent, ne sachant que dire… d’un côté, se rendre à Fhirdiad pouvait leur permettre d’enfin retrouver leurs troupes, ainsi que de se faire bien voir par les révolutionnaires tout en balayant tout soupçon de loyauté à la couronne… malgré les mots de Rodrigue pour Félix, Dimitri était de nouveau dans une position extrêmement délicate, cela le ferait sans doute énormément souffrir de voir son père traité ainsi. De plus, les généraux et seigneurs encore fidèles aux Blaiddyd en feraient sans doute le porte-étendard dans leur lutte contre les révolutionnaires, leur roi par défaut en attendant de « libérer » Lambert des griffes de Fhirdiad, et ils n’hésiteraient surement pas à l’arracher aux Charon.
Cependant, d’un autre côté, ces derniers ne laisseraient personne toucher au moindre cheveu d’un des leurs. La forteresse de Lokris était très facile à défendre même avec peu d’homme grâce aux montagnes l’entourant, et les citoyens charonis restaient soudés autour de la famille comtale…
– Après tout ce qui s’est passé, il est certain que les Charon ne soutiendront pas Lambert et vont plutôt soutenir les révolutionnaires s’ils ne les menacent pas. De plus, les seigneurs qui se sont montrés les plus loyaux à part les Dominic et nos familles depuis la Tragédie, ce sont ceux du sud qui agissaient surtout par opportunisme pour récupérer le plus d’influence, de pouvoir et de terres duscuriennes possible après la guerre qu’ils espéraient. S’ils n’ont plus rien à gagner à soutenir la famille royale, ils vont très vite retourner leur veste, comme ils l’ont fait quand ils ont commencé à servir Lambert lors de ce voyage. Ce ne sont des alliés fiables pour personne mais, cela les rend plus faibles étant donné que leurs objectifs changent sans arrêt sans être clair, analysa Rodrigue.
– En plus, même si on ne veut pas personnellement retourner à Fhirdiad, cela reste tout de même une ville de première importance, nous devons composer avec, ajouta Alix. Il faut qu’on ramène nos troupes et qu’on fasse en sorte que les révolutionnaires ne nous voient pas comme des ennemis pour qu’ils nous laissent tranquilles. La chute de Lambert va surement changer tous les rapports de force dans le Royaume, il faut que nous arrivions à conserver une bonne position pour mettre notre famille et notre fief à l’abri du besoin et des griffes de pouvoirs extérieurs. On devrait pouvoir jouer sur le fait qu’on a suffisamment de vivre à présent dans notre fief alors, nous pouvons en laisser une partie à Fhirdiad, ce qui nous ferait bien voir des révolutionnaires…
– Et Lambert n’est plus roi… il ne nous fera plus de mal… plus jamais… cela n’arrivera plus… souffla l’ainé, essayant de garder pied sans penser à la dernière fois qu’il avait vu son ancien ami, sa paume allant de nouveau se poser sur son cou malgré lui.
– Alors, tu vas y aller papa ? Tu es sûr ? Le questionna Félix en serrant sa main dans les siennes.
– Oui… il le faut pour continuer à assurer la place de Fraldarius dans le Royaume, et s’assurer de ne pas faire de Fhirdiad notre ennemie. Même si nous aurions les capacités de contrer des attaques, surtout après tout ce qu’il y a dû se passer en ville, des fraldariens ont eu un grand rôle dans la chute de Lambert, comme Estelle et Bernard alors, nous devrions plutôt être dans leurs bonnes grâces. Cependant… » il se baissa à la hauteur de Félix, le regardant dans les yeux en posant la main sur ses épaules alors qu’il lui interdisait, « tu ne dois pas venir avec nous, c’est beaucoup trop dangereux. La ville est encore instable. Même si Estelle et Bernard font partie des chefs de l’émeute et que selon nous, ce Ludovic Hange pourrait être le Ludovic que nous avons connu, on ne sait pas si les révolutionnaires ne vont pas tout de même se méfier de nous à cause des liens entre notre famille et les Blaiddyd, et on ne sait pas si ces mages étranges n’y rodent pas encore. C’est beaucoup trop dangereux pour que tu y ailles, même si nous sommes avec toi. Il est plus sage que tu restes ici avec Loréa et Cassandra, tu y seras en sécurité. Tu comprends Félix ?
Le jeune garçon fit la moue, hésitant un peu avant d’hocher la tête. Ce n’était clairement pas de gaieté de cœur, Félix aurait préféré que les jumeaux restent ici en sécurité mais, ils avaient également des devoirs et faisaient toujours tout pour le bien de leur fief… même s’il ne voulait pas s’éloigner à nouveau d’eux… il voulait que son père reste avec lui et son oncle aussi… qu’ils restent tous en paix à Egua sous la protection de Fraldarius…
« Grand-père nous a toujours protégés ici… il nous protégera toujours… ne partez pas encore aussi loin… »
Il se retient de supplier encore Rodrigue et Alix de rester… faire des caprices n’avait provoqué que des catastrophes et mettre encore plus sa famille en danger… mais…
– Si vous partez… finit-il par craquer, serrant les poings, les posant contre la poitrine de son père en le suppliant finalement à nouveau, ne pouvant s’en empêcher, la peur lui rongeant le cœur comme la sécheresse détruisant tout autour d’elle. Vous reviendrez tous les deux, c’est promis ? Tu ne pars pas si tu ne reviens pas… t’as pas le droit de partir si tu sais que tu ne reviendras pas… Alix aussi… insista-t-il en donnant un petit coup, comme pour ancrer la promesse entre eux. Vous reviendrez tous les deux et on ira au lac, d’accord ?
– Oui Félix… Rodrigue embrassa le front de son fils, jurant de tenir parole cette fois tout en priant la Déesse pour qu’elle les entende enfin, sentant un peu de sa magie s’échapper de lui pour entourer son fils comme une couverture protectrice. Nous reviendrons, c’est promis. »
Les fraldariens envoyèrent donc une première réponse savamment rédigée afin de faire patienter les révolutionnaires et se donner plus de temps, même si le procès de Lambert et Rufus auraient déjà eu lieu quand ils arriveraient à Fhirdiad, puis une seconde annonçant leur retour en tant que duc de Fraldarius, quelques jours avant que les préparatifs de leurs voyages soient terminés, anticipant chaque possibilité qui pourrait les menacer. Ils se coordonnèrent aussi avec les Charon afin d’arriver ensemble, leur donnant plus de poids face à une potentielle hostilité sous couvert de réaffirmer la bonne entente entre leurs familles. Même s’ils espéraient de tous leurs cœurs que cette rencontre se passe bien, ils refusaient de commettre les mêmes erreurs que cet homme… hors de question de mettre en danger qui que ce soit…
Avant de partir et malgré leur appréhension, Rodrigue et Alix emmenèrent leur fourrure avec eux, se souvenant des messagers quand ils avaient parlé des « loups de cendre »… ils avaient peur, craignaient ce qui pourrait arriver s’ils revêtaient cette fourrure alors qu’ils étaient de nouveau à Fhirdiad, là où tout avait commencé et où ils avaient tant souffert… mais ils ne pouvaient pas non plus se passer du moindre atout à leur disposition… l’enjeu était bien trop important…
Rodrigue et Alix embrassèrent Félix, le confiant au bon soin de Loréa et la protection de Cassandra, lui jurant encore de revenir… le petit garçon s’accrocha aux épaules de son père, se revoyant quelques semaines auparavant à Fhirdiad, hésitant à lâcher son père malgré la colère, remplacé par l’inquiétude et la peur…
« Ne pars pas… reste avec moi… ne va pas là-bas… »
Comme s’il lisait dans ses pensées, Rodrigue posa à nouveau ses mains sur les épaules de son fils, lui répétant encore, éclairé par la douce lumière d’Aegis accroché à sa selle semblant veiller sur eux.
« On reviendra vite, c’est promis…
– …d’accord… tu m’écriras ?
– Bien sûr, à chaque étape… il l’embrassa son front en soufflant, sentant de nouveau sa magie aller entourer son fils, comme à chaque fois qu’il le quittait depuis qu’ils avaient décidé de partir pour Fhirdiad. Je t’aime mon louveteau…
– Moi aussi papa… »
Après une dernière étreinte, Félix accepta de lâcher son père, le laissant partir en lui faisant un dernier signe de man, restant auprès de Loréa et Cassandra.
Quand ils disparurent au loin, le petit garçon serra le sachet rempli de perle et de breloque… avec tous les préparatifs pour le voyage à Fhirdiad, ils n’avaient pas fini de faire leurs chapelets…
« On les finira un jour tous ensemble… souffla-t-il, chassant de toutes ses forces ses souvenirs de la dernière fois qu’il avait vu quelqu’un partir ainsi au loin. Ils reviendront eux… ils ne mentiront pas ?
– Non… Loréa se baissa à sa hauteur et posa son front contre le sien. Ils ont pris bien plus de précaution, nous avons fait très attention quand nous avons écrit aux révolutionnaires. Ils ne semblent pas nous considérer comme des ennemis, et nous avons des alliés de confiance parmi eux avec Estelle et Bernard. Ils vont également retrouvé les Charon avant d’entrer sur le domaine royal, nos deux armées savent se coordonner pour contrer des attaques et embuscades en terrain connu.
– En plus, ils se sont préparés à pouvoir tenir contre une embuscade et savent par où se replier si cela tourne mal pour eux. C’est votre fief et le domaine royal, les jumeaux le connaissent parfaitement et savent par où ne pas passer, renchérit Cassandra. Vos vassaux dans cette partie de votre fief doivent tout à Guillaume, Aliénor et aux jumeaux pour la plupart, et les intendants du domaine royal ont sans doute d’autres problèmes en ce moment que s’en rajouter en attaquant un convoi bien protégé au hasard. » Elle ébouriffa ses cheveux en ajoutant. « Ça devrait aller pour eux. Ce n’est pas comme Duscur.
– J’espère… »
Il tourna la tête vers le lac, voyant l’immense étendu bleu uni et calme, demandant encore à son grand-père de veiller sur son père et son oncle pendant ce voyage.
*
Au bout de quelques jours de voyage, et après avoir retrouvé les Charon au leur lieu de rendez-vous prévu, Fhirdiad fut déjà en vue. Ils y seraient sans doute dès demain dans la matinée. Déjà… Rodrigue avait l’impression que le voyage avait duré à la fois une éternité et une seconde, chaque minute se gravant de plus en plus dans son cœur et son âme… chaque pas, chaque tour de roue les rapprochait de la capitale, du palais, de cet homme… du collier et des laisses qui avaient failli les étrangler… de la muselière qui avait menacé son frère… rien que d’y penser lui donnait l’impression de suffoquer, d’avoir les poumons et les membres tellement gelés qu’il en étouffait sous la douleur des brûlures, rêvant juste de faire demi-tour et de rentrer à la maison, l’eau du lac chassant le gel et la glace tentant de les emprisonner dans ses carcans… mais le duc ne pouvait pas faire marche arrière… l’enjeu était bien trop important…
« Rodrigue ! »
Les poils sur sa nuque se hérissèrent d’un coup, sentant presque la présence de cet homme derrière lui, remonter doucement son échine comme un serpent pour s’enrouler autour de sa gorge, devenant à nouveau un collier et une laisse, tirant sur celui qui entourait à présent son cou, étouffant ses cris de protestation en le muselant de ses deux mains glaciales… lui répétant encore et encore de rester auprès de lui malgré tout… malgré toutes les horreurs qu’il avait fait… qu’ils avaient tous fait… Déesse, depuis quand juste penser à cet homme lui faisait aussi peur ? Depuis quand il n’arrivait même plus à dire son nom ?
Contre son meilleur jugement, Rodrigue sauta presque sur ses affaires, les défit comme un possédé, éparpillant tout autour de lui sans faire attention, cherchant désespérément sa peau de loup. Soupirant de soulagement en la retrouvant enfin, il se réfugia à nouveau à l’intérieur, se drapant tout entier sous la toison de nuit… malgré toute son appréhension et sa crainte de la transformation, l’étreinte chaleureuse de la fourrure lui semblait moins glaçante que rester ainsi, à la merci du gel de la peur de Fhirdiad… de cet homme… comment pouvait-il seulement imaginer lui faire potentiellement face à Fhirdiad si seulement penser à lui l’angoissait à ce point ? Le faisait se réfugier dans sa fourrure de loup comme un enfant dans la cape de ses parents ? Cela n’avait aucun sens… mais le duc ne pouvait plus reculer à présent, et il refusait de laisser Alix seul face à lui… hors de question de le laisser affronter leurs bourreaux à tous tout seul…
« Je vais de nouveau le contaminer avec mes émotions en plus si je continue…
– Ce n’est pas grave… moi aussi, je te contamine quand je m’énerve contre lui alors, on peut inverser les rôles de temps en temps…
Rodrigue sentit alors le contact de son frère, épaule contre épaule de loin, ce dernier le laissant se calmer dans un coin de son esprit, reprenant pied petit à petit avec son aide… évidemment, il l’avait senti mais en même temps, c’était rassurant… ils étaient toujours l’un à côté de l’autre d’une certaine façon…
Soufflant un peu, l’homme laissa sa tête sortir de sa cachette, se focalisant seulement sur la chaleur de l’étreinte et celle de son frère… cette fois, il n’était pas seul, son frère était là, les sœurs Charon aussi, et Lambert n’était plus roi… Rufus n’avait plus aucun pouvoir et les révolutionnaires avaient écarté Gustave… aucun d’entre eux ne pourrait plus leur faire du mal…
« La meute est forte ensemble… »
Il s’accrocha à cette pensée en passant ses doigts sur sa fourrure, trouvant du courage et du réconfort à l’intérieur, priant encore pour retrouver son petit le plus vite possible, voulant juste le revoir. Malgré la transformation et tout ce que lui rappelait cette fourrure, elle restait rassurante… elle lui rappelait sa maison… de vieux souvenirs, l’oubli fondant sous la douce caresse de la toison abondante… sans s’en rendre compte, il se remit à chanter, pour la première fois alors que Félix n’était pas là… juste pour lui, les notes l’enveloppant dans une étreinte aussi rassurante que sa fourrure…
« Je pars ce matin avec les chants des laudes,
Mes pieds vont d’un côté,
Mais mon cœur reste figé
Il reste ici dans vos petites mains chaudes
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je pars à reculons, je pars sans jamais vous oublier
Je pars en ce jour en pensant toujours à vous,
À chaque pas sur ce long chemin, je l’avoue,
Je vous voie derrière moi et souhaite m’en retourner.
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je vous promets de revenir un soir,
Je reviendrais à vous un jour,
Cette promesse de velours
Je ne la laisserais jamais choir,
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Et quand nous nous serons retrouvés
Ce sera pour ne plus jamais se lâcher. »
« Papa… se rappela-t-il malgré le temps ayant érodé ses souvenirs, sentant la présence de ses parents à ses côtés. Oui… toi aussi, tu étais un loup… comme maman… Peut-être que cette fourrure n’est pas qu’une échappatoire finalement, mais aussi un message destiné à nous rappeler qui est notre famille… »
Le lendemain, après avoir encore juré avec Alix de ne pas se séparer, ils entrèrent dans Fhirdiad, drapé de leur sarcelle et de blanc, leur peau de loup drapant fièrement leurs épaules. Non pas comme un rappel de leur détresse et de désespoir, mais comme symbole des Fraldarius, la famille du loup.
Dès qu’ils apparurent, le silence s’installa dans la rue, la foule se rassemblant autour d’eux, essayant de les voir comme une relique lors des processions, plusieurs levant la main vers eux, comme pour tenter de les toucher sans oser… tout semblait si calme, comme dans une église, avant que des murmures ne commencent à s’élever, bas et discret.
« Regardez… les Charon et… et est-ce possible ? »
« Ce sont eux… »
« Les ducs de Fraldarius… »
« Ce sont vraiment eux ? »
« Ils ne sont plus des loups de cendres ? »
« Si ! Regarde ! Sur leurs épaules ! »
« Une fourrure de loup noir géant ! »
« Et ces yeux… je les ai vus quand les loups ont abandonné Fhirdiad pour punir Lambert… c’était exactement les mêmes que les leurs… »
« Des loups noirs aux yeux humains bleus… c’était bien des loups de cendre… »
« En plus, ils ont des emblèmes tous les deux… »
« Et Rodrigue a donné naissance au premier emblème majeur de Fraldarius depuis des siècles… »
« Ils nous ont aussi toujours protégés… toujours… »
« C’est eux qui ont toujours tout fait pour ramener le roi dans le droit chemin avec les Charon… »
« Contrairement au tyran… »
« Alors que le roi se perdait dans ce qu’il voulait en nous oubliant… »
« Et c’est quand ils sont partis que les choses ont vraiment commencé à aller de mal en pis… »
« C’est aussi quand les Charon ont quitté le service de Lambert que nous avons eu assez de force pour le renverser… »
« Les Charon aussi sont protégés par la Déesse… leur emblème reste toujours majeur malgré le temps qui passe contrairement aux autres… »
« C’est comme si la Déesse nous avait vraiment abandonnés quand ils sont tous partis… »
« Pendant que les jumeaux recevaient sa bénédiction en étant ses loups de cendre… »
« C’est eux que la Déesse a choisi, pas Lambert, c’est sûr ! »
« C’est eux qui devraient être à sa place ! Par leurs compétences et de droit divin ! La Déesse a clairement choisi ses favoris ! »
« Les srengs ont raisons ! Mieux vaut des rois clairvoyants plutôt que des rois sans yeux ! Même s’ils ne sont pas de la famille royale ! »
« Oui ! Le mauvais roi Lambert est déchu ! Longue vie aux rois Rodrigue et Alix ! Longue vie aux rois jumeaux protégés par la Déesse ! »
« Le roi sans yeux est déchu ! Longue vie aux rois clairvoyants ! »
« Longue vie aux rois élus par la Déesse ! »
« Longue vie aux rois loups de cendres ! »
« Longue vie aux rois ! »
Les jumeaux y crurent à peine quand toute la capitale reprit ces mots, se répandant comme un écho tout autour d’eux, hurler en cœur par tous les fhirdiadais, les acclamant rois sans hésité une seule seconde. Ils s’étaient attendus à tout, sauf à ça ! Qu’ils leur fassent confiance à cause de leur attitude quand ils géraient la crise, les respectent énormément à cause de la rumeur qu’ils soient des loups de cendre… mais pas au point de les acclamer roi seulement en les voyant !
Malgré leur étonnement, ils se reprirent vite, ne laissèrent rien paraitre et gardèrent la tête haute, fiers et confiants, regardant droit devant eux sans faillir. Même si n’était qu’une acclamation, cela aurait forcément un poids dans les futures négociations avec les chefs révolutionnaires. Ces derniers ne pourraient pas ignorer l’opinion populaire, ni risquer de se mettre une partie des fhirdiadais en traitant mal des personnes vues comme étant des « élus de la Déesse »… c’était étonnant mais, cela les avantageait aussi, autant en tirer profit un maximum…
Estelle et Bernard vinrent finalement à leur rencontre, entourés de tous leurs hommes restés à Fhirdiad ainsi que ceux des Charon. Plusieurs d’entre eux manquaient à l’appel… devinant facilement la cause de cette absence, les jumeaux se jurèrent de leur donner une tombe digne d’eux, digne des personnes ayant eu le courage d’affronter les tyrans pour le bien du Royaume.
« Bonjour à vous Vôtres Grâces ! Les salua la première Estelle, levant la main dans un geste amicale.
– Bonjour à vous Dame Duchesne, lui répondirent à leur tour les jumeaux, s’adressant à elle comme à un égal.
– Nous sommes heureux de vous revoir sain et sauf après toutes ses épreuves, malgré le fait que certains d’entre vous ne soient plus là, déclara Rodrigue en posant sa main sur son cœur. Le Royaume pleura également longuement la mort de ceux qui ont tout fait pour le protéger.
– Ils ont vaillamment combattu les tyrans des Blaiddyd à chaque instant, chaque bataille. Nous sommes fiers d’avoir eu de tels camarades, même si leur perte est une tragédie qui n’aurait jamais dû avoir lieu, confirma-t-elle. Tel était le prix à payer pour faire chuter les tyrans responsables de tous nos malheurs, même s’il restera toujours bien trop élevé. Même sans être chevalier pour la plupart, ils ont vécu comme tel et bien plus dignement que nombre de personnes portant ce titre.
– Nous sommes aussi heureux de vous revoir… ajouta Bernard sur un moins formel, ne cachant rien de sa joie de les voir à nouveau humain. La Déesse soit louée, vous êtes de nouveau parmi nous et humain… la Déesse soit louée…
Descendant de son cheval, l’homme alla vers eux, tendant sa main vers eux. En réponse, Rodrigue et Alix descendirent de leurs montures à leur tour pour le serrer contre eux, juste heureux de le voir en vie… de tant en voir en vie malgré toutes ses épreuves… qu’autant soit encore vivant malgré les terribles combats qu’ils avaient dû mener… cela tenait du miracle… la Déesse et les Braves soient loués pour leur clémence… tous leurs fidèles vinrent les saluer à leur tour, l’ambiance devenant plus conviviale que formelle entre eux.
– Nous sommes venus pour demander au gouvernement révolutionnaire de nous laisser vous ramener chez nous, à Fraldarius, déclara Rodrigue après leurs retrouvailles. Ceux qui le souhaitent pourront rester à Fhirdiad, bien entendu mais, nous aimerions pouvoir vous ramener à vos familles, surtout maintenant que nous avons assez de vivre pour nourrir tout le fief jusqu’à la prochaine récolte.
– A écoutez tout Fhirdiad, ils n’ont pas l’air de vouloir que vous partiez, leur fit remarquer Estelle.
– Nous entendons bien, et cela serait un honneur mais, il s’agit d’une décision majeure pour l’avenir de Faerghus, lui rappela Alix. Elle ne doit surtout pas être prise dans la précipitation, et il faut également prendre garde à ce qu’elle soit acceptée par tout le Royaume. Mieux vaut éviter les conclusions hâtives, surtout en des temps aussi incertains.
– Ce sera toujours mieux que Lambert, lui fit remarquer Bernard. D’ailleurs, on est loin d’être les seuls à le penser. On doit vous montrer des parchemins qui vont beaucoup vous intéresser, et vous présentez quelqu’un… même si vous le connaissez déjà…
Devinant déjà de qui le second d’Estelle parlait, les jumeaux acceptèrent de les suivre avec les Charon, remontant sur leurs montures alors que la foule réclamait encore de les voir, criant en chœur leur désir qu’ils soient les nouveaux rois, que les loups de cendres et les bons ducs soient leurs rois… prudemment, les jumeaux se baissèrent, prenant quelques mains qu’on leur tendait tout en faisant attention qu’aucun ne cache une lame.
Les chefs révolutionnaires les attendaient devant les portes du palais, repeintes aux couleurs de la ville. Certains se signèrent en les voyant, d’autres les saluèrent poliment. Les jumeaux en reconnurent la plupart, mais leur regard ne put se détacher du jeune homme trônant au milieu d’eux.
Ludovic…
Ludovic était là, tenant Areadbhar entre ses mains, même si elle était recouverte d’une protection de tissu, comme en période de paix ou de régence, quand le roi ne devait ou ne pouvait pas la manier. Malgré tout, tous leurs doutes, l’impossibilité d’un tel miracle, ils surent en voyant son regard si particulier, ses yeux vairons semblant voir à travers les êtres et l’horizon, voir le futur qu’il désirait tant offrir à Faerghus et écartant d’une œillade sévère toute personne menaçant son peuple… ça ne pouvait qu’être que lui…
« Veuillez recevoir nos sincères salutations chefs de Fhirdiad, commencèrent-ils poliment. Nous sommes venus ici pour discuter des liens entre nos deux territoires, ainsi que pour escorter nos hommes jusqu’à leurs familles. Nous prions pour que nous puissions nous entendre.
– Salutations à vous ducs de Fraldarius, commença une femme qu’ils reconnurent comme la cheffe de la guilde des lainiers de la ville. Nous sommes honorés que vous ayez accepté notre invitation, et espérons autant que vous que ces discussions se passeront bien. La ville semble déjà vous avoir accepté dans tous les cas, souligna-t-elle.
– Nous n’avons que pour but de servir notre peuple et celui de tout Faerghus, déclarèrent les jumeaux avec prudence, n’infirmant et ne confirmant rien.
– Nous voyons cela… déclara Ludovic, avant de s’avancer vers eux, son tout petit sourire aux lèvres, si discret qu’il se voyait à peine. Je suis heureux de vous voir en bonne santé louveteaux.
*
Les Fraldarius et les Charon commencèrent par écouter le récit de la révolution, puis se mirent à négocier les modalités des nouvelles relations entre leur fief et le domaine royal. Une des premières choses que firent les jumeaux furent de se débarrasser d’une grande partie du Kyphonis Corpus, utilisant comme argument la fin de l’hégémonie des Blaiddyd sur le Royaume. Cet ensemble de privilèges était très avantageux mais, les enchainaient également à la famille royale, justifiant la plupart des châtiments plus sévères à leurs égards quand leurs « crimes » touchaient au souverain, même si cela se résumait à ne pas être mort à sa place. Ils perdirent plusieurs privilèges mais, savoir que Félix et leurs descendants n’auraient plus à vivre sous la menace d’être puni de mort pour une simple erreur ou pour servir de bouc-émissaire afin d’épargner le roi les soulagea grandement, le tout en arrivant à garder certaines lois particulières concernant la terre de leur fief en lui-même, notamment leur grande autonomie par rapport au reste de Faerghus, ce qui était le principal. Les Charon, toujours représentées par Thècle et Lachésis, veillèrent aussi à ce que Dimitri garde ses droits sur le fief des Blaiddyd en lui-même, le revendiquant comme son héritage paternel, même s’il serait un seigneur comme les autres du royaume. Le jeune garçon n’y perdait pas trop aux changes au final, et nul doute qu’il deviendrait un excellent seigneur sous la houlette de ses tantes.
Une fois tout ceci réglé et avant de discuter ensemble du sort de Lambert et Rufus après leur procès, Ludovic demanda aux visiteurs s’ils pouvaient parler en privé tous ensemble, ce qu’ils acceptèrent. S’aidant toujours d’Areadbhar pour marcher et assisté par un jeune homme du nom de Tristan, il les mena jusqu’à une salle qu’affectionnait particulièrement le roi Ludovic : ses murs étaient couverts d’ambre sculptée, rendant l’atmosphère toute particulière et l’aidant à respirer correctement, un cadeau de bonne entente entre Albinéa et Faerghus offert par le roi albinois au début de son règne, ainsi qu’en excuse pour la mort de Guillaume lors de la rencontre diplomatique entre les deux pays. Plusieurs endroits avaient été gratté, les plus belles pièces retirées par Rufus afin de les vendre et financer sa guerre… c’était une perte énorme pour le Royaume, et les albinois n’apprécieraient surement pas qu’on morcèle un de leurs présents mais, cet argent serait bien utile pour reconstruire Faerghus… présenter ainsi, cela devrait apaiser la colère de leur reine si elle s’en offusquait…
« Je crois que je vous dois à tous une très longue explication… commença le jeune homme, faisant glisser son regard sur chacun d’entre eux.
Il confirma qu’il était bien le roi Ludovic revenu du passé, comment il était arrivé dans le présent, tout en essayant de répondre à leurs questions sur Cornélia. Après s’être enquis de l’état de santé des jumeaux et celui de Dimitri, il les questionna à leur tour sur l’état des fiefs de l’Est, avant d’avouer.
– Une grande partie des seigneurs occidentaux ont senti le vent tourné et ont plié le genou devant Fhirdiad en reniant Lambert et Rufus mais, ce n’est surement qu’une question de temps avant qu’ils ne tentent de prendre le pouvoir avec l’appui de l’Église occidentale. Les révolutionnaires comptent organiser des élections au plus vite mais, il ne faut pas se voiler la face, il faut attendre que le Royaume retrouve un semblant de stabilité pour pouvoir les organiser correctement, surtout que cela fait plus de trois cents ans que nous n’en faisons plus, même juste pour respecter la forme rituelle de l’élection de Loog. Il faut donc quelqu’un pour diriger le pays temporairement. Cette personne sera extrêmement encadrée et ses pouvoirs limités, comme le roi qui sera élu mais, le pays a besoin d’une figure sous laquelle se rassembler et s’unir, ainsi qu’assez forte pour repousser les ambitions contre le gouvernement révolutionnaire afin de devenir le nouveau tyran. Le tout en acceptant de rendre le pouvoir une fois l’élection passé, évidemment.
– Alors, les candidats idéaux pour ce poste sont évidents pour tout le monde, répondit sans hésité Lachésis en regardant les jumeaux. Mieux vaudrait éviter que ce soit notre famille. Nous avons trop de pouvoir et d’influence dans l’administration, cela déséquilibrait la relation avec le pouvoir législatif, et nous sommes meilleurs dans le domaine judiciaire. De plus, nous avons la tutelle de Dimitri jusqu’à sa majorité à présent, ce qui déséquilibre à nouveau la balance en notre faveur.
– C’est vrai ! Vous êtes acceptés par l’ensemble de Fhirdiad, vous êtes respecté de tous et avez prouvé vos compétences à maintes reprises ! Vous avez bien plus gouverné correctement le Royaume que Lambert ces dernières années, et vous avez assez de puissance pour repousser des seigneurs comme Rowe ou Mateus. Avec ça, l’Église Occidentale hésitera à s’en prendre à vous étant donné que tout le Royaume est persuadé que vous vous êtes transformés en loup de cendre. Ils ne pourront pas s’en prendre à vous sans que leurs fidèles craignent de s’en prendre directement à des personnes sous protection divine. Même s’ils apprennent l’existence des berserkir des srengs, les fanatiques de cette secte sont persuadés que ce sont des faux dieux n’existant pas alors, ils se retrouveront bloqués.
Ludovic les encouragea également d’un signe de tête, ne cachant pas son accord avec les deux sœurs.
– Je ne voie pas non plus d’autres figures qui pourraient autant rassembler que vous. Vous êtes connus et respecté par tout le Royaume. Comme viennent de le soulever Lachésis et Thècle, les Charon concentreraient trop de pouvoir sur elles-mêmes si elles devenaient reine en plus d’être les tutrices de l’héritier des Blaiddyd. Les Gautier se sont détachés du Royaume pour se tourner vers les srengs, même si le statut de ce territoire reste flou pour le moment. Il faudra attendre de voir comment la situation évolue pour savoir si nous les comptons encore dans le Royaume ou non dans le futur. Rowe et Mateus sont puissants mais, moins que les seigneurs du nord tout en ayant leur nom entaché par leur participation active au voyage en Duscur, puis dans le gouvernement de Rufus. Enfin, les Galatéa ne sont mêmes pas une option, c’est une famille bien trop petite doublée de félons notoires, même s’ils se sont apparemment améliorés depuis mon époque…
Les jumeaux ne dirent rien, réfléchissant ensemble… d’un côté, elle n’avait pas tort, ils étaient acceptés de tous à Fhirdiad et dans le nord, et même si Mateus et Rowe risquaient de contester leur pouvoir, dans une période de crise pareille, n’avoir qu’une partie du sud contre eux et pas l’ensemble du pays serait surement la meilleure situation qu’ils pouvaient espérer pour le moment… en plus, ils venaient de se faire acclamer par l’ensemble de la ville, cela justifierait qu’on les choisisse eux plutôt que les Charon ou d’autre…
Leur objectif restait toujours de pouvoir enfin vivre en paix à Egua avec Félix mais, être roi assiérait la force de leur famille et de leur fief, surtout s’ils arrivaient à tirer en partie le Royaume de la crise après la Tragédie… gagner le respect de tous de cette manière leur assurerait que personne n’oserait s’en prendre à eux, que ce soit en visant Félix ou leur fief… s’ils arrivaient à tenir correctement le Royaume jusqu’à ce que la crise passe, leur famille et leur fief pourraient être gagnant à tous les niveaux…
– C’est une décision très importante qui demande à être murement réfléchie, surtout que nous ne voulions plus nous éloigner de notre fief suite à ce qui s’est passé. Dame Loréa Terrail a tout notre respect et notre gratitude pour son travail exceptionnel mais, nous avons également des devoirs envers notre peuple et notre famille, déclara prudemment Rodrigue après avoir échangé un regard avec Alix qui continua, comme si les deux parlaient d’une même voix.
– Mais si c’est pour le bien du Royaume, nous le ferons, tant que nous pouvons continuer à exercer nos fonctions ducales correctement. Nous sommes après tous les protecteurs de notre fief depuis toujours, et Kyphon lui-même voulait que notre famille se concentre sur son territoire pour ne pas risquer de le négliger.
– Bien évidemment, lui jura Ludovic, toujours impassible mais, les jumeaux arrivèrent à discerner qu’il était soulagé par leurs mots. Merci beaucoup à vous.
Ils échangèrent encore un peu, jusqu’à ce qu’on les appelle pour venir partager le repas du gouvernement révolutionnaire, avant de parler du sort du roi, même si Ludovic demanda un instant de plus aux sœurs Charon.
– Je sais que ce n’est pas une priorité et qu’il refusera surement, j’ai aidé à détrôner son père après tout mais, serait-il possible que je me rende en Charon pour rencontrer Dimitri ? S’il accepte et qu’il est suffisamment remis de ses blessures, j’aimerais beaucoup pouvoir le rencontrer avant de repartir dans le passé, surtout si je n’en ai jamais eu l’occasion.
– Bien sûr, vous êtes la bienvenue. Nous en parlerons avec Dimitri en lui expliquant la situation maintenant qu’il va mieux. On espère simplement que ce ne sera pas trop tard pour vous…
– Ne vous en faites pas pour moi, le Royaume passe avant tout. Merci de m’accorder ceci… souffla-t-il, les yeux remplis d’espoir, même s’ils s’assombrirent de nouveau rapidement. Maintenant, il nous reste le sort de Lambert et Rufus à régler… »
Les jumeaux s’hérissèrent un peu, la peur de rencontrer à nouveau les deux frères leur gelant l’échine, même si Ludovic leur assura qu’étant donné qu’ils allaient débattre de leur sentence, les accusés ne seraient pas présents.
« Bien… soupira l’ainé, un peu rassuré, avant de demander à son tour, portant à nouveau sa main sur sa gorge. Ludovic, j’aurais aussi un service à vous demander… »
*
Lambert marchait lentement jusqu’à l’église du palais, pieds et mains liés, un capuchon de moine sur la tête pour qu’on ne le reconnaisse pas. On lui autorisait une sortie par jour sous escorte, même après son procès… cela faisait un mois à présent mais, le souvenir était déjà flou, comme s’il n’était pas présent à son propre jugement… après avoir tenté de s’expliqué avec les juges, il n’avait pratiquement plus rien dit, répondant à peine aux questions en comprenant que cela ne servirait à rien, se contentant de baisser la tête avec honte, fuyant le regard de son père quand il le sentait sur lui… l’homme se doutait qu’une partie de l’audience avait attribué son comportement à de l’arrogance mais, après les premiers échanges avec les juges, c’était plutôt qu’il ne savait plus quoi dire, comme si le moindre de ses mots le condamnerait un peu plus… composés de tout le gouvernement révolutionnaire, à l’exception de Ludovic qui était resté étrangement en retrait contrairement à ses habitudes, le jury n’étaient clairement pas là pour tenter de comprendre ce qu’il avait voulu faire, seulement pour décider de quelle manière il allait mourir, rien de plus… comme le procès de Clovis le Sanglant…
Ce dernier n’avait été qu’une formalité avant qu’il n’ait la tête tranchée par Ludovic pour éviter d’en faire un martyr mais, le tyran avait transformé son jugement en un dernier affront fait à tout Faerghus… il avait profité de cette dernière apparition pour faire étalage de toute son horreur et toute sa cruauté, jurant qu’il reviendrait hanter leurs pires cauchemars depuis l’enfer… plusieurs de ses bâtards et proches collaborateurs avaient également eu la tête coupé, afin d’éliminer les possibles concurrents de Ludovic, leur amour du sang servant de prétexte idéal pour les faire tomber pour complicité et participation active à la tyrannie… sa propre mère Alcidie avait failli avoir son propre procès pour complicité de cette horreur, si elle n’avait pas accepté avec joie de les abandonner pour vivre une vie de sang et de massacre comme mercenaire… en plus, cela aurait surement été plus mal perçu que son ancien mari ne la tue ainsi… elle était moins perçue comme une complice active mais, plus une personne mêlée à tout cela par hasard à cause du mariage arrangé et de ses parents, de proches collaborateurs du Roi Sanglant, eux-mêmes tués pendant le coup d’État… mais si cela n’avait pas risqué d’en faire une martyre et de salir sa réputation, Ludovic lui aurait tranché la tête, comme à tous les autres…
« Même Rufus et moi, il n’hésitera pas à nous… »
L’homme n’essaya même pas de lutter contre ses pensées… son père n’aimait personne… à peine de la pitié pour les jumeaux et ses sujets mais sinon, son âme était vide, froide comme de la glace… il le savait mieux que quiconque pourtant…
« J’espère que tu vas bien Rufus… cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu… personne ne me dit rien… je ne sais même pas si les jumeaux ont été retrouvé… »
En entrant dans l’église quasi vide à part un moine encapuchonné qui s’était engouffré dans une alcôve, Lambert remarqua quelqu’un derrière l’autel sans qu’il ne porte l’habit des prêtres, observant attentivement les fresques représentants les Braves autour de la Déesse, même si ce n’était un secret pour personne que c’était Loog et ses compagnons qui étaient représentés, l’église ayant été construite peu de temps après la fin de la guerre… une fois plus proche, il reconnut assez vite le visiteur.
« Ludovic ? Mais qu’est-ce que… qu’est-ce que tu fais ici ?
L’homme du passé se tourna vers lui, toujours aussi impénétrable et illisible que d’habitude, même si Lambert ne l’avait pratiquement jamais vu dans une église sauf par obligation ou pour la Toussaint, priant surement pour le salut de l’âme de Guillaume et pour expier sa faute envers lui.
– J’avais besoin de calme, et j’avoue avoir envie de te parler un peu, répondit-il de manière concise, sans s’étendre. Et toi, es-tu venu prier ? Es-tu croyant ?
– Non, et tu devrais le savoir… marmonna-t-il, se renfrognant en voyant les yeux vairons vides de son père. Sur ce point, je suis comme toi, je ne crois pas beaucoup.
– Tu es un bébé de six mois à mon époque. Tu ne sais même pas encore parler, tu ne peux pas prier ou même comprendre le concept de Déesse, le corrigea-t-il encore, ne sachant faire que ça avec lui. Je découvre ta personnalité à cette époque. Enfin, je comprends qu’il soit difficile de croire en la Déesse, même si cela peut-être un refuge et une bonne confidente. Alors pourquoi es-tu ici ?
– Je voulais prier pour mon fils… et pour Rufus… j’espère que tout se passe bien pour eux… je ne sais pas comment mon propre frère va depuis que vous nous avez séparés.
– Ce serait trop dangereux de vous laisser ensemble…
– Tu ne penses même pas que cela nous fait du mal d’être séparé alors qu’on est ensemble depuis qu’on est tout petits ? » Ne put s’empêcher de piquer Lambert en le coupant, ne pouvant s’empêcher de passer sa frustration sur lui. Si Lambert voulait bien être le responsable de Duscur, une grande partie de ce qui avait suivi était de la faute de Ludovic, et même avant. Pas question de le ménager lui aussi.
« C’est vrai que vous ne vous quittez pas à mon époque, admit son père en l’approchant, toujours bien trop calme pour quelqu’un de normal. Et bien sûr que j’y ai pensé mais, si vous complotez pour vous évader, ce sera plus simple pour vos complices si vous êtes ensemble, ils n’auront qu’une pièce à trouver.
– Je ne compte pas m’évader si c’est ce que tu crains. Tout ce que je veux, c’est que tout ceci s’arrête et si j’ai de la chance, revoir Dimitri et Rufus, et si j’en ai vraiment, savoir ce qui est arrivé à Rodrigue et Alix mais bon, on ne m’explique même pas pourquoi il y a eu ce mouvement de foule l’autre jour alors, pour qu’on me dise comment va ma famille ou mes meilleurs amis, je peux encore rêver… Vous m’aviez déjà tous condamné avant même que le procès commence en plus. Vous n’avez même pas essayé de m’écouter quand j’essayais de vous expliquer ce que je pensais faire.
Ludovic ne réagit pas, comme toujours, montrant juste un des bancs après une seconde de silence. Acceptant l’invitation non sans faire la moue, Lambert s’assit à côté de son père, regardant la fresque sans un mot avec lui. C’était étrange de se dire que ce jeune homme était en réalité son père, que c’était lui à présent le plus âgé des deux mais, Ludovic faisait plus ancien qu’il ne l’était réellement, comme toujours… avec malgré tout un pincement de cœur, Lambert se souvient difficilement des derniers jours de son père, si maigre et si pale, les joues et les orbites creusés, son cou semblant sur le point de rompre sous le poids de sa tête tellement il était faible, ressemblant plus à un vieillard qu’à un homme dans la quarantaine… dire qu’il avait pratiquement le même âge que son père sa mort à présent…
– Je n’ai aucun pouvoir ici, j’ai tout fait pour ne pas en avoir, commença enfin Ludovic. Un homme du passé n’a pas à décider pour le présent. Et quand bien même, je serais au pouvoir, je n’aurais rien décidé autrement. Même si toi, personnellement, tu ne veux pas t’évader, plusieurs entités pourraient te tirer de ta prison car, tu corresponds plus à ce qu’ils attendent d’un roi qu’un autre. Une milice d’une des sectes de l’Église Occidentale s’est fait arrêter il y a quatre jours car, ils ont tenté de t’exfiltrer du palais.
– Je n’ai rien à voir avec eux si c’est ce que tu cherches à savoir, et je ne veux avoir aucun lien avec l’Église Occidentale non plus. Ils veulent juste brûler tout ceux qu’ils n’aiment pas, soit la moitié de Fodlan.
– Peut-être mais, il n’empêche que tu sembles plus les intéresser sur le trône que n’importe qui d’autre sinon, ils auraient surement déjà proposé leur propre poulain au lieu de tenter de te libérer. Si j’ai bien compris ce qu’on m’a raconté, j’étais arrivé à les affaiblir pendant mon règne mais, ils ont repris du poil de la bête sous le tien, en profitant notamment de plusieurs concessions que tu as faites au sud pour arriver à se réorganiser, surtout qu’en même temps, tu en demandais toujours plus au nord et à l’est qui n’arrivait plus à suivre.
– Je ne peux pas empêcher les gens de croire en ce qu’ils veulent, je ne vais pas mettre un garde derrière chaque autel du sud pour contrôler ce qu’il s’y dit. Ils se sont plaint qu’ils ne pouvaient plus s’exprimer complètement et correctement à cause de tes lois restrictives alors, j’ai accepté de leur donner plus de liberté mais, cela touche tout le royaume, répliqua-t-il, se souvenant des débats qu’il avait eu avec les jumeaux, Rodrigue lui conseillant de repenser sa loi pour en fait ne pas changer grand-chose à la loi de Ludovic au final. Et le nord a toujours bien répondu quand je leur demandais de l’aide, alors que le sud… c’est plus compliqué…
– Une bande de seigneurs ambitieux qui se mangent entre eux et rêvent secrètement de manger celui d’au-dessus pour devenir le nouveau tyran, et une secte hérétique de fanatiques ne rêvant que de revenir à un ancien temps qu’ils imaginent parfait car, c’était eux qui avaient le pouvoir, résuma froidement Ludovic. Et tu as eu une bonne idée sur le papier : il est important que chacun puisse s’exprimer. Mais tu as oublié que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Aucune liberté n’est absolue. Cela ne te viendrait pas à l’idée de rentrer chez quelqu’un sans autorisation alors que tu es libre de te déplacer là où tu veux. Les lois que nous avons mises en place visaient à empêcher que les discours de haine puissent être porté en place publique. Oui, j’ai réduit la liberté d’expression mais, en interdisant qu’on attise la haine des étrangers et des personnes différentes en règle générale, que ce soit par leurs origines, leur genre, leur sexualité, leur religion, leur santé, leur condition physique, mental… tout en formant des juges spécialisés pour traiter les questions liées à la liberté d’expression. On parlait de personnes qui en appelait publiquement à brûler les personnes gays ou transgenre, ainsi que les handicapés car, ils étaient « déviants » ou « tarés », ainsi que frapper du sceau de la honte à vie les bâtards, les métis et ceux qui les ont engendrés. Si on les écoutait, aucun des compagnons du roi Loog n’aurait pu aller aussi loin, dont Loog lui-même… déclara-t-il en regardant à nouveau la fresque des « Braves ». Ils étaient tous des bâtards après tout, sauf Amaury Gloucester, Gylfe Gautier et Eudoxie Goneril, ainsi que Pan mais, Amaury était complètement muet, Gylfe sreng, Eudoxie bien plus almyroise que fodlan à ce moment-là et on peine à discerner les origines de Pan. Les « opinions » de l’Église Occidentale et des seigneurs qui la soutiennent sont dangereuses, et ne représentent que des fléaux à éradiquer, les condamna-t-il fermement, Lambert le revoyant signer sans hésiter les arrêts de mort les visant.
– Je sais, et je n’ai jamais voulu encouragé de telles choses ! Chacun est libre de penser ce qu’il veut tant qu’il ne fait pas de mal aux autres mais, je ne voulais pas non plus brider mon propre peuple ! Je ne pensais pas que cela permettrait à l’Église Occidentale de prendre autant d’importance ! D’accord, la fratrie Charon m’avait dit que c’était une loi qui pouvait provoquer des dérives dangereuses, les jumeaux aussi, mais c’est dans leurs habitudes de s’inquiéter trop pour ça ! C’est comme avec Duscur ! Le but était de rétablir la paix entre nos deux peuples, pas provoquer encore plus de tensions ! S’exclama-t-il, sa voix résonnant en écho dans toute l’église tellement il parlait fort.
– J’en suis conscient. Tu ne penses pas à mal, pratiquement jamais même, et c’est ce qui rend ton cas plus difficile. Tu ne veux jamais faire le mal mais, tu blesses aussi les autres autour de toi en refusant de les écouter et en en faisait qu’à ta tête. Tu tiens aux autres mais, tu as aussi un côté destructeur sur lequel tu n’as pas l’air d’avoir tenté de travailler, même si cela fait le mal autour de toi. Qu’importe tes attentions au départ, même si elles sont nobles, l’important est ce que tu as réellement fait au final et ce que cela a provoqué, soit bien trop de souffrance dernièrement, au point que tu es devenu le roi dont voudrait l’Église Occidentale et le Sud le plus fanatique du Royaume car, ils profitent de ton envie d’aider tout le monde de la même manière, le tout en usant toutes les personnes qui tiennent réellement à toi sans jamais les écouter une seule seconde car, cela signifierait que tu dois faire des choix plus difficiles que seulement aider tout le monde sans distinction…
– Qu’est-ce que tu en sais ?!
Lambert le coupa d’un coup, regardant son père dans les yeux, faisant cliqueter ses chaines qui le retenaient avec ses mouvements brusques, se fichant éperdument que les gardes ou les moines l’entendent. Il était déjà condamné de toute façon alors, autant craquer et lui dire tout ce qu’il pensait de son père depuis des années ! Même s’il se mentait souvent à lui-même au sujet de sa capacité à aimer, en se cachant derrière une histoire rassurante que même un homme comme lui pouvait aimer ses enfants, il fallait qu’il regarde la vérité en face ! Ils s’étaient déjà quittés sur une dispute à la mort de Ludovic de toute façon, son père lui crachant de nouveau au visage tout ce qu’il pensait de son incompétence sans vraiment l’aider ! Une dispute de plus ne la ruinerait pas plus qu’elle ne l’était déjà !
– Qu’est-ce que tu en sais ?! Tu t’es toujours battu contre des personnes que tu hais, que ce soit Clovis, ses sous-fifres ou l’Église Occidentale ! Ce n’est pas compliqué de s’en prendre à des gens qu’on haït ! Surtout pour toi qui n’aimes personne ! La seule personne que tu aimais, c’était Guillaume sinon, ton cœur est en glace ! Tu es froid, insensible, distant, inexpressif et calculateur ! Tu ne penses qu’à ce qui avance tes plans et rien d’autre ! Les seules personnes que tu supportes sont celles qui pensent comme toi ou presque ! Je ne suis pas comme toi ! Je ne le serais jamais ! Moi, je veux travailler avec tout le monde pour qu’on avance ! Pas mettre des gens qui ne me plaisent pas de côté car juste, je ne peux pas les encadrer ! Ne vient pas me faire la morale sur le fait que je n’écoute personne alors que toi, tu faisais couper la tête de tes opposants ou de leurs soutiens ! Comme Clovis, plusieurs des Galatéa, des seigneurs du sud et même la famille de ta propre femme ! ça n’aurait pas entaché ta réputation de tuer la mère de tes enfants, tu l’aurais décapitée comme tous les autres !
– Je ne suis pas aussi insensible que tu sembles le croire. Oui, je ne montre pas mes émotions, autant parce que je suis fait ainsi que pour survivre mais, cela ne veut pas dire que je n’en ai pas. Je préfère laisser mes actes parlés à la place de mon visage et de mes mots. Certes, je ne travaille pas avec tout le monde. Certes, j’ai écarté énormément de personnes du pouvoir mais, c’était principalement des personnes liées au pouvoir de Clovis et de bien d’autres de nos prédécesseurs dignes des empereurs d’Adrestia. Je refuse de donner une once de considération à des êtres que je considère dangereux car, je sais que quand ils auront un premier pouce, ils feront tout pour obtenir tout le bras au détriment des autres. La Tolérance ne tolère pas l’Intolérance. Cela ne m’a pas empêcher d’inclure des personnes venant du sud dans mon gouvernement, notamment des roturiers. Et c’est exact, j’ai coupé la tête de Clovis avant que ses alliés ne le libèrent ou qu’il commence à comploter. Pour les Galatéa, oui, l’un d’entre eux a fini pendu au bout d’une corde… après avoir été pris un poignard à la main dans la chambre des deux louveteaux de Fraldarius afin de tuer la descendance de Guillaume, ce qui a évidemment eu des conséquences. Guillaume et Aliénor n’auraient jamais laissé un tueur d’enfant en liberté, même s’il a raté son coup, encore moins quand ils s’en prenaient à leurs petits à eux. Pour les seigneurs du sud, c’était pour la plupart des opportunistes tentant de profiter du chaos instauré par Clovis pour prendre plus de pouvoir, ainsi que du vide politique pour aider l’Église Occidentale à commettre ses excès. Quant à Alcidie, sa famille et elle étaient les plus proches soutiens de Clovis, ils se rêvaient à la place des Fraldarius sans toutes les responsabilités qu’incombent leur position, ne pensant qu’aux privilèges qu’ils pourraient obtenir. Alcidie a failli te tuer par négligence le jour même de ta naissance, et elle a déjà menacé Rufus d’un couteau pour le faire taire car, il pleurait trop fort à son gout en disant que si tu n’étais pas son assurance pour rester reine auprès de Clovis, elle t’aurait déjà tué car, tu l’empêchais de dormir, tout ça parce que tu étais un bébé qui avais besoin de soin et avais peur du noir. Ce n’était clairement pas une bonne personne, et elle a été la première personne ravie par le divorce, elle a pu aller tuer des gens à sa guise sans devoir s’encombrer de vous. Dans ces conditions, hors de question qu’elle vous approche et vous fasse du mal. Je pense au Royaume avant tout, mais je veux aussi vous protéger, même si je dois vous protéger de la soif de sang de votre propre mère. Je tiens à vous deux, quoi que vous puissiez en penser en vous fiant seulement à mon visage. Cela m’a surement souvent perdu, mais je ne peux laisser mon affection prendre le dessus sur mon sens du devoir. La survie du Royaume et sa stabilité sont bien trop importantes.
Il eut un long silence, Lambert s’enfermant à l’intérieur avant de déclarer, le regard lourd de reproche.
– C’est vrai, le Royaume est plus important que tout pour toi, pour un roi… je lui ai aussi fait beaucoup de mal sans le vouloir mais, si tu dis qu’il faut toujours le faire passer avant toute chose, tu n’es pas non plus capable de voir quelles étaient mes intentions… ni que j’ai fait de mon mieux… comme une grande partie des faerghiens… mais c’est pour ça que ton cœur est froid… tu ne penses qu’à ça et rien d’autre n’a d’importance à tes yeux… tu penses toujours comme un roi, jamais comme un être humain… »
Sur ses mots, le roi déchu se releva, disant à ses gardes qu’il en avait fini ici et avec Ludovic, partant sans jeter un seul regard à son père, même s’il sentait le sien sur lui, rejoint par un autre quand Lambert allait passer la grande porte soigneusement sculptée mais, il l’ignora, devinant qu’il s’agissait du moine de tout à l’heure.
L’homme du passé ne put s’empêcher de soupirer, déçu de ce qu’était devenu son fils et mortifié par la conclusion de cette conversation, avant de demander.
« Cela répond-t-il à tes questions ?
– Oui, merci… même si je m’excuse de vous avoir entrainé dans cette mascarade à cause de ma propre lâcheté.
Rodrigue sortit de l’alcôve, tombant sa capuche. Même caché au loin, son audition plus forte que la moyenne lui avait permis de suivre toute la conversation. Il avait voulu voir ce qu’était devenu Lambert, si ces dernières épreuves l’avaient enfin ramené à la réalité, entendre sa défense contre les reproches qu’auraient pu lui faire en face mais, l’homme n’y arrivait pas, ayant encore l’image de son ancien ami le poignardant encore et encore avec le sourire sans se rendre compte du mal qu’il lui faisait, la peine et la peur le paralysant à nouveau… il avait voulu le revoir ainsi, caché et de manière informelle pour ne pas risquer que la terreur ne le fige de nouveau sur place, comme lors de leur dernière conversation avant Duscur au sujet de Dimitri…
– Ce n’est rien, c’est aussi une discussion que je voulais avoir avec Lambert, lui assura Ludovic en se tournant vers lui, son visage toujours aussi figé mais, Rodrigue arrivait à voir toute sa peine et sa déception. Dans tous les cas, j’ai mes réponses définitives à mes derniers doutes… il le regarda alors dans les yeux, lui redemandant encore. Et toi ? Quel est ta conclusion ?
– Que j’ai aussi les miennes… il fit glisser ses doigts sur la marque autour de son cou avant de serrer son chapelet, cherchant du courage à l’intérieur avant d’enfin annoncer. J’accepte. »
*
« Bordel ?! Qu’est-ce qu’ils peuvent encore nous vouloir ?!
Trois jours après sa conversation avec leur père, Lambert entendait à peine Rufus enrager, frappant à la porte pour tenter d’obtenir une réponse à toutes ses questions, même si cela faisait des jours qu’ils ne s’étaient pas vus tous les deux… depuis leur procès même… ils attendaient toujours le verdict, même si le roi déchu ne se faisait guère d’illusion dessus… à part lorsqu’il avait parlé avec Ludovic, personne ne leur disait jamais rien…
« Je me demande s’ils me diraient si Rodrigue avait été retrouvé… s’il est enfin revenu… »
Il n’essaya même pas de poser la question, seul le silence lui répondait toujours depuis qu’il était enfermé ici, à part quand le père avait demandé du papier pour écrire à Dimitri… enfin, si les deux frères avaient été mis ensemble après des semaines de séparation, ça ne devait pas être n’importe qui…
– C’est pas vrai ! Ce sale chien de Ludovic veut nous humilier jusqu’au bout ! Rufus se tourna vers lui, furieux. Il faut qu’on te sorte d’ici et qu’on aille droit vers le sud ! J’ai des alliés là-bas, des seigneurs vraiment fidèles à ton nom nous attendent ! Certains de leurs hommes sont ici ! Ils nous aideront ! Si nous arrivons à les rejoindre…
– Non… l’arrêta-t-il tout de suite, ne se faisant plus aucune illusion sur leur situation, en particulier après sa discussion avec Ludovic dans l’église palatiale. Le sud est très divisé, et il ne fera jamais le poids contre tout le nord allié, surtout si Gautier décide de se rallier aux révolutionnaires et si le domaine royal ne se soulève pas, ce qu’il aurait largement eu le temps de faire depuis le temps qu’on est enfermé ici… et le sud n’est pas venu nous aider non plus…
– C’est parce qu’ils t’attendent pour s’unir ! Rétorqua-t-il en s’approchant de lui, délaissant la porte pour braquer son regard sur son petit frère. Ils ont besoin de quelqu’un pour les unir contre les émeutiers et les traitres à la couronne ! Comme Loog a uni toutes les colères contre l’Empire et l’Empereur Otton l’Apathique ! Tu es le roi ! Le trône te revient ! Tu ne vas…
– Sauf qu’ici, c’est moi Otton l’Apathique pour tout Fhirdiad ! Je n’ai rien à voir avec Loog ! Le coupa-t-il d’un coup, trop conscient de la réalité après tout ce qui s’était passé. Qu’est-ce que j’ai fait de mon règne ? Oui, j’ai enfin enrayé la peste mais, c’était un des projets de notre père avec l’aide de la vraie Cornélia, et la peste a quand même eu le temps de tuer Héléna à cause de moi ! Je me serais aperçu plus tôt qu’elle était aussi fatiguée et mal par ma faute, j’aurais tout fait pour qu’elle puisse se reposer ! Au moins un peu ! Pas la pousser dans les bras de la faucheuse ! J’ai arrêté l’invasion des rois sans yeux mais, sans Rodrigue, je serais mort à cause de mon imprudence et il a failli y rester par ma faute quand il est venu me sauver ! Puis j’ai mis le Royaume en danger car, j’ai épousé une ancienne concubine de l’empereur sans penser aux conséquences, son frère a été à deux doigts de tuer le fils de mon meilleur ami et on aurait surement eu des berserkirs avant si Félix était mort ! Je n'ai rien écouté, rien ni personne à part Cornélia, qui s’est révélé être une magicienne maléfique, Anselma qui n’a fait qu’imposer ses caprices, et toi en faisant du mal aux jumeaux et à tout le monde, et ça nous a conduit à Duscur où tout le monde est mort ! Et maintenant, le Royaume est en lambeaux, Gautier fait sécession, mes amis d’enfance courent partout comme des loups, leur petit survivant doit être au plus mal, et c’est la révolution avec notre père revenu du passé pour remettre de l’ordre dans le bordel que j’ai moi-même mis dans le Royaume de nos ancêtres ! Je n’ai rien d’un Loog ! J’ai fait de mon mieux, personne n’arrive à le comprendre et à le voir mais, regarde le résultat ! C’est même l’Église Occidentale qui veut me faire évader maintenant ! L’Église Occidentale ! Et tu voudrais qu’en plus, je rejoigne les seigneurs du sud pour tenter de reprendre le pouvoir par la force ? Non… hors de question qu’encore plus de faerghiens meurent par ma faute ! J’ai déjà assez de sang sur les mains !
– Mais alors quoi ?! Tu ne vas pas rester ici à attendre ! Cela ne te ressemble pas de rester les bras croisés sans agir ! Ludovic a décapité lui-même son propre père en place publique ! Il n’hésitera pas une seule seconde à te faire subir la même chose ! Il t’a enchainé avec les mêmes chaines que celles qu’il a mises à son propre père ! Pense à Dimitri ! Tu ne peux pas le laisser tout seul avec juste les Charon ! Qui sait ce qu’ils pourraient lui faire ?! Ce que Ludovic pourrait lui faire ! Il faut…
Lambert le fit taire en se levant, posant les mains sur ses épaules.
– Arrête de cracher sur notre père Rufus. Je t’en prie… juste… arrête. Cela ne résoudra rien… je sais… je sais que Ludovic n’aime personne… son cœur est froid comme la glace… la seule personne qu’il devait aimer, c’était Guillaume mais, il n’est pas là, et les jumeaux non plus alors que la ressemblance aurait pu le pousser à les écouter… mais pour la révolution, ce n’est pas lui… c’est seulement moi… c’est moi qui aie provoqué tout ça en régnant en ayant un cœur à sa différence… même si les gens ne comprennent pas que j’ai tout fait avec les meilleurs intentions du monde, il faut se rendre à l’évidence : c’est moi qui ait provoqué toutes ces catastrophes… Dimitri ira bien, je le sais. Les Charon prendront soin de lui comme le fils d’Héléna, et même si j’aurais aimé le revoir, je préfère qu’il soit en sécurité avec eux plutôt que risquer de le mettre à nouveau en danger… je lui ait fait suffisamment de mal comme ça… je vais être juger pour mes actions, je le sais… il prit son frère contre lui, se sachant surveiller mais ainsi, à mi-voix, il ne pourrait jamais les entendre. Je sais que je pourrais être décapité pour tyrannie, et je l’ai accepté. Je ne compte pas m’enfuir et causer encore plus de mort. Par contre, toi, il faut que tu t’enfuies.
– Quoi ?! Mais qu’est-ce que tu racontes ?! Hors de question que je t’abandonne à la mort ! Je ne vais pas les laisser décapiter mon petit frère dans ce trou à rat ! Jamais !
– Et moi, je refuse qu’il décapite mon grand frère ! Le coupa-t-il encore en serrant ses mains sur ses épaules. Tu as coupable des mêmes crimes que moi ! Tu as mêmes renoué avec les horreurs de Clovis le Sanglant ! Tu as régné comme lui ! Et même si tu mérites d’être puni pour tes crimes autant que moi, je suis incapable de te laisser à la mort comme ça ! Mes chaines sont trop solides pour que je les brise, c’est un alliage magique quasi indestructible mais, les tiennes sont en fer ordinaire, je pourrais les casser sans problème ! Je vais juste abimer suffisamment le verrou pour que même toi puisse les casser, puis tu fuiras à la première occasion ! Héléna n’approuverait surement pas mais, je refuse de perdre mon grand frère ! J’ai déjà perdu les jumeaux, Héléna et Patricia, et je ne reverrais surement plus jamais Dimitri ! Je refuse de te perdre aussi ! Même si ça veut dire laisser un tyran courir, tu es trop important pour moi !
Rufus se figea, s’éloignant de son petit frère pour le regarder dans les yeux. Non… non, non… il ne pouvait pas abandonner… Lambert ne pouvait pas accepter son sort… ça devait être ses blessures qui le rendaient défaitiste comme ça… il ne pouvait pas… mais il était aussi têtu… parti comme c’était parti, même lui ne pourrait jamais lui faire changer d’avis… alors… alors…
– … … … bien… finit-il par dire à contre-cœur. Mais sache que je reviendrais pour te libérer avec les seigneurs du sud. Je ne t’abandonnerais jamais entre les mains de ce démon de Ludovic ou des émeutiers. Je ne te laisserais jamais, tu es bien trop important pour moi aussi… depuis toujours… tu es mon petit frère et je t’aime… je ne t’abandonnerais jamais… je reviendrais et je te retrouvais avec Dimitri… je te le promets…
– J’espère surtout que tu reviendras de cette folie…
Malgré l’appréhension après ces dernières paroles, Lambert fragilisa les chaines de son frère, profitant d’une nouvelle étreinte pour briser celles de ses poignets, et appuyant suffisamment avec son pied sur celles de ses chevilles pour pratiquement les arracher, assez pour qu’il puisse les briser au moindre geste brusque, priant pour que Rufus accepte de seulement fuir pour ensuite vivre sa vie loin de tout ceci… le roi déchu avait accepté son sort, savait que seul le glaive du bourreau l’attendait pour ses crimes… est-ce que Ludovic le manierait comme pour Clovis ? Il semblait si faible mais, ce n’était pas le genre de tâche qu’il laissait à d’autres dans des circonstances pareilles… ou alors le prochain roi ou un membre du gouvernement révolutionnaire ? Le nouveau décapitant l’ancien pour ensuite crier « le roi est mort, vive le roi » comme lors de la mort de Clovis… ce serait approprié…
« J’aurais juste voulu te revoir une dernière fois Dimitri… mon fils… je suis désolé… mais au moins, je sais qu’ils prendront soin de toi… »
Les portes finirent par grincer, le nouveau chef de la garde palatiale leur aboyant de les suivre en silence. Lambert obéit placidement, pendant que Rufus finit par se résigner malgré tout. Il fallait donner le change, trouver la bonne occasion pour trouver ses alliés, leur donner le signal et filer mais, aucun de ses hommes ne semblaient l’attendre, alors qu’on les emmenait à pied jusqu’à l’hôtel de ville, entouré de garde et sous les injures de la foule.
« Tyrans ! »
« Ordure ! »
« Duscur, c’est ta faute ! »
« Roi sans yeux ! »
« T’as envoyé mes enfants à la mort ! »
« Roi Hresvelg ! »
« Affameurs ! »
« Empereurs ! »
« Otton ! »
« Fils de Clovis ! »
« Ma femme est morte pendue pour avoir tenté de nous nourrir ! »
« Honte de votre père ! »
« À mort ! »
« Oui ! À mort ! »
« Morts aux tyrans ! »
Même s’il restait droit, Lambert ne pouvait s’empêcher de baisser la tête, autant pour éviter de se prendre une flèche ou un projectile que par honte. C’était donc ainsi que le voyait son peuple… comme un tyran tuant son propre peuple… un aussi mauvais roi qu’un Hresvelg… même s’il s’en était bien rendu compte lorsqu’il avait été arrêté mais, ça faisait toujours mal de se faire insulter ainsi…
« Je n’ai jamais rien voulu de tout ceci… »
Rufus quant à lui cherchait toujours un moyen de s’en sortir, repérant un pont qui pourrait servir à des complices pour les récupérer mais rien… rien du tout…
Ils finirent par arriver devant l’hôtel de ville, où les attendaient Gustave et le peu d’homme qui étaient restés fidèles aux Blaiddyd, faisant face au grand escalier où se trouvait un représentant du gouvernement, réclamant le silence alors qu’on forçait la faction du roi déchu à mettre un genou en terre. Rufus vit Ludovic, assis au sommet des escaliers avec Areadbhar à ses côtés, même pas habillé comme le roi qu’il était, en simple chemise et chausses blanche et bleu roi mais, ce n’était pas étonnant de sa part, observateur distant comme il l’avait été pendant le procès de ses fils, toujours aussi impassible alors que le héraut annonçait à la ville les dernières décisions ineptes des émeutiers. Déesse… il ne devrait pas filer pour libérer son frère, Rufus se serait déjà jeté sur lui afin d’en finir enfin avec ce monstre au cœur de glace ! Ludovic était faible et malade, même lui pourrait le vaincre sans Areadbhar pour lui prêter main forte ! Que son visage se défige enfin devant lui pour une fois dans sa vie !
« Citoyens de Fhirdiad ! Il est temps de vous présenter ceux qui dirigeront notre ville à présent, ainsi que les seigneurs qui ont juré conserver de faire nation avec notre ville et tout Faerghus ! Le roi temporaire annoncera également le châtiment du roi déchu, son tyran de frère et leurs soutiens !
L’homme à la voix forte commença alors une longue énumération où Rufus bouillait, cherchant toujours un moyen de s’échapper et ses soutiens quand il se figea en voyant les seigneurs du sud se tenir parmi ceux ayant juré allégeance à la ville… même les émissaires de Rowe et Mateus se tenaient sagement au bas de cet escalier ! Acceptait d’être plus bas que cette bande de gueux se prétendant souverain de la plus grande ville de Faerghus ! C’était pas possible ! Cela devait être une manœuvre pour tromper leur vigilance ! Ce n’était pas possible autrement !
De son côté, Lambert ne releva pas la tête, regardant le sol à part quand on annonça que la sororie Charon aurait la garde de Dimitri jusqu’à sa majorité, et qu’il serait le seigneur du fief de Fhirdiad quand il serait grand, arrivant même à sourire un peu. Bien… c’était tout ce qu’il voulait… Dimitri serait en sécurité avec ses tantes, et son avenir serait assuré en tant que seigneur du domaine r… du fief des Blaiddyd… c’était le principal…
« C’est étrange… ils n’ont pas parlé de Fraldarius… Rodrigue et Alix doivent encore être sous leur forme de loup… Loréa ne doit pas vouloir s’avancer sans leur accord… après tout, cela reste une trahison de la famille royale et si on reprend un jour le pouvoir pour je ne sais quelle raison, c’est la tête coupée pour tous les adultes de la famille… c’est trop dangereux… et les jumeaux ne voudraient jamais me… »
Lambert chassa son cauchemar de sa tête, se rappelant que ce n’était qu’un cauchemar, que les jumeaux n’étaient pas dans leur état normal la dernière fois qu’il les avait vus, que ce n’était pas lui qu leur avait volé leurs lettres… non… c’était impossible qu’ils le haïssent au point de le… et de toute façon, c’était des loups à présent, ils devaient courir après l’odeur de Félix et celle des lièvres dans tout le nord, ils ne pouvaient rien faire…
– Quant à notre roi, finit par annoncer le héraut alors que la nuit tombait, il a été décidé qu’à l’instar du roi Loog le Lion et de sa fille Sophie la Sage, il serait élu par l’ensemble du peuple de Faerghus, en suivant la procédure établie par le roi Ludovic le Prudent, procédure qui nous a été transmis dans son testament récemment retrouvé ! En attendant de pouvoir organiser l’élection, suite à l’ovation populaire et leurs nombreux actes pour le Saint-Royaume de Faerghus, la régence sera confiée aux protégés de la Déesse et de l’Épéiste de l’Onde, Rodrigue Achille et Alix Persée Fraldarius ! Duc de Fraldarius et loups de cendre de Sothis elle-même !
Sous le choc de cette annonce, le roi déchu releva d’un coup la tête, incapable de le croire sans le voir par lui-même. Non ! Impossible ! Rodrigue ne le trahirait jamais ! Pas lui ! Alix peut-être mais pas lui ! Pas Rodrigue ! Et ils étaient tous les deux encore en loup ! Ils lui auraient dit sinon ! On lui aurait dit ! ça ne pouvait pas être…
Cependant, à cette annonce, les vrais jumeaux sortirent de l’hôtel de ville, leurs boucles noires couronnés des premiers rayons de lune, tous deux drapés de blanc et de sarcelle claire, une fourrure couleur de nuit sur les épaules. Leur visage était impassible comme celui de Ludovic mais aussi ouvert et sérieux, regardant droit devant eux, embrassant toute la foule des yeux d’un air protecteur et rassurant… comme toujours, pour les différencier, les cheveux de l’ainé étaient lâchés et son habit plus proche du bleu, Aegis à son bras, pendant que ceux du cadet étaient noués à l’arrière de son crâne, la sarcelle tirant plus vers le vert, l’épée de Moralta à la ceinture… la seule familiarité aux yeux de Lambert alors qu’il avait l’impression de voir deux étrangers…
Rodrigue semblait sortir de son cauchemar … à part son amusement cruel, il était tel qu’il l’avait vu à l’intérieur mais, il n’était plus seulement le roi de la forêt… non… il était… il venait de devenir… lui et Alix… non… ce n’était pas possible… ils ne pouvaient pas le…
Alors s’approcha l’émissaire des Dominic, leur apportant des gants qu’ils enfilèrent après un salut respectueux, suivi par une prêtresse qui devait s’occuper d’une petite chapelle à son habit qui agrafa la cape sous leur fourrure avec une grande fibule aux armes de Faerghus, et enfin, une ancienne servante de Patricia et le jeune homme qui avait envoyé Areadbhar à Ludovic pendant l’affrontement contre « Cornélia » s’avancèrent, chacun tenant un grand anneau d’argent dans leurs mains. Ils demandèrent alors aux jumeaux :
« Jurez-vous de servir le peuple de Faerghus ? De n’avoir à cœur que ses intérêts et ses intérêts seuls ? Jurez-vous de protéger le peuple en ses temps difficiles et d’assurer la paix entre tous les citoyens ainsi qu’avec nos voisins ?
– Nous le jurons, répondirent-ils solennellement avant d’ajouter d’une même voix. Et nous jurons de rendre le pouvoir au Royaume une fois que l’élection du vrai nouveau roi aura eu lieu. »
Sur ses mots, ils s’inclinèrent profondément devant les deux roturiers, qui posèrent l’anneau sur leur tête, avant de s’incliner à leur tour devant eux et de se retirer, laissant les deux frères se relever alors que tout Fhirdiad les acclamait, hurlait leurs noms encore plus fort que tous les autres, assez pour que même la Déesse les entende, inondant la place de vœux de long règne et de prospérité malgré le fait que leur règne soit annoncé comme temporaire…
Malgré sa simplicité, la couronne pesait lourd sur leurs épaules mais, les jumeaux ne vacillèrent pas, gardant la tête haute avec dignité. Ils avaient été acceptés à l’unanimité par le gouvernement révolutionnaire, et avec une telle ovation lors de leur annonce, leur légitimité à Fhirdiad était assurée, même s’ils devraient faire le tour des intendants du domaine royale afin d’imposer leur pouvoir, tout en remplaçant les derniers fidèles, les corrompus et les incompétents par leurs propres hommes de confiance ou ceux des Charon avec leurs aides, s’assurer que le Sud restait fidèle, régulariser la situation en Kleiman en accord avec Duscur… sans parler des velléités de guerre et de vengeance des seigneurs occidentaux à éteindre, d’apaiser les tensions internes au Royaume, faire la lumière sur la Tragédie et tenter de sauver ce qu’ils pouvaient sauver de leurs relations avec Duscur… les jumeaux ne pouvaient pas se permettre de céder maintenant…
Pourtant, même si la tâche était immense, se savoir plus libre dans leurs décisions, de ne pas toujours devoir composer avec les caprices d’un inconscient et passer derrière lui pour réparer ses erreurs, tout en retournant dès qu’ils le voulaient à Egua auprès de Félix les soulageait d’un poids… ils ne courberaient plus jamais l’échine devant qui que ce soit qui n’était pas digne de leur obéissance, plus aucun collier ni laisse ne les étranglera jamais plus… seul la marque de leur transformation entourerait leur cou à présent.
Enfin, avant tout ceci, ils devaient régler une dernière chose…
Baissant les yeux, ils virent Lambert et Rufus, genou en terre, les bras et les jambes couverts de fer à leur tour… c’était étrange… quelques jours auparavant, Rodrigue osait à peine dire le nom de son ancien ami, se cachant sous sa fourrure, dévoré par la peur mais, après l’avoir entendu dans l’église palatiale, après avoir complètement réalisé quel homme Lambert était vraiment, puis maintenant, aux côtés de son jumeau, devant l’hôtel de ville de Fhirdiad, entouré de tant d’alliés de confiance, galvanisé par la foule et avec la responsabilité de protéger le Royaume sur ses épaules, il ne tremblait plus. Il se tenait droit et fier face aux deux frères, les regardant comme les tyrans qu’ils étaient, attendant leur jugement… Lambert les dévisageait, incapable de comprendre ce qui se passait devant lui, à la fois si différent et si semblable à ce qu’il avait montré de lui dans l’église face à Ludovic, pendant que Rufus bouillonnait de rage, ses yeux les poignardant encore et encore, rêvant surement de les étrangler avec ses propres chaines…
« Cela change bien la donne quand c’est les autres qui tiennent votre propre laisse… »
Cependant, Rodrigue chassa toute de suite cette pensée sombre de sa tête. La vengeance ne lui apporterait rien. Le Royaume avait besoin de justice, pas d’encore plus d’égoïsme et de colère. Maintenant qu’il connaissait mieux le vrai visage de Lambert, il pouvait l’affronter sans trembler ou se figer. Le vieil ami qu’il pensait connaitre n’existait plus… peut-être n’avait-il jamais existé mais, il n'avait plus de temps à perdre pour lui… ni avec l’un ni avec l’autre.
« Lambert Egitte Blaiddyd-Hange, Rufus Adegrin Blaiddyd-Hange, commencèrent les jumeaux, parlant ensemble après avoir répété bien des fois ces mots. Vos crimes sont nombreux. Sous votre commandement, le Royaume a subit bien des troubles et des malheurs. Parmi vos crimes se trouvent la tyrannie, entrainer la mort de votre propre peuple, que ce soit en le mettant en danger volontairement, par négligence ou en volant sa nourriture pour votre propre gain, provoquer l’instabilité du Royaume, ce qui a poussé certains territoires à faire sécession afin d’assurer la survie des leurs… la liste est si longue que nous pourrions les lister toute la nuit sans jamais arriver au bout. De tels crimes ne mériteraient que la mort mais, les terres du Saint-Royaume sont déjà bien assez imbibées de sang. En répandre encore et encore ne réparera rien, ne ramènera aucun mort, n’aidera personne à faire leur deuil… c’est pourquoi, en punition de vos actes, vous devrez à présent travailler pour le Royaume comme les plus petits scribes de tout Faerghus sous une nouvelle identité, gagnant votre pitance et le respect des autres par vos accomplissements, afin que vous puissiez réparer vos crimes par votre travail et votre dévouement au peuple faerghien. Tel sera votre châtiment, le vôtre ainsi que celui de tous vos soutiens encore fidèles. Les temps changent, cette nouvelle ère a débuté avec les faerghiens s’entretuant pour se libérer du tyran, qu’elle continue dans l’apaisement et la reconstruction.
Lambert resta figé, tout comme Rufus, sans voix. La sanction était à la fois douce et cruelle, surtout après que le roi déchu se soit résigné à mourir. Elle épargnait leur vie mais, les deux frères n’étaient plus rien à présent. Ils passaient de roi et de frère de roi à simples scribes, devant gagner leur pitance eux-mêmes, devant apprendre à tout faire par eux-mêmes, sans que personne ne soit là pour les aider. À côté, peut-être que la mort était plus facile… La chute serait vertigineuse et les briserait peut-être mais, ils ne pouvaient pas se permettre d’être plus cléments en apparence, les deux frères en avaient bien trop fait. Peut-être apprendraient-ils enfin, même si les jumeaux ne se faisaient plus d’illusion à ce sujet…
Lambert tremblait, complètement incrédule devant une telle décision, essayant vainement de parler. Rodrigue baissa les yeux, les posant dans les siens, s’attendant à tout entendre. Que voulait-il dire ? Implorer leur pitié ? Tenter de leur rappeler leur ancienne amitié qu’il avait lui-même fait brûler à Duscur avec le sourire ? De les faire culpabiliser pour leur cruauté de ne pas lui permettre de mourir maintenant et de vivre dans la honte ? D’après les lettres de Sylvain, Lambert aurait tenté d’utiliser ses sentiments contre lui afin de lui faire oublier ses devoirs envers son peuple, tentant de lui rappeler son amitié avec Dimitri en argumentant qu’il le connaissait et qu’il ne parlait pas au margrave mais, au jeune homme… Il aurait même tenté d’utiliser le nom de Félix pour le pousser avouer comment rendre leur forme humaine aux berserkir… avant le début de la Tragédie de Duscur, ils n’auraient jamais pu l’imaginer capable d’une telle lâcheté de sa part mais, à présent, cela ne les avait même plus étonnés, juste de plus en plus déçus de leur ancien ami…
Cependant, après encore quelques hésitations, Lambert finit par baisser la tête et par demander à mi-voix, à peine audible.
– Puis-je au moins revoir mon fils une dernière fois avant de partir ? C’est ma dernière volonté de condamné…
Les jumeaux échangèrent un regard et leurs pensées. D’un côté, si toute la famille royale était réunie au même endroit, cela serait aisé pour leurs soutiens de les faire évader tout en enlevant Dimitri, même s’il était encore en fauteuil roulant… mais de l’autre, refuser à un père de voir une dernière fois son enfant serait vu comme trop cruel de leur part, surtout que Dimitri devait aussi vouloir retrouver son père à tout prix. Ils avaient besoin d’un solide appui populaire contre la noblesse du sud, ils ne pouvaient se permettre de se mettre à dos l’opinion populaire…
Ils finirent par hocher la tête dans sa direction, déclarant simplement :
– Accordé. Vous pourrez le retrouver avant votre départ.
Lambert inclina également la tête, comme pour les remercier d’avoir accepté. Rufus semblait sur le point de leur sauter dessus, ivre de rage mais, avant qu’il n’ait pu hurler tout ce qu’ils pensaient de ces traitres, se défaire de ses chaines pour emmener son petit frère au loin, la foule retient son souffle avant de s’exclamer, sans voix.
Sortant de la pointe d’Areadbhar, du givre se mit à recouvrir tout l’hôtel de ville, le recouvrant d’un voile scintillant sous la lune, comme si le Brave lui-même l’avait recouvert de diamants gelés, pendant qu’Aegis brillait de milles éclats sur le bras de Rodrigue, baignant les deux jumeaux de sa lumière, l’humidité s’accrochant à leurs cheveux et à leur couronne comme des joyaux liquides, vite rejoints par d’autres de glace.
En voyant ceci, Ludovic se leva difficilement, prenant appui sur leur Relique pour arriver à se tenir droit, déclarant faiblement mais, le silence était si total que toute la foule assemblée l’entendit.
– Le Flutiste des Glaces et l’Épéiste de l’Onde ont parlé. Ils acceptent les décisions du nouveau gouvernement, ainsi que la nomination de Rodrigue et Alix Fraldarius, les couronnant eux-mêmes, tout en condamnant les seuls et uniques traitres à Faerghus.
Rufus enragea, se redressant d’un coup en hurlant :
– Évidemment ! Fraldarius est leur ancêtre ! Évidemment qu’il veut que sa famille ait encore plus de pouvoir et nous domine tous ! Et Blaiddyd haït autant sa famille que toi ! Ils ne pensent jamais aux siens ! Toujours aux étrangers !
– Le Flutiste des Glaces a pourtant soigné son petit-fils Dimitri après que son propre père ait failli provoquer la mort de son propre enfant, pansant patiemment ses blessures puis, a également soigner Lambert malgré tout ce qu’il avait fait, ne le rejetant que quand il fut suffisamment guéri, lui rappela calmement Rodrigue, baigné par la lumière de sa Relique, ne tombant pas dans le piège de perdre son calme face à Rufus, cela jouerait contre eux et il n’en valait pas la peine.
– De notre côté, nous n’avons jamais rien fait pour que notre Ancêtre nous retire sa confiance, ajouta Alix, tout aussi calme et posé que son frère. Nous avons toujours œuvré pour le bien de notre famille, certes, mais jamais sans oublier de faire passer les intérêts supérieurs de la nation avant tout car, tel est le devoir des dirigeants. L’intérêt du plus grand nombre passe avant tout intérêt personnel, quelque qu’ils soient.
Un silence suivit d’applaudissements approbateurs résonnèrent sur la place, avant que les gardes n’emmènent définitivement les deux frères loin de la place sous bonne garde. En partant, Lambert lança un dernier regard derrière lui, mais n’arriva pas à voir une dernière fois Rodrigue et Alix, la foule se refermant sur eux alors qu’ils les acclamaient de toutes ses forces.
Rufus gronda, voyant a même chose que son frère, bouillonnant de rage.
« Traitres… traitres… tous des traitres ! Le peuple préfère encore ces traitres à la Couronne au seul souverain légitime ! Mais ce n’est qu’une question de temps ! Une fois sur le pont de tout à l’heure, je pourrais sauter et surement retrouver nos alliés ! »
Cependant, quand ils le traversèrent, Rufus eut beau tirer de toutes ses forces sur ses chaines, impossible de les rompre ! C’était pas vrai ! Ils devraient pourtant être capable de les briser après que Lambert les ait quasiment arrachées ! Comment…
Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il fit véritablement attention à ses chaines, découvrant avec horreur l’épaisse couche de glace les recouvrant les maillons endommagés, les renforçant de nouveau.
Se croyant en plein cauchemar, Rufus se retourna, hurlant encore et encore, incapable de se contrôler face à cette nouvelle trahison, rêvant de retourner sur la place, d’en finir avec cette mascarade grotesque ! Son frère était roi ! Roi ! C’était lui qu’on devrait acclamé ! Pas deux loups enragés et traitres !
« Blaiddyd ! Fraldarius ! Ludovic ! Rodrigue ! Alix ! Tous ! Soyez maudits ! Soyez tous maudits ! Tous autant que vous êtes ! Je ne me laisserais pas faire ! Mon frère est le seul et unique roi de Faerghus ! Seul Lambert est roi de Faerghus ! Qu’importe ce que ces barbares de Braves en pensent ! Ludovic ! Je te tuerais ! Je te tuerais après avoir étrangler tes favoris devant toi ! La tuberculose ne t’emportera pas en enfer ! Je le ferais avant elle ! Soit maudit ! Que ton foutu devoir et ta lance maudite et toi bruliez en enfer ! Soyez tous maudit ! Et Rodrigue… Rodrigue ! Toi aussi ! Toi aussi, je te tuerais ! Je te prendrais tout ce à quoi tu tiens ! J’écorcherais vif ton cher louveteau que tu aimes tant, rouerais ton enragé de jumeau, puis brûlerais tout Fraldarius pour réduire à néant tout ce que toi et ta chère famille avez accompli, puis je te tuerais ! TU M’ENTENDS ?! JE TE TUERAIS SALE TRAITRE ! JE VOUS TUERAIS TOUS JUSQU’AU DERNIER JUSQU’À CE QUE LE SANG DE FRALDARIUS SOIT COMPLÈTEMENT TARI JUSQU’À LA DERNIÈRE GOUTTE ! TA TRAHISON T’EMPORTERA TOI ET TA CHÈRE FAMILLE JUSQU’EN ENFER ! TU M’ENTENDS ???!!! RODRIGUE !!! »
Malgré sa haine, ses hurlements furent tous engloutit par les ovations de joie et les cris de félicitation de la foule, s’amassant autour des loups de cendre en priant pour que leur bénédiction bénisse le Royaume, afin que la félicité revienne enfin. Personne à part les garde et Lambert ne l’entendirent vomirent ces abominations sur les nouveaux souverains de Faerghus, couronnés par le peuple et les Braves, et personne ne prit ses paroles au sérieux.
« C’est fini Rufus… songea son frère en le voyant sur le point de se faire bâillonner, de nouveau impuissant et incapable de protéger une personne qu’il aimait. Nous avons perdu… »
« NON ! Hurla Rufus en se débattant. HORS DE QUESTION QU’ILS TRIOMPHENT TOUS AUTANT QU’ILS SONT ! VOUS NE M’ENFERMEREZ PLUS ! »
Arrivant à se défaire de la poigne des gardes, Rufus utilisa toute l’énergie qui lui restait pour sauter du pont, se laissant emporter par le courant sous l’indignation des fidèles des traitres. Les flots le déchiraient, les rochers lui fracassaient les os mais, peu importait. Le plus important, c’était qu’il était hors des griffes de son père, des Charon et des Fraldarius ! Une fois hors de Fhirdiad, il pourrait détruire la gangue de glace de Blaiddyd et ses chaines, puis le prince royal pourrait réunir ses alliés et partisans encore fidèles, récupérer suffisamment de pouvoir pour marcher sur Fhirdiad, écraser tous ces traitres, faire manger son propre enfant à Rodrigue pour lui apprendre à rester à sa place, puis le tuerait à son tour avec son jumeau, avant de renvoyer son père dans le passé d’où il venait en l’étripant enfin !
« Vous ne perdez rien pour attendre ! Je me vengerais ! Je nous vengerais tous ! Vous me le paierez ! Profitez du pouvoir pendant que vous le pouvez encore ! Je reviendrais avant que vous ne puissiez me voir arriver ! »
Il finit par échouer hors de Fhirdiad, la chaine défensive servant a arrêté les navires srengs, pas les corps… en plus, il était surement assez loin pour que l’épidémie révolutionnaire ne se soit pas propagée jusque-là…
« Tu me le paieras Ludovic… vous me le paierez Rodrigue et Alix… je me vengerais… je me vengerais… je me vengerais ! »
Se redressant comme il put avec ses chaines, Rufus avança en gardant les nuages de fumée en vue, venant surement des cheminées d’un village voisin. Là-bas… là-bas, il trouverait surement de l’aide pour enlever ses chaines en disant qu’il avait été victime de la tyrannie des révolutionnaires et arrêté injustement, n’ayant réussi à s’enfuir qu’in extremis grâce à son frère… les roturiers des villages comme ça étaient naïfs, ils devraient gober tout ce qu’il racontait sans se poser de questions…
Cependant, quand le prince arriva, un des habitants le pointa du doigt, criant comme un possédé alors qu’il reconnaissait une ancienne conquête travaillant comme servante au palais.
« Là ! C’est Rufus ! C’est lui qui a décidé que tous les contrebandiers devaient être pendus ! C’est lui le tyran ! Je le reconnais !
– Quoi ?! Rufus ?!
– L’affameur ?
– Le Tyran ?!
– Il est là !
– Ordure ! »
Avant de comprendre ce qui lui arrivait, quelqu’un le poussa dans le dos, l’envoyant au sol sans difficulté, ses chevilles s’emmêlant dans ses chaines. Un violent coup de pied s’enfonça dans ses côtes, avant qu’une pierre ne s’écrase sur sa tempe, le faisant hurler de douleur jusqu’à ce qu’une bêche ne lui ouvre les côtes, suivit de coups de tous les outils du village, labourant son corps comme s’il était la terre du champ alors que la douleur le bâillonnait plus que ne l’avait jamais fait son père.
« Non ! Je suis votre prince ! Je suis le frère du seul roi légitime ! Le descendant de Loog le Lion lui-même ! Vous n’avez pas le droit de me traiter ainsi… AAAAAARGH !!!!!! »
Une bêche s’enfonça profondément dans son dos, creusant un trou béant entre ses côtes. Son corps tomba, devenant aussi froid que l’hiver, alors qu’il maudissait encore et encore son père pour avoir détruit leur famille et les jumeaux pour avoir trahi celui qui les considérait comme ses meilleurs amis, tout ça pour le pouvoir qui ne leur revenait pas…
« M… maudit soyez-vous tous… maudit sois-tu… Lud… »
Le lendemain, les paysans ramenèrent ce qui restaient de Rufus au palais de Fhirdiad. Les jumeaux, les Charons, le gouvernement révolutionnaire et Ludovic découvrirent un cadavre tordu, le moindre de ses os ayant été pulvérisés par les outils des villageois et les coups. Sa tête pendait dans un angle étrange, juste rattaché au corps par les quelques vertèbres encore entières et de minces lanières de peau, rendant ses yeux grands ouverts encore plus dérangeant, ne fixant rien d’autre que le vide devant lui… l’homme avait été lynché à mort, livré à la fureur de tous ceux qu’il avait volé pour se venger contre des innocents…
Ludovic fut le premier à réagir, se redressant en tremblant. Il s’approcha du cadavre de son fils, déclarant avec tristesse devant un tel spectacle macabre… aucun père ne devrait voir une chose pareille mais, il était également conscient de ce qu’avait fait son fils ainé, tout ce qu’il avait fait subir à leur propre peuple pour assouvir sa propre soif de vengeance… n’ignorait pas que Rufus réservait le même sort à ses ennemis ou aux personnes lui déplaisant, pouvant même être encore plus cruel… comme son grand-père qu’il semblait prendre en exemple… mais malgré tout…
« Personne ne mérite un tel sort… souffla-t-il en lui fermant les yeux de son fils. Je suis désolé Rufus… je ferais en sorte que tu ne deviennes jamais un tel tyran à mon époque, je te le promets, même si tu vas sans doute d’autant plus me haïr… mais tant que tu ne finis pas ainsi, lyncher par la foule, se sera déjà une grande victoire… »
On enterra Rufus discrètement, presque en cachette dans la crypte familiale, allongé dans un cercueil de bois simple avec une simple épitaphe portant son nom et sa date de naissance et de mort, sans aucun commentaire… après une vie comme la sienne, il était difficile de trouver quoi que ce soit de positif à dire à son sujet…
Lambert s’effondra pendant la cérémonie, pleurant toutes les larmes de son corps, refusant qu’on enterre son grand frère.
« Ce n’est pas possible… ce n’est pas possible ! Pas toi ! Pas mon frère ! Grand frère ! Revient ! Pourquoi tu m’abandonne toi aussi ?! Rufus ! Reste avec moi ! Grand frère ! Qui m’a pris mon frère ?! Qui est le monstre qui a tué Rufus ?! Enragea-t-il alors qu’on recouvrait le cercueil de terre, même s’il connaissait toute l’histoire et savait que les paysans avaient été puni pour avoir lyncher quelqu’un à mort. Qui a fait ça ?! Comment ça a pu arriver ?! Qui a pu oser… »
Du coin de l’œil, il vit Rodrigue et Alix, l’air aussi neutre que Ludovic, même si celui-ci semblait légèrement affecté pour une fois, priant pour le repos de son ainé avec un rosaire dans les mains. De leur côté, tenant son chapelet entre les doigts, l’ainé des jumeaux se signa quand le prêtre finit sa prière, restant à peine assez de temps à la fin de la cérémonie pour dire une seule prière, avant de partir avec son frère… il avait peut-être perdu un de ses fils, mais il en avait encore un… et il avait encore son frère… toujours la personne qui le connaissait le mieux et le comprenait toujours… il avait encore tout… réussissait tout… alors que lui…
« C’est ta faute… l’accusa-t-il tout de suite. C’est ta faute… c’est ta faute et celle de Ludovic… c’est lui qui a donné l’idée à Fhirdiad de faire des coups d’Etat tout le temps et toi, tu en as profité avec Alix… s’il ne m’avait pas volé la couronne… s’il n’avait pas monté tout Fhirdiad contre mon frère et moi comme il en a l’habitude… s’il ne m’avait pas renversé… si tu n’avais pas été là pour me voler la couronne… si ça n’avait pas été l’un de vous deux qui avait été désigné roi… si tu avais su protéger Rufus au lieu de nous exhiber comme des trophées devant l’hôtel de ville… si vous n’étiez pas tous les deux les favoris de mon père… Rufus serait encore vivant… Rufus serait toujours là… et à cause de vous trois… à cause de toi, mon grand frère est… »
Sa pensée s’interrompit, déchiqueté par les larmes de deuil et de rage dégoulinant le long de ses joues alors que le cercueil de son grand frère avait complètement disparu, engloutit par la terre après avoir été consumé par l’ambition de leur propre père et de ceux que le frère en deuil pensait être ses amis, avant qu’ils ne le trahissent tous… la haine dévora son cœur en les voyant toujours là, toujours ensemble, les deux jumeaux unis par ce lien si fort que Lambert en deuil venait de le perdre, déchiqueté par les crocs de ces loups enragés avant d’être gelé dans la mort par la cruauté froide de Ludovic… eux qui avaient toujours tout eu et lui rien…
« Toi aussi… rend-le moi… rend-moi mon frère que tu m’as volé… »
*
Dès qu’il apprit l’échec de Périandre, de Bias et la trahison de plusieurs de ses serviteurs, Thalès prit congé du conseil et retourna immédiatement sur ses terres d’Arundel, devant immédiatement repenser toute sa stratégie. Pour ne rien arranger, les révoltés faerghiens avaient également retrouvé une partie de sa correspondance avec Périandre dans son laboratoire et avec la défection d’au moins deux de ouvriers, les bêtes pourraient surement les décrypter et remonter jusqu’à lui ! Ils avaient déjà prévenu Aegir et le reste du conseil qu’ils avaient trouvé des éléments troublants le reliant à plusieurs comploteurs impliqués dans la Tragédie alors, le chancelier avait surement demandé aux Vestra d’envoyer quelques-uns de leurs mouchards enquêter jusque dans ces terres. Tancred était connu pour avoir le cœur bien trop tendre mais, il restait tout de même un Vestra, recueillir des informations pour l’empereur faisait partie de ses attributions… enfin, là, ses propres hommes s’occuperaient d’écraser ses moucherons…
De plus, les emblèmes jumeaux étaient à présent de nouveau humains et même sur le trône de Faerghus, avec l’emblème majeur de Fraldarius qui courrait toujours au lieu d’être dans un tube avec son frère, ce qui voulait surement dire que Myson avait également échoué à les capturer tous les trois ! Comment des bêtes, des inférieurs à peine capables de réflexion logique sans être parasité par leurs émotions, avaient-ils pu mettre en échec les plus brillants esprits de Shambhala ?! Tout se déroulait pourtant à la perfection depuis l’opération Delta ! Même la survie de Lambert avait été une aubaine ! Cet homme était tellement incompétent et haï qu’il en devenait un excellent agent du chaos dans son propre pays ! Le Royaume devait sombrer dans le chaos tout en emportant Duscur ! Recouvrir les montagnes du sang des innocents ! Créer encore plus de haine et de ressentiments ! Détruire toujours plus l’œuvre de Sothis en rappelant que toutes ses créations et protégés n’étaient que des bêtes infâmes tuant sans remords ! Mais maintenant que c’était les emblèmes jumelles au pouvoir avec les métis au sang de dragon, les choses risquaient de se calmer et s’apaiser avant même qu’ils n’aient commencé à anéantir Duscur !
« Enfer ! Tout part en branle ! »
Enfin, Thalès devait réfléchir à comment reprendre la main. Il devait déjà commencer par arriver à détruire le début d’apaisement dans le Royaume, ce qui serait assez simple. Maintenant que Lambert était tombé, des seigneurs profiteraient de sa faiblesse et de son idiotie supérieure à la moyenne des bêtes pour tenter de le remettre sur le trône, ce qui leur permettrait de gagner une influence et un pouvoir considérable. Le comte de Rowe était connu pour son ambition sans limite et s’il ne complotait pas déjà, ce serait facile de le convaincre de passer à l’acte…
Et surtout, l’Agastya devait enfin en finir avec les Fraldarius et les Charon. Ces familles apportaient bien trop de stabilité à tout le Royaume, le tenaient à bout de bras ensemble. Il devait se débarrasser d’eux au plus vite pour que le chaos règne… de plus, les Fraldarius feraient d’excellents sujets d’expériences comparatives et le sang des Charon était toujours très proche de celui des Enfants de la Déesse. Avec suffisamment de corps et de sang, ils pourraient surement arriver à recréer des Reliques et utiliser leurs fluides pour créer des bêtes démoniaques. Les capturer lui seraient bénéfiques sur tous les plans.
De toute façon, Thalès ne pourrait plus utiliser l’identité de Volkard von Arundel pendant très longtemps… après avoir découvert son lien avec « Cornélia » et Kleiman, les Grands Nobles adrestiens se douteraient surement de quelque chose et enquêteraient sur lui afin de comprendre son rôle. Aegir ne pensait qu’à gâter sa propre famille mais, il n’était pas non plus complètement stupide malgré sa corruption… et Vestra ne se priverait surement pas d’une occasion de l’éloigner de son fils Hubert, voyant d’un mauvais œil sa proximité avec lui. Non, il ne pouvait pas rester ici plus longtemps…
« Dans un sens, cela m’arrange… mes réseaux sont toujours bien implantés en Adrestia, et nous avons besoin de nouveaux cobayes. Je pourrais même arriver à enfin mettre la main sur l’emblème majeur de Riegan qui nous échappe depuis si longtemps… même si à cause de l’incompétence des matricules et des esprits supérieurs, il a eu le temps de devenir vieux pour une bête… » Songea-t-il quand il entendit frapper à la porte de son étude. Il se tourna vers l’esprit supérieur lui servant d’intermédiaire avec les matricules, lui ordonnant sans quitter ses préparatifs. « Va ouvrir.
– Bien, Ô Grand Agastya.
L’homme fila quelques secondes avant de revenir, se prosternant devant lui avant de l’informer.
– Ô Grand Agastya, seul maitre légitime de la Sphigxi… un simple matricule vient vous troubler car, un essaim de bêtes frappe à votre porte. Ils prétendent avoir été envoyé par le duc Ludwig von Aegir et la haute-justice d’Adestria, ils ont l’audace de vouloir vous poser des questions et ose vouloir vous emmener à Embarr. De plus, pardonnez-nous de vous troublez avec de telles broutilles mais, les personnes suspectes dans le palais arrivées peu de temps après votre retour salvateurs s’agitent également. Ô Grand Agastya, guide de tous les êtres humains, que devons-nous faire ?
– Des hommes d’Aegir ? Il ne perd vraiment pas de temps… enfin, il avait été très choqué par le résultat de l’opération Delta, ce n’était peut-être pas de la comédie finalement. Et les pions de Tancred doivent tenter de leur transmettre tout ce qu’ils ont découvert ici… devina-t-il sans souci, lâchant un rictus méprisant. Les bêtes sont tellement prévisibles… rassemblez-les tous dans la grande salle du palais. Je m’occuperais d’eux personnellement.
– Bien Grand Agastya, votre volonté est absolue, obéit l’intermédiaire sans aucune hésitation, comprenant entre les lignes. Ces bêtes ignorent l’honneur que vous leur faites… »
Thalès sourit devant son miroir, faisant craquer sa magie dans ses doigts, les flammes violettes créant un espace vide au centre de sa main. Il n’avait pas besoin d’énergie en plus pour vaincre des bêtes, encore moins des descendants des enfants adoptifs de Sothis mais, cela servirait d’avertissement à Aegir et au reste du conseil s’ils tentaient à nouveau de l’arrêter.
L’Agastya laissa les cadavres dans la grande pièce de son palais, tous vidés jusqu’à la dernière goutte d’énergie vitale, laissant des corps comme momifiés, desséchés de vie. Pas la peine de perdre du temps à s’occuper des cadavres, on n’enterrait pas les bêtes de somme, et cela ferait comprendre aux humains qu’il ne devait pas les retrouver sur son chemin.
*
Félix s’entrainait avec Cassandra, cette dernière corrigeant sa posture par rapport à son bouclier, attendant la lettre de son père. Cette fois, le courrier passait sans problème, arrivant sans trop de retard mais, la dernière fois qu’ils s’étaient parlés, Rodrigue et Alix semblaient assez nerveux. Il avait tenté de les rassurer avec sa lettre mais, il espérait qu’ils allaient mieux à présent… il avait juste hâte qu’ils reviennent tous les deux à la maison… enfin, avec Cassandra, le temps passait plus vite, c’était une très bonne partenaire d’entrainement et un bon professeur… juste très énervante quand elle se mettait à le taquiner quand elle le battait… enfin, ce n’était pas si désagréable.
Le jeune garçon arriva à envoyer son éclair tout en restant en sécurité derrière son bouclier, quand ils entendirent quelqu’un arriver en courant, suivit de la voix de Loréa.
« Félix ? Félix ! Ah ! Tu es bien là !
La femme semblait avoir couru dans toute la ville, une lettre dans les mains. Le magicien se redressa en se tournant vers elle, un peu inquiet de la voir aussi agité.
– Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? C’est papa et Alix ? C’est une de leurs lettres ? ils vont bien ? Est-ce que… S’inquiéta-t-il très vite après tout ce qui s’était passé ces derniers temps.
– Oui et non… ils vont bien tous les deux… par les Braves, plus que bien même à ce stade… mais Déesse… comment t’expliquer… ils expliquent tout dans leur lettre mais… mais c’est tellement… marmonna l’intendante en se baissant à sa hauteur, serrant la lettre entre ses mains.
Elle releva la tête, cherchant ses mots avant de mettre de prendre ses mains dans les siennes, essayant de rester calme et de trouver le bon ton pour lui annoncer ce que contenait la missive de Rodrigue et Alix.
– Tu sais que Lambert a été renversé, tout comme Rufus. Ils sont actuellement en prison avec leurs principaux soutiens, comme Gustave par exemple.
– Oui mais ça, ça fait longtemps et ils ne feront plus rien à papa et Alix en prison ! Ne me dit pas qu’ils sont arrivés à en sortir ?!
– Non, tout le monde veille à ce qu’ils restent derrière les barreaux, surtout après qu’ils aient été jugé le mois dernier. Ils ne retourneront jamais sur le trône, pas sans qu’on ne les y ramène par la force en tout cas, et les derniers soutiens qui leur sont encore fidèles ont également été arrêtés avant qu’ils ne puissent tenter quoi que ce soit pour les libérer. Non, ils ont été condamnés par le gouvernement révolutionnaire après leur procès : ils devront payer leurs dettes envers le peuple de Faerghus en travaillant comme des scribes dans l’administration royale sous une toute nouvelle identité et tout recommencer à zéro.
– Mais pourquoi tu es aussi nerveuse alors ?! C’est une bonne nouvelle ! Ils ne feront plus jamais de mal à papa, Alix, Dimitri ou qui que ce soit d’autre ! Dimitri sera mieux avec les Charon qu’avait ce crétin qui l’emmène dans un voyage aussi dangereux ou il a failli se faire tuer, alors que tout le monde lui avait dit que c’était dangereux ! C’est bien les Charon qui vont s’occuper de lui ? Ils ne vont quand même pas l’abandonner !
– Oui, les Charon ont obtenu la garde de Dimitri, ne t’en fais pas. Les sœurs Charon prendront bien soin de lui et il pourra se remettre avec elles jusqu’à sa majorité où sera le seigneur de l’ancien domaine royal, qui va devenir un fief comme les autres. De plus, Rufus ne pourra plus rien faire à son neveu, aux jumeaux ou à qui que ce soit d’autre, il a été lynché à mort par un village après avoir tenté de s’enfuir, ce qui arrange dans un sens étant donné que c’était le frère le plus remuant des deux. Ce qui me rend nerveuse, c’est plutôt la suite… c’est juste… à la fois prévisible et totalement inattendu après ce qui s’est passé… vu ce qu’on vient d’avoir comme roi, on aurait pu imaginer autre chose…
– C’est-à-dire ? Intervient Cassandra. Mes tantes sont également à Fhirdiad et elles m’écrivent aussi, je n’ai rien vu de si alarmant que ça dans leurs lettres. Au contraire, elles travaillaient en bonne intelligence avec les révolutionnaires, tout comme les jumeaux. Les révolutionnaires ont pris quoi comme décision ? Qu’il n’y aurait plus de roi mais, qu’on serait comme l’Alliance ? Vu ce qui s’est passé car une seule personne tenait les rênes de tout le Royaume sans trop de contre-pouvoir, ce ne serait pas étonnant…
– Honnêtement, je m’attendais à ça mais… en gros, les révolutionnaires se gardent le pouvoir de créer les loi et les contre-pouvoirs pour freiner celui qui dirigera le pays, la justice est mise complètement à part du reste mais, pour ce qui est de faire régner les lois et de diriger le Royaume, ils ont décidé de garder un roi mais, qui serait élu comme l’aurait voulu le roi Ludovic, dont on a retrouvé les travaux pendant la prise du palais de Fhirdiad, Rufus a avoué les avoir volé à la mort de son père pour que son frère monte sur le trône. Mais en attendant que la situation se calme et qu’ils puissent organiser l’élection correctement, ils ont désigné des sortes de régent qui rendra le pouvoir s’ils ne sont pas élus. Il leur fallait donc des personnes intègres et de confiance pour mener à bien ce projet, sans qu’ils ne tentent de dérober le pouvoir ou refusent de le rendre…
Loréa posa finalement ses mains sur ses épaules, le regardant droit dans les yeux alors qu’elle lui annonçait, même s’il commençait à comprendre sans y croire.
– Félix, ton père et ton oncle ont été désigné comme régents de Faerghus jusqu’à l’élection du prochain roi. Pour le moment, ce sont eux les rois de Faerghus, et tout Fhirdiad les a acclamés « rois loups de cendre ».
Félix se figea, se rendant à peine compte de tout ce que cela représentait. Son père et son oncle… les rois… c’était… incroyable… comment… bon, ils étaient les meilleurs et bien plus compétents que Lambert donc, ça ne l’étonnait pas trop dans le fond, c’était surement ce qui était le mieux pour Faerghus mais alors…
– Alors… ils resteront à Fhirdiad ? Ils ne reviendront plus à la maison ? Et… et le fief ?! Et… et moi ? Qu’est-ce qui va se passer Loréa !
– Si, ils reviendront, ne t’en fais pas. Ils ont la position du roi mais, en ayant moins de pouvoir alors, même s’ils devront surement aller souvent à Fhirdiad, ce ne sera surement pas plus qu’avant, et ils pourront accomplir la plupart de leurs devoirs à Egua. Ils ont mis comme conditions avant d’accepter ce rôle de pouvoir continuer à se consacrer à leurs devoirs de ducs à Egua. Pour toi, rien ne va changer, tu restes le fils de Fraldarius et l’héritier de Rodrigue en tant que duc. Le roi sera choisi par l’élection mais, il sera bien plus contrôlé par les grandes familles et les villes. L’héritage n’aura plus d’importance pour sa fonction.
Le jeune garçon hocha la tête, comprenant la majorité de ce que racontait Loréa mais, ce qui s’accrocha le plus dans sa tête, c’était une seule information. Ce n’était pas vital pour le Royaume mais pour lui, c’était le plus important… c’était tellement important…
– S’ils sont régent et que Lambert est un scribe maintenant et que Rufus est mort, ça veut dire qu’ils ne les approcheront plus… Ils n’approcheront plus jamais de papa ni d’Alix, ils ne leur feront plus jamais de mal ! En plus, si tout le monde pense que ce sont des loups de cendre, personne n’osera leur faire du mal ! Plus jamais ! Et si quelqu’un tente de les blesser, je les protégerais !
– Oui, ils ne leur feront plus jamais de mal. Ils n’ont plus le pouvoir de nuire désormais, confirma Loréa avec un sourire, passant sa main sur sa tête. Et tu les protégeras quand tu seras plus grand. Pour l’instant, tu es encore un enfant que les adultes doivent protéger.
– Je peux le faire aussi ! Je m’entraine beaucoup ! Bon ! On part quand pour Fhirdiad ? Demanda-t-il d’un coup. Ils ne vont surement pas pouvoir revenir avant un moment, même s’ils pourront rentrer à la maison alors, je peux aller les voir !
– Pas avant quinze jours, décréta immédiatement l’intendante sans hésiter une seconde, le temps qu’on prépare ton escorte et que les jumeaux aient suffisamment installé leur pouvoir, au moins dans la capitale. En plus, ils ont accordé à Lambert un dernier souhait, qu’il puisse revoir Dimitri alors, il sera encore là pendant deux semaines. Tu partiras quand il sera enfin hors de la capitale et ne pourra plus vous approcher.
– Mais c’est loin ! Et je vais rater Dimitri en plus ! Déjà que Sylvain va avoir moins le temps pour qu’on se voie puisqu’il est margrave maintenant !
– On y sera vite, et Dimitri va surement rester un peu de temps alors, vous pourrez vous croiser. Quinze jours, c’est rien si on est bien occupé ! Répliqua Cassandra. Si tu veux tant protéger ton père, retour à l’entrainement petit !
– Pour la millième fois, je ne suis pas petit ! Répliqua-t-il, la faisant rire quand elle le vit « s’hérisser comme un chat mouillé en colère » comme elle le disait, le faisant se maudire tout seul d’avoir foncé sur l’hameçon.
– Et il ne faut pas négliger tes études non plus, ajouta Loréa sans le louper, le rappelant tout de suite à l’ordre. Ton niveau est toujours bon en histoire, géographie et en mathématique, tu as bien progressé en gestion de la maison, du trésor et en latin, et tu es le fils de ta mère – et le neveu d’Ivy malheureusement – pour ce qui est des négociations commerciales mais, tu as des progrès à faire en droit et en négociation avec les autres seigneurs. Tu as encore beaucoup à apprendre jeune homme. Un bon seigneur est un seigneur avec une tête très bien faite. Tu as déjà de la chance qu’on se soit résigné à que tu ais la même écriture illisible que ton père. »
Félix lâcha un soupir, voyant déjà l’emploi du temps que lui réservait Loréa, même si elle lui laissait toujours du temps pour se reposer et jouer un peu entre deux cours, surtout ceux qu’il n’aimait pas, tout comme son père quand il s’occupait de gérer ses leçons. Le latin, c’était facile, ça pourrait l’aider à mieux comprendre son grand-père, idem pour l’histoire pour mieux le connaitre ou la géographie afin de mieux visualiser les voyages d’Ivy, et c’était facile d’apprendre les maths, il n’y avait pas quinze mille exception, mais le reste… à part les négociations commerciales où ils suffisaient de se battre comme avec une épée à la manière d’Ivy, ça avait tendance à l’ennuyer profondément… mais d’un autre côté, ce serait des choses très importantes à maitriser pour plus tard, quand ce serait lui s’occuperait du fief et des habitants d’Egua… même s’il le savait depuis toujours, après tout ce qui s’était passé, ça lui faisait une motivation supplémentaire…
« Je serais un aussi bon seigneur que papa pour Egua, je le jure ! »
Il suivit alors Loréa dans la forteresse, ayant fini son entrainement avec Cassandra pour retourner étudier, sa promesse lui donnant encore plus d’énergie pour bien apprendre ces foutues lois afin qu’elles ne le piège pas plus tard comme pour ce maudit voyage…
« Glenn… songea-t-il en prenant le sac rempli de perles suspendu à sa ceinture, entendant encore son grand frère lui jurer d’être chevalier à la maison dès qu’il serait libéré du service du roi. Il faudra qu’on finisse les bracelets quand on sera à la capitale… j’espère qu’ils auront le temps… et sinon, pause obligatoire pour papa et Alix, Pierrick leur a dit de ne pas en faire trop pendant encore quelques temps… »
*
Lambert avait l’impression que le temps refusait d’avancer, attendant le retour de Dimitri avec impatience. Normalement, c’était aujourd’hui qu’il devait arriver mais, il était déjà midi et aucune voiture aux armes des Charon n’était encore arrivé ! Il allait finir par croire qu’il faisait tout pour réduire le peu de temps qu’il aurait pour dire au revoir à son fils !
« Après ce qu’ils ont fait, les jumeaux en seraient capables…  Après ce qu’ils ont osé faire à Rufus, la Déesse sait ce qu’ils peuvent me réserver pour me faire souffrir… » Songea-t-il en tournant en rond, faisant sonner les chaines à ses chevilles et ses poignets.
« On vous enlèvera celles des bras quand Dimitri sera là, pas avant. Hors de question que vous nous filiez entre les doigts, » l’avait mis en garde Estelle, toujours aussi glaciale avec lui qu’à son habitude.
Il avait hésité à répondre qu’il ne comptait pas s’échapper mais, se serait comme parler à un mur alors, autant ne rien dire du tout…
Le roi déchu s’était résigné à lire un peu quand il entendit enfin un bruit de roue et de plusieurs chevaux. Abandonnant son livre, il se jeta à la meurtrière, enfonçant son visage dans le petit espace pour tenter de voir son fils ne serait-ce qu’une seconde de plus. Une grande voiture tirée par un cheval géant en tête et deux autres plus petits s’arrêta au milieu de la cour, où l’attendait malheureusement les jumeaux. Lambert mettrait sa main au feu que Ludovic aussi n’était pas loin, prêt à pourrir l’esprit de Dimitri ou à le geler sur place… mais bon, enchainé comme ça, il ne pouvait plus faire grand-chose, même pour protéger son propre enfant, sauf s’il se transformait aussi en animal… ce ne serait peut-être pas si mal… ce serait tellement simple de juste le prendre sur son dos et l’emmener loin d’ici… ils pourraient vivre à nouveau ensemble, comme avant… si Rodrigue et Alix avaient pu devenir des loups pendant des semaines puis retrouver forme humaine, il devrait bien pouvoir se transformer en lion et redevenir normal après avoir mis Dimitri en sécurité…
Un valet ouvrit la porte de la voiture mais avant que qui que ce soit ne descende, il plaça une épaisse planche en bois en travers de la porte, comme pour faire sortir quelque chose en le glissant…
Émergea alors un homme en fauteuil roulant qu’il reconnut comme étant Théophylacte Charon qui manœuvra habilement sa chaise pour sortir, avant que le valet et un autre homme monté de l’autre côté ne fasse sortir Dimitri, entouré de Dedue et Sasiama qui semblaient s’être remis. Le cœur de Lambert se déchira en le voyant, tout petit au milieu des fourrures et de son grand fauteuil, enveloppé du blanc et du bordeaux des Charon, proches des couleurs des chevaliers de Seiros, une grande couverture bleue et un chat sur ses genoux. Il semblait encore si faible…
Pourtant, Dimitri essaya de se lever comme il put en voyant les jumeaux, tendant les bras vers eux alors que Rodrigue et Alix allaient l’enlacer comme si de rien n’était, comme si tout était comme avant que les jumeaux ne les trahissent tous et ne deviennent ces loups si froids, déchiquetant tout sur leur passage si ça pouvait faire avancer leurs intérêts à eux, même leurs plus vieux amis si nécessaire. L’ainé des deux se baissa au niveau de Dimitri, posant ses mains sur les siennes, essayant d’être celui qu’il était avant sa transformation, lui parlant surement tout doucement avec sa voix douçâtre pour enrober ses mensonges tout en dissimulant sa froideur… après tout, il était bien le fils de son père… les loups attaquaient toujours les individus les plus faciles à chasser…
Malheureusement, Dimitri disparut bien vite de son champ de vision en compagnie des jumeaux et de Théophylacte, le temps recommençant à passer au ralenti dès qu’il s’évapora, Lambert ne pouvant s’empêcher de penser au pire.
« Les jumeaux vont lui bourrer le crâne avec leurs histoires… ils seraient même capable de lui faire avaler que Rufus a mérité sa mort horrible… ou pire, ce sera Ludovic… non, Dimitri ne le connait pas, il n’aura pas autant d’influence sur lui que Rodrigue et Alix… eux, il les écoutera et il risque de boire leurs paroles… si les Charon n’ont pas déjà commencé le travail… »
Au bout de ce qu’il semblait être des heures, Estelle revient, appelant avec fermeté.
« Lambert Egitte Blaiddyd-Hange, avancez. Il est l’heure.
– Enfin… ! Comment va…
– Avancez en silence. » Se ferma-t-elle tout de suite, évidemment. C’était Estelle après tout…
Un groupe de garde le conduisit jusqu’à une autre aile du palais, lui faisant faire plusieurs détours avant de le faire s’arrêter devant la porte. Comme on lui avait promis, un garde lui retira les chaines de ses bras, même s’il le menaça aussi dans un même souffle.
« Un geste suspect, et la visite s’arrête-là. Vous avez jusqu’à ce que le petit veuille s’en aller.
– Bien, et je vous le répète, je ne m’enfuirais pas. »
Estelle renifla avant de le laisser entrer, révélant Dimitri qui l’attendait à l’intérieur, seul, les yeux grands ouverts, bien plus vif que la dernière fois. Trébuchant dans les chaines toujours autour de ses chevilles, Lambert se précipita vers lui, ivre de joie d’enfin le revoir aussi près de lui et en meilleur santé.
« Di… Dimitri ! Enfin ! Enfin tu es là ! Il le prit contre sa poitrine, faisant juste attention à ne pas le serrer trop fort pour ne pas rouvrir ses blessures. Tu m’as tellement manqué ! Tu as bien meilleure mine que quand tu es parti, quel soulagement !
– Oui, l’air des montagnes m’a fait beaucoup de bien, et Laïs est une très bonne médecin. Tout le monde était très gentil avec moi à Charon, surtout Théo, il m’a beaucoup aidé quand j’ai dû utiliser un fauteuil roulant. Il y avait aussi Cassie, même si elle est partie avec Félix quand il est rentré à Egua. Elle était chargée de le protéger mais, ils sont aussi devenus très proches.
– Théo et Cassie ?
– Tu sais, Théophylacte et Cassandra, les deux ainés de tante Myrina. Théo n’aime pas du tout son prénom, il le trouve trop long alors, on utilise toujours son surnom, et personne ne s’appelle par son prénom entier chez les Charon, c’est toujours des surnoms. Lachésis et Thècle m’ont même dit que le surnom de maman, c’était Nitsa et qu’elle m’appelait tout le temps Mitsos, c’est vrai ?
– Ah oui, c’est vrai qu’ils passent leur temps à utiliser des diminutifs chez eux vu que les noms sont assez longs… j’avais tendance à m’emmêler les pinceaux quand on les voyait… Héléna m’avait fait répéter les noms de toutes ses sœurs et beaux-frères et sœurs, pour être sûre que je ne me trompe pas à notre mariage, vu qu’elles étaient onze les unes après les autres… et surement… ça fait longtemps qu’on n’était pas allé voir sa famille, surtout que ça aurait été risqué avec… tu sais… souffla-t-il en se souvenant des crises de jalousie de Patricia, elle devenait encore plus colérique quand les Charon était au palais. Mais oui, Héléna t’appelait tout le temps comme ça, « Mitsos »… elle trouvait que ça sonnait bien..
– Tu ne me l’avais jamais dit pourtant… et c’est dommage, j’aurais bien aimé voir plus souvent mes cousins et les connaitre avant. Ce n’est pas si difficile de retenir tous les noms et les surnoms tu sais une fois qu’on les connait bien, lui assura-t-il avec un petit sourire, avant de continuer, plus sombre et inquiet. Et toi, comment vas-tu ? J’ai appris ce qui s’est passé à la capitale quand je n’étais pas là… et j’ai aussi su pour Rodrigue et Alix… qu’ils se sont transformés en loup… Félix me l’a raconté quand il l’a su aussi… Ingrid et Sylvain aussi m’ont écrit… m’ont dit tout ce qui se passait dans leur propre fief… que c’était la même chose qu’à Lokris… et on m’a aussi dit ce qui s’est passé ici, à la capitale… ce qui est arrivé à Rufus… Lachésis et Théo m’ont également expliqué ce qui allaient se passer après que le peuple de Fhirdiad ait pris le pouvoir et après ton procès… ce qui va se passer pour Faerghus…
– Je vais bien… même si c’est difficile à croire que même eux nous aient trahi… ils ont tellement changé… ce n’est plus les hommes que tu connaissais Dimitri… eux aussi ont disparu… » marmonna-t-il avec aigreur, même s’il ajouta tout de suite en essayant d’être plus confiant, posant ses mains sur les siennes pour l’ancrer à lui. Si c’était la dernière fois qu’il voyait son fils, il voulait au moins le rassurer et sauver l’image que Dimitri avait de lui avant que ses tantes ne la noircissent, ainsi que s’expliquer sur ses actes. « Mais ne t’en fais pas, ça va aller… on va s’en sortir, comme toujours. On s’en est toujours sorti non ? On s’en sortira toujours tous les deux, et je trouverais un moyen de te retrouver… les Charon te traiteront bien, tu es le fils de leur sœur après tout mais, elles ne seront pas tendres avec moi pour… pour bien trop de raisons… il faut juste que tu te souviennes que quoi qu’elles te racontent Dimitri, tout ce que j’ai fait, c’était en pensant à Faerghus… pour tous les habitants du Royaume sans exception… je voulais juste aider les gens, même si cela a mal tourné et que je le regrette à présent… j’aurais voulu que ça réussisse mais, on ne peut pas tout prévoir…
– Mais papa, le coupa faiblement son fils en se crispant, tout le monde t’a prévenu…
Lambert sentit alors le regard de Dimitri sur lui, étonné, comme s’il venait de vraiment se transformer en lion, avant que son fils ne se reprenne en le remarquant, cachant ses émotions d’une manière similaire à celle de Ludovic, s’il pouvait avoir des expressions de base…
– J’étais là, je l’ai vu. Même si je te faisais confiance, personne n’en voulait de ce voyage à part les nobles du sud, mais seulement parce qu’il voulait qu’il rate pour pouvoir attaquer Duscur, comme ils l’ont fait. Ils ont foncé pour attaquer les duscuriens… c’est la première chose qu’ils ont fait, attaquer et tuer des gens alors qu’il y avait déjà eu trop de mort… Dedue et Sasiama ont eu de la chance qu’on ait été là sinon, ils seraient morts eux aussi, comme leurs parents, alors qu’ils n’ont rien fait de mal à part vivre dans le village le plus proche de ce passage maudit… et ce sont les mêmes seigneurs du sud qui t’ont poussé à faire ce voyage qui ont soufflé les premiers sur les braises… et tu n’as pas écouté les Charon ou les Fraldarius alors qu’eux, ils ont toujours été de bons conseils et ont toujours défendu les intérêts du Royaume… Félix l’a dit, tu as fait du mal à son père, même avant la Tragédie… Lachésis et Thècle ont même dit qu’Héléna aurait été la première contre ce voyage car, il était mal préparé… alors pourquoi tu ne les as pas tous écouté ?
– Dimitri… je pensais qu’ils exagéraient, avoua-t-il honnêtement. Les jumeaux sont toujours très prudents, surtout avec ce genre de rencontres, encore plus quand elles n’ont pas lieu à Faerghus… ils ont leurs raisons mais, ils vont souvent trop loin pour ça… et pour Myrina, je ne me suis jamais très bien entendu avec elle, personne ne méritait sa petite sœur préférée à ses yeux, moi en particulier… toutes les sœurs et le frère Charon se gardent les uns les autres comme s’ils étaient tous fragiles comme du verre…
– C’est normal, elles s’aiment toutes plus que tout. Elles se disputent parfois mais, c’est pas comme toi avec Alix ou Patricia quand ça arrive. Elles finissent toujours par revenir se voir pour discuter ensemble afin de se réconcilier. Et c’est normal que les jumeaux soient prudents, leur père est mort dans une rencontre diplomatique, et maintenant, Glenn est mort aussi et il… Dimitri mordit ce qu’il allait dire, secouant la tête. Et maintenant, regarde ce qui est arrivé… ils avaient tous raisons sur toute la ligne… tout… tout le monde est mort… le pire est arrivé alors que tout le monde t’avait prévenu… et tout le monde continue de mourir… alors que tous ceux qui vivaient encore faisaient tout pour sauver le Royaume… déclara-t-il sans s’arrêter, ne pouvant s’empêcher de dire tout ce qu’il avait sur le cœur. Même si tu voulais bien faire, tout le monde est mort quand même car, tu n’as pas écouté les personnes de bons conseils pour de mauvaises raisons alors qu’ils avaient tous de très bons arguments… même pendant le voyage, tu aurais pu écouter Myrina et Nicola et prendre un autre chemin alors que la route était mauvaise mais, tu t’es encore obstiné, et le pire est arrivé ! Tout le monde est mort et les morts veulent juste qu’on les venge car, ils sont morts à notre place !
Le jeune garçon serra les poings de frustration, se sentant piéger dans le bois de son fauteuil, enchainé par les brûlures et les bandages. Il voulait pouvoir marcher, il voulait se remettre sur ses pieds pour aller courir en ville avec ses amis et ses cousins, il voulait pouvoir remonter à cheval, essayer de grimper sur le dos de ce gentil géant de Gigantes, il voulait revoir Félix, Sylvain et Ingrid comme avant et surtout, Dimitri voulait que les voix dans sa tête se taisent enfin et pouvoir fermer les yeux sans se souvenir de cet enfer bien plus réel et effrayant que toutes les légendes. Même si les médicaments de Laïs et ses discussions avec elle, ses tantes et Théo l’aidaient beaucoup, les morts continuaient, hurlant leurs chagrins, maudissant les mauvais survivants qu’ils étaient pour laisser les seigneurs du sud tuer des innocents et de ne pas avoir trouvé les vrais responsables de leur malheur, ils… non… c’était juste son esprit… Laïs lui avait expliqué, son esprit s’inventait ces « fantômes » à cause du traumatisme de la Tragédie, parce qu’il s’en voulait d’avoir survécu alors que tant d’autres étaient morts… son corps n’était pas le seul à être blessé, son esprit aussi en avait souffert…
« Et tu es le dernier à plaindre… cracha Patricia avec haine. Tu as survécu alors que je le méritais bien plus que toi ou ton père… »
« Je sais… commença-t-il à s’excuser avant de se reprendre. Non ! Non… elle n’existe pas… c’est dans ma tête… »
« Nous n’existons pas ? C’est pourtant en te protégeant toi que je suis mort ! C’est comme ça qu’on m’a arraché à ma famille et qu’elle a commencé à exploser ! Et ton chien errant de père a tellement abusé de mon père et de mon oncle qu’ils se sont transformés en loup pour lui échapper ! »
« Je sais Glenn… je sais… si seulement… »
D’habitude, quand il se mettait à ruminer, Dedue, Théo ou une autre de ses cousines ou une de ses tantes lui demandait ce qui se passait, arrivant à voir quand les illusions tentaient de le perdre… mais avec son propre père, tout était différent… il semblait aussi perdu que lui, comme si c’était lui le fantôme, ne sachant quoi répondre… quand il était arrivé et qu’il avait demandé aux jumeaux ce qui allait se passer avec Lambert pendant cette entrevue, ils avaient été réellement honnête en avouant qu’ils ne savaient pas, que tout pouvait arriver mais, qu’ils seraient tout de même surveiller pour être sûr que son père ne tente rien qui pourrait le mettre en danger, et que Dimitri pouvait arrêter leur rencontre quand il voulait s’il était mal à l’aise… mais il voulait… il voulait au moins essayer de lui faire comprendre… c’était son père et la seule personne qui savait vraiment… qui connaissait l’horreur de cette nuit jusque dans sa chair… il devrait pouvoir comprendre tout ça…
Cependant, Lambert bégaya sans comprendre, posant sa main sur son bras comme pour s’ancrer autant que lui.
– Mais… mais non… bien sûr que non… ce n’est pas… ce n’était clairement pas ce que je voulais et… et qu’est-ce que c’est que ces histoires avec les morts ? Pourquoi ils voudraient qu’on les venge ? Qu’est-ce… qu’est-ce que tu racontes ?
Dimitri se referma un peu, se ramassant sur lui-même avant d’avouer en redressant un peu la tête, même s’il n’osa pas regarder son père dans les yeux, même s’il vivait surement la même chose que lui…
– Je voie les morts de la Tragédie papa… tout le temps… de jour comme de nuit… partout… ils hurlent tout le temps qu’ils sont morts… qu’ils regrettent d’être morts… qu’ils voulaient vivre… que personne ne les venge correctement… et… et ils me reprochent d’avoir survécu… sont furieux qu’on ait tous les deux survécu alors qu’ils ne voulaient pas être là ce jour-là, dans ce convoi mais, avec leur famille… Patricia, Glenn, Nicola, Frédérique, Jacques… tout le monde… tout le monde me réclame la tête de leurs assassins et ils te réclament aussi réparation… d’après Laïs, c’est à cause du traumatisme de Duscur… mon esprit a tellement été détruit par ce que j’ai vécu qu’il a inventé ces fantômes… car je m’en veux d’avoir survécu et me demande pourquoi moi et pas l’un d’eux… pourquoi c’est moi qui ai survécu et pas quelqu’un d’autre alors que tout le monde est mort à part toi… elle m’a donné un traitement pour m’aider à résister à ces hallucinations, et en parler m’aide mais, cela prendra beaucoup de temps… surement des années… encore plus que mes jambes… si je guéris un jour…
– Que… quoi ? Qu’est-ce que c’est que ces histoires ? Qui t’a mis ça dans la tête ? C’est tes tantes, c’est ça ? Ou les jumeaux ? Enfer ! ça pourrait même être Ludovic ! ça lui ressemblerait bien !
Dimitri se redressa d’un coup, le cœur brisé en mille morceaux en voyant le regard incrédule de Lambert sur lui, cherchant la moindre trace de mensonge ou de manipulation sur son visage… Il ne le croyait pas… son propre père ne le croyait pas… alors que ses tantes l’avaient tout de suite cru… il pensait qu’on l’avait persuadé que ses fantômes existaient… alors qu’il les voyait tout le temps… personne ne pourrait imaginer tout ce qu’ils lui disaient, dans quel état les morts étaient devant ses yeux… personne… et Lambert accusait… ses tantes ? Les jumeaux ? Et ce Ludovic ? Mais qui était Ludovic ? Il ne connaissait personne de ce nom-là ! Qu’est-ce que ça voulait dire ?! Lambert avait été là pourtant ! Il devrait pouvoir comprendre mieux que personne ce que s’était d’avoir vu tout le monde mourir alors qu’eux avaient survécu !
– Mais personne… personne… je te dis la vérité papa ! Je les voie vraiment ! Ils sont là ! Patricia est là ! Juste derrière toi ! Et Glenn est allé voir Rodrigue et Alix ! Tu devrais pouvoir comprendre pourtant ! Tu ne les voies pas ?! Tu n’y repenses pas ?
– Si, bien sûr, j’en fais aussi des cauchemars mais, c’est juste des cauchemars, rien de plus… comment Patricia pourrait être derrière moi… ? Elle est… Lambert s’arrêta, ne pouvant continuer, secouant la tête en marmonnant, déchiquetant encore et encore le cœur de Dimitri. Ce n’est pas possible… comment on a pu te faire rentrer dans la tête que ces cauchemars sont de vrais fantômes qui…
– C’est pas que des cauchemars ! C’est tout le temps ! Et c’est pas les sœurs de maman qui me l’ont dit ! C’est moi qui les voyais comme ça ! C’est elles qui m’ont dit que ce n’était pas de vrais fantômes mais, juste une conséquence de la Tragédie ! C’est pour ça qu’elles m’aident ! Les jumeaux aussi m’ont cru quand je leur ai raconté ! S’il te plait papa ! Tu dois me croire ! Je ne suis pas un menteur ! Je te dis la vérité ! Papa !
– Je sais que tu me dis la vérité, je te crois Dimitri mais, même si tu penses que c’est la vérité, ce n’est pas possible… les morts sont morts… à part les Braves, on ne peut pas les voir et ils ne peuvent rien nous demander… souffla-t-il, ne comprenant rien à rien, écrasant encore et encore le cœur de Dimitri comme il avait dû le faire avec les jumeaux pour leur faire autant de mal, levant la main pour tenter de lui toucher le front. Comment ils ont pu te...
– Ils n’ont rien fait si tu penses à mes tantes, aux jumeaux ou à ce Ludovic, répliqua-t-il tout de suite en repoussant sa main, faisant reculer son fauteuil pour s’éloigner de lui avant d’appeler faiblement, ne voulant pas briser encore plus l’image qu’il avait de son père. Gardes… garde, j’en ai fini… je n’ai plus rien à lui dire…
– Non ! Dimitri ! Attends…
Cependant, le garde arriva bien trop vite, attrapa les poignées du fauteuil roulant puis poussa le jeune garçon loin de son père, l’appelant encore et encore, l’air complètement désespéré alors qu’il ordonnait qu’on lâche son enfant, voulant encore le voir, maudissant les jumeaux, ses tantes et ce Ludovic inconnu… Dimitri se boucha les oreilles, les cris de son père vrillant ses tympans comme ceux des morts, le réclamant encore et encore…
Quand il vit Théo avec Rodrigue et Alix, il ne put s’empêcher de s’effondrer, pleurant toutes les larmes qui lui restaient, toutes celles n’étant pas encore partie en fumée pendant la Tragédie, enterrant son père à son tour en comprenant que lui aussi était mort… il était mort dans la Tragédie… si l’homme qu’il pensait connaitre, si rassurant et gentil, avait déjà existé… Rodrigue le prit dans ses bras, l’aidant à se calmer alors qu’il pleurait encore et encore… malgré tout ce que Lambert avait dit, il était toujours là, restant toujours à ses côtés, le croyant et le rassurant face aux fantômes, même si Dimitri n’avait pas eu le courage de lui avouer que même son propre fils le hantait… lui au moins, il n’avait pas changé…
« Avec eux, les Charon et mes amis, ça ira… eux au moins, ils me croient et me soutiendront toujours… j’en suis sûr… » arriva-t-il à se rassurer alors que les jumeaux et Théo l’aidaient à faire de l’ordre dans ses pensées, éloignant les fantômes se moquant de sa naïveté en le traitant de mauvais fils. Avec eux à ses côtés, peut-être qu’il pourrait ne plus croire le venin des fantômes…
*
Seul dans sa cellule, enfermé dans ses chaines, l’esprit de Lambert le nargua, rejouant la scène en boucle, horrifié… même… même son propre fils… même lui…
« Dimitri… Dimitri… lui aussi, tu me l’as pris… vous me l’avez tous pris… vous m’avez pris mon fils… vous me l’avez volé… tu me l’as volé… je suis sûr que c’est toi… tu disais que je t’avais tout volé mais, le seul voleur ici, c’est toi… c’est toi… c’est toi ! » Enragea-t-il, revoyant la silhouette de son ancien ami se rire de lui, éclatant d’un rire cruel à son oreille avant de se réfugier dans l’obscurité, loin des mains de Lambert rêvant de le faire taire pour de bon ! « Après m’avoir pris mon frère, tu m’as pris mon fils… ! C’est ta faute s’il m’a rejeté ! C’est toi qu’il a vu en premier ! Tout ça à cause de ces sœurs infernales, de ton frère, de toi et de Ludovic ! Rufus avait raison, il n’aime personne et ne veut que détruire notre famille ! Et toi, tu l’aides ! Tout ça pour prendre notre place ! Tout ça par ambition ! Tu es aussi assoiffé de pouvoir que tous les autres ! C’est juste que tu n’assumes rien ! Tu verras… tu me le paiera… tu me le paieras ! RODRIGUE !!! »
(suite en reblog)
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lilias42 · 6 months
Text
Acte 5 de “Tout ce que je veux, c'est te revoir…”
Bon, retour à l'histoire des Fraldarius avec la suite de cette histoire... et retour du running gag "j'avais dis dans le dernier billet que le prochain serait le dernier mais en fait non", il va encore avoir un autre billet car cette histoire fait maintenant 600 pages alors qu'elle était censée être courte. Je sais, moi aussi.
Enfin bon ! On reprend juste après les derniers évènements du dernier billet : Lambert est de plus en plus isolé avec Gautier qui s'allie à Sreng et fait sécession, Ivy et Oswald qui prennent les choses en main de leur côté tout comme Ludovic et les habitants de Fhirdiad, Lambert qui a ce qu'il mérite, et Félix qui a enfin retrouvé Rodrigue et Alix.
Comme toujours avec cette histoire, fans de Lambert, Rufus et Gustave, ou ceux qui voient le Royaume comme un gros bloc monolithique avec tout le monde qui suit le roi sans réfléchir, passez votre chemin. Ils sont très clairement antagonistes dans cette histoire, et Lambert va tomber encore plus bas dans la partie 6 alors, ne vous faites pas de mal en lisant cette histoire. Il y en a plein d'autres qui vous correspondront surement mieux ailleurs sur Tumblr et AO3.
Et comme toujours, coucou à @ladyniniane ! J'espère que ça te plaira !
Lachésis fit craquer sa nuque sur sa monture, épuisée alors que le soleil se couchait derrière Fhirdiad. Sa sœur et elle avaient passé des semaines à courir dans tout le domaine royal pour récupérer les ordinaires, et elles avaient dû arracher les sommes réclamées pièce de cuivre par pièce de cuivre !
« Déesse ! Quelle plaie ! Heureusement que nous étions en mission pour les Blaiddyd sinon, le nom de notre famille aurait été terni à jamais… encore plus chez les nobles qui ne veulent même pas mettre la main à la bourse… râla Thècle, épuisée. Et Déesse ! Quelle mauvaise gestion !
– Nous sommes d’accord, nos petits gèrent mieux leur argent de poche, marmonna Lachésis. Pour les baillis qui ont été nommé par Sa Majesté Ludovic ou quand Nitsa était encore là pour éviter les catastrophes, pas de problème, c’était propre, mais pour ceux nommés par Lambert, je préfère éviter de commenter de peur d’être impolie.
– C’était gérer avec les pieds oui… Nitsa serait morte de honte… comment elle a pu tomber amoureuse d’un homme pareil ? Maman n’avait pas tort quand elle disait qu’avoir donné Héléna en mariage à Lambert, c’était comme donner de la confiture à un cochon, sauf que le cochon à l’excuse d’être un cochon pour mettre ce qui est bon pour lui partout, pas Lambert.
– Fallait surtout demander à Myrina vu qu’elles ne se cachaient rien toutes les deux mais, si j’ai bien compris de mon côté, c’était surtout grâce à l’année à Garreg Mach où ils se sont beaucoup rapprochés… et puis, sur la fin, ça sentait mauvais leur mariage, même elle commençait à se détacher… elle lui a même interdit d’entrer dans sa chambre alors qu’elle accouchait, c’est Myrina qui lui a tenu les mains avec Effrosyni alors qu’elle mettait son fils au monde, ça veut tout dire…
– Ça aurait été mieux si Sa Majesté Ludovic avait pu mettre en œuvre son idée de monarchie élective… et si Nitsa avait eu le temps d’envoyer les papiers du divorce dans sa tête d’ahuri…
– Tout ce qu’il méritait si tu veux mon avis. Il l’a épuisée jusqu’à l’os, » gronda l’ainée, les mauvais souvenirs et la peur pour sa sœur refaisant surface, la voyant perdre des forces de jour en jour, comme une chandelle n’ayant plus ni cire ni mèche. « Nitsa avait toujours eu la santé de maman… je m’en souviens, elle n’était jamais tombée malade… pas une seule fois… mais quand elle s’est mariée… je ne sais pas, c’était comme si Lambert était un vampire et lui aspirait la moindre goutte de sang et de vitalité… elle était épuisée et affaiblie tout le temps… enfin, normal quand elle avait son travail et celui de son mari à faire car, elle devait toujours passé derrière lui…
– Quand on sait ça, ce n’est pas étonnant qu’elle ait eu autant de mal à mettre le petit prince au monde… elle qui voulait tant avoir un enfant…
– Et encore, il ne serait peut-être jamais né si Dame Félicia n’avait pas été aussi prévenante avec elle et Sa Majesté Ludovic aussi soucieux d’elle… enfin, on en reparlera plus tard, on doit retourner supporter « l’ahuri en chef » directement à Fhirdiad… les ramena à la réalité Lachésis.
– Je m’étais contenté de l’appeler « l’ahuri » mais, ça lui va bien aussi. En tout cas, je plains Rodrigue qui a dû le supporter tout ce temps ! Surtout qu’on ne peut pas l’ouvrir avec Rufus ! Râla Thècle.
– S’il croit que je vais la boucler sur la gestion de leurs comptes, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude et continue à s’enfoncer, grogna l’ainée de la fratrie. C’est un gosse immature et irresponsable mais, il va falloir le faire grandir à coup de pied au cul à ce stade. Autant l’un que l’autre.
– Si toi, tu commences à devenir grossière, c’est qu’ils sont fichus. Enfin bon, je propose qu’on passe à la taverne avant d’aller au palais, histoire de voir comment les choses ont évoluées à la capitale. En plus, il est tard, les enfants se couchent tôt.
– Hum… tu as raison, faisons ça, » accepta Lachésis. « Les citoyens de Fhirdiad seront surement plus bavards loin des larbins de Rufus. »
Les deux sœurs se turent en entrant à la capitale, se faisant discrètes, même si les gardes des portes les reconnurent tout de suite. Cependant, ils acceptèrent très vite de ne pas les annoncer – même trop vite – et les encouragèrent plutôt à aller à la taverne dit du père Mercier ce soir.
« On vous jure ! Si vous voulez avoir l’avis de la personne la plus lucide de tout Fhirdiad sur la situation du Royaume, il faut aller là-bas ! Lui assura le soldat avec un gros accent de Dominic, surement un qui avait été levé en masse par Rufus. Vous ne serez pas déçues, croyez-nous ! Et il faut que vous entendiez tout ce qui s’est passé ici ! C’est juste à peine croyable ! »
Les deux sœurs esquivèrent son insistance en jurant qu’elles allaient y réfléchir, même si elles se méfiaient de cette proposition. Vu les antécédents de Rufus, cela pouvait être un guet-apens… mais d’un autre côté, cette taverne était très fréquentée par des soldats de Fraldarius et de Charon, et le propriétaire serait fiable alors, peut-être… elles iraient peut-être avec quelques gardes… surtout qu’elles savaient se défendre, en particulier dans des espaces confinés… et quand elles virent l’état de la capitale, elles se dirent qu’elles n’avaient rien à perdre à connaitre l’avis des habitants…
Les rues étaient sombres et mal entretenues, avec des ordures qui bouchaient les égouts et transformaient la chaussée en mare de boue putride. Les seules personnes bien nourries étaient les rats festoyant au milieu des immondices, et les ratiers chargés de les chasser, même s’ils manquaient très clairement de chat pour tous les exterminer. Sinon, les faces étaient émaciées, creusées par la faim et la fatigue, les yeux vides d’usure après tout ce qui s’était passé ces dernières semaines… le terrain parfait pour le développement d’une épidémie…
« Un seul malade… un seul… et la peste est de retour… c’est pas vrai ! Enragea Lachésis. On avait dit et répété que la somme qu’on laissait à l’entretien des égouts ne devaient pas être utiliser pour autre chose ! On court à la catastrophe ! »
Les deux sœurs passèrent sur la place principale pour voir si rien n’y était placardé, n’espérant même plus que Rufus n’y fasse pas étalage de sa cruauté et de son incompétence. Une grande affiche s’y trouvait bien, juste à côté du gibet où se balançait un corps balloté par le vent, se décomposant déjà. Il aurait dû être dans une fosse commune depuis longtemps… même pas par compassion envers un criminel (et les Charon seraient curieuses de savoir si ce crime en était un aux yeux de la loi ou de ceux de Rufus), juste par mesure de salubrité public histoire que la pourriture ne contamine par l’eau ou les personnes qui passaient à côté… et à la lecture du placard, cela les étonna presque qu’il n’y ait pas plus de monde pendu au gibet… Déesse, Rufus était allé jusqu’à ressortir la réglementation de Clovis ! Heureusement que les juges ne devaient pas la respecter sinon, ce serait une véritable boucherie ! Comment Rodrigue avait pu laisser passer ça ?! Enfin, connaissant Rufus… et si…
« On y va ce soir ? Proposa Thècle.
– Ça me semble plus que nécessaire… » marmonna Lachésis.
S’équipant tout de même d’une armure sous leur manteau et leurs habits de fonctionnaires, ainsi que de gantelets rapides à mettre, les deux sœurs se rendirent à la taverne du père Mercier en compagnie de quelques gardes de confiance. L’établissement était plein à craquer, toutes les tables discutant vivement entre elles, même si le ton se fit plus bas quand leur groupe passaient à portée de voix. Le soldat de la porte les vit passer depuis sa table, sauta de sa chaise et les conduisit au bar où se trouvait le patron de l’établissement, le hélant sans hésiter.
« Eh ! Mercier ! Elles sont là !
– Ah ! Bonsoir mes dames. Je vous sers un verre d’eau ? Leur proposa-t-il simplement. Je n’ai plus rien d’autre.
– Bonsoir, et ne vous en faites pas pour cela, lui assura Lachésis. On aimerait surtout vous poser des questions sur ce qui a bien pu se passer à Fhirdiad, et ce n’est surement pas Rufus qui nous dira la vérité alors, on aimerait avoir la version des citoyens de la ville.
– Elle pourrait parler à l’albinois, il sait de quoi il parle. Et c’est les Charon, elles crachaient aussi sur le Lambert et le connard.
– Hum… je sais pas, il a pas mal toussé… et imagine si…
– Non, c’est bon, ne t’en fais pas, ça ira. C’est juste mes poumons qui sont fragiles… et l’air ambiant en ville ne m’aide pas…
Un jeune homme d’un peu moins de vingt ans sortit de l’arrière-boutique, enveloppé dans une couverture mais, la main qui la tenait était couverte d’encre. Au nom de la Déesse… c’était fou à quel point il pouvait ressembler à Sa Majesté Ludovic dans sa jeunesse ! Lachésis était petite à l’époque du coup d’État contre le roi Clovis mais, elle était sûr que ce jeune albinois aurait pu se faire passer pour le roi à cette époque… le père Mercier se tourna vers lui, le soutenant doucement, prévenant avec inquiétude.
– Fait tout de même attention Ludovic, l’air de Fhirdiad semble être encore plus mauvais pour toi que pour nous autres… ça doit te changer de celui d’Albinéa…
– Oui, il est bien meilleur là où je vivais avant mais, ne t’en fais pas, je peux tenir. On m’a prévenu de votre arrivée, j’imagine que vous êtes les filles de la matriarche Catherine Charon, Lachésis et Thècle, les salua-t-il. Ludovic Hange, albinois et scribe au palais, on m’a beaucoup parlé de vous.
– Enchanté Citoyen Hange, le salua Lachésis à la manière charonis. Nous aurions des questions à vous poser sur l’état de la capitale. Que s’est-il passé pendant notre absence ? On se croirait de retour à l’époque de Clovis ou d’avant les grands travaux d’assainissement.
– Une décision de Rufus, les sommes allouées à l’entretien des canalisations et des égouts ont été redirigés vers le maintien de l’unité du Royaume, et la future expédition punitive contre Gautier… déclara-t-il en s’asseyant face aux deux sœurs, ajoutant en les voyant écarquiller les yeux, elles n’avaient pas dû avoir de nouvelles de la capitale pendant plusieurs semaines. Enfin, commençons par le commencement avec ce qui s’est passé après votre départ…
Ludovic et les fhirdiadais résumèrent les derniers évènements aux charonis, détaillant seulement les éléments les plus importants. À la fin de leur histoire, Thècle passa sa main sur son visage, fatiguée rien qu’à entendre tout ceci…
– Déesse… quelle honte pour Faerghus… il est tellement incompétent qu’il vaut mieux être transformé en loup que de le subir ! Et pauvre Félix quand il va voir son père et son oncle arrivés devant lui en étant des loups ! Et ces méthodes de gouvernement… c’est pas le fils de son père, mais de son grand-père… autant pour Rufus que pour Lambert… c’est une honte d’aussi mal géré ses caisses et son Royaume… qu’est-ce que je dis, il ne doit même pas savoir ce qu’il se passe dans son propre palais alors, dans tout Faerghus, n’y pensons même pas ! Tu m’étonnes que les Gautier se soient barrés chez les srengs ! Et bien en plus si le nouveau margrave a accepté d’espionner le roi pour que leurs émissaires puissent mesurer à quel point il est incompétent ! Et pour qu’il admette nous avoir espionner, il ne doit plus en avoir rien à cirer de Faerghus ! On se retrouve avec le garde-frontière du côté ennemi à cause des conneries de Lambert et Rufus !
– Nous sommes bien d’accord… déclara Ludovic en hochant la tête. J’imagine que la situation dans le domaine royal n’est guère plus reluisante.
– Non… pour résumer rapidement, il n’a plus un sou en caisse dans une bonne partie du domaine royal et on a dû arracher la moindre pièce de cuivre à tous les commerçants et bourgeois vu que Rufus veut des espèces sonnantes et trébuchantes, pas des paiements en nature, sauf si c’est des fournitures militaires. Au moins, on a pu épargner les paysans les plus pauvres qui n’ont pratiquement jamais vu une pièce de monnaie de leur vie mais sinon, on a fait raquer tout le monde, du bailli au commerçant en passant par le curé. Autant vous dire que cela a encore plus sali l’image du roi…
– Et encore Lachésis, ça, c’est pour les ordinaires, image ce que cela aurait été si on avait dû récolter les extraordinaires dans tout le Royaume, lui rappela sa sœur. Là, c’est bon, tout le monde ressortait encore plus les fourches qu’ils ne le font déjà avec les levées en masses d’hommes et de vivres, et on reviendrait à l’époque des Grandes Jacqueries d’avant l’indépendance. On se dirige vers ça de toute manière… enfin, on devait déjà engueuler Lambert mais, on va encore plus lui arracher le crâne…
– Il invoque Héléna pour nous dire de nous calmer comme il l’aurait fait avec Sylvain, je ne réponds plus de rien… ajouta l’ainée. Tenter de le convaincre de parler en invoquant son ami Félix, alors que c’est Lambert lui-même qui a mis la famille de ce gosse en miettes. On va avoir du boulot pour relever le niveau de la capitale… au moins pour éviter que notre sœur soit la femme de l’homme qui a mené Faerghus à sa perte, il a déjà assez souillé sa tombe comme ça…
– Hum… si je puis me permettre, je crois que ce n’est pas la peine de vous démenez pour cette raison…
Les deux sœurs se tournèrent vers une femme de l’âge de Lachésis, proche de la cinquantaine, accoudée au bar alors qu’elle serrait son verre dans ses mains. Un jeune bucheron blessé à la tête s’approcha d’elle, posant sa main sur ses épaules.
– Que veux-tu dire maman ? Tu sais quelque chose en rapport avec la reine ?
– La question, c’est plutôt quelle reine… la femme tourna la tête vers les sœurs et Ludovic, l’air sombre et blasé quand elle annonça. Le roi s’est remarié, ça fait déjà des années à présent. Le petit prince avait trois ans quand c’est arrivé…
Lachésis et Thècle n’en crurent pas leurs oreilles quand cette femme leur annonça une nouvelle pareille. Non… c’était pas possible… leur famille gérait tous les papiers et l’administration du Royaume, ils étaient les gratte-papiers de la couronne depuis des générations ! Ils auraient forcément dû voir les papiers d’un maudit mariage ! Même morganatique !
– Quoi… ne put s’empêcher de lâcher la cadette avant de demander. Comment pourriez-vous être au courant ? Nous n’avons jamais rien vu qui allait dans ce sens ! Avez-vous une preuve de ce que vous avancez ?
– C’est parce que la Dame numéro deux vivait en recluse, même si elle apparaissait parfois officiellement. C’était Patricia Arnim, la « sœur » de Cornélia Arnim, marmonna-t-elle en faisant des guillemets autour du mot sœur. Hein… connerie, elles sont aussi sœurs que vous et moi. Tout ce qui existe dans le Royaume sur cette femme est faux. Je suis bien placé pour le savoir, j’étais une de ses servantes, et croyez-moi que si la paye était suffisamment généreuse pour que je ne révèle jamais son secret, vu le tempérament de chien de cette femme et comment le roi mène sa barque en ce moment, j’en ai plus rien à cirer. Et comme preuve, je dirais simplement qu’une nourrice normale n’a pas un carrosse attitré pour un voyage dans un autre pays, alors que toutes les autres s’entassent avec les autres domestiques. Elle avait eu le droit à une voiture pour elle toute seule car, elle a tanné le roi pour en avoir une afin de voyager avec plus de confort, et en privé, elle disait que c’était également pour donner plus de travail aux ducs de Fraldarius. Sa Majesté les avait mis dans la confidence pour avoir leur avis apparemment. Ils étaient contre mais, Lambert ne les a pas écoutés, évidemment… Patricia et eux ne s’appréciaient pas de base d’ailleurs, avant que cela tourne à la guerre ouverte après ce qui est arrivé au louveteau de la famille, quand il a failli être brûlé vif par Volkhard von Arundel.
– Patricia Arnim… marmonna Lachésis, pesant les arguments et informations qui arrivaient en essayant de ne pas se laisser influencer par son propre ressenti envers Lambert. Je voie de qui il s’agit et certes, le mariage avec une adrestienne de rang aussi modeste aurait pu être l’objet de contestation. Nous n’ignorons pas que nombre de grandes familles ont voulu succéder à notre sœur mais, malgré cette différence de rang, le mariage avec une roturière n’est pas interdit pour le roi. Cela aurait été d’un ridicule consommé quand le roi Loog lui-même était un fils bâtard ayant passé tout le début de sa vie à gagner sa pitance comme laboureur, et quand la quasi-totalité de ses proches alliés étaient également des enfants illégitimes ayant vécu comme des roturiers et étaient mariés à des roturiers. Même si nos relations avec l’Empire sont tendues, si cette Patricia Arnim a coupé tous les liens avec Adrestia et qu’elle a épousé tous les intérêts de Faerghus, il n’y aurait eu aucun problème à ce qu’elle convole avec le roi, surtout si elle est roturière, ce n’est pas la haute noblesse adrestienne, et Cornélia a rendu de grands services à la capitale et a une position considérable. Ils se seraient mariés de manière morganatique, certes, au moins pour éviter des problèmes de succession avec notre neveu mais, Dimitri restera toujours le premier-né du roi, avec un emblème et sa mère est la fille de la quatrième famille du Royaume en importance, et à octante-quatorze voix près, ça aurait été notre ancêtre Sybille qui aurait été élu reine à l’indépendance. Sa position d’héritier est donc complètement inattaquable, sauf si la nouvelle reine était une fille d’empereur, de roi ou de shah, ce qui ne semble pas être le cas, et qu’elle aurait eu un enfant avec un emblème majeur, ce qui n’est jamais arrivé, la Déesse soit louée. Quel intérêt a autant caché cette union ? Nous l’aurions certes mal pris sur le coup dans notre famille mais, la période de deuil était passé et si elle était digne de succéder à Héléna, nous l’aurions accepté, même si je doute qu’elle le soit si même les ducs de Fraldarius ne l’appréciaient guère. Et vous avez également dit qu’elle n’était pas vraiment la sœur de Cornélia Arnim, c’est exact ?
– Oui Dame Charon, elle prétend être sa sœur pour se cacher, et c’est justement là le problème, c’est qu’elle est une membre de la famille impériale d’Adrestia mais, pas par le sang, par alliance. C’était une ancienne concubine de l’empereur Ionius, Anselma von Arundel, ainsi que la mère d’une de ses héritières, la princesse Eldegard qui a l’emblème de Seiros. Cependant, Anselma a fui l’Empire suite à une crise et des tensions au sein du harem et elle est venue se réfugier auprès du roi. Ils se sont rapprochés et sont tombés amoureux l’un de l’autre, ce qui les a amenés à convoler ensemble. C’est pour ça qu’elle a défendu Arundel bec et ongle alors qu’il a failli brûlé vif un gosse, d’un parce que c’était son grand frère, et de deux parce qu’il avait ramené dans ses bagages la fille d’Anselma, Eldegard, pour la protéger d’une autre période de crise à Embarr et la ramener à sa mère. Sans cette sombre affaire, Sa Majesté aurait même souhaité qu’Eldegard reste indéfiniment à Fhirdiad pour faire plaisir à sa femme.
– Attendez… la coupa Thècle. Vous voulez dire que non seulement, Lambert est marié à une épouse de l’empereur et donc, c’est de la bigamie vue que ses concubines sont attachées à lui à vie, qui est aussi la mère d’une potentielle future impératrice… cinquième dans l’ordre de succession mais quand même, c’est tout à fait possible qu’elle le devienne étant donné que les empoisonnement sont monnaie courante dans le harem… qu’elle est la sœur d’un noble frontalier qui a été exilé à vie de Faerghus après une tentative d’homicide sur mineur avec circonstances aggravantes… qu’elle est ici sous un faux nom et avec de faux papiers, ce qui est complètement illégal… le tout pour la cacher de son premier mari, ce qui est compréhensible aux demeurants vu ce qu’elle a dû vivre mais, on n’aurait jamais pu nier être au courant de sa situation si sa véritable identité était découverte un jour, ce qui aurait été un casus belli de premier choix pour Ionius, encore plus si Lambert refusait de la renvoyer de l’autre côté de la frontière… et en plus, il voulait garder la propre fille d’Ionius, qui a les dents longues comme pas possible, qui ne nous a pas attaqué à son arrivée sur le trône uniquement parce qu’il avait peur de Sa Majesté Ludovic même s’il avait la tuberculose et a dû très vite faire face à de grandes oppositions en interne, dans le Royaume ? Dans son propre palais auprès de son fils qui plus est alors, si Ionius décide dans sa grande mansuétude de ne pas nous attaquer pour retenir sa fille en otage, il se contente de l’enlever, il pourrait enlever le fils de notre sœur au passage ? C’est bien ce que vous venez de nous dire ?!
– Oui, même si tout est au passé, elle est morte dans la Tragédie de Duscur… enfin, c’était bien mérité, elle poussait le roi à y aller… elle s’était éloignée de lui après qu’il ait exilé son frère pour tentative de meurtre…
– …Après qu’on lui ait mis la décision de justice dans les mains pour le forcer à prendre une décision vous voulez dire, la corrigea Lachésis en maugréant, comprenant mieux le bourbier où c’était enfoncé Lambert quatre ans auparavant. On ne l’aurait pas forcé à se décider, il serait encore en train de réfléchir si oui ou non, il fallait exiler un homme qui a tenté de tuer un gosse de neuf ans sans raison. Enfin, si c’était le frère de sa… de sa femme… pas étonnant qu’il ait autant hésité à le bannir, même si c’était une sentence extrêmement clémente pour son cas… nous qui croyons que c’était à cause de son habitude de détester mettre les mains dans la boue et se les salir, c’est encore plus pathétique qu’on ne le pensait… il délègue toujours ce genre de jugement, que ce soit aux Fraldarius ou nous… Déesse, Nitsa doit se retourner dans sa tombe ! Arundel mettait même son fils en danger ! Il aurait très bien pu recommencer et brûler vif Dimitri après avoir été à deux doigts de tuer Félix ! Tout ça pour les beaux yeux de cette femme ?! Et c’était quoi son rapport avec Duscur qu’on en finisse ?
– Et bien, elle a dit qu’elle voulait le suivre en Duscur, et que ce serait l’occasion de renouer ensemble pendant ce voyage… si j’ai bien compris, le seigneur Alix est venu lui voler dans les plumes à ce sujet et le seigneur Rodrigue a aussi tenté de le faire revenir à la raison concernant Son Altesse mais, rien à faire, le roi n’écoutait que Patricia et son frère… alors…
Le bruit du poing de Thècle qui s’abattit sur le comptoir la fit taire, son visage furieux éclairé par son emblème. Elle était hors d’elle… tout… tout…
– Tous ces morts… ma grande sœur… mon petit frère… ma propre fille… mes neveux et nièces, mes beaux-frères et belles-sœurs… nos citoyens… tous ces gens… tous ces gens sont morts parce que cet abruti voulait absolument renouer avec sa femme, femme qui est un risque pour la sécurité nationale au passage, qui a eu le culot de le pousser dans cette direction parce qu’elle n’était pas contente car pour une fois, Lambert a agi en roi et banni quelqu’un de dangereux et encore, uniquement parce que notre famille était sur ces talons avec une Myrina furieuse derrière l’épaule ! C’est ce que vous êtes en train de nous dire ?!
La servante hocha la tête, provoquant encore plus l’ire des deux sœurs. Se reprenant un peu, Lachésis demanda, même si elle ne se faisait guère d’illusion là-dessus, histoire de voir à quel point Lambert avait craché sur tout, autant son rôle de roi, de père et de mari.
– Au moins… est-ce qu’au moins, elle était digne d’Héléna ? Lambert, je n’en parle pas, seule une truie est digne de lui, et se serait insulté la truie de lui imposer un mari pareil mais, est-ce qu’au moins humainement, cette Patricia ou Anselma était digne de la grande reine qu’était ma sœur ? Est-ce qu’elle était digne d’être la belle-mère du fils d’Héléna et a été une aussi bonne mère pour lui que notre Nitsa l’aurait été ?
– Hélas non… au début, ça allait mais, je pense qu’elle était un peu intimidée et encore choquée par ce qu’elle avait fui, elle tentait même de se lier d’amitié avec les Fraldarius. Mais assez vite, sa vraie nature est ressortie… elle était capricieuse, il fallait sans cesse que tout ce qu’on faisait corresponde exactement à ce qu’elle voulait, même si c’était impossible à réaliser. Ça devait être pile ce à quoi elle pensait et ce qu’elle voulait sinon, elle n’acceptait rien, que ce soit sa nourriture, ses vêtements, la décoration de ses appartements ou même la réalité. Les Fraldarius lui disaient souvent non et la ramenaient sur le sol de Fodlan alors, elle ne les aimait pas, point. Et elle était aussi extrêmement jalouse, même des gens qui ne peuvent plus rien lui prendre… je pense que c’est une habitude qu’elle a pris au harem impérial mais, elle ne supportait pas que Lambert parle de sa première femme devant elle, même si c’était au prince, alors que Sa Majesté Héléna est sa mère. Un autre point de friction avec les Fraldarius d’ailleurs, ils ne se gênaient pas pour parler de Dame Héléna devant elle. Donc non, elle n’était pas digne de lui succéder à la place d’épouse de roi… c’est pour ça que j’en ai plus rien à secouer de balancer tout ça, j’ai été chassé sans salaire maintenant qu’elle est morte, c’était une patronne horrible et Lambert fait n’importe quoi, il ne mérite pas que je me taise !
– Cette femme est jalouse au point d’envier une morte ? Et au point d’interdire à son mari de parler à son enfant de sa mère qui ne l’a jamais connu ? Mais achevez-nous à ce stade d’indignité !
– J’ignorais également tout cela, marmonna Ludovic après Thècle, attentif sans rien laisser transparaitre. Enfin, en cherchant un peu, on devrait retrouver ce qui est lié à cette Patricia, Anselma ou peu importe. En tout cas, Lambert prouve une fois de plus qu’il pense plus à ce qu’il veut lui et son entourage proche, qu’à ce dont le Royaume a besoin. Il y a eu un conflit avec l’Empire autour du plateau de Brionnic, n’est-ce pas ? Alors, autant éviter un maximum de donner plus d’argument à Ionius pour convaincre son ministre des armées de nous attaquer, encore moins pour « sauver » une personne ou deux au détriment de milliers d’autres.
– Dans les deux cas, il aura de nos nouvelles dès demain, croyez-nous sur parole, menacèrent les deux sœurs, furieuses et humiliées.
Elles descendirent d’une traite leur verre qu’avait rerempli le père Mercier pour se calmer, puis les remercièrent pour ses informations et de repartirent, elles avaient une longue nuit qui les attendaient, surtout qu’elles avaient bien l’intention de prendre Lambert au saut du lit. L’élément crucial d’une embuscade était l’effet de surprise qui empêchait de s’organiser correctement et de se défendre, faute de renseignement ou de préparation insuffisante.
Cette caricature de roi avait envoyé leur famille à la mort dans une embuscade à cause de sa stupidité, il méritait de se prendre un retour de bâton équivalent.
De son côté, le père Mercier regarda Ludovic poser encore quelques questions à la femme, tout en prenant des nouvelles du bucheron avec qui il avait combattu au marché noir, Tristan, même s’il lui passa une tisane avec un peu de menthe forte trouvée à l’orée de la forêt. L’odeur fraiche lui débouchait bien les bronches, même si c’était mettre un bandage sur une jambe de bois. L’air même de la ville attaquait ses poumons sans pitié, comme s’il les pourrissait à l’intérieur même de son corps… ça devait le faire souffrir horriblement mais, Ludovic ne montrait rien et gardait la tête haute malgré tout…
« Le drame de Ludovic, c’est d’avoir un corps aussi fragile et d’être mal-né malgré son emblème… songea-t-il en lui donnant le breuvage tout chaud. Il serait né dans une grande famille, il aurait fait un excellent seigneur, même s’il aurait eu un règne court si sa santé ne suivait pas… »
Le jeune homme prit le verre en le remerciant, le tavernier décryptant son sourire si discret mais reconnaissant.
« Je vous rendrais votre gentillesse, je vous le promets, » souffla Ludovic une fois ses bronches dégagées.
Le connaissant, le père Mercier n’en doutait pas une seconde.
*
Quand il ouvrit les yeux, Lambert mit un peu de temps à comprendre où et quand il était. Il faisait sombre, la nuit ne devrait pas tarder à tomber et des nuages recouvraient le soleil, plongeant le ciel dans l’obscurité profonde et dans un torrent de pluie démentielle… on se croirait en plein milieu de la nuit…
Une petite flamme s’alluma dans le coin de ses yeux, éclairant tout son monde alors qu’il se rendait compte qu’il était dans la grande salle de Garreg Mach… Héléna la tenait dans sa main, illuminant une table où était assis Rodrigue et Alix côte à côte en se partageant un livre, faisant face à sa première épouse et Félicia ainsi qu’Ivy qui était assis à l’envers sur une chaise, les bras croisé sur le dossier et la tête dessus… c’était à la fois si proche et si lointain… à peine vingt ans pourtant et tant de chose avait changé… Lambert se souvient alors de ce jour-là, à l’académie des officiers… un orage de tous les diables les avaient obligés à passer leur dimanche à l’intérieur alors, en se perdant dans la bibliothèque en cherchant de quoi lire pour passer le temps, les jumeaux étaient tombés sur un recueil de chant de Faerghus. Ils s’étaient donc amusés à chanter les différents airs du recueil une bonne partie de l’après-midi pour tout le monde, une petite troupe finissant par se former autour d’eux pour les écouter. Leur voix avait toujours été magnifique…
La lumière de la flamme éclaira le visage halé d’Héléna, faisant revivre ses yeux d’aigue-marine et sa longue chevelure blonde tressée, notant avec nostalgie et regret qu’elle partageait sa crinière indomptable avec leur fils… son visage était à la fois si semblable et si différent de celui de Patricia… comme éclairé par une chandelle, on ne pouvait que voir son calme, son sérieux et son doux sourire à la fois si rare et si précieux… elle rayonnait force et de santé dans chaque morceau de son être…
« Héléna… »
Le veuf leva la main, la tendit vers sa première épouse, cherchant à se rapprocher de sa douce chandelle qui lui avait réchauffé les mains tant de fois, le guidant sur le bon chemin avec sa lumière rassurante…
Les jumeaux changèrent alors d’air, se mettant à entamer la « Supplique de Fraldarius », même si aucun des deux n’aimaient les hypothèses autour de cette chanson. Ils appréciaient la chanter pour toutes les émotions à l’intérieur mais, trouvait que l’interprétation des érudits autour ne collait vraiment pas à ce qu’ils ressentaient dans les paroles…
« Dans la nuit sans étoile, le vent mugit dans le noir,
Les ronces m’écorchent et m’enserrent en riant,
Les chaines cruelles boivent sans soif mon sang,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon désespoir, »
La voix des jumeaux s’immisça dans ses pensées, les parasitant avec leurs paroles étranges et inquiétantes alors que la flamme dans les mains d’Héléna faiblissait…
Deux yeux bleus d’eau percèrent la pénombre, avant qu’en n’émerge une silhouette longiligne, forte et presque invisible dans l’obscurité, avant qu’il ouvre une gueule écarlate, remplie de longs crocs comme d’immenses croissants de lune, coupants comme des sabres… Lambert s’écria alors, même s’il le reconnut tout de suite, mort de peur pour son épouse.
« Héléna ! Attention ! »
« Dans le froid de l’hiver, la bise se moque de moi,
Tous mes os se figent un par un,
Ils se pétrifient jusqu’à la fin,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon effroi,
Cependant, le loup se contenta de lui donner un petit coup de truffe à la jeune femme, attirant son attention avant de lui montrer un chemin. Sans hésiter malgré sa méfiance naturelle, peut-être parce qu’elle reconnaissait ses yeux d’eau, Héléna le suivit sans hésiter, s’enfonçant dans un couloir sombre avec lui.
Fou d’inquiétude et de peur que ça dégénère après sa crise de colère, Lambert les suivit en courant, essayant de les rattraper mais, quand il sortit du boyau, il n’était plus à Garreg Mach… non… non… il était de nouveau entouré des corps Duscur…
Héléna portait à présent sa longue robe blanche et bordeaux, brodé de son emblème et de l’astre céruléen, ses longs cheveux dénoués battant en silence dans le vent à la fois brûlant et glaciale, portant ses mots étranglés alors qu’elle se baissait vers les morts…
« Nia… Momon… »
Elle se releva, ses gestes saccadés faisant penser à ceux d’une poupée désarticulée, choquée en découvrant d’autres corps portant leur emblème, des visages d’adultes qu’elle n’avait connu que pendant leur enfance, des gardes et des fidèles de sa famille…
« Tous… tout le monde… »
Sa voix s’étrangla d’un coup alors qu’elle s’élançait vers la dernière personne que Lambert aurait voulu qu’elle voie, n’arrivant pas à la rejoindre avant qu’elle ne trouve la tâche bleu roi dans cet océan de blanc et de brun-rouge…
« Oh non ! Dimitri ! »
Héléna se précipita vers lui en enjambant les corps comme elle pouvait, le prenant tout de suite dans ses bras en utilisant la magie de soin, murmurant à leur fils, même s’il ne pouvait pas l’entendre, brûlé et étranglé de fumée…
« Dimitri… tient bon… tient bon… je vais te soigner… Mitsos… »
« Dans le noir des ténèbres, même le soleil cruel est ennemi,
Mes yeux déjà asséchés de larmes brûlent,
À sa vue dont ils ne supportent plus la férule,
Ô dieux, à la belle lune j’hurle, elle est ici ma seule amie. »
Le loup réapparut, s’asseyant à ses côtés en passant sa truffe sur les cheveux calcinés du blessé… Héléna se tourna vers lui, le fixant droit dans les yeux, telle qu’elle était avant sa mort. Sa peau semblait livide malgré son teint halé, des cernes sombres et profondes balafrant son visage, ses longs cheveux hirsutes et cassants comme de la paille… tel que la peste l’avait laissé…
« Tel que toi, tu l’as épuisée… susurra le loup sans qu’Héléna semble l’entendre, cette dernière lui demandant sans hésiter.
– Qui… qui a fait ça à mon fils ?
Sans un mot, le loup tourna alors son regard vers Lambert, retroussant ses babines dans un sourire satisfait quand Héléna se redressa, fixant son mari alors que son visage choqué changeait, s’enflammait de colère, le criblant du regard avec fureur.
« Ô Lune, grande lune si belle qui m’écoute toujours chaque nuit,
Ce soir, malgré les ronces qui m’étranglent et toujours me lacèrent,
Je te hurle mon désespoir, je te hurle ma rage, je te hurle ma prière,
Ô Lune, entend mon sort hurler au fond de cette prison de suie ! »
– Lambert… comment as-tu pu… comment as-tu pu emmener notre fils ici… comment as-tu pu emmener mon fils dans une expédition aussi dangereuse ?! Tu aurais dû le laisser au palais en sécurité ! Il n’avait rien à faire dans une expédition pareille !
– Héléna… je… je te jure que je ne pensais pas que ce serait aussi dangereux pour lui… lui promit-il en essayant de s’approcher d’elle, ouvrant ses bras. J’aurais su, jamais je ne l’aurais…
– Tout le monde t’a prévenu, le coupa-t-elle en se fermant, se mettant entre Lambert et Dimitri, comme pour le protéger. Myrina t’a dit et répété que ce passage était très dangereux et qu’il ne fallait surtout pas t’attarder dans ce piège à rat. Kimon t’a dit que tes lettres étaient mal faites et tes promesses irréalistes alors, il fallait travailler à nouveau avec les ambassadeurs pour trouver des accords plus réalistes mais que dans tous les cas, cela allait abimer nos relations avec Duscur, ce qui incitait à encore plus de vigilance. Lachésis t’a dit plusieurs fois qu’il fallait faire arrêter Kleiman et le mettre sous les verrous afin d’éviter qu’il n’aggrave encore plus la situation, et Thècle qu’elle avait besoin de plus de temps pour examiner son cas pour le juger. Tu as refusé et résultat, il continue à massacrer d’autres êtres humains sur la frontière sans que tu ne remarques rien et avec l’accord de Rufus. Rodrigue t’a répété plusieurs fois à quel point c’était dangereux pour Dimitri de l’emmener, et à quel point ils n���avaient pas le temps de tout préparer correctement pour assurer au maximum la sécurité de tout le convoi, Alix aussi te l’a encore répété avec force. Mais tu n’as écouté personne et maintenant, tout le monde est mort par ta faute ! Tu as le sang de notre propre enfant sur les mains !
– Héléna… je… je…
« Même si je suis prisonnier, je m’évaderai !
Même si je ne suis plus que mon désespoir, je m’en servirai !
Même couvert de chaines, jusqu’à la dernière je les lacérerai !
Ô lune ! Au pire des maléfices je me sacrifierai ! »
Il tenta encore de s’approcher malgré tout mais, sa première épouse enflamma ses mains avant de les serrer en poing, prête à frapper pour défendre Dimitri derrière elle, tout semblable à plusieurs représentations de la Flamme Passionnée, protégeant les siens en s’enflammant elle-même. La douce chandelle semblait être tombé dans l’huile, se propageant partout autour d’eux pour plonger la vallée étroite dans des flammes bleues, embrasant un grand bûcher funéraire pour les morts et un cocon protecteur pour Dimitri.
Lambert paniqua, sentit ses doigts fondre dans cette fournaise de plus en plus infernal, emportant Héléna à qui Dimitri s’accrochait à présent, le laissant seul. Il crut entendre la voix de Patricia au loin, l’appelant vers elle mais, ses appels ne firent que rendre les flammes encore plus fortes, plus cruelles, creusant sa peau alors qu’il tentait en vain de trouver une issue, un passage, une échappatoire… n’importe quoi qui pouvait le faire sortir d’ici !
« Que les dieux qui m’abandonnent me haïssent aujourd’hui,
Car moi la pauvre créature enfermée sort ses crocs acérés,
Même si devenir une bête est le pire des sorts à redouter,
Je suis prêt à en être une pour sortir de cette prison honnie ! »
En levant les yeux, suivant l’origine du chant qui résonnait tout autour de lui, l’homme vit à nouveau le loup le fixer depuis le sommet des ravins, la tête sur ses pattes, souriant toujours à pleines dents en le voyant se débattre, se tortiller dans les flammes en essayant en vain de s’échapper.
« Toi… ! »
Emporté par sa propre colère de la farce grotesque que lui imposait le loup qui avait remplacé son ami, Lambert arriva à trouver assez d’élan pour sauter, attraper le rebord de la falaise et à se hisser là où était la bête cruelle, rien que pour lui faire ravaler son sourire après avoir monté Héléna contre lui. C’était sa faute s’il cauchemardait à ce point ! C’était sa faute si elle était aussi en colère et fatiguée !
Cependant, quand il arriva à se hisser au sommet battu par le blizzard, le loup s’était un peu éloigné, riant toujours à la manière de Foa alors qu’il se relevait, un rire saccadé et malade, comme s’il se moquait de lui, le trouvait pathétique de tenter de l’attraper.
« Reviens ! Reviens et rends sa place à…
– Seulement si tu arrives à me rattraper ! Ghia ! Ghihi ! Ghihihi ! Que la Lune voie qui gagne ! »
Il repartit en riant, tâchant la blancheur éclatante des lieux avec sa noirceur de ténèbres, le forçant à s’enfoncer dans le blizzard. Lambert le suivit comme il pouvait mais, il était bien plus lourd que lui, ses pas s’enfonçant dans la neige épaisse, le noyant presque dans la poudreuse tranchante, alors que le loup courrait à vive allure sur le manteau neigeux et craquant, seules de légères traces de pattes vite recouvertes par le blizzard marquant son passage alors qu’il chantait à nouveau.
« La roue du destin tourne et tourne,
Les routes se mêlent et s’entremêlent,
Les saisons passent et vite trépassent,
On ne reconnait plus rien du tout !
Je cherche mon chemin ! S’écria le pauvre fol,
De quel chemin parles-tu ? Répondit la Lune
Le glorieux chemin que m’a destiné la fortune !
Qu’il est orgueilleux ! Ce pauvre fol est frivole !
Car notre chemin n’est jamais par un autre tracé,
Il est toujours fait de milles et milliers de pas bien décidés,
Il est toujours soigneusement pavé par notre seule volonté,
Tu as toi-même décidé par tes choix de te blesser !
Mon pauvre fol orgueilleux ! Ta pitoyable errance…
…n’est que le résultat de ta propre ignorance ! »
« Tais-toi ! C’est faux et tu le sais ! Je n’ai jamais décidé que tout tournerait ainsi ! Jamais je ne voulais que…
– Mais tu as tout de même décidé que tu mènerais le Royaume à sa perte.
Lambert s’arrêta net, figé en découvrant son père au sommet de la montagne, Areadbhar luisant dans ses mains, en grand habit de monarque, la couronne d’or de Loog ceignant son front, illuminé par la Lune… après avoir rencontré Blaiddyd en personne, Lambert ne pouvait que voir que Ludovic avait exactement les mêmes yeux que leur ancêtre… le loup était là aussi, allongé aux côtés de l’ancien roi, toujours aussi satisfait de lui-même, le narguant toujours… c’était encore plus cruel de sa part en sachant ce que son père allait lui faire remarquer…
– Regarde Lambert, lui ordonna son père en montrant la vallée en contrebas. Regarde le résultat de ton indécision et de tes décisions. Regarde les conséquences de tes actes.
Bien obligé d’avancer, l’homme obéit et regarda au bas de la colline. Tout était sombre, tout était plongé dans le noir sans aucun soleil à l’horizon… comme sans lendemain… il n’y avait personne aux alentours, juste des ombres indéfinis, comme vidé de toute vie…
– Non… il y a encore de la vie en Faerghus… on arrivera à se relever… on…
– Tu répares ce que tu as brisé toi-même, répliqua Ludovic avec sa voix froide, serrant Areadbhar entre ses mains. J’avais laissé derrière moi un Royaume sain, prospère après tant d’année de guerre et de terreur… toute ma vie, j’ai travaillé afin que le règne de mon père ne se répète pas… que tant de personnes ne subissent pas à nouveau de telles atrocités…
– Mais je n’ai jamais voulu faire le moindre mal à mes sujets ! Je ne les ai jamais entrainés dans des guerres sanglantes !
– Non, en effet. Mais tu méprises leurs vies tout autant que lui, bien que ce soit de manière différente. Clovis se moquait éperdument de la vie des autres, seule la sienne comptait, et il les envoyait à l’abattoir sans hésiter ou remord. Toi, à cause de ton inconscience et de ta naïveté, tu agis sans prendre en considération les risques qu’encours tout le monde, car tu es persuadé que tout se passera bien et que sinon, ce sera possible de réparer ce que tu as brisé, alors que rien ne peut rendre une vie perdue ou réparer cette absence… le tout en écoutant de moins en moins les voix qui s’élevaient contre toi et te conseillaient d’être plus prudent, et en n’écoutant que les personnes qui ne cherchaient qu’à profiter de la situation… souffla-t-il en passant sa main sur la tête du loup, avant de le fixer droit dans les yeux. Et vois où tout ceci t’a mené… mon plus grand regret est d’être mort aussi tôt, trop vite pour t’empêcher d’accéder au pouvoir. Tu n’as pas les épaules pour être roi, tu n’es pas fait ni digne d’une telle tâche, » sanctionna-t-il alors que du sang tuberculeux coulait de sa bouche, comme quand il retenait ses toux avant de mourir, mais il restait malgré tout droit et ferme, seuls ses poings tremblant de colère. « À cause de ma propre faiblesse, j’ai laissé le Royaume entre les mains d’un inconscient qui a tout détruit sur son passage en étant persuadé de bien agir, et cela l’a conduit à sa ruine. Le Royaume est meurtri par le deuil, la colère et le ressentiment, la faim le gangrène, la maladie guette dans la pénombre, attend son heure pour tourmenter encore plus notre peuple… il se délite même, Gautier est déjà en train de faire sécession vers Sreng où ils ne seront plus obligés d’obéir à tes ordres lunaires, et que crois-tu qui se passera quand Fraldarius apprendra ce que tu as fait à ses ducs ? Quand ils verront Rodrigue et Alix revenir sous la forme de loups tourmentés par le désespoir ? Que pensera Galatéa en voyant que Rufus les a déjà abandonnés ? Charon en voyant ta mauvaise gestion et quand ils apprendront l’affront que tu as fait à leur sœur ? Que penses-tu ce qui va arriver à Faerghus après tout ce que tu as fait et laissé faire ?
Lambert ne répondit pas, regardant son père sans savoir quoi dire… à part pour le fait que les Charon n’apprendront jamais pour Patricia, encore plus maintenant que… il avala sa salive en repoussant tout ce qui avait pu lui arriver…
– Et elle, elle est partie volontairement dans un voyage qu’elle a voulu. Elle n’a pas été arraché de force à ses proches.
L’homme jeta un regard au loup, à présent debout en regardant au loin, semblant chercher quelque chose dans les flammes. De près, on voyait ses côtes saillantes, des blessures sanguinolentes tachant sa fourrure de nuit, que ses grands yeux de chat étaient rougis de larmes… Ludovic se baissa vers le loup pour passer ses mains sur la tête du loup, doux et calme, moins froid avec lui qu’il ne l’avait jamais été avec presque personne d’autre… même si Lambert savait en son for intérieur que son père avait été chaleureux avec lui, souvent même avant que la politique et la question de la succession n’envenime leur relation, il ne put empêcher la jalousie de ronger son cœur, sachant à quel point Ludovic aurait préféré que ce soit ce loup son héritier plutôt que lui…
– Que de vies perdues et ruinées à cause de ton inconscience et de ma propre faiblesse…
Le loup passa un coup de langue sur la joue de Ludovic, avant que l’ancien roi ne se relève et le regarde dans les yeux, sa colère gelant Lambert sur place.
– Que pensais-tu accomplir en te comportant en tyran n’écoutant que ses ennemis ?
Lambert n’eut pas le temps de répondre, Ludovic disparut dans un tourbillon de neige, le lacérant de toute part alors que tout devenait de plus en plus sombre tout autour de lui… le plongeant dans les ténèbres les plus froides et terrifiantes…
Un fredonnement incompréhensible grouilla dans l’obscurité humide, le glaçant malgré sa familiarité…
Les ténèbres se dissipèrent à peine, alors que Lambert échouait dans une forêt noueuse et sombre… il faisait tellement humide, on se serait cru dans l’eau tellement l’air en était saturé… ces bois n’étaient pas éclairés par le soleil, seule la lune, l’Astre Céruléen et les étoiles tâchaient la nuit, éclaboussant les branches noires et emmêlées les unes les autres de leur lueur blafarde… ce n’était même pas ce qui illuminait vraiment sa vision, mais une forme blanche au fond du chemin, appelant encore et encore quelque chose mais, Lambert ne comprenait pas un seul mot de ce que disait la silhouette, floue comme un reflet dans une flaque… il s’approcha, hésitant avant de vraiment de retrouver le loup qui reprenait forme humaine en chantant toujours…
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection si douce te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Rodrigue était apparu face à lui, tout différent de celui qu’il était avant de se transformer. Ses joues étaient de nouveau pleines, ses gestes plus assurés et précis, ses pas bien plus stables, son dos bien droit, son maintien fier et royal… il semblait à nouveau en pleine santé, comme avant… une grande peau du loup recouvrait ses épaules comme une grande cape, cachant un peu son habit sarcelle et blanc pur, le rendant presque lumineux au milieu des ténèbres. Son chapelet était autour de son cou plutôt que sur son poignet droit, l’emblème de Fraldarius reposant sur son cœur, de nouveau en bon état alors qu’avec le temps, l’homme l’avait tout abimé à force de faire rouler les perles et de serrer les breloques dans ses prières… Un cercle d’argent orné de pierres de lune ceignait ses boucles noires, vibrant presque avec sa peau si pale… il avait l’air d’un meneur de loup, comme un être de légende sorti tout droit d’une chanson de geste… le roi de la forêt et de la nuit venant voir en personne qui avait osé franchir la frontière de son Royaume…
Ses yeux de chat se posèrent sur Lambert, profond comme le lac, illisibles… ce n’est qu’à ce moment-là que l’homme se rendit compte que le loup… l’homme face à lui… Rodrigue… peut-être… avait un foulard autour de lui, fait pour porter un enfant, vide, ainsi qu’une besace surement remplie de quoi soigner… il devait encore le chercher partout…
« Que… que veux-tu ? Demanda Lambert. C’est toi qui as provoqué tout ceci, n’est-ce pas… ?
– Quoi donc ?
– Tout ce qui vient de se passer ! Héléna ! Ludovic ! Duscur ! Dimitri ! Même la voix de Patricia ! C’est toi qui me les as montrés ! C’est toi qui les as amenés ici et les monter contre moi !
– Toi ou moi ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Explique-toi à la fin ! Et pourquoi tu te riais de moi tout à l’heure ?!
– Est-ce tes actions ou les miennes qui les ont rendus furieux ? Personnellement, j’ai ma réponse, se moqua-t-il avec un sourire qu’il n’avait jamais vu sur le visage de Rodrigue. Dans tous les cas, c’est bien mérité. Ce mépris et ce rejet sont tout ce que tu mérites.
Lambert eut un mouvement de recul face à son ami. Même s’il était redevenu humain, tout son comportement ressemblait à celui d’un loup tournant autour de sa proie, l’épuisant avant de sauter sur elle et lui rompre le cou pour la dévorer…
Rodrigue voulait le dévorer… il attendait le moindre signe de faiblesse pour lui sauter dessus et finir de le décapiter, il en était sûr… !
– Comment as-tu pu changer comme ça… osa demander Lambert. Nous… nous étions amis…
– Amis… répéta-t-il en posant sa main sur son menton, l’étudiant avec un mélange de mépris et de sarcasme, jouant encore avec lui en le faisant attendre. Amis ou outils… tu n’as fait que m’utiliser pour faire ton travail à ta place, tout comme Rufus… m’épuiser jusqu’à la dernière goutte de force et d’espoir… comme tu l’as fait pour Héléna… puis tu m’as tout pris… tout… tu m’as pris tout ce qui comptait pour moi, le tout en souriant tout le temps et en étant persuadé de le faire pour le bien de tous, alors que tu ne faisais que satisfaire tes propres désirs et ton égocentrisme…
– Tu sais bien que je ne pensais pas à mal… marmonna encore Lambert en détournant le regard, ne pouvant pas supporter de voir ce qu’était devenu son ami, ce regard froid et cruel sur son visage d’habitude si gentil et chaleureux. Je ne pensais pas que je te faisais souffrir au point de te… !
– Allons, relève la tête, lui ordonna-t-il sur un ton amical et enjoué, encore plus terrifiant que tout le reste ici, comme si tout ceci n’était qu’un jeu pour lui. Ait au moins le courage de regarder tes victimes en face quand elle vienne te demander des comptes. Et tu ne savais pas que tu me faisais souffrir ? Répéta-t-il. Tu ne savais pas qu’emmener mon enfant et mon compère de force dans un voyage aussi dangereux me faisait souffrir ?
Il fit un premier pas de loup dans sa direction.
– Tu ne savais pas que nous forcer à tous la main d’envoyer nos sujets et nos proches à la mort nous faisait souffrir ?
Un autre pas.
– Tu ne savais pas à quel point être obligé de te laisser autant de pouvoir sur Glenn me faisait souffrir ?
Encore un autre pas.
– Tu ne savais pas qu’agir comme si la mort de son père n’était pas importante pour Dimitri, que tu traites la mort aussi à la légère me faisait souffrir ?
Malgré la menace, Lambert était incapable de bouger, happé par le tourbillon de question de l’entité face à lui, harponné par ses yeux si bleu posés sur lui.
– Tu ne savais pas que devoir tout faire pour encore réparer tes erreurs à ta place me faisait souffrir ?
Rodrigue était maintenant face à lui, posant encore et encore des questions avec ce sourire de loup, de plus en plus sombre et menaçant, semblant immense malgré sa plus petite taille.
– Tu ne savais pas que travailler pour l’homme qui a tué mon fils et mon compère me faisait souffrir ?
Rodrigue leva ses mains, armées de longs ongles semblables à des griffes, souriant toujours, la lune se reflétant sur ses crocs blancs.
– Tu ne savais pas que m’arracher mon louveteau et mon frère me faisait souffrir ?
Il enroula ses doigts griffus autour de sa gorge, le tirant jusqu’à ce qu’il soit front contre front en crachant la dernière question.
– Tu ne savais pas à quel point je te hais pour m’avoir tout prit ? À quel point je te hais de toute mon âme depuis ce jour où tu es rentré sans eux ? Que tu es naïf… c’est à vomir…
Il serra en grognant, son sourire et son masque abandonné, ne laissant qu’une émotion brute de haine, de dégout et de détestation gravé au plus profond de sa voix et de son être.
– Rends-les-moi… rends-les-moi ! Rends-moi tout ce que tu m’as volé !
– Rodrigue ! » Protesta Lambert en tentant de se libérer, accrochant ses propres mains à celles de l’homme en échouant à le faire lâcher prise malgré sa force… est-ce qu’il était vraiment devenu un être surnaturel pendant qu’il s’était transformé ?! Il semblait sortir d’un autre monde ! « Je t’en supplie ! Calme-toi !
– Rends-les-moi ! Je veux mes enfants ! Je veux ma famille ! » S’écria-t-il, tout croc dehors, en serrant encore plus fort, assez pour le griffer… du sang coulait le long de sa gorge… il était sur le point de l’égorger ! « Tu as répandu le sang de Glenn et de Nicola pour survivre comme le vampire que tu es ! C’est à cause de toi qu’ils sont morts ! Rends-les-moi tous les deux !
– Je ne peux pas ramener les morts !
– Il fallait y penser avant ! Tu nous demandes l’impossible alors, fait-le aussi ! C’est leur sang qui te permet de vivre aujourd’hui ! Rends-le-leur ! Rends-leurs tout le sang que tu leur as volé !
– Rodrigue… tu m’étrangles !
– Rends-moi Glenn ! Rends-moi Nicola ! Et surtout, rends-moi Félix ! Rends-moi mon louveteau ! Tu es allé jusqu’à me prendre mon seul enfant qui me restait ! La dernière personne que Félicia a rencontrée et aimée plus que sa vie avec Glenn ! Tu nous as pris notre dernier petit ! La personne que j’aime le plus au monde ! Tu as même osé m’arracher Félix par caprice après avoir tué Glenn par inconscience ! Je veux retrouver mon louveteau ! Rends-le-moi !
– Rodrigue ! Je… Lambert haleta, ayant du mal à parler, perdant de plus en plus d’air. Je ne peux pas le récupérer comme ça… Dimitri doit vou…
– Rends-moi mes fils ! Rends-moi le seul fils qui t’a échappé ! Rends-moi Félix ! Arrête de te comporter comme un enfant gâté et rends-moi Félix ! Je veux ma famille ! Lui, tu ne pourras pas me le voler ! Pas lui aussi ! Je ferais tout pour récupérer mon enfant ! Tout ! » Lui jura-t-il en serrant encore plus fort ! Il allait finir par faire sauter sa tête en déchirant son cou ! « Alors, rends-le-moi ! Maintenant !
– Rodrigue ! Par pitié ! Arrête ! »
Lambert se réveilla d’un coup en hurlant, reprenant son souffle à grandes bouffées sans pouvoir s’empêcher de presser ses mains contre sa gorge, s’attendant pratiquement à sentir du sang et des entailles profondes sous ses doigts… il sentait encore les mains de son ami la saisir et serrer… lui hurler de lui rendre sa famille… lui hurler sa haine… non… ce n’était pas possible… Rodrigue ne pouvait pas le considérer ainsi… le haïr avec autant de force… ce n’était qu’un cauchemar… rien qu’un cauchemar… rien de plus…
Pourtant, il entendait encore le cri, le hurlement du loup résonné dans la nuit alors qu’il s’échappait enfin de ce rêve étrange…
« Je te hais ! »
L’homme fit tout pour repousser ce mensonge… c’était un mensonge, c’était forcé… Rodrigue ne pouvait pas…
Malgré tout, le rêve continua à le hanter une bonne partie de la matinée, tellement qu’il finit par se résoudre par aller voir Rufus pour en parler malgré tout… il avait beau jurer qu’il n’avait rien à voir avec les exactions de Kleiman, que c’était juste un appui de circonstance pour une situation très tendue qui demandait tous les bras disponibles pour s’en sortir, Lambert ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine appréhension avec lui… comme si quelque chose dans ses mots sonnaient faux… cependant, Rufus restait son grand frère… son grand frère à qui il pouvait tout dire et tout partager, même les choses les plus inavouables ou gênantes… son grand frère qui l’avait toujours mis en confiance, pour le meilleur comme pour le pire mais, c’était déjà beaucoup quand on passait derrière un roi de la stature de Ludovic… il ne pouvait pas s’empêcher de lui faire confiance pour quelque chose d’aussi étrange qu’un rêve pareil… même si ça concernait Rodrigue et qu’il n’ignorait pas leur antipathie réciproque…
Lambert alla dans le bureau de son frère mais, en voyant qu’il n’était pas là, il décida de l’attendre, il ne devrait pas s’absenter bien longtemps… Rufus travaillait bien plus qu’avant la Tragédie, il avait aussi droit de prendre une pause de temps en temps…
« Même s’il aurait pu en accorder aussi à Rodrigue… enfin, c’est fait maintenant… »
Une petite cassette dans un coin du bureau attira l’attention de l’homme. Elle était tout simple, décoré de quelques vrilles végétales mais, il la reconnaitrait entre mille… Rufus y tenait beaucoup… la seule fois où il avait disputé Dimitri, c’était quand il avait voulu la récupérer pour qu’elle soit le coffre au trésor d’un roi maléfique dans un de ses jeux… même Lambert n’avait jamais vu ce qui avait à l’intérieur… il s’était toujours imaginé qu’il s’agissait de la correspondance intime de son frère, d’où son angoisse que qui que ce soit voit le contenu de cette cassette… même si Rufus avait aussi promis avec aplomb de lui montrer son contenu quand il reviendrait triomphant de Duscur… bon, pour le triomphant, c’était raté mais…
« Non… c’est à lui… c’est sa vie privée… il me le montrera quand il voudra… »
Mais c’était si tentant… et Rufus lui avait dit qu’il lui montrerait en plus…
Il ne perdait rien à juste la manipuler un peu…
La première chose qui étonna Lambert en la prenant dans ses mains était le poids de la boite. Elle semblait pleine à ras bord s’il se fiait à son poids, alors qu’elle semblait plus légère quand Rufus lui avait montré la dernière fois…
« Qu’est-ce qui a bien pu… »
Il ne put résister et força la boite, l’ouvrant sans souci avec sa force.
La cassette ne contenait que du papier, des lettres mêmes à première vue mais, ce qui étonna Lambert, c’était qu’il ne s’agissait pas de l’écriture soignée de Rufus… non… elle était bien plus biscornu, comme écrite par quelqu’un de plus jeune ou un gaucher étalant l’encre avec sa main en rédigeant… et il y avait plusieurs scriptes…
Même s’il se força à penser qu’il s’agissait des lettres de ses amants, des soupçons empoisonnèrent le cœur de Lambert alors qu’il dépliait une missive au sceau déjà cassé…
« Papa, pourquoi tu ne m’écris plus ?! J’ai plus de nouvelles de toi depuis des semaines ! Qu’est-ce qui se passe ?! »
« C’est l’écriture de Félix ! Mais qu’est-ce qu’une de ses lettres pour son père fait là ?! »
Lambert en sortit une autre, reconnaissant l’écriture d’Alix, le début de la lettre étant dans le même ton que la précédente.
« Rodrigue, je sais que tu ne vas pas bien, je le sens, je sens que tu es mal et que ça ne s’améliore pas… je ne sais pas pourquoi je n’ai plus de lettre de toi, est-ce que c’est à cause de ça ? »
Son sang se gelant de plus en plus, Lambert en sortit deux autres, portant cette fois l’écriture de Rodrigue, destinées à son fils et à son frère, également décachetées comme si elles avaient déjà été lues. Son ami parlait de ses mêmes inquiétudes, des lettres qui n’arrivaient pas et de son inquiétude… Même demande, même inquiétude… Déesse ! Qu’est-ce qu’elles faisaient là ?!
« Non ! On m’a volé mes lettres ! Alix a demandé à Ivy de lui faire passer une lettre de sa part où il disait qu’il n’en recevait plus de ma part, alors que je lui écris tous les jours et lui aussi ! Quelqu’un vole les siennes et celles de Félix ! C’est pour ça que je n’ai plus de nouvelles ! »
Il entendait encore le gémissement paniqué de Rodrigue, tout le désespoir qu’il n’avait pas perçu au départ dans sa voix, toute l’inquiétude et la peur qui se mêlaient ensemble à l’intérieur…
« Rufus ne peut tout de même pas être… »
Cependant, malgré tous ses efforts pour trouver des excuses à son frère, Lambert dut se rendre à l’évidence en se rendant compte que toute la correspondance volée de Rodrigue était là… les lettres qu’il avait envoyées, celles qu’il avait reçu… tout… tout était là ! Tout était ouvert ! Rufus n’avait tout de même pas tout lu ?!
Aucun doute, c’était lui le voleur de leur correspondance… mais… mais pourquoi ? Pourquoi faire ça ? Pourquoi faire quelque chose d’aussi cruel ?! Rufus détestait Rodrigue et Alix de toute son âme à cause de Ludovic mais, pas à ce point tout de même !
Lambert pensait ne pas pouvoir être plus horrifié mais, quand il vit des papiers roulés tout au fond de la cassette, semblant plus anciens et usés, même tâchés de sang pour certains, un doute noir lui dévora le cœur… non… non… non…
Il attrapa un rouleau et le déroula en tremblant…
« À mon Royaume, que j’ai toujours désiré servir au mieux… »
L’homme ne put que reconnaitre l’écriture de son père, la plume tremblante de Ludovic… le parchemin était même tâché de ses crachats de sang à cause de sa tuberculose…
Comme happé par le rouleau, Lambert ne put s’empêcher de continuer à lire les mots, même s’il se doutait du contenu… voir même le redoutait plus encore que les fantômes et les cauchemars…
« Malgré l’horreur, je n’ai jamais oublié le règne de mon père. Toute ma vie durant, je n’ai jamais oublié ces rues couvertes de sang, la terreur et la faim mais, ce qui me marqua le plus était son aplomb. Clovis était persuadé d’être dans son bon droit et ne le cachait pas. Même si ces actes étaient immoraux, il s’appuyait sur la loi en la détournant à son profit, devenant inarrêtable dans sa position de roi pour commettre toutes ses exactions. Dès lors, mon seul objectif fut de mettre Faerghus à l’abri d’un autre souverain tel que lui. « Protéger et servir le peuple du Saint-Royaume de Faerghus », tel a été la devise qui a guidé chacun de mes pas avec l’aide de mes proches pour que jamais, je n’en dévie un seul instant…
Lambert sentir son cœur battre à toute vitesse dans sa poitrine. Ce… ce parchemin… c’était le testament de son père… c’était le testament de Ludovic ! C’était Rufus qui l’avait pendant toutes ses années ?!
Cependant, une grande crainte demeurait : comment empêcher un autre Clovis d’arriver ? Comment empêcher qu’un autre souverain tel que lui ne monte sur le trône ? Ne soit imposer par le hasard cruel de la naissance ? Clovis était le fils ainé de sa mère et malheureusement pour l’orgueil de notre lignée, elle n’était guère plus recommandable que son fils. Elle était seulement qu’un peu plus discrète que lui mais, possédait les mêmes torts, centrant de plus en plus de pouvoir sur elle-même au détriment de ses contradicteurs mais, par ce geste, elle détruisait de précieux garde-fous qui pouvaient endiguer les exactions du pouvoir royal, soigneusement construit par Loog le Lion et sa fille Sophie la Sage. Ces deux souverains ont été élus avec peu d’avance, savaient qu’ils devaient composer avec l’ensemble de leur royaume et de leur peuple pour faire grandir Faerghus sans plus de violence après la guerre, que des contradicteurs n’étaient point des ennemis à anéantir mais, des personnes nécessaires à toute remise en question de chaque action, afin de peser le pour et le contre puis, changer d’avis ou camper sur ses positions une fois que nous ayons entendu tous les arguments.
Le passage à la succession filiale nous a assené un coup majeur, nous avons commencé à nous croire tel les Hresvelg, choisis par la Déesse pour régner et le pouvoir nous ait monté à la tête. Notre objectif n’était plus de servir notre peuple comme l’avait voulu le roi Loog, mais que notre peuple nous serve afin de gagner de plus en plus de pouvoir, centralisant toujours plus les fonctions de commandement sur notre propre personne et dépouillant nos adversaires des armes qui leur permettait de nous arrêter quand nos actions devenaient dangereuses pour notre peuple. Au comble de notre hubris, nous avons même commencé à traiter toute une lignée comme des objets jetables, des boucliers qui ne servent qu’à prendre les coups à notre place pour que nous puissions survivre, pendant que cette famille portait perpétuellement le deuil de tous ses membres sacrifiés aux Blaiddyd… Nos ancêtres doivent rougir de honte devant notre décadence…
J’aimerais dire que tout ceci s’est arrêté avec la mort de mon père mais, je ne me fais guère d’illusion. Le hasard fait qu’à chaque fois, à chaque naissance, à chaque génération, il y aura toujours un risque qu’à nouveau, un autre Clovis naisse. Je n’ai échappé à la décadence de ma famille que grâce à mon corps faible malgré mon emblème, inapte à la guerre et facilement malade, ce qui m’a permis de vivre au sein d’une famille aimante et normale, pour qui je ne ressent que de l’affection, et que je ne remercierais jamais assez pour leur accueil et leur amour, même si je les ai à mon tour meurtri d’un deuil dont je porte la responsabilité et la culpabilité chaque jour.
J’ai tout fait pour bien éduquer mes enfants, pour les emmener au plus loin des conceptions de leur grand-père et leur inculquer que ce n’est pas le peuple qui doit servir le roi, mais le roi qui doit toujours servir son peuple en premier lieu. Cependant, je me suis rendu compte que cela ne faisait pas tout… Mon fils Lambert est un homme au grand cœur, gentil et chaleureux, ainsi qu’un guerrier accompli à la force extraordinaire. Je suis fier de ses prouesses au combat et heureux d’être son père malgré notre relation compliquée. Il reste mon fils et je l’aime de tout mon cœur mais, cette amour ne peut masquer l’ampleur de ses défauts moraux.
Il est chaleureux mais, également négligent et naïf. Malgré tous mes efforts, jamais je ne suis arrivé à lui faire comprendre qu’on ne peut aider tout le monde, qu’il fallait choisir qui aider car, tout le monde n’a pas besoin d’aide de la même manière et qu’il fallait concentrer le soutien au plus faible mais, dans une vision naïve de l’égalité, il reste persuadé que le mieux à faire est d’aider tout le monde à part égale, sans se soucier du contexte de départ, ce qui le rend très inefficace et indécis dans des situations où il doit justement trancher un conflit sans pouvoir satisfaire tout le monde. Sa négligence envers ses proches combinée à cette naïveté et son entêtement pousse ces derniers à devoir ajuster tout ce qu’il fait, rattrapant avec les quelques pouvoirs que nous leurs avons laissés ou rendus ce qu’ils peuvent pour éviter de léser le Royaume.
La première victime de cette situation est malheureusement ma belle-fille, Héléna. C’est une femme brillante, avec un grand avenir devant elle, sachant convaincre même les plus entêtés comme son mari mais, cela est se fait au prix de grands efforts et de longues négociations qui ont malheureusement eu raison de sa santé. Puisse-t-elle me pardonner un jour de lui avoir imposer un tel époux, elle qui méritait de pouvoir monter bien plus haut que de se contenter d’être l’ombre balayant derrière le roi. Elle attend à présent leur enfant, et j’espère pouvoir vivre assez longtemps pour pouvoir rencontrer ce petit être que mon cœur sait déjà être exceptionnel, que j’aimerais de tout l’amour qu’il reste dans ma carcasse rongée par la tuberculose, mais mon esprit ne cesse de me rappeler à l’ordre, de me demander s’il ne risquerait pas d’avoir hérité des défauts de son père plutôt que des qualités de sa mère… et dans le même souffle, m’excuser envers lui et sa mère de leur imposer un père que je sais être aussi négligent. Je prie pour que la paternité le rende au moins responsable et prudent avec la santé de son enfant pour que jamais, il ne le mette en danger.
Au fil du temps, il s’est imposé à moi une chose : jamais mon fils ne doit monter sur le trône. Cette nouvelle position peut autant le rendre plus responsable, enfin lui faire prendre conscience des choses mais, je sais que cet optimisme n’est nourri que par mon affection, et je ne puis m’appuyer uniquement sur elle pour confier le destin de Faerghus à qui que ce soit. Ma raison ne peut que me rappeler à quel point le risque qu’il prenne encore plus confiance en lui ne le mène sur une pente glissante, une pente où il n’écoutera plus personne, même ses amis les plus chers à son cœur et ne se fassent manipuler par des ennemis qui sauront profiter de ses failles. Héléna s’épuise bien assez chaque jour pour éviter que cela arrive, je ne veux pas lui causer encore plus de tort.
Aussi trouverez-vous dans les papiers accompagnant ce testament la procédure complète à suivre pour que le prochain souverain soit élu, à la manière de Loog le Lion et de sa fille Sophie. C’est un projet qui me tient à cœur depuis des années et que je voulais mettre en place depuis mon accession au trône mais, mon corps me trahit avant que je ne puit l’organiser moi-même. Il est à peine fini mais, mes poumons me tuent lentement, rongent ma vie et l’absorbent pour nourrir la tuberculose qu’ils abritent. Je vous prie de pardonner mon inconscience et mon retard, tout le temps que j’ai mis avec mes proches à conclure ce système et de ne pouvoir le mettre en place moi-même. Ainsi, ce sera aux citoyens de Faerghus de choisir eux-mêmes le souverain qui leur convient, et ainsi, ils échapperont aux cruels hasards de la naissance, ainsi que de nouveaux garde-fous pour éviter tout débordement tel que le pays en a connu sous trop de mes ancêtres.
Ainsi, en mon âme et conscience, je me dois de l’admettre et reconnaitre que dans la situation actuelle, si je devais voter pour élire le prochain roi, ma voix irait aux jumeaux Rodrigue Achille Fraldarius et Alix Persée Fraldarius. Selon mon expérience, mon esprit et ma propre réflexion, ainsi que l’observation de leurs parcours et décisions antérieurs, ils sont les plus à même de prendre soin du Royaume pour le mener vers un jour meilleur.
Quant à mes fils, je me doute que Rufus ne me pardonnera surement jamais de refuser le trône à son frère. Lambert est de loin la personne qu’il aime le plus au monde, et je remercie la Déesse que mes fils s’entendent si bien mais, la raison doit l’emporter sur l’affection. Bien que je ne puisse pas arracher notre domaine à son contrôle, il sera au moins entouré par des conseillers et des baillis dont la fidélité est acquise à notre peuple et non à notre famille, et je ne doute point que les Charon sauront fournir des personnes compétentes et fidèles à Héléna. Je ne puis qu’espérer qu’elle trouvera quelqu’un qui l’aidera à échapper à tout ceci et si la situation s’empirerait encore, la force de quitter une personne ne lui apportant rien d’autre que de l’épuisement malgré ses sentiments pour Lambert.
Beaucoup diront sans doute que ces lignes ne sont que folies, nourries par la tuberculose qui me rongerait l’esprit mais, je jure devant la Déesse avoir encore toute ma tête. Toute ma vie, j’ai travaillé pour être digne des habitants du Saint-Royaume de Faerghus, digne de ce peuple fort et courageux qui s’est révolté contre l’injustice et la cruauté de l’empereur pour faire nation et vivre selon ses propres aspiration, digne de ce hasard qui m’avait élu roi d’un si grand peuple. Je suis conscient que l’élection du roi ne règlera pas tous les problèmes de notre pays, beaucoup de travail doit encore être fait avant que les sujets… que dis-je, les citoyens de Faerghus vivent dans un pays sain et absout des difficultés que nous connaissons à présent. J’ai commencé à tracer cette voie tout en reconstruisant le Royaume à partir des décombres qu’a laissé Clovis dans son sillage, je regrette de ne pouvoir plus avancer alors que mon corps me trahit. Je garde cependant l’espoir que les prochains souverains qui me suivront sauront tous avancer dans cette direction. Si tel que je l’espère, Rodrigue Achille et Alix Persée Fraldarius, sont élus, j’ai peu de doute sur le fait qu’ils sauront être dignes de cette mission.
Je vous souhaite une vie longue, heureuse et en sécurité à tous. J’espère de tout mon cœur que mes fils continueront à grandir et s’amélioreront avec le temps, bien malgré tous mes doutes. On dirait bien que ma raison ne peut pas complètement prendre le pas sur mon affection, et me pousse à croire à un avenir radieux pour eux. Je prie également pour que mon successeur connaisse un long règne de paix, une paix que mérite ce Royaume si résilient malgré toutes les difficultés qu’il a vécues.
En mon âme et conscience.
Ludovic le Troisième Clodomir Blaiddyd, dit le Prudent. »
Lambert se laissa tomber sur la chaise au fur et à mesure de la lecture, ne pouvant s’empêcher de relire plusieurs fois tout le rouleau. L’écriture était tremblante, saccadé comme si Ludovic s’était arrêté plusieurs fois à cause de ses toux, le parchemin tâché de sang témoignant qu’il avait encore dû en cracher, rendant la fin pratiquement illisible sous le sang, les tâches et l’encre baveuse, comme si on avait roulé le testament avant qu’elle n’ait fini de sécher…
« Ainsi, en mon âme et conscience, je me dois de l’admettre et reconnaitre que dans la situation actuelle, si je devais voter pour élire le prochain roi, ma voix irait aux jumeaux Rodrigue Achille Fraldarius et Alix Persée Fraldarius. Selon mon expérience, mon esprit et ma propre réflexion, ainsi que l’observation de leurs parcours et décisions antérieurs, ils sont les plus à même de prendre soin du Royaume pour le mener vers un jour meilleur. »
L’homme ne pouvait s’empêcher de relire ce passage encore et encore. Les noms étaient recouverts d’une énorme tâche de sang assez épaisse, ce serait surement illisible dans quelques années quand le parchemin aura encore vieilli mais, malgré tout, Lambert ne pouvait que les décrypter, les relisant encore et encore.
Son père l’avait complètement déshérité au profit de Rodrigue et Alix.
Des souvenirs parasites refaisaient surface, rappelant des séances de travail les réunissant tous, autant Héléna que les jumeaux. Lambert parlait beaucoup mais, se faisait souvent rappeler à l’ordre et réexpliquer les choses. Face à lui, Rodrigue analysait les situations en a rien de temps, devinant facilement l’origine des tensions, pendant qu’Alix proposait des solutions et Héléna le cadre pour les mettre en place. L’impression d’être à la traine malgré toutes les explications… le regard fier de son père qui couvait les jumeaux en disant qu’ils ressemblaient à leurs parents… même si Lambert n’avait jamais voulu ressembler à Ludovic à cause de leurs différences de caractère, encore moins à sa mère assoiffée de sang, il ne put s’empêcher de les envier… de vouloir entendre le même compliment sur son travail… comme eux deux… voir son père être fier de lui ainsi…
Ludovic lui faisait si peu confiance qu’il aurait préféré confier aux jumeaux de Fraldarius son précieux royaume, ce à quoi il tenait le plus au monde et pour lequel il s’était battu comme un lion depuis toujours… disait même qu’il s’excusait envers Héléna de l’avoir marié à lui… qu’elle aurait mérité mieux que balayer derrière lui…
À cette lecture, plusieurs souvenirs prirent une teinte différente, même les plus anodins. Même si Ludovic l’avait enlacé plusieurs fois pendant son mariage, Lambert ne put que noter qu’il l’avait aussi fait une fois avec Rodrigue et Félicia, leur souhaitant quelque chose qu’il n’avait pas entendu, même si le sourire de Rodrigue trahissait que c’était des vœux plutôt que des recommandations… sa proximité bien plus calme avec les jumeaux, ainsi qu’avec Héléna, les longues heures où ils pouvaient discuter tous les deux, alors que Lambert avait du mal à lui parler longtemps, cela finissait souvent en dialogue de sourd des deux côtés… même des souvenirs d’enfance prenaient un gout amer, les fois où son père se penchait vers eux pour leur parler, son regard attentionné…
Est-ce que… est-ce que Ludovic… est-ce que son propre père…
« Non… faut que je me reprenne… c’est la tuberculose… elle lui a fait perdre tous ses sens… Ludovic m’aimait aussi… il le dit dans son testament alors qu’il n’a aucun sens… et quand nous étions petit, c’était surtout de la culpabilité pour les jumeaux… Ludovic ne s’est jamais pardonné la mort de Guillaume. Il en a toujours pris la responsabilité… même ici, il le dit… ce qu’il ressentait, c’était surement de l’affection, mais aussi de la pitié et de la culpabilité… il s’en voulait pour la mort de leur père… »
« C’est ma faute… j’aurais dû être plus prudent et mieux anticipé les risques… Guillaume aurait survécu et les Fraldarius n’auraient pas été encore endeuillé par notre faute… à cause de mon inconscience, Guillaume est mort… lui avait déjà dit Ludovic sur la fin de sa vie, le visage encore plus sombre que d’habitude, son deuil ressortant encore vingt ans plus tard. J’espère que tu n’auras jamais à porter une telle responsabilité… autant ce deuil que la mort d’un de tes sujets. »
« Porter une telle responsabilité… le deuil d’un Fraldarius et d’un de mes sujets… si tu savais père… si tu savais ce que j’ai fait… »
Lambert relisait encore et encore le testament, ainsi que les autres travaux cachés dans cette cassette, presque compulsivement pour tenter de comprendre son père, l’entendre peut-être le sermonner pour ce qu’il avait fait, vouloir le faire parler même depuis sa tombe pour savoir quoi faire de ce testament dans une situation pareille, s’il devait le révéler et l’appliquer dès maintenant même si c’était évident que tout avait été écrit sous la dicté de la tuberculose mais, est-ce que cela ne ferait pas exploser le Royaume à un moment pareil ?! Enfer ! Il ne savait même pas s’il voulait que Rodrigue, Alix ou Héléna soient là pour en discuter vu comment Ludovic parlait d’eux ! Mais il avait tellement besoin de leurs bons conseils !
Cependant, la seule personne qui passa la porte n’était ni le Rodrigue qu’il connaissait qui saurait gérer la situation, ni Alix prêt à lui remettre les pendules à l’heure, ou Héléna lui présenter les différents chemins possibles en le conseillant pour le pousser vers le bon, mais c’était Rufus. Rufus qui avait…
Récupérant plus d’énergie que jamais depuis la Tragédie, Lambert se redressa d’un coup en montrant les lettres et le testament, fou de rage et de trahison.
« Rufus ! Tu peux m’expliquer ?! Qu’est-ce que ça faisait dans ta cassette ?!
– Tu l’as ouverte ?! Couina pratiquement son frère, pris au dépourvu par la question furieuse.
– Tu m’avais dit que tu me la montrerais après le voyage ! Et n’essaye pas d’esquiver la question ! Qu’est-ce que la correspondance de Rodrigue, Alix et Félix fait dans ta cassette ?! Et pourquoi le testament de notre père et ses travaux sur la monarchie élective y sont aussi ?! C’est toi qui as appelé les secours quand Ludovic s’est effondré à cause de sa tuberculose ! Est-ce que tu en as profité pour voler son testament et ses travaux ?!
– Calme-toi Lambert, je peux t’expliquer. Ludovic ne m’a pas laissé le choix… il ne savait plus ce qu’il faisait…
– Comment ça ? En quoi ? Et ça ne me dit pas pourquoi tu as cette correspondance ! Rodrigue l’a cherché partout !
– Ludovic allait te déshériter pour donner le pouvoir aux fils de Guillaume ! Il allait détruire notre famille pour préférer celle de son soi-disant grand frère ! Il n’avait aucun respect pour toi ! Il ne pensait qu’à ces foutus jumeaux qu’ils mettaient sur un piédestal en te dénigrant, car il aurait voulu qu’ils soient à ta place ! C’était pour te protéger !
Rufus l’avait pratiquement craché avec tout le venin, toute la haine qu’il ressentait pour Ludovic et pour les jumeaux. Il continua, incontrôlable.
– Ludovic te détestait ! Tu viens de le lire non ?! Il n’avait aucune confiance en toi ! Il te crache dessus dans tout ce foutu papier ! Tu es roi ! C’est toi qui devais devenir roi ! C’est ton héritage ! ça nous appartient ! Notre famille est la famille royale de Faerghus depuis le début du Royaume ! C’est Loog qui a mené la révolte des Bâtards et en a fait la guerre du Lion et de l’Aigle ! C’est lui qui a gagné ! C’est lui qui a été acclamé vainqueur ! Personne d’autre ! Et lui, parce qu’il a rencontré un mauvais roi dans toute sa vie, il en fait une généralité et il a voulu tout détruire sur son passage ! Et il a voulu donner le pouvoir à ces foutus jumeaux car c’était les fils de Guillaume ! Il se cachait derrière son petit doigt en disant qu’ils étaient plus compétents que toi mais, c’est de la connerie ! Il ne voyait que les fils de Guillaume en eux ! Rien d’autre ! C’était les fils de son grand frère alors, tout devait leur revenir ! Il ose même cracher sur ton mariage ! Soi-disant que tu avais épuisé Héléna et fait perdre la santé ! Il était malade et il a perdu l’esprit ! Tu n’as jamais fait ça ! Tu y tenais à Héléna même si elle était trop bien pour toi ! C’était juste la petite créature de Ludovic et de la matriarche Catherine là pour te faire faire ce qu’eux voulaient ! Et même si c’était sa créature, tu ne lui aurais jamais fait de mal ! Il délirait ! Et il a osé me dire de faire ce qui est bon pour le Royaume et pas pour moi-même ! C’était lui qui faisait tout avoir ce que lui voulait au dépend du Royaume ! Tout ce que j’ai fait, c’était pour te protéger ! …
Lambert le fit taire en posant ses mains sur les épaules, le regardant droit dans les yeux en lui demandant.
– D’accord pour le testament. Je veux bien comprendre ton raisonnement, même s’il est complètement faux. Notre père appréciait les jumeaux mais, pas plus que nous. On était ses fils et il nous aimait tous les deux, je le sais. Pour les jumeaux… c’était compliqué… tu sais bien qu’il s’est toujours senti coupable de la mort de Guillaume alors, il tentait de compenser envers eux mais, ce n’était pas de l’affection… juste de la culpabilité… rien de plus, j’en suis sûr… tout comme Héléna, il pensait juste qu’elle ferait une bonne reine pour Faerghus et il a vu juste, pas la peine d’en faire sa créature… mais, je te comprends aussi. Tu es mon grand frère, tu pensais que Ludovic voulait me faire du mal en me déshéritant, même s’il avait sans doute ses raisons à lui et que tu n’avais pas à voler son testament. J’aurais voulu le lire honnêtement, même si ça m’a fait très mal de voir à quel point il ne me faisait pas confiance vis-à-vis du Royaume, encore plus maintenant… je ne sais même pas si je l’aurais appliqué, c’est évident que c’est la tuberculose qui lui a fait écrire tout ça… je veux dire, regarde un peu l’état du parchemin ! Il est couvert de crachat de sang ! Il ne savait plus du tout ce qu’il faisait ! ça aurait été facile de le faire casser… Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu as volé la correspondance de Rodrigue, Alix et Félix ? Pourquoi tu as fait ça ? Elle est même ouverte alors, tu l’as surement lu… pourquoi ? C’était inutile et cruel…
Le visage de Rufus s’assombrit, essayant d’éviter le regard de Lambert alors qu’il marmonnait.
– Il te conseillait mal et te poussait à prendre de mauvaises décisions, comme quand tu as envoyé Dimitri à Charon. Il aurait dû rester ici. Je pensais qu’il finirait par partir si je le fatiguais assez alors, je lui ai pris ces lettres, pour le motiver encore plus à rentrer chez lui.
– C’était mon idée d’envoyer Dimitri à Charon, et on a bien fait, il guérit bien mieux avec le bon air de la montagne qu’ici. Et si tu voulais le faire partir, pourquoi tu as dit que c’était une bonne idée qu’il se soigne ici ? Tu aurais plutôt dû l’encourager à partir, non ? Rufus… il soupira, n’en pouvant plus de tout ceci, trop de question tournant dans sa tête et voulant juste une réponse. Écoute… je t’ai toujours fait confiance et ta parole est vraiment très importante pour moi. Tu es mon grand frère et je sais que je peux toujours compter sur toi. C’est pour ça que je suis très souvent ce que tu me conseilles de faire, car je sais que je peux te faire confiance mais… mais en ce moment, j’ai l’impression que… que c’est plus compliqué. D’abord, il y a la manière dont tu as traité Rodrigue, puis tu as remis des peines de Clovis pour la justice, puis il y a Kleiman qui arrive au palais et prend part à tout alors que c’est lui qui a commencé toute cette histoire, puis on retrouve un sac rempli de têtes humaines dans leurs appartements et ils repartent en trombe, et maintenant, je retrouve la correspondance volée de mon meilleur ami et le testament de notre père dans ta cassette. Par pitié Rufus, dit moi la vérité, qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? L’implora-t-il en redoutant le pire. J’aimerais te faire confiance mais, ça devient très difficile avec tout ça !
– Tu ne voyais pas le vrai visage Rodrigue… marmonna-t-il.
– C’est-à-dire ? Explique-toi à la fin !
– C’était un enragé lui aussi ! Toujours à faire ce qu’il voulait et à avantager son fief, toujours à te dire non, toujours à nous mettre des bâtons dans les roues, toujours à être apprécié de tous et de Ludovic le premier ! Je ne sais pas par quel maléfice il réussissait, autant lui qu’Alix mais, ils ont toujours eu la faveur de tous, ils ont toujours réussi partout et charmé tout le monde à tes dépends ! Alors qu’ils ont toujours été plus faible que toi et ce ne sont que des ducs ! Ce ne sont que des ducs et que fait cet imbécile de Jacque quand il leur demande de les prendre à leur service, pour réparer sa « faute » d’avoir laissé Félix seul avec Arundel sans imaginer qu’il pourrait l’attaquer ? Il s’agenouille devant eux en leur demandant à rentrer dans leur garde pour rattraper son erreur, alors qu’il est à ton service ! Ils se comportaient quasiment comme des rois ! C’est pas qu’ils sont devenus des loups, c’est que leur apparence ressemble enfin à ce qu’ils sont vraiment ! C’était tout ce qu’il méritait !
Lambert eu alors un mouvement de recul, comme si son grand frère c’était transformé d’un coup en monstre, comprenant d’un coup tout ce qui était arrivé à son ami et pourquoi il avait dû subir tout ceci, tout son corps fondant d’un coup comme neige au soleil.
– Tu leur as volé leurs lettres par haine… tu voulais le faire souffrir… c’est ça ? Tout ce que tu voulais, c’est faire souffrir Rodrigue… tout ça car… car…
Sans attendre de réponse et un nouveau mensonge de la part de Rufus, Lambert partit sans se retourner, ne voulant pas en entendre plus, serrant la cassette et son contenu contre lui, s’y accrochant presque comme à une ancre, même si elle le noyait par sa simple existence. Comment… comment son frère avait-il pu… comment avait-il pu être aussi ignoble juste parce que… parce que leur père appréciait beaucoup les jumeaux ? Tout ça pour ça ?! Pour un ressentiment envers quelqu’un de mort depuis quatorze ans et alors le Royaume était au plus mal ?! Toute cette souffrance pour ça ? Par haine ?! Qu’il ait vu ça comme une petite mesquinerie ne l’étonnerait même plus à ce stade !
« Alors, même mon propre frère peut me trahir… Rufus… alors qui… qui est encore… »
« Est… ta… faute… ! »
« Tu n’as écouté personne et maintenant, tout le monde est mort par ta faute ! Tu as le sang de notre propre enfant sur les mains ! »
« Que pensais-tu accomplir en te comportant en tyran n’écoutant que ses ennemis ? »
« Je te hais ! »
Seuls les cris et le jugement lui répondirent… les doigts des fantômes finissant le travail de cette hache en l’étranglant encore et encore…
En arrivant dans son bureau avec l’espoir de pouvoir se poser une seconde et réfléchir à tout ce qui c’était passé, il trouva Lachésis et Thècle, visiblement furieuses malgré la façade de froideur.
L’homme avait l’impression d’observer la scène de loin, comme s’il n’en faisait pas partie, spectateur de cette farce qu’il avait écrit lui-même.
Les deux sœurs l’informèrent que l’état des comptes était catastrophique et que les baillis qu’il avait choisis lui-même étaient des incompétents.
« Je comprends… je ferais plus attention…
– Il fallait le faire avant… »
Lachésis lui apprit qu’elles savaient tout ce qui s’était passé à la capitale pendant leur absence, à quel point c’était une honte pour tout Faerghus et qu’elles avaient donc décidé de retourner dans leur famille.
« Ce serait préférable pour le Royaume que vous restiez…
– Pour finir transformer en loup nous aussi et user jusqu’à la corde par votre incompétence ? Il en est hors de question. »
Thècle ajouta que comme le voulait la coutume pour les magistrats en fin de carrière, elles rapporteraient à Charon tous leurs documents, leurs notes et leurs archives de la capitale, ainsi que leurs hommes et une grande partie de leur vivre selon le précédent instauré par Sylvain le Renard.
« Les Gautier en ont eu le droit, je me voie mal vous le refuser…
– Bien. »
Et enfin, elles enfoncèrent un dernier clou dans son cercueil en lui crachant au visage qu’elles savaient pour Patricia, qu’elles savaient ce qu’il avait osé donner comme belle-mère à leur neveu, tous les dangers auxquels il avait exposé le Royaume en l’épousant, et que les Charon n’oublieraient pas cette insulte envers deux d’entre eux.
« Pourquoi ? Finit par demander Thècle, essayant de comprendre. Pourquoi avoir exposé le Royaume à de tels danger pour une seule femme indigne de succéder à notre sœur ?
– Je l’aimais… répondit l’homme dans un souffle sans énergie.
– Si vous l’avez traité comme Héléna, pauvre femme, cracha Lachésis. Et ce n’est guère une raison suffisante pour faire planer un risque d’invasion sur la tête de tous vos sujets. Notre sœur rougirait de honte en voyant votre déchéance. »
Et qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre à ça ? Qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre d’autre ? Comment il pouvait se justifier ? Toutes ses décisions lui semblaient faciles, bancales et inutiles maintenant qu’on lui demandait des comptes sur chacune d’entre elles…
Devant son silence, les deux sœurs lui jetèrent à nouveau un regard mauvais avant de se détourner, partant en claquant la porte.
Lambert leva les yeux vers la chaise face à lui, même s’il savait qu’elle était complètement vide, espérant trouver quelqu’un, une âme bienveillante, un peu d’aide comme il en avait toujours trouvé à ses côtés.
Seul le Rodrigue de son cauchemar répondit à sa supplique, le toisant de haut avant de lui grogner au visage, le lacérant de ses griffes, gravant ses mots dans sa peau avec ses crocs à chaque souffle, chaque morsure…
« Il fallait y penser avant. »
Pour la première fois de sa vie, Lambert se sentit terriblement seul…
*
Rodrigue passa sa main sur sa fourrure, l’approchant pour la première fois depuis qu’ils s’étaient retransformés quelques jours auparavant. Alix et lui s’étaient reposé et avaient recommencé à prendre en main le duché, reconnaissant envers l’excellent travail de Loréa qui avait su le maintenir et résister aux insistances de Rufus. Mais depuis cette nuit, il ne l’avait toujours pas touché à nouveau, contrairement à son frère… ni même se regarder dans un miroir sans col, son cou à présent recouvert d’une grande marque sarcelle, l’entourant tout entier comme un collier… il n’avait pas trop de séquelle à part ses sens plus forts, surtout sa vue de nuit, son gout pour la viande encore plus prononcé, et il était encore plus dans la tête de son jumeau, plus souvent, même s’ils n’étaient pas sûr que c’était à cause de leur état d’esprit actuel ou si ce serait permanent… pour ce qui était positif…
La fourrure était douce sous ses doigts, épaisse et moelleuse, comme pour accueillir un petit voulant faire sa sieste dans un endroit chaud où il serait en sécurité… bien plus rassurante que ce collier gravé dans son cou, apparut un jour après qu’il ait retrouvé sa forme humaine… en regardant au niveau de la gorge de sa fourrure, il arrivait à distinguer le même motif que sur sa propre peau…
« Tu peux attendre encore un peu si tu ne te sens pas près, lui assura Alix, comme toujours à ses côtés. Ça n’a eu aucun effet sur moi mais, c’est toi le magicien et la source de la transformation. Tu es resté en loup bien plus longtemps que moi. On ne sait pas comment tu vas réagir avec ta magie…
– …je ne préfère pas… j’ai peur de la fuir si je repousse trop… les semaines qui ont passé sont déjà flous, je ne veux pas avoir l’impression que l’avenir le sera aussi à cause de cette fourrure… au moins, on sait comment me ramener si je me transforme à nouveau en l’ayant sur les épaules…
– Dans tous les cas, on va mettre un moment avant de se remettre complètement de tout ça mais, si c’est ce que tu veux, c’est toi qui te sens.
Le père lui serra la main en réponse, comme quand ils étaient petits pour ne pas se séparer, cherchant de la force dans sa présence avant de draper la fourrure noire sur ses épaules. Elle n’était pas très lourde malgré son ampleur, l’enveloppant complètement des pieds à la tête… malgré ses craintes, il y avait un côté… apaisant à ce poids, comme un bouclier qui le protégeait… mais, rien ne se passait, rien d’étrange, il restait bien humain… au moins, cela confirmait que cela ne ferait pas comme avec celle des selkies, il ne se transformerait pas dès qu’il mettait cette peau…
– Il n’y a rien… souffla-t-il de soulagement. Il n’y a rien…
– C’est déjà un bon début, lui assura Alix.
Voulant en finir aussi avec cette crainte, Rodrigue fit craquer un éclair dans sa main, faisant un exercice simple en le passant d’une paume à l’autre, avant de le faire disparaitre et de le remplacer par un sort de foi, le nosferatu brillant entre ses doigts avant qu’il ne l’étouffe. Rien non plus pour la magie de base… et il ne pourrait pas tester la magie de plus haut niveau aujourd’hui, Pierrick lui interdisait encore et son corps sortait d’une rude épreuve, il ne devait pas le maltraiter encore plus…
Ses épaules retombant de soulagement, l’homme s’autorisa un instant de répit, se laissant tomber sur son lit avec la fourrure. Alix mit aussi la sienne sur ses épaules, avant d’en mettre un pan sur celle de son frère, ce dernier faisant exactement la même chose avant de se laisser tomber épaule contre épaule côte à côte.
– Il ne s’est rien passé… la Déesse soit louée… il ne s’est rien passé…
– Ouais, on va rester humains pendant un bon moment on dirait… tant qu’on est tous les trois, on le restera…
– Oui… arriva à sourire une seconde l’ainé avant d’avouer, redevenant plus sombre. Je ne me souviens presque rien de ces dernières semaines… juste de quand je t’ai retrouvé, quand on a retrouvé Félix et mon envie de le revoir… de tous vous revoir… tous… souffla-t-il, le cadet comprenant que trop bien le « tous ». Le reste… impossible de le voir correctement…
– …Comme si c’était baigné de brume… compléta Alix. C’est pas bien plus net de mon côté… aucune idée si c’est une bonne ou une mauvaise chose… d’un côté, j’aimais courir partout avec toi mais, je n’ai pas envie de me souvenir de tout ce que j’ai déchiré avec les dents… bon, baffer Rufus, c’est pas mal comme souvenir mais, d’avoir le gout de son sang dans la bouche quand je lui déchiquetais le bras, moins … ni de quand je t’entendais pleurer et chanter tous les soirs en suppliant car, tu étais seul et qu’on voulait se revoir…
– Ça, c’est difficile à oublier… surtout tout ce qui s’est passé avant qu’on se transforme… Rodrigue se recroquevilla dans sa fourrure, comme si elle le protégerait à nouveau de cet homme. Ô Déesse et Lune… cela faisait si mal… je… c’était comme si cela les amusait tous de me déchiqueter le cœur… je n’en pouvais plus… cette transformation… c’était plus une cachette et un échappatoire qu’une vraie solution… juste pour ne plus souffrir…
– C’est normal… tout depuis des mois… c’était juste un cauchemar éveillé, autant en tant qu’humain que loup… enfin, c’est fini maintenant… on ne les reverra pas de sitôt… je ne les laisserais plus te faire plus de mal, c’est promis, lui jura Alix sans hésiter.
– Moi aussi, je te protégerais… d’eux tous et de leurs ordres absurdes… autant toi que Félix… plus rien ne vous arrivera… pas tant que je serais là…
Ils restèrent encore quelques instants l’un contre l’autre, quand ils flairèrent l’odeur du louveteau, arrivant à grands pas, une bonne odeur de groseilles fraiches avec lui… c’était la saison après tout et ils aimaient tous ces fruits dans la famille…
« Papa ? Alix ? Vous êtes là ? Demanda Félix en passant la tête dans la chambre de son père.
– Oui, entre Félix, » l’autorisa en souriant Rodrigue, toujours soulagé de le voir, son instinct lui répétant encore et encore de le garder auprès de lui, lui rappelant à quel point il avait été proche de le perdre, encore plus renforcé par la perte de Glenn si peu de temps auparavant… leur famille avait subi trop de chose en trop peu de temps…
« Il y a encore plein de groseilles dans la forêt, même si vous avez surement déjà deviné, anticipa-t-il, avant de se refermer un peu en voyant les jumeaux dans leur fourrure. Tu l’as mise ?
– Oui… je devais le faire… pour savoir… et pour le moment, rien n’a changé et cela n’a aucun effet sur moi, même quand j’utilise de la magie faible, ne t’en fais pas, lui jura-t-il. Pour le moment, je la contrôle…
– D’accord… mais fait attention quand même. »
Il les rejoignit et Rodrigue ne put s’empêcher de le tirer sur ses genoux, voulant juste rester au plus près de son fils… même s’il faisait tout pour ne pas devenir envahissant, il était devenu très collant une fois redevenu humain, cherchant toujours une trace récente du passage de ses proches, le simple fait de les savoir près de lui, qu’il pourrait arriver rapidement pour les aider et les protéger… heureusement que ses sens étaient devenus aussi aiguisés que ceux des loups, cela aidait dans ce genre de situation… pas plus tard que la semaine dernière, il n’avait pas vu Félix de toute la matinée alors, le père s’était mis à paniquer en l’appelant de toutes ses forces et à retourner toute la pièce où il était afin de trouver une trace de son petit… heureusement que Loréa avait pu vite lui remettre les idées en place, Rodrigue priant pour que Félix n’ait pas vent de ce qui s’était passé… il avait trop peur que son petit culpabilise comme quand il l’avait retrouvé… mais Félix avait senti que quelque chose n’allait pas et avait fait si attention au moindre de ses faits et gestes que Rodrigue lui avait avoué… tout le monde portait des pommes de senteurs avec un parfum spécifique à présent, histoire que l’odeur soit plus présente et que les jumeaux ne fassent pas une autre crise… c’était presque une obsession à ce stade, encore plus que pour Alix… d’après Pierrick, c’était à cause de la séparation trop violente avec sa famille, surtout aussi peu de temps après la mort de Glenn… il les avait déjà perdu une fois alors, son esprit refusait et craignait plus que tout que cela recommence…
« Là aussi, seul le temps vous permettra à tous les deux de guérir… »
Rodrigue priait pour que le médecin dise vrai… au moins, les pommes de senteur les avait un peu aidés, c’était un début…
Pour oublier son angoisse et plus profiter de la présence de son fils, le père croqua dans une des baies fraichement cueillies et passé à l’eau du lac, souriant en retrouvant le gout acide qu’ils aimaient tous.
« Elles sont très bonnes, merci beaucoup Félix.
– Avec tout ça, on avait manqué le début des fruits rouges ! On a du retard à rattraper ! En plus, depuis qu’on envoie plus rien à Fhridiad, étrangement, on a des rations plus grosses pour manger, qui l’eut cru ? Se moqua un peu Alix.
– Tout le monde, et tout le monde mange mieux maintenant, c’est mieux, répliqua Félix en avalant une baie. On est allé en chercher avec Cassandra avant qu’elle n’aille aider la patrouille aérienne…
Cependant, malgré tout, Rodrigue ne pouvait que voir l’air sombre sur le visage de son fils, un peu ailleurs.
– Il y a quelque chose qui ne va pas Félix ? Lui demanda-t-il alors, sachant que le laisser tout seul avec des pensées sombres n’apporterait rien de bon.
– C’est rien… c’est juste que… d’habitude… il fit une pause, cherchant ses mots avant de dire, ces mots si simples qui étaient aussi les plus difficiles. C’est avec Glenn…
Les jumeaux ne comprirent que trop bien, entendant presque l’ainé des deux louveteaux dire à quel point son petit frère était adorable de leur apporter des baies, juste pour le voir s’énerver à cause des taquineries, puis de le remercier en appréciant les fruits avec eux, même tous les jours… encore plus une fois revenu alors que du côté de Fraldarius, les choses commençaient à se tasser après la Tragédie, les gens étaient surtout remonté contre les dernières exactions de la capitale et tournaient toute leur rage contre la famille royale rendu responsable de tous les deuils, et même s’ils étaient dans une situation périlleuse de quasi révolte contre le pouvoir royal, les choses allaient mieux en interne. La disette s’éloignait de plus en plus de leurs foyers mais, les fantômes demeuraient, plus présent que jamais après le choc et les semaines mouvementés pour survivre… il devait encore plus hanté Félix… c’était la première fois qu’il vivait le deuil de quelqu’un d’aussi proche de lui… il était trop petit pour celui de Félicia… il l’était encore… la mort arrivait toujours trop tôt…
Rodrigue posa alors sa main dans son dos, protecteur, alors qu’il murmurait.
– Oui… il devrait y avoir Glenn…
– C’est pas juste… il devrait être là… pourquoi c’est sa chambre à lui qui est vide ?
– C’est toujours injuste, encore plus dans une situation comme celle-ci, souffla-t-il en lui frottant le dos, sentant que ses larmes n’étaient pas loin. C’est toujours dur et ça fait mal… il n’y a que le temps et le soutien qui peuvent guérir ce genre de plaie, même si elle reste toujours…
– Combien de temps ?
– Cela dépends des gens… et tu n’as pas besoin de ne plus avoir mal tout de suite… il faut que tu prennes le temps qu’il te faut pour guérir… pour ne pas être obsédé par la mort de la personne, et arriver à se raccrocher aux bons souvenirs…
– Mais ça fait mal… je veux Glenn… je veux qu’il revienne… mais je ne veux pas avoir mal… marmonna Félix en se serrant un peu plus contre son père, se cachant dans son étreinte, comme si la tristesse et le deuil ne le trouveraient pas à l’intérieur.
– Mais si tu bouches tes émotions ou fait tout pour ne pas être triste, ça va exploser un jour ou l’autre, ajouta Alix en passant sa main sur la tête de son neveu. On a mis un an avant d’accepter que notre père ne reviendrait pas, ça pourrait prendre plus de temps, et c’est pas grave. Le tout, c’est que tu ne te noies pas tout seul dedans, et que tu ne t’isoles pas sinon, ça va te dévorer aussi. Le tout, c’est que ton deuil ne te tire pas vers le bas et que tu arrives à aller mieux.
– Le principal, c’est de ne pas rester seul avec sa propre souffrance et sa tristesse, c’est le meilleur moyen pour sombrer. Tant que nous restons tous ensemble, nous arriverons à surmonter cette épreuve… qu’en penses-tu louveteau ?
– D’accord… moi aussi, je resterais avec toi papa… et avec toi aussi Alix… leur jura Félix, restant encore dans l’étreinte rassurante. « La meute est forte ensemble »… c’est ce que disait Glenn…
– Il avait bien raison, » sourit un peu Rodrigue malgré la tristesse, essayant de s’accrocher aux souvenirs de son fils ainé souriant alors qu’ils étaient en famille.
Ils passèrent un peu de temps ensemble, les jumeaux n’ayant pas encore retrouver assez de force pour travailler toute la journée, même s’ils avaient repris. Ils ne pouvaient pas laisser tout le travail de gestion du duché uniquement à Loréa, ils devaient le reprendre en main mais, Pierrick les mettait en garde contre le risque de rechute. Mieux valait éviter de trop forcer pour le moment.
Félix continuait de leur montrer les leçons qu’il avait pu faire pendant ces dernières semaines. Rodrigue sourit en voyant tout le travail de son fils, fier de voir qu’il s’était accroché malgré tout pour continuer à être assidu dans ses études. Tout ceci lui serait très utile quand il serait grand…
Ils entendirent tous un grondement sortir de sa poitrine.
Sur le coup, l’homme ne comprit pas trop, commençant à s’inquiéter de ce que cela voulait dire qu’il pouvait faire ce bruit et comment il avait pu le faire physiquement, jusqu’à ce qu’après avoir été étonné comme eux, son louveteau se mette à sourire en déclarant.
« Tu ronronnes comme un chat !
Il sourit alors, passant sa main sur la tête de son petit en soufflant, moins anxieux que tout à l’heure à cause de ce grondement.
– C’est parce que je suis très fier de toi… »
*
Quand les côtes de Kleiman sortirent de l’horizon, Ivy regarda tout autour d’elle, tentant d’évaluer encore une fois les forces en présence. Il y avait son navire autant fait pour le commerce que pour les combats maritimes, mais aussi tout un tas d’embarcations diverses et variées, autant de pêche en haute mer que de cabotage, de grands commerces ou fluviales qui avaient osé les suivre sur des eaux bien plus houleuses. Tout le monde savait que Kleiman était dangereux, c’était évident, et plus personne ne pouvait entrer dans sa ville sans que plusieurs marins ne disparaissent alors, entre ça, la colère générale contre l’inaction du pouvoir royal, et les talents d’orateur d’Oswald, les marins de toute la côte nord-ouest de Faerghus les avaient rejoints. Plusieurs langskips srengs glissaient à toutes vitesses devant eux, ayant même eu le temps de se rendre en Duscur pour rendre les têtes des morts à leurs frères afin qu’ils puissent avoir les hommages funéraires, mais aussi les informer de l’objectif de cet escadron de marine hétéroclite, autant pour avoir des renforts que pour éviter qu’ils ne croient à une autre invasion. Bon, officiellement, les duscuriens n’avaient rien répondu pour ne pas encore plus compliqué leurs relations avec Faerghus mais, plusieurs navires de grandes guildes commerçantes avaient pris la mer avec des cargaisons diverses pour les rejoindre, avec la complaisance discrète d’un chef local.
Même après une vie entière à parcourir toutes les mers, Ivy avait rarement vu une compagnie aussi hétérogène, une bonne partie parlant mal la langue des autres mais, le langage des ports permettait de se comprendre entre eux afin de manœuvrer efficacement tous ensemble.
Tout ce monde acceptait de coopérer dans un seul but : arrêter Kleiman et sa soif de sang, autant duscurien que des simples passants dans sa ville.
« Qui aurait pu croire que tout ceci pourrait arriver et qu’on serait entrainé dans une histoire pareille… marmonna Ivy.
– Recommencer est un meilleur mot qu’arriver…
Elle regarda Oswald, son regard sombre braqué vers la côte. Il était en habit simple d’archer, bien protéger par son armure, son carquois rempli de flèche, comme un soldat ordinaire, à l’exception de la capuche tout autour de sa tête pour éviter qu’on le reconnaisse. Elle ne l’avait jamais vu aussi renfermé sur lui-même, même si ses yeux restaient déterminés.
– Les cinq messagers ne sont pas revenus. Ils auraient dû revenir depuis au moins trois jours alors qu’on demandait juste à Kleiman de s’expliquer sur la disparition de vingt-sept personnes. Ma main au feu, nous retrouverons leur tête sur une pique au-dessus des portes du port… ou alors, il va nous les renvoyer couper en morceaux… c’était dans les « bonnes » habitudes de Clovis… j’espérais que tout ceci se serait terminé une fois que Clovis a été décapité et envoyé dans le caveau des criminels… Justine aussi disait que c’était terminé… qu’on aurait pu se dire que nos enfants ne vivraient jamais des choses pareilles, mais tout recommence encore… il serra le poing sur son carquois. Ludovic doit se retourner dans sa tombe en voyant la déchéance de son sang.
Ivy hocha la tête, comprenant le tourment qui l’habitait. Oswald avait surement vu plus de choses dans sa vie que bien des gens avec qui il avait grandi, leur avait même survécu pour la plupart, et il avait survécu au règne de Clovis sans que l’Alliance ne soit envahi avec Justine von Daphnel. Il aurait surement préféré finir sa longue vie sans devoir affronter tout ça.
– On a ça maintenant alors, mieux vaut le régler maintenant avant que ça n’empire et tant qu’on le peut encore. En plus, les espions srengs ne se sont pas fait repérer depuis qu’ils sont infiltrés et ils ont pu saboter les chaines qui protègent l’entrée du port. On est aussi arrivé à avoir une bonne idée d’à quoi ressemble l’intérieur des murailles avec les corbeaux des srengs, et comme vous l’avez dit, on voit d’ici que Kleiman est un seigneur mineur avec juste une grosse maison qui n’est pas construite comme une forteresse, ça devrait nous simplifier la tâche, même si on doit faire attention à ce qu’il nous réserve.
Oswald hocha la tête, arrivant à fendre un léger sourire.
– Vous avez raison. Si les messagers ne reviennent pas, raison de plus pour se dépêcher avant que les espions n’y passent aussi. Nous devons arrêter tout ceci, au moins en coupant la tête du pire, et je fais confiance aux faerghiens pour finir d’arracher les racines du mal. Pour le moment, concentrons-nous sur la bataille qui nous attend. Merci capitaine.
– C’est normal.
– Eh ! Les leicesters !
Oswald baissa la tête vers le navire duscurien juste en-dessous de lui, la capitaine leur hurlant que c’était l’heure. Ivy répondit qu’ils étaient prêts.
Les navires se mirent alors en ordre de bataille comme ils pouvaient malgré leurs différences de structures et d’expérience, celui d’Ivy et des quelques corsaires expérimentés menant les autres afin de les protéger, leur coque étant faite pour résister à des assauts. Entre eux, les navires srengs avaient rangé leurs voiles afin d’être plus discrets, se cachant pour que les défenseurs ne les voient pas foncer vers les chaines sabotées. Derrière, en seconde ligne, les navires plus fragiles se tenaient prêts. Dotés de rames, ils seraient chargés de tous les emmener dans le port, plus rapide et maniable que les grosses caravelles à voiles. Leur objectif était au moins d’atteindre le port, puis s’enfoncer en ville jusqu’à la maison seigneuriale. Une fois là-bas, il faudrait capturer Kleiman et ses hommes de confiances au plus vite et le mettre aux arrêts avant qu’ils ne puissent s’enfuir.
Ils devaient être rapide, précis et tout faire pour éviter de trop grosses pertes à cause de leurs forces limitées et très diverses. Il n’aurait droit qu’à un seul essai sinon, la corde tendue qui les tenait tous ensemble cèderait et ils se disperseraient surement sur le champ…
« Comme quand on a une proie qui ne nous a pas repérés dans notre ligne de mire… »
Oswald empoigna plus fermement son arc, faisant une prière aux Braves et à sa bonne amie Justine. Il ne louperait pas sa cible.
Les navires s’étaient approchés à portée de voix quand un homme leur hurla depuis le haut des remparts.
« Halte-là navires ! Que faites-vous ici !
– Nous sommes de la corporation des marchands de Faerghus et des navigateurs venus d’autres horizons ! S’écria la capitaine qui avait été élue pour les représenter, une pure faerghienne, afin de mettre les gardes plus en confiance que si c’était des étrangers qui arrivaient en masse sans aucun représentant faerghien. Nous avons envoyé cinq messagers auprès de votre seigneur afin de lui demander pourquoi des matelots et des civils disparaissaient aussi souvent dans ce port ! Etant donné qu’ils ne sont pas revenus depuis trois jours, nous sommes venus en masse lui demander de répondre à nos questions et de faire en sorte que ces disparitions cessent !
– Et notre seigneur les a envoyés paitre ! Nous n’avons à répondre que devant son seigneur Mateus et le roi !
– Mais un seigneur, aussi petit soit-il, se doit aussi d’assurer la sécurité sur ses terres ! S’il ne remplit pas ce devoir, nous pouvons venir directement lui demander des comptes ! En vertu de ce droit, nous voulons lui parler tous autant que nous sommes ! Et s’il les a repoussés, où sont passées ces cinq personnes ?!
– Ce n’est pas notre problème ! Foutez le camp maintenant ! Ou nous emploieront la force contre vous ! Que vous soyez faerghiens, leicesters, ou des meurtriers de duscuriens ! Nous sommes déjà très cléments de ne pas avoir incendié les navires qui transportent les assassins de nos frères !
Il eut quelques minutes de concertations entre les bateaux, autant pour vérifier que tous étaient prêt discrètement, que pour éviter que les défenseurs se méfient, ainsi que pour donner un peu plus de temps aux espions à l’intérieur de finir leur travail. La femme finit par hurler, en cœur avec tous les autres navires qui hurlèrent dans leur langue respective.
– Nous refusons !!! Nous rentrerons !!! Et nous libérerons nos camarades !!!
– Vous choisissez donc de finir par le fond ! Arbalétriers ! En position !
– Navigateurs du Midgard ! Cria Oswald en sreng. À vous !
– On a vu ! Que Thor combatte à nos côtés ! RAMEZ !!!
Tous les capitaines srengs abattirent le dos de leurs armes sur le tambour des rameurs, donnant le signal de départ.
Les navires cachés filèrent tout de suite vers les portes, glissant à toutes vitesses sur les eaux vers les dessous de la porte, s’attaquant tout de suite à la chaine qui le fermait. Normalement, des assommoirs étaient placés juste au-dessus des chaines pour contrer ce genre d’attaque sans devoir passer la tête au-dessus des créneaux mais…
– Les assommoirs ont été bouchés ! On a été saboté !
« Les espions srengs n’ont pas volé leur réputation d’être plus redoutables à dix qu’une armée de dix mille soldats ! »
Un énorme trait passa tout près d’eux, endommageant le bastingage. Le prochain tir atteindrait leur coque, c’était sûr ! Oswald repéra aussi vite qu’il put la meurtrière où devait être caché une arbalète de tour, prête à enfoncer leur pont. Il leva tout de suite son arc, se concentra sur la trajectoire qu’avait emprunté le trait, et tira sans hésiter. La flèche arriva à passer la meurtrière et étant donné qu’aucun carreau d’arbalète ne suivit le premier, il avait dû toucher le responsable de l’arme. Kleiman était officiellement un seigneur sans beaucoup de ressource, il ne devait pas avoir les moyens d’avoir plusieurs engins de guerre aussi puissant et couteux qu’une arbalète de tour, ni beaucoup d’homme aptes à la manier. Les assaillants devraient être tranquilles un moment avant que les défenseurs n’arrivent à trouver quelqu’un d’autre pour la réarmer et l’utiliser.
Au bout de quelques minutes, le cri rauque d���un cor se fit entendre.
– Le signal ! Aux navires à rames ! S’époumonna Ivy en quittant son poste en rassemblant ses hommes, Noce répétant ses ordres en volant de partout.
Oswald obéit, sautant lui-même dans le premier navire qui arriva avec la capitaine. Une fois la chaloupe pleine, les marins se mirent tous sur les rames, ramant au rythme du tambour pour s’harmoniser entre eux. Les minutes sans pouvoir rien faire d’autres qu’attendre paraissaient interminables, à la fois dans l’attente d’arriver et prêt à contre-attaquer dès qu’un ennemi était à portée de flèche.
Une fois les portes et les chaines passées, l’archer put mieux voir l’aspect de la ville. Effectivement, petite ville sans trop de moyens et avec des voisins pas trop agressifs… il n’y avait même pas de quais pour débarquer, seulement une jetée où s’échouaient les bateaux de pêche mais, ça les arrangeait.
Les marins attendirent à peine que la coque des chaloupes soient à terre, sautant sans hésiter au sol pour continuer à avancer vers la maison seigneuriale.
« Navires srengs ! Navires duscuriens ! Occupez-vous de tenir les rues ! » Leur rappela Oswald avant de descendre à terre. Les habitants sortiraient moins pour se défendre en voyant des ennemis occuper le terrain, ce qui éviteraient des heurts avec la population de la cité.
Suivant Ivy qu’il couvrait avec ses flèches et remerciant son emblème de l’empêcher d’être trop fatigué malgré ses os qui vieillissaient, Oswald et les autres fodlans s’élancèrent dans la rue principale avant d’entrer dans la maison seigneuriale, peu empêcher par la garde déjà occupée sur le port, et la quelque vingtaine d’hommes restant n’était guère suffisante pour arrêter une grosse centaine de marins déterminés.
Une odeur de cadavre et de corruption piqua les narines des assaillants dès qu’ils rentrèrent dans la cour.
« Cette odeur… Attention ! Les mages noirs sont ici ! Restez sur vos gardes ! Rappela le grand-duc alors que son emblème se calmait une seconde, ayant déjà prévenu tous les navires que Kleiman pourrait utiliser une magie interdite.
– Oswald ! Là-haut !
L’archer regarda dans la direction qu’Ivy lui disait, réagit au quart de tour quand il vit un éclat de magie noire se former et décocha une flèche dessus, la faisant exploser au-dessus d’eux avant que le sort ne touche qui que ce soit. Dans le même temps, Ivy passa sur le côté de l’archer, embrochant un ennemi fonçant sur lui sur le fil de son épée, surveillant derrière son épaule pendant qu’Oswald surveillait le ciel en ordonnant.
– Par ici ! Vite ! Ils sont surement à l’intérieur !
Après avoir enfoncé la porte, les marins entrèrent en trombe dans la grande salle où ils trouvèrent Kleiman, entouré de ses conseillers et de plusieurs mages étranges, avec des motifs qui disaient quelque chose à Oswald…
« Les mages noirs de l’époque de la guerre du Lion et de l’Aigle ! Ils portaient ses motifs-là ! Méfiez-vous des gens en noir ! C’est les plus dangereux ! »
Comme pour souligner ce qu’il venait de dire, une magicienne commença à charger un sort et le lança en vitesse, balayant un marin en un instant, puis un autre qui tentait de l’attaquer par derrière. Le sort ne toucha qu’eux mais, il ne laissa que des sortes de momie complètement desséchées, comme vidées d’eau, de sang et d’énergie vitale, tombant au sol dans un fracas d’os morbide, provoquant la panique et la fuite d’une partie d’entre eux pour éviter d’être le suivant.
Ivy tira Oswald derrière un escalier pour se protéger des sorts, l’aidant alors que la fatigue retenue par l’emblème commençait à l’engourdir et brûler ses muscles vieillissants… C’était pas vrai ! Pile au pire moment ! Sans l’Infaillible pour continuer à le stimuler même pendant un temps calme de la bataille, il disparaissait de plus en plus vite ! Il ne devait pas lâcher maintenant ! La magicienne noire s’approcha comme si elle ne craignait pas de se prendre une flèche ou un projectile, observant tout autour d’elle avec un petit sourire vicieux, les provoquant sans vergogne. Elle empestait la magie noire…
« Les insectes tentent de se débattre à ce que je voie… susurra-t-elle avant d’ajouter en regardant dans leur direction. Enfin, on a aussi un insecte plutôt rare… ça fait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion d’attraper un emblème majeur… allons petit emblème majeur… montre toi… »
« Merde ! C’est quoi cette femme ?! Enragea à mi-mot Ivy. Votre emblème a disparu avant qu’on entre ! Et elle a fait quoi à ces gars ?! C’est ça les effets de la magie noire ?!
– Elle porte les mêmes motifs que ceux du bataillon puant… haleta Oswald. Et c’est bien elle qui sent la magie noire…
– Ah ça pour puer, elle pue… elle comme tous les autres qui ont ce motif d’œil… »
« Allons… lequel d’entre vous est l’emblème majeur ? Honnêtement, il m’intéresse plus que vous tous réunis alors, on peut faire deux choses. Soit, je vous attrape un par un et je vous transforme tous comme les deux insectes qui tombent en poussière sur le plancher pour faire le tri, l’emblème majeur résistera mieux à mes sorts, soit vous me livrez et je vous laisse tous partir en vie.
Un silence retentissant tomba dans la pièce, juste occupée par Kleiman et ses hommes en train de se débattre contre la porte de la trappe qui devait leur servir à s’enfuir, bloquée par une hache qui avait volé quand les assaillants étaient entrés. Ivy et Oswald échangèrent un regard lourd alors que la femme continua, s’échangeant la même question ainsi que la même réponse.
– Cela me semble un marché correct. De toute façon, de misérables insectes tel que vous ne pourrez jamais battre un être qui vous est aussi supérieur tel que moi, vous venez de le voir par vous-mêmes alors, saisissez donc votre chance de survivre et de continuer votre pitoyable existence. Il suffit juste de me donner l’emblème majeur. Vous avez la parole de Bias, la Meneuse Érudite…
Elle fut exaucée quand Ivy poussa aussi violemment qu’elle put Oswald hors de leur cachette, le plus loin possible d’elle. Le vieil homme se recroquevilla sur lui-même, la face tournée vers le sol, sa capuche défaite laissant voir ses cheveux gris et sa fatigue rendant le moindre de ses mouvements tremblants et incertains, se tenant la poitrine comme si son cœur était sur le point de lâcher à cause de toutes ses émotions.
La femme eut un sourire carnassier, s’approchant du vieillard en déclarant.
– Évidemment, vous préférez vivre, c’est bien. Vous avez un minimum d’instinct de survie mais bon, c’est la base pour les bêtes. Et dommage, l’emblème majeur est décrépit et ancien, il ne va plus survivre longtemps et n’a sans doute plus la force de sa jeunesse… les bêtes de votre genre vieillisse si vite… marmonna-t-elle en se baissant vers lui. Enfin, c’est devenu si rare les majeurs à présent, on fera avec… vient donc…
Avant qu’elle n’ait pu finir sa phrase, Oswald se retourna d’un coup et lui envoya le pot minuscule autour de son cou en plein visage, libérant toute la poudre urticante qu’elle contenait, puis l’homme enfonça la pointe d’une de ses flèches en plein dans l’œil, lui transperçant surement le crâne. Bias siffla de douleur en se redressant mais, avant qu’elle n’ait pu s’en débarrasser ou attaquer à nouveau, une épée lui traversa tout le dos pour ressortir de sa poitrine.
– Pour un être supérieur, t’es aussi fragile que les « insectes » qu’on est, marmonna Ivy.
Elle serra le manche de son épée puis, la ressortit d’un coup du corps de la magicienne, laissa un sang rouge très sombre, presque noir s’écouler sur le sol alors que Bias s’effondrait, morte comme tout le monde le serait après une blessure pareille. Les autres mages avec les mêmes motifs qu’elles se mirent tous à paniquer, laissant le temps aux autres assaillants de les maitriser avec Kleiman et le reste de ses sbires.
Reprenant son souffle, Ivy s’approcha Oswald en lui demandant.
« Tout va bien ?
– Oui, ça va, même si ce genre de cabriole n’est plus de mon âge, répondit-il en cherchant un peu son équilibre à cause de la fatigue.
– Bah, pour un gars de quatre-vingts balais, vous vous en sortez plutôt bien, lui assura-t-elle en l’aidant à se rester debout avant d’avouer, même si j’ai eu peur que vous ne vous repreniez pas assez vite.
– J’ai encore quelques ressources on dirait… il eut un sourire en voyant Kleiman ligoté avec ses sous-fifres, alignés le long du mur et désarmés. Au moins, nous les avons attrapé… J’ai bien fait de vous faire confiance. »
*
Une fois Kleiman capturé, la plupart des gardes s’étaient rendus sans trop de difficultés, épuisés par les derniers évènements, même si une partie s’était battue jusqu’au bout en visant particulièrement les duscuriens ou toutes personnes avec une peau un peu sombre, soit à peu près n’importe qui qui passait son temps dehors. Ceux-là avaient refusé de se rendre et avaient préféré se faire tuer plutôt que capturer. Bon, au moins, c’était déjà un problème de régler pour le coup, aussi sordide la conclusion pouvait l’être. Leur patron était tout aussi loquace qu’eux, refusant de dire quoi que ce soit quand Oswald, Ivy et tous les autres le pressèrent de question, se murant dans le silence. On le menacerait de lui arracher la langue qu’il ne parlerait pas, même au sujet de cette Bias.
Et enfin, il restait le groupe de mages étranges avec ce motif d’œil sur eux, rendus inoffensif grâce à des menottes duscuriennes bloquant leur magie. Au début, Ivy crut qu’il faisait partie d’un peuple vivant à Morfis à cause de leur peau extrêmement pale, pratiquement cadavérique, combinée à leur couleur d’yeux et de cheveux très rares mais, ils ne parlaient pas la même langue qu’eux. Enfin, ils semblaient comprendre le fodlan mais, pas moyen de les faire parler eux aussi.
« Rrrrhhhaaaa… ! Pas moyen de les faire passer à table ! Enragea Ivy après une nouvelle tentative de les interroger. Soit ils restent muets comme des carpes, soit ils nous insultent en nous traitant d’insecte !
– C’est vrai qu’ils n’ont pas l’air de vouloir parler mais, restons patient, une partie semble plus se taire par peur que par défi. Ils sont tout maigre et dès qu’on les approche ou élève un peu la voix, ils se recroquevillent sur eux-mêmes quand on arrive comme des personnes battues, fit remarquer Oswald. Les deux qui nous insultent constamment semblent être les sous-chefs après cette Bias et encadrer les autres. Tant qu’ils seront là, ils ne diront rien.
– Hum… alors, autant les séparer et tous les séparer, au moins les chefs de file. Les langues devraient se délier un peu sans eux.
– Oui, et il faut également bien les traiter, cela les mettra en confiance pour qu’ils nous expliquent ce qui se passe ici et nous ouvrent les portes qui nous résistent encore… avec ce genre de personne, un bon repas et de l’attention est le meilleur moyen de les faire parler… »
Sans hésiter, ils isolèrent les chefs de file, puis firent attendre un peu les autres en leur donnant un repas maigre pour le midi. Ce temps seuls avec eux-mêmes et sans nouvelle les angoisseraient sans doute, ils se demanderaient ce qui allait arriver à leurs chefs d’un côté et à eux de l’autre, ce qui rendraient tout geste bienveillant à leur égard plus fort.
Le soir, Oswald leur fit apporter une miche de pain chacun, un grand bol de soupe et une pomme, tout en précisant à ceux qui leur donnerait d’être agréables avec eux. Le petit groupe de sept personnes se tenaient recroquevillés dans un coin, évitant la lumière du soleil couchant, fuyant même la lumière de la bougie en mettant leurs mains sur leurs yeux. Après tout ce qu’il avait vu ces dernières semaines, Oswald devait avouer qu’il serait presque prêt à croire qu’ils étaient comme les vampires des légendes craignant la lumière mais, s’il se fiait à leur réaction quand ils avaient été emmenés ici, c’était plus qu’ils étaient très sensibles à la lumière, comme des créatures des cavernes.
« Veuillez m’excuser, je ne voulais pas vous faire mal, s’excusa-t-il en soufflant sa chandelle, la remplaçant par une petite boule lumineuse plus tamisée. Cela vous convient mieux ?
– … oui… c’est pour nous ? Demanda un homme en montrant les plateaux avec méfiance.
– Oui, c’est votre repas pour ce soir. Vous pouvez manger à votre saoul, leur assura-t-il, ne vous gêner pas.
– De la nourriture d’inférieur, marmonna une femme, le nez retroussé de dégout.
– C’est ça ou vous sautez à la corde alors, fait pas la fine bouche, grogna Ivy, son poignard et son épée à sa hanche afin de dissuader le moindre soupçon d’attaque sur Oswald.
– Une bête qui n’a même pas d’emblème n’est qu’un insecte, rétorqua-t-elle avec bravache.
Cependant, à part ses deux-là, les autres prirent leur propre assiette, tremblant un peu d’appréhension avant de gouter leur soupe. Une d’entre elle eut l’air étonné, regardant son simple bol de brouet comme si elle tenait le plus grand festin de tout Fodlan entre ses mains, avant d’en reprendre une cuillère sans hésiter.
– Vous appréciez on dirait, lui sourit Oswald, affable. C’est encore meilleur si vous mettez du pain avec.
Elle le regarda avec des yeux ronds, se recroquevillant à nouveau quand il lui adressa la parole mais, elle l’écouta, plongeant sa miche dans sa soupe avant de le croquer, ayant à son tour un grand sourire en disant quelque chose dans sa langue qui devait se traduire par « c’est bon », avant de déclarer en fodlan.
– C’est bon.
Elle se fit cependant tout de suite reprendre par la femme qui avait traité Ivy d’insecte, la réprimandant sévèrement à son ton mais, l’homme à côté de celle qui appréciait son repas dû la défendre car, l’orgueilleuse se tut et se résigna à manger son propre repas en ronchonnant. Ils parlaient entre eux une langue étrange… ça ne ressemblait ni au fodlan, ni à l’almyrois, ni au sreng, ni au duscurien, ni à aucune langue qu’Oswald avait entendu pendant sa vie. Soit ils venaient vraiment de contrées reculées, soit ils avaient développé leur propre langage pour communiquer discrètement ensemble.
Celle qui les avait remerciés finit la première en savourant sa pomme après avoir demandé ce que c’était, puis déclara.
– Merci pour ce repas. C’était très bon…
– C’est normal. Je suis content que cela vous ait plu… est-ce que je peux vous demander votre nom ?
– … matricule 456.
– Un matricule ? Vous n’avez pas de prénom à vous ?
– Non, l’Agastya et les grands Meneurs nous interdisent de dire notre nom.
– Ah ? Et pourquoi donc ?
– C’est ainsi, ils nous l’interdisent. Ils sont les seuls à avoir le privilège d’en porter un. Les ouvriers comme nous ne portent qu’un matricule. C’est déjà un grand honneur pour des inférieurs tel que nous d’avoir un numéro attribué par le Grand Agastya…
– C’est débile, ça vous réduit à un numéro alors que vous êtes des humains, comme eux, marmonna la capitaine. Y a que les bagnards et les criminels qui ont des matricules, et c’est pour bien leur rappeler que leurs actes sont tellement horribles qu’ils sont à peine humains.
– Un insecte ne peut pas comprendre que l’on doit le respect aux esprits supérieurs tel que les grands Meneurs et surtout envers l’Agastya, grogna l’orgueilleuse en faisant mine de les regarder de haut, même si Ivy la reprit à nouveau.
– Alors, si nous, on vous appelle par votre matricule, on vous est supérieur étant donné que c’est les « esprits supérieurs » qui vous appelle par des numéros et on est leur ait supérieur car en plus d’avoir un prénom avec un titre, on a en plus un nom de famille alors qu’eux n’en ont pas. Si on est des insectes à ce point, on peut vous appeler par un prénom, et c’est plus agréable pour tout le monde.
– De plus, chez nous, c’est très impoli d’appeler quelqu’un par un numéro, c’est comme ça qu’on parle des criminels comme vient de le dire le capitaine Drake. Par exemple, je m’appelle Oswald, enchanté de faire votre connaissance, déclara-t-il en levant sa main droite. Et vous ?
L’orgueilleuse foudroya la plus bavarde du regard, lui interdisant de parler mais, au bout de quelques secondes et hésitations, elle leva à son tour sa main pour la poser sur son front en déclarant, avant de serrer celle de l’homme.
– Alors… Pomme… ou Soupe… c’est bon… enchanté de faire votre connaissance Oswald.
– Moi de même. Et Pomme est un joli prénom.
L’homme qui l’avait défendu écarquilla les yeux en la voyant serrer la main d’Oswald, lui demandant quelque chose dans leur langue en paniquant, même si Pomme répondit en lui montrant sa paume.
– Bah non… y a rien, tu voies ?
Il eut l’air étonné, puis demanda, visiblement sans voix par cette simple poignée de main.
– Je… je peux aussi ?
– Bien sûr. Enchanté… ?
– Je ne sais pas… Ivy ? C’est joli… si deux personnes ont le droit de porter le même prénom…
– Bien sûr, on ne s’en sortirait plus sinon mais, c’est plus un prénom de femme mais, tu pourrais t’appeler Vivian ? Lui proposa la capitaine. On reste dans les mêmes sonorités comme ça.
Il hocha la tête avant de serrer à son tour la main d’Oswald avec appréhension, avant de la retirer avec étonnement en voyant qu’elle était toujours comme avant. Les trois qui n’avaient rien dit suivirent aussi en se présentant en utilisant apparemment des mots de leur langue, qui eurent la même réaction.
– On… on nous avait toujours dit que pour des ouvriers tels que nous, toucher une bête avec un emblème majeur nous brûlerait… surtout les tarés comme moi et matri… Vivian… avoua Pomme en regardant leurs mains à tous. Que le sang des enfants de la Noyeuse nous dévorerait les mains si on le faisait… quand c’est l’emblème mineur, ça piquerait comme du salpêtre mais, que les emblèmes majeurs brûleraient comme le soleil… que seuls les esprits supérieurs comme les grands Meneurs et l’Agastya étaient assez forts pour résister…
– Et bien, je dois avouer que c’est la première fois que j’entends une telle histoire ! Je vous rassure, je n’ai jamais brûlé personne en leur serrant la main ! » S’esclaffa Oswald, riant à moitié noir. Ces personnes avaient été maintenus dans l’ignorance, surement pendant des années afin de mieux les contrôler, comme dans les sectes les plus dangereuses. Qu’ils ne se rendent même pas compte de ce qu’ils faisaient ne l’étonnerait même pas vu ce qu’il avait devant le nez. Enfin, ça les rendrait plus facile à manipuler maintenant qu’ils voyaient de leurs yeux des preuves de ces mensonges.
Ils finirent tous de manger, le remerciant dans leur langue et en fodlan, avant que le grand-duc ne leur avoue, l’air sombre.
« Merci pour votre confiance. Je dois être honnête avec vous, l’heure en ville est très grave. Énormément de marins ont disparus dans ce port et nous avons des raisons de penser que votre employeur, Kleiman, est à l’origine de ses disparitions. À l’origine, nous sommes venus ici pour retrouver ces disparus et éviter qu’il y en ait d’autres. Après la démonstration de force de cette femme, Bias, nous sommes tous très inquiets pour eux. Étant donné que vous étiez en train de vous enfuir avec lui, nous avons toutes les raisons de penser que vous êtes leurs complices, et vous risquez d’être punis de la même façon qu’eux, même si vous n’étiez que des exécutants… leur apprit-il, voyant leurs joues blêmir de plus en plus au fil de ses mots. Cependant, si vous acceptez de nous aider, on pourra s’arranger pour vous éviter de finir comme lui. Par contre, il va falloir nous aider à retrouver les disparus et nous dire tout ce que vous savez.
Oswald les observa, voyant toute l’hésitation se peindre sur leurs visages anxieux. Pomme finit par ouvrir la bouche, tremblante comme une feuille.
– D’acc…
– Non !!! …
Celle qui les avait traités d’insecte s’énerva, reprenant violemment la jeune fille qui se décomposa, morte de peur mais, Oswald intervient, alors qu’Ivy faisait reculer la femme en colère.
– Cause correct aux tiens, c’est pas des chiens.
– La capitaine Drake a raison, on ne parle pas comme ça aux autres. Écoutez, je voie que vous avez peur et qu’elle vient de vous menacer mais, si vous nous aider et nous avouez tout ce qui s’est passé ici, nous vous aiderons et vous ne serez pas en danger, vous avez ma parole.
Pomme le dévisagea, demandant en tremblant, Vivian se tenant à elle en serrant leurs mains ensemble.
– Même contre l’Agastya ? Même contre l’être le plus puissant ? L’Agastya est l’Agastya, l’incarnation de la connaissance et de la puissance sur terre, le chef suprême des terres de la Grande Sphygi qu’il dirige… per… personne ne doit lui désobéir, le questionner ou lui résister…
– Oui, même contre lui s’il veut vous faire du mal ou vous forcer à faire des choses que vous ne voulez pas. C’est lui qui vous a raconté l’histoire que si vous touchiez quelqu’un avec un emblème mineur, vous serez brûlé ?
Pomme se mordit la lèvre avant d’hocher la tête.
– Pour quelqu’un qui sait tout, il vous a dit de sacrés mensonges, leur fit remarquer Ivy avec un air narquois après Oswald. Et s’il est aussi fort que cette Bias, on devrait s’en sortir, on a eu qu’à lui balancer de la poudre urticante dans la gueule et à l’embrocher avec une épée pour la battre. Même si votre Agastya est plus fort, on devrait arriver à le battre en faisant fonctionner nos neurones. Alors, faites ce que vous pensez être juste selon vous, pas selon votre Grand Con si génial qu’il est obligé de mentir en permanence pour se faire obéir car, un peuple qui réfléchit, c’est chiant à gérer.
– Agastya… crrrrétin… marmonna Noce sur son épaule.
La jeune femme finit par craquer, hochant la tête alors qu’elle prenait peut-être une des premières décisions de sa vie.
– Je vous montrerais et vous dirais tout… maintenant que la Meneuse Érudite est morte, sa magie ne devrait plus rien verrouiller… Juste… juste je ne veux pas retourner à Shambhala.
– Moi aussi, je veux bien vous aider, ajouta Vivian. Mais par pitié, ne nous renvoyez pas là-bas… ils nous tueront pour vous avoir parlés…
– Cela devrait pouvoir se faire, leur assura Oswald.
Les deux mages se levèrent, sous le regard effrayé des trois qui avaient serré la main du descendant de Riegan, et celui désapprobateur des deux derniers mais, ils restèrent fermes sur leur décision et les suivirent hors de la pièce. Les deux amis – peut-être… ça ressemblait à de l’amitié selon le grand-duc mais, il n’était pas sûr qu’ils sachent même ce que c’était… – les ramenèrent dans la grande pièce centrale, leur disant que leur « laboratoire » était sous la grosse dalle par où Kleiman et eux-mêmes avaient tenté de s’enfuir. Avec l’aide de plusieurs forgerons et tailleurs de pierre de la ville, ils arrivèrent à la forcer malgré les déformations, puis des hommes en armes descendirent les premier, suivit d’Ivy, Oswald, Pomme et Vivian.
Le boyau était assez étroit, à peine large comme un chevalier en armure, mais pour des personnes aussi maigres et de petite taille que les deux mages, cela restait praticable. Aucune torche n’éclairait l’endroit, remplacé par des sortes de longs rubans luisant, encastrés de chaque côté du couloir, indiquant le chemin dans la pénombre. Si c’était les lumières auxquels ils étaient habitués et qu’ils passaient beaucoup de temps sous terre, ce n'était pas très étonnant qu’une flamme leur fasse mal aux yeux, manque d’habitude… une odeur de plus en plus nauséabonde envahissait leurs narines alors que les deux mages baissaient la tête, gagnés par la honte… une odeur de cadavre et de fumée… de magie noire…
Le groupe marchait depuis quelques minutes quand Oswald commença à entendre les hoquets de stupeurs des hommes d’armes devant eux, avant qu’il ne voie le laboratoire de lui-même, ne pouvant contenir son incompréhension mêlée d’horreur à son tour. Le boyau débouchait dans une énorme cavité éclairée par des pierres semblables aux veines luisantes, éclairant un ensemble de table semblable à celle des chirurgiens mais, avec d’énormes attaches pour tenir les membres, l’odeur de sang séché et de chair putrifié rendant l’air pratiquement irrespirables prenant tout son sens en les voyant. Plus au fond, il y avait un couloir avec deux côtés bien distincts : à leur gauche, il y avait des rangées de dizaine de tubes transparentes comme du verre où flottaient des sortes de boules, et à droite, un damier de pressoirs énormes, de sorte de cuves surplombés de cheminé, et de grands casiers entre les deux.
C’était ordonné au cordeau… presque scientifiquement…
« Qu’est-ce qu’il y a dans les cuves et les casiers ? Osa demander Oswald, son sang se gelant de plus en plus en devinant ce qu’ils contenaient.
– Vos semblables qu’on a récupéré encore vivant au projet Delta qui a eu lieu quelques lieux plus à l’ouest, et des personnes sur le port, dont je m’occupe, répondit Pomme avec une toute petite voix, les yeux baissés, serrant sa tresse rose vif dans ses mains. Dans les casiers, c’est les corps des morts dont s’occupe Vivian. On est deux défaillants alors, on a la tâche de s’occuper de vos semblables, que ce soit pour les maintenir en vie pour moi ou se débarrasser des restes pour Vivian… c’est ce qui est le plus dégradant.
– Et qu’est-ce qui est pas dégradant pour vous ? » Demanda un soldat duscurien en regardant la scène avec horreur, conscient que plusieurs de ses frères et sœurs avaient dû passer par cette sale macabre. Au nom des Braves, heureusement que les murs ne pouvaient pas parler, même si le simple fait d’imaginer tout ce qui avait pu se produire ici rendait ce silence encore plus insupportable et dérangeant… c’était presque… bien trop calme…
« Assister la Meneuse Érudite… répondit difficilement Vivian.
– C’est-à-dire ? Demanda Ivy, tenant quelques minutes Noce contre sa poitrine pour qu’il se calme malgré l’odeur atroce et le manque de lumière.
– Projet Alpha… continua le mage. Endurcissement des corps et transformation des métabolismes… étude de sujets vivants pour comprendre leur fonctionnement interne et l’utiliser afin de faciliter les expérimentations des Meneurs…
– Attendez… vous êtes en train de nous dire que vous découpiez des gens vivants ?! Mais quel être humain peut être assez tordu pour faire une chose pareille à ses semblables ?! S’énerva-t-elle, Noce contre elle.
– Nous ne sommes pas humains… pas comme vous en tout cas…
– Oui, esprits supérieurs, inférieurs, insectes… tout ça, on connait, vos copains nous l’ont dit tout à l’heure, les coupa Ivy, furieuse et dégoutée, regardant de partout autour d’elle comme si elle cherchait quelque chose. Mais personne ne se sent mal de juste découper des gens encore en vie ?! Vous n’avez pas d’empathie pour eux ?!
– C’est quoi l’empathie ?
Ivy dévisagea Pomme, ne sachant pas si elle devait être en colère ou compréhensive. Aux yeux de cette mage, c’était une question parfaitement normale, elle la posait presque en toute innocence, ne sachant même pas ce que c’était alors que pour la plupart des gens, c’était tout de même la base les émotions et les sentiments. Vu le niveau, c’était même limite énorme qu’elle ait juste osée la poser sa question…
– L’empathie, c’est la capacité à se mettre à la place des autres pour les comprendre et agir en conséquence, expliqua-t-elle lentement en laissant Noce regagner son épaule. Par exemple, quand quelqu’un a mal, tu comprends ce que ça fait et tu tentes de l’aider normalement.
– Ah, c’est comme pour les défaillants comme nous deux alors, comprit Vivian. C’est pour ça qu’on s’occupe des… des « stocks »… c’est pour corriger nos défaillances et nos tares à force…
– Vous voulez dire que l’empathie, c’est pas normal chez vous ? Demanda une guerrière sreng, sans voix.
– Non, c’est les défaillants et les insectes qui s’en font pour les autres. Quand des ouvriers comme nous tombent, tu les laisses par terre, ils n’étaient pas dignes du Grand Plan de l’Agastya… même les Meneurs… nous avons échoué, on sera juste remplacés par d’autres matricules… en particulier ceux comme nous qui sont tarés…
– C’est-à-dire ? Vous avez des problèmes physiques ou mentaux ?
– Non, on serait inepte au travail, on serait déjà mort depuis longtemps, on ne servirait à rien à la cause, c’est notre âme notre problème… on ne sait pas pourquoi… juste… ça fait mal de voir tout ça… marmonna Vivian, complètement perdu, tordant ses longs doigts blancs ensemble alors qu’il secouait la tête, agitant ses boucles orange qui cachait ses yeux de la même couleur perdus dans le vague. On ne sait pas… on ne sait pas… mais, on ne peut pas s’en empêcher… c’est comme si on avait des épingles dans la poitrine… ça fait un peu moins mal quand on leur ferme les yeux et on les met correctement mais, ça fait toujours mal de les entendre… même quand on les entend depuis toujours… et on arrive pas à se concentrer uniquement sur le Grand Plan selon le désir de l’Agastya… on ne sait pas ce qui ne va pas chez nous… on est comme le Traitre Abominable dont on doit taire le nom… on arrive pas à être ce qu’on nous demande être…
– C’est pas une tare alors, c’est juste que vous n’avez pas été cassé par cet Agastya, répliqua Oswald sans hésiter. C’est normal de ressentir de l’empathie pour les autres et d’être mal quand des choses horribles leur arrivent comme… comme tout ce qui a pu se passer ici. Ce Traitre Abominable devait être comme vous et être capable de ressentir de l’empathie malgré tout ce qui lui était arrivé… au contraire, soyez fier de lui ressembler.
Pomme et Vivian échangèrent un regard, perdus, mêmes s’ils firent un signe de tête qui ressemblait à un acquiescement pour eux. Déesse… des êtres vivants incapables de ressentir de l’empathie ou faisant tout pour l’éliminer… c’était la première fois qu’il voyait une telle chose…
Une fois à peu près remis de ce qu’ils venaient d’apprendre, ils se mirent à prendre possession des lieux et à s’organiser pour sortir les rescapés de cet enfer au plus vite. D’après Pomme, le liquide où ils étaient les maintenait en vie et évitait que leurs blessures s’aggravent mais, elle comprit à peu près pourquoi c’était important pour eux de les extirper de ces bocaux.
« Quel était le but de ce « plan Delta » dont viennent toutes ses personnes ? Lui demanda Oswald pendant qu’Ivy et un soldat tiraient une des messagers qu’ils avaient envoyés auprès de Kleiman de sa cuve, étalant lui-même une couverture où l’allonger.
– Je ne connais pas les détails mais, si j’ai bien entendu ce que disait la Meneuse Érudite, ce n’était pas pour nous faire des stocks de cobaye… d’après elle, c’était pour plonger cette partie des protégés de la Noyeuse dans la discorde et le chaos, afin de mieux les infiltrer et de pouvoir faire avancer le Grand Plan. Une autre meneuse est dans votre capitale à vous alors, le chaos l’aidera à avoir plus d’influence… expliqua Pomme en déplaçant des pierres sur une surface rocheuse, semblant actionner des mécanismes par ses quelques gestes alors qu’elle ne pouvait toujours pas utiliser de magie.
– Et vous connaissez le nom de cette meneuse ? Son vrai nom je veux dire, comme Bias.
– … nous, nous l’appelons « Grande Savante » et son prénom, c’est Périandre mais, ce n’est pas sous ce nom que vous la connaissez… et qu’elle a pris la place de quelqu’un d’important… on peut prendre l’apparence des autres de… je vous expliquerait après mais, vous la prenez pour quelqu’un d’autre dont elle a volé le visage et l’identité… je n’en sais pas plus, je n’ai jamais été sous ces ordres, cela fait des années que je suis dévouée au service de Bias… la Meneuse Érudite ! La Meneuse Érudite ! Pardon !
– Allons, ne vous en faites pas, elle est morte à présent, elle ne pourra plus vous faire de mal car, vous l’appeler par son prénom. Et merci, c’est déjà beaucoup d’informations qui nous seront très utiles, » lui assura Oswald, déjà bien content d’avoir trouvé quelqu’un d’un peu plus bavard que Kleiman.
Ils continuèrent à avancer et à tirer les rescapés de Duscur et des enlèvements à Kleiman, quand Ivy se figea, regardant une cuve un peu plus loin.
« Ivyyyy… appela Noce, solidement accroché à l’épaule de son amie.
Elle courut alors d’un coup vers cette cuve, appelant tout de suite Pomme qui arriva sur ses talons avec Oswald.
– Il est en vie ? Par pitié, dit-moi qu’il est en vie et qu’il va vivre… déclara-t-elle, entre le grognement et la supplique, jetant des regards angoissés à celui qui dormait dans ce bocal.
Il s’agissait d’un jeune homme recroquevillé sur lui-même, ses bras forts entourant ses jambes pour les tenir contre sa poitrine pale et couverte de cicatrice de brûlures, surement mortelles si la technologie des « agarthans » – soit le nom de leur peuple ou de leur secte si Oswald avait bien compris – ne l’avait pas sauvé. Sa peau était très pale, contrastant avec ses longs cheveux noirs et bouclés, retenus dans une épaisse tresse qui flottait autour de lui. En le voyant, il comprit tout de suite la raison de la panique d’Ivy…
« C’est fou ce qu’il ressemble à son père… »
– Oui, il l’est. De peu mais, il vivra. Périandre et Myson avaient dit qu’on aurait bientôt d’autres membres de la même famille avec un emblème mineur et un emblème majeur alors, il fallait le laisser de côté pour comparer les trois alors, je l’ai mis au fond…
– D’accord, tu m’expliqueras en détail tout ce que tu sais après mais avant, il faut qu’on le tire de là !
– Bien sûr.
Pomme répéta la même série de mouvements sur la plaque que tout à l’heure, pendant qu’Ivy et l’autre soldat tiraient l’homme inconscient de sa prison de verre, enlevant dans un ordre bien précis les tubes qui le reliaient à sa cuve en trouvant heureusement une respiration qui agitait encore sa poitrine.
La capitaine l’allongea délicatement sur la couverture qu’avait étendu Oswald, l’installant bien avant de lui tourner la tête, comme un noyé pour éviter qu’il ne recrache le liquide de la cuve sur lui ou qu’il reste bloqué dans ses poumons. Puis, tout doucement, les deux leicesters le tournèrent sur l’épaule, l’aidant à vomir.
– Allez… grogna Ivy, tendu comme un cordage de navire. Crache…
– … k… kof ! Kof ! Kreuf !!! Kra…
Le jeune homme rendit tous le liquide bleu luisant présent en lui, crachotant encore alors qu’il essayait de parler.
– Attention, te presse pas trop, t’étouffe pas alors que tu as encore de l’eau dans les poumons…
– I… Ivy… c’est… mais que… les yeux de chat du jeune homme s’écarquillèrent encre plus, même si leurs iris bleu d’eau restaient encore floues, s’affolant à cause des dernières choses qu’il avait vu, surement induit en erreur par l’odeur de sang omniprésente. Non… non… tu dois… les flammes… le sort… Dimitri… tout… ce… krreeeuufff… ! Kof ! Kof !
– Eh ! Je t’ai dit de ne pas t’étouffer ! Le rappela-t-elle à l’ordre alors qu’il crachait encore. Déjà que t’es une vraie pierre, va pas t’étouffer même à terre ! Pour résumer très vite, même si ça c’est mal fini, Dimitri va bien, et même si t’as dû en voir, tu es en sécurité maintenant.
– En… mais… mais comment… ? Je… qu’est-ce… qu’est-ce qui s’est passé… ? Où… où est-ce qu’on est ? Mon… mon père est là ? Et… et Félix ? Tu sais s’ils vont bien… ? Et Alix…
– Là aussi, très longue histoire mais, on va tout te raconter mais pour l’instant, tu dois te reposer. Je te raconterais tout quand tu te seras un peu remis. D’accord Glenn ?
Les yeux du jeune homme rencontrèrent ceux de la meilleure amie de sa mère, cherchant quelque chose de familier et de rassurant… il voulait presque l’entendre raconter ces dernières anecdotes de voyage, leur décrire ses mésaventures dont elle se tirait toujours et si tout c’était passé comme ça l’arrangeait à Almyra… juste pour retrouver quelque chose de normal… tout était tellement flou dans sa tête… la dernière chose dont il se souvenait, c’était des flammes de partout, des cris, et des mages étranges qui le tiraient du mélange de boue, de suie et de sa propre mare de sang… de la sorte de potion immonde qu’ils lui firent boire… puis, plus rien, un grand noir vide et glaçant… il avait tellement de questions… mais Glenn n’arriva qu’à supplier Ivy avant de s’évanouir à nouveau…
– Je veux rentrer chez moi… je veux mon père… Félix… et Alix… je veux retrouver… ma famille…
– Bien sûr, je te ramènerais chez toi, je te le promets, lui jura Ivy en passant sa main sur sa tête.
Glenn se laissa alors happer à nouveau par le sommeil, assez confiant en Ivy pour savoir qu’elle tiendrait parole…
#fe3h#écriture de curieuse#route cf + divergente canon#plus ou moins#j'espère que ça vous plait surtout !#on reprend en douceur après la FE OC Week !#C'étais prêt depuis un moment mais je voulais faire que 5 billets à la base jusqu'à voir le nombre de page et oui...#mieux vaut faire ça en un billet supplémentaire... ce sera mieux et moins condensé en reblog#La distribution de claque recommence ! J'ai beaucoup aimé écrire la scène de rêve ! J'espère qu'elle vous plaira !#(c'est les scènes que je préfère en général : les scènes de rêve ou irréalistes où les persos sont en plein trip#On peut mettre la réalité au placard et y aller à fond sur les symboles et les choses irréalistes tout en gardant la logique propre des rêv#diatribe des avertissements inspirée par une conversation avec un ami hors Tumblr qui a passé +30 minutes à cracher sur un jeu#auquel il n'a pas joué depuis 20 ans et qu'il déteste mais qu'il ne peut pas s'empêcher de cracher dessus en disant que c'est de la m*#avec quelqu'un -moi- qui aime ce jeu vu que c'est sa série de coeur alors pas très agréable à vivre et ça donne envie de rappeler :#Eh... [nom censuré]... ou le dernier jeu est mal fichu. Et si tu n'aime pas cette licence on peut parler d'autre chose...#donc bref : vous aimez pas un truc ou vous n'adhérer pas à un truc soit ne lisez pas soit évitez de le tartiner à la figure de gens l'aiman#ou alors assumez que vous avez donné une chance à quelque chose que vous doutez ne pas aimer pour voir#Enfin fin du négatif bonne lecture à tous !
6 notes · View notes
lilias42 · 3 months
Text
"Tout ce que je veux, c'est te revoir" : scènes coupées
Bon ! Vu que pas mal de choses ont changés pendant l'écriture de cette histoire, y a de quoi faire un petit billet, surtout que c'est parfois passer du coq à l'âne donc, petits résumé des idées remisés, remaniés et des changements dans cette histoire dont je me souviens encore.
ça devait être court... blague à part, beaucoup de choses se sont rajouté à l'écriture mais, l'idée de base, c'était :
Lambert survit
Rodrigue tient avec Félix
dispute entre le père et le fils avec la même cause que dans le jeu
Rodrigue craque et se transforme en loup
amitié entre Félix et Cassandra
Alix craque aussi et rejoint son frère en loup
Cassandra arrive à raisonner Félix sur son père et à lui faire voir son point de vue
Félix et Rodrigue se retrouvent et les jumeaux redeviennent humain (soit la scène que je voulais le plus écrire quand j'ai commencé cette histoire et qui était vraiment mon point d'arrivée)
retour à Fhirdiad triomphant
Lambert et Rufus sont dégagés
fin heureuse où les trois Fraldarius vivent heureux ensemble pour toujours...
...et j'étais persuadé que ça rentrerait dans 200 pages maximum... ce n'est qu'après que je me suis rendu compte qu'il fallait bien plus de développement pour que l'histoire tienne bien debout et bien solidifier l'ensemble sinon, les retrouvailles de Félix et Rodrigue après leur dispute auraient bien moins de poids, tout comme la fin alors, des éléments sont venus se greffer pour solidifier l'histoire
Donc, toute la partie avec Sylvain, Fregn et Gautier qui se révoltent et prennent leur indépendance avec Miklan et Isidore qui ont ce qu'ils méritent ne devait pas exister. On passait chez les Gautier pour faire le point sur à quel point la situation était catastrophique pour les fiefs, avec Fregn qui parlait des berserkir pour que la transformation des jumeaux ne sortent pas du chapeau mais, c'est tout, il aurait dû avoir un aussi gros rôle qu'Ingrid (qui sert surtout à montrer la tristesse de perdre un être cher tout en étant loin, et l'inquiétude pour l'avenir des familles plus pauvres).
Le scénario autour du Grand Thing, de la révolte de Birka et de l'alliance avec les Srengs n'est arrivé que plus tard, quand la nécessité de bien exposer les conséquences de Duscur pour montrer la gravité de la situation s'est imposée, et que c'était juste trop tentant de mettre Fregn et ses compétences en avant pour qu'elle fasse payer à Isidore tout ce qu'il lui a fait, même s'il a fallu attendre plus de 25 ans en tant qu'agent dormant pour qu'elle ait sa revanche.
Là, le scénario n'a pas trop changé et est resté à peu près le même tout du long de l'écriture... à part peut-être que Sylvain s'est plus radicalisé que prévu en prenant son indépendance et assumant bien plus son héritage Sreng, plutôt que de mettre seulement de la distance avec Fhirdiad et de revenir quand les bons rois arrivent. Là, c'est bon, il a eu sa dose et prend son indépendance pour protéger son peuple et instaurer une monarchie élective à la sreng.
De même, Ludovic est arrivé assez tard... pratiquement quand j'ai écrit le craquage de Rodrigue ou à peine avant. Là, c'est surtout parce que j'avais très envie d'utiliser son personnage qui n'est pas très exploité dans ma version du pré-canon (il est plus présent quand il est plus âgé et malade) et de le mettre en opposition avec son fils. Même si c'était déjà présent dans mes autres histoires, c'est vraiment dans celle-ci que le père et le fils sont devenus pratiquement des opposés l'un de l'autre. Ludovic savait déjà que son fils n'avait clairement pas les épaules pour être roi mais, je n'avais pas encore trop creuser en profondeur les raisons de cette méfiance, en plus de sa conviction que la responsabilité de roi est bien trop grande et importante pour que le roi soit choisi par le hasard de la naissance (ce genre de chose leur a imposé Clovis après tout).
Là, on a biiien explorer toutes les raisons, et ça m'a permis de vous présenter un peu plus Ludovic qui est un perso que j'aime aussi beaucoup, et l'écrire avec ses fils face à lui m'a fait encore plus m'attacher à son personnage pour devenir plus que "roi protégé par Guillaume et Aliénor", "oncle des jumeaux qui s'en veut pour la mort de Guillaume", "roi précédent qui n'a pas confiance en son fils pour régner", pour mieux développer son caractère en contraste avec son visage (et là aussi en miroir avec Lambert, Ludovic ne montrant pas ses émotions mais faisant tout pour aider les autres et montrant par ses actes qu'il tient à eux, là où Lambert le dit sans le montrer), son histoire et sa psychologie (et il a pu rencontré son petit-fils !)
De même, Oswald et Ivy devait se résumer à un choeur antique commentant l'action à Fhirdiad avec un regard neutre mais, sans agir ou prendre les armes contre Kleiman, qui lui-même n'aurait pas été vaincu à l'écran de cette histoire, ça aurait dû être réglé dans l'épilogue. Oswald distribuait déjà des claques et des punchlines à tous ceux qui le méritent mais, il n'agissait pas autant, tout comme Ivy qui restait avec lui et soutenait Rodrigue mais, ça n'allait pas plus loin que ça. C'est quand une autre idée avortée et l'histoire de Sylvain se sont développé qu'ils ont pris un rôle bien plus important et que leur lien s'est plus construit, notamment Oswald.
Idée avortée par rapport à Oswald et la construction de l'univers : les possesseurs d'emblème majeur devaient avoir la capacité naturelle à sentir la magie agarthan... et ne la supportait clairement pas. Elle aurait une odeur nauséabond pour eux, à peine tenable tellement elle empestait et les faisait tourner de l'oeil à cause de la puanteur, tout en les affaiblissant grandement. De mémoire, c'était parce qu'ayant l'emblème majeur, cela les rapprochait plus des nabatéens et de leurs ancêtres alors, cela les rendait particulièrement sensible à la magie noire.
Cependant, après une discussion avec Ladyniniane, je me suis rendu compte que ça ne tenait pas : Félix a déjà croisé Cornélia après qu'elle ait été remplacé alors, il aurait forcément senti le changement, et même si j'avais une idée pour pallier à ça, le même problème se serait posé avec les Charon, qui sont vraiment en partie nabatéenne elle. Je sais que Myrina haït Lambert de toutes ses tripes et qu'aucun des membres de la fratrie ne le porte particulièrement dans son coeur à cause de ce qu'il à fait à Héléna mais, elles sont souvent à Fhirdiad et la très grande majorité a un emblème majeur alors, elles auraient dû sentir le changement à un moment ou un autre (surtout que Myrina ne louperait jamais la moindre chose qui pourrait lui servir contre Lambert). Cette capacité à sentir la magie noire est donc devenu une capacité unique aux sorciers mais, parce qu'ils ont une très grande sensibilité à la magie et parce que la magie agarthan est l'opposée de la sorcellerie (et je vous laisse imaginer leur réaction quand ils tombent sur des mages utilisant une magie contre-nature et interdite, en particulier celle de Metaheta qui pense que tous les agarthans sont morts grâce à une intervention des dieux).
De même, une autre idée avorté et dont on retrouve encore quelques traces dans le rendu final, c'est que les emblèmes majeurs murissaient à l'adolescence et s'activaient vraiment à ce moment-là, notamment avec de nouvelles capacités qui se réveillait. Après ne pas avoir été dans son assiette pendant quelques temps, la personne en ayant un tombait dans une sorte de transe où après un certain nombre d'épreuves mentales et une confrontation avec le nabatéen qui possédait leur emblème à l'origine sous sa forme de dragon, il se réveillait en pouvant utiliser toutes ses capacités et son coeur se transformait en une sorte de pseudo gemme emblématique, ce qui demandait un temps d'adaptation... ouaip, c'est de là que vient la maladie de Félix dans l'acte 3.
A l'origine, ce n'était pas l'inquiétude et la fatigue qui le faisait tomber malade, mais son emblème majeur qui le plongeait en transe pour finir de murir et lui donner accès à toutes ses capacités d'emblème majeur. Cassie et Théo devaient rassurer Dimitri en lui disant que c'était normal, et Rodrigue devait même se dire dans l'acte 2 que c'était mieux qu'il soit chez les Charon car, il se doutait que Félix n'allait pas tarder à tomber en transe (surtout avec tout le stresse de ses derniers temps qui allait surement accélérer le processus) et que les Charon pourraient mieux gérer ça car, tout le monde ou presque y passait dans leur famille, alors qu'à Fraldarius, Félix est le premier à avoir un emblème majeur depuis 400 ans. Le passage où il tient quelque chose contre son coeur avec son double qui tente de lui voler devait à l'origine être une épreuve avec le même but, Félix devait protéger son coeur mais, là où dans la version finale, c'est plus tournée comme "je ne dois pas abandonner mon amour pour ma famille", dans la version originale, c'était plus joué comme "je ne dois pas laisser qui que ce soit me voler mon coeur / l'essence de mon être, je dois protéger ce que mon père m'a donné + je ne dois pas renier mes sentiments pour ma famille".
Il devait même rencontrer le nabatéen à qui appartenait son emblème à l'origine et se lier avec lui malgré son rejet initial (notamment avec Félix qui, même si le nabatéen ne dit pas pourquoi il est aussi en colère, comprend qu'il est triste et dit qu'il est un membre de sa famille) mais, je n'arrivais pas à tourner leur conversation de manière satisfaisante et comme l'histoire avait encore évolué, cela a été abandonné pour se concentrer sur le lien avec sa famille et le fait qu'il affronte son deuil, ses sentiments négatifs, sa colère... bref, qu'il grandit vraiment dans son rêve plutôt que de l'utiliser comme épreuve pour avoir un power-up...
D'ailleurs, ce power-up devait être une capacité d'empathie qui lui aurait servi à retrouver son père puis à mieux le comprendre, là où chez les Charon, l'emblème majeur donne des sens bien plus fort comme la capacité de Catherine / Cassandra à sentir les emblèmes. Cela vient d'une autre histoire dans le milieu de FE où tous les emblèmes donnait un pouvoir supplémentaire mais, c'était encore différent de mon billet sur les emblèmes (c'était en juillet 2021, avant que les Braves ne soient de bonnes personnes, pour dire à quel point c'est vieux) et celui de l'emblème de Fraldarius était justement une capacité d'empathie : pour les emblèmes mineurs, il fallait toucher la personne pour savoir ce qu'il ressentait et ses émotions, là où les emblèmes majeurs sent les émotions des personnes autour d'eux sans contact, avec Félix qui y était particulièrement sensible, et pouvant même perdre ses moyens et s'évanouir quand il n'arrive plus à bloquer tout ce qu'il ressentait ou quand il était plus jeune.
Même si c'est une idée abandonnée, je trouve que ce type de pouvoir irait bien à Félix, que ce soit pour le contraste avec la face dure qu'il affiche alors qu'en réalité, il tient sincèrement à sa famille et ses amis tout en étant très mauvais pour gérer ses propres émotions, ou pour aller avec son rôle de bouclier / défenseur étant donné qu'il pourrait protéger physiquement et émotionnellement ses proches. Cependant, même si je suis la première à jeter le canon sous le bus pour qu'une histoire fonctionne mieux, ça ne collait pas avec mes autres histoires ou ce qu'on voyait de lui dans le jeu, et ça ralentissait l'histoire avec quelques chapitres d'entrainement pour apprendre à l'utiliser pour pas grand-chose (tout en affaiblissant son arc maintenant que j'y pense car, il n'aurait pas compris les actions de son père car, il a grandi et travaillé sur lui-même mais, parce qu'il a une nouvelle capacité qui l'aide à le comprendre par magie) alors, ça a été abandonné.
De même, à la base, il devait utiliser ce pouvoir pour suivre Rodrigue et Alix dans tout Faerghus afin de tenter de les retrouver mais, les agarthans devaient également lui courir après à lui aussi. Alors, au lieu de retourner à Egua, il devait filer tout seul et rejoindre une communauté inspiré des tziganes / roms (j'utilise ces termes pour définir ces communautés car, c'est le terme que je retrouvais le plus souvent dans les articles que j'avais commencé à lire pour cette partie de l'histoire, notamment dans la liste d'ouvrage du SUDOC qui est le catalogue qui liste les articles universitaires et leur localisation en France) se rendant à Fhirdiad pour tenter de retrouver son père et son oncle qu'il sentait se déplacer rapidement sur cette route, tout en restant discret. Il devait même devenir avec une fille de cette communauté.
Cependant, l'histoire a évolué et ils ont disparu en même temps que le pouvoir d'empathie de Félix, et cette amitié aurait fait doublon avec celle qu'il développe avec Cassandra qui aurait également été soit abandonné sur la route, soit elle aurait eu son propre scénario où elle cherchait Félix et tentait de le rattraper avant les mages noirs qui lui courraient après aussi. De plus, même si j'ai trouvé des articles parlant de la communauté tzigane / rom à l'époque contemporaine / XIXe siècle, j'ai eu du mal à trouver des informations sur des périodes plus anciennes, notamment par manque d'informations et d'études sur ces périodes. Ces communautés sont déjà très discriminés, il y a un travail énorme à faire pour eux dans le droit et l'adapter à leurs conditions de vie, et je connais personnellement très mal leur situation donc, même si c'est devenu un regret de ne pas leur avoir donné un rôle sympathique depuis que j'entend TOUS LES MAUDITS JOURS un collègue dire "roumain" pour dire "voleur / arnaqueur / escroc" (car tous les roms / tziganes sont évidemment des voleurs à ses yeux, et je me retiens de lui demander si pour lui, il faut dire "français" pour dire "pervers") et leur tape tout le temps dessus avec tout ceux qu'il considère comme différent - soit tout ce qui n'est pas sa copie carbone - je ne voulais vraiment pas taper à côté et mal les représenter. Ils s'en prennent assez sur le coin de la figure, je ne voulais pas en rajouter une couche, même à mon petit niveau.
Autre idée rejetée, les jumeaux auraient dû se faire capturer, surement par les agarthans ou ceux de Lambert étant donné qu'eux les veulent vivants, là où Rufus les veut morts et ses agents les auraient juste tué d'une flèche en pleine tête. Dans ce cas-là, soit c'était les agarthans et Félix arrivait à les retrouver avec Cassandra avant qu'ils ne soient emmenés à Shambhala, à les libérer, et sa présence donnait à Rodrigue assez de volonté et de force pour tous les foudroyer, soit ils étaient ramené tous les deux à Fhirdiad où ils auraient été confronté à Lambert. Il les aurait libéré de la cage où ils étaient enfermés pour tenter de s'expliquer mais, en arrivant à parler malgré la transformation, les deux loups lui auraient encore plus vidé leur sac sur lui, lui envoyant toute son irresponsabilité et son attitude infantile et égoïste dans la figure en appelant un chat un chat : il est responsable de la mort de tout le convoi. Evidemment, Lambert aurait nié mais, Rodrigue aurait insisté en lui disant qu'il est l'assassin de Glenn et qu'il le haïssait de toute son âme pour ce qu'il avait osé faire à sa famille. Finalement, cette partie est revenu d'une certaine manière dans l'acte 5 et 6 avec la confrontation en rêve puis réelle des deux personnages.
Autre point qui est parti, Félix, Cassandra et Oswald auraient dû se retrouver à un moment isolé à Fhirdiad ou dans un autre lieu isolé où personne ne pourrait les aider (peut-être après que les jumeaux aient été capturés par les hommes de Gustave et Lambert), se parler un peu et se lier ensemble, puis fuir tous les trois les agarthans qui sont ravis de voir leur trois cibles isolés et en très large infériorité numérique, avec juste Cassandra qui sait très bien se battre, Oswald qui a un arc mais qui risquait de ne pas pouvoir tenir aussi longtemps que dans sa jeunesse, et Félix qui sait se battre mais, qui reste encore assez jeune et inexpérimenté sur un vrai champ de bataille, et est plus un enfant à protéger qu'autre chose face à autant de mages aussi dangereux (surtout qu'il devait encore avoir son pouvoir d'empathie qui l'étourdit étant donné qu'il sent toute la joie sadique des agarthans).
Ils devaient donc fuir leurs poursuivants en utilisant la ruse pour les ralentir, tout en cherchant un endroit pour se planquer le temps que les agarthans partent, et il recevait de l'aide de la communauté tzigane qu'avait rejoint Félix pour les fuir. Etant donné que les jumeaux étaient aussi à Fhirdiad, ils arrivaient à fuir Lambert pour leur venir en aide avec les troupes de Fraldarius encore présente à la capitale et les fhirdiadais pour venir à bout des agarthans. Cela se finirait sur Félix qui retrouvait son père et son oncle, qui eux-mêmes retrouvaient leur forme humaine en retrouvant leur petit, puis dénonçaient tout ce qu'avait fait Lambert à la capitale, ce qui les poussait à la révolte pour le détrôner (Ludovic n'était pas encore là, j'étais à peu près à la fin de la 2e partie et que je bloquais sur la 3e). Cependant, quand Ludovic est arrivé, cela a été abandonné, surtout que ça ne tenait pas vraiment debout.
Lambert s'est également de plus en plus... antagonisté (?) au fur et à mesure de l'écriture. Normalement, les rôles dans le trio des fidèles à la couronne aurait dû être : Rufus = méchant très méchant et un c*nnard complet ; Lambert = idiot complet qui ne sait pas vraiment ce qui se passe, laisse couler, et fait ce qu'il ne faut surtout pas faire quand il agit ; Gustave = gentil toutou qui obéit fidèlement à la couronne et fera tout pour la couronne royale par loyauté aveugle. Lambert était toujours du mauvais côté de la barièrre et toujours aussi bête mais, il aurait été moins pro-actif et peut-être moins présent que Rufus qui était le principal responsable de tous les problèmes avec Cornélia / Périandre derrière qui jubile, et même s'il était tenu pour responsable de tout ce qui se passait, l'accent aurait sans doute été plus mis sur sa bêtise et son envie de bien faire que sur son incompétence, son obstination à avoir raison et son égoïsme.
Mais plus j'écrivais, plus c'était évident qu'il fallait qu'il soit tenu pour responsable de ses actes, que sa bonne volonté et son envie de bien faire n'excusait en rien les conséquences catastrophique de ses actes, il ne devait pas en être excusé par sa bêtise, et le fait que ce soit une personne extrêmement toxique qui brise tout ce qu'il touche et s'entoure de personnes toxiques, que ce soit Rufus, Isidore ou Patricia. De plus, étant donné que Ludovic avait débarqué, c'était l'occasion de le développer en miroir avec son père, étant donné que Lambert rate partout où son père est excellent, jusqu'à devenir un véritable antagoniste une fois le masque affable tombée quand il perd son grand frère et que Dimitri le rejette en comprenant quelle type de personne son père ait réellement, tout en développant une sorte de complexe vis à vis des jumeaux et même d'Héléna car, il sait dans le fond qu'il n'est pas à la hauteur comparé à eux mais, il refuse de l'admettre et préfère dire que c'est juste son père qui ne sait pas aimer et est trop froid qu'admettre qu'il a raison. C'est notamment pour ça qu'il est souvent décrit comme un vampire suçant jusqu'à la dernière goutte de force et de vie des personnes qui l'entourent, histoire de rappeler que c'est une mauvaises personnes.
Et dernier point qui est plus un regret d'avoir abandonné ce point dont je me suis souvenu en relisant de vieux textes / versions de mon histoire CF qui en garde des traces et dossier de recherche : à la base, Félix devait être un homme trans. Il devait être né fille sous le nom de Félicia Morgane Fraldarius (nom de sa mère + le nom d'une héroïne de roman qu'elle adorait que ses parents avaient choisi s'ils avaient une fille), puis faire son coming-out trans assez jeune qui se passait bien pour prendre le nom de Félix Hugo Fraldarius (pour garder la référence à sa mère + le nom que ses parents lui auraient donné s'il était né garçon) puis, même si ça se savait, ça ne devait presque plus avoir d'incidence sur l'histoire. ça devait être une caractéristique de Félix qu'on étudiait pas tant que ça. Juste mentionné parfois au passage pour le rappeler mais c'est tout. La transidentité est normale (autant dans notre monde [surtout que j'avais dû commencer à l'écrire à peu près à l'époque où la transphobie de JK R*wling était plus voyante que jamais] que dans celui de Fodlan quand on est pas en Adrestia ou avec l'Eglise Occidentale en position de force) alors, je ne voyais pas pourquoi il fallait le décortiquer (surtout qu'on a déjà Kyphon de mon côté pour avoir une situation où une personne trans est discriminée, autant par sa famille que par la société, dont la famille veut le forcer à être une femme qu'il n'est pas et a peur d'être découverte car si ça se sait, on lui arrachera sa fille et on le jettera sur le bûcher).
Cependant, en me replongeant un peu dans les parties de CF où cet élément disparait, je pense que j'avais eu peur de mal gérer son passage à l'adolescence avec son corps qui change et tout ce qui allait avec, ainsi que la dysphorie que ces changements pouvaient provoquer, le tout en se coupant de ceux qui l'avaient toujours soutenus quand il avait des problèmes étant donné qu'on est dans CF donc, il s'est coupé de Rodrigue et Alix, et Glenn est mort (le seul dont il acceptait à peu près l'aide étant Sylvain qui est à peine plus âgé que lui et donc, n'a pas la même expérience que sa famille). J'avais peur de mal gérer ça, de mal décrire les choses et de blesser une personne concernée, de le prendre trop à la légère, que son déclic quand il était petit soit maladroit (il devait juste dire à Rodrigue qu'il ne se sentait pas bien quand on parlait de lui comme une fille, qu'il était bien plus attiré par ce qu'on attribue aux garçons et qu'il se sentait mieux quand il se désignait lui-même comme un garçon, avec ses habits qui sont déjà très unisexe pour qu'il puisse bouger librement, avec Rodrigue qui comprenait et l'acceptait sans problème) surtout que même si j'avais lu pas mal d'article sur la question ou des histoires de coming-out écrite par des personnes trans, je ne connais personne qui est trans et à qui je pourrais demander si c'était maladroit ou pas (et me connaissant, j'aurais pas osé demander de peur de le ou la mettre mal à l'aise) alors, je l'ai passé sous silence et cette partie de son personnage a fini par disparaitre. Etant donné qu'à présent, j'ai plus d'expérience dans l'écriture, peut-être que cela reviendra à la réécriture et quand je raccorderait mon ancien pré-CF à cette version du post-Duscur, on verra bien, surtout que le passage à l'adolescence est passé sous silence et Félix est dans une situation plus calme et favorable pour que ça se passe bien.
Bon ! Ce fut un "peu" long mais, je crois qu'il y a toutes les scènes coupées de cette histoire ! Toute cellee dont je me souviens en tout cas... l'écriture de cette histoire a duré plus d'un an alors, il y a des chances pour que j'en ai oublié plus d'une surtout qu'à part pour mes recherches sur les sujets que je connais mal, je ne prend aucune note et ne fait pas de plan... les seuls traces que je pourrais avoir, c'est des dessins... d'ailleurs, c'est surement pour ça que mes idées fluctuent autant, y a rien qui est écrit et je garde tout en tête. ça peut rendre les histoires un peu chaotique vu que bon, j'ai oublié des points entre temps mais, c'est comme ça que ça vient ^^' En tout cas, j'espère que ça vous a plu de lire ses scènes coupées !
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lilias42 · 5 months
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Derniers dessins : que la chasse fantastique commence
Bon, quelques petits dessins des personnages comme ils apparaissent dans mon histoire de Chasse Fantastique. Rappel : c'est un univers où El gagne sur tous les plants mais, Sothis est tellement hors d'elle qu'elle provoque une chasse fantastique pour la punir pendant une nuit de cauchemar, elle comme tous ses alliés adrestiens et les traitres l'ayant aidé dans les autres pays.
Et bon, vous commencez à me connaitre, qui dit magie puissante dit le corps modifié dans mon univers alors, les personnages qui reviennent à la vie pour combattre El sont un peu... différents on va dire, autant physiquement que mentalement, notamment car leur corps rappelle leur mort. C'était en plus l'occasion de tester des trucs en dessin alors, autant y aller !
Je n'en dévoile pas trop non plus car, ce sera dans la petite histoire, afin de ne pas trop spoiler.
En tout cas, la chasse est ouverte !
Suite sous la coupe et attention à nouveau, éléments d'horreur corporelle (voir horreur corporelle tout court)
Ferdinand : un Soleil rayonnant même dans la pire des nuits
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Dimitri : les larmes de deuil et de lune du roi clairvoyant de la nuit
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(ça ne se voie pas beaucoup mais normalement, il a du bleu pale sous son oeil gauche comme pour le passage des larmes)
Marianne : l'étoile illuminant la nuit
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lilias42 · 11 months
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Acte 4 de "Tout ce que je veux, c'est te revoir..."
Bon... ça va devenir un running gag à force mais bon, cette histoire a grossi BEAUCOUP plus que je ne le pensais à la base ! Donc voilà le 4e acte de cette histoire de "Tout ce que je veux, c'est te revoir..." qui fait suite à ce billet-là et son reblog ! Et comme d'habitude, la suite de cette partie sera en reblog par manque de place.
Là, on reprend à Gautier avec la suite de l'affaire du vol d'Adrastée, la famine et les conséquences que cela dans le Nord mais aussi ailleurs dans le Royaume.
Comme toujours, fans de Lambert, Rufus et Gustave, passé votre chemin, cette histoire n'est pas faite pour vous, ni pour ceux qui voient le Royaume comme un seul bloc monolithique avec tout le monde derrière le roi sans réfléchir mais ça, je crois que vous commencer à le voir dans cette histoire.
Et comme toujours, coucou @ladyniniane
Sylvain faisait le tour des chemins de ronde de la forteresse, demandant si tout se passait bien, pendant que Starkr se dégourdissait les ailes. En plus, ça faisait souvent plaisir aux gardes transis de froid de recevoir un peu d’eau chaude à boire – même s’il n’avait plus ni thé ni tisane à mettre dedans depuis un moment – ou de tenir Foa. Cette renarde était la meilleure chaufferette de tout Gautier et adorait être au centre de l’attention alors, c’était gagnant-gagnant pour tout le monde. Elle riait sous les lourdes caresses d’un vieux soldat aux anges quand ils virent tous quelque chose commencer à briller au loin, petit et peu visible mais, impossible à manquer.
« Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Un feu de forêt ? Proposa quelqu’un.
– En plein hiver et avec une neige pareille ?
– Apportez une longue-vue ! Vite !
On passa à la capitaine le vieil instrument, puis elle le pointa dans la direction de la lumière.
– C’est un campement… importance moyenne… ils sont sur la colline d’en face, c’est pour ça qu’on les voie aussi bien… par contre, il va falloir attendre qu’ils se rapprochent pour savoir si c’est les conscrits qui ont enfin accepter de nous rejoindre ou si c’est les voleurs de Rufus… s’ils avancent normalement et que rien ne les ralentit, on pourra les voir demain soir…
– Ou alors… ils sont sur la colline en face, c’est ça ? Demanda Sylvain, qui appela en ayant le hochement de tête de la capitaine. Starkr ! Revient !
Le corbeau fondit vers lui pour se poser sur le poing que lui présentait son maitre. C’était un corbeau de chef, Fregn lui avait expliqué tout ce qu’il pouvait faire et que Starkr était particulièrement habile alors, ils allaient vérifier s’il était toujours aussi doué que quand il était jeune.
– Tu voies cette lumière Starkr ? Va s’y et ramène-nous un drapeau, un vêtement… tout ce que tu veux tant qu’il y a le symbole de la troupe. Ce sera le dessin qu’il y aura le plus là-bas. Je compte sur toi.
– Vous pensez qu’il sera capable de faire ça ? Lui demanda la capitaine, un peu sceptique. Je sais que ces corbeaux sont très intelligents mais quand même…
– On verra, ça ne coute rien d’essayer. Les corbeaux srengs sont dressés pour ramener ce genre d’informations, histoire d’être utilisable même sans sort d’espionnage peint sur eux. Même s’il rate, on saura surement demain ce qu’on doit préparer pour les recevoir…
Au bout de deux bonnes heures à attendre tout en surveillant les alentours, les soldats gelés virent enfin revenir le corbeau, les serres enroulés autour d’une grosse étoffe bleu roi. Même si le blason dessus était à moitié arraché, ils le reconnurent tous comme celui de Rufus : l’emblème de Blaiddyd barré.
– C’est très bien Starkr… le récompensa Sylvain avec un morceau de son propre diner, le corbeau dévorant le bout de viande sur son poing. Et on l’a notre réponse…
– Le retour des voleurs et des fossoyeurs… » dit un des hommes à sa place, le jeune homme pensant la même chose que lui.
Sylvain félicita encore le corbeau avec une caresse en plus d’une partie de son propre repas pour le récompenser, puis amena l’étoffe à ses parents. Il aurait préféré la montrer à sa mère en premier mais, son père était avec elle, les éclats de voix indiquant qu’ils se disputaient encore.
« …ne me défie pas Fregn… gronda Isidore d’un ton menaçant. Les braconniers font les meilleurs gardes-chasses.
– Encore une fois, ma spécialité n’était pas de voler, et ce n’est même pas les choses que nous visons en premier, c’est toujours les bleds, même si je sais aussi repérer mes semblables pour le contre-espionnage. Si nous vous surveillons beaucoup, nous nous surveillons aussi les uns les autres à Sreng. Je t’avais prévenu que Adrastée se comportait étrangement. C’était à toi de prendre en compte mes avertissements ou de les ignorer, et tu as fait ton choix.
– On sait tous les deux ce que tu es : une espionne et une assassine. Tu es une vipère entrainée à tuer et à semer la zizanie partout où tu passes pour détruire tes cibles. Évidemment que je n’allais pas te croire alors que tu détestes la famille royale quand tu me disais de telles choses. Qui aurait pu croire qu’une agente de confiance de la couronne serait aussi malhonnête ? Cela en va de l’honneur, la base de la confiance et du bon fonctionnement des relations entre le seigneur et son vassal. Je ne peux décemment pas porter de telles accusations sans preuve, encore moins parce que ma sauvage de femme la trouve suspecte.
– Bien que je n’ai pas essayé de le faire pendant tout notre mariage. Malheureusement pour nous, cela fait plus de vingt ans que nous devons nous supporter et ton fief est encore en entier. Tu es bien placé pour savoir que j’ai poussé une ville entière à se détruire elle-même en moins de temps que ça, surtout que ce ne serait pas mon coup d’essai dans la région. Votre roi a été bien plus efficace que moi pour le coup. J’opérerais encore, il serait mon meilleur allié. Aie le courage d’admettre que si tu es aussi contesté, c’est parce que tu t’écrases devant ce roi sans yeux, on avancera plus vite.
– Comme si un sreng pouvait seulement comprendre le concept même de fidélité. Nous, les fodlans, sommes autrement plus fidèle envers le roi qui assure notre protection ainsi que la justice en notre Royaume. Vous, vous égorgez vos propres rois dès que vous en avez l’occasion, et je sais très bien que tu essayes de contaminer Sylvain avec tes pensées de Sreng.
– Et à cause de cette loyauté aveugle, vous vous précipitez tous à votre mort. Qu’importe ce que tu peux en penser, votre roi sans yeux a perdu toute respectabilité, et nous le sentons tous, même toi. Et des fodlans… Gylfe Gautier lui-même est à présent parmi les berserkir d’Odin et combattra parmi eux pendant le Ragnarök…
Sentant que cela risquait de dégénérer en affrontement verbal plus fort, Sylvain toqua à la porte puis entra sans attendre de réponse.
– Pardon de vous dérangez mais, un campement s’est installé sur la colline au sud. Starkr a ramené ça de chez eux. On ne les voie qu’à la longue-vue, et il a mis en gros deux heures à faire l’aller-retour.
– S’il a mis autant de temps, c’est qu’ils doivent bien être à une dizaine de lieues, commenta Fregn alors qu’Isidore prenait le tissu dans ses mains.
Il le fixa avant de grommeler.
– Troupes du régent. Personne n’est encore arrivé et on a pas tout ce qu’il demande… hors de question de leur donner le vöruhus, ce serait signer la mort de Birka, il va falloir leur donner toute notre réserve loogienne.
– Mais on en a aussi besoin pour compléter le vöruhus, on a pas assez pour faire tout l’hiver avec. Et vu toutes les tempêtes qu’on a essuyé et la situation, ça m’étonnerait que beaucoup de villes répondent à l’appel, ce serait bien trop dangereux pour trop de monde d’envoyer les personnes valides et jeunes qui leur reste à Fhirdiad, surtout qu’on se rapproche de la belle saison.
– Je ne te demande pas ton avis Sylvain. Moi aussi, je n’aime pas saigner à blanc Gautier mais, nous avons des devoirs envers la famille royale que nous nous devons de remplir. Obéir aux ordres en fait partie. Tu es le futur margrave de Gautier, le gardien de la frontière du nord, pas un sreng qui va ouvrir la porte aux raids, ne l’oublie pas.
Sylvain se retient très fort de rétorquer que c’était difficile à accepter en ce moment. Son père leur ordonna de partir à tous les deux, allant mettre tout en ordre pour accueillir la garnison.
En sortant de la pièce, Sylvain et Fregn ne dirent rien, avançant sans un mot. Ils saluèrent juste les personnes qu’ils croisèrent. Ils étaient tous maigre, les joues creuses et le regard éteint, tiraillés par la faim et la fatigue. Même eux ne se portaient pas mieux, n’ayant plus que leurs muscles sous leur peau pour leur tenir chaud… si leur corps ne commençait pas à les manger pour ne pas mourir de faim…
En sortant, Sylvain regarda la cour, voyant tout le monde finir de travailler comme ils pouvaient, l’humeur noire. La rumeur de l’arrivée des voleurs de Rufus avait dû se propager dans la forteresse… demain, toute la ville sera au courant et de toute façon, leur camp sera visible depuis les portes… puis il faudra leur donner leurs réserves… voir leur remplir l’estomac à eux le temps que les hommes et les vivres des autres villes arrivent… dire qu’ils n’avaient même pas de quoi manger eux-mêmes… alors que les cadavres s’accumulaient sur les toits… seuls les corbeaux s’engraissaient ici… et ils devraient… après que tout le monde soit mort pour ce voyage à la…
Il serra le poing et demanda en sreng à sa mère, cette langue lui venant toute seule sur le bout de la langue.
« Qu’est-ce que tu en penses ?
– Rien de bon. La nourriture, cela se protège avec autant de force que ses propres enfants sinon, tes enfants meurent les uns après les autres, répondit-elle d’un ton neutre.
– Non plus… et il va falloir qu’on leur donne à ses putains de voleurs… tout ça parce qu’un roi sans yeux a…
Il sentit la main de Fregn se poser sur son épaule. Il la regarda dans les yeux, sa mère déclarant simplement.
– Fait ce qui te semble juste. Pas ce que des promesses brisées t’obligent à faire.
– Des promesses brisées hein… il passa sa main sur les plumes de Starkr, toujours en équilibre sur son épaule, alors que Foa et Mordant l’approchaient aussi, en récoltant quelques-unes à leur tour, s’encrant dans leur chaleur et celle de sa mère. Si Gylfe voyait ça…
– Il avait un vrai roi élu en face de lui, qui n’a jamais fermé les yeux, il n’avait pas de raison de lui désobéir. Ses enfants aussi ont eu une grande reine puis de bons souverains au fil du temps. C’est plutôt quand certains ont commencé à être indigne de respect que s’il aurait été encore là, les rois sans yeux auraient eu à affronter un guerrier d’Odin.
Sylvain hocha la tête, regardant encore une fois les habitants de Gautier finir de ranger, la plupart en noir de deuil… les portes de la réserve loogienne verrouillées et la faim les suivant à la trace…
– Je ne mange pas à la maison ce soir, se décida-t-il en commençant à partir vers la porte.
– Pas de problème Sylvain, fait ce que tu as à faire.
Le jeune homme s’arrêta juste pour faire une bise à sa mère, puis partit rejoindre Matti et les autres, discutant tout de suite des dernières nouvelles.
Fregn ne put s’empêcher de sourire en le voyant prendre les choses en main ainsi, même si elle le camoufla vite pour ne pas se faire repérer. Une bonne épouse fodlan selon Isidore ne devait pas être joyeuse dans une situation pareille. Son mari était trop occupé pour s’intéresser à où leur fils cadet était passé, et une fois qu’elle eut remis Miklan à sa place pour l’empêcher d’aller poignarder son frère en ville, la sreng alla se poster dans sa chambre, au nord. Personne n’avait jamais compris pourquoi elle avait insisté pour avoir celle-là à part Isidore. Malgré toute la haine entre eux, son mari l’avait vite cerné. Une chambre plein nord, vers Sreng, un peu isolé, où il faisait froid et où donc personne ne tardait trop à part les gardes forcés de la surveiller. Enfin bon, ce n’étaient pas eux qui allaient faire quoi que ce soit.
Fregn se mit à la fenêtre, regarda au loin quelques secondes, même si elle dut vite arrêté à cause de la brûlure de l’énergie, comme hier. Ils étaient toujours là, mouillant dans la ville au bord de l’embouchure du fleuve au bord de la mer, quatre royaumes différents, et que des bons rois avec cela. Évidemment, personne n’avait pu leur résister, encore moins à quatre des plus grands Royaumes de tout Sreng, et mêmes les habitants de la ville avaient dû vite se rendre ou les rejoindre vu qu’ils n’avaient toujours rien envoyé à Birka. À une quinzaine de lieues mais, ils devraient arriver demain dans la matinée.
La sreng envoya un messager pour leur donner le départ, puis retourna à ses propres tâches.
Plus que quelques préparatifs, et tout serait prêt.
*
Au petit matin, toute la ville était au courant de l’arrivée des troupes de Rufus pratiquement aux portes, la colère grondant en les voyant avancer vers eux. Les bourgeois sortirent tout ce qu’ils avaient chez eux qui pouvaient servir à se défendre, du couteau de cuisine attaché à un long bâton au fl��au en passant par les marteaux de travail ou les frondes de la chasse, avant de mettre tout et n’importe quoi dehors pour boucher les rues en cas de passage en force des forces royales. Même les monts de piété ouvrirent leurs portes pour faire passer les armes et les armures mise en gage chez eux.
« La garnison de la ville a ouvert son stock d’armes ! S’écria Matti en revenant de chez ses camarades. Allez-vous servir là-bas pour ceux qui ont bricolé leurs armes ! Et allez récupérer de quoi vous protéger !
– Je me charge de faire passer le message ! Répondit une femme.
Sylvain la regarda fendre la foule sans souci, allant crier les nouvelles à toute la ville. Il se frotta les yeux, fatigué mais lucide. Il avait passé sa soirée avec les habitants de Birka, tout aussi remonté qu’eux à l’idée de juste voir les agents de la Couronne, presque peu importe ce qu’ils voulaient. Ils venaient leur demander de s’ouvrir les veines pour réparer les dégâts du roi sans yeux, pas question de leur donner quoi que ce soit alors que tout le monde mourrait déjà de faim !
– En plus, Dimitri n’est même plus à la capitale, cela ne l’affectera pas directement… songea-t-il avant de proposer. On devrait renforcer les portes de la ville et faire tomber la herse. Ils n’ont surement pas de bélier et même s’ils peuvent s’en bricoler un avec les arbres alentours, cela leur prendra du temps. On sait ce qu’on fait ses gardes ?
– Aussi remonté que tout le monde, ils sont de notre côté, l’informa Matti. Ils doivent être inspecté dès que les voleurs arrivent à portée de vue normalement, leur capitaine ne va pas comprendre quand ils vont l’accueillir aussi avec des lances pointées en avant.
– Ça m’étonne même qu’il ne se soit pas encore montré à la tête du régiment du fort pour mater la révolte, rétorqua Sylvain. Il faut être extrêmement prudent… on sait ce qui se passe du côté de mon père ?
– Non, aucune nouvelle mais, Orégane est partie travailler ce matin, elle a dit qu’elle reviendrait dès qu’elle avait des informations.
– D’accord, elle ne devrait pas avoir trop de problème alors…
– Eh ! Vous ne devinerez jamais ! La générale Uggla et le capitaine Brahe sont morts !
– Quoi ?!
Sylvain et Matti se tournèrent vers une palefrenière qui arrivait en courant vers eux, agitant un bras pour ce faire voir. Ils la calmèrent un peu avant qu’elle ne continue, clairement choqué.
– Ils… ils sont morts tous les deux ! Une conseillère du margrave aussi est mort ! Mais y a pas qu’eux ! Plusieurs soldats de la garde rapprochée d’Isidore restés au fort hier sont malades ! Certains sont même morts ! Sur toute la troupe, au moins un tiers est malades ! Y en a au moins dix qui sont morts !
– Une telle hécatombe en une seule nuit ?! Hoqueta Matti.
– Tu sais comment ils sont morts ? La questionna Sylvain en essayant de garder son calme. Ça ne peut pas être un hasard s’ils sont tous morts ou tombés malades la même nuit !
– P… pour les soldats, ils ont tous très mal au ventre comme s’ils avaient tous trop bu un mauvais alcool… pour la générale Uggla, elle a été poignardée dans le ventre puis en plein cœur, et pour le capitaine Brahe, on lui a tranché la gorge… et pour la conseillère Kiöping, il avait des traces autour d’ongles et de cordes du cou… et on a retrouvé plusieurs capes abandonnées dans l’étang du palais… au Déesse… quelles morts horribles !
– La vache… en plus, pour tuer autant de gens en une seule nuit, fallait qu’ils soient plusieurs… surtout qu’aucun n’a été tué de la même manière… si c’est un seul gars, ça doit être le tueur le plus inventif du monde ! Les assassins se sont donné le mot ou quoi ? Enfin, c’est peut-être des nôtres, ça nous arrange si tout ce monde est soit mort, soit pas capable de combattre, c’est quand même des proches d’Isidore qui ne nous aurait jamais rejoint.
– Plusieurs meurtres très différents la même nuit hein… marmonna Sylvain, pensif et de plus en plus inquiet. Tu sais où est ma mère ?
– Le margrave a posé la même question dès qu’il a su que quelqu’un était mort mais, elle est introuvable depuis cette nuit…
« Il y a différentes manières de manier le couteau, lui avait déjà expliqué plusieurs fois Fregn lors des entrainements, notamment avant le thing afin de pallier toutes les situations. Cependant, c’est une arme avec une portée très courte, elle ne fait pas le poids face à des armes plus longues et n’est pas capable de traverser les armures alors, la manière dont on l’emploi dépend beaucoup de la situation et de la cible. Si la personne se méfie de toi, elle ne va pas te perdre de vue des yeux alors, le mieux est de frapper dans le ventre ou le dos de bas en haut. Avec cette technique, tu peux passer sous les côtes et déchirer plusieurs organes internes. N’essaye pas de taper dans la poitrine directement, tu risques de taper un os et d’abimer ta lame. Attend que ton ennemi soit à terre pour l’achever. Là, tu peux taper au cœur mais, tu risques encore de toucher le sternum ou une côte, mieux vaut frapper à la gorge. C’est également une très bonne cible pour une attaque surprise ou si tu frappes par derrière. »
– … d’accord… la connaissant, elle doit faire ce qui est nécessaire alors… marmonna-t-il avant de songer. Fait attention à toi maman… »
Ils étaient en train d’aider à monter des barricades dans la rue principales, quand il entendit hurler en ville, la panique se répandant comme une trainée de poudre en ville.
« Les srengs ! Les srengs sont là ! Ils sont aux portes ! »
« Quoi ?! Mais qu’est-ce qu’ils font là ? S’étonna Matti. Ils ne manquaient plus qu’eux !
– Attend, peut-être que ce n’est pas forcément comme d’habitude… le retient Sylvain.
– Et comment tu pourrais le savoir ?
– J’en sais rien, faudrait aller leur demander mais, entre les meurtres des généraux, et leur arrivée à point nommée quand les voleurs de Rufus débarquent au même moment, ça ne peut pas être un hasard. Ma main au feu, ma mère a perdu patience.
– Qu’est-ce que tu… attend ? Quoi ?! Tu crois que c’est elle toute seule qui les as tous tués et appeler les srengs ?! Une femme seule ?
– Pas une femme seule Matti, c’est Fregn l’Ombre, elle en est parfaitement capable la connaissant, et c’est même étonnant qu’elle ne l’ait pas fait avant vu le comportement de Lambert. En plus, pendant le thing, une clause d’assistance à Gautier en cas de danger avait été voté alors, c’est possible qu’ils jouent soit sur ça pour venir, soit sur la coutume de saluer des semblables quand ils passent dans le coin. Ça se fait beaucoup quand un royaume part en expédition, ils saluent tous les autres qu’ils croisent. C’est la politesse, tu salues les semblables pour dire que tu ne viens pas les piller eux et pour assurer les bonnes relations. Je vais voir, on sera fixé une fois qu’on leur aura parler. Ils sont au nord ? Et vous savez quels reines et rois sont présents ? Demanda-t-il en attrapant quelqu’un qui criait à l’arrivée des srengs.
– Euh… quatre aux voiles ! Une voile verte avec deux corbeaux…
– D’accord, ça c’est ma tante Thorgill le Kaenn, le vert des sapins avec les corbeaux d’Odin dessus. Évidemment, elle est là…
– Une autre est rouge avec un vieil homme borgne dessus.
– C’est Odin non ? Demanda Matti.
– Oui et ça, c’est Ohthere la Kraka, la Corneille, indiqua-t-il encore, se souvenant de lui, c’était son voisin pendant le thing, ils s’installaient exprès près des rois sans yeux pour mieux entendre ce qu’ils disaient et pouvoir se servir d’eux.
– Un avec le marteau de Thor sur une voile blanche.
– Kria la Fougueuse ? J’y aurais pas penser mais bon, elle doit avoir vu son intérêt ici.
– Et des voiles bleus avec une femme avec un grand collier dessiner dessus.
– Alors, c’est Solveig la Hundur, la Chienne…
– C’est un nom de reine chez les srengs ça ? S’étonna le crieur, il ne devait pas parler sreng.
– C’est pas dans le sens « sale chienne », ce serait plutôt « rakki » que « hundur » qui veut dire « clébard » mais, ce sens-là, ça n’existe pas dans la langue sreng. C’est pour évoquer la fidélité à son Royaume et le fait qu’elle a du flair pour trouver les bonnes occasions pour son peuple. C’est la successeuse d’Otkatla la Modérée, elle est très habile. Que du beau monde… »
Sylvain essaya de ramener le calme dans la ville sur le chemin vers les murailles de la ville, donnant vers le fleuve. Quand il fut aux créneaux, le jeune homme comprit mieux pourquoi tout le monde paniquait, en plus de voir les srengs aussi près de chez eux même s’ils étaient habitués à les voir débarquer… même si à la réflexion, ils n’avaient pas emmené toutes leur flotte, il y avait au moins une douzaine de navires sur le fleuve, dont quatre avaient accrochés leur figure de proue en forme de dragon, afin de marquer sur lesquels étaient les souverains de chaque royaume. Ajouter à ça que c’était les quatre plus gros ou puissants reines et roi de Sreng qui étaient au bas de leurs murailles, il y avait de quoi avoir peur.
Essayant de garder autant de calme et de contenance qu’il pouvait, le jeune homme repéra le navire de sa tante où étaient rassemblées les quatre souverains, en habits de voyage simples, même si plusieurs broches permettaient d’indiquer leur rang en plus de leur couronne simple. Il leva alors le bras en les regardant, s’écriant de toutes ses forces afin de se faire entendre.
« Salutation souverains de Sreng ! Thorgil de Kaenn ! Ohthere la Corneille ! Kria la Fougueuse ! Et Solveig la Chienne !
– Salutation à toi Sylvain le Renard ! Le salua Thorgil en s’approchant, toujours aussi nonchalante, la rendant encore plus impressionnante malgré son apparence sympathie. Nous étions en route pour Fhirdiad et il aurait été malpoli de notre part de ne pas venir saluer nos frères de Gautier !
– Nous arrivons sans prévenir mais, nous ne voulions pas que vous croyiez au début d’un raid en voyant plusieurs corbeaux volés au-dessus de vos murailles ! Poursuivit Solveig, calme et mesurée.
– Et nous vous remercions de votre visite, lui assura-t-il. Je ne peux que remercier le connaisseurs des courants et des vents d’avoir conduit votre navire jusqu’ici sans tempête.
– Nous de même ! Répondit Ohthere. En signe d’amitié après le thing et le serment d’assistance envers Gautier, nous sommes venus vous saluer, et boire un verre d’hydromel avec le fleuve afin que le connaisseur des vents et des courants nous épaule pendant le voyage !
Sylvain dût réfléchir à toute vitesse à la situation. Les voilà coincés de nouveau. Il pourrait leur dire la vérité et en vertu du serment d’aide du thing, les rois srengs allaient surement les aider à repousser les voleurs. C’était dans leurs intérêts de leur sauver la mise, Gautier leur en serait redevable et les mettrait en porte à faux avec Fhirdiad s’ils acceptaient l’intervention des srengs dans les ordres du régent… ce serait une trahison flagrante… mais l’autre option était de ne pas leur dire que c’était la révolte dans les murs de Birka, les recevoir sur le pont du Kaenn plutôt que dans la ville, ce qui risquait de les vexer. Après les avoir vu en œuvre, le jeune homme savait qu’ils devineraient les tensions internes. Enfer ! Il leur suffirait de lâcher leurs corbeaux pour voir les barricades et l’agitation ! Et cela pourrait aussi affaiblir d’autant plus leur position vis-à-vis des décisions du thing et de tous les royaumes srengs !
Dans le fond, Sylvain savait quel choix il préférait… celui qui était le meilleur pour eux tous selon lui… non, il ne pouvait pas prendre une décision pareille seul… est-ce qu’on le suivrait ? Est-ce que…
Il sentit une main se poser sur son épaule, vit Matti, plusieurs représentants des corporations de la ville, mais aussi quelques bourgeois et un conseiller de son père en la personne de Vigile, sérieux, son épée sur le côté avec son bouclier et sa côte de maille. Il crut un instant qu’il était là pour le ramener auprès d’Isidore, ou lui envoyer ses ordres en pleine révolte mais, l’homme lui dit en sreng.
« Le Renard, fais ce que tu as à faire pour Gautier. Nous te suivrons plutôt que le margrave sans yeux. Tu m’as prouvé ta valeur au thing devant le Bavard, puis devant le reste de la ville avec la voleuse Adrastée. Fais ce qu’il faut Sylvain le Renard.
– Fait ce qu’il faut Sylvain, ajouta Matti. Mieux vaut des gens qui volent pour nourrir leurs gosses, plutôt que des gens qui volent pour s’engraisser. »
Le jeune homme hocha la tête, puis se tourna à nouveau vers les srengs en déclarant.
– Ce serait un honneur de vous ouvrir la porte mais, je dois être honnête avec vous sur le fait que nous sommes pour le moment dans l’impossibilité de le faire. Des voleurs de nos rois sans yeux sont à peine à quelques heures de marches de nos murs. Le margrave a donné son accord pour leur donner tout ce qu’ils réclament mais, nous autres habitants de Birka refusons d’être volé au profit de personnes qui s’engraissent ! Nous avons décidé de faire montre de notre désapprobation à la manière des navigateurs de Midgard ! Nous devons donc régler ces deux problèmes avant de vous accueillir !
– Des voleurs dis-tu ? Alors, par les canons du Grand Thing, il est de notre devoir de venir en aide à nos frères de Gautier ! Vous êtes déjà occupé à régler vos désaccords internes, et le code de l’honneur des vrais guerriers srengs ordonne de ne jamais attaquer pendant ces périodes ! À se battre sans réel défi, on triomphe sans gloire ! Ce n’est pas un combat équitable ! Moi, Kria la Fougueuse, suis prête à vous apporter mon soutien avec mes hommes, mes navires et mes armes afin de chasser les irrespectables de la maison de ceux qui m’ont prouvé leur respectabilité !
– Moi de même. Ce roi sans yeux ne fait qu’affamer son propre peuple, il relève donc de la décence humaine la plus basique de l’empêcher de tuer encore plus des vôtres en vous volant davantage de nourriture ! Moi, Ohthere la Kraka, suis également prêt à vous venir en aide !
– De même pour mes troupes et moi, Solveig la Hundur ! Il n’y a pas de pire déshonneur que de frapper des gens à terre mais, pire encore est le crime de ne pas venir en aide à la personne acculée ! Par Tyr et Odin, il est de notre devoir de chasser ces malfrats de rois sans yeux s’ils refusent d’écouter les bons conseils du Bavard !
– Nous sommes donc tous d’accord entre nous ! Conclut Thorgil le Kaenn. Occupez-vous de votre propre chef sans yeux, nous nous chargeons de ces voleurs selon les canons du Grand Thing ! Quand nous reviendrons, nous trinquerons tous ensemble à notre victoire !
– D’accord ! Au nom du peuple de Birka et de Gautier, je vous remercie et suis reconnaissant de votre aide et soutien ! Que Thor soit à nos côtés !
Chacun se sépara, Sylvain voyant les habitants de Birka au pied des murailles, la plupart armés avec des outils de travail ou de vrais lances, haches et épées de la garde. Il crut un instant qu’ils allaient le lyncher pour avoir traité ainsi avec leurs ennemis jurés depuis pratiquement quatre cents ans mais, personne ne lui jeta la première pierre. Tous les regards se tournèrent vers la forteresse margravine, la colère montant de plus en plus.
« Les rois sans yeux nous ont tellement volés qu’ils ont rappelé à tout le monde qu’à l’origine, nous sommes des srengs, et que les srengs défendent avec autant de force leur nourriture que leurs propres enfants car ils savent que sans nourriture, ils meurent tous autant qu’ils sont au premier hiver… bel exploit, même Clovis n’était pas arrivé à le faire aussi vite… »
Sylvain demanda à Vigile des informations sur ce qui se passait dans la forteresse alors qu’ils avançaient tous ensemble vers elle.
Utilisant de grandes planches de bois comme mantelets de fortune pour se protéger des flèches et des jets de pierre, les émeutiers arrivèrent à forcer la porte en la défonçant à coup de hache et de marteau, à défaut d’avoir un bélier. Donnant ses ordres, Sylvain répartit les différents groupes pour prendre possession des lieux le plus rapidement possible en évitant un maximum de mort.
« Avancez avec toujours un bouclier ou une planche devant vous ! Pour ceux qui prennent les escaliers, que le premier soit quelqu’un de résistant avec une grosse planche ou une plaque de métal très épaisse devant lui ! Ils sont faits pour que ceux qui montent face de bonnes cibles ! Mon père doit être près du donjon ! Soyez prudent ! »
Sylvain avala sa bile, angoissé malgré la fureur de la bataille. Connaissant Isidore, il allait venir les affronter avec la Lance de la Destruction et n’hésiterait pas à les embrocher avec… enfin, il devait se reprendre, ce n’était pas le moment de flancher !
Les défenseurs lâchèrent les chiens de guerre du château mais, dès qu’ils virent Sylvain, ils se mirent en cercle autour de lui, Mordant le premier, avant de se retourner contre le palais quand il leur demanda. Eux aussi en avaient assez d’Isidore et de la manière dont il les traitait visiblement.
Alors qu’ils essayaient de se frayer un chemin dans un des couloirs, le jeune homme vit une chevelure aussi rousse que la sienne disparaitre dans les couloirs, abandonnant son poste et ses hommes. Il devina tout de suite qui était le fuyard…
« Miklan ! Il tente de s’enfuir ! »
Cependant, avant qu’il n’ait pu trop s’éloigner, son frère ainé se mit à hurler, après que Mordant se soit frayé un chemin entre les jambes et les boucliers adversaires, tout comme Starkr qui survola toutes les têtes de la mêlée pour fondre là où Miklan avait disparu.
Après avoir repoussé les défenseurs, le jeune homme trouva son frère au bas des escaliers où il était « tombé » des dizaines de fois, coincé par Mordant et Foa qui grondaient tous les deux, Starkr claquant du bec. Il ne semblait ne s’être rien cassé dans sa chute mais, les bêtes avaient su mordre là où il n’y avait pas d’armure et le maitriser.
Miklan jeta un regard, furieux, lui promettant l’enfer mais, cette fois, Sylvain n’eut même pas peur. Cette fois, c’était son frère qui était coincé au bas de l’escalier, et lui en haut, armé de sa lance…
« Où est Isidore ? Demanda-t-il en gardant son calme. Et où est Fregn ?
– Va te faire foutre le traitre ! Et cette connasse de sreng est allé pourrir en enfer !
Foa le punit pour son ton en le mordant à nouveau, mais Sylvain la rappela vers lui.
– Ne fait pas comme lui, même si c’est une ordure. Ligotez-le, il pourra toujours servir, » ordonna-t-il finalement à deux autres émeutiers pendant qu’il reprenait son chemin.
*
« Margrave ! Un autre soldat de la garde rapprochée est mort !
– Les émeutiers ont barricadés la plupart des rues ! La plupart des gardes urbains ont fait défection de leur côté !
– Des navires srengs se sont également approchés de la ville, se sont arrêtés puis l’ont dépassée ! Ils foncent vers les troupes du régent !
– Apparemment, le seigneur Sylvain leur aurait parlé mais, il est passé du côté des émeutiers avec ce traitre de Vigile.
Isidore gronda, serrant les dents, sa lance dans la main. Donc, entre les agents royaux et la révolte contre les prélèvements pour Fhirdiad, non seulement son propre héritier avait trahi la Couronne pour rejoindre les rebelles mais en plus, il semblait très bien s’entendre avec leurs ennemis de toujours, vu qu’ils étaient allés attaquer les troupes du régent plutôt que Birka… non pas qu’il ignorait le penchant dangereux de son héritier du côté du peuple de sa mère mais, il ne l’imaginait pas à ce point… il avait même contaminé Vigile… enfin, le margrave connaissait la responsable de tout ça.
– Faites portée les malades en lieu sûr et où ils ne nous gêneront pas si les émeutiers attaquent la forteresse. Préparez-vous aussi à vous défendre avec des armes de fer contre eux. Aucune pitié n’est autorisée contre ces traitres à la couronne. Toute fraternisation avec l’ennemi sera sévèrement punie, que ce soit avec les srengs ou avec les émeutiers.
– Et pour le seigneur Sylvain ? Demanda une de ses générales.
– Il a choisi le camp de la trahison et des srengs, il devra en payer les conséquences comme les autres, répliqua-t-il d’un ton froid, ignorant le sourire satisfait de Miklan qui attrapait une hache pour combattre à ses côtés, serrant la main sur la hampe de sa lance. Où est Fregn ?
– Toujours introuvable margrave, marmonna une de ses aides.
– On ne l’appelait pas l’Ombre pour rien… elle s’est évaporée d’un coup sans que personne ne le remarque…
– Mais êtes-vous sûr que c’est elle qui a manigancé tout ceci ? Demanda son plus jeune conseiller. Les meurtres et l’empoisonnement de cette nuit semblent être fait par plusieurs personnes. Une personne seule…
– C’est que vous ignorez tous des capacités de Fregn. Cette femme est la personne la plus dangereuse de tout Sreng et Fodlan réunis. Ma main au feu que le roi Ludovic et ma mère ne me l’ont fait épouser que pour avoir un élément imprévisible dans les pattes de Sa Majesté Lambert, aucun des deux n’avaient la moindre confiance en lui. Il n’y a qu’elle pour provoquer autant de morts en une nuit sans se faire prendre. Non, il faut la retrouver au plus vite, et cela pourra toujours faire une monnaie d’échange ou un otage contre Sylvain. Il ne fera rien si elle est en danger, il a le cœur trop tendre pour mettre en péril sa chère mère, gronda-t-il. Retrouvez-la au plus vite.
– Bien margrave !
– Sylvain est un raté jusqu’au bout, fit observer Miklan mais, Isidore ne l’écouta pas.
Isidore songea à son héritier… malgré ses efforts pour l’endurcir et les « entrainements particuliers » que lui faisaient subir Miklan, il avait toujours été gentil, trop doux pour un Gautier. Il était les gardiens du Nord, les descendants du Protecteur Sauvage, le Brave Gautier qui déchiquetait ses adversaires avec ces crocs pour protéger son peuple et commandait les bêtes.
Lui, il était tout le contraire : un enfant tout rond dès la sortie du ventre, avec un sourire trop vif et une indiscipline déplorable. Fregn n’avait guère perdu de temps, elle avait corrompu son héritier à la première occasion, et l’envoyer chez les Fraldarius n’avait rien arrangé.
Pour sa formation intellectuelle, cela avait fait des merveilles mais, cela n’avait fait que l’adoucir encore et encore jusqu’à le rendre aussi tendre que les jumeaux. Il savait à quel point Rodrigue pouvait être froid et terrifiant quand il protégeait quelque chose mais, sa mollesse et sa trop grande indulgence dans l’éducation de ses fils étaient notoires. Résultat, même si Glenn était le meilleur chevalier de sa génération et de loin avec Cassandra Charon, il avait hérité du caractère dissident de son grand-père, et Félix, n’en parlons même pas ! Un emblème majeur, certes, mais gaspillé par sa trop grande douceur et son côté farouche. Il était comme de l’eau : d’un côté, elle était insaisissable mais de l’autre, elle s’enfuyait à la moindre occasion… alors avec Sylvain qui avait des problèmes de tempérament à la base, cela n’avait fait qu’encourager ses pires travers et empirer sa gentillesse excessive et sa trop grande ouverture envers les srengs. Cela ne lui aurait pas été aussi bénéfique sur un plan martial et intellectuel pour son héritier, et politique pour Isidore qui faisait plaisir aux très puissants ducs à peu de frais, il aurait arrêté de l’envoyer là-bas à la morte saison à la première occasion… Fregn devait être ravie de la situation.
« Fregn… maudit soit-elle… »
Il se reprit en main, sachant que sa femme ne paniquait surement pas. Elle ne prendrait pas non plus confiance et resterait sur ses gardes à tout moment. Autant il la méprisait de toute son âme, autant il savait qu’il signait son arrêt de mort s’il la sous-estimait. Le margrave commettait la moindre erreur, et Fregn le tuerait avant les émeutiers. Il refusait de lui faire ce plaisir.
Enfin, il avait son idée pour la faire sortir de sa cachette. Elle avait beau être une espionne et une assassine endurcie, Isidore était le mieux placé pour connaitre son point faible.
– Si Sylvain n’est plus qu’un traitre, et bien soit. La Lance de la Destruction décidera de son sort.
Ses fidèles le dévisagèrent, incrédules et choqués, mais ils savaient que rien ne pouvait le faire changer d’avis. Miklan sourit de la même manière que lui en grinçant.
– C’est tout ce qu’il mérite pour trahir Gautier et Faerghus.
Sans un mot, Isidore partit chercher sa Relique, enchainée dans la grande salle seigneuriale, demandant à être seul. Il avait lancé son appât, restait à savoir si Fregn allait foncer dessus la bouche grande ouverte, même s’il ne se faisait guère d’illusion, elle avait surement anticipé le coup. Enfin, tout ce qu’il voulait, c’était se retrouver seul avec elle en face à face avant que Sylvain ou ses sœurs n’arrivent. Au corps à corps, il était sûr d’avoir l’avantage avec sa Relique face à son couteau mais, quand il s’agissait de son fils, Fregn pouvait prendre plus de risque alors, quand Sylvain risquait de voir son destin lacéré par les crocs de la Lance de la Destruction, elle allait forcément agir. Elle restait une sreng croyant au destin et terrifié par les Reliques, ainsi qu’une mère adorant trop son fils, même elle tomberait dans le piège.
En entrant dans la grande salle, le margrave ne put que voir sa Relique s’agiter sur sa hampe, semblant vouloir s’échapper de ses chaines pour foncer dans la bataille. C’était assez rare de sa part pour être souligné, elle qui d’habitude semblait plutôt répugner à l’idée d’aller au combat quand c’était lui qui la maniait. Pour sa mère, elle était plutôt calme et obéissante mais, avec lui, la Lance de la Destruction ressemblait à une bête sauvage et indomptable, il fallait être ferme et sans pitié avec ses caprices. Sourd à ses protestations, Isidore la prit dans ses mains, se mettant en position de combat en la serrant entre ses doigts.
En réponse, la Relique les lui mordit durement mais, il était habitué à ce stade. La plupart des plaies sur ses mains venaient de morsures infligées par la Lance de la Destruction elle-même mais, elle menait un combat qu’elle avait perdu d’avance. Froid comme l’hiver et dur comme le roc. Isidore avait toujours tout mené en suivant ces deux principes : armée, fief, guerre, famille… et tout lui avait toujours obéit ainsi alors, cela continuerait ainsi. La Lance de la Destruction était simplement une bête plus teigneuse et dangereuse que les autres mais, il finissait toujours par lui rompre le cou et la faire obéir.
Il sentit une minuscule présence dans son dos.
Isidore se retourna immédiatement et projeta le fer d’os de la Lance de la Destruction, forçant le soldat à reculer. Même sous le casque et le gros col d’hiver, il pourrait la reconnaitre entre mille.
« Tu es toujours aussi discrète. Hélas pour toi, même si tu sais cacher ta présence, tu es obligée de fixer ta cible avant d’attaquer. Je dois admettre que sans ça, je ne t’aurais pas senti arrivé mais, c’est toujours trop faible, comme tous les gens de ton espèce. Tu es devenue prévisible Fregn.
L’espionne répondit en baissant son écharpe, menaçante.
– On sait tous les deux que c’est un piège grossier mais, jamais je ne te laisserais faire le moindre mal à Sylvain, même si c’est plus risqué pour moi. De toute façon, on n’en est plus là.
– C’est bien pour ça que tu es prévisible à présent. Avant sa naissance, tu n’aurais pas mordu volontairement à l’hameçon, alors que tu sais que tu es désavantagé. Depuis qu’il est né et a grandi pour te ressembler, tu t’es attendrie avec lui. Enfin, j’imagine que tu as pu fermer la porte alors, on ne sera pas dérangé.
– Si aimer son enfant est une preuve de faiblesse, j’assume être faible avec fierté. C’est mon fils et je le protégerais avec autant de force que Frigg protège Baldr contre la mort et Loki, envers et contre le destin. Autant de toi que de Miklan, vous qui ne lui avez fait que du mal, répliqua-t-elle avec froideur, cherchant une ouverture dans la défense d’Isidore. Je ferais en sorte que cela cesse.
– J’imagine que c’est toi la responsable de la série de meurtre de cette nuit, ainsi que l’arrivée des srengs à nos portes en même temps que les émissaires du régent, gronda-t-il en ignorant les morsures de la Lance de la Destruction sur ses mains et même ses bras. Reste tranquille et obéit.
– Effectivement, même si tu étais le seul à trouver ça évident.
– Tu es une spécialiste du maniement du poignard, tes coups sont toujours d’une précision chirurgicale. Tu arrives à toucher le cœur sans toucher aux os, même dans le feu de l’instant, peu en sont capable et tu as brouillé les pistes avec l’étranglement, même si tu utilises rarement cette manière de tuer. Trois meurtres en une nuit, cela semble possible pour une professionnelle comme toi étant donné que ta surveillance était plus lâche que d’habitude à cause des émeutes. C’est également une habitude des srengs d’empoisonner les gardes des villes avant un raid, même si vous utilisez une toxine moins violente d’ordinaire.
– Je voie que tu as bonne mémoire malgré tout… et je devais faire en sorte que ces soldats ne se relèvent plus, même après que tu sois renverser. Ce sont tes plus grands fidèles, ils auraient pu être tenté de te remettre sur la chaire du margrave après le changement, ce qui est évidemment hors de question, et il fallait maximiser les chances que l’émeute réussisse. Huld arrive à rendre l’huile de hakarl bien plus toxique en la concentrant, même dilué dans l’eau, et son effet est encore plus dévastateur en l’associant à de l’alcool. Mélangé à un peu de brennivin, c’est indétectable au gout, surtout vu la qualité de l’eau qu’on boit tous en ce moment, expliqua-t-elle froidement, son accent revenant sur sa langue. Pour ce point, je remercierais presque tes rois sans yeux, ils m’ont facilité la tâche. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’eau empoisonnée qu’ils ont bue ne les tue.
Avec un grognement de rage, Isidore s’élança, visant la cuisse de Fregn. Il devait juste la rendre inapte au combat et suffisamment la blesser pour inquiéter mais, ce ne serait pas une bonne chose si elle mourait maintenant. Elle avait plus de valeur en tant qu’otage. La Lance de la Destruction gémit à ce geste, reculant ses pointes comme pour éviter de lui faire du mal, aidant l’espionne à esquiver le coup alors qu’elle se mettait hors de portée. Elle jouait sur le temps… il devait essayer de savoir ce qu’elle avait en tête !
– Obéit et frappe l’ennemi, ordonna entre ses dents Isidore en sentant les morsures de plus en plus profonde.
– Les Crocs de Fenrir seraient plus raisonnables que toi ? Étonnant… enfin, cette lance maudite a toujours préféré Sylvain, elle ne lui a jamais fait le moindre mal à ta différence, fit-elle remarquer, même si c’était évident qu’elle évitait l’arme. Cette abomination née d’un meurtre d’un pacifiste sait mieux reconnaitre une bonne personne que toi, alors que c’est l’arme de la Dévoreuse de Cadavres…
– Peut-être, mais tu en as toujours aussi peur, les habitudes srengs te collent à la peau. Et évidemment, c’est toi la responsable de ce désordre dans ma ville, devina-t-il. Tu étais très douée pour semer la zizanie partout où tu passais…
– Plutôt les vols incessants de la capitale, ce roi sans yeux de Lambert qui a tué plusieurs enfants de chaque ville, et cette voleuse d’Adrastée, ainsi que ta passivité face à tes rois sans yeux sont bien plus efficace que moi pour créer le chaos.
Isidore maudit la Lance de la Destruction quand elle sembla approuver les mots de Fregn. Elle devait fidélité à la Déesse et au roi ! Comme eux tous !
– Je dois obéissance au roi ! Je n’ai pas la trahison dans le sang comme les srengs qui les poignardent à la moindre occasion !
– Pas à la moindre occasion, quand ils ne sont plus respectables, nuance. Nous ne nous insultons pas nous-mêmes en obéissant à l’inacceptable. Ce que vous devriez faire également, surtout que le peuple de Gautier semble d’accord… après tout, vous êtes srengs vous aussi à l’origine, il en reste des traces, certaines choses sont restées au fond de votre mémoire…
– Nous ne le serons pas tant que je serais là et Sylvain finira bien par se conformer. Même si cela met du temps, je finirais bien par le dresser lui aussi et si ton sang de sreng est trop fort, j’arriverais bien à le remplacer avec une vraie fod… argh !
Isidore hurla de douleur, lâchant sa Relique sur le coup en découvrant ses mains et ses poignets en sang, comme si un renard venait de les mâcher avant de les recracher. La Lance de la Destruction frappa le sol dans un grand fracas, se tordant dans tous les sens, brillant d’un éclat sombre, un chuintement sortant d’elle. C’était comme si la gemme à la base du fer le fixait, le jugeait et prononçait sa sentence.
– Et bien… j’ai une alliée inattendue finalement.
Fregn se précipita sur Isidore à ses mots, tentant de le toucher au bras mais, il arriva à la repousser, tirant son propre poignard avec une grimace, se rassurant un peu de se dire que même s’il le perdait, il avait toujours celui de Gylfe, même s’il préférerait éviter d’utiliser l’arme de son ancêtre. Il le gardait sur lui juste pour éviter que quelqu’un d’autre ne le vole à nouveau. Ses mains étaient profondément entaillées, la Relique ne l’avait pas raté ! Mais pourquoi l’avait-elle…
La sreng ne lui laissa pas le temps de réfléchir, fonçant sur lui, sa lame brillante dans la lumière du matin pour l’éblouir avant de frapper. Il para à nouveau avant de tenter de la faucher mais, Fregn était rapide et agile. Elle esquiva en vitesse, puis enfonça profondément sa lame dans son bras droit, le plus blessé des deux par la Relique et lui fit lâcher son arme. Heureusement pour lui, Isidore arriva à donner un coup de poing à la sreng en plein visage, la douleur lui faisant échapper son poignard. Réagissant par instinct, il attrapa le poignard de Gylfe et le tira de sa gaine, jusqu’à ce qu’il remarque une légère lueur sur le haut du bras de Fregn.
« C’est le poignard de Gylfe ! Et Sylvain l’a récupéré des mains de Fregn quand il me l’a donné ! Il doit y avoir le sort de… »
Avant qu’il ne puisse remettre le poignard dans son fourreau, la lame s’enfonça profondément dans son flanc, appelé vers les runes de rappels tatouées dans l’épaule de Fregn, les seuls tatouages qu’elle avait eu le droit de conserver lors de leur mariage. La sreng profita de cette seconde de déconcentration pour enfoncer son autre arme dans la jambe du margrave, le long pic trouvant son chemin dans les articulations de son armure, puis se jeta sur lui de toutes ses forces et de tout son poids pour faire craquer sa mauvaise jambe et le faire tomber au sol.
Se fracassant la tête la première contre la pierre, Isidore se retrouva à moitié sonné, laissant le temps à Fregn de lui attacher solidement les mains et les pieds pour l’empêcher de se débattre quand il retrouva ses esprits.
– Tu as plus de valeur vivant, je ne te tuerais pas. Tu vas servir pour une fois… gronda-t-elle en le bâillonnant, menaçante et avec un léger sourire aux lèvres, tenant sa revanche pour toutes ces années enchainées à lui. Regarde bien, voie ce que désire vraiment Gautier et apprend la vraie valeur de mon fils. »
Isidore ne put rien répondre, même pas se débattre, vaincu par la sreng qui délogeait son pique de sa jambe, l’accrochant à son écharpe et récupérant son poignard pour le menacer de sa lame.
Quand il croisa le regard de la Lance de la Destruction, il eut l’impression qu’elle le regardait sévèrement, puis changea quand Fregn alla ouvrir à Sylvain. Ce dernier entra sans hésité, demandant tout de suite à sa mère.
« Maman ! Est-ce que tout va bien ?! Tu étais introuvable !
– Oui, j’ai fait ce que j’avais à faire pour Gautier… et pour régler quelques comptes que je trainais depuis plus de vingt ans, ajouta-t-elle en désignant Isidore d’un coup de tête dans sa direction, anticipant la question. La Lance de la Destruction l’a rejeté en lui mangeant les mains alors, ne t’en fait pas, je vais bien. Et toi ? Miklan ne t’a rien fait ?
– T’en fais pas, dès qu’il a vu combien on était, il est allé se planqué derrière ses hommes. C’est Starkr, Mordant et Foa qui l’ont rattrapé et arrêté, c’est eux les vrais héros avec tous les habitants de Birka, lui assura-t-il. En tout cas, je suis soulagée que tu ailles bien… je sens que tu as aidé de ton côté et je sais bien que tu es surentrainée mais, soit prudente.
– Un bon espion est toujours prudent et prend toujours des risques quand cela est le plus nécessaire, répliqua-t-elle. Enfin, il reste encore des choses à faire avant que tout soit fini.
– Oui mais, je pense que Thorgil sera contente de te voir en entier en premier, elle ne devrait pas tarder avec les trois autres rois. Faudra que tu m’expliques ton plan d’ailleurs, ajouta-t-il d’un ton plus sombre.
– Bien sûr, quand tout sera régler à Gautier.
Sylvain hocha la tête, et même s’il était visiblement réticent à toucher la Relique, il finit par l’empoigner pour l’éloigner d’Isidore par sécurité. Dès qu’il l’eut en main, ses pointes se calmèrent, son éclat devient plus doux, et une énergie chaleureuse comme la fourrure de Foa l’entoura, protectrice. Le jeune homme fut le premier étonné par cette réaction, dévisageant le fer de la lance en songeant.
« Je pensais que tu me mordrais les mains moi aussi… »
Il n’en fut rien, la Relique continuant à l’entourer de son énergie bienfaisante, comme si quelqu’un posait sa main sur son épaule pour l’encourager. En se concentrant, il pourrait presque revoir l’homme qui l’avait visité dans ses rêves après que Miklan l’ait abandonné dans la forêt, ressemblant bien plus à l’image qu’il se faisait du Bavard que de la Dévoreuse de Cadavre… cela lui donna du courage alors qu’il annonçait.
– La forteresse est prise et Isidore est tombé ! Rejeté par la Lance de la Destruction et le Brave lui-même !
Une grande acclamation de joie se fit entendre, redoublant d’intensité quand ils virent les srengs revenir avec les survivants des voleurs ligotés sur leur pont, le sort des vaincus et des prisonniers de guerre.
Thorgil le Kaenn s’approcha la première, déclarant avec un sourire entendu.
– Trinquons tous à notre victoire, sœurs et frères de Gautier. »
*
Comme prévu, ils burent tous ensemble à la victoire de chaque camp mais, le lendemain matin, ils durent revenir à des choses sérieuses.
« Qui est le margrave à présent ? Demanda quelqu’un. Il faudrait mieux une personne pour parler pour tout le monde avant de commencer à discuter avec les srengs de ce qu’on va faire maintenant, surtout vis-à-vis des accords du Grand Thing et de ce qu’on va faire d’Isidore et de Miklan.
– C’est évident que c’est le seigneur Sylvain ! S’écria Orégane. C’est lui qui a l’emblème de Gautier !
– En plus, c’est lui qui a mené la charge et à gérer avec les srengs ! Ajouta Matti sans hésiter. Si quelqu’un doit être margrave, c’est bien lui ! Autant par le sang que par ses mérites ! Même la Lance de la Destruction l’accepte !
– Il faudrait plutôt demander à tout le monde son avis ? Les refroidit Sylvain, ne voulant pas qu’on le choisisse juste pour son sang ou sur le moment. Ce sera mieux que de choisir comme ça. On pourrait élire temporairement le chef de la ville et du margraviat, puis on verrait à tête reposée. En plus, on va surement devoir reprendre toute l’organisation de Gautier à tête reposée. Si on continue avec la lignée ou juste à l’emblème, on risque d’avoir un autre Isidore, fit-il remarquer.
– Cela semble être une bonne idée, confirma Vigile en hochant la tête. Très sreng mais, ils sont meilleurs pour désigner les bons dirigeants que nous, c’est un fait. Soumettons cette idée à l’ensemble de Birka et voyons ce que cela donne. »
Tout le petit groupe accepta. On fit venir les habitants sur la place principale de la ville, assez grande pour tous les contenir après autant de mort, que ce soit à Duscur ou de la famine. Prenant son courage à deux mains, Sylvain monta sur le socle de la statue de Gautier pour s’adresser à la foule, demandant au Bavard de l’aider et de lui prêter sa langue d’argent malgré tout ce que son ancêtre lui avait fait.
« Peuple de Birka écoutez ! Nous sommes dans des temps difficiles mais grâce à votre courage et votre force, nous arrivons petit à petit à reprendre la main ! Grâce à vous, le règne d’Isidore appartient à présent au passé et nous pouvons choisir tous ensemble ce que nous désirons pour notre avenir ! Cependant, même si les décisions sont à présent prises en commun, nous devons également désigner un représentant de notre ville et temporairement de tout Gautier ! Alors, nous pourrions élire ce représentant afin qu’il représente au mieux les intérêts de tout Birka ! Qu’en pensez-vous ?!
S’il se fiait à l’excitation générale, tout le monde était d’accord. Après quelques discussions supplémentaires, ils mirent en place un vote secret : chacun devrait écrire le nom de la personne représenter après que les candidats se soient présentés à la ville entière, et on mettrait un peu d’encre sur la main de ceux qui avaient déjà voté une fois. Les noms des candidats seraient écrits en très gros au-dessus de leur tête en plus d’une forme simple qui leur étaient associé, afin que les personnes analphabètes puissent les redessiner malgré tout et si elles avaient un doute, des scribes seraient là pour leur confirmer ou réécrire correctement le nom. C’était pas très secret tout ça mais, fallait faire avec ce qu’ils avaient, tout le monde ne savait pas écrire. Ce serait quelque chose que Sylvain devrait corriger s’il était élu… il verrait qui de lui ou des quatre autres candidats seraient désignés par le peuple de Birka, les srengs observant tout avec curiosité et intérêt. Miklan aussi se présentait, par respect du droit de tous de concourir.
Chacun se présenta et parla de ses intentions pour Gautier. La plupart était contre l’idée de donner encore plus au régent mais, le jeune homme faisait partie des plus radicaux, déclarant sans hésiter qu’il fallait reprendre le dialogue avec Fhirdiad mais, plutôt pour les faire revenir sur Fodlan, renégocier les termes de leur fidélité et leur imposer leur nouvelle manière de fonctionner. Tous les habitants majeurs votèrent, même Isidore étant donné qu’il était un habitant de Birka comme les autres, bien qu’étant donné qu’il avait été renversé, son successeur devrait décider de son sort : l’exil ou la mort. Enfin, il verrait en temps voulu…
Quand des lettrés tirés au sort dépouillèrent, Sylvain serra son porte-bonheur, cherchant du courage dans la petite écaille sarcelle. Il n’avait toujours pas de réponse de Félix et vu la situation, le courrier circulerait surement très mal… dans son angoisse de l’attente, il demanda à Frigg que son ami aille bien…
Le chef des dépouilleurs finit par sonner une grosse cloche, annonçant avec sa voix forte.
« Les habitants de Birka ont décidé sous le regard de la Déesse ! Miklan Anschutz Gautier, quinze voix. Tove Persdotter, cent cinquante-cinq voix, Dick Birgersson, deux cent trente voix, Rut Hansdotter, cinq cent quatre-vingt-neuf voix, et avec une très large avance, Sylvain José Gautier, quatre mille deux cent trois voix ! Sous le regard de la Déesse et de lui-même, le peuple a tranché ! Notre représentant définitif à Birka et margrave temporaire sera donc Sylvain José Gautier ! »
Sylvain crut en tomber par terre à l’annonce des résultats. Il était premier avec autant d’avance ?! Bon, d’un côté, vu comment étaient les birkans pendant sa présentation, il sentait qu’il avait ses chances mais, avoir autant de voix… être élu par son peuple… il… il savait à peine quoi en penser… ne savait même pas si c’était à cause de son emblème ou de lui-même… mais ils avaient choisi de lui faire confiance, et il refusait de se défiler ou de les trahir.
Serrant son porte-bonheur entre ses mains pour se donner du courage, Foa sautant entre ses jambes en sentant la liesse ambiante, le jeune homme se leva pour rejoindre le centre de la place, Starkr sur son épaule. Il y fit face à la doyenne de Birka qui devait poser l’anneau du margrave sur sa tête, une large bande d’airain remontant à Gylfe le Berserkr lui-même, gravée de motifs de la mythologie sreng finement réalisés. Une couronne de roi sreng… même si elle avait été reconvertie en couronne de margrave, elle restait tout de même un témoin de ce fait…
Il saluait la vieille femme quand la voix de Miklan résonner dans toute la place.
« Attendez !
Sylvain se tourna vers son frère, bien gardé par Matti et des personnes de confiance, même s’il n’était pas enchainé contrairement à Isidore. Pour le moment, le seul crime reconnu de Miklan était d’avoir été du côté de l’ancien margrave, il ne pouvait pas le punir autant pour sa fidélité, même si elle était complètement intéressée et que Sylvain devait forcément faire un sort aux fidèles les plus proches de son père. Birka aurait d’autre chose à faire que de se soucier d’éventuel complot pour remettre un Isidore haï sur la chaire margravine.
Son grand frère s’approcha autant qu’il put, déclarant sans honte.
– Vous avez décidé de vous comporter comme des srengs alors, ça veut dire que tout le monde peut te défier pour te prendre ta place. C’est comme ça que vous fonctionnez vous les srengs, vous vous entretuez à la première occasion ! Alors, je te défie pour la place du margrave le porte-emblème ! Tu ne peux pas te défiler de toute façon ! Vient te battre contre moi que je t’écrase encore une fois !
Quelques lunes auparavant, Sylvain se serait figé, tétanisé de terreur à la seule idée de croiser Miklan, encore plus s’il tenait une arme, sûr d’y passer et s’excusant envers son frère d’avoir cet emblème dont il ne voulait pas… voir s’excuser d’être simplement né, avec ou sans, et de lui avoir tout prit comme Miklan ne cessait de le répéter pour le graver dans son crâne.
Mais aujourd’hui, le jeune homme avait affronté le Grand Thing et son père, avait vécu la famine et s’opposait frontalement à la famille royale elle-même, avait vaincu bien des adversaires bien plus coriaces et puissants que son frère, avait presque tout le peuple de Birka derrière lui… Miklan n’était plus un adversaire si effrayant. Juste un rival pour la place de margrave persuadé que tout lui était dû car, il était né le premier, et dont il connaissait les faiblesses.
Il lui fit donc face, même plus impressionné par leur différence de taille et de carrure, répondant sans trembler.
– Bien, que nos mots et nos armes désignent qui de nous deux est le clairvoyant et le roi sans yeux !
On fit un peu de place sur la place, chacun récupérant une arme en bois pour s’affronter. Sylvain serra à nouveau son porte-bonheur avant de prendre sa lance en main, alors que Miklan commençait à agiter sa hache pour l’effrayer.
– Allez le porte-emblème ! Approche ! On va voir qui est le plus fort !
– Il me semble que la dernière fois, tu as atterri dans le fumier, et qu’hier, tu fuyais devant les crocs acérés de Foa. Tu devrais plutôt demander ta revanche contre elle, répliqua-t-il en montrant la renarde retenue par Fregn, voulant foncer aider son ami. Ne t’en fais pas, à part quelques petites morsures, elle ne t’aurait rien fait de mal.
Tout le monde éclata de rire à sa remarque, se moquant de la couardise de Miklan qui avait fui devant l’ennemi, encore plus quand l’ennemi en question était une adorable boule de poil toute touffue et pas méchante pour deux sous. En Sreng, le duel serait déjà fini, les spectateurs auraient déjà jeté des pierres sur le prétendant à la fonction de roi puis l’auraient éjecté du village sans attendre. Mais à Birka, les gens n’oseraient surement pas intervenir ainsi et se contenteraient de commenter. Non, s’il voulait empêcher Miklan de devenir margrave et de conduire Gautier à sa perte, il devait le battre non seulement avec ses mots, mais aussi avec sa lance. C’était la seule solution pour le chasser tout en prouvant sa valeur et bien instaurer son autorité.
Miklan gronda, abattant sa hanche sur lui comme un bucheron frappait un tronc d’arbre en criant.
– Je vais te faire ravaler tes mots ! T’es rien à part ton emblème ! À cause de toi, j’ai tout perdu ! Tu as volé le titre qui me revenait de droit en naissant !
– Peut-être, répondit-il en évitant relativement facilement le coup, la frappe étant assez facile à anticiper à cause de sa lenteur, surtout comparé aux duels de force et d’esprit où les armes allaient aussi vite que les mots pendant le Grand Thing. Mais qu’à tu fais pour la regagner ? Qu’as-tu accompli pour prouver que tu méritais plus le titre que moi ?!
– Dans tous les cas, ton foutu emblème m’empêche d’être margrave tant que tu respires morveux !
– Autant dire que contrairement à Glenn Guillaume Fraldarius qui a prouvé sa valeur à maintes reprises, était le meilleur chevalier de tout Faerghus tout en étant un grand frère exemplaire pour son petit frère, tu n’as rien accompli ! Répliqua sans hésité le plus jeune en envoyant sa lance dans les côtes de Miklan.
Le coup coupa la respiration à Miklan qui dut reculer pour reprendre son souffle, de plus en plus rouge d’effort et de colère. Ses yeux brillaient de rage, se délectant d’avance du moment où il le vaincrait, comme quand il l’avait jeté dans ce maudit puits… un frisson remonta le long de son échine à ce souvenir mais, s’encrant sur ses pieds et sur sa lance, entouré par les encouragements des habitants de Birka et des srengs, Sylvain tient bon et resta en garde. S’il devait flancher, il le ferait après, une fois qu’il aurait arraché la marche à Isidore et Miklan pour de bon et les aurait chassés de Gautier !
– C’est pour ça que ce type était un idiot ! Répliqua-t-il après trop de temps, tentant de donner un coup de hache dans la jambe de son frère pour le déséquilibrer mais, il enragea encore plus quand il fut bloqué et que Sylvain retourna hors de sa portée. Il était juste un crétin qui n’arrivait pas à comprendre qu’il aurait dû avoir son duché car il était ainé, mais il cajolait son petit frère qui lui avait tout volé avec son emblème ! S’il s’en était débarrassé… si aucun de vous deux n’avaient été là, ton copain Glenn serait peut-être encore là ! Hurla-t-il en lui fonçant dessus. Il aurait dû faire comme moi et jeter son pleurnichard de frère dans un puits ! Il en aurait été débarrassé ! Comme j’aurais dû être débarrassé de toi !
– Ce n’est pas la naissance de Félix qui a tué Glenn ni la mienne, c’est les décisions irréfléchies du roi sans yeux qui a l’audace de continuer à nous voler après avoir tué plusieurs de nos frères et sœurs ! » Contra Sylvain, entendant tous les cris choqués des birkans, alors que Miklan avouait publiquement qu’il avait déjà tenté de tuer son propre frère dans sa colère. Ses mauvais traitements étaient un secret de polichinelle mais, peu de gens savaient qu’il était allé jusqu’au fratricide, même s’il avait heureusement échoué. Enfin bon, ça l’arrangeait, il n’aurait pas à le dire lui-même et risqué de montrer une faiblesse ou sa réaction en en parlant, et les gens y croirait plus si c’était le coupable qui se dénonçait tout seul. « Et tu parles des autres et te plaint beaucoup mais, tu ne dis toujours rien sur ce que tu as accompli toi !
– J’étais occupé à te reprendre MA place !
– Et pendant que tu geignais, j’ai étudié pour connaitre au mieux Gautier et Sreng, j’ai appris à parler le sreng, je me suis entrainé avec mes amis et j’ai tout fait pour les protéger ! Puis j’ai participé au Grand Thing où j’ai défendu avec force les intérêts de Gautier et de Faerghus et gagné des soutiens et le respect de plusieurs rois clairvoyants ! Puis je suis revenu et j’ai tout fait pour aider notre peuple en proie à la famine ! Et maintenant, je me bats pour le protéger du roi et du régent sans yeux qui veulent encore nous voler jusqu’au dernier grain de bled et la dernière goutte de sang ! Moi, tout ce que j’ai fait, c’était pour notre fief ! Pas pour mes propres désirs égoïstes !
– Remercie ton emblème ! Tu n’es rien sans elle ! Le nargua-t-il en lui courant de nouveau après avec sa hache.
– Je n’ai pas eu besoin d’elle ! Juste de ma tête et de ma langue ! Tu le saurais si tu avais tenté de les utiliser une seule fois pour le bien du fief, et non pour couvrir tes tentatives des pires crimes de sang !
Profitant de la poursuite aveuglée par la colère de Miklan, Sylvain le fit enfin tomber en lui assenant un gros coup de lance en pleine poitrine, priant pour que son emblème n’intervienne pas. Ses mots auraient plus de poids sans lui, et il voulait vaincre son frère sans son aide ! Au moins pour lui-même !
Heureusement, même s’il grondait comme un renard prêt à bondir sur sa proie à l’intérieur de son sang, l’emblème resta docilement en lui, ne sortant que quand Miklan était déjà au sol, vaincu. L’emblème ne brilla autour de Sylvan que quand le jeune homme força son frère à rester au sol en le menaçant du « fer » en bois de sa lance, pointé sur sa gorge.
– Tu as perdu Miklan, déclara Sylvain entre deux souffles, arrivant à peine à croire ce qui se passait.
Maintenant, la situation était vraiment inversée… encore plus que dans les escaliers. Maintenant, c’était lui qui pouvait tenir la vie de son frère entre ses mains et son arme…
– Alors quoi ? Vas-y, tue-moi… le provoqua-t-il, les yeux plantés dans les siens. Tue-moi si tu as les couilles de le faire ! Tue-moi comme le sauvage sreng que tu es !
– … le seul sauvage ici qui vient d’avouer ses tentatives de fratricide, c’est toi. Je ne suis pas comme toi, ce n’est pas Loki qui guide mes pas, je préfère suivre les enseignements du Bavard.
Sylvain resserra sa prise sur sa lance, toisant Miklan avec froideur alors qu’il ordonnait.
– Un prétendant à la place de margrave qui échoue ne gagne que la mort ou l’exil. Celui qui tente de tuer une personne partageant son sang n’est qu’un sous-fifre de la honte des hommes et de la honte des dieux. Le fratricide est le pire des crimes, celui qui entrainera le Ragnarök et qui est condamné par Sothis qui ordonne d’aimer son prochain. Pour un aspirant fratricide comme toi, le seul sort est la mort sans tombe, avec ton corps rendu à la nature pour nourrir le reste du vivant et ainsi payer pour tes crimes. Mais je vais faire preuve de clémence à ton égard. Je refuse de devenir comme toi et souhaiter avoir le sang de ma propre famille sur les mains.
Il releva sa lance, ordonnant sans hésiter.
– Miklan Anschutz Gautier. Pour ton échec du vol des responsabilités de margrave, et pour tes tentatives de fratricide, moi, Sylvain José Gautier, margrave temporaire de Gautier et chef de Birka, ordonne que tu sois condamné à l’exil à vie de Gautier. Tu partiras de ces terres et tu ne devras plus jamais y être revu. Reviens, et ton sort sera moins clément car, ce sera la mort qui t’attendra cette fois. Le même sort sera réservé à Isidore Mihkel Gautier qui est également condamné à l’exil à vie de Gautier. Je me réserve également le droit de choisir là où vous devrez aller. Emmenez-les dans les cachots. Nous les ramènerons à leur maitre s’ils veulent tant servir un roi sans yeux.
Les soldats lui obéirent sans hésiter, enchainant Miklan avant de l’emmener avec Isidore.
Quand personne ne vient le défier à nouveau, Sylvain sut qu’il était vraiment le margrave à présent, ceignant la couronne de son ancêtre en sachant qu’il avait gagné tout le respect des birkans par ses actions et non par son sang.
Il embrassa sa mère de joie et de soulagement que tout cela soit fini, puis passa aux négociations avec les rois srengs sous le nom de Sylvain le Renard, parlant d’égal à égal avec eux tous en tant que margrave clairvoyant, l’intérêt de son peuple toujours en tête et plus déterminé que jamais à récupérer tout ce qu’on leur avait volé.
*
Isidore ne savait pas comment s’en sortir, ruminant dans sa cellule. Sylvain l’avait fait attaché avec des chaines plus résistante que la moyenne, l’empêchant de les briser même quand son emblème intervenait. Les gardes étaient également des jeunes gens de son âge, n’ayant vécu que sous Lambert, connaissant la royauté que par son exemple et n’ayant donc pas le respect qu’ils devraient avoir envers elle. S’il se fiait à leurs discussions, ils étaient complètement d’accord avec son projet de s’en séparer ou d’au moins prendre ses distances avec Fhirdiad, l’ancien margrave ne pourrait surement pas les convaincre de le détacher pour le bien de la cohésion du Royaume. Son fils avait vraiment pensé à tout pour qu’il ne s’évade pas !
Quand la cinquième nuit depuis la révolte tomba, les gardes partirent, le laissant seul avec Miklan qui dormait. Isidore allait tenter à nouveau de se libérer de ses chaines, quand une voix qu’il haïssait se fit entendre.
« Notre fils est un excellent margrave. Tu dois être fier de lui.
Ignorant la douleur dans sa jambe, il se redressa d’un coup sur ses pieds et se précipita vers la porte de sa cellule, la chaine à sa cheville cliquetant quand elle se tendit, ivre de rage en la voyant venir le narguer sans qu’il ne puisse rien faire.
– Fregn…
Sa femme lui fit face. Elle était habillée comme une sreng, une grosse broche ronde tenant sa cape chaude, un poignard et une épée à la ceinture. Une longue épingle d’argent avec une tête en forme d’oiseau retenait ses cheveux bruns, pointue comme le stylet qu’elle était en réalité. Même ses bijoux étaient des armes… Isidore rêverait d’attraper cette épingle pour lui planter dans le cœur comme elle l’avait planté dans sa jambe, afin d’effacer à jamais cet air narquois et satisfait de son visage, exprimant dans cette seule expression plus d’émotion que pendant plus de vingt ans de mariage.
– Rassure-toi, je ne suis pas venu pour vous tuer. Je ne veux pas que votre sang souille ses mains et vous êtes plus utiles vivants pour le moment. Cela ferait mauvais genre s’il faisait assassiner son propre père et son propre frère alors qu’ils sont hors d’état de nuire. Mieux vaut être clément dans ces moments-là.
– Comme si des srengs comme vous connaissaient la clémence.
– A sa place, tu aurais tué Sylvain dès à la fin du duel pour les responsabilités de margrave si tu avais gagné. Je le trouve déjà extrêmement gentil de ne pas être plus sévère avec vous après tout ce que vous avez fait.
– C’est tellement aimable de sa part, gronda-t-il en désignant sa cellule. Je parie qu’il s’entend à merveille avec sa tante et les autres sauvages qui vous servent de rois.
– Estime-toi heureux d’avoir des vêtements et de la nourriture chaude ainsi que des soins, tu faisais croupir les traitres dans le froid avec de la boue gelée comme toute ration. Et effectivement, il arrive à trouver des accords avec les différents royaumes pour leur visite à Fhirdiad. Il doit t’y emmener après tout avec Miklan. Si vous tenez tant aux rois sans yeux, il sera content de vous y emmener et de laisser le Porte-Couronne se charger de vous. Il doit également récupérer tous les hommes et la nourriture qu’il a déjà volé à Gautier. Autant dire que Sylvain prend les choses en main, et que cela permet d’envoyer un message fort d’entrer de jeu : hors de question d’obéir et de respecter les irrespectables. Si Lambert et Rufus veulent qu’il les serve, il faudra qu’ils lui prouvent leur valeur et qu’ils sont dignes de son respect, comme Loog l’a prouvé à Gylfe le Berserkr.
– Il faut toujours tout arracher avec vous… et il ne perd pas de temps pour trahir Faerghus… le voilà convolant déjà avec vous pour défier l’autorité royale en personne…
– C’est plutôt le Porte-Couronne qui a trahi son Royaume en envoyant son propre peuple à la mort, en abusant de ses amis fidèles en les étranglant avec le travail et des obligations sans aucun sens, à part qu’elles ont été gagnées par Loog à la sueur de son front sans qu’il ne le mérite lui-même. Et le Tyran Égoïste n’est guère mieux, lui ne fait qu’agir pour ses propres envies en voulant envoyer encore plus de ses sujets à la mort dans sa vengeance et voler les richesses de personnes qui ne sont surement pas toutes responsables de ce massacre. Il en profite pour nous voler jusqu’au dernier grain de bled, comme un gamin attardé qui fait une fixation sur ce qu’il veut. Enfin, c’est de famille. Sylvain le Renard agit en vrai souverain en refusant de leur obéir pour privilégier la survie de son peuple, plutôt que d’obéir à des promesses brisées depuis longtemps et ne reposant sur rien.
Isidore serra le poing, sachant que quoi qu’il dise, Fregn rétorquera qu’il était indigne de sa position. Autant débattre avec un mur, même si les srengs se vantaient de le faire bien plus souvent que les fodlans. Il se contenta de grogner, sachant que c’était le vrai point de bascule entre l’agacement et la fureur du peuple de SA capitale.
– Maudit sois-tu…. Et maudit soit Adrastée… sans elle… si elle ne nous avait pas volé.
– Effectivement, son caractère odieux a été très utile pour créer une source de détestation supplémentaire qui a fini de rendre les habitants de Birka furieux, surtout qu’elle venait nous voler sur ordre de Rufus. Alors nous voler pour elle-même et son propre enrichissement, il n’y avait qu’un pas… elle était tellement détestable que tout le monde y a cru sans sourciller. C’était la coupable idéale…
En entendant ses mots, Isidore releva plus la tête, dévisageant Fregn. Non, elle ne pouvait pas… il la surveillait encore étroitement à ce moment-là, il contrôlait le moindre de ses faits et gestes ! Elle avait pu commettre autant de crimes cette nuit-là car, il avait dû mobiliser ses hommes sur la défense de la forteresse et la répression de la révolte ! Impossible qu’elle ait…
– Non… ne me dit pas que… que tout ça, c’était toi… mais comment… par quelle diablerie as-tu pu…
Fregn eut un petit sourire satisfait, déclarant sans hésiter.
– Simple question d’organisation, de préparation et de connaissance de l’ennemi. Pour commencer, il m’a fallu des complices et dans l’espionnage, il a trois manières de les trouver : corruption, chantage et connivence. Adrastée m’a donné l’argument idéal pour les recruter : empêcher le vol de la nourriture de nos frères et nos enfants. Je n’ai eu qu’à prendre son apparence afin de parfaire l’illusion qu’elle venait plus souvent que nécessaire, et elle se retrouvait à faire plusieurs fois l’inspection de nos coffres. Ensuite, j’ai échangé ma place avec ma dame de compagnie, qui m’est fidèle depuis des années. Elle est devenue moi et je suis devenue elle. Tu aurais dû choisir une personne avec une corpulence bien distinct de la mienne. Même si nos visages ne se ressemblent pas, j’ai pu atténuer les différents avec les bons accessoires et maquillage, ainsi que la bonne position pour atténuer la différence de taille. De plus, comme je ne suis guère bavarde, personne ne s’est étonné que je ne dise rien pendant des heures. Ensuite, il a fallu piéger Adrastée. Elle était capricieuse et voulait imposer son autorité en nous forçant à obéir aux ordres, tout en prenant les habitants de Gautier de haut car, vous venez de la frontière et seriez donc plus sauvages et moins éduqués qu’à la capitale dans son esprit. Je n’ai eu qu’à jouer le rôle d’une servante maladroite qui a fait tomber « accidentellement » sa boisson sur ses draps pour l’énerver et la pousser à la boire rapidement pour se calmer. Elle n’a même pas remarqué le gout du somnifère, le tout en ayant l’excuse d’avoir pris beaucoup plus de drap que nécessaire pour refaire le lit. Le soir chez les lavandières, j’ai dit qu’elle voulait beaucoup de drap comme une grande dame, et le lendemain, elles ont pensé que c’était son excuse pour avoir plus de draps discrètement et faire son subterfuge.
– C’est donc à ce moment-là que tu as mis tout ce que tu avais volé dans sa chambre…
– Oui, mes jupes m’ont été utiles pour une fois, déclara-t-elle d’un ton froid et professionnel, même si cela n’étonna pas Isidore, elle parlait de son métier après tout. Même un débutant pourrait y penser mais, c’est efficace.
– Et les gardes… comment as-tu pu passer entre ? Je faisais attention à changer les chemins de ronde régulièrement pour que tu ne puisses pas les apprendre !
– Ce qui était plutôt malin de ta part, je dois le reconnaitre, mais même si tu les changes souvent, en plus de vingt ans, tu as eu le temps d’user tous les chemins de rondes possibles. Même si la forteresse est grande, leur nombre est limité. Et pendant toutes ses années, je les ai appris, notés et étudiés, un par un, angle mort par angle mort. Je n’ai eu qu’à comprendre lequel était en place ce soir-là pour me déplacer sans me faire repérer. Toujours sous l’apparence d’une servante portant des draps à la laverie où était enroulée Adrastée, je me suis faufilée dans un angle mort de l’écurie. Là, j’ai pris son apparence en récupérant ses vêtements. Je l’ai mis sur son pégase comme un bagage avec les objets volés et ses affaires. J’ai également fait en sorte que le palefrenier de garde me repère, afin qu’il voie le paquet contenant les affaires et les bijoux volés. Personne ne la connaissait vraiment alors, dans la pénombre et en modulant ma voix dans mon échappe, c’était plus simple de créer l’illusion. J’ai ensuite poussé le pégase jusqu’à l’étang, après avoir attaché le sac de toile à sa ceinture avec des boyaux très fins, qui se sont vite décomposés pour servir de poids et empêcher le corps de remonter trop vite à la surface. Avec un coup à la tête pour donner l’illusion qu’elle a touché le fond de l’étang dans sa chute, et assez de temps pour que les traces du somnifère disparaissent, il devenait impossible de remonter jusqu’à moi. Il fallait que la colère enfle encore un peu à Birka afin d’être sûr qu’une révolte éclate alors, qu’un agent du régent soit aussi malhonnête et voleur de surcroit était le catalyseur idéal. Tes rois sans yeux sont vraiment mes meilleurs atouts pour monter la ville contre eux et toi par la même occasion.
– Une vraie professionnelle, gronda-t-il avant d’ironiser, sachant très bien qu’il n’accepterait surement jamais une telle chose, il avait le cœur trop tendre pour cela. Je parie que Sylvain va être ravi d’apprendre comment sa chère mère occupe ses nuits et lui prépare le terrain pour prendre le pouvoir… si tu lui avoues un jour tes activités évidemment…
– Sylvain est au courant. Dès qu’il a été élu et que les choses les plus urgentes ont été réglés, je lui ai tout avoué de moi-même. Il est moins bête que tu ne le penses, il avait déjà compris que j’étais la responsable des meurtres de la nuit de la révolte, même si apprendre que j’étais celle qui avait mis en scène la fuite et la mort d’Adrastée l’a plus surpris, même si après ma performance de cette nuit-là, il se doutait que j’avais un lien avec sa mort. Il a cependant compris pourquoi j’avais agi ainsi et que je l’avais fait dans l’intérêt de Gautier…
– Tu parles, tu l’as fait dans l’intérêt de Sreng et de ta sœur, contra Isidore, la connaissant assez bien pour deviner ses intentions. Tu dis que je sous-estime notre fils et le traite mal mais toi, tu le manipules afin qu’il se tourne vers Sreng et serve les ambitions de sa tante sans s’en rendre compte. Une mère modèle également…
– C’est vrai, je ferais tout pour que mon fils ne subisse pas un roi sans yeux et soit aussi fort que ma petite sœur, qui est la plus grande reine de tout Sreng. Je n’ai même pas besoin de le manipuler, ton roi est tellement irrespectable qu’il retourne ses fidèles contre lui comme on écaille un poisson. Ses décisions odieuses et ses actes inconscients sont les plus grandes sources de trahison de tout ce Royaume. Entre le créateur d’un chaos digne de la honte des hommes et de la honte des dieux, et celui qui se bat contre lui pour protéger les siens, lequel a plus trahi que l’autre ?
– … !
– Mamma !
Isidore allait répondre quand il entendit la voix de Sylvain appelé sa mère en sreng, Fregn le rejoignant sans souci avec juste un dernier regard froid à son mari. Entre les barreaux, il vit le jeune homme parler à sa mère sans hésitation ni gêne, même en sachant qui elle était vraiment, une assassine aux mains couvertes de sang et à la botte de Sreng. S’il se fiait au fait qu’ils ne parlaient pas fodlan, c’était évident que lui aussi allait basculer dans l’influence de Thorgil le Kaenn… et maintenant, il allait défier lui-même le roi dans sa propre capitale…
Isidore ne put s’empêcher de se laisser tomber au sol. Tout… toute sa vie… tout pour ce quoi il s’était toujours battu… la grandeur de Gautier et de Faerghus… tout…
Fregn avait tout réduit à néant en une nuit, et Sylvain consacrait surement sa vie à annihiler tous ses efforts en tant que margrave…
Si l’objectif de sa mère Erika et du roi Ludovic était bien de mettre des bâtons dans les roues de Sa Majesté Lambert, ils avaient réussi au point de fracturer le Royaume entier par cette seule alliance…
Gautier allait devenir un territoire Sreng… tout ça à cause de cette vipère détruisant tout sur son passage…
*
Rodrigue et Alix dévoraient leurs proies quand ils sentirent une odeur humaine inconnue les approcher. Se redressant, ils filèrent en vitesse, évitant de justesse deux flèches. Ils s’enfuirent en courant, profitant des gros buissons denses et impénétrables par les humains pour distancer les arcs.
« Là-bas ! Lâchez les chiens pour les rattraper !
– On ne peut pas les laisser filer !
– On pourra s’acheter pour six mois de bled pour tout le village si on arrive à récupérer leurs peaux ! »
Rodrigue entendit à peine les ordres des humains, plus préoccupé par l’odeur de chiens qui les poursuivaient, encore plus quand quatre gros molosses leur foncèrent dessus, tous crocs et bave dehors. Ils aboyaient tous des choses incompréhensibles mais, c’était évident que cela ne signifiait qu’une chose : ils étaient là pour les empêcher de retrouver son petit !
Quand l’un d’entre eux lui sauta sur le dos, le père le repoussa en lui mordant la nuque et en l’envoyant valser, pendant que son frère enfonçait ses dents dans la cuisse d’un autre. C’était pas vrai ! Il le ralentissait trop ! Il n’avait plus de temps à perdre ! Son petit l’attendait depuis trop longtemps !
« HORS DE MON CHEMIN !!! »
Des éclairs sortirent alors de son corps, foudroyant les chiens de chasse qui battirent en retraite en gémissant. Rodrigue était affamé et épuisé après une telle attaque mais, ils devaient filer d’ici au plus vite ! Trouvant une issue dans les ronces, les deux frères distancèrent enfin leurs poursuivants, trouvant refuge au plus profond de la forêt.
Quand les chasseurs retrouvèrent leurs chiens, ils étaient tous en vie mais, morts de peur, électriques s’ils avaient été foudroyés.
« Par la Déesse, ils sont en quoi ces loups…
– Vous croyez que ce sont les loups de cendre des rumeurs ?
– J’en sais rien mais, envoyés de la Déesse ou pas, il faut les retrouver… on a besoin de leurs peaux pour pouvoir manger au village… »
*
Une fois sa fièvre complètement tombée, Félix se mit tout de suite à se préparer pour rentrer chez lui. Il n’arrivait pas à s’arrêter, même pas une seule seconde. L’inaction était comme la pire des pertes de temps. Même dormir lui était difficile, tellement il avait l’impression qu’il avait perdu déjà trop de temps ces dernières semaines. Il devait vite rentrer chez lui pour voir si tout allait bien à Egua, puis il foncerait à la capitale pour retrouver son père et son oncle. Il ne savait pas pourquoi Lambert les retenait là-bas mais, il savait que les jumeaux ne resteraient jamais volontairement à Fhirdiad en laissant leur fief seul aussi longtemps ! Loréa avait toute leur confiance et pouvait g��rer aussi bien qu’eux mais, ça ne se faisait pas dans leur famille de rester loin d’Egua pendant trop de temps, il fallait toujours être auprès de son peuple…
« J’irais avec Moralta et Aegis s’il le faut mais, je les retrouverais tous les deux ! Hors de question de laisser Lambert les retenir je ne sais où à Fhirdiad ! »
Enfin, c’était enfin le jour de partir pour Egua. Étant donné que c’était quand même urgent et que les routes terrestres étaient dangereuses, ils voyageraient par les airs, un petit groupe de quatre pégases menés par Cassandra qui avait pour consigne de ne pas le lâcher apparemment. Enfin, c’était elle qui avait le plus de chance de l’emmener chez lui sans problème alors, c’était tout ce qui comptait.
« Tu es sûr qu’il peut rester ici ? Lui demanda Dimitri, retenant Fleuret dans ses bras, assis dans son fauteuil roulant.
Ses jambes refusaient de bouger à nouveau, même s’il les sentait encore, encore heureux, ça diminuait le risque qu’elles soient complètement paralysées comme celles de Théo.
Mais si Dimitri se retrouvait handicapé à vie à cause de la connerie de Lambert, ça ferait une raison de plus à Félix de l’étrangler cet abruti, qui aurait complètement ruiné la vie de son propre fils jusqu’au bout.
– Oui, c’est trop rude comme voyage pour lui, il sera mieux avec toi que dans les airs, lui assura-t-il. Il risque de tomber en plus.
– D’accord, je te promets de bien m’en occuper, lui jura-t-il, avant de lui attraper la main en lui souhaitant. Retrouve-les vite tous les deux. Que Fraldarius te protège.
– Merci Dimitri. Tu seras dans les premiers prévenus quand je les aurais retrouvés et que je leurs aurais tirés les oreilles pour ne pas m’écrire.
– J’espère, arriva-t-il à sourire. Bonne chance.
– Toi aussi, t’as intérêt à être de nouveau sur tes jambes quand je reviendrais ! Et Dedue ! Il se tourna vers le duscurien, même s’il se doutait qu’il ne comprendrait pas grand-chose à ce qu’il disait. S’il recommence à parler tout seul ou à fixer quelque chose qui n’existe pas, tu lui fais cracher le morceau ! D’accord ?
– Félix ! Tenta de le reprendre le blond avant de se faire couper par le magicien.
– J’ai pas le temps de m’inquiéter pour ça aussi alors, tu avoues quand ça arrive, on gagnera du temps et on pourra comprendre ce qui se passe avec toi ! Donc, tu le surveilles ! D’accord Dedue ?
Ce dernier répondit dans sa langue mais, à sa tête, il avait compris le gros du message. Dimitri grimaça un peu mais, souhaita encore bon voyage à son ami, alors que Félix rejoignait Cassandra pour rentrer à Egua, après que son père lui ait confier leur Relique. Elle le fit monter devant elle, puis le petit groupe s’élança dans les airs.
C’était une sensation étrange de voler… c’était un peu comme être dans l’eau mais, à cheval… et il devait faire confiance à ce cheval pour ne pas tomber, contrairement au lac où il flottait sans effort, bien protéger par l’onde et son ancêtre… enfin, là, c’était Cassandra qui le tenait, ça devrait aller normalement…
Au bout d’un moment, il jeta un œil vers le sol quand il entendit le bruit d’un groupe de chevaux au galop, en alerte mais, releva vite les yeux en voyant le paysage défilé. C’était aussi bizarre comme air… il bougeait à peine mais, il avait l’impression d’être essoufflé…
« Évite de regarder en bas au début, ça t’évitera d’avoir le vertige, surtout que tu n’es pas habitué à respirer à une telle altitude, lui recommanda la cavalière. Le premier jour, c’est le plus dur !
– D’accord… mais, c’était quoi ?
– Un groupe d’une cinquantaine de cavalier qui semble venir de Galatéa on dirait mais, ils ont l’air d’avoir les couleurs de Blaiddyd sur eux. Ma main au feu, c’est des agents de Rufus qui sont aller leur réclamer de la nourriture !
– À Galatéa ?
– Ouais, on sait, ils sont aussi venus chez nous quand tu étais malade mais, ils ont fait demi-tour quand Dimitri leur a interdit de nous voler quoi que ce soit. Enfin, ils ont l’air de repartir les mains vides alors, espérons que les galatéeins ont su soit leur faire entendre raison, soit les repousser !
– D’accord… c’est quand qu’on arrive ?
– Dans cinq jours et ne me rabâche pas ça sur tout le trajet ! La prévient-t-elle tout de suite. Plus tu demanderas, moins ça arrivera vite !
Ne pouvant pas faire grand-chose à part attendre, Félix se cala un peu plus confortablement sur la selle, pensant à sa maison. Il rentrait enfin chez lui… l’image du lac, de la forteresse, le visage des gens d’Egua, la cuisine de Margot, l’odeur d’eau omniprésente, l’impression de sécurité… tout lui revenait en mémoire, comme ramené par les vagues sur la plage… il s’était à peine rendu compte qu’Egua lui manquait autant… pas autant que son père et son oncle mais, c’était un gros manque quand même…
« Ça fait longtemps aussi que je n’ai pas vu maman… et Glenn… »
Il ravala sa bile en pensant à la réaction de son grand frère s’il avait vu tout ça… il espérait qu’il n’était pas trop en colère…
Inconsciemment, le jeune garçon posa sa main sur la poche intérieure de sa veste, contenant l’éperon de Glenn, la dernière lettre de son père, celle de son oncle et celle qu’il avait reçu de Sylvain pendant qu’il était malade.
« Góðan daginn Félix,
J’espère que tu vas bien ! Je sais que je réponds avec des semaines de retard mais, je rentre à peine du Grand Thing.
En tout cas, j’ai lu toutes tes lettres et tu m’étonnes que tu sois inquiet si tu ne reçois plus de lettre de Rodrigue ! N’essaye même pas de me mentir, je sais que tu t’inquiètes pour lui, je te connais mieux que ça. T’essayes d’hurler très fort que tu es en colère contre lui à cause de ce qui s’est passé mais, même avec des jours de voyages et de l’encre et du papier à la place de ta tête, on sent à chaque mot que tu t’inquiètes beaucoup pour ton père. Honnêtement, vu les derniers évènements (dont je suis au courant si les nouvelles n’ont pas trop de retard – merci les routes enneigées et les tempêtes de neige) c’est normal de s’en faire et même s’il est surchargé de travail, ce n’est pas son genre d’arrêter d’écrire du jour au lendemain, surtout pour toi.
Je ne sais pas trop quoi te dire à part de commencer par être honnête envers toi-même. Si tu continues à nier ce que tu ressens comme dans tes lettres, ça va juste exploser au bout d’un moment et ce ne sera jamais au bon moment. Alors, assumer pourrait être un bon début, même si c’est dur. C’est peut-être sans trop de rapport mais, pendant le thing, je me sentais toujours mieux quand j’assumais mes propres convictions, j’arrivais bien mieux à argumenter et à avancer quand je défendais quelque chose en quoi je croyais. Tu devrais essayer d’appliquer cette logique avec ce que tu ressens. Quand t’auras commencé à assumer, tu pourras comprendre ce que tu ressens plus facilement, et ce sera plus facile d’agir en fonction de ça.
Enfin, encore une fois, c’est mon avis, tu en fais ce que tu veux.
… »
La suite, c’était sur tout le reste de ce que Félix disait dans ses autres lettres. Lui aussi, il lui disait d’assumer…
« Je vais essayer… même si je ne garantis rien… au moins, ce sera déjà ça… »
*
Les fermiers travaillaient dans les champs comme ils pouvaient, mâchonnant des galettes d’argile crue pour occuper leurs dents et oublier leur faim, quand un groupe de personnes étranges arrivèrent. Ils étaient habillés tout en noir avec un grand chapeau ou une capuche, comme les mages royaux. Cela se confirma quand ils présentèrent un document officiel. Bon, il n’y en avait pas beaucoup parmi eux qui savaient lire mais, c’était écrit sur le long côté avec un gros sceau décoré de l’emblème des Blaiddyd, ainsi que le monographe du roi, celui qui était sur tous les documents officiels et les affiches de la capitale, ça devait un vrai…
« Nous sommes à la recherche de deux loups noirs avec des yeux bleus et une taille inhabituellement grande. Ils se déplacent sans meute.
– Hum… ça ne me dit rien…
– Moi non plus…
– Je crois que je les ai vus ! S’exclama le berger.
– Vraiment ? Et où est-ce qu’ils étaient ? Demanda celui avec un œil brodé sous l’emblème du roi sur son habit.
– Ils sont sortis à l’orée de la forêt, là-bas, vers les pâturages du côté du soleil levant. J’ai eu peur qu’ils viennent pour manger un mouton mais, ils ont juste levé les oreilles avant de faire demi-tour.
– Aaahhh… oui ! Tu nous en avais parlé ! Dit un paysan en s’appuyant sur son outil de travail. Tu les trouvais bizarres ces deux-là…
– Ouais. Je crois que c’était leurs yeux… ils semblaient vraiment humains… un peu comme les loups de cendre… je les ai pris pour ça d’ailleurs… mais pourquoi vous les chercher ? Ils semblaient pas vouloir approcher du village…
– Y a aussi des rumeurs que des loups comme ça auraient sauvé plusieurs personnes sur leur chemin… ils n’ont pas l’air méchant…
– Parce que vous avez eu de la chance, on les soupçonne d’être des mangeurs d’hommes ou des animaux anormaux. L’un d’eux a déjà attaqué des humains et l’autre pourrait lancer des éclairs. Nous avons pour ordre de les capturer afin de les étudier, au moins pour savoir comment ils ont pu devenir aussi grand. Faites passer le mot à vos voisins de ne pas les approcher dans tous les cas. »
Les magiciens partirent dès qu’ils surent dans quelle direction aller, en silence, disparaissant comme ils étaient apparus.
« Les inférieurs sont tellement bêtes… marmonna l’un des enquêteurs en jetant un regard derrière eux.
– Cela nous arrange matricule 951. Plus vite on les retrouvera, plus vite nous pourrions étudier les mécanismes de la transformation… Matricule 951 vit son chef Myson sourire, ravi d’avance. J’ai hâte de tester leurs résistances avec l’emblème. En plus, avec de vrais jumeaux, les expériences sont toujours intéressantes pour voir ce qui est dû au hasard et ce qui est dû à l’intervention agarthaise… il faudra également que je compare le cobaye qu’on a récupéré à Duscur avec son géniteur, histoire de mieux cerner pourquoi la progéniture n’a pas eu d’emblème et les différences avec le parent à emblème dû à l’emblème, tout en ayant un point d’appui non-magicien avec son frère. Il faudra également qu’on mette la main sur l’échantillon avec l’emblème majeur mais, si on a son géniteur et un membre de sa lignée, l’emblème majeur devrait tomber facilement dans nos filets.
– Les inférieurs sont grégaires, surtout avec ceux qui partagent leur sang… fit observer l’ouvrier.
– En effet, et on dirait que nos deux futurs cobayes ont changé de cap, leur cible doit se déplacer. Fascinant… mouhouhahah… j’ai tellement hâte de tous les étudier sous toutes les coutures ! Dépêchons-nous de les retrouver tous ! »
*
Au bout de quelques jours, le groupe de pégase se posa enfin à Egua. Félix sauta tout de suite de la selle, bien content de retrouver la terre ferme, vite suivit par Cassandra. Même en ville, une odeur aqueuse s’infiltra en lui, coulant dans son nez et sa poitrine. Ça sentait bon la brise et l’eau du lac… il voulait tellement se jeter dans le lac… enfin, il y avait plus important à faire avant.
Loréa les accueillit avec un sourire, soulagée de les voir. Sans hésiter, la femme le prit dans ses bras, lui faisant un gros câlin en passant sa main dans ses cheveux. Même s’il hésita au début, Félix lui rendit le geste, retrouvant le parfum rassurant de la lavande séchée s’échappant de la pomme d’ambre à sa ceinture. C’était la fille de Nicola après tout, c’était aussi sa famille, il pouvait bien le faire.
« Félix… je suis contente que tu sois de retour, même si j’aurais préféré que ce soit dans de meilleures circonstances…
– … moi aussi Loréa… mais où sont mon père et mon oncle ?
– Je l’ignore, avoua-t-elle avec dépit, sachant que c’était inutile de lui mentir. Nous avons pratiquement perdu tous contact avec Fhirdiad. Certaines de nos missives reviennent mais, il est clair que plusieurs ont été retenues à la capitale.
– Ils retiennent les lettres ? Hum… ils m’ont envoyé une fausse lettre en disant que c’était mon père qui l’avait écrit, à toi aussi ?
Le visage sombre et grave de la femme fut une réponse en soit, cette dernière confirmant avec un hochement de tête.
– Oui… nous avons reçu plusieurs faux qui tentaient d’imiter l’écriture de Rodrigue et d’Alix, ce qui nous pousse encore plus à la méfiance.
– Ici aussi ?! Il faut vite aller les chercher à Fhiridiad alors ! Rufus déteste mon père et Alix car, ils sont plus compétents que lui et son crétin de frère ! Qui sait ce qu’ils sont en train de leur faire ! Il faut aller les chercher !
– Je ne pense pas que ce soit la meilleure des idées de se précipiter ainsi, commença Loréa avant de noter en le voyant ouvrir la bouche. Laisse-moi finir Félix. Nous n’avons plus aucune nouvelle ni de l’un, ni de l’autre, et si j’ai bien compris grâce à une missive du capitaine Drake ainsi qu’aux lettres qu’arrivent à faire passer sous le manteau la capitaine Duchesne et l’adjudant Parjean grâce aux marchands, quelqu’un à la capitale a surement volé les lettres que tu envoyais à Rodrigue, comme celle d’Alix. C’est étrange et inquiétant, ce qui a poussé Alix a allé voir directement à Fhirdiad ce qui s’y passait, et il n’est pas revenu. Je sais comme toi que Rufus haït les jumeaux du plus profond de son âme depuis toujours, autant par jalousie de leur compétence que par rancune contre son père mais…
– Raison de plus pour aller là-bas ! S’exclama-t-il avec force, pointant dans la direction de Fhirdiad, mort d’inquiétude. Rufus a déjà tué quelqu’un pour les menacer et dire que tous ceux qui ne lui disent pas « amen » subiront le même sort ! Il a massacré quelqu’un qui a juste dit la vérité que Duscur, c’était la pire connerie de toute l’histoire de Faerghus ! Ils sont les prochains sur sa liste !
– Justement ! Réfléchit Félix ! Le coupa-t-elle à son tour en posant ses mains sur ses épaules. S’il les retient bien à Fhirdiad, sadique comme le gamin attardé qu’il est, Rufus va vouloir tout leur prendre et leur faire du mal. Eux, ils peuvent encaisser, on le sait tous mais, il y a un moyen de les faire craquer et accepter de faire tout ce que veut Rufus, même le plus absurde et dangereux…
Félix se figea avant de dire, trop conscient de cette vérité.
– C’est moi… c’est moi leur faiblesse…
Un frisson glacial remonta le long de son échine alors qu’il repensait à l’exécution d’Acace, la peur dans le regard de son père après ce massacre alors qu’il décidait de le renvoyer chez eux… le départ de leur dispute alors que Félix refusait de le laisser tout seul et voulait qu’il rentre avec lui…
« Il est toujours comme ça… il fait toujours passer les autres avant lui… même quand il est malade et en danger… même si on pourrait lui couper la tête… c’est toujours le bouclier des autres… et Alix est pas forcément mieux… lui, il fonce tout le temps comme une flèche mais, il cherche toujours à protéger les autres… il est juste plus sélectif… alors… et moi, j’ai… je n’ai même pas pensé à le protéger alors que j’allais bien… je voulais rester, même si ça le mettait lui en danger… et à cause de ça, j’ai… idiot… idiot… idiot… »
– Eh, Félix. Je ne sais pas à quoi tu penses mais, si tu te dis que c’est ta faute, quelque chose comme ça ou quoi que ce soit vis-à-vis de Rodrigue et Alix, enlève-toi ça de la tête, le reprit Cassandra avec un petit coup sur son front. C’est normal que ton père s’en fasse pour toi et essaye de te protéger, pareil pour ton oncle. Ils t’aiment et c’est normal dans une famille saine de vouloir se protéger les uns les autres. En plus, les seuls responsables de tout ça, c’est Lambert et Rufus, personne d’autre. Alors, ne fait pas une Dimitri quand il se blâme de tout, c’est clairement pas ta faute.
Félix hocha la tête, demandant en se tournant vers Loréa.
– Qu’est-ce qu’on peut faire ?
– Pour le moment, pas grand-chose, j’en ai peur. Nous essayons de regrouper des soutiens, et louez soit la bonne gestion de ta famille, le fief est assez uni derrière vous. Beaucoup d’entre nous sont redevables aux jumeaux et même par calcul, c’est plus rentable pour les vassaux d’aider une personne qui les a toujours soutenus, protégé et dont ils dépendent, que quelqu’un qui se fiche de ses subordonnés. Je n’ai honnêtement aucune idée de jusqu’où cela pourra aller mais, c’est notre seule solution pour au moins résister aux vols intempestifs de Rufus. Donc pour toi, à part attendre, il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire.
– Mais je veux t’aider ! Je ne peux pas rester les bras croisés alors que mon père et Alix sont là-bas ! Je peux le faire ! Les jumeaux ont fait leur premier plaid quand ils avaient huit ans pour aider leur mère Aliénor ! T’es la mieux placer pour le savoir ! Je peux le faire aussi et t’aider !
– Je comprends que ce soit frustrant et que tu ais très envie de nous aider, ce dont je te remercie mais, il n’y a vraiment rien que tu puisses faire pour le moment. La seule chose que tu pourrais faire, c’est que te voir pourrait encourager des seigneurs réticents ou peu sûr de rester fidèles à ta famille à rester de notre côté. Après tout… maintenant que les jumeaux sont portés disparus, c’est toi le duc en titre, jusqu’à ce qu’on les retrouve au moins… même s’ils ne souhaiteraient pas que tu ais autant de responsabilités qu’eux aussi jeune…
– C’est eux les ducs, pas moi, et ils le seront encore très longtemps, répliqua-t-il avant d’ajouter, faisant tout pour oublier leur galerie de portrait. Eux, ils vivront très vieux, tu verras… Enfin, si ça peut aider Egua, je le ferais. Juste… je veux aider à les retrouver.
– Bien sûr, je te le dirais sans faute. Merci beaucoup en tout cas Félix. Et merci à vous aussi de l’avoir ramené à Egua et protégé jusqu’ici, ajouta-t-elle en regardant Cassandra. Au nom de la famille Fraldarius qui est celle de mes seigneurs, mais également de ma propre famille, celle des Terrail qui est liée à celle de mes seigneurs depuis mon père Nicola, je ne peux qu’exprimer toute notre gratitude.
– C’est normal, déclara simplement Cassandra, avant de dire plus solennellement. Les Charon ont toujours été des amis et des alliés des Fraldarius, et c’est un devoir et normal de s’entre-aider en ces temps difficiles. Mon père, qui assure la fonction comtale le temps qu’on élise la nouvelle comtesse, m’a chargé de veiller sur lui le temps que cette histoire se termine.
– Je voie, nous vous sommes reconnaissants de ce soutien fort, ajouta Loréa.
– En plus, ajouta-t-elle en ressortant du protocole, même si c’est un petit chat qui fait souvent le grand dos et qui crache, il n’est pas désagréable.
– Nous sommes bien d’accord, arriva à sourire Loréa. Merci encore.
Félix ne prit pas le temps de grogner à Cassandra, étant libéré par Loréa. Il embrassa Margot qui leur apporta de quoi manger et se reposer après un voyage aussi rude dans les airs. Cela fit un peu sourire les chevalières mais, le petit garçon but d’une traite son verre, se resservit même plusieurs fois, savourant bien plus l’eau du lac que la nourriture de chez lui. Il n’y avait plus un arrière-gout de vase, juste celui de l’onde claire et pure, pleine d’arôme frais et minéral… Elle lui avait tellement manqué elle aussi… même s’il retrouva aussi avec plaisir le pain frais de Margot…
N'ayant pas grand-chose à faire sur le moment, Félix sauta de son banc et alla réexplorer sa maison. Il déambula dans les couloirs, retrouvant des souvenirs à chaque recoin. Il revoyait de trop longue après-midi d’hiver où il ne pouvait pas sortir, courant au final dans les couloirs avec Glenn pour passer le temps, avant de se mettre tous ensemble au coin du feu, dans une pièce douillette, couverte de tapisseries et de tapis afin de garder la chaleur, un livre ou un travail de couture, souvent une chanson berçant l’atmosphère…
« Eh ! Félix ! Tu viens ?!
– J’arrive Glenn ! Attends-moi ! »
« Louveteau ! Où est-ce que tu coures ?
– J’ai fini mes devoirs ! Je vais nager !
– D’accord ! Fais attention à toi !
– …et ne renverse personne dans ta course louveteau !
– D’accord ! Et oui, je sais Alix ! Je reviens pour le diner ! A tout à l’heure papa ! »
Le jeune garçon se força à ne pas penser à tout ça… ça faisait trop mal sans la colère pour les repousser et se dire que c’était que des mensonges… il osa à peine retourner dans sa chambre, juste à côté de celle de son frère et tout près de celle de son oncle et de ses parents…
Il déambulait dans les couloirs quand il arriva devant la grande salle seigneuriale, fermé en l’absence de seigneur pour recevoir les doléances d’Egua ou des vassaux de sa famille… Félix hésita un peu… puis posa la main sur la poignée et la tira pour entrer.
Dès qu’il rentra, il vit la chaire ducale de son père, soigneusement sculptée avec des motifs de loup et de flots, avec la chaise d’Alix, juste en-dessous de leur blason, un loup assit hurlant à la lune où était gravé leur emblème, faisant face à un banc où pouvait s’asseoir une personne venant porter une doléance. Pile en face, au-dessus de la porte, il y avait les portraits de Guillaume et Aliénor, veillant sur la pièce et les deux sièges. Les jumeaux disaient que cela leur donnait l’impression que leurs parents étaient toujours à leurs côtés de les voir ainsi…
Timidement, le louveteau s’approcha de l’ouvrage en bois d’orme, assez solide pour faire un bateau, passa sa main sur l’un des accoudoirs… Rodrigue le laissait souvent rester avec lui pendant les séances de doléances, Félix l’écoutant attentivement et donnant son avis quand il comprenait un peu ce qui se passait, son père lui souriant ou le corrigeant selon ce qu’il disait… quand il était encore assez petit, son père le prenait même sur ses genoux, l’enveloppant dans sa cape pour le protéger du froid, le laissant parfois s’endormir dans son étreinte… le jeune garçon manquait souvent de patience avec tout ça, autant les doléances que l’administration mais, quand Rodrigue arrivait toujours à le convaincre de continuer à étudier tout ça.
« Il s’agit de notre fief et de nos sujets, des personnes qui dépendent de nous pour leur sécurité. C’est notre devoir en tant que seigneur de les protéger et de faire en sorte que leur vie soit meilleure chaque jour. Si la Déesse nous a confié Aegis, le seul bouclier parmi ses Reliques, c’est afin que nous protégions notre peuple de toutes nos forces, mais aussi notre famille… »
« Papa… il posa sa tête contre le bois. Tu l’as toujours fait toi… comment tu fais ? Comment tu as fait ? Tu m’étonnes que tu ais craqué après tout ce que tu as dû supporter… »
« Miaou… rrrroooonnnn… rrrooonn…
Félix se tourna et vit une énorme boule de poil se frotter contre ses jambes en ronronnant.
– Glaïeul…
Il se baissa pour le caresser, la chatte ronronnant sous ses mains en frottant son museau tout doux contre lui. Ça faisait du bien de la revoir aussi… c’était une des petites de Fleurette alors, c’était un peu sa mère aussi… Rodrigue racontait souvent que quand Félicia avait réussi à convaincre Aliénor de la laisser épouser son fils, cette dernière avait commencé à parler de chats avec elle afin de signifier son accord en partant sur un sujet plus léger. Sa mère était bien tombée pour son mariage, tout le monde aimait les chats dans leur famille…
« Ce qu’on aime pas, c’est plutôt les chiens… surtout ceux comme… »
Il dut se crisper et faire une caresse de travers car, Glaïeul cracha un peu et s’en alla, la queue haute et l’air un peu hautain. Félix le suivit, ne voulant pas que le chat s’en aille mais, il fila se réfugier dans la chambre de ses parents, se faufilant par la chatière ouverte.
Cette fois, le jeune garçon n’osa pas tendre la main vers la poignée, même s’il était rentré des milliers de fois dans la chambre de Rodrigue, n’osant plus le faire tant qu’il ne s’était pas encore excusé…
« En plus… ça ne sert à rien… papa n’est pas là… il n’est plus là… comme Glenn n’est plus là… … … s’il te plait papa… Alix… revenez tous les deux… »
*
Après avoir enfin semé une nouvelle les mages puants, Rodrigue et Alix s’installèrent dans une grotte afin de passer la nuit, après avoir tué l’ours qui s’y trouvait pour leur repas du soir.
« On se rapproche de plus en plus… songea Rodrigue, le cœur prêt à débordé d’espoir.
– Oui, encore quelques jours, et on retrouvera le louveteau ! Surtout qu’il est à la maison maintenant ! Ajouta avec force Alix en déchirant un bout de viande, évitant la peau et les poils avant d’avaler la chair en se léchant les babines.
– Il faudra que j’attrape un faisan quand nous serons tout près de mon petit, » ajouta le père en grignotant sa part coincée entre ses pattes. Il ajouta en voyant l’étonnement dans les oreilles et les traits de son frère. « C’est son plat préféré, je voudrais lui en apporter un après être resté aussi longtemps loin de lui… j’ai tellement de choses à lui dire après l’avoir laissé tout seul aussi longtemps… je sais à peine par où commencer…
– Je comprends… il se pressa contre le flanc de son frère, le soutenant par ses gestes. On lui attrapera le plus gros et le plus gras des faisans de toute la forêt, il va se régaler… et tu vas voir, même si on ne l’a pas, je suis sûr qu’il sera très content de te revoir…
Rodrigue hocha la tête, avant de se lever, regardant la lune brillant de mille feux dans le ciel. À nouveau, il se mit à chanter, priant pour qu’elle porte sa berceuse à son petit, jurant encore et encore.
« Je vais revenir, c’est promis… c’est promis mon petit, je vais bientôt te retrouver… je ne te laisserais plus tout seul, c’est promis… »
Enroulé dans ses couvertures, incapable de s’endormir à nouveau dans sa propre maison maintenant que les jumeaux n’étaient plus là, Félix se tourna et se retourna, cherchant le sommeil.
Se déplaçant dans le ciel, un rayon de lune finit par l’atteindre, inondant toute sa chambre avec sa lueur, comme si quelqu’un avec une chandelle venait d’ouvrir la porte pour vérifier s’il dormait bien. Le jeune garçon sentit un baiser lui effleurer le front, l’endormant en douceur alors qu’il était bercé par la voix de son père…
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lilias42 · 1 year
Text
Acte 3 de "Tout ce que je veux, c'est te revoir..."
Et c'est déjà l'acte 3 ! Ah bah Déesse, je pensais pas que ce serait aussi long ! Mais bon, y a plusieurs intrigues qui se sont mêlés à tout ça donc, au lieu des 3 parties que je pensais faire à la base, il y en aura 4 et jurer, cette fois, il ne devrait pas y avoir de prolongations, ce sera bien la dernière (qui sera affectueusement nommé "les retours de bâtons dans la gueule" vu que c'est à ça qu'elle sert en gros).
Cette partie fait donc suite à ce billet et son reblog et comme lui, il sera divisé en deux parties par manque de place, seconde partie qui passera en reblog.
On reprend juste après le craquage et la transformation de Rodrigue avec ses conséquences.
Comme pour les billets précédents : fans de Lambert, passer votre chemin, cette histoire ne sera pas tendre avec lui car, il mérite à force. Cet avertissement s'applique aussi aux fans de Rufus et de Gustave.
« Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhh !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Alix se plia au sol, hurlant de douleur ou pas ou quelque chose ! Sa tête était sur le point d’exploser ! Il était arrivé quelque chose à Rodrigue ! Il avait senti une sorte d’explosion dans sa poitrine et son cœur puis, tout son corps avait comme fondu pour se reconstruire autrement ! C’était tellement étrange ! ça faisait mal et bien à la fois ! Rodrigue !
« Rodrigue ! Qu’est-ce qui t’arrive ?! Dits-le-moi ! Hurla-t-il malgré le fait qu’il sache qu’il n’avait plus de nouvelles depuis des mois. Rodrigue ! »
« Alix ! Alix ! Calme-toi ! Respire !
– Il faut que je le rejoigne ! Il est mal ! Il a mal ! Je le sens ! Quelque chose lui est arrivé ! C’est ce chien idiot ! Je le sais ! Je le sens ! Mon frère est…
Il sentit d’un coup deux mains pratiquement lui claqué le visage, le calmant un peu en le raccrochant à ce qu’il avait pile devant les yeux plutôt que dans le fond de sa tête. Des cheveux bruns-roux brûlés attachés en tresse tout autour de sa tête… des yeux verts… une femme de son âge… elle le regardait droit dans les yeux… ces mains claquées sur ses joues…
– Loréa…
– Oui, c’est moi. Concentre-toi sur ce que tu as autour de toi plutôt que ce que t’envoie Rodrigue pour te calmer. Ça ne l’aidera pas s’il sent aussi à quel point tu paniques… souffle un grand coup.
Alix obéit en essayant de se concentrer sur ce que lui percevait de son environnement, l’odeur d’encre et de papier, le parfum s’échappant de la pomme d’ambre de Loréa, l’humidité ambiante qui était une bénédiction pour eux, le reste d’eau qui ruisselait sur les murs de la forteresse après la pluie… inspirer… expirer… l’angoisse et la peur étaient souvent les émotions les plus contagieuses entre eux et même s’il n’avait aucune idée d’où ou comment était son frère, Rodrigue n’en avait surement pas besoin de plus et lui non plus…
– Mieux ? Finit par demander Loréa.
– Oui… on va dire… je suis dans ma tête plutôt que dans la sienne.
– Bon point. Tu peux m’expliquer ce qui vient de t’arriver ? La dernière fois que j’ai vu un de vous deux comme ça, c’était quand tu t’étais cassé une jambe. Rodrigue a eu mal au même endroit et était aussi frustré que toi.
– C’est contagieux entre nous… c’est assez flou mais, je l’ai senti péter une rêne après avoir reçu un coup en plein cœur… il précisa en voyant l’horreur se graver sur le visage de la fille de Nicola. Métaphorique le coup mais, un coup au moral en ce moment, ça fait tout aussi mal. Ça allait pourtant un peu mieux ce matin… mais tout c’est dégradé d’un coup ! Puis ça a fait très mal et tout était noyé dans ça. Même s’il semblait très soulagé aussi, quelque chose a également beaucoup changé en lui… mais je ne sais pas trop quoi….
– Et maintenant ? Tu le sens comment ?
– Étrange… il est soulagé mais, c’est comme… y a quelque chose qui ne va pas… je n’arrive pas à identifier quoi… en tout cas, il n’a qu’une idée dans la tête : retrouver Félix et rentrer à la maison avec lui.
– Bon, au moins, il est fidèle à lui-même. Tu m’aurais dit qu’il ne voulait pas vous retrouver et partir loin de vous, je me serais encore plus inquiété que je ne le fais déjà, répliqua-t-elle.
– Oui… c’est déjà ça mais, je sens que quelque chose cloche. Il faut que j’aille à Fhirdiad pour en avoir le cœur net ! Mais je ne peux pas non plus abandonner notre fief comme ça ! Et Déesse… qu’est-ce que je vais pouvoir dire à Félix ?! Déjà que lui aussi n’a plus de nouvelle, il doit déjà s’inquiéter comme pas possible !
– C’est clair que c’est étrange. En tout cas, pour le fief, je peux m’en occuper à la place de mon père. On a aussi des personnes de confiance au fort et ma famille est ici alors, ça va. Par contre, il ne faut surtout pas que tu partes d’un coup à Fhirdiad sans préparation.
– Oui, mieux vaut bien se préparer… et prendre quelqu’un capable de me contenir un peu, histoire que je n’extorque pas à Lambert des aveux si ça continue comme ça…
– C’est sûr. On devrait trouver ça, et Estelle et Bernard sont aussi à la capitale donc, s’ils ne sont pas eux-mêmes énervés, ça devrait le faire. Pour Félix par contre…
– Mieux vaut éviter de le rappeler ici tout de suite en catastrophe… je sais qu’il est arrivé quelque chose à Rodrigue, mais pas quoi, c’est le pire, surtout qu’il n’était pas bien depuis longtemps… il est trop petit et doit suffisamment s’en faire comme ça… en plus, si Rodrigue le cherche, il va aller le chercher à Lokris en premier. Vu que nos lettres disparaissent, mieux vaut éviter de compter sur une information qui arrive à l’heure. En plus, les Charon sont nos alliés et sont aussi remontés que nous envers Lambert, ils ne devraient rien lui faire. Si ça se dégrade encore par contre, on le rappellera à la maison.
– Je pense aussi. En tout cas, ça me semble tenir. Si tu ne reviens pas et qu’on n’a plus de nouvelle de ta main ou celle de Rodrigue pendant plus d’une semaine, on envoie des hommes d’armes pour venir vous chercher.
– Ça me va. En tout cas, en attendant, quand on ne sera pas là, qu’importe ce que te dis Rufus ou ses toutous, si on vient te voir pour te quémander quelque chose, dit leur d’aller se faire foutre de ma part. C’est mes ordres, pas tes propres décisions et je suis ton seigneur lige, tu me dois obéissance en premier lieu. Si quelqu’un doit passer avant, c’est le roi en personne, pas le régent ou ses chiens.
– Pas de problème, je pense que pas grand monde sera contre pour désobéir, encore plus s’ils reviennent réclamer notre réserve loogienne… en tout cas, elle posa sa main sur son épaule, on ne va pas te lâcher mais, fait attention à toi. On ne sait pas ce que Rufus nous réserve…
– Je sais… souffla-t-il en sentant Rodrigue se sentir à la fois libre, soulagé, anxieux et mort de peur pour eux. Déesse, qu’est-ce qui t’arrive pour ressentir tout ça… fait attention mon frère… »
Quand il se coucha le soir, Alix se crut dans la tête de son jumeau. Il se glissait sous un couloir de feuilles, les épines le protégeant des chaines et des colliers, regardant les étoiles qui éclairaient sa nuit, la lune et l’Astre Céruléen recevant ses prières… les siennes aussi… il voulait juste les retrouver… lui aussi… il courrait les rejoindre… lui aussi… de la magie courant dans ses veines… qui arrivait dans les siennes…
Des petites plaies de magie s’ouvrirent tout autour de son cœur…
*
Ivy ne comprenait rien. Oswald et elle avaient grimpé en vitesse les escaliers quand ils avaient entendu des éclats de dispute dans la chambre du roi, puis des hurlements humains devenant de plus en plus bestiaux, hurlé avec la voix de Rodrigue. Elle avait pratiquement défoncé la porte d’un coup d’épaule mais, au lieu de découvrir son ami, un immense loup noir comme la nuit et aux yeux bleus se tenait à sa place. Il était bien moins grand que les loups géants mais, il faisait tout de même la taille d’un homme adulte qui avait été envoyé à quatre pattes et dans des proportions lupines. Il l’avait fixé avec ses yeux trop humain puis, avait filé en vitesse, s’enfuyant loin de cet enfer…
« Capitaine… Ivyyyy… »
Noce passa sa tête contre la sienne, comprenant surement autant qu’elle, encore sous le choc de ce qu’elle venait de voir. Elle repéra un tas de vêtement bleu au sol, s’approcha en essayant de mettre les évènements en ordre dans sa tête. La cape était brodée aux armes des Fraldarius, avec des loups tout autour du col, une doublure de fourrure bien chaude… la marin avait arrêté de compter le nombre de fois où elle avait vu Rodrigue enveloppé ses fils à l’intérieur quand ils étaient tout petit… Félicia toute fière d’être arrivé à coudre et broder aussi bien que sa belle-mère, confectionnant aussi les vêtements de sa famille elle-même d’abord avec Aliénor, puis avec le reste de sa famille, tous ensemble au coin du feu. Aucun doute, c’était son travail…
La seule chose qui manquait, c’était le chapelet dont Rodrigue ne se séparait jamais mais, elle savait où il était… elle l’avait vu enroulé autour de la patte droite du loup… comme toujours…
L’incrédulité faisant place à la rage, elle se releva, fixant Lambert qui avait l’audace de se dire roi, puis lui montra les vêtements qu’elle empoignait, lui ordonnant de répondre comme si c’était son pire ennemi. Il avait osé faire souffrir Rodrigue ! Il avait osé faire souffrir son ami et l’homme qu’avait aimé Félicia ! Hors de question de ressentir la moindre pitié envers lui !
« Toi… qu’est-ce que tu lui as fait subir pour que Rodrigue se transforme en loup rat de calle ! Vous trois, les toisa-t-elle tous, qu’est-ce que vous lui avez fait ?!
– Je… je ne sais pas ! » Bégaya Lambert, tout aussi perdu qu’elle et par pitié, déesse, qu’on la laisse l’étrangler ce crétin ! « Il nous a demandés à rentrer chez lui mais, on lui a dit que ce serait mieux pour tout le monde s’il restait, il a commencé à crier et à s’énerver, puis sa magie a explosé en lui et il s’est transformé !
– Tu te fous de moi ?! Tu allais lui refuser même ça ?! Il est en train de crever et toi, tu ne lui donnes même pas de vacances ?! Tu m’étonnes qu’il pète une amarre ! T’es le pire patron du monde ! Même le comte de Gloucester traite mieux ses employés !
– Q… quoi ?! Il m’a dit qu’il était très malade alors, je lui ai dit qu’il pouvait rester ici pour se reposer et se rétablir… qu’Alix pourrait venir et que Félix reviendrait ici en même temps que Dimitri… j’avoue, je n’avais pas envie qu’il parte aussi… je lui fais confiance…
– Oh… pauvre biquet, ton « « « ami » » » est littéralement en train de crever de surmenage et à cause de sa magie en surcharge, et c’est pas aidé par sa dépression car on lui a arraché sa famille et toi, tu penses à ce que tu veux pour toi en premier ! Bravo ! Ami de l’année ! On est fier de toi Lambert ! Cracha Ivy, hors d’elle.
– Dame Drake… commença à menacer Gustave en l’entendant engueuler son petit roi-enfant dans le corps d’un adulte.
– Toi, tu la fermes ! Le coupa-t-elle tout de suite. Je sais que tu étais dans les premiers à le surcharger et à ignorer son état de santé ! Autant toi que l’autre connard ! C’est pas le moment pour la langue de bois ! Vous venez de transformer quelqu’un en loup je vous signale ! Y a quelqu’un avec plus d’une fraction d’esprit qui fonctionne dans cette baraque ou le seul qui réfléchissait pour tout le monde vient de se tirer en courant à quatre pattes ?!
– Elle a raison Capitaine Dominic, intervient Oswald, grave et sévère, serrant sa main. Il mérite qu’on lui dise les choses en face. Ce n’est plus un enfant qu’on dorlote, c’est un adulte, un roi et un père qu’il faut savoir rappeler à l’ordre. Bon, pour commencer, qu’est-ce que vous savez de la situation hors de cette pièce ?
– Je… je sais qu’elle est très difficile et que c’est compliqué d’approvisionner la capitale mais, on arrive à trouver de quoi nourrir tout le monde dans les autres fiefs du Royaume mais, qu’il faut qu’on fasse un accord commercial avec vous car, ce n’est pas tenable autrement… je ne sais pas trop sinon… tout avait l’air d’aller bien jusqu’à aujourd’hui.
– Et qui vous tient informez ?
– Et bien Rufus, Gustave et Rodrigue surtout, répondit Lambert, penaud et ne comprenant visiblement rien à la situation.
– Je voie. J’entends que votre état de santé n’aide vraiment pas mais, vous ignorez visiblement ce qui se passe dans votre propre maison, alors dans votre Royaume… enfin, je vous engueulerais bien moi-même de mon côté mais bon, il y a plus urgent. Pour Rodrigue, je ne saurais que trop vous conseiller d’agir avant qu’un chasseur ne lui tombe dessus. Aussi cru que cela soit à dire, une fourrure aussi belle que la sienne et de cette taille se vendrait une fortune, ce que personne ne boudera étant donné l’état de votre royaume.
– On ne vous demande pas votre avis les derdriens, gronda Rufus en les criblant du regard, comme si quelqu’un comme lui pouvait être menaçant pour qui que ce soit s’il n’avait pas le pouvoir.
– Je ne vous demande pas le vôtre non plus, répliqua Oswald sans être impressionné. De plus, c’est seulement du bon sens. Alix a surement senti ce qui est arrivé à son frère, et il sera certainement furieux s’il garde la raison. Quant à leurs hommes ou les habitants de leur fief, ils seront sans doute dans tous leurs états s’ils apprennent ce qui est arrivé à leur duc, et c’est la meilleure option possible. L’autre, c’est qu’ils sortent les fourches pour venir vous demander une explication eux-mêmes. Avec ceci, son fils et le vôtre ne vont surement pas comprendre, quand ils vont le voir arriver sous la forme d’un loup pour récupérer son louveteau. Il est donc dans votre intérêt à tous de le retrouver rapidement en vie sinon, les conséquences ne tarderont pas à se faire sentir, si vous voyez ce que je veux dire.
Rufus semblait sur le point de mordiller avec ses petites dents, tandis que même si Gustave se sentait clairement coupable, il était également réticent à l’idée de se séparer de quelques hommes pour courir entre Fhirdiad et Lokris afin de retrouver un homme transformé en loup mais, Lambert eut le dernier mot, et intelligent pour une fois.
– Il faut envoyer une équipe de recherche. Il faut le ramener, il faut qu’on l’aide à retrouver sa forme humaine ! Je ne me le pardonnerais jamais s’il lui arrivait quelque chose…
Bon, c’était encore centré sur du « moi, je » mais, c’était mieux que rien. Il ne tirerait surement plus rien de cette tête pleine de vide aujourd’hui, ce serait trop demander d’un coup et même lui pourrait s’en rendre compte alors, Oswald allait se retirer pour revenir plus tard, quand les deux seconds de Rodrigue arrivèrent en trombe avec tous leurs camarades devant la porte. Leur cheffe, Estelle, déclara, froide comme de la glace.
– Le loup qui est passé dans le palais, c’était notre seigneur, n’est-ce pas ?
Lambert blanchit puis, hocha la tête, honteux et c’était navrant qu’il réagisse comme un gamin pris la main dans un pot de biscuit. Si son père le voyait… les fraldariens ne cachèrent pas leur fureur mais, prirent tout de suite leurs mesures en les imposant sans se gêner, n’en ayant surement plus rien à cirer à ce stade.
– On se charge de le retrouver nous-mêmes, et on ne veut pas de fhirdiadais dans nos pattes. Rufus serait capable d’envoyer quelqu’un juste pour lui mettre une flèche en pleine tête. Vous, vous avez intérêt à nous trouver une bonne explication.
Ils s’en allèrent sur ses mots, prêts à s’organiser entre eux. Heureusement, tout le monde n’avait pas rien dans la tête dans ce palais…
Oswald jeta un œil à Rufus. Le régent était hors de lui, c’était évident, et l’occasion de se débarrasser d’un rival était trop belle pour que même un crétin comme lui ne la saisisse pas…
« Hum… mieux vaut prévenir les soldats fraldariens qu’il faudra le prendre de vitesse. »
*
Périandre sortit le nez de son laboratoire, un grand sourire aux lèvres en voyant les petites bêtes s’agiter comme si on venait de lancer une braise au milieu d’elles. C’était mignon… mais surtout, elle était toute excitée ! C’était merveilleux !
« Vraiment, c’est fascinant ! » Gazouilla-t-elle en se mettant à écrire toutes les impressions qu’elle sentait dehors dans les moindres détails, abandonnant une seconde son expérience temporelle, après qu’elle ait rassuré une petite bête inquiète pour l’explosion dans son laboratoire, disant que c’était juste une erreur de manipulation dans la fatigue. C’était le genre de chose à analyser immédiatement avant que ça ne se dissipe ! « Il faut que je convainque Rufus de me le ramener en vie afin que je puisse l’étudier ! Et il l’a fait avec un emblème mineur en plus !
– Veuillez m’excuser Dame Périandre mais, qu’est-ce qui est si extraordinaire à ce genre de transformation ? Lui demanda un de ses assistants.
– Hum ? Elle leva l’œil, un peu ennuyée mais, aussi contente d’avoir quelqu’un à qui exposé tout ce qu’elle savait, ça lui flattait toujours l’ego de le faire. Matricule… 123, c’est ça ? Tu as quel âge déjà ?
– Non, matricule 357, et j’ai environs cent cinquante ans.
– Bien, je comprends mieux ton ignorance alors, en plus du fait que tu ne sois qu’un simple ouvrier. Sache que l’origine même de la transformation est intéressante. Il avait trop de magie en lui et sous l’impulsion du désespoir, elle a réagi en le transformant. Ce n’est pas rare que les inférieurs changent de forme si leur corps ne supporte pas une trop grande force magique : leur magie la plus primitive modifie le corps sur le long terme en lui ajoutant des excroissances par exemple. Évidemment, il y a le cas des transformations à cause des Reliques en l’absence d’emblème, le corps humain n’est pas capable de supporter sa force, même s’il est habitué aux modifications de la magie primitive ou si l’emblème n’est pas présent naturellement dans leur corps. Ensuite, tu as certains sorts qui permettent de se transformer volontairement en animal. Et enfin, il y a ce cas où le corps entrepose trop d’énergie magique et sous l’impulsion des émotions négatives, il se transforme pour anéantir ses adversaires à cause de son emblème. Étant donné que les rejetons de Sothis ont également la capacité à ce transformer en lézards divers, c’est peut-être à cause de cela.
– C’est donc un cas de transformation bestiale à cause de la magie ?
– Tout juste mais, c’est extrêmement rare. Cela fait bien quatre cents ans que je n’en ai pas observer d’autres. Pourtant, ce n’est surement pas le premier inférieur avec un emblème qui craque en quatre cents ans. Ils sont si misérables qu’ils perdent la raison pour un rien. Jusqu’à présent, je supposais que c’était à cause de la raréfaction des emblèmes majeurs. Les emblèmes mineurs permettent de manipuler les reliques mais, ce ne sont que des pales copies des majeurs qui ont des pouvoirs bien plus impressionnant, encore plus par le passé. Le porteur d’emblème majeur de Riegan ne serait pas aussi vieux, je l’aurais déjà capturé pour l’étudier ! En plus, il est bien entouré et j’ai bien l’impression qu’il m’a dans sa ligne de mire alors, ce serait risqué, il n’arrête pas de mettre son nez partout où il ne devrait pas. Bref, tout ça pour dire que ce qui est fascinant ici, c’est que l’inférieur Rodrigue n’a qu’un emblème mineur, ce qui lui permet juste d’utiliser sa Relique sans se blesser, ça ne lui donne pas autant de capacité que s’il avait un emblème majeur. Mais là, il est arrivé à se transformer malgré tout ! Cela remet en cause tout ce que je pensais savoir sur le fonctionnement de cette sorte de magie ! C’est peut-être parce qu’il a un vrai jumeau… l’emblème pourrait entrer en résonnance in utero avec l’autre, ce qui démultiplierait sa force et son potentiel à la manière d’un emblème majeur mais, sans le reste…
Le matricule 357 (enfin, il s’appelait Knossos mais, il était interdit pour un simple ouvrier comme lui d’utiliser son nom en présence d’un esprit supérieur) regarda la Grande Savante s’agiter, notant tout avec enthousiasme, noircissant des feuilles et des feuilles avant de s’exclamer.
– Il faut que je lui mette la main dessus pour le disséquer et voir comment c’est à l’intérieur ! Et j’ai hâte de voir comment réagira l’inférieur Alix vu qu’ils sont liés ! Ce sera diablement intéressant ! Ah ! Entre ça et la redécouverte des travaux du traitre ! J’ai le meilleur laboratoire et les meilleurs cobayes de tout la Sphigxi !
Bon, au moins, elle ne sera pas trop en colère quand ils n’arriveront pas à comprendre les travaux du Traitre Pan… il n’arrivait pas à décrypter ses plans et quand ils les avaient réalisés au premier degré ses plans pour tester, ils ne s’étaient retrouvés qu’avec des petits objets bougeant tout seuls quand on remontait une clé sur leur dos, avec de grandes oreilles ou des détails étranges…
« Faut dire, grand Thalès, à quoi ça sert de faire des automates qui marche tout seul, qui tiennent dans une main de larve et qui fait du bruit ? Enfin, c’était le traitre… il était très étrange… il a fui la ruche sans hésité pour la surface… enfin, avec tout ça, on sera tranquille pour continuer les tests d’explorations temporelles, les humains seront occupés et la Grande Savante satisfaite. »
Quelques temps plus tard, quelqu’un frappa à la porte du laboratoire, assez fort pour tirer Périandre de ses réflexions. Apparemment, le vieux porteur d’emblème majeur rôdait et tentait de savoir ce qui avait causé l’explosion… quel fouineur… surtout qu’il fallait être prudent avec lui… même si cela provoquerait encore plus de chaos dans la création de Sothis, cet homme avait déjà tué trop de leurs agents par rapport à leur production, surtout par un seul inférieur à emblème et son acolyte ratée… même si c’était un inférieur, il faudrait qu’elle reste prudente…
*
« …attends… ça a fini comment ?
Le père Mercier fixa Ludovic, ce dernier tenant son verre en terre cuite entre ses doigts, toujours aussi inexpressif de ton et de visage. Ces traits ne bougeaient pas mais, il commençait à comprendre quand le jeune homme était étonné, énervé, dégouté ou autre… fallait dire, il venait de lui résumer les dernières années du Royaume pour le mettre au parfum. C’était subtil mais, visible quand on faisait bien attention, même si c’était difficile de savoir ce qu’il avait dans la tête. Enfin, même s’il parlait peu, si le tavernier avait bien compris, il travaillait lui-même en politique ou au moins comme administrateur alors, il était assez lucide sur ce qui était bien ou pas, notamment avec cette idée pourrie d’aller se perdre en Duscur qui l’avait complètement atterré.
– Tout le monde est mort… tout le convoi, tous les groupes que je t’ai dits. Les seuls à s’en être sorti, c’est le roi, Lambert, et le petit prince Dimitri.
– Et depuis, c’est le chaos on dirait, gronda-t-il.
– C’est peu dire. C’est surtout que d’après les rumeurs, les caisses royales sont à sec et qu’on a perdu toute la nourriture récolter pour ce voyage pour rien alors, il faut aller chercher de quoi manger ailleurs et refaire les corps d’armée. Parait qu’il a tellement gratté à Gautier que maintenant, les gardes des ports, c’est des paysans qu’on a grimé en soldat. Heureusement que les srengs sont calmes en ce moment sinon, on serait mal au nord. En plus, la femme du margrave est une sreng aussi donc, elle doit calmer les ardeurs de ses camarades.
– Effectivement et on l’espère, même si c’est vraiment grossier comme tactique de déguiser des paysans en soldats, les srengs ne devraient pas se faire avoir longtemps… enfin, ils doivent faire avec les moyens du bords… Et pour le roi et le régent, ils s’en sortent comment ?
Ludovic tient ce qu’il pensait dans son verre. S’il ne se trompait pas, après une telle attaque, Lambert était forcément blessé et Dimitri aussi (Déesse, qu’est-ce qui avait pris à Lambert d’emmener son fils dans ce voyage ?! Il n’avait que treize ans apparemment ! Il était bien trop petit et c’était bien trop dangereux ! C’était évident !). À ce stade, il espérait seulement que Rufus se soit guéri de son égoïsme. Ce gamin détestait prêter ou aider les autres qui n’étaient pas son frère… bon, de ce qu’il avait entendu, c’était mal parti mais, qui savait… après tout, la dernière fois qu’il les avait vus tous les deux, ils tenaient dans ses bras…
– On est bien d’accord. Pour le roi, il est encore blessé alors, c’est son frère Rufus qui gère… Enfin, je crois qu’on a quand même de la chance d’avoir les Fraldarius et les Charon. C’est un des jumeaux, Rodrigue – les deux Fraldarius sont des vrais frères jumeaux – et deux des sœurs Charon, Thècle et Lachésis, tiennent le Royaume comme ils peuvent mais, c’est Rufus qui décide et bordel, c’est le pire régent du monde !
– Pire que Clovis ? Ne put s’empêcher de demander Ludovic, même s’il appréhendait la réponse.
– J’étais pas né mais d’après les grands-mères, pas loin. Il n’écoute rien, il ne pense pas à nous et tout ce à quoi il pense, c’est trouver de l’argent et une armée pour se venger de Duscur tout en se foutant qu’on pleure encore nos morts.
– Il est suicidaire ? Lâcha l’égaré, même si son visage était toujours aussi figé. C’est de la folie de partir à la guerre dans un moment pareil. Je sais qu’on écrase Duscur en temps normal, mais quand même, je n’irais pas crapahuter dans les montagnes alors que tout le monde est sur le point de mourir de disette ou de famine…
– C’est ce qu’on pense tous aussi, les gens raisonnables au palais compris, sauf Rufus et ses sbires et c’est eux qui décident. Au moins, ils n’ont pas le droit de déclarer la guerre tant que le roi est en vie, il est utile pour une fois…
Il leva les yeux en hochant un tout petit peu la tête, malheureusement d’accord avec lui après tout ce qu’il avait entendu.
– Donc, ça fait bientôt trois mois que vous êtes dans cette histoire…
– Ouais, trois mois de galère en espérant que ça se finisse… et t’as à peu près tout… et sinon, tu te souviens de ce qui t’a emmené là ? Enfin, dans cette ruelle dans un nuage de fumée et d’étincelle je veux dire.
Ludovic aurait bien aimé savoir aussi, surtout vu d’où il arrivait… enfin, il ne le croirait pas s’il disait la vérité alors, il mentit, trouvant facilement une excuse.
– J’étais en chemin pour aller à Fhirdiad mais, je me suis fait attaquer par des brigands. J’ai essayé de m’échapper avec un sort de téléportation d’Albinéa mais, soit je me suis loupé, soit il n’était pas au point, et j’ai atterrit ici.
– Puissant le sort si on t’a catapulté de la côte à ici… enfin, ça expliquerait pourquoi t’étais aussi désorienté…
– Oui… au moins, ils n’ont pas eu le temps de voler ma bourse, déclara-t-il en tâtant le sac rempli. J’ai de quoi tenir un moment mais, j’ai intérêt à me trouver du travail. Je devrais aussi vendre mes vêtements pour des plus simples, histoire de ne pas me faire détrousser à nouveau…
– Tu chercherais dans quoi ? Si tu sais lire et écrire, va au palais, ils cherchent des scribes à tour de bras.
– Lire, écrire, compter, je parle et écrit couramment l’albinois, et ma belle-sœur était très érudite, tout comme mon grand frère, ils m’ont appris beaucoup de chose sur l’histoire du Royaume et une partie de son administration, c’est toujours utile.
– Oui, surtout qu’ils ont beaucoup de relations avec nous depuis le bon roi Ludovic. Ah… le père Mercier soupira, nostalgique. On avait un roi avec une tête qui fonctionnait et qui pensait à nous tout le temps… c’était le bon temps… c’est triste qu’il ait été emporté par la tuberculose aussi vite, c’était un bon souverain. Surtout qu’il n’est pas mort vieux celui-là, je crois qu’il avait la petite quarantaine, et encore, à peine… c’est tragique comme sort… il doit rougir de honte dans sa tombe vu le comportement de ses fils…
– C’est sûr, surtout qu’il n’a surement pas dû arriver à mener à bien plusieurs de ses projets ou des réformes pour le Royaume. J’avais lu un livre qui disait qu’il voulait instaurer la monarchie élective, justement pour éviter d’avoir des mauvais rois. Bon, il devait penser à éviter un autre Clovis à la base mais, il a dû ajouter ces enfants à la liste… quel déchéance… soupira-t-il, bien d’accord avec le tavernier à son grand désarroi mais, c’était ainsi. Enfin bon, il faut faire avec. Merci beaucoup pour le verre et pour m’avoir tout expliquer en tout cas.
– T’en fais pas, c’est normal petit. Enfin, tu sais où tu vas dormir au fait ? Si on te prend au palais, tu pourras te débrouiller pour le rationnement mais, ça va être compliqué de trouver une pièce à louer en aussi peu de temps. Si tu veux, tu peux dormir ici le temps de trouver mieux. Les voyageurs, c’est pas ce qui courre les rues en ce moment…
– Merci beaucoup Père Mercier, cela m’aiderait bien en effet. Je pourrais vous donner un coup de main, je suis plutôt fort, même si je vais devoir me limiter pour ne pas trop attirer l’attention.
– Oui, je m’en doute, on voie que tu es musclé ! Ria-t-il en montrant ses bras. Allez, marché conclu ! On a tous besoin de bras en ce moment alors, même s’ils ne te prennent pas au palais, avec tes capacités, tu devrais trouver du boulot facilement !
– Je l’espère… même si je préférerais de loin trouver au palais, ça me permettrait d’être dans les premiers au courant des grandes décisions, cela pourra toujours être utile, surtout qu’il va falloir intervenir aux vues de la situation. Il faut déjà que je me fonde plus dans la masse et si possible, que je me fasse connaitre des autres mécontents. La situation a l’air explosive à première vue mais, il faut voir si la majorité est énervée ou résignée…
Ludovic se levait pour aller au palais, quand une femme entra en trombe, hurlant comme une folle des mots incompréhensibles. Les deux hommes durent la calmer un peu avant qu’elle puisse s’expliquer.
« Un loup ! Un loup de cendre vient de sortir du palais et de la ville ! Et tu ne devineras pas la pire ! Il avait les yeux du seigneur Rodrigue ! Il parait que c’est lui ! Il s’est transformé en loup de cendre ! Même la Déesse nous punit ! »
« Bon, d’accord, j’irais chercher le travail quand tout ce sera calmé. Et qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Braves, par pitié, qu’il ne soit rien arrivés aux jumeaux ! Faites-le pour Guillaume et Aliénor… »
*
Le lendemain, Ludovic se rendit au palais, habillé avec des vêtements plus simples achetés le matin même. Ainsi, il ressemblait à un petit marchand ou quelqu’un qui avait surement reçu une bonne éducation, et il avait assez de manière pour donner le change. Il faudrait qu’il fasse attention à s’adapter à son statut de roturier et éviter de répondre mais bon, il était habitué à faire profil bas pour mieux frapper après.
Il se présenta à la responsable du château qui l’embaucha tout de suite sans poser de question, juste après une dictée et des exercices rapides de calculs pour vérifier le minimum de ses capacités, et on le mit encore plus vite au travail à la trésorerie. Si les rumeurs étaient vraies, tous les scribes et domestiques étaient très vite essorés à cause de la mauvaise gestion de Rufus, même les plus hauts placés comme le duc de Fraldarius… par les Braves… si la rumeur était vrai… enfin, il devait commencé par le commencement et comprendre ce qui se passait dans le Royaume en premier…
Déesse… en quelques heures, le jeune homme ne put que constater que les chiffres n’étaient clairement pas bons… il croirait voir les relevés de compte de Clovis… enfin, il ne fallait rien montrer pour durer, et ce poste était idéal pour connaitre la solidité du pouvoir.
Il étudiait les comptes des levées en masse d’homme et de vivre, prélevés de force sur les autres fiefs, quand ces collèges de travail tentèrent de discuter avec lui alors qu’on leur livrait leur repas, bien rationné, le faisant abandonner ces comptes à contre cœur. Apparemment, tout allait à la capitale mais visiblement, la nourriture était entreposée pour une campagne militaire… vu la situation, ça devait être contre Duscur… comme si le Royaume avait les épaules assez solides pour ce genre de folie, surtout sans preuve que c’était bien eux les coupables…
« …Donc, tu as vécu à Albinéa pendant des années, tu peux nous dire quelque chose en albinois ? Demanda un des plus jeunes.
–Réfléchis, il le parle couramment, il doit savoir tout dire ! Rétorqua une autre. Et de toute façon, personne ici ne pourra le contredire sans demander aux gens de la chancellerie, on en pipe pas un mot !
– Kyllä, puhun sitä sujuvasti, mutta en ole koskaan päässyt eroon aksentistani. « Oui, je le parle couramment mais, je ne suis jamais arrivé à me dépêtrer de mon accent », répondit Ludovic.
– Ah ! C’est particulier comme langue ! S’exclama-t-il avec enthousiasme. J’aimerais bien apprendre !
– Quand on aura deux secondes à nous, et après une bonne sieste et un vrai repas, répliqua encore une autre.
– J’ai entendu dire que la cadence de travail est très difficile à suivre, observa le nouvel arrivant l’air de rien.
– A ça… c’est peu de le dire mais bon, ici, on ne dit rien, c’est des discussions de taverne.
Ludovic hocha la tête en finissant de racler son assiette de soupe, notant tout dans sa tête en déclarant :
– Merci pour ce repas.
– T’inquiète, c’est normal, tu vas souvent passer du temps ici.
– D’accord.
– Et bé, les expressions faciales, ça a pas l’air d’être ton truc, fit remarquer un de ses collèges, d’âge moyen, en le fixant. Ton visage ne bouge pas depuis tout à l’heure.
– Je sais… je n’ai jamais été très expansif ou expressif, c’est un caractère, louvoya-t-il sans plus de précision. J’ai essayé de corriger cela mais, c’est tel que la Déesse m’a fait.
– T’inquiète. En tout cas, hésite pas à dire si quelque chose ne va pas mais que… tu sais, on ne le voie pas ?
– Bien sûr…
Les agents du trésor se remirent au travail, Ludovic étudiant attentivement ces relevés de compte parlant de ces prélèvements. Une partie de ce qui était déclaré aux portes d’octroie semblait disparaitre au bout de quelques jours en réserve… ça sentait soit le détournement, soit le marché noir, soit les deux… il faudrait qu’il pose les bonnes questions aux personnes nécessaires pour ça… la taverne du père Mercier lui sera très utile pour cela.
Il faisait mine d’apprendre comment fonctionnait la trésorerie quand un homme bien nourri entra dans l’étude, visiblement furieux. Le cœur de Ludovic s’arrêta quand il le reconnut… il avait tellement changé, c’était un homme maintenant… dire que la dernière fois qu’il l’avait vu, il…
Rufus hurla toujours aussi fort quand ses yeux tombèrent sur Ludovic, devenant très pale avant de s’empourprer à nouveau de rage.
« Toi ! T’es qui toi ?!
– Ah ! Votre Altesse, nous vous présentons Ludovic Hange, il va travailler avec nous désormais, lui expliqua la cheffe de la trésorerie.
– Alors, vous m’apportez les rapports dans mon étude ! Et que ce ne soit pas lui qui les apporte ! Je ne veux pas le voir ! Et toi, tu n’as pas intérêt à croiser ma route, me suis-je bien fait comprendre ?!
– Bien sûr Votre Altesse, répondit calmement le principal intéressé, remerciant son manque d’expressivité de cacher à quel point son attitude lui faisait mal.
– T’as intérêt ! »
Et il repartit en claquant la porte, sans expliquer pourquoi il était venu à la base. Tout de suite, ses collègues se pressèrent autour de lui, le félicitant sans qu’il comprenne pourquoi, soulagé.
« Merci ! Merci ! Tu es une bénédiction !
– On va enfin pouvoir travailler tranquille !
– Les autres services vont être jaloux !
– Qu’est-ce qui vient de se passer ? C’était le régent ? Il a l’air bien nourri…
– En fait, Son Altesse Royale Rufus vient souvent nous engueuler car, on ne fait pas notre travail correctement mais, c’est surtout qu’on manque de bras et qu’on a pas le temps, ou même l’énergie parfois quand on enchaine les nuits blanches et les repas de misère. Alors, s’il ne veut plus mettre les pieds ici, ça nous arrange, on va pouvoir travailler tranquille ! Et laisses tomber pour le côté bien nourri, c’est le type qui mange le plus à Fhirdiad, il se moque du rationnement et se goinfre toujours autant qu’avant la Tragédie… même s’il préfère un autre genre de bonne chair.
– Je peux faire le tour des services si cela rend service, proposa-t-il, autant pour les aider que pour en apprendre plus un peu partout. Mais il est toujours comme ça avec tout le monde ?
– Je suis sûr que les autres seraient ravis d’avoir des jours de paix ! Et on ne le voyait jamais avant, il se foutait de la politique. Tout ce qui l’intéressait, c’était de s’amuser, surtout avec les joies de la chair si tu voies ce que je veux dire.
– Oui, et il fait bien ce qu’il veut tant que tout le monde est consentant. Enfin, là, il a l’air d’être occupé à autres choses que sa luxure…
– Ouais mais, depuis que Lambert est gravement blessé, c’est lui le régent. Il ne l’a pas jarreté de sa place alors, on est obligé de se coltiner et il agit en tyran. Nous aussi, on préférerait qu’il conte fleurette à on ne sait qui mais, il a viré complètement fou et il a très peur du complot alors, il est persuadé d’être le seul à pouvoir protéger son petit frère. Résultat, il épuise tout le monde et veut nous emmener dans une guerre avec Duscur pour se venger.
– J’ai vu ça dans les comptes effectivement… cela semble bien imprudent… mais bon, je ne suis pas le roi ou même le régent, qui suis-je pour savoir… » ironisa-t-il un peu, même si son cœur était en lambeaux…
Alors, ce serait ça leur futur… de tout ce qui était possible en ce monde, ils…
Ludovic se força à se reprendre. Même si tout ceci lui arrachait le cœur, ce n’était pas le plus important. Même s’il avait visiblement raté, il savait ce qu’il allait faire de toute façon. Le Royaume devait toujours passer en premier, quoi qu’il lui en coute et même s’il devait s’arracher le cœur pour les combattre eux aussi… il n’était pas à son coup d’essai après tout…
*
Rufus fulminait… se transformer en loup… et alors que le grand-duc Riegan était encore là… après s’être évanoui pile devant lui… ce foutu Rodrigue aura vraiment tout fait pour ruiner leurs relations avec l’Alliance ! Il leur aura tout fait jusqu’au bout ! Et comment il s’y était pris pour se transformer comme ça ?! Même Cornélia n’en avait aucune idée !
« Enfin, il est trop ami avec cette barbare de Fregn et les srengs sont capables de se transformer en animal… qu’elle lui ait montré comment faire ne m’étonnerait pas… »
Une fois une lettre envoyée à Kleiman pour parler de tout ceci et avoir ordonné au bureau des missives qu’aucune lettre de fraldarien ne devait être sortir du palais si elle mentionnait cette transformation, il se mit à s’arracher les cheveux sur la situation, quand il entendit la voix de Gustave appelé quelqu’un. Le régent sortit pour lui dire d’engueuler les domestiques ailleurs, quand il comprit mieux pourquoi il paniquait comme ça !
« Votre Majesté, je vous en prie ! Vous êtes encore blessé !
– Non, ce n’est rien, je ne peux pas rester coucher tout le temps. Pas quand Rodrigue…
Lambert était debout dans son étude, en train de sortir des papiers et du matériel d’écriture, même s’il tremblait encore à cause de ses blessures et qu’il devait s’appuyer sur une canne pour rester debout. C’était pas vrai ! Il n’avait rien à faire là !
– Il a raison, intervient Rufus. Tu as failli te faire décapiter et d’accord tes brûlures commencent à bien guérir mais, tu as quand même failli y rester. Tu devrais encore te reposer un peu avant de reprendre le travail.
– Vous ne disiez pas ça à Rodrigue visiblement, répliqua-t-il plus faiblement qu’à son habitude, trop épuisé pour trop leur tenir tête. Lui aussi était à bout de force, et il devait quand même travailler jusqu’à épuisement… argh… dire que je ne m’en rendais même pas compte… et à cause de ça… et Déesse ! Il était épuisé au point de croire qu’on lui avait volé Félix et Alix ! Je n’étais même pas au courant qu’ils lui manquaient autant !
– Ce n’est pas ta faute Lambert, c’est lui qui n’a pas su s’arrêter ou utiliser correctement ses forces, et c’est pour ça qu’il s’est épuisé alors que tout le monde tient encore, répéta encore Rufus.
– Car on lui a laissé le choix ? C’est toi qui m’as encouragé à dire qu’il devait rester ici ! Je pensais que ça l’aiderait s’il pouvait se reposer tranquillement au palais sans devoir faire autant de route ! Pas que ça le ferait encore plus souffrir ! Encore moins au point de le transformer en loup pour rejoindre sa famille ! Pourquoi vous ne m’avez rien dit ?!
– Nous voulions vous préserver Votre Majesté, lui assura Gustave avec compréhension, et Lambert se demanda s’il l’avait été autant avec Rodrigue. Vous étiez très faible, nous ne voulions pas vous inquiéter et vous fatiguer plus que nécessaire.
– Et je vous en remercie tous les deux. Cependant, je ne peux pas rester dans ma chambre à dormir comme ça, encore moins après que Rodrigue se soit épuisé à la tâche comme ça… au point que… » Il secoua la tête en repensant à son ami, son corps qui se déformait après lui avoir hurlé tout ça, son visage qui se déformait mais qui n’était marqué que par une seule émotion avant qu’il ne fasse place à ce loup noir… cette émotion… c’était… il admit, essayant de ne pas trop penser à cela, lui rappelant trop la réalité des choses. « C’est moi le responsable de toute cette histoire après tout, il faut bien que je travaille aussi pour résoudre la situation…
Rufus soupira devant son obstination. Comme si c’était comparable ! Rodrigue était le vassal qui devait obéir et tout faire pour le Royaume au lieu de faire des crises de colère ! Lambert était le roi ! Il était ce qui tenait Faerghus en entier ! Et il avait failli y rester à Duscur lui ! C’était pas juste un peu d’épuisement comme ce bon à rien ! Son petit frère avait été à deux doigts de se faire décapiter ! Il devait encore se reposer un peu avant de retourner travailler ! Cependant, Lambert fit sa tête de mule et insista pour reprendre le travail maintenant ! Mais quelle tête de pioche quand il s’y mettait !
Rufus et Gustave tentaient en vain de le convaincre de continuer à se reposer, quand un scribe que Lambert ne connaissait pas entra dans la pièce après avoir frappé deux coups. Dès qu’il le vit, Lambert crut que ces yeux lui jouaient des tours… cette silhouette… ses yeux vairons… ce visage impénétrable… on aurait dit Ludovic tel qu’il était représenté sur son grand portrait de couronnement ! C’était fou une telle ressemblance ! Enfin, Clovis avait eu tellement de maitresse que personne n’avait aucune idée du nombre de bâtard qu’il avait pu engendrer… certains disaient même qu’il en avait eu un dans chaque ville de Faerghus donc bon, c’était peut-être un de ses nombreux petit-fils… c’était juste…
Rufus s’empourpra en voyant l’homme, lui hurlant après, surement aussi rude avec lui à cause de la ressemblance avec Ludovic.
« Quoi ?! Qu’est-ce que tu veux toi ?!
– Veuillez m’excuser mais, un messager de Charon est arrivé. Il a reçu l’ordre de Dame Cassandra Rubens Charon de remettre en main propre au seigneur Rodrigue Achille Fraldarius la missive qu’elle lui a adressé en tant que cheffe de sa famille. Il nous informe aussi que cette lettre attend une réponse. Je suis simplement venu demander ce que vous comptiez faire étant donné qu’il a disparu. Il a également une lettre de la part du seigneur Félix Hugo Fraldarius pour son père, ainsi qu’une autre pour Sa Majesté le roi de la part de Son Altesse Dimitri.
Et merde ! Il ne manquait plus que ça ! Qu’est-ce que Cassandra pouvait bien vouloir à Rodrigue ?! Et pourquoi elle dégainait sa position comme ça ?! Ce n’était pas son genre ? Elle devait vraiment vouloir une réponse si elle écrivait ainsi, on devait toujours répondre à ce genre de sollicitation. Enfin, au moins, ça confirmait que les lettres de Rodrigue ne disparaissaient, il n’y en avait juste aucune qui était envoyé… même si c’était étrange… mais ça restait la seule explication logique.
Prenant les choses en main, Lambert répondit tout de suite.
– D’accord, je m’en charge.
– Non Lambert, laisse-moi faire. Toi, tu dois…
– Ça concerne Rodrigue alors, je dois m’en occuper après ce que je lui ai fait… et ce n’est pas négociable, insista-t-il avant son grand frère. En plus, c’est la famille d’Héléna…
Rufus râla mais, Lambert le dépassa clopin-clopant sur sa canne, suivant cet étrange serviteur. Déesse… même être à côté de lui faisait le même effet qu’avec Ludovic ! Il n’avait pas la même manière de se tenir, il n’était pas toujours bien droit, le regard droit devant lui comme s’il pouvait lire l’avenir pour tracer sa route comme il le souhaitait mais, cette impression restait… l’impression d’être tout petit… la distance… la froideur… bien malgré les efforts de Ludovic pour plus montrer ce qu’il ressentait, il avait toujours été un homme très impressionnant… Lambert n’était jamais arrivé à comprendre vraiment ce qui se cachait derrière ce visage imperturbable…
« Comment vous appelez-vous ? Demanda-t-il quand cette impression devient trop insupportable. C’est la première fois que je vous voie ici…
– … Ludovic Hange Votre Majesté. J’ai été embauche il y a peu de temps, au lendemain du jour où le loup de cendre a traversé la ville.
– Ludovic Hange, répéta-t-il en essayant de garder son calme. Ludovic est mort il y a quatorze ans et il ne pourrait pas être à peine plus vieux que Dimitri… et c’est un nom courant Hange… c’est le nom qu’on donne aux enfants abandonnés en souvenir du roi Loog qui était bâtard… du calme. Et oui, le loup de cendre… j’en ai entendu parler aussi…
Le regard de l’homme glissa lentement sur lui, ses yeux comme deux billes de glaces roulant lentement dans ses orbites. Ça, c’était le regard « je sais que tu mens, assume ce que tu as fait » de son père quand il faisait une bêtise ! Déesse ! Il savait que ce n’était pas Ludovic mais, c’était dur de s’en souvenir !
– Tout le monde en a entendu parler. Les rumeurs vont surement courir bon train dans tout le Royaume, déclara-t-il l’air de rien.
– Peut-être pas assez vite pour que je ne puisse retarder l’inévitable… il ne faut surtout pas qu’Alix ou Félix le sachent !
Lambert se tut à son tour, même si Ludovic souffla, presque pour lui-même.
– On s’en sort toujours grandi quand on assume ses erreurs afin de les réparer.
Il fit comme s’il n’avait rien entendu, ne voulant surtout pas provoquer une catastrophe avec Alix s’il apprenait ce qui était arrivé à Rodrigue… et Déesse, Félix aurait le cœur brisé en mille morceaux s’il était au courant !
Une fois qu’il eut récupéré les lettres en vitesse, il retourna dans son étude pour les lire. Heureusement, Gustave et Rufus avaient battu en retraite entre temps, le roi serait tranquille pour les lire.
Il commença par découvrir la lettre de son fils, souriant en apprenant que Dimitri se remettait un peu plus chaque jour. Il lui faudrait encore du temps pour pouvoir se relever sur ses jambes mais, il était sûr qu’il pourrait de nouveau marcher dans peu de temps ! Il guérissait déjà si vite !
Cependant, son sourire s’effaça en lisant un des derniers paragraphes avant la fin, fondant sur place.
« Dit papa. Je sais que c’est Rodrigue qui écrit tes lettres – Félix a reconnu son écriture quand il lit celles que tu me fais – et on a plus aucune lettre personnelle de sa part depuis des semaines alors, je te le demande à toi : est-ce qu’on pourrait avoir des nouvelles de lui s’il te plait ? J’aimerais savoir comment il va, Félix m’a dit qu’il était très malade et fatigué quand nous sommes partis alors, je m’inquiète pour lui… Vous pouvez mettre à la fin de chacune de tes lettres un petit passage pour dire comment va Rodrigue s’il le veut bien ? »
Attendez… quoi ? Dimitri et Félix ne recevaient plus de lettre de Rodrigue ? Mais… mais il était persuadé qu’il correspondait avec son fils autant qu’avec Alix ! Ce n’était clairement pas normal !
Cela ne s’arrangea pas avec le paragraphe suivant, rédigé par Félix et qui demandait la même chose.
« …Si tu ne veux pas répondre à mes lettres, tu répondras au moins à celle de Dimitri ! Pourquoi tu ne m’envoies plus rien depuis des semaines alors que je t’en envoie ?! Et pourquoi tu n’envoies plus rien à Alix ?! Ce n’est pas ton genre ! Qu’est-ce qui se passe ?! »
Lambert se mit à paniquer en lisant cela, encore plus après avoir réussi à décrypter la lettre personnelle du cadet de son ami avec un miroir, racontant la même chose sur le même ton. Félix lui écrivait encore des lettres ?! Il n’avait pas de raison de mentir comme ça ! Et la lettre de Cassandra, c’était le pompon ! Ils ne recevaient tellement plus rien de la part de Rodrigue à part les lettres officielles, qu’elle lui demandait officiellement les raisons de son silence ! Qu’est-ce que c’était que cette histoire ?! Qui aurait intérêt à voler le courrier de Rodrigue, Félix et Alix entre eux ! C’était surement des lettres très intimes en plus ! Les jumeaux se disaient tout ce qu’ils ne pouvaient pas dire à d’autres, et celle de Rodrigue pour Félix devaient déborder de son amour pour son fils ! Qui pourrait vouloir les voler pour ne pas les lire ou pire, les lire et regarder dans leur intimité comme ça ?!
Enfin, raison de plus pour qu’ils ne sachent pas ce qui était arrivé à Rodrigue. Ils s’inquiétaient suffisamment comme ça !
Lambert attrapa donc un papier et rédigea le brouillon de réponse pour Cassandra, il demanderait à la chancellerie de le recopier en y mettant les formes. Pour Félix, il la rédigerait en imitant l’écriture de Rodrigue histoire qu’il ne se doute de rien, il n’avait qu’à écrire très mal pour que ça passe. Enfin, il écrivit sa réponse à Dimitri avec son écriture normal.
Quand il apporta la lettre à recopier à la chancellerie et les deux autres signés, ce fut de nouveau Ludovic qui l’accueillit.
« Faites recopier cette lettre comme une missive officielle pour Cassandra Rubens Charon de la part de Rodrigue Achille Fraldarius.
– C’est pourtant vous qui l’avez écrite, fit remarquer l’homme en la prenant tout de même.
– Oui mais, c’est mieux si elle ne sait pas que… que vous savez quoi…
Ludovic parcourut la lettre en vitesse.
Il avait aussi le même regard lourd de déception que son père…
Lambert l’ignora comme il l’avait fait souvent, puis retourna travailler en priant pour qu’on retrouve vite Rodrigue…
*
Rodrigue s’approcha doucement, sans un bruit, puis sauta d’un coup sur le lièvre avant qu’il ne puisse le repérer. Il le tua d’un coup de croc dans la nuque puis, alla le manger tranquillement au soleil. Il avait couru toute la journée hier afin de mettre le plus de distance possible entre lui et sa prison, tout en brouillant les pistes pour que ses geôliers ne le retrouvent pas, puis il s’était caché pour dormir alors, il était affamé ! Il avait alors pris un peu de temps pour chasser, sentant les proies tout autour de lui. Une fois ce lièvre dévoré, il devrait pouvoir tenir un moment avant d’avoir à nouveau faim aujourd’hui.
Le père arracha un morceau de viande qu’il mastiqua en faisant le point : il savait que son petit avait remonté la rivière et était dans cette direction mais, son odeur était ténue. Il arrivait à localiser où il était de tête, comme si on l’appelait dans ce sens-là et pas ailleurs, l’eau dans son sang lui indiquant le chemin à suivre. Au moins, il ne perdrait pas sa trace mais, même s’il savait que c’était à cause de l’âge de la trace, la sentir aussi peu forte l’inquiétait. Son petit était si loin ! Comment il avait pu le laisser être emmené là-bas ?! Rodrigue savait que la meute qui s’en occupait était de confiance mais, le voilà sans nouvelles depuis des semaines ! Il aurait dû l’envoyer en sécurité chez son frère !
Une fois qu’il ne restait plus que les os et la peau de sa proie, le père se lécha les babines avant de se remettre en route, quand il entendit un cri de détresse avec un bruit de chute. Il crut d’abord que c’était un de ses poursuivants mais, l’odeur ne correspondait pas, ça ne sentait pas la poussière et la prison… et cette personne semblait avoir besoin d’aide à l’ouïe…
Rodrigue se dirigea alors vers l’origine du bruit, traversant plusieurs buissons avant d’arriver dans un passage étroit où était creusé une grande fosse à gibier. Coup classique : un trou avec des pieux en bois où la proie tombait et ne pouvait pas remonter, simple et efficace. Enfin, ce n’était pas un cerf ou un autre loup qui était au fond de ce trou mais, un humain adulte qui pleurait. Sa jambe était empalée sur un des pieux, ça devait lui faire mal.
En voyant son ombre, l’humain crut que c’était un de ses congénères mais, blêmit en le voyant, mort de peur. Bloqué à cause du pieu et au fond du trou, il tenta de lui envoyer une pierre sur lui en criant.
« Aaaaahhhh !!!! Un loup ! Va-t-en ! Je ne suis pas mangeable ! Allez ! Part sale bête ! »
« Pourquoi il crie comme ça ? Se demanda Rodrigue en évitant facilement le projectile. Comme si j’allais le manger, c’est meilleur le lièvre… même si j’aimerais bien attraper un faisan… pour quand je retrouverais mon petit, c’est son plat préféré… »
Enfin bon, il faisait du bruit et s’il restait dans cette fosse, il allait soit mourir de froid, soit exsangue alors, il fallait le sortir de là. Le père tâta la dureté du sol et quand il trouva un endroit où il n’avait rien à craindre, il se pencha suffisamment pour attraper l’épaule de l’homme et le tirer vers le haut. Si c’était assez profond pour piéger un loup normal, Rodrigue faisait deux fois leur taille, c’était un jeu de louveteau de récupérer quelque chose d’aussi grand qu’un humain adulte dans ce trou.
Le piégé se débattit en couinant encore, même quand il se retrouva sur le sol normal, mort de peur. Il le suppliait encore de ne pas le manger, ne comprenant visiblement pas quand Rodrigue bougea ses oreilles et son visage pour lui dire qu’il n’avait pas faim. Il hurla de plus belle quand le père passa son museau sur sa plaie. Les pieux étaient fins mais, tout de même assez épais pour blesser ou tuer, ça avait fait pas mal de dégâts. Enfin, ça se réparerait bien…
Se remémorant comment il faisait pour soigner les blessures de son petit, le père passa sa langue sur le trou, laissant sa magie se déverser à l’intérieur pour réparer vaille que vaille les dégâts. Lune ! Comment les humains pouvaient penser que qui que ce soit voudrait les manger avec un gout pareil ?! Il lui faudrait toujours un médecin mais au moins, le blessé ne devrait pas mourir exsangue tout de suite.
« Ma… ma jambe… elle… c’est… c’est toi qui… ? Bégaya-t-il en passant sa main dessus, regardant Rodrigue, complètement incrédule.
– Oui. Enfin, tu ne vas pas pouvoir marcher comme ça… »
Il l’empoigna de nouveau par les épaules sans y mettre les dents mais, comprit vite qu’il ne pourrait pas le tirer jusqu’à chez lui ainsi, il pesait trop lourd et il criait trop comme ça… Rodrigue se coucha donc à côté de l’humain, puis lui fit signe de se mettre sur son dos. De plus en plus étonné, le male humain se mit bon an, mal an sur lui, s’accrochant à son épaisse fourrure. Vu qu’il ne glissait pas quand Rodrigue marchait tout en veillant à ne pas perdre son chapelet, ils partirent comme ça.
« Mon village est par-là, lui indiqua-t-il, le père suivant ses instructions sans souci. C’est… c’est fou… loup… Rodrigue tourna un peu la tête pour le regarder. Tes yeux ressemblent à ceux des humains… est-ce… grand loup… est-ce que tu es un loup de cendre ? Un envoyé de la Déesse ?
– Non, juste un père qui cherche son petit… »
Il le ramena sans souci chez lui, dans les tanières construites avec des pierres et de la terre. Les autres humains se mirent à hurler en le voyant mais, celui sur son dos leur cria en retour.
« Ne vous en faites pas ! C’est moi ! Ce loup divin m’a sauvé ! Ne lâchez pas les chiens !
Heureusement, les autres humains se calmèrent, laissant Rodrigue leur ramener leur compagnon de meute. Ils se mirent à le tirer de son dos, un médecin arrivant vite pour s’occuper de la jambe du blessé qui racontait tout ce qui s’était passé dans la forêt. Il demanda même qu’on lui apporte de l’eau.
– … c’est un envoyé de la Déesse, je vous le dis ! Il m’a tiré de la fosse à gibier du seigneur et il m’a soigné d’un coup de langue ! Comme par magie ! Il ne faut rien lui faire !
– Ce n’est rien… et puis ce que je vous dis que je ne suis pas un envoyé de cette Déesse, mais un père ?
Il allait partir, quand le blessé posa ses mains sur ses joues en lui promettant.
– Je vais faire tourner qu’il ne faut pas s’en prendre à toi. Je le jure, aucun loup noir aussi grand que toi n’aura rien. Merci loup, merci… et une seconde…
Il attrapa sa patte droite, enlevant son chapelet pour lui mettre autour du cou, soufflant avec un sourire.
– Je voyais que tu faisais tout pour le garder autour de ta patte, tu ne le perdras pas comme ça… merci encore, et continue bien ta route Loup Bienveillant…
– Vous aussi, et merci pour l’eau… »
Rodrigue repartit alors dans la forêt, content d’avoir pu aider quelqu’un, puis reprit le chemin vers son petit.
Quand la nuit tomba, alors qu’il s’installait sous un rocher pour dormir, le père ne put s’empêcher de contempler la lune, luisant dans le ciel comme une luciole géante. Elle était si belle… comme la chanson dans sa tête… il se mit alors à chanter dans sa direction, priant pour que son souhait se réalise et qu’en attendant, cette berceuse arrive à l’oreille de son petit…
*
« …pas la peine de te donner tout ce mal.
– Si ça te change les idées, ça ne me gêne pas. Si ça te gêne…
– Non, c’est mieux que de tourner en rond quand y a personne avec qui s’entrainer…
Félix bougea son pion sur le plateau, jouant le renard dans le jeu alors que les poulets de Dimitri l’esquivaient, Fleuret sur les genoux de son ami ronronnant sous les caresses légères. Il préférait jouer ou s’entrainer dehors d’habitude mais, le jeune garçon piaffait tellement qu’il n’arrivait même pas à rester patient plus de deux minutes avec qui que ce soit. Il n’y avait que Dimitri pour le supporter quand il était d’aussi mauvaise humeur… Dimitri ou Cassandra mais, plus parce qu’elle était immunisée contre ses grognements et de toute façon, elle n’était pas là, elle faisait sa patrouille habituelle dans les montagnes.
« Ça ne fera pas arriver le messager plus vite de grogner tout seul comme ça tu sais, » lui avait encore fait remarquer l’épéiste en le posant à part le temps qu’il se calme. Elle en avait de bonnes !
Enfin, vu que Dedue avait du mal à laisser Dimitri tout seul depuis qu’il avait été empoisonné, la présence de Félix le convainquait souvent de sortir et de s’occuper uniquement de sa sœur ou de lui-même, ou de suivre les cours d’une des cousines Charon, Varvara – ou Véra vu que tout le monde avait des surnoms ici – qui leur apprenait le fodlan. Même si ses blessures se refermaient et qu’il arrivait à rester éveillé et conscient plus longtemps, Dimitri n’avait pas encore le droit de bouger de son lit, ou seulement en chaise roulante et encore. Alors, les deux amis passaient le temps en jouant à des jeux de plateaux ou aux cartes. En plus, ça faisait une occasion pour Dimitri de cajoler Fleuret sans que celui-ci ne s’enfuisse alors, c’était mieux pour tout le monde.
– Il doit arriver d’un jour à l’autre si tout va bien, ce sera vite là, lui rappela le blond en bougeant une de ses poules. En plus Cassandra lui a aussi écrit alors, il sera obligé d’au moins répondre à ses questions.
– Si tout va bien et qu’il ne tombe pas sur de la pluie ou autre chose… et même s’il est à l’heure, c’est encore trop long… enfin bon, c’est comme ça j’imagine… une de plus de gobée.
– Oui mais, je t’ai bloqué, lui fit observer le blond, le pion de Félix complètement encerclé par les siens.
Le plus jeune grogna mais, admit sa défaite, il était nul à ce genre de jeu de toute façon, il avait du mal en stratégie. Dimitri ne cocoricota pas non plus et proposa à la place.
– On joue à la bataille ?
– Tu veux perdre ? » Répliqua Félix, Dimitri n’ayant aucune chance avec les jeux de cartes. Il avait toujours une main terrible, alors une bataille ou même une pêche… même pas la peine d’y penser, c’était partir gagnant d’avance. « On peut jouer à la briscola sinon, j’y joue tout le temps avec Ivy quand elle vient à la maison et qu’on ne peut pas sortir.
– D’accord, si tu me réexpliques les règles, accepta-t-il sans souci en l’aidant à ranger les pions. Je crois que Dedue a laissé le jeu de carte sur le bureau la dernière fois, j’ai essayé de leur apprendre le roi-deux l’autre jour. Il faudra qu’on fasse un barbu tous ensemble une prochaine fois.
Félix hocha la tête, prenant le plateau et le sachet de jetons dans ses mains. Il les rangea à leur place, retrouva le jeu de carte, puis retourna auprès de Dimitri, serrant les dents. Il avait mal à la tête depuis quelques jours et un peu de fièvre mais, ce n’était rien de grave. Il était allé voir le médecin au cas où pour ne pas contaminer Dimitri s’il était malade mais, il n’avait rien. C’était juste l’impatience et l’angoisse qui faisait ça donc, pas la peine de trop s’en faire, même si la guérisseuse lui avait dit de revenir si ça durait trop. Il suffisait que cette foutue lettre arrive enfin et ça irait mieux après, c’était tout. Son père lui dirait enfin qu’il n’avait pas le temps d’écrire ou qu’il s’en fichait de ses lettres ou autre chose puis, Félix pourrait passer à autre chose.
« Arrête de mentir sur ça, ça ne t’avancera à rien et on a tous remarqué que tu veux juste des nouvelles de Rodrigue. »
Il repoussa autant que possible la remarque de Cassandra au fond de son esprit.
Les deux amis étaient à quatre à trois en la faveur de Félix à la briscola, quand Cassandra arriva avec un paquet de lettre dans les mains, sa queue de cheval encore humide après être passé dans les nuages pendant sa patrouille.
« Livraison de courrier pour vous deux ! J’ai aussi ma réponse donc, on devrait être fixé pour de bon !
Le magicien abandonna tout de suite son jeu pour aller prendre sa lettre plus vite, la tournant en vitesse pour faire sauter le sceau en voyant le double destinataire alors qu’il se rasseyait sur le lit de Dimitri, chacun récupérant sa lettre. La chancellerie le réécrivait toujours afin d’être sûr que le messager pourrait le relire, Rodrigue écrivait souvent trop mal pour être lu rapidement, même si quelque chose le dérangea un peu avec juste ce regard rapide dessus. Il comprit pourquoi en l’ouvrant, le problème lui sautant tout de suite aux yeux.
« C’est pas l’écriture de mon père…
– Tu es sûr ? Lui demanda Dimitri alors qu’il décachetait la sienne mais, il avait moins l’habitude que lui de lire Rodrigue, c’était plus difficile de voir la différence, même si elle se voyait comme le nez au milieu de la figure.
– Non… quelqu’un a tenté d’imiter ses pattes de mouches mais, c’est pas les siennes. Je le sais, on a les mêmes ! C’est même quelqu’un qui doit écrire de la main droite qui l’a imité ! On écrit à l’envers d’habitude car c’est plus pratique quand t’écris de la main gauche mais là, c’est écrit à l’endroit ! C’est pas mon père qui a écrit cette lettre ! S’écria-t-il en commençant à paniquer, même s’il fit mine de garder son calme en râlant. Il doit vraiment s’en ficher complètement s’il la fait écrire par quelqu’un d’autre !
– Hum… c’est pas lui non plus qui a écrit ma lettre aussi, c’est plus l’écriture de mon père, même si elle tremble beaucoup… souffla Dimitri en lui montrant sa missive.
– Et pareil de mon côté j’imagine, l’écriture est vraiment trop propre comparé à la tienne, marmonna Cassandra en retournant sa missive, rédigé avec un scripte trop net pour que ce soit Rodrigue ou même Alix – et comment Alix aurait pu écrire une lettre venant de Fhirdiad alors qu’il est à Fort Egua ?! – qui l’ait écrite.
« Mais qu’est-ce qui se passe à la fin ?! »
En lisant sa lettre, son angoisse et son mal de tête ne firent qu’empirer de concert. Rien… rien ne sonnait comme son père… il lui expliquait qu’il était un peu malade alors, il ne pouvait pas trop écrire mais qui lui écrirait plus pour ne pas l’inquiéter mais, ce n’était pas son père ! Ce n’était pas sa manière d’écrire ou de parler et même la forme des mots, c’était pas celle de la maison mais celle de Fhirdiad ! Ce n’était pas Rodrigue qui lui avait écrit cette lettre ! Il en était sûr ! C’était un encore plus gros menteur que lui !
– Mon père dit que Rodrigue est un peu malade alors, il ne pourra pas trop… eh ! Félix !
Le garçon aux cheveux noirs avait déchiré la lettre en mille morceaux dans sa rage, avant de se lever d’un coup pour se précipiter à la porte, ses maux de tête devenant de véritables coups de marteaux contre son crâne. C’était que des mensonges ! C’était pas son père ! Il n’avait toujours pas de réponse et quelqu’un se faisait passer pour lui ! « Un peu malade »… tu parles ! Il était très malade au contraire ! Rodrigue avait le cœur qui battait faiblement quand il était parti et maintenant, on lui disait de ne pas s’inquiéter ?! Mais on se foutait de lui ! Il voulait juste savoir !
– Eh ! Félix !
Cassandra l’appela à son tour mais il ne prit même pas le temps de se retourner, jusqu’à ce qu’elle l’arrête directement en l’attrapant par le bras avant de le forcer à la regarder quand elle lui demanda, le tenant des deux côtés pour l’empêcher de trop bouger et de s’enfuir.
– Où est-ce que tu penses aller ?
– Trouver des réponses là où elles sont ! Répliqua-t-il en se débattant, même si elle était bien plus forte que lui. Lâche-moi !
– Pas avant que tu te sois calmé, lui renvoya-t-elle en gardant son calme et ça l’énervait encore plus de la voir comme ça !
– Lâche-moi ! » Ordonna-t-il en essayant de lui donner un coup de pied pour la faire lâcher mais rien à faire, elle avait trop de poigne ! « Tu sais rien !
Il crut entendre la voix inquiète de Dimitri mais, Cassandra tourna la tête vers son lit, pour lui dire de ne pas bouger peut-être, même si Félix s’en fichait ! Qu’il ordonne plutôt à sa cousine de le lâcher pour le laisser partir faire ce qu’il avait à faire ! A la place, l’épéiste reprit, gardant un ton neutre.
– Non, pas avant que tu te sois calmé. Tu vas faire quoi ? Retournez à Fhirdiad à la nage ?
– Pourquoi pas ?! Je pourrais ! L’eau ne m’a jamais fait de mal ! Cria-t-il encore plus fort, rien que pour la faire aussi monter de ton et la faire lâcher de colère.
– C’est trop dangereux, répliqua-t-elle fermement. Personne n’est un assez bon nageur pour faire toute la descente jusqu’à Fhirdiad, encore moins après la pluie qu’on a eu. Donc, tu attends de te calmer et tu n’y vas pas comme ça.
– Si ! Faut que j’y aille tout de suite ! Maintenant !
– Non.
– Si !
– Non. Je ne changerais pas d’avis et personne ne te laissera partir d’ici tout seul, c’est trop dangereux, insista Cassandra.
– Arrête de faire comme Glenn ! T’es pas lui ! Et ça ne te regarde pas ! Ça concerne ma famille ! Pas la tienne !
– Je sais, et je ne fais pas comme Glenn, je fais juste que j’ai à faire, et ce que j’ai à faire, c’est de ne pas laisser un gosse en colère crapahuter tout seul dans le Royaume alors que c’est le chaos à plusieurs endroits. Tu crois quoi ? Que tu pourras descendre toute la montagne à pied pour aller engueuler ton père sans préparation, vivres ou rien ? C’est pas comme ça que ça fonctionne Félix ! Donc, tu te calmes et on parlera de ça après, ordonna-t-elle sans se démonter.
– Non ! Non ! Et non ! Pas question ! C’est pas lui qui a écrit ma lettre ! C’est pas lui ! Quelqu’un d’autre a écrit à sa place ! Celui qui l’a remplacé dit qu’il est un peu malade mais c’est faux ! Quand je suis parti, il avait le cœur qui battait lentement, c’est pas rien ! Ça aurait tué ma mère si je ne l’avais pas fait avant ! Papa est malade comme elle et ils me disent qu’il va pratiquement bien ?! C’est pas possible ! Je veux savoir ! Je veux savoir ! JE VEUX SAVOIR !!! JE VEUX VOIR MON PÈRE ! JE VEUX LE VOIR ! LÂCHE-MOI !!!
Félix se débattit comme un chat sauvage enfermé dans un filet, essayant de taper et de mordre Cassandra, qui continuait à le tenir par les bras, l’empêchant de vraiment bouger ou de s’enfuir alors qu’il répétait encore et encore les mêmes mots jusqu’à tomber de fatigue quand la colère s’en alla… mais ce fut encore pire sans elle… sans la colère…
– Lâche-moi… ordonna-t-il encore, la voix brisée en mille morceaux. Lâche-moi… je veux… je veux mon père… je veux le voir… je veux le voir… j’en ai marre de ne pas savoir… qu’est-ce qui lui arrive ? Pourquoi il ne me dit rien ? Il est fâché à cause de ce que je lui ai dit, c’est ça ? Pourquoi il ne m’écrit plus ? Pourquoi je ne peux pas aller le voir ? Je… je veux papa…
– Ça, on verra avec mes tantes, mon père et mes oncles, » reprit-elle en le rattrapant alors qu’il tombait de fatigue… il avait tellement mal à la tête… « Repose-toi un peu avant, t’as l’air d’en avoir besoin…
Heureusement, Félix s’endormit presque tout de suite, les joues un peu rouges, le souffle court. Par sécurité, Cassandra posa sa main sur son front, sentit la chaleur sous sa paume… elle n’avait pas assez de connaissance pour savoir si c’était à cause de la crise de colère qu’il venait de faire ou à cause de la maladie ou de l’angoisse mais, c’était pas bon… faudrait qu’elle demande à leur médecin, Laïs, de regarder tout ça au cas où…
« Cassie… l’épéiste se retourna, et vit Dimitri qui s’était approché, rampant sur ses genoux étant donné qu’il n’avait pas encore de force pour se lever. Est-ce… comment va Félix ?
– C’est pas la grande forme honnêtement. Il a aussi de la fièvre alors, ça n’aide pas…
– Oui… il ne le dit pas – et ne lui dit pas aussi, il s’énerverait en ce moment – mais il s’en fait beaucoup pour Rodrigue… il a très peur pour lui… il adore son père tu sais… plus que tout… sa famille, c’est vraiment tout pour lui, même tout son fief… à Egua, le lac est presque comme un membre de la famille ducale… tout ça lui manque beaucoup… plus que tout… je sens que ça lui fait mal d’être là plutôt que chez lui… s’il est venu ici, c’est juste parce que mon père ne voulait pas que je sois sans un de mes amis, même si Dedue et Sasiama étaient là… il est venu sur un coup de tête après sa dispute avec son père… et je crois que Gustave les a un peu forcés à se séparer… en plus… avec Glenn qui…
Dimitri baissa les yeux, hésitant, les posant un peu partout sauf sur son ami. Ça arrivait de temps en temps mais, il refusait toujours d’en parler, surtout quand c’était Félix qui était le premier à le remarquer, ce qui pouvait les amener à se disputer. Ça se calmait vite mais, ça ne devait pas aider entre ça, son angoisse pour Rodrigue et son entêtement à le cacher envers et contre toute son honnêteté.
« Tu m’étonne que le gamin se soit évanoui à force… »
Elle donna un petit coup sur le front de son cousin, déclarant sans hésiter.
– Eh, Dimitri, lève la tête. Félix devrait aller bien si un médecin s’occupe de lui et qu’il accepte enfin de dire honnêtement qu’il s’inquiète pour son père. Je sais qu’il angoisse pour Rodrigue, c’est écrit sur sa figure. Il doit être très fatigué à cause de son inquiétude pour lui et ses deuils. Et à ta tête, tu t’en veux aussi mais, c’est pas ta faute tout ça. Si c’est Lambert qui a voulu et Gustave qui a enfoncé le clou, c’est leur faute à eux d’avoir profité de cette dispute, pas la tienne.
– Oui mais… c’est quand même pour moi qu’il n’est pas avec son père… si j’avais eu la force de lui dire de rester… si j’avais pu le convaincre d’admettre… être plus là pour Félix… l’aider…
– T’étais comment à ce moment-là ? Le coupa-t-elle. Car quand t’es arrivé, tu ne pouvais même pas bouger. Ne te charge pas trop, t’es encore petit, et t’avais pas vraiment ton mot à dire dans toute cette histoire. En plus, toutes tes phrases sont avec des « si » et avec des « si », on mettrait Fhirdiad dans une bouteille qui flotte. Tu ne peux pas réécrire l’histoire. Maintenant, on a cette situation-là alors, faut faire avec, rétorqua Cassandra avant d’ajouter en jetant un regard à l’évanoui, qui s’était calmé un peu. Je ne pense pas qu’il aimerait ça. Vu tout ce qui s’est passé, il doit préférer avoir la vérité et des choses simples. Déjà qu’il n’a pas l’air d’aimer de se prendre la tête… et Théo dirait qu’on est deux mais, c’est pas le moment.
Heureusement, Dimitri finit par hocher la tête. Il faudrait qu’ils en reparlent du coup des yeux fuyants mais, un peu plus tard. Cassandra lui fit un signe de tête, disant sans hésité.
– Allez viens, on l’emmène chez le médecin. Comme ça, tu sauras aussi ce qu’il a.
– Mais tu portes déjà Félix…
– Je vais te porter aussi, t’es pas bien épais. Je porte Thé comme s’il ne pesait rien, même dans son fauteuil, vous ne devez pas être bien plus lourd.
Dimitri hocha la tête, passant ses bras autour du cou de sa cousine, alors qu’elle se relevait sans trop de problème en les portant tous les deux à travers les couloirs. Le prince laissa glisser son regard vers son ami, endormi contre le cou de Cassandra, le souffle court, les joues toutes rouges…
Il vit une main pale caresser son front fiévreux, le calmant un peu… une chanson toute douce résonnant à chaque pas… une des préférées de Félix… une que chantait toujours Rodrigue pour le soigner… mais ce n’était pas la voix du père de son ami…
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Glenn le veillait, prenant soin de son frère, jetant un regard reconnaissant à Cassandra pour s’occuper de lui… son regret de ne pas pouvoir le faire lui-même ruisselant sur son visage et ses joues, les maculant d’écarlate…
– Je suis désolé Félix… » souffla Dimitri, trop conscient que c’était de sa faute si Glenn était mort… ses derniers mots… son gémissement où il appelait son frère, son père et son oncle et voulait revenir à leurs côtés… tout ça car il avait pris ce sort à sa place… Félix qui était tellement inquiet pour son père… de perdre encore un membre de sa famille qu’il s’en rendait malade… « Je suis désolé… mais ne t’inquiète pas… tu vas vite le retrouver, je te le promets… Dimitri osa lever timidement sa main pour la poser à son tour sur la joue de son ami. Je ferais tout pour que vous ne soyez plus jamais séparé, je te le promets…
*
Dimitri était assis comme il pouvait dans une chaise roulante à côté du lit de Félix, refusant de le quitter, même si Laïs insista en le poussant dehors.
« Il a attrapé une mauvaise fièvre. C’est surement l’angoisse et la tension de ses derniers jours qui l’ont fait tombé malade mais, vous êtes trop fragile pour rester auprès de lui Votre Altesse alors que nous ne sommes pas encore sûr de ce qu’il a. Vous lui rendrez visite quand il ira mieux et que nous serons sûr que ce n’est pas une grippe ou pire, une peste ! »
Hélas pour lui, Cassandra n’était pas de son côté et lui dit aussi de rester à l’écart pour ne pas attraper ce qu’il avait. Le fautif savait que c’était la meilleure chose à faire mais, c’était tellement frustrant ! Il voulait tellement être auprès de Félix ! C’était à cause de lui s’il était aussi loin de son père et s’inquiétait comme ça ! Il devait au moins s’occuper de lui alors qu’il était malade !
Alors, même si c’était mal de désobéir dans une situation comme ça, il demanda à Dedue de le ramener auprès de l’alité sans se faire voir. Il y serait allé tout seul mais, il n’aurait pas assez d’énergie pour faire tout le chemin, surtout quand il faudrait gravir des pentes. Cassandra était repartie en patrouille, ça ne se verrait pas… au début, son nouvel ami refusa, rétorquant que c’était dangereux pour sa propre santé mais, Dimitri insista tellement qu’il arriva à le faire craquer, même si Sasiama ne comprit pas trop pourquoi elle devait rester en arrière pour ne pas être contaminé et pas lui.
« Je t’expliquerais après, promis… »
Dedue le poussa donc à travers les couloirs sur sa chaise roulante, se faisant aussi discret que possible. Heureusement, cette forteresse était une véritable ruche avec beaucoup d’agitation, c’était plus facile de passer discrètement, et elle était adaptée pour que des personnes en chaise roulante comme Théo puisse s’y déplacer seul avec l’habitude…
Une fois devant la chambre de malade de son ami, Sasiama vérifia que Laïs n’était pas là, ce qui était le cas. Dimitri les remercia, puis entra lui-même dans la pièce.
Sa gorge se serra en voyant son ami, haletant et transpirant, les joues toutes rouges… la fièvre l’avait fait tombé d’un coup… il était rarement malade mais, quand ça arrivait, il l’était toujours beaucoup…
Se redressant comme il pouvait sur ses appuis flageolants, le blond remplit le verre à côté du lit de son ami d’eau bien froide, puis se hissa à côté de Félix, récupéra le gobelet et le fit boire lentement. Le frais et l’eau lui feraient du bien… toujours pour l’eau… après tout, c’était une maladie et une chambre de malade normal…
« … »
Normal…
« Félix… »
Parfaitement normal…
« Félix… réveille-toi petit frère… »
Dimitri sursauta, heureusement quand il eut fini de donner de l’eau à son ami, comme toujours quand ça arrivait ces derniers temps, sauf tout à l’heure où il n’avait pas été surpris de le voir. La voix caverneuse de Glenn résonnait tout autour de lui puis, il apparaissait, couvert de blessure, la poitrine explosée comme quand il était mort… pale… vide de sang… sauf ses mains brûlées dévoilant les os…
Pleurant toujours de remords et de regret, il prit alors son frère dans ses bras comme pour le porter mais, seul son esprit le suivait, la longue natte de Glenn ne le traversant pas contrairement à son corps…
« Non ! »
Le fautif se jeta sur Félix, comme si ça pouvait empêcher son âme de s’échapper, pleurant alors qu’il suppliait Glenn en serrant lui-même le corps endormi contre son cœur, comme si ça suffirait alors que cela n’avait pas marché pour Glenn à Duscur.
« Non… non… non… par pitié Glenn… je suis désolé… ne le prend pas… ne le prend pas… je sais qu’il te manque, tu me le dis tout le temps mais, par pitié, laisse-le vivre… je t’en supplie… je sais que c’est ma faute si tu es mort mais, je t’en supplie… laisse Félix vivre… je t’en supplie Félix… vie… vie… vie… ne pars pas… je t’en supplie Félix ne t’en vas pas… »
Dimitri sentit alors son ami trembler, et il l’appela encore en prenant sa main en priant pour que ce ne soit pas son imagination qui lui jouait des tours.
Dimitri pleura de joie en la sentant se contracter dans la sienne…
*
Alix se laissa tomber dans son lit. Encore et encore et encore des toutous de Rufus venant leur réclamer des soldats et des vivres pour Fhirdiad… qu’est-ce que Rufus pouvait bien en vouloir en faire à part pour sa guerre inutile ? En tout cas, il était à deux doigts d’en mordre un, il avait tellement mal à la tête… il ne pouvait pas se permettre de leur laisser plus de nourriture, il en avait besoin pour nourrir son fief… et le plus jeune jumeau n’avait toujours pas de nouvelle de Rodrigue. Tant qu’il n’avait pas de nouvelle, hors de question d’obéir à qui que ce soit ! Il voulait tellement savoir ce qui lui était arrivé !
Alix savait que son frère se sentait soulagé à présent, comme libérer de quelque chose mais, il était aussi angoissé, mort de peur… il était sûr que c’était pour Félix et lui… surtout Félix… Alix savait se défendre, Félix était encore un louveteau que la meute devait protéger… le seul petit qui lui restait et qu’il protégerait de sa vie, encore plus après avoir perdu Glenn ainsi… Alix n’aurait pas aussi peur que Rodrigue n’ait pas l’information alors qu’il cherchait son louveteau, son neveu serait déjà en train de rentrer à la tanière… il devait aussi être inquiet en plus, lui aussi n'avait plus de nouvelle de son père… et s’il se fiait à la lettre qu’Ivy lui avait envoyé, Rodrigue n’avait pas non plus de nouvelles de Félix et Alix… qu’est-ce qui se passait dans ce bordel à la fin ?
Il était si fatigué de tout…
Quand il s’enfonça dans le sommeil, Alix entendit un chant arrivé jusqu’à ses oreilles, alors qu’il dormait sur un lit de mousse, éclairé par la lune. Il le reconnut tout de suite…
« Rodrigue… »
Évidemment qu’il le reconnaissait tout de suite… il était son frère et son frère était lui… la mélopée s’enfonçait dans sa tête…
Il ouvrit alors les yeux et le vit enfin, assit sur un rocher, les yeux tournés vers la lune en lui suppliant de lui transmettre ce message…
« Je vais revenir, je te le promets… attend-moi mon frère… je vais chercher mon petit et j’arrive… je vais bientôt te retrouver… »
« Rodrigue… souffla-t-il en se réveillant, sentant la magie de son frère couler dans ses veines. Je sais, même si je te rejoindrais… on ira le chercher ensemble, d’accord ? Je suis sûr que tu comprendras et on se retrouvera plus vite comme ça… »
*
Le surlendemain, Dimitri avait enfin le droit de rester auprès de Félix pour le veiller et s’occuper de lui. Félix avait tellement de fièvre… le fautif avait l’impression que s’il tournait la tête une seconde, Glenn allait revenir pour l’emmener avec lui, même s’il n’avait plus recommencé depuis le premier jour… pas quand il était là en tout cas… Fleuret dormait à côté de son maitre, tout calme, même s’il semblait aussi inquiet.
« Je sais… il passa sa main sur la tête du chat, mesurant autant qu’il pouvait sa force. Moi aussi, j’ai hâte qu’il guérisse…
– Dmitri, on peut entrer ?
– Ah ! Dedue ! Bien sûr !
Le fautif fit tourner son fauteuil roulant comme lui avait montré Théo pour regarder le duscurien entrer, Sasiama lui tenant la porte alors qu’il avait les mains pleines d’un grand plateau.
– À table ! S’exclama-t-elle.
– Du calme Sasiama, il ne faut pas faire trop de bruit à côté d’un malade, on risque de le réveiller, la rappela à l’ordre son frère.
– Malheureusement, je crois que Félix dort trop profondément pour que ça le réveille, avoua tristement Dimitri. Il respire mais, impossible de lui faire ouvrir les yeux.
– Il lui faut du temps et beaucoup d’énergie pour guérir, lui rappela Dedue en lui donnant son bol de soupe, puis celui de sa sœur, laissant le sien de côté pour attraper le bouillon de légume et de volaille de Félix.
– Je m’en charge, ne t’en fais pas, lui assura le fautif en se penchant pour récupérer le bol.
– Tu es encore faible Dmitri, tu risques de trembler en lui donnant et c’est encore chaud. Je ferais mieux de m’en occuper, lui fit observer Dedue.
Il aurait voulu protester mais, il dût se rendre en voyant sa soupe s’agiter dans ses mains, toujours couvertes des bandages de givre de son ancêtre, ayant encore du mal à contrôler son corps. Il hocha donc la tête et laissa le duscurien nourrir son ami endormi. Sasiama racontait leur cours de Fodlan au fautif quand ils entendirent les éclats d’une dispute montés depuis la cour du château. La petite fille sauta tout de suite sur ses pieds pour aller voir ce qui se passait à la meurtrière avant de dire.
« C’est Phébus qui se dispute avec des gens qui portent les mêmes couleurs que Dmitri !
– Des gens qui portent mes couleurs ? Ce serait des agents de mon père ou de mon oncle ? Et pourquoi ils se disputent avec lui ? La questionna-t-il.
– Humm… j’arrive pas à comprendre… je suis désolé… souffla-t-elle avec une moue triste. J’ai fait des progrès en fodlan pourtant…
– Ne t’en fais pas, c’est normal, surtout d’aussi loin… il serra le poing autour de l’accoudoir, avant de décider en faisant tourner ses roues. Je vais voir ce qui se passe, je vous confie Félix. »
Il roula jusqu’à la porte où il demanda à un des gardes de l’emmener jusqu’à la cour. La femme hésita un peu mais, finit par obéir, mettant le fauteuil sur son dos à l’aide de sangles disposé au dos du siège, puis ils descendirent en vitesse jusqu’au lieu de la dispute. Se tenant comme il pouvait, Dimitri entendait de plus en plus distinctement ce que les adultes disaient.
« …nous avons déjà donné suffisamment à la couronne ! S’exclama son oncle Phébus, le mari de Myrina, qui assurait la suppléance du poste de comtesse le temps qu’ils choisissent la successeuse de sa femme. Le régent devrait savoir qu’il ne peut nous forcer à ouvrir nos réserves loogiennes, même le roi n’en a pas le droit, et ils semblent confondre nos coffres et ses propres poches ! Nous avons déjà envoyé tout ce que nous pouvions, que ce soit en homme ou en vivres, nous ne pouvons pas nous permettre de donner plus, encore moins sans garanti.
– Je comprends votre réticence, surtout que votre famille a été durement touchée par la Tragédie. Mais n’est-ce pas une raison de plus qui devrait vous motiver à apporter votre soutien au régent dans ses ambitions et objectifs pour le Royaume. Nous avons besoin de troupes pour protéger la capitale, en particulier la famille royale, ainsi que pour faire payer à ses monstres de duscuriens ce qu’ils ont fait aux nôtres…
– Ils ont besoin de tout ça car aucun des deux ne sait tenir ses comptes et sa maison correctement ! Ma belle-sœur aurait pu en témoigner si elle était encore parmi nous ! S’écria l’homme, furieux. Et c’est aussi lui qui a emmené mes neveux, mes nièces, mes beaux-frères et sœurs et ma propre femme à la mort ! Et il voudrait que nous continuions à tout lui donner sans poser de question ?!
– Mais ce n’est pas Sa Majesté qui les a tués ! C’est les duscuriens qui les ont massacrés sans crier gare alors que…
– Et t’as des preuves Christophe ? Intervient Cassandra en le coupant sans se gêner. Car à part que c’était sur leur territoire, on a aucune preuve que c’était bien eux ! T’as vu la tête de leurs montagnes et le nombre qu’ils sont ? C’est impossible qu’ils puissent savoir tout ce qui se passe dans ces montagnes et un groupe d’ennemi a très bien pu s’y faufiler sans qu’ils s’en rendent compte. C’est pas comme si on savait tout ce qui courent dans le Royaume aussi ! On le sait, on a les mêmes en plus petites ici !
– En plus, les deux témoins sont formels sur ce point, ce n’était pas des duscuriens qui les ont attaqués, autant selon leur apparence que selon leur uniforme, ajouta Théo avec plus de calme. Si on passe ça devant un tribunal qui n’a aucun lien émotif avec la Tragédie de Duscur, jamais ils ne seraient considérés comme coupable alors, il va falloir nous prouver leur présumé culpabilité avec plus que ça. Tant qu’il n’y a pas de preuve solide de leur culpabilité, ils sont innocents.
– Mais c’est évident ! Rétorqua la même voix qui devait être celle de Christophe, alors que le soldat reposait le fauteuil de Dimitri au sol, ce dernier le remerciant pour son aide.
– C’est pas une preuve ! Répliquèrent sans hésiter le frère et la sœur.
– Allons, allons, inutile de vous énerver ainsi, commanda celui semblait être le chef des agents de Fhirdiad. De toute façon, vous ne pouvez désobéir aux ordres du roi. J’obéirais gentiment si j’étais vous d’ailleurs. Ce n’est qu’un conseil mais, je serais vous, je serai le plus docile possible pour éviter de subir le même sort que le duc de Fraldarius…
– Qu’est-ce qui se passe ?
Dimitri roula sans hésité une seconde dans la cour, fixant le commandant avec l’emblème de Blaiddyd barré sur son pourpoint. Un homme de son oncle donc… l’homme hoqueta un peu en le voyant, déclarant rapidement.
– V… Votre Altesse ! Vous ne devriez pas vous reposer ?
– Je me sens beaucoup mieux ici mais, ne changez pas de sujet, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi mon oncle veut autant de soldats et de vivres ? Pourquoi il veut attaquer Duscur ? Les duscuriens n’ont rien fait de mal ! Ce n’est pas eux qui nous ont attaqué mais, des magiciens très pale en rouge et noir et avec des masques de corbeaux ! Les duscuriens nous ont même sauvé la vie à mon père et à moi et se sont occupés de nos morts les premiers ! On devrait les remercier au contraire ! Ça ne sert à rien de les attaquer ! Et qu’est-ce qui est arrivé à Rodrigue pour que vous parliez de lui comme ça ?
– Il s’agit d’ordre de votre oncle Votre Altesse. Son Altesse le régent a ordonné à tous les fiefs de lui envoyer des soldats en renfort à la capitale ainsi que des vivres. Nos réserves sont très limitées et des tensions commencent à éclater. De plus, il y a eu un… un léger accident lors de l’arrivée du grand-duc Oswald von Riegan à la capitale, provoqué par Sa Grâce le duc de Fraldarius… se marcha-t-il tout seul dessus et heureusement que Félix n’était pas là, il s’énerverait encore plus avec tout ça !
Dimitri serra les poings sur ses accoudoirs, répétant la question de Glenn qu’il était le seul à entendre, furieux de ne pas pouvoir faire cracher le morceau lui-même à l’émissaire.
– Que s’est-il passé ce jour-là alors ? Rodrigue ne ferait jamais rien contre les intérêts du Royaume volontairement, je le sais. Et je n’ai plus de nouvelles de lui depuis des semaines, ni moi, ni Félix qui en est malade tellement il s’inquiète. La dernière lettre qui est arrivé de sa part était même fausse. Est-ce que c’est à cause de mon oncle si nous n’avons plus de lettre de sa part ?
– J’ai bien peur que ce soit des choses d’adultes un peu compliqué pour vous Votre Altesse… vous devriez seulement penser à votre rétablissement…
– Je ne vous demande pas si c’est trop compliqué pour moi ou non, seulement de m’expliquer ce qui s’est passé. Et je peux penser à autre chose. Si ça concerne Rodrigue, ça concerne Félix ! Je veux qu’il se rétablisse aussi et il ne le pourra pas sans savoir ce qui arrive à son père ! Alors, répondez à mes questions !
– Votre Altesse… je ne pense pas que…
– Répondez, c’est un ordre ! Le coupa tout de suite le prince sévèrement, son ton n’admettant aucune objection.
– V… Bien Votre Altesse… le seigneur Rodrigue a énormément travaillé pour tenir le Royaume et préparer la venue du grand-duc, encore plus quand les Dame Lachésis et Thècle Charon ont été vérifiées que les impôts ordinaires du domaine royal rentraient bien dans les caisses du Royaume.
– Pourquoi mon oncle les a envoyés elles et pas quelqu’un d’autre ? Elles sont très importantes pour l’administration et Rodrigue aurait bien eu besoin d’aide ! Mon oncle les a fait remplacer par qui ?
– Elles étaient les plus qualifiées pour cette mission et… et par personne Votre Altesse. Il s’occupait seul de tout préparer, à part pour la sécurité qui était à la charge du Capitaine Gustave Dominic.
– Il était tout seul ?! Hoqueta-t-il, choqué et déjà inquiet, Glenn devenant encore plus livide et inquiet en entendant ça. Mais c’est… kof ! Kof ! C’est beaucoup trop de travail pour un homme seul ! Et mon père n’a rien fait ?!
– Votre oncle le régent a estimé qu’il était à la hauteur de cette tâche… et votre père était encore alité quand je suis parti. Il n’est pas en état de prendre des décisions ou de régner, tout est gérer par son frère votre oncle.
– Et qu’est-ce qui est arrivé pendant cette rencontre ?
– Le duc de Fraldarius a… l’homme de Rufus hésita un peu, ne sachant visiblement pas comment lui dire avant d’avouer, regardant ailleurs avant de le fixer à nouveau dans les yeux, bien moins courageux face à lui que face aux Charon. Il a eu une petite faiblesse et s’est malheureusement évanoui de fatigue quand il a accueilli le grand-duc…
– Quoi ?! Rodrigue s’est… kof ! Kof ! Maudite fumée ! Il en reste encore un peu !
– Votre Altesse, commença-t-il avec une fausse attention, cherchant surtout à couper la conversation. Vous devriez…
– Je vais bien ! Mais vous êtes en train de vous servir de Rodrigue, qui s’est épuisé pour le Royaume, pour menacer Phébus ? Il a tellement travaillé qu’il s’est évanoui ! C’est mon oncle qui devrait être puni pour avoir fait ça ! Pas lui ! Il n’a pas le droit de le punir pour avoir été trop dévoué ! En tout cas, je vous interdis de prendre quoi que ce soit ici ! Lokris a besoin de ses réserves aussi et les Charon ont beaucoup donné ! Comme tout le Royaume ! Dites à mon oncle d’arrêter de demander autant aux autres ! Eux aussi ont besoin de manger et de vivre ! Et dites-lui aussi que je veux de vraies nouvelles de Rodrigue ! Je veux une lettre avec son écriture et pas une fausse comme la dernière ! ça a rendu Félix malade tellement il s’inquiète alors, hors de question qu’il s’en fasse encore plus ! Il veut la vérité sur ce qui arrive à son père ! Si c’est ce que Félix veut, je le veux aussi !
L’homme n’eut pas d’autre choix que de courber l’échine devant sa colère, déclarant platement en s’inclinant devant Dimitri qui s’était redressé comme il pouvait sur son siège, essayant d’être plus impressionnant en ignorant la douleur qui lui rongeait le dos et la gorge, restant toujours malgré tous les efforts de son ancêtre pour le soigner.
– B… Bien Votre Altesse, il en sera fait selon vos ordres…
Glenn sourit en le voyant se soumettre ainsi, puis refila auprès de son frère, alors que les Charon firent remplir toutes les formalités de leur venue avant de les laisser partir. Cela laissa le temps à Cassandra d’attraper Christophe par le col pour le tirer dans un coin où elle allait surement lui faire la leçon avec Théo, les deux ne cachant pas leur désaccord avec tout ce que leur ami faisait depuis la Tragédie. Phébus soupira, passant sa main sur son front alors qu’elle marmonnait.
« Quelle bande de crapules… merci pour votre aide Votre Altesse, ils sont têtus comme des troupeaux de mules.
– C’est normal… hacha-t-il, la gorge toute sèche après avoir autant parlé. Kof ! Kof ! Le principal, c’est que… kof ! Que vous ayez encore vos… argh… vos réserves…
Il lui apporta un grand verre d’eau, le laissant boire tout son saoul tranquillement, avant que le fautif n’avoue, tremblant encore plus sous l’effort.
– Je m’inquiète pour Rodrigue… tout ça… tout ça cache quelque chose… en tout cas, j’espère que cette fois, on aura la vérité… il jeta un œil vers la chambre de son ami, inquiet. Au moins pour Félix… juste… juste savoir pourrait peut-être lui faire du bien… qui sait ? Peut-être qu’il guérira s’il entend ce qui est vraiment arrivé à son père… je… j’aimerais tellement qu’il se réveille…
Phébus répondit en passant sa main sur ses cheveux, un encouragement silencieux, compréhensif et patient…
– Que la Déesse t’entende…
*
Oswald regardait les hommes de Rodrigue s’organiser et partir à la recherche de leur duc. Ils avaient pour plan de remonter la rivière en passant la forêt au peigne fin avec des chiens qui étaient dressés pour suivre une trace mais, pas pour attaquer, et plusieurs d’entre eux connaissaient Rodrigue depuis longtemps et avaient sa confiance. Même transformé en loup, il ne devrait pas les craindre et attaquer. Estelle et Bernard restaient ici afin de gérer les troupes fraldariennes, ainsi que pour surveiller le roi de près. Ce n’était pas la meilleure des situations mais, c’était mieux que rien.
« J’espère qu’ils le retrouveront vite… marmonna Ivy en les fixant.
– Je l’espère aussi, ce sera mieux pour tout le monde… bon… il se hissa sur ses jambes. Je ne sais pas pour vous mais, j’irais bien en ville pour voir si des rumeurs sur ce qui s’est passé ont commencé à se répandre ou l’état d’esprit général. Qu’en pensez-vous ?
– Que j’ai pas vraiment d’autre choix que de vous suivre mais bon, ça s’annonce intéressant. S’il faut cracher sur Lambert, je vous fais ça gratuitement.
– Quelle générosité, sourit-il. Pour le moment, il faudra surtout écouter. Les rumeurs sur ce qui s’est passé au palais ont déjà dû bien enfler. Je serais curieux d’entendre les réactions de tout à chacun… J’aimerais bien aussi creuser sur l’odeur de cadavre que dégage cette Cornélia et l’explosion dans son laboratoire… elle me dit quelque chose mais, j’ai du mal à me souvenir de quoi, je n’ai pas vraiment eu le temps de bien creuser… Enfin, pour le moment, concentrons-nous sur Rodrigue, c’est le plus récent et le moins suspect.
Ils allaient se mettre en route pour une des tavernes de la capitale, quand Gustave arriva vers eux, comme un roquet qu’on envoyait aboyer sur les voisins. Bon, Oswald devinait déjà ce qu’il allait leur dire, c’était prévisible, et seul le chaos qui avait régné dans le palais l’avait empêché de le faire avant, débordé par les demandes autour du « loup de cendre », surtout qu’il avait tenté en vain de les convaincre que ce n’était pas Rodrigue, tous ceux qui avaient vu ses yeux l’avaient reconnu. Par contre, plus personne n’en parlait au palais depuis que Rufus avait menacé les trop bavards de leur faire couper la tête. Il ne se cachait même plus à personne, à part de son petit frère… comme quoi, il n’était pas prêt à assumer du tout. Il leur avait même interdit d’approcher de Lambert… un vrai roi fantoche… il n’aurait pas conduit son propre peuple à la mort et transformer son soi-disant ami en loup, Oswald aurait presque pu avoir pitié de lui… presque.
– Seigneur Riegan, Capitaine Drake…
– Capitaine Dominic, répondit le grand-duc en le coupant. Que nous vaut l’honneur ? Pouvons-nous enfin dire deux mots au roi ou il a autre chose à faire de plus important ?
– Je suis plutôt venu vous conseiller de retourner dans l’Alliance. L’accord est signé et accepté par tous les membres du conseil présent à Fhirdiad. Il serait sans doute plus sage pour vous de rentrer dans votre fief.
– Hum… moi qui trouvais que la situation commençait à devenir intéressante. Vous m’incitez poliment à dégager en somme.
– Ne soyez pas si téméraire. Comme vous l’avez sans doute remarqué, les difficultés de ses derniers jours rendent la tâche d’assurer la sécurité de tous à chacun difficile. Nous ne voudrions pas provoquer un accident diplomatique s’il vous arrivait quoi que ce soit…
– Vous voulez rire ? Gloucester vous remerciera de tout cœur d’avoir réussi à me tuer. Les deux derniers qui ont essayé se sont pris une flèche en pleine tête ou un coup d’épée dans la gorge sans arriver à vraiment me blesser. Croyez-moi, vous devriez plus vous soucier de vos concitoyens que d’un vieillard comme moi. Enfin, je comprends que notre charge soit lourde pour vous. Même si nous avons apporté nos propres vivres, nous sommes assez nombreux si on se fie à vos moyens…
Gustave garda le silence, ne voulant surement pas admettre que le Royaume n’avait pas les moyens de nourrir une suite aussi petite que la sienne. Il n’y avait que des personnes en qui il avait confiance et des personnes qu’il était obligé de se coltiner, il était très peu nombreux contrairement à ce que son rang exigerait. Ne pas arriver à s’occuper correctement d’eux était un aveu flagrant de faiblesse. Oswald continua alors :
– Toutefois, j’aimerais pouvoir m’entretenir à nouveau avec votre roi, cela fait un moment que je ne l’ai pas vu. C’est lui qui va devoir gérer comment vous allez vous organiser pour nous rembourser, comprenez que j’aimerais mettre au clair plusieurs points du contrat avec lui.
– Sa Majesté est très fatiguée, les derniers évènements l’ont privé de ses forces, même s’il insiste tout de même pour travailler, ce qui n’arrange rien.
– Oui, et lui, son bâtard de frère et toi, vous avez privé Rodrigue de sa forme humaine, répliqua Ivy sans le louper. Grâce à vous, il est en train de courir on ne sait où dans le nord à la recherche de Félix car on lui a arraché, c’est vachement moins grave que d’être blessé à cause de sa propre connerie !
– Rrrrrat de calle feignant… gronda Noce sur son épaule en grattant une poussière dans ses ailes.
– Je suis sûr que le régent a d’excellentes raisons pour ne pas nous autoriser à voir son petit frère mais, je ne transigerais pas avec cette condition. Si vous voulez me voir partir, il va falloir me laisser lui toucher deux mots… et à un autre moment que quand un pauvre homme se métamorphose pour ne pas succomber de fatigue et de désespoir… Si vous le voulez bien, cette partie de la négociation est close. »
Il tapa dans ses mains pour marquer la fin de cette discussion, se détournant avec Ivy sur les talons. Oswald attendit une seconde qu’il se soit suffisamment éloigné pour lui souffler, connaissant assez bien le genre d’homme qu’était Rufus pour anticiper le moindre de ses mouvements.
« Préparez-vous à vous battre, il va tenter de nous intimider avec des hommes d’armes. C’est un couard qui prend peur vite, il a déjà envoyé des messagers pour récupérer plus de soldats pour la capitale dans l’heure où Rodrigue s’est évanoui, et il va surement encore plus insister maintenant…
– D’accord. Un de mes hommes est blessé, c’est moi qui vous colle une dérouillée et je vous facture un supplément, le prévient-elle sombrement.
– Je m’en doute mais ne vous en faites pas, il va surement me viser en premier lieu. C’est plus simple pour eux. Enfin, raison de plus pour aller en ville plutôt que sur votre navire. Voyons s’il va étaler son incompétence jusque devant le nez de ses concitoyens…
Ivy répondit en gardant la main sur sa hanche, proche de son épée, prête à se défendre en cas de besoin, Oswald vérifiant lui-même sa propre arme de poing et son bocle, son emblème tourbillonnant dans ses veines d’anticipation, prête à s’activer en cas de besoin.
« Un compagnon de voyage toujours présent et prêt à intervenir… »
Les deux derdriens discutèrent avec un vendeur ambulant de ce qu’il avait vu, l’homme racontant en long en large et en travers qu’il avait vu un loup de cendre courir pile devant lui, quand Oswald remarqua des mouvements étranges sur les bords de son champ de vision.
« À tribord… souffla également Ivy, l’épée déjà en partie sortie.
Une petite troupe de limiers de Rufus essayait de s’approcher discrètement, envelopper dans leur cape. Bon, au moins, ils étaient un peu plus intelligents que les autres, ils n’avaient pas le blason de leur maitre cousu sur eux, ils étaient en progrès… Il en avait aussi repéré une autre sur le toit d’une maison voisine mais bon, rien de bien compliqué à atteindre.
– Et dans les mats, faites attention à ce qui pourrait tomber dans haut… quant à vous mon brave, je crois que vous devriez faire affaire plus loin, ce sera mieux pour vos affaires.
Il comprit très vite le message car, il partit en vitesse, alors que les limiers les appelaient.
– Eh ! Vous deux !
– Hum ? Plait-il ? Je ne vous ai jamais vu auparavant… on se connait ? Demanda Oswald, peu impressionné, question d’habitude.
– Il parait que vous fouinez partout et troublez les honnêtes gens avec vos questions…
– Cela ne répond pas à ma question. Je ne crois pas vous connaitre… ah ! Je sais, vous venez nous demander ce qu’on racontait ? Je demandais seulement à ce charmant marchand s’il avait de quoi faire de la pastafrola, c’est une excellente recette que vous devriez essayer. J’avais promis à mon petit-fils de lui faire gouter la prochaine fois que je le verrais.
– Ne jouez pas avec nous, on sait bien qui vous êtes. Y a que des derdriens pour parler autant… Vous allez gentiment faire ce qu’on vous dit sinon, le cerf risque de rentrer chez lui avec des bois en moins.
– Tiens, les roquets de compagnie ont des dents, je ne savais pas… que voulez-vous, à mon âge, on devient vite sénile…
– Tentez seulement rat de calle, c’est pas des gentils toutous à leur maitre qui vont nous faire peur, répliqua Ivy. C’est plutôt vous qui allez gentiment dire à votre connard de patron qu’on veut parler à son planqué de frère, vu ?
– Moquez-vous pendant que vous le pouvez encore ! On va vous faire ravaler votre langue !
– En voilà des toutous bien sages dites-moi…
En quelques minutes, les épées étaient tirées des deux côtés. Trois d’entre eux se concentrèrent sur Ivy, pendant que deux autres s’en prenaient à Oswald. Bon, s’il se fiait au bruit que venait de faire un d’entre eux, la corsaire avait déjà envoyé un de ses adversaire par-dessus bord. Il fallait qu’il soit à la hauteur de cette combattante.
Arrêtant une attaque avec son bocle, Oswald arriva à blesser son assaillant avec sa lame. Bon, il n’avait plu eu de partenaire d’entrainement vraiment correct depuis la mort de Justine mais, il n’avait pas trop rouillé visiblement… par contre, si l’un d’entre eux pouvait le couper correctement, ça l’arrangerait bien… il laissa alors une petite ouverture sur laquelle le roquet fondit sans hésitation, lui ouvrant une large plaie sur le bras.
– C’est bon ! On l’a touché ! Vieux comme il l’est, il va tomber tout de suite !
– Une blessure ? Demanda Oswald comme si de rien n’était alors qu’il sentait des éclairs gronder dans ses veines. Quelle blessure ?
Son emblème se mit à briller, refermant petit à petit la plaie, ne laissant qu’un peu de sang sur ses vêtements. Enfin ! Il en avait mis du temps ! Il savait qu’il n’était plus tout jeune mais quand même ! Oswald rendit alors le coup en frappant en plein dans les côtes de son ennemi avec le plat de son épée, avant de cogner le second avec son bocle, les narguant alors que son emblème brillait toujours, éliminant toute sensation de fatigue.
– Allons, vous voyez-bien que je ne suis pas blessé, il n’y a rien. Vous par contre… » il jeta un œil au trois adversaire d’Ivy, également à terre avec diverses coupures et ecchymoses, « vous devriez vous reposer un peu…
Une flèche arriva alors, se fichant dans sa cuisse. Ignorant la douleur, il jeta alors un œil au toit où il avait repéré l’archère, sortit son propre arc et décocha trois flèches sans hésiter : une dans sa main, l’autre dans son épaule, et la dernière dans sa jambe.
– Retournez à l’entrainement jeune fille ! » S’écria-t-il après avoir retiré la flèche de sa jambe, la blessure se refermant toute seule sans souci. Même pas assez maligne pour mettre du poison sur les pointes. « Ce n’est pas normal pour une tireuse d’élite de ne pas arriver à être plus précise que ça à une distance aussi faible ! Vous auriez pu me mettre une flèche entre les deux yeux sans problème normalement ! Ah les jeunes, ils ne savent plus viser de nos jours !
– Ah… ah… argh… qu’est… qu’est-ce que c’est que ce type ?! Demanda un des toutous de Rufus. Je l’ai touché ! Je l’ai touché ! J’en suis sûr ! Il devrait avoir une grosse plaie au bras ! Et comment un vieillard a-t-il pu toucher une archère planquée à cette distance ?! C’est impossible !
– Entrainement les jeunes, entrainement. Il ne faut jamais se relâcher si on veut pouvoir se défendre. Et un petit coup de main de mon emblème aussi… il eut un petit sourire en se baissant vers eux, brillant toujours à cause de la fureur des combats et du sang de Riegan coulant dans ses veines. Tu veux connaitre un petit secret de polichinelle connu de tous à Derdriu ?
Le roquet hocha la tête, mort de peur alors qu’il ne pouvait se détourner de son sourire confiant, presque arrogant alors qu’il lui expliquait le plus naturellement du monde.
– Le pouvoir de mon emblème est de soigner les blessures. Pour les emblèmes mineurs, c’est ponctuel mais, pour mon emblème majeur, c’est continu. Il soigne et annihile toute sensation de fatigue tant qu’il est actif, ce qui me rend assez endurant sur le champ de bataille. C’est pour ça que jamais personne n’est arrivé à avoir ma peau, je me régénérais avant de mourir. Soit vous m’arrachez le cœur, soit mon corps se répare encore et encore… et il y a des chances que j’y survive quand même à ça, ce serait mieux de me couper la tête histoire d’être sûr. Cela a aussi l’avantage de m’empêcher de perdre mes sens, je voie et entend toujours aussi bien que dans ma jeunesse. D’ailleurs, vous êtes très bien renseigné pour de simples malfrats, vous saviez qu’on parlait à tout le monde en ville… enfin, ce n’est qu’un hasard et mes sens qui commence à défaillir, n’est-ce pas ? Il serait dommage que quelqu’un dans le royaume ait tenté de m’assassiner, ce serait mauvais pour les relations avec l’Alliance, vous ne pensez pas ?
Ses hommes hochèrent la tête, avalant l’hameçon tout cru et confirmant au passage que soit il n’avait rien à voir avec Gustave, soit il ne les avait pas prévenus, soit ces roquets ne l’avaient pas cru, terrifiés alors qu’Oswald leur souffla, le regard acéré comme son couteau, dépeçant déjà morceau par morceau chacune de ses proies.
– Si je peux parler avec le roi directement, je suis sûr que mon grand âge me fera oublier toute cette histoire. Votre maitre devrait comprendre cela, n’est-ce pas ? Ou alors, c’est lui qui commence à devenir sourd et aveugle, ce qui risque d’avoir des conséquences, c’est jamais bon de signer des documents sans pouvoir bien les lire, croyez-moi… me suis-je bien fait comprendre ?
Heureusement, ils comprirent vite, filant sans un mot, même si Ivy dut leur rappeler.
– Eh ! Oubliez pas votre copine fichée sur le toit ! Elle va pas descendre de son nid-de-pie toute seule avec trois flèches dans le corps ! Incompétents jusqu’à la fin, je vous jure… des marins comme ça, on me les donne et ils se trouvent à manger tous seuls, je les prends pas à bord.
– Que voulez-vous, une bande est à l’image de son chef, rétorqua le grand-duc alors que son emblème disparaissait à nouveau au fond de lui, le laissant avec sa fatigue et légèrement désorienté, comme à chaque fois. Hum… c’est toujours un peu dur de redescendre de l’emblème… enfin, je ne vais pas me plaindre du don de la Déesse, il est bien utile.
– A qui le dites-vous… en tout cas, ça confirme ce que vous pensiez, il n’hésite pas à ce donner en spectacle devant son propre peuple alors que bon, ce genre d’affaire, ça se lave en famille et en privé, pas sur la place publique…
– C’est sûr, surtout que ça va encore plus baisser l’estime que les fhirdiadiens lui portent…
– C’est possible que ça baisse encore ? »
Oswald eut un sourire alors que des habitants venaient les voir, afin de savoir s’ils allaient bien tous les deux. Le grand-duc se remit à écouter ce qui se racontait tout autour d’eux, jusqu’à ce qu’une discussion happe son oreille.
« T’es sûr que tu veux continuer à travailler au palais gamin ? Ça a l’air d’être vraiment une fosse à gibier en ce moment, et le régent t’a détesté à vue.
– Oui, je tiens à vous rembourser Père Mercier. De plus, vous avez vu que j’ai assez de force pour me défendre en cas de besoin.
– J’ai remarqué Ludovic, t’as de la force à revendre mais, Rufus est dingue et il a la force d’être le régent.
– Il ne m’impressionne guère. Au pire, je partirais et je retournerais tranquillement à Albinéa si j’ai un problème. »
Il se tourna vers l’origine de la discussion, voyant un tavernier discuter avec un jeune homme alors qu’ils remettaient le devant de leur boutique en ordre, et Oswald crut qu’il rêvait tout éveillé en le découvrant. Il passa sa main sur ses yeux, regardant ce Ludovic avec plus d’attention. Il avait déjà vu ce visage inexpressif percé par des yeux de couleurs différentes, cette voix sans émotion apparente mais déterminée jusqu’à la mort et en enfer. C’était fou…
– Vous allez bien ? Lui demanda Ivy. Vous êtes pale comme un mort d’un coup.
– Oui… oui, ça va, juste un sacré hasard… un blond aux yeux bleus vairon avec beaucoup de force et un visage inexpressif… et qui s’appelle en plus « Ludovic »… ça fait tout de même beaucoup de coïncidence… enfin, c’est un nom courant, et Clovis avait des bâtards partout… que ce soit le petit-fils d’un d’entre eux ne serait pas très étonnant…
*
« … »
« Hum… »
« … Félix… »
« Qui est là ? »
« Félix… Félix… »
« Papa ? Papa, c’est toi ? »
« Félix… »
Il entrouvrit les yeux, regardant autour de lui. Le petit garçon était épuisé, avait le cœur lourd, comme s’il avait une pierre dans la poitrine mais, il savait que ce n’était pas dangereux, c’était normal. Il voulait juste dormir le temps que ça passe… mais quelqu’un l’appelait… il voulait le voir… il devait le voir… il lui manquait tellement…
Félix repéra une silhouette au loin, avec des cheveux noirs et bouclé tombant jusqu’à ses épaules, tournée vers la lune alors que le murmure d’une chanson résonnait autour d’eux… il le reconnaitrait toujours…
« Papa… mon papa… »
N’ayant pas assez de force pour se mettre sur ses jambes, il se mit à quatre pattes, commençant à ramper vers son père, une seule pensée en tête.
« Papa… je… »
Comme en réponse à ses mots silencieux, Rodrigue se tourna vers lui, lui souriant comme toujours alors qu’il l’attirait à lui, le tenant sur ses genoux en continuant à chanter… une chanson qu’il connaissait… ou plutôt une supplique… quelqu’un suppliant, maudissant le monde avant de retrouver de l’espoir… Félix ne l’entendait pas bien, trop bien installé dans les bras de son père…
La Lune brillait au-dessus d’eux, au-dessus de l’eau du lac… elle était si belle…
À la fin de la chanson, alors qu’il sentait qu’il allait resombrer plus profondément à nouveau, son père posa sa main sur son cœur, aussi doux que s’il était fait de verre. Il lui chuchotant, le petit garçon sentant quelque chose de tout dur se former entre ses doigts.
« Fais-y très attention Félix… ne la perd surtout pas… »
Il obéit, la serrant encore plus contre comme si c’était sa propre vie, bien en sécurité dans les bras de son père au fond du lac, veillé par la lune…
*
Sylvain aidait à distribuer des vivres et du bois en ville, la moitié des habitants de la capitale faisant la queue dans l’espoir d’avoir un peu de pain des réserves loogiennes et surtout du vöruhus. Vieille tradition restée de l’époque où ils faisaient encore partie de Sreng : la nourriture était toujours mise en commun afin de mieux la gérer, sauf les personnes vraiment riches qui préféraient garder la leur pour eux et éviter de la partager depuis quelques décennies. Dans des périodes comme celle-ci, le vöruhus évitait aux gens qui n’avait pas assez de réserve pour tenir toute l’année de ne pas mourir de faim. Même si son père avait refusé de transmettre plus d’homme et de vivres à Fhirdiad quand Rufus en avait demandé plus, la disparition d’autant de nourriture emmenée par les soldats en partance pour le sud se faisait déjà cruellement sentir. Les récoltes avaient été aussi mauvaises que d’habitude à Gautier, à peine suffisante pour les nourrir en temps normal alors, avec une partie envolée sans contrepartie… la disette les frappait sévèrement… même pire que la disette… le visage de tous ses citoyens était hanté par le spectre de la famine et de la faim… il fallait même surveiller les convois de nourriture et de rationnement pour éviter les vols et les émeutes… tout ça à cause de ce roi sans yeux… enfin, c’était surement trop sreng de penser ainsi… même si c’était la réalité.
Sylvain se baissait pour donner des roues de pain à deux gamins, les laissant cajoler Foa. Les petits arrivaient à sourire en pouvant faire un câlin à un renard sans danger, quand Starkr croassa, les plumes gonflées alors qu’il regardait le ciel.
« Qu’est-ce qui t’arrive mon vieux ? Tu as vu quelque chose ?
En levant le nez à son tour, il arriva à discerner un messager à pégase foncer en direction de leur forteresse. Le tissu qui recouvrait la croupe de l’animal semblait bleu roi alors, ça devait venir de la capitale… qu’est-ce qu’ils leur voulaient encore ?!
Laissant les domestiques finirent, il retourna en vitesse chez lui mais, il trouva un véritable attroupement dans la cour, alors que la voix froide et autoritaire de son père résonnait comme une menace.
« …nous l’avons déjà fait savoir à Son Altesse le régent, il en est hors de question, c’est au-dessus de nos moyens. La famine frappe déjà notre porte, et nous en sommes réduits à grimer des paysans en soldats pour donner l’illusion que les ports sont gardés. Gautier ne peut rien donner de plus à la Couronne.
Sylvain garda un visage neutre en voyant un envoyé de Fhirdiad, malgré son envie de se frapper le crâne d’atterrement. Mordant commençait à grogner à côté de lui, sur le point d’attaquer la messagère face à lui.
« Non Mordant, l’arrêta-t-il. C’est pas une bonne idée, même si ça doit démanger tout le monde… »
Heureusement, le molosse l’écouta docilement, comme toujours avec lui, tout comme Foa. Le jeune homme fit tourner son regard dans la cour. Plusieurs de leurs domestiques étaient sortis pour voir ce qui se passait, terrifiés à l’idée de devoir encore plus se serrer la ceinture. Miklan était appuyé contre le mur dans un coin, profondément ennuyé par tout ça, grognant en voyant que Starkr était toujours sur l’épaule de Sylvain. Depuis la dernière fois, il évitait de s’attaquer à son petit frère quand l’oiseau était là, de peur de se reprendre des coups de becs et de serres. Enfin, il avait repéré Fregn en train d’écouter à une fenêtre de la cour, assez proche pour entendre à peu près correctement les choses.
La messagère reprit, froide et implacable comme le destin des Normes.
– La couronne comprend vos réticences mais, les ordres restent les mêmes : vous devez fournir hommes, armes, et vivres à la capitale. La situation est très tendue là-bas et nous devons montrer notre force et notre puissance à l’Alliance afin d’obtenir des conditions plus favorables pour négocier le traité sur les bleds. Pour citer notre régent à tous, « les soldats de Gautier doivent être fier d’accomplir leur service envers la famille royale en des temps si difficile ». J’ajouterais que l’assistance est un des devoirs des vassaux envers le suzerain.
– Répondez-lui que nous n’avons plus beaucoup de soldats après Duscur et la précédente levée d’hommes et de vivres. Avec ceci, j’ajouterais que si l’assistance au suzerain est bien un devoir vassalique, un autre de nos devoirs est également celui de conseil, et je ne saurais trop conseiller au régent et à la famille royale de ne pas trop épuisés les fiefs qui les entourent. Nous sommes au bord de la famine, des conditions encore plus difficiles sont propices au développement d’épidémie de maladie et de brigandage. Ce n’est que pure folie et une faute politique de réquisitionner toute la nourriture de Faerghus pour la donner à Fhirdiad et ne fera qu’attiser le mécontentement déjà très fort après la Tragédie de Duscur. En tant que fidèle vassal de Sa Majesté Lambert et gardien de la frontière avec les srengs, je ne puis céder plus à la couronne, sous peine d’affaiblir encore plus la famille royale.
– Vos conseils sont louables mais, le régent a déjà pris sa décision de manière éclairée et avec l’appui de différents conseillers venus de l’Ouest…
– Les conseillers de l’Ouest sont bien inutiles pour décider de l’avenir de Gautier. Aucun ne vit sur un front permanent avec de la neige jusqu’à la taille la moitié de l’année.
– Certes. Mais un refus de votre part sera considéré comme un manquement à votre devoir et une trahison de votre maison envers Faerghus en période de crise. Comme le veut la coutume avec votre famille, si tel est le cas, vous passerez devant le tribunal militaire qui décidera de votre sort comme si nous étions en période de guerre, ce que nous sommes après tout suite à la Tragédie. Je doute que vous voulez finir comme le duc de Fraldarius…
Le cœur de Sylvain manqua un battement en entendant la mention de Rodrigue, lancée comme une menace par la messagère. Il vit aussi Fregn se baisser un peu plus, attentive, même si elle cachait tout ce à quoi elle pensait, et même Isidore échappa son choc d’entendre une telle chose. Rodrigue remplissait toujours son devoir à la perfection (ou autant que possible avec un roi sans yeux comme maitre), qu’est-ce que Rufus pouvait bien lui reprocher ?! Il savait qu’ils ne s’entendaient pas et que Rufus se transformait en Clovis mais, qu’est-ce qui avait bien pu lui faire subir ?! Qu’est-ce que le destin allait encore lui faire endurer après lui avoir arraché ses fils ?! La messagère continua en entendant les murmures choqués autour d’elle, menaçante.
– En effet, lors de l’arrivée du grand-duc Oswald von Riegan, le duc de Fraldarius a eu l’audace de s’évanouir de fatigue juste devant lui alors qu’il le saluait. Comprenez bien que cela n’a guère fait bonne impression auprès du grand-duc, ni même que le régent était furieux de voir un tel manquement à son devoir. Aussi m’a-t-il confié avant que je ne parte que le châtiment que recevra le duc pour son comportement sera exemplaire, leur apprit-elle en passant sa main sur son épée. Comme l’ordonne la loi, elle touchera tous les membres de sa famille, sans exception, même d’âge. Je doute que vous vouliez subir le même sort que lui, vous ainsi que toute votre famille…
Un silence encore plus glacial que l’hiver sreng tomba dans toute la cour. Non… non, ce n’était pas possible… il ne pouvait pas avoir fait épuisé Rodrigue au point de le faire s’évanouir, ce n’était pas possible ?! Mais c’était également trop semblable à ce que lui racontait Félix dans ses lettres, et cela pourrait expliquer pourquoi son père ne lui écrivait plus. S’il était épuisé au point de s’évanouir, Rodrigue ne devait plus avoir d’énergie pour faire quoi que ce soit ! Et il allait le punir pour avoir… travaillé jusqu’à épuisement pour le bien du Royaume ? Pour avoir été fidèle à ce point ? Et ça avait beau être la loi, il allait punir toute la famille Fraldarius pour ça ?! « Sans exception d’âge »… ça voudrait dire que même Félix allait être touché ?! C’était absurde ! C’était encore un gosse dans tout le Royaume ! Et aucun des loups n’avait rien fait de mal ! Ça cachait quelque chose ou alors, Rufus était encore plus un tyran doublé d’un roi sans yeux qu’il ne l’imaginait !
Isidore dut penser à la même chose que lui, se renfrognant dans le silence. La messagère continua, un petit air satisfait au visage.
– Je voie que vous êtes un homme intelligent. Je resterais ici au nom du régent afin de superviser les opérations. Je suis donc sa voix, ses yeux, ses oreilles et sa volonté. Vous devez m’obéir comme au régent lui-même. La compagnie chargée de récupérer vos hommes et vos vivres arrivera dans dix jours par la Grande Route, comme toujours. Tâchez d’en rassembler un maximum d’ici-là. Faites bien votre choix parmi les hommes que vous enverrez Margrave Isidore.
Vigile tenta de protester mais, Isidore l’arrêta, le faisant taire même si l’homme rongeait clairement son frein. Ce fut le seul à protester. La messagère ordonna alors qu’on lui donne une chambre et une stalle pour son pégase. On lui céda, la menace planant au-dessus de toutes les têtes. Personne ne pouvait même se plaindre ou tenter de lui faire comprendre que ce n’était pas possible. Dix jours… ils devaient être déjà en route alors et si tout se passait bien, à un quart, un tiers du voyage selon les conditions…
« Merde ! On est censé récupérer des hommes et des vivres dans tout le fief comment en si peu de temps ?! C’est pas vrai, les deux frères se valent bien ! Les deux sont des rois sans yeux ! À croire qu’ils écoutent juste la honte des dieux et la honte des hommes ! En plus, connaissant les habitudes srengs, ils vont tous passer nous saluer quand ils vont se rendre à Fhirdiad, ça ne fait pas un gros détour et c’est poli chez eux de faire ça ! Ils arrivent pile quand elle est là ou quand ses copains arrivent pour voler encore des hommes et des vivres, et on est bon pour tout recommencer ! Le Grand Thing n’aura servi à rien ! »
Starkr claqua du bec, s’attirant une caresse sympathique.
« Ouais, je sais, moi aussi… »
Il leva à nouveau les yeux, Mordant gardant un œil sur Miklan pour lui. Fregn venait de rentrer à nouveau. Il serait curieux de savoir ce que sa mère avait en tête… vu la situation, il serait pour à peu près tout ce qu’elle imaginait, surtout quand le destin des srengs et la Déesse de Fodlan se moquaient d’eux à ce point… Foa lui donna un petit coup de museau, le regardant avec sympathie. Il lui gratta la gorge dans l’espoir de garder son calme, la renarde gloussant sous ses doigts.
De son côté, Fregn fabriqua discrètement un messager de bois avec un petit message codé accroché à ses ailes, fomentant déjà un plan dans sa tête. Elle le lâcha sans se faire voir, puis l’oiseau artificiel vola plusieurs jours sans s’arrêter avant d’arriver à sa destinataire, le message bien clair.
« Le banc de poisson est piégé. »
Thorgil sourit en rassemblant son village. Elle allait pouvoir rendre une petite visite de courtoisie à sa belle-famille avant d’aller toquer à la porte du régent… ils devaient déjà s’y rendre mais, elle aurait juste un peu d’avance sur les autres… d’autres rois partis tôt pourraient également s’inviter ? Enfin, c’était surtout elle qui avait une occasion de montrer ses compétences là-bas, tout en se faisant un nouvel allié. En plus, cela tirerait sa grande sœur et son neveu des griffes d’un roi sans yeux, cela l’arrangeait sur tous les plans.
Elle finit d’armer ses bateaux, cachant des armes dans le fond. C’était des navires de guerre mais, c’était aussi leurs navires les plus rapides, les chefs et émissaires srengs avaient déjà prévenu les faerghiens qu’ils voulaient régler toute cette histoire au plus vite alors, s’ils semblaient inoffensifs, les gardes devraient les laisser tranquilles.
D’après ses informations, personne ne les arrêterait en Gautier de toute façon.
*
Rodrigue buvait l’eau d’un ruisseau quand il sentit quelque chose. Non ! Non ! Son frère s’approchait de la prison ! Les geôliers allaient le capturer et l’enfermer lui aussi ! Les chiens errants allaient lui mettre un collier et une laisse autour du coup pour le forcer à se tuer à la tâche ! Ils seraient même capables de lui mettre une muselière ! Ils allaient le faire, c’était sûr !
« Désolé mon petit… je reviens tout de suite ! »
Il retourna sur ses pas en vitesse pour rejoindre son frère, allant l’aider avant qu’il ne soit trop tard !
*
Plus il s’approchait de Fhirdiad, plus Alix sentait sa rage s’intensifier en lui, tout comme sa migraine… un avertissement… c’était Rodrigue… il angoissait à l’idée même de le savoir aussi proche de Fhirdiad… ça lui faisait peur… comme si c’était la pire chose qui pouvait arriver…
« Raison de plus pour que je te tire de là. »
Le plus jeune jumeau pénétra sans hésiter en ville avec ses hommes et remarqua tout de suite qu’on le regardait bizarrement, comme si on voyait un revenant ou que les gens avaient peur. Étrange, ils connaissaient pourtant son visage vu le nombre de fois qu’il s’était rendu à Fhirdiad… au nom de la Déesse, qu’est-ce qui s’était passé ici ?! Est-ce que ça avait un lien avec Rodrigue ?! Qu’est-ce que ce chien errant idiot leur cachait cette fois ?!
Il savait qu’Ivy était en ville, il avait vu son étendard au sommet d’un mat en passant dans le port fluvial et dans son état normal, il serait allé lui dire bonjour mais, il n’était pas dans son état normal. Il voulait des réponses sur ce qui arrivait à son frère pour le tirer de cet enfer et point final !
Quand il fut dans la cour du palais, Alix vit assez vite Estelle et Bernard venir vers lui. Il les salua et demanda d’entrée de jeu, n’ayant aucune envie d’attendre encore plus longtemps des réponses.
« Où est Rodrigue ? Il lui est arrivé quelque chose, je le sais ! Et s’il n’est pas là, où est-ce connard de Lambert ? J’ai deux mots à lui dire !
– Longue histoire mais, Rodrigue n’est plus là…
– Bon, alors, c’est Lambert qui me l’expliquera, coupa-t-il tout de suite la capitaine. Pas question qu’on lui prémâche les réponses et comme ça, si je dois exploser, ce sera sur lui. Qu’il assume ce qu’il a fait pour une fois !
– Seigneur Alix… on comprend mais, comment vous sentez vous ? Lui demanda Bernard, visiblement inquiet.
– Mal… je sens qu’il est arrivé quelque chose à Rodrigue mais, je suis incapable de savoir quoi précisément… il est à la fois soulagé, heureux mais aussi mort de peur et il ne pense qu’au louveteau, car qui ne penserait pas qu’à son louveteau alors qu’il n’a plus de nouvelle depuis des semaines ?! Je sens aussi qu’il a peur de me savoir juste à Fhirdiad et me dit de fuir mais, je ne repars pas d’ici sans lui ou au moins sans savoir où le chercher ! »
Ils allèrent ajouter quelque chose mais, Alix fit un signe de tête pour leur demander de ne rien dire. Il voulait entendre tout ça de la bouche de Lambert, c’était lui le responsable de cette histoire alors, qu’il assume et lui explique ce qui s’était passé les yeux dans les yeux !
Le jumeau allait grimper dans le palais pour aller chercher le connard – voir le tirer de son lit s’il roupillait encore ! – quand il vit Gustave lui courir après, surement pour qu’il n’aille pas troubler la paix royale de son petit protégé mais, qu’il aille à Némésis ! Il n’en pouvait plus de ces petits roquets qui battaient la queue devant Lambert et Rufus pour obtenir une pauvre caresse et le protégeaient des conséquences de ses actes ! Pour ça ou réclamer de l’argent à ceux qui avaient hurlé « tu vas faire une connerie Lambert » pour réparer la connerie, là, il y avait du monde ! Pour empêcher les conneries d’avoir lieu ou de recommencer, ou que le connard assume ses actes, il n’y avait plus personne !
« Où est Lambert ?! Je vais le voir que ça vous plaise ou non ! Il a fait quelque chose à mon frère, je le sais ! Lui grogna-t-il dessus sans hésiter une seule seconde.
– Vous n’êtes pas dans votre état normal Alix ! Vous ne savez plus ce que vous dites…
– Ah non ! Vous allez pas me ressortir la même merde qu’avec Ludovic ! C’est trop facile ! C’est toujours « oh la tuberculose vous fait perdre vos esprits », « oh vous ne savez plus ce que vous dites à cause de l’inquiétude », « oh vous vous inquiétez trop pour ce voyage, alors que votre propre putain de père est mort de la même manière alors que la rencontre avait été préparé au cordeau » ! Non ! Je sais ce que je dis et ce que je veux ! Je veux mon frère et comprendre ce que vous lui avez fait ! Et évidemment que je ne suis pas dans mon état normal ! Mon état normal, c’est d’être avec Rodrigue et ma famille ! Pas là à vous écouter bayer aux corneilles ! Alors, vous allez me dire où est Lambert et il va assumer !
– Alix, je vous en prie…
Gustave allait encore tenter de l’empêcher d’aller secouer les prunes de Lambert et sa tête pleine de vide, quand un scribe sortit d’une pièce voisine – une de la chancellerie – soit pour aller porter un message soit pour autre chose. Malgré sa colère, Alix ne put s’empêcher de penser que c’était le portrait craché de Ludovic, il lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Ah Ludovic… si seulement il pouvait sortir de sa tombe pour venir engueuler ses fils et reprendre les choses en main ! Lambert aurait eu une poussière de la compétence de son père, Faerghus n’en serait pas là ! Et lui aurait encore toute sa famille au complet ! Il aurait encore Glenn et Nicola, Rodrigue ne se serait pas disputé avec Félix et aucun d’eux ne serait en deuil ! Sa meute serait encore toute là !
– Que se passe-t-il ? Demanda-t-il, surement étonné, même si son visage ne bougeait pas, tout comme sa voix, comme pour leur Oncle Ludovic.
– Rien qui ne doit vous troubler. Retournez au travail, ordonna Gustave.
– Je viens engueuler Lambert pour ce qu’il a fait à mon jumeau, répliqua Alix. Vu que Rodrigue n’est pas ici apparemment, vous savez où ce connard de chien errant est pour qu’il m’explique ce qu’il a fait à mon frère ?
– Dans son étude. Sa Majesté a repris le travail récemment.
– Car il dormait avant ? C’est l’hospice qui se fout de la charité ! Rodrigue doit travailler jusqu’à l’épuisement et on lui arrache son fils, mais Lambert, il peut dormir ! Je veux bien qu’il soit blessé mais depuis le temps, il devrait bien s’être soigné avec Areadbhar ! Sauf si elle aussi en a eu marre de ses conneries car Déesse, qui ne le serait pas à sa place ?! » Répliqua-t-il en se précipitant vers la pièce de travail de Lambert, ignorant Gustave qui lui courrait derrière en l’appelant. Un petit toutou jusqu’au bout.
Ludovic hésita à les suivre, regardant Alix partir furieux. C’était fou ce qu’il pouvait ressembler à Guillaume… c’était son portrait vivant, et il avait visiblement bien hérité de son caractère. Enfin, il y penserait dans une situation moins critique. En tant que simple agent du roi, il ne pouvait pas se permettre d’intervenir mais, Oswald et Ivy devraient pouvoir mettre leur grain de sel et peut-être empêcher que la situation ne dégénère trop. Dans tous les cas, il fallait au moins tenter d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard ! Alix semblait complètement instable et il sentait la magie tout autour en lui s’affoler ! C’était un magicien aussi apparemment ! Il fallait faire quelque chose avant qu’il ne subisse le même sort que son frère !
Alix sentait la magie de Rodrigue dans ses veines, leur lien la partageant avec lui… il était sûr que c’était une tentative pour l’aider, le protéger… son angoisse grandissant dès qu’il se rapprochait juste de Lambert… par la Déesse et les Braves ! Qu’est-ce qu’il avait bien pu lui faire subir pour que le simple fait qu’il s’approche du connard terrifie son jumeau à ce point ?!
Sans rien demander aux gardes qui le dévisagèrent d’étonnement, il ouvrit la porte pratiquement d’un coup de pied sans plus de cérémonie en ordonnant, voyant Lambert et Rufus assis côte à côte. Tant mieux ! Il avait également des choses à lui reprocher à ce tyran !
« Lambert ! Faut qu’on parle ! Où est Rodrigue ?! Qu’est-ce que tu lui as fait ?!
– Alix mais qu’est-ce que… il vit les gardes à la porte tenter de l’attraper pour le maitriser mais, il ordonna. Non ! Ne lui faites rien ! Ça va !
– Tient, y a encore des gens qui ne veulent pas t’étrangler dans ce pays ? Tu leurs donnes autre chose que de la boue et trois croutons de pain à manger, avec un os à ronger le dimanche ? Car aux dernières nouvelles, c’était ce que Rodrigue et Félix avaient à manger comme tout le monde !
– Attend… quoi ? » S’étonna Lambert et par pitié, qu’on donne le droit à Alix de l’égorger pour de bon ! « Les repas sont plus conséquents que ça ! Je l’ai vu de mes yeux ! Ils étaient plus frugaux au début mais, je te jure que maintenant, tout le monde mange mieux à Fhirdiad ! Et on t’a envoyé une lettre pour t’expliquer que…
– Ah car tu l’ignorais en plus ? C’est une grande première ça dis-moi ! Enfin, j’ai vu qu’il en avait un peu plus, étant donné que vous nous volez toute notre nourriture dans les fiefs de province ! Comme ça, vous manger un peu plus mais nous, on a rien à se mettre sous la dent si on ne vous repousse pas à coup de flèche ! Tout ça car t’as vidé tes réserves pour ta connerie de voyage, alors qu’on t’avait dit de faire attention à la nourriture pour Fhirdiad ! C’est ce qui est arrivé à Rodrigue, c’est ça ?! Où est mon frère ?! Qu’est-ce que tu lui as fait ?! Je l’ai pas reçu ta putain de lettre, le courrier entre Fhirdiad et Egua a tendance à se perdre et même entre Fhirdiad et Lokris vu que ni moi ni Félix, on ne recevait plus les lettres de Rodrigue et lui les nôtres ! Si t’as envoyé des messagers, soit ils se sont perdus, soit ils se sont faits attaqué par des brigands, vu que ça pullule sur les routes en ce moment ! Et je suis en face de toi alors, explique-toi directement, ça te changera d’assumer tes actes devant la personne concernée pour une fois !
– Alix, s’il te plait, une seconde, calme-toi, tenta-t-il de l’apaiser mais, cela n’eut comme effet que d’encore plus énerver le plus jeune jumeau, qui avait juste envie de le mordre ce chien errant une bonne fois pour toutes ! Tu n’es clairement pas dans ton état normal…
– Que je me calme ?! Je sens tout ce qui arrive à Rodrigue ! Je sais qu’il lui ait arrivé quelque chose depuis des jours mais, je suis incapable de savoir quoi à part que c’est grâce à toi, à Rufus et à votre roquet de Gustave ! Et je suis loin de mon frère, je sais qu’on lui a arraché son fils, que son fils est aussi malheureux d’être loin de son père même s’il n’assume pas ! Je sens que mon frère est très mal en point puis qu’il lui ait arrivé quelque chose et je n’arrive pas à savoir quoi ! Je suis obligé de venir le chercher car je veux savoir ce qui se passe et le tirer de tes griffes et tout ce que je trouve, c’est toi qui me dis de me calmer car étrangement, je ne suis pas dans mon état normal ?! Mais achevez-moi ! T’es encore plus idiot que je ne le pensais !
– Seigneur Alix, mesurez vos propos face au roi ! Vous n’êtes pas au-dessus des lois ! Le prévient Gustave, la main sur sa hanche, prêt à dégainer sa masse d’arme si nécessaire et lui aussi, qu’il aille à Némésis !
– Je fais ce que tout le monde veut faire : lui demander des comptes ! Il fait connerie sur connerie depuis des années et ça aurait pété bien avant si on n’avait pas été derrière pour nettoyer sa merde alors qu’il jouait avec ! Et j’en ai assez de passer par des intermédiaires ! Je veux une explication du responsable de toute cette histoire ! Et je la veux maintenant ! Qu’est-ce que tu as fait à Rodrigue chien idiot ?! Pourquoi je ne recevais plus de nouvelles de sa part ?! Pourquoi Félix n’en recevait plus non plus ?! Et pourquoi il est comme ça ?!
– Alix, je vais t’expliquer… enfin ce que je comprends et ce que je sais…
– Car tu ignores ce qui se passe dans ta propre putain de maison ?
– Si tu veux une explication à ce point, tu devrais le laisser parler, le reprit Rufus.
– Et toi aussi, tu as intérêt à t’expliquer ! Ne le loupa pas Alix, tous crocs dehors. Je sais que c’est toi qui abusais le plus de Rodrigue ! J’espère que ton petit frangin est au courant, histoire que ça le rende un peu moins con qu’il ne l’est déjà !
– Oui, je sais que Rufus lui a donné beaucoup de travail avec Gustave, sans vraiment se rendre compte qu’ils le chargeaient à ce point vu qu’ils font la même chose… reprit difficilement Lambert et en y mettant les formes, même si c’était tellement hors sol que ça ne faisait que faire encore plus gronder sa fureur. Ils ne pensaient pas que cela le faisait souffrir à ce point, surtout que vous êtes très travailleurs tous les deux, ils ne pensaient pas…
– Oui, quand les alliés de ton frangin viennent utiliser la mort de Glenn, en traitant Rodrigue de père indigne s’il ne se venge pas sur des gens dont on est pas sûr que c’est des coupables, et parce qu’il ne veut pas d’une guerre qui va juste achever Faerghus, ces clébards ne le pensaient surement pas ! C’était une plaisanterie, bien sûr ! Et quand ça ne marche pas, car Rodrigue ne veut pas tuer des gens pour juste leur voler leurs mines, ils se mettent à menacer de lui arracher Félix ! Et ils ont fait quoi d’autres ?! Ils sont venus chouiner dans ta cape quand ils se sont pris le coup de crocs qu’ils méritaient ?! Car qui ne fait rien et laisse son gosse être en danger quand c’est évident qu’il est danger à part toi ?!
– Ah non Alix ! N’emmène pas Dimitri là-dedans ! Lui interdit tout de suite Lambert, touché au vif vu que même lui devait savoir que c’était une réalité, bien qu’il ne voulait pas l’entendre. Il n’a rien à voir avec tout ça !
– Car tu crois que ton frère se gêne pour menacer les gosses des autres ?! Goutte à la propre médecine de Rufus, tu sauras ce que ça fait ! Crois-moi que Rodrigue avait peur quand on lui a dit que s’il ne pliait pas et n’aidait pas à faire cette stupide guerre, c’est Félix qui allait s’en prendre plein la gueule ! Comme si perdre Glenn à cause de toi et de ton idiotie ne suffisait pas ! Et c’est toi qui as emmené Dimitri le premier là-dedans ! C’est toi qui as tout fait pour emmener le fils d’Héléna dans ce voyage alors qu’on t’a dit et répété et rabâché que c’était dangereux ! Bordel ! Elle t’aurait tellement refait le portrait si elle était encore là ! Elle aurait protégé son bébé elle au moins !
– Alix… commença Gustave mais, cette fois, c’est Lambert qui l’empêcha de parler, pour le meilleur et le pire.
– Oui, je m’en rends compte maintenant… je sais que j’aurais dû vous écouter… si tu savais à quel point je regrette de…
– Tes remords n’y changeront rien, le coupa-t-il avec froideur, comprenant de mieux en mieux pourquoi les srengs qualifiaient les mauvais dirigeants de « roi sans yeux ». C’est toi qui as choisi de l’emmener, c’est toi qui n’as jamais écouté personne alors qu’on te hurlait tous que ce voyage était dangereux car, tu ne nous as pas laissé le temps de le préparer correctement ! C’est toi qui as décidé tout seul comme un grand de l’emmener dans un piège évident, alors qu’il y avait d’autres solutions pour résoudre la crise ! Tu peux regretter tout ce que tu veux, tu restes responsable de ses blessures et de son traumatisme d’avoir vu tout le monde se faire tuer devant ses yeux ! C’est pas toi qui as tenu les armes ou lancé les sorts mais, c’est toi qui leur a donné une occasion en or de vous attaquer et de tous vous massacrez ! Tu peux regretter mais, c’est toi le responsable de cette Tragédie ! C’est la conséquence de tes actes et de ta connerie, que tu le veuilles ou non ! Quoi que tu en penses, tu as aussi le sang de Glenn, Nicola, Jacques, tous les autres et même de Dimitri sur les mains !
Lambert prit son air misérable qu’Alix ne supportait plus. C’était la vérité sauf que Sa Majesté Lambert le Chien Errant refusait de l’accepter car, ça voudrait dire assumer ses actes pour une fois ! Même avoir été à deux doigts d’avoir été décapité et de voir son gamin tuer ne suffisait pas à le faire grandir un peu ! C’était bien beau de regretter mais, ça ne voulait rien dire s’il ne changeait pas et n’arrêtait pas d’être un crétin niais et qui prenait tout le monde pour acquis, à commencer par la famille d’Alix et surtout son frère ! Déesse ! Il avait tellement de plus en plus mal à la tête !
« Alix… sors… sors d’ici ! Il faut que tu t’enfuies loin d’eux ! Fuis !
C’était la première fois qu’il entendait aussi distinctement la voix de Rodrigue dans sa tête… c’était toujours des impressions, des sentiments, des émotions… jamais vraiment de mots précis et de véritables phrases… vu leur état d’esprit respectif, le plus jeune parierait sur le fait que ce soit à cause de leur inquiétude, c’était surement ça qui renforçait leurs liens au maximum… il ne pouvait que sentir à quel point son frère s’inquiétait ! Lui disait de partir ! De fuir ! Qu’il n’avait rien à faire ici ! Mais Alix ne pouvait pas partir sans lui !
– Pas avant de savoir où te trouver ! Je ne te laisserais pas entre leurs griffes, je te le promets !
– Ils vont vouloir te mettre en laisse et un collier autour du cou ! Je ne veux pas qu’ils t’enferment toi aussi…
–Qu’ils tentent seulement, et je leur mange les mains et la gorge avec.
– Alix… soit prudent… j’arrive aussi…
– Promis… on se retrouvera toujours tous les deux… »
Lambert reprit enfin, après avoir tenté d’avaler toutes les vérités qu’Alix venait de lui balancer dans la gueule, expliquant lentement, comme s’il voulait retarder la fureur qui allait lui tomber dessus. Même lui savait qu’il allait s’en prendre une visiblement !
– Alix… Rod… Rodrigue était… est tombé très malade… sa magie était complètement instable et en surcharge…
– Tu ne fais que me dire ce que je sais déjà. Cela fait des semaines qu’il est comme ça, encore plus quand Gustave lui a arraché Félix, et je suis littéralement dans la tête de Rodrigue. Mon frère est moi et je suis lui. Même toi, tu le sais que chaque chose qu’il ressent, je les ressens et que je ressens chacune de ses blessures comme si c’était les miennes. Donc, épargne-moi les détails et abrège ! Ma patience à ses limites !
– Comme si on n’avait pas remarqué…
– Rufus, s’il te plait, ne complique pas encore plus les choses… le supplia Lambert avant de reprendre. Ce n’était plus tenable alors, il a demandé à rentrer chez vous et est venu directement me voir pour me dire qu’il rentrait… je… je ne savais pas qu’il était malade à ce point, je ne l’ai su qu’après, quand c’était trop tard… je… je te jure et je t’en supplie Alix, il faut que tu me croies, je ne pensais pas qu’il était malade à ce point… alors… alors je lui ai dit que ce serait mieux s’il se reposait ici… les yeux d’Alix se rétrécirent encore plus de fureur, Lambert continuant avant qu’il ne lui arrache la gorge avec ses dents et ses griffes. Je te promets que ce n’est pas ce que tu croies ! Je pensais que ce serait mieux s’il se reposait au palais et se soignait ici ! Cornélia lui aurait donné ses meilleurs médicaments, tu aurais pu venir le voir, Félix serait revenu ici en même temps que Dimitri quand il serait guéri, et… et j’avoue que je n’avais pas envie qu’il parte non plus…
– Oh… quelle grandeur d’âme ! Cornélia allait lui donner des médicaments alors qu’elle ne l’a pas fait pendant des semaines, ce serait encore et toujours à nous de faire tous les efforts du monde pendant que toi, tu n’aurais pas eu à bouger le petit doigt, et tu te fais passer toi et ce que tu veux avant tout le monde ! Et évidemment, tu ne penses même pas à la possibilité que Félix aurait pu avoir envie… je sais pas, de rentrer à la maison ou de revoir son père avant que Dimitri ait fini de guérir ?! Non ?! Il ne pourrait pas avoir envie de revenir dans notre meute ?! Il faut toujours que tout soit au pied de ta famille sans penser à celles des autres ! Surtout la nôtre ! On doit TOUJOURS être à tes pieds sans réfléchir ! Bien sûr ! C’est évident ! Et bien sûr, personne ne l’aurait forcé à travailler pendant sa convalescence parce que tu as dit « non, laisser-le tranquille une seconde » ?! Qu’est-ce que tu crois ?! Gustave et Rufus l’auraient enterré sous le travail à la première occasion ! Tu ne sais même pas ce qui se passe dans ton propre palais et que ton frangin menaçait mon frère de faire du mal au louveteau ! Tu aurais pu tout de suite savoir ce qui se passait vraiment de la bouche de Rodrigue mais non ! Il fallait te dorloter comme un nouveau-né car sinon, on se prend un sermon et des avertissements de ton chien de garde Gustave !
– Il… il me l’a fait comprendre aussi… il s’est aussi énervé et m’a dit qu’il n’en pouvait plus, et… et…
Lambert n’arriva pas à avouer, s’attirant encore plus les foudres d’Alix qui fit un pas de plus dans sa direction, grondant, tout crocs dehors. Les gardes étaient aux abois, prêts à l’arrêter au moindre trop geste trop brusque. Comment ils avaient pu en arriver là ?!
– Il s’est énervé à raison car, vous n’arrêtiez pas d’abuser de lui pour le forcer à encore faire ton travail à ta place ou à la place de celle de son frère, tu m’étonnes qu’il pète une amarre à force ! Et quoi ?! Parle ! » Ordonna Alix, la fureur se mélangeant à la peur de tout ce qui aurait pu arriver à Rodrigue alors qu’il était aussi affaibli et avec sa magie aussi instable ! « Qu’est-ce que tu as fait à mon frère ?!
– Et il… ah Déesse, comment t’expliquer… sa magie s’est emballée et… et je te jure qu’il va bien ! Plus ou moins mais, il va bien selon nos dernières informations. Il était entier et… et en grande forme d’une certaine manière… par… parce qu’il… tu vas être encore plus furieux que tu ne l’es déjà mais, il s’est… il a voulu vous retrouver et aller chercher Félix plus que tout… plus qu’il n’était raisonnable de vouloir quelque chose, même si ça se comprend… il aime son louveteau plus que tout au monde… et…
– Il s’est transformé en loup. C’était bien mérité.
Lambert se figea en entendant Rufus lâcher la vérité d’un coup, passant derrière le bureau pour faire directement face à Alix les yeux dans les yeux. Mais quelle mouche l’avait piqué ?! ça ne ferait que le rendre plus furieux !
– Rodrigue s’est transformé en loup, puis s’est enfui en courant dans la forêt pour aller on ne sait où. Vers toi ou Félix ou à Némésis, peu importe, je m’en moque honnêtement. Il a osé manqué à son devoir et se faire plaindre par le grand-duc von Riegan, il a même poussé l’outrance à s’évanouir devant lui alors qu’on ne lui demandait rien d’extraordinaire. Il faisait aussi bien semblant de s’écraser en face de moi mais, pour donner les pires idées du monde à Lambert, il ne se gênait pas ! Comme cette idée stupide d’envoyer Dimitri à Lokris ! Je suis sûr qu’il a profité de la faiblesse de mon frère pour le pousser dans cette idée stupide ! Il était aussi bien trop proche avec les domestiques et parlait trop avec eux au lieu de faire son travail ! Il taillait toujours la bavette avec le messager ! Alors, oui, ton frère a fait son travail de vassal et a travaillé pour le roi, grande nouvelle révolutionnaire ! C’est juste qu’à force que Ludovic vous dorlote comme ses vrais héritiers, qu’autant les srengs que ce vieux crouton d’Oswald vous louent comme étant soi-disant plus capables que mon frère, et que votre peuple vous apprécie un peu plus que la moyenne, vous avez l’insolence de vous prendre pour ce que vous n’êtes pas ! VOUS êtes les vassaux et NOUS sommes la famille royale ! C’est à nous que vous devez des comptes et à personne d’autre ! C’est vous les serviteurs ! Restez à votre place au lieu de tenter de nous la prendre ! Alors oui, Rodrigue s’est transformé en loup à cause de sa magie ou d’une punition de la Déesse pour votre arrogance à tous et c’était bien mérité !
– Quoi ?! Rodrigue s’est… transformé en loup… à cause de vous ?!
Alix devient encore plus pale qu’il ne l’était de base, toute sa fureur se calmant d’un coup à cause du choc, alors qu’il secouait la tête, incrédule. Il gronda, se mettant à tourner en rond comme une bête acculée, répétant encore et encore.
– C’est pas possible… c’est pas possible… c’est pas possible… c’est pas possible… c’est pas possible… c’est pas possible… c’est pas possible… Rodrigue…
– Si, accepte-le.
– Rufus ! Arrête ! Tenta Lambert, comprenant que cela ne faisait qu’empirer les choses. Tu ne fais que mettre plus d’huile sur le feu !
– C’est pas possible ! Hurla d’un coup Alix, tout croc dehors à nouveau. Vous n’avez pas pu le pousser à bout à ce point ! On fait déjà tout le travail ! On tient déjà le Royaume en un morceau depuis des années vu qu’aucun de vous deux n’est foutu de ne pas faire de la merde mais en plus, après nous avoir tous tués au travail et surtout nous deux et au sens littéral pour Glenn, vous avez en plus transformé Rodrigue en loup ! Ça explique tellement de chose ! Ça explique pourquoi il était aussi soulagé ! Entre être ici à vous supporter et à encore faire tout votre travail sans reconnaissance, et être transformé en loup, ça devait être plus supportable de se tailler ! Je comprends tellement qu’il me dise de fuir !
– Qu’il te dise de… attend Alix ! Tu veux dire que tu entends… » s’inquiéta tout de suite Lambert. Les jumeaux n’entendaient jamais de mots entre eux !
« Ça explique tout ! Ça explique tout ! Répéta le plus jeune jumeau, couvrant sa voix. C’est pour ça que tout ce qu’il m’envoie est aussi étrange ! Ah mais je le comprends tellement ! Je préférerais aussi être transformé en loup que de subir trois chiens errants et idiots comme vous trois !
– Alix, je comprends que ce soit difficile mais, on est en train de le chercher, je te le promets, tenta de lui expliquer le roi. Estelle et Bernard ont pris les choses en main. On leur a proposés de les aider mais, ils ont refusé qu’on participe.
– C’est qu’ils ne sont pas complètement cons à ta différence ! Répliqua-t-il, les yeux exorbités de rage, le criblant comme il le ferait avec ses flèches. Qu’est-ce que tu crois ?! Un type de Rufus les suit, il va mettre une flèche dans la tête de mon frère à la première occasion ! Et c’est aussi ce qui va se passer si un chasseur lui tombe dessus ! Rodrigue risque de se faire tuer !
– Ah oui, vous n’êtes plus rien sans Ludovic ou votre maman pour vous mâcher le travail, » le nargua encore Rufus. Mais pourquoi il faisait ça ?! Ça ne faisait qu’énerver encore plus Alix ! « Au moins, ça vous aura appris à rester à votre place de vassaux j’espère…
Avant que Lambert n’ait pu lui dire d’arrêter de le provoquer, ou Rufus de finir sa phrase, Alix le fit taire d’un coup de poing, tout crocs dehors et son emblème en renfort en criant :
– Celle-là, c’est pour tout ce que as osé faire subir à Rodrigue !
Puis il en mit une autre, sa force et celle de son emblème envoyant Rufus au sol avant que Gustave n’arrive pour le retenir.
– Et celle-ci, c’est celle qu’on aurait dû vous mettre à tous les deux depuis des années !
– Alix ! Calmez-vous ! Vous dépassez complètement les bornes ! Maitrisez-le ! S’écria le chef de la garde en lui prenant le bras pour l’empêcher de bouger, même si le plus jeune jumeau se débattait toujours comme un beau diable, rétorquant sans hésiter :
– Car eux ils ne le font pas ?! ça fait des années, des années qu’on se tue pour Faerghus ! ça fait des années qu’on travaille d’arrache-pied pour que notre fief et le Royaume continue à grandir comme sous Ludovic ! Mais au final, on passe notre temps à balayer derrière ce crétin de Lambert ! C’est nous qui faisons tout le boulot à sa place !
– Alix, je sais que tu t’inquiètes et que tu es en colère contre nous, surtout que Rufus n’aurait jamais dû te parler comme ça, encore moins de Rodrigue dans une situation pareille, essaya Lambert, tentant d’être compréhensif. Mais il faut que tu te reprennes… je suis sûr qu’on va trouver une solution qui nous convienne à tous…
– Que je me reprenne ?! Mais je ne fais que dire la vérité mon vieux ! C’est nous qui t’avons empêché de faire des dizaines de Duscur avant tellement t’es un chien idiot de première ! Ça fait des années qu’on se tue à nettoyer ta merde car, t’es pas capable de comprendre que non, tout n’ira pas bien dans le meilleur des mondes et que non, tout le monde n’a pas les mêmes intérêts dans ce putain de Royaume ! C’est nous qui relisons tout et qui coupons tout ton optimisme crasse ! C’est juste que c’est plus simple pour toi de dire que tu vas arriver à satisfaire tout le monde, que de te mouiller et de prendre clairement position pour un camp ! Tu veux aider les roturiers, très bien mais, vas-y à fond pour vraiment les aider au lieu de toujours ménager les mêmes ! Si tu donnes du pain à tout le monde, ça ne changera rien aux faits que ceux qui sont blindés de blé n’ont pas faim, et ça fait que tu n’en as plus assez pour en donner plus à ceux qui crèvent la dalle ! S’il y avait des seigneurs du Royaume dans le lot des comploteurs, c’est vraiment des chiens errants égoïstes ! Tu es bien moins radicale que ton père qui a juste dit à tous les traditionalistes et à l’église Occidental de ses deux d’aller se faire foutre, le Royaume passe avant tout ! Même avant l’intérêt de sa propre famille ! « Vous n’aimez pas la monarchie élective ?! Allez-vous faire foutre, ça évitera un autre Clovis ou à mon incapable de fils d’arriver sur le trône ! Le bien commun des faerghiens passent avant votre soif de pouvoir ! » Lui, c’était un vrai homme d’État ! Il savait prendre de vraies décisions et de vraies mesures pour résoudre les problèmes pour de bon ! Pas un gamin qui fait un caprice pour faire ce qu’il veut pour prouver à personne qu’il est un très grand garçon, tout en traitant les vies de tous ceux dont il est responsable comme des poupées immortels ou jetables ! C’est nous qui faisons en sorte que tu ne tues pas le Royaume par excès d’optimisme ! Et avant nous, c’était Héléna qui se mangeait tout ce travail ! Ne te demande pas pourquoi vous n’avez pas eu d’enfant avant, c’est parce qu’elle était épuisée de devoir passer tout le temps derrière toi et de rattraper tes conneries ! Devoir faire le travail de deux personnes l’a tellement épuisé que cela a fini par l’affaiblir alors qu’elle avait une santé de fer elle !
Lambert fut encore plus piqué au vif que quand Alix avait parlé de Dimitri. Non ! Ce n’était pas vrai ! Elle était fatiguée, oui, souvent mais, ce n’était pas ça ! C’était bien son travail qui l’épuisait, elle travaillait énormément et son mari faisait tout ce qu’il pouvait pour l’aider mais, ce n’était pas forcément ça qui l’avait autant affaibli ! Il venait de perdre Patricia, le veuf refusait qu’Alix passe sa colère sur la mémoire d’Héléna ! Pas elle !
– Tu ne sais pas de quoi tu parles Alix… gronda-t-il, presque une menace. Ce n’est pas…
– Elle ne t’a rien dit ? Car tu aurais remarqué quelque chose ?! T’étais même pas foutu de comprendre qu’elle était amoureuse de toi et toi d’elle ! Y a fallu qu’elle meure pour que tu comprennes que oui, c’était pas juste de l’amitié ! On n’a que deux ans d’écart mais, bonjour la maturité ! Même pas capable de comprendre tes propres sentiments et ceux des autres ! Faut croire que ton côté naïf avait des côtés attachants plutôt qu’à vomir pour qu’Héléna t’estime digne de son amour, alors qu’elle était trop bien pour toi ! À ce stade, fallait qu’elle fasse comme Rodrigue et s’évanouisse d’épuisement ou se transforme en fouine devant toi pour que tu comprennes ?! Elle était plus bavarde avec Félicia, car qui pouvait résister à Félicia quand elle s’inquiétait ?! Elle était morte de peur qu’Héléna meure d’épuisement malgré sa bonne santé ! Et elle était épuisée parce qu’elle devait constamment nettoyer ta merde et que tu ne voulais pas écouter ton paternel quand il te disait d’être moins naïf ! Même elle, tu ne l’écoutais jamais quand elle te faisait des remarques ! Tu m’étonnes que Ludovic refusait de te donner plus de responsabilité, il ne voulait pas avoir la mort de surmenage d’Héléna sur la conscience car lui, il tenait vraiment aux gens ! Et toi, tu ne le remarques même pas ?! Même elle, tu l’as prise pour acquise juste parce que c’est toi ?! Au moins, on ne peut pas t’accuser de faire de favoritisme hors Patricia et Rufus, tu nous traites tous comme de la merde ! Alors que c’est nous qui faisons tout ton travail à ta place ! On devrait être payé pour devoir te supporter tient !
– Et puis quoi encore ? Rétorqua Rufus en se relevant, se massant sa mâchoire douloureuse – cela demandait trop de force d’être archer pour juste tirer des bouts de bois de loin ! –, sans comprendre pourquoi il se mettait lui-même au sol avec une proposition aussi ridicule. C’est les roturiers qu’on paye, pas les nobles ! Vous, vous devez servir le roi et la nation, autant en conseillant correctement le roi qu’en versant votre sang pour lui ! C’est ça le devoir des nobles !
– Et on fait le travail des roturiers en passant derrière Sa Majesté qui fait merde sur merde, tout en nous prenant toutes les conséquences de ses actes dans la tronche ! Ouais, le seul impôt de la noblesse est celui du sang mais, si vous n’aviez pas remarqué, chez nous, on le paye vachement tôt ! Mes grands-parents l’ont payé à vingt-trois ans, mes grands-oncles et tantes du côté Fraldarius entre vingt et trente ans, mon père à trente-deux ans, Glenn à dix-neuf, et je vais m’arrêter là car sinon, j’en aurais pour des jours à énumérer tous les membres de ma famille qui sont morts à votre place ! À l’échelle de notre famille, Rodrigue et moi, on est centenaire et Félix est au tiers de sa vie ! On meurt tous avant quarante ans car, faut qu’on soit toujours vos boucliers en viande ! Et au moins pour Guillaume, Ludovic faisait attention ! Il a toujours tout fait pour le protéger et qu’il ne meure pas, même s’il n’a pas pu tout prévoir ! Kyphon a vécu soixante-quinze ans avant de mourir de vieillesse, Clothilde jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf ans et c’est la plus vieille de notre famille ! C’est quasi les seuls à avoir dépassé les quarante-cinq ans ! Et tu sais pourquoi eux, ils ont vécu longtemps ? Car Loog et sa fille Sophie ne les prenaient pas pour acquis ni pour de la merde et prenaient soin d’eux au lieu que ce soit qu’eux qui fassent tout ! ça allait dans les deux sens ! Il ne les traitait pas comme des esclaves ou des gens juste bon à tuer à la tâche ! D’hémorragie ou de surmenage ! Et maintenant, la seule solution pour vous survivre, c’est de se transformer en loup ?! Faut dire, je comprends, qui ne voudrait pas t’égorger pour de bon après tout ce que tu as fait ?! Après tout ce que tu as osé nous faire ! Tout ce que toi et Rufus avez osé nous faire car, vous êtes de sang royal et intouchables !
– Vous en avez assez dit ! Arriva enfin à se faire entendre Gustave, en mettant sa main sur la bouche d’Alix pour le faire taire. Il a menacé la vie du roi ! Mettez-le aux arrêts… aïe !
Alix venait de lui mordre la main sans hésiter, imprimant une profonde marque de crocs dans sa paume, alors que la magie houleuse se déversait en lui, tirant sur ses os et déformant ses muscles. Il était tellement en colère qu’il n’avait même pas remarqué qu’elle s’était agitée à ce point ! Enfin, ça l’arrangeait ! Lambert, Rufus, Gustave… ils étaient tous ses ennemis ! Tous autant qu’ils étaient ! C’était eux qui avaient fait du mal à Rodrigue et l’avait poussé à se transformer pour pouvoir se tirer d’ici !  Un collier et une laisse… le plus jeune jumeau comprenait mieux où voulait en venir son frère ! C’était une vraie prison ici ! Ils les prenaient pour leurs petits chiens, des petits roquets qui viendraient quémander une caresse pour être satisfait, même si on leur donnait des coups de pieds en permanence et qu’on leur prenait tous ceux qui leur étaient chers ! Même quand on leur arrachait leur portée pour en faire un bouclier en viande ou un animal de compagnie !
« Nous ne sommes pas des chiens ! Ni Rodrigue, ni Félix, ni Glenn, ni moi, ni aucun habitant de notre fief ! Notre famille est celle des loups ! Vous allez comprendre ce que c’est de vraiment mordre ! »
Se débarrassant des gardes qui le retenait, Alix finit à quatre pattes et sauta sur les épaules de Rufus, tout crocs dehors, le clouant à nouveau au sol en lui déchiquetant le bras. C’était ce bras qui avait donné tout ce travail à Rodrigue ! C’était ce bras qui avait ordonné à ce qu’on fasse souffrir son frère ! Et il mettrait sa patte au feu que c’était aussi les mains qui avaient volé leurs lettres ! C’était lui ! Il en était sûr !
« Voleur ! Exploiteur ! Assassin ! »
Ce ne serait pas mortel, Alix aurait déjà planté ses crocs dans sa gorge pour lui arracher cette voix qui avait menacé son frère et son neveu ! Sans voix, il ne pourrait plus aboyer sur personne ! Il se contenta de lui casser le bras et la main, avant de se détourner et de décamper d’ici. Pas le temps de s’occuper du chien idiot, il devait retrouver son frère au plus vite ! Fatigué comme il était, Rodrigue devait être encore très faible ! Il devait être à ses côtés pour le protéger !
Le plus jeune jumeau bouscula les gardes pour sortir de l’étude, puis courut à travers les couloirs, sautant à travers les escaliers pour aller plus vite.
« Il faut que vous les laissiez passer. Je vous jure que quelque chose va arriver, le seigneur Alix est en danger. Cela se sent que son énergie est instable, il risque de se transformer lui aussi !
– J’ai pas d’ordre à recevoir d’un scribe sorti de nulle part ! Et ces deux-là ont interdiction d’entrer dans les appartements royaux ! Ordre du régent ! Pas de derdriens fouineurs ici !
– T’es sourd ou quoi ?! Faut qu’on aille aider Alix avant qu’il ne se transforme lui aussi ! On a mis assez de temps à arriver comme ça ! »
Tient, des amis… à l’odeur, il reconnut Ivy, un homme qu’il connaissait de loin et… Oncle Ludovic ? Non, impossible ! Il était mort depuis des années ! Il ne sentait même plus la maladie ! Sa truffe devait lui jouer des tours !
Repérant vite l’origine de la dispute au même endroit que la sortie, Alix sauta sans hésiter sur le dos du garde, le faisant basculer en avant et s’écraser par terre, entrainé par leurs deux poids, le sonnant au passage. Il vit bien Ivy, l’homme qu’il reconnut comme Oswald von Riegan, et un jeune homme que son nez reconnut tout de suite. Ludovic ! Leur Ludovic ! Leur oncle Ludovic ! C’était lui ! Il en était sûr ! Sa truffe et ses yeux ne pouvaient pas le tromper à ce point ! Il ne savait pas par quelle grâce de la Déesse il était encore en vie et aussi jeune mais, leur oncle était là ! Tout irait bien s’il était dans les parages !
Alix pressa sa tête contre lui, puis lapa la main d’Ivy.
« Oh non… gémit-elle en lui prenant les joues, et c’était la première fois qu’Alix l’entendait gémir. Toi aussi… nous sommes arrivés trop tard pour toi aussi… c’est Lambert, c’est ça ?
– Oui, et Rufus aussi mais lui, c’est en partie réglé, je finirais plus tard quand j’aurais retrouvé mon frère.
La tête qu’il avait fait devait constituer une réponse suffisante car, elle grogna entre ses dents, retrouvant vite sa hargne. Ça, c’était la Ivy qu’il connaissait !
– Évidemment, qui d’autres que ces deux chiens errants et leur roquet de compagnie ?! Et toi, tu vas rejoindre Rodrigue, n’est-ce pas ?
Alix hocha la tête pour répondre. Oswald déclara alors, grave et sévère.
– Partez vite avant qu’ils ne vous rattrapent, allez vite rejoindre votre frère.
– Nous nous occupons de tout ici, » ajouta Ludovic, et c’était bien la voix de son oncle. Oui, tout irait bien si c’était lui qui s’occupait de tout…
Reconnaissant, Alix partit en courant, suivant la trace laissée par son frère quelques jours auparavant. Les gardes tentèrent bien de l’arrêter mais, il n’eut qu’à les esquiver ou les mordre pour passer, traversant même les portes de la prison sans souci, s’enfonçant dans la forêt.
Il courut presque sans s’arrêter, guidé par son instinct et sa truffe, jusqu’à ce qu’il le retrouve enfin, reconnaissant entre mille ce loup tout identique à lui. Alix sauta vers Rodrigue, le reversant un peu en pressant sa tête contre lui, l’un et l’autre se mordillant gentiment comme deux louveteaux.
« Je t’ai retrouvé ! On s’est enfin retrouvé !
– Oui, même si j’aurais préféré que tu ne risques pas de te faire emprisonner aussi…
– Je suis aussi libre que toi maintenant, et on est à nouveau identique tous les deux ! La seule différence entre nous, c’est l’odeur…
– Oui, c’est vrai… et c’est normal, lui rappela-t-il en lui donnant un petit coup de museau contre le sien, tout doux. C’est que j’ai des petits… pour mes petits… mon petit…
– C’est une odeur rassurante… elle doit lui manquer, et tu lui manques, c’est sûr ! Alix lui rendit avec un petit coup de langue affectueux, goutant l’odeur laiteuse. Retrouvons-le maintenant… ensemble…
– Oui, il faut qu’on le retrouve au plus vite avant que les chiens errants ne lui fassent du mal !
Ils s’enfoncèrent côte à côte entre les buissons de la forêt, à la recherche du louveteau.
*
Oswald et Ivy ne prirent même pas la peine d’aller voir Lambert et Rufus plus que nécessaire, à part pour renforcer leur demande de parler seul avec le roi, ainsi que pour bien comprendre ce qui s’était passé. C’était une corvée de parler à l’un ou l’autre mais, ils n’avaient guère le choix pour comprendre. Ludovic les accompagna tout du long, curieux et leur servant de guide, ainsi que de surveillant dans l’esprit de Gustave. Enfin, ça, c’était officiellement. Dans les faits, même s’il ne le montrait pas, ces quelques gestes parasites et expressions faciales discrètes suffisaient à comprendre qu’il était aussi en colère qu’eux.
« Alors, les rumeurs étaient vraies… gronda-t-il en leur offrant un verre d’eau une fois leur entrevue avec les trois crétins achevée, à part dans une étude après avoir donné une explication à son absence à sa cheffe du jour. Rodrigue s’est bien transformé en loup…
– Oui, sauf que maintenant, on a les deux jumeaux dans la nature. Je sais qu’ils vont juste filé là où est Félix mais, autant chercher une sardine dans tout l’océan… merde… c’est même pas un magicien Alix ! Ça peut vraiment arriver à tout le monde ?!
– Si je puis me permettre Capitaine Drake, le seigneur Alix… comment ditons déjà en fodlan ? Exultait ? Le seigneur Alix exultait de la magie quand je l’ai croisé. J’ai même cru que c’était un magicien.
– Non, il ne l’est pas, c’est Rodrigue le spécialiste de la magie… il aurait contaminé Alix d’une manière ou d’une autre ?
– Aucune idée mais au moins, on est arrivé à leur faire cracher à ces idiots ce qui a surement provoqué la transformation, leur fit remarquer Oswald. C’est surement cette magie en surplus et la colère, même s’ils nous manquent surement des fils de la tapisserie. Des magiciens très puissants qui sortent de leurs gonds, il y en a tous les jours et aucun ne se transforme… enfin, cela a peut-être un lien avec cette magie noire…
– Vous parlez de vos recherches sur cette puanteur ?
– Oui, j’ai un peu avancé et à présent, je suis sûr qu’il s’agit de la marque d’une magie interdite. Je suis tombé sur plusieurs livres de Lucine Dominic qui explique que l’Empire avait tout un bataillon de magiciens d’élite mais, dans l’armée de Loog, on le surnommait le « bataillon pestilent », justement à cause de l’odeur qu’il dégageait qui ressemblait à celle de la pourriture et du sang avarié. Il était redouté pour ses sorts de magie noire très corrupteur qui transformaient les êtres vivants en cadavre en décomposition au moindre contact. Elle note que selon Pan, ce serait peut-être une sorte d’avertissement envoyé par la Déesse pour les mettre en garde contre le danger, et ils formulent tous les deux l’hypothèse que ce soit le signe d’une magie interdite, d’où cette odeur de mort et de cadavre.
– Cela se tiendrait et ça collerait bien à une magie qui est capable de transformer des gens en cadavres ambulants, fit observer Ivy. Et elle raconte quoi d’autre sur cette magie ?
– Ce sont des passages écrits à deux mains avec Pan, ce qui les rends un peu confus mais, de ce que j’ai pu comprendre, les deux décrivent cette magie comme une véritable abomination. Une magie contre nature qui se nourrit de l’énergie vital des êtres vivants pour pouvoir être utilisable et qui corrompt tout ce qu’elle touche, autant ses cibles qu’elle tue sur le coup que leur utilisateur qu’elle tue lentement. Autant vous dire que ce bataillon était encore plus craint que la Grande Peste qui venait de ravager le continent. Cependant, c’était tellement dangereux qu’une fois la paix signée, l’empereur suivant a tout fait pour effacer l’existence de ce bataillon.
– Une magie qui utilise l’énergie vitale pour fonctionner ?! Et vous croyez que ces salauds ont utilisé celle de…
– Non, je ne pense pas capitaine, même si sa présence a pu perturber la magie de Rodrigue et provoquer cette transformation, puis a aidé à contaminer Alix. Ni Lambert, ni Rufus, ni Gustave n’ont senti la magie noire, pas même une fois, même si Rufus pourrait être de connivence avec Cornélia. Si je me fie à mes lectures, c’est plutôt une magie qui ne laisse pas de survivant là où elle passe. Cependant, nous ne pouvons que nous interroger sur les raisons pour lesquelles une guérisseuse royale ayant fui Adrestia a cette odeur sur elle.
– Ils seraient de mèche selon vous ? Demanda Ludovic, étouffant une petite toux dans son poing.
– Je n’ai pas de preuve à part cette odeur mais, je sens qu’il y a anguille sous roche. Pourquoi elle ? Pourquoi cette magie ressurgit que maintenant ? Pourquoi dans le Royaume ? Pourquoi une personne qui a tout fait pour fuir l’Empire ? J’ai encore beaucoup de question mais malheureusement, même si mon emblème m’empêche de sentir la fatigue quand il s’active, je dois aussi dormir de temps en temps.
– Je comprends… hum… le Royaume qui se retrouve à utiliser la magie interdite de l’Empire… tout ceci est pitoyable… gronda le jeune homme. Enfin, je pense devinez ce à quoi vous allez vous consacrer à présent.
– Si c’est pour comprendre ce qui est arrivé aux jumeaux, les aider à retrouver leur apparence normale pour qu’il retrouve leur petit, et envoyer les trois rats de calle par-dessus bord, je vous suis. Ils vont payer pour tout le mal qu’ils ont fait ! Lui jura sans hésité Ivy. Et un Royaume instable est aussi mauvais pour ses habitants que pour les affaires.
– Tout le monde surrrr le pont ! Ajouta Noce d’un ton féroce, les plumes gonflés pour paraitre plus gros et menaçant.
– Merci à vous, surtout que je pense qu’on va avoir besoin de bras si nous devons agir par nous-mêmes, voir militairement. Ce serait de l’ingérence dans les affaires royales mais, si cette magie interdite refait surface, nous devons tout faire pour l’arrêter. De toutes façons, je ne pense plus que Lambert serait en mesure d’intervenir. Ce n’est qu’une tête juste bonne à porter une couronne en laissant ses conseillers agir vraiment. Il n’a rien d’un vrai dirigeant.
– Nous sommes bien d’accord sur tout, nous devons tous agir au plus vite pour limiter les dégâts, confirma Ludovic, plus neutre que jamais dans ses expressions, comme le précédent roi pendant les discussions les plus sérieuses. Tout ce qui a été dit restera entre nous, bien évidemment.
– Je compte en effet sur votre discrétion mais, j’ai bien l’impression que vous seriez le dernier à nous dénoncer, fit remarquer le grand-duc.
– En effet, j’ai aussi mes propres… idées et projets dirons-nous discrètement. Enfin, avant cela, je dois finir ma journée de travail. Si vous voulez bien m’excuser.
Le jeune homme se leva après une courte révérence, retournant à son poste. Cette colère glacée dans ses yeux… ses expressions… son apparence… sa manière d’agir… et avec le comportement d’Alix envers lui…
« Dans des circonstances normales, je me dirais que c’est impossible, mais après ce qu’on vient de voir deux fois et cette magie noire… je serais tenté de dire que c’est le bon Ludovic… réalisa Oswald en le reconnaissant enfin. Ces deux gosses sont foutus, même si c’est seulement sa réincarnation. Je me demande ce qu’il a prévu… enfin, j’ai tout de même ma petite idée. »
*
Ludovic sortit de cette discussion plus remontée que jamais depuis qu’il avait atterri ici. Une magie noire utilisant l’énergie vitale pour fonctionner et transformant ses cibles en cadavre… même Clovis n’avait pas ressorti de telles abominations ! Lambert ne semblait pas du genre à être de mèche avec ce genre de chose, mais Rufus était déjà plus suspect. Est-ce que sa haine des jumeaux et sa paranoïa l’auraient poussé à utiliser ce genre de méthode… non, impossible… pas…
Non, le jeune homme devait se sortir ceci de la tête et ses impressions. Son appréciation des deux frères était basée sur ce qu’ils n’étaient plus depuis longtemps, il devait les traiter comme il l’avait fait avec tous les autres tyrans. Même si cela lui brisait le cœur, ils étaient devenus des adultes irresponsables et dangereux pour le Royaume. C’était son devoir de les arrêter.
« J’ai réuni toutes les informations dont j’avais besoin… songea-t-il en allant au service des missives et des postes où il travaillait cette après-midi. Tout ce qui me manque, c’est des hommes et une occasion. Enfin, si je ne me trompe pas, je suis au bon endroit, il suffit de provoquer le bon moment. Alix aussi a parlé de lettres volées apparemment, et si on leurs a bien dérobés ces missives, il fallait au moins la complicité de sa cheffe. Tâtons le terrain et voyons où cela nous mène… »
Il déclara alors en entrant, l’air de rien, même s’il affecta un peu plus le choc qu’il n’en avait l’habitude. Cela serait plus fort sur son visage dénudé d’expression.
« Vous avez entendu ? Le seigneur Alix Fraldarius s’est aussi transformé en loup de cendre. »
Il vit alors la cheffe Mélisse blêmir complètement, restant muette au fur et à mesure que Ludovic racontait à ses collègues ce qui venait de se passer. Il empathisa plusieurs moments de son discours, frappant aux endroits sensibles qu’il avait pu repérer chez elle ou rebondissant dessus quand c’était les autres qui en parlaient.
« Ils ont travaillé d’arrache-pied pour le Royaume, et voilà comment ils sont remerciés… quelle honte pour le Royaume… »
« Imaginez, ils arrivent à rejoindre Félix ! Pauvre gamin ! Il va retrouver son père et son oncle transformés en loup !
– Surtout qu’il les adore et est collé à son père, il va avoir le cœur brisé en le découvrant ainsi.
– S’il ne se sent pas coupable de s’être disputé avec lui avant de partir…
– C’est vrai qu’il pourrait se demander si ce n’est pas sa faute…
– Si un chasseur ne les trouve pas en premier et ne tente pas de lui vendre la peau de son père et de son oncle comme fourrure pour l’hiver… »
« Et Rufus qui doit surement se pavaner devant ses toutous pour dire qu’il savait qu’ils étaient des incapables.
– L’hospice qui se moque de la charité… »
Petit à petit, petit coup par petit coup, Ludovic vit Mélisse s’effondrer de plus en plus, jusqu’à trembler de tous ses os, se retenant clairement de passer aux aveux. Il intervient alors, essayant de la mettre en confiance.
« Cheffe Postel ? Que vous arrive-t-il, vous êtes toute pale et bien silencieuse. Si quelque chose vous choque, vous pouvez nous le dire, rien ne quittera cette pièce.
– Il a raison Mélisse, personne n’ira balancer à Rufus, on serait de toute façon, tous bon pour la corde !
– Euh… je… je… mhn… je ne sais pas… se perdit-elle, passant ses mains devant sa bouche comme pour s’obliger à ne pas parler avant d’avouer à mi-mot. Je ne peux pas… je n’ai pas le droit…
– Parce que t’es noble ? T’es une petite noble de la campagne, et on s’est toujours parlé normalement ici !
– C’est pas ça… c’est… j’ai pas le droit de… sinon…
– Sinon Rufus, n’est-ce pas ? Devina Ludovic, qui ajouta en la voyant hocher la tête de manière saccadée, posant sa main sur son épaule pour tenter de la rassurer. On en parlera plus tard à la taverne si vous voulez, ce sera plus discret qu’ici, et vous avez clairement besoin de partager ce que vous avez sur le cœur…
Elle finit par céder et par hocher vivement la tête. Tant mieux…
Ludovic continua à dérouler son plan dans sa tête. La taverne du Père Mercier ferait un bon lieu de rassemblement, surtout que les hommes des jumeaux y allaient souvent pour lâcher ce qu’ils avaient sur le cœur aussi. Avec un tout petit peu de chance, Estelle et Bernard y seraient aussi mais, il ne pouvait pas trop forcer le « destin » à se concrétiser comme il le souhaitait.
« Normalement, ce soir, j’ai mon occasion. Il ne restera plus qu’à la saisir en espérant trouver suffisamment de bras mais, vu la situation et la colère à peine contenue, c’est ce qui sera le plus simple à trouver. »
Il attendit patiemment le soir, emmenant Mélisse et ses collèges à la taverne du père Mercier. Il y avait du monde, et il repéra les hommes des Fraldarius dans leur coin habituel, parfait. L’homme aimable le salua avec chaleur, avant de s’inquiéter en voyant la femme aussi angoissée. Il lui servit tout de suite un verre d’eau fraiche et lui demanda, toujours aussi patient et attentionné avec les autres. Ludovic n’aurait pas pu tomber à côté d’un meilleur endroit…
« Allons, allons, qu’est-ce qui t’arrive ? On est discret ici, tu peux parler, rien ne sortira dans la rue et même Rufus ne saura rien… »
Sous toutes les attentions et les paroles rassurantes, la femme finit par craquer et avouer les ordres qu’elle avait reçu.
« Alors… Rufus vous a ordonné de lui faire passer toutes les lettres personnelles de Félix et Alix que Rodrigue recevait, mais aussi celles qu’il leur envoyait de son côté. Et il a également ordonné à ce que la personne qui lui apportait le courrier soit changé afin qu’ils ne discutent plus tous les deux, et de le remplacer par quelqu’un de très froid qui ne lui parlait jamais, c’est bien cela ? Résuma Ludovic, lui tendant un vieux torchon pour qu’elle puisse se moucher.
Elle hocha la tête, soufflant dans son torchon. On lui avait dit plus d’une fois que si son visage impassible le rendait difficile à aborder, son côté calme et sérieux mettaient également les gens en confiance pour les affaires graves.
– Oui… et… et il m’a juré qu’il me couperait la tête si je disais quoi que ce soit… c’est ma faute… c’est ma faute si les seigneurs Rodrigue et Alix se sont transformé en loup ! J’aurais dû essayer de lui transmettre ses lettres ! Lui dire ! Quelque chose !
– Mais non Mélisse, c’est pas ta faute, lui assura le père Mercier en lui resservant de l’eau fraiche. C’est celle de Rufus. Qu’est-ce que tu aurais pu faire ? Tu lui aurais apporté, tu aurais fini avec la tête sous le bras, comme cet Acace qui a juste eu le culot de dire que ce voyage à Duscur n’était pas une bonne idée…
– C’est dingue… on parie combien que c’est parce que Rufus déteste le seigneur Rodrigue qu’il a donné cet ordre ? Fit remarquer une femme qui était une ancienne gouvernante au palais. Il est jaloux comme un pou pour rien et parce que son paternel disait la vérité sur les capacités des deux frangins à gouverner.
– Mais qu’est-ce qu’on peut bien faire ? Demanda Mélisse. Si on l’ouvre, on se fait soit couper la tête, soit on est licencié et si on ne travaille pas, on peut dire adieux au rationnement… on est bloqué…
– Alors, nous devons passer en force.
Tout le monde se tourna vers Ludovic, ce dernier se levant en expliquant, droit, ses yeux se gelant d’une colère déterminée.
– C’est vrai. Légalement, nous sommes coincés. Nous ne pouvons pas nous plaindre devant le régent sinon, nous risquons notre vie. Nous ne sommes pas ses amis et conseillers qui l’influencent. Nous ne sommes pas assez riches pour marchander sa coopération. À ses yeux, nous ne sommes rien d’autres que des mains bonnes qu’à travailler. Le roi Lambert n’est qu’un souverain fantoche qui n’a comme utilité que d’empêcher légalement Rufus de partir en guerre mais, ce n’est surement qu’une question de temps avant qu’il ne s’attribue tous les pouvoirs dans sa folie de protéger son frère en le vengeant. Même les plus fidèles sont punis pour leur dévouement envers le Royaume et non envers la famille royale. Et pendant ce temps, ses amis se gavent. Ils volent nos impôts et nos taxes, pillent le bled volé à la province, vont jusqu’à vouloir jeter nos vies pour s’enrichir. Pendant que nos estomacs crient famine, à peine rempli d’eau, d’épluchure et de pain coupé et que nos enfants pleurent pour oublier leur faim, eux se gavent de vin, de miel, de sucre et de viande. Nous mourrons de disette, eux meurent de s’être trop nourris…
Il marqua une pause, mesurant l’état d’esprit de la salle. Tous le regardaient, les yeux visés sur lui, « l’albinois » sortit de nulle part, presque encore un gamin mais, il ne pouvait que voir la colère dans leur regard, déchiquetant le désespoir de ses crocs afin qu’ils servent de combustible à leur fureur. Il continua alors, faisant tout pour rester digne et ne pas flancher. Ludovic montrait un seul signe de faiblesse, un seul, et tout était fini pour lui. Il devait rester déterminé et sûr de lui jusqu’au bout, jusqu’à la fin même du plan qu’il échafaudait depuis qu’il était arrivé à cette époque.
– Cependant, même si nous ne sommes rien à leurs yeux, il n’y a pas plus grande illusion que celle-ci. Nous sommes ceux qui leur permettons de vivre. Nous sommes ceux qui les nourrissent par notre travail et notre labeur chaque jour que la Déesse fait. Le devoir des nobles et encore plus de la famille royale est de protégé leur peuple, pas de le tuer de leurs propres mains avec leur négligence. Cela ne peut durer. Ils sont des dizaines, nous sommes des centaines, non des milliers dans cette ville seule ! Quand un roi ou un seigneur oublie ses devoirs envers son peuple et ne pense plus qu’à ses propres caprices, il est du devoir de ses peuples de le renverser, afin de ramener la justice et le droit sur leurs terres. Comme l’ont fait en leur temps Loog et ses compagnons contre l’Empire et le Royaume tout entier contre Clovis le Sanglant.
– Et t’as un plan j’imagine l’albinois ? Demanda une femme au bar, méfiante. Comment veux-tu qu’on s’en sorte contre eux ? On ne sait pas se battre, on n’a pas d’arme, et encore moins l’énergie de se révolter avec la faim qui nous tord les boyaux.
– En effet, j’ai mon idée. Pour commencer, nous devons retrouver de quoi nous nourrir, tout en leur envoyant un avertissement. Je pense que mes collègues de la trésorerie l’ont aussi remarqué mais, il y a de grosses irrégularités dans les inventaires de la nourriture envoyée par les autres fiefs. De la nourriture et des biens, réquisitionnées pour la guerre vengeresse contre Duscur par Rufus, disparaissent sans laisser des traces ailleurs que dans les inventaires.
– Oui, on a vu, confirma bien un de ses collègues qui continua. On a signalé mais, tout ce qu’on a reçu des hommes de Rufus qui s’en chargent maintenant que les sœurs Charon ne sont plus là, c’était de se mêler de nos affaires.
– J’avoue que je me demande même si ce n’est pas un marché noir… il en faudrait bien un pour que les nobles qui s’engraissent trouvent leurs vins et leur viande, ajouta sa cheffe à la trésorerie. Je me souviens que mon prédécesseur disait qu’il y avait aussi de grosses restrictions sous Clovis alors, tout un marché noir s’était organisé dans l’ancienne cathédrale en ruine… vous savez, celle qui est à moitié enterrée maintenant ?
– Ah oui, je m’en souviens, déclara un grand-père. J’habitais à côté quand j’étais gamin. Ils allaient se cacher là-bas vu que comme elle est en ruine, personne ne s’en approche à part des miséreux et s’ils disparaissaient, personne ne s’en rendrait compte à part entre eux et encore, ils se diraient juste que leur camarade est mort quelque part ou dans le fleuve…
– Y a quelqu’un qui sait ce qui se passe dans ce coin ?! Demanda d’un coup un autre client.
– Moi ! Et y a pas mal de passage mais bon, c’est le quartier de tous les trafics ! Y a personne et plus assez de garde pour surveiller ! Ils sont tous affecté à la protection du roi ! Ou alors, ils sont aux bottes des amis de Rufus !
– Alors, ils pourraient de nouveaux se cacher là-bas !
– Faudra qu’on vérifie mais, c’est surement dans ce quartier qu’ils se planquent !
Les fhirdiadais se démenaient, débattant et explorant toutes les possibilités tous ensemble, exactement comme Ludovic l’avait espéré.
« Il fallait seulement donner l’impulsion, ils continuent à dérouler par eux-mêmes, » songea-t-il, fier de voir cette ville toujours aussi vivante et pugnace malgré les tragédies et les mauvais rois.
Il laissa toutes les idées se mélanger avant de reprendre la parole, parlant plus fort pour qu’on l’entende.
« Compagnons ! Fiers fhirdadiais ! Nous avons la force de changer les choses ! Mais il faut pour cela que nous nous unissions et travaillions tous ensemble afin de les faire plier ! Nous ne ferons rien le ventre vide ! Je propose que nous commencions à stopper les vols de notre nourriture et notre argent en prenant ce marché noir ! Que ces bleds et denrées servent à nous nourrir tous autant que nous sommes ! A qui sont ces bleds ?!
– À nous !
– À qui appartient cet argent ?!
– À nous !
– Alors, qui est prêts à récupérer ce qui nous appartient ?!
Une grande ovation accueillit sa question, tout le monde se levant, les poings vers le ciel, prêt à se battre tous autant qu’il était. C’était une armée d’affamés mais, l’espoir de jours meilleurs était une des plus puissantes sources de motivation qui soit. Avec les fhirdadiais, Ludovic savait qu’ils vaincraient.
– Si vous avez besoin d’épée et de personnes qui savent se battre, nous sommes tous prêts à vous aider.
Le jeune homme vit Estelle, Bernard et tous leurs hommes se diriger vers lui, en rang serré, leur rage inscrite sur leur visage. Elle déclara alors, à la tête d’une meute de loups prête à passer à l’attaque pour défendre leurs chefs jusqu’au bout. Guillaume aurait été très fier de voir à quel point ses jumeaux avaient gagné la fidélité de leur peuple… enfin, il penserait à tout cela plus tard.
– Nous, soldats et fidèles des ducs de Fraldarius, nous sommes prêts à nous battre à vos côtés. Ce roi et ce régent ont assez abusé de nous et en particulier de notre famille ducale pendant bien trop longtemps. Il est temps qu’ils payent pour tout le mal qu’ils ont fait à notre fief.
Ludovic s’inclina devant eux, respectueux de leur dévotion et reconnaissant.
– Merci à vous. Tachons d’accomplir cette tâche au mieux et au plus vite tous ensemble.
*
Quelques jours après la transformation d’Alix, alors qu’Oswald continuait à négocier des traités au nom de l’Alliance, un groupe arriva de l’Ouest. On lui indiqua que c’était le seigneur Kleiman et ses conseillers les plus proches, venant apporté ses « bons » conseils à Rufus pendant quelques jours.
« Il ne manque pas de culot pour se présenter ici alors que c’est lui qui a commencé toute cette histoire, songea-t-il en les regardant passer sous la fenêtre. Enfin, s’il est dans les petits papiers de Rufus, il doit se croire tout permis… »
Leurs chefs s’enfermèrent avec Rufus, ainsi que Cornélia qui s’était faufilé discrètement mais, depuis cette explosion, Oswald avait appris à la garder à l’œil sur elle. Les soldats avec eux furent invité à boire un verre d’eau mais, ils refusèrent, restant à part des autres en marmonnant dans leur coin. C’était de plus en plus suspect tout ça… après la Tragédie et vu toute la colère de Rufus contre les duscuriens, il était étrangement bienveillant avec les personnes ayant fait débuter toute cette farce grotesque… Kleiman serait resté à sa place et n’aurait pas voulu de nouveaux territoires au dépend de ses voisins, la Tragédie n’aurait jamais eu lieu…
« Ils sont pas nets ceux-là, marmonna Ivy dans sa calle, après qu’ils soient allés tous les deux discuter à gauche à droite une fois les obligations d’Oswald remplies, tout en échangeant de temps en temps quelques pièces contre une petite indiscrétion, même s’ils durent passer entre les limiers de Gustave. Les marins qui reviennent de la côte disent qu’il ne faut pas jeter l’ancre dans son port, t’as toujours des gars qui disparaissent quand t’es à terre. Apparemment, y a plein de soldats de partout mais, ils ne font pas grand-chose pour le maintien de l’ordre et les roturiers sont terrifiés juste à l’idée de sortir…
– C’est étrange effectivement… j’ai eu les mêmes échos à son sujet de mon côté. C’est un homme sinistre avec des dents très longues qui serait prêt à tout pour un peu de pouvoir… même si personnellement, ce qui m’intéresse le plus, c’est le gros sac qu’un de ses gardes baladaient… nota sombrement le grand-duc. Il semblait plein à craquer…
– J’irais bien fouillé moi-même dans ce sac mais, ça va être compliqué de fureter de leur côté… déjà qu’on est bien surveillé par ce crétin de Gustave… plus occupé à nous surveiller nous que son cher gamin de roi et son connard de régent… alors qu’ils ont transformé les deux jumeaux en loup putain ! Enragea-t-elle encore, bouillonnante de colère.
– Rats de calle… gronda Noce en réponse.
– Ils sont déjà odieux à en venir à bout des gens, il ne manquerait plus qu’ils soient malins, marmonna Oswald avant d’ajouter, sentant une occasion se profiler. Enfin, je crois que cela peut aider Fhirdiad si on attire autant l’attention sur nous…
– C’est-à-dire ? Demanda-t-elle en sentant que le vieux grand-duc avait une idée derrière la tête, devinant au moins le début. Vous parlez des fhiridiadais qui se réveillent et commencent à s’agiter ?
– Oui, j’ai bien l’impression que ça bouge. J’ai même une idée sur qui est le centre de l’agitation, même si je n’ai pas de preuve… enfin, j’aimerais vous demander un service supplémentaire.
– Ça dépend quoi, et c’est vous qui payez. Et vous avez intérêt à ce que cela ne mette pas mes gars en danger.
– Évidemment, vous mettez tout ça sur ma note, lui assura-t-il sans souci avant de poursuivre, sachant que cela risquait de l’énerver un peu. J’aimerais qu’un de vos marins se mêle à la foule de Fhirdiad afin de surveiller ce qui s’y passe dans ses rues.
– Un de mes hommes hein ? Tiqua-t-elle. Et pourquoi pas l’un des vôtres ? J’ai pas envie qu’un de mes gars se fasse tabasser si on se rend compte que c’est un espion, ce qui risque d’arriver si en plus, c’est pour un noble.
– J’y ai pensé mais, vos hommes sont plus habitués à s’adapter à de nouveaux environnements à chaque fois que vous jetez l’ancre dans un port différent. En plus, comme vous l’avez dit, si on découvre que l’espion est sous les ordres d’un noble, ce serait perçu comme un risque pour l’éventuel révolte alors que vous, vous êtes aussi roturière et c’est connu que vous êtes proches des ducs de Fraldarius, notamment chez leurs hommes. Après ce qui s’est passé, je doute qu’on puisse vous soupçonné de faire le jeu de la Couronne. Après, je comprendrais que vous refusiez, c’est effectivement une mission dangereuse…
Ivy le fixa en avalant son vin coupé à l’eau. D’un côté, elle ne voulait pas envoyer un de ses marins dans une mission dangereuse où il ne devrait pas se faire prendre, et surtout qui pourrait passer un sale quart d’heure s’il était découvert. Mais bon, de l’autre, Oswald n’avait pas tort, ils se feraient moins remarqué que des derdriens pur jus qui n’avaient pas l’habitude de s’adapter aux manières d’un nouveau port tous les quinze jours, surtout qu’ils étaient tous remontés contre Lambert sur le navire, autant pour avoir envoyé son propre peuple à l’abattoir que pour sa manière de traiter ses proches, surtout les Fraldarius. Les jumeaux avaient toujours été généreux avec eux et les marchands, et son amitié avec Félicia était assez connue…
La corsaire serra sa poigne autour de son verre en repensant à Rodrigue et Alix… leur regard au milieu de l’épaisse fourrure noire… leur manière de bouger une fois transformée… comme libérer d’un poids alors qu’ils venaient de perdre leur humanité pour pouvoir juste se barrer du palais royal… et cette tête à claque de Lambert qui ne comprenait rien… il faisait encore sa sainte-nitouche en disant qu’il comprenait à peine pourquoi ses soi-disant deux meilleurs amis s’étaient transformés…
« Réponse évidente que tout le monde a devinée : ton connard de frangin a épuisé physiquement et mentalement l’un, et l’autre en avait marre de ces conneries, encore plus quand on leur vole leur courrier… fulmina intérieurement Ivy. Enfin, on ne va pas faire les étonner qu’il ne capte rien, il n’a pas changé depuis des années… »
Elle finit par poser son verre sur la table, cédant à son envie que Lambert comprenne enfin à quel point c’était un con et se prenne des conséquences en pleine face au lieu de son entourage.
– D’accord, à condition qu’il y ait un volontaire.
– Bien, merci de votre confiance Capitaine, lui sourit Oswald, soulagé. J’ai même une idée de qui il devra suivre afin d’en savoir plus… ajouta-t-il en repensant aux yeux vairons glacés par la colère de ce scribe, Ludovic. En espérant que la vieillesse et mes souvenirs ne me biaisent pas trop… enfin, il a l’air de savoir ce qu’il fait lui…
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lilias42 · 1 year
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Acte 2 de "Tout ce que je veux, c'est te revoir"
Bon ! Deuxième acte de l'UA de Lambert qui survit ! Elle était finie depuis pas mal de temps à part la relecture mais, elle a trainé en longueur. C'est la suite de l'acte 1 que vous retrouverez ici avec le contexte.
Normalement, je voulais tout caser dans un seul billet mais, vu que je saute souvent des lignes (une chanson revient souvent et cette partie est assez longue), c'était trop long pour tenir en un seul billet alors, soit je le rebloguerait tout de suite ce billet avec la suite, soit je le mettrais un billet à part avec un lien avec ce billet là. A voir.
On reprend donc quand Rodrigue et Félix se séparent, et le début de la descente en enfer du premier.
Comme pour le premier billet, les mêmes avertissements vis-à-vis des personnages s'appliquent mais, j'insisterais encore plus pour les personnes sensibles aux représentations de la dépression et de l'épuisement. C'est pendant cet acte que la dépression et l'épuisement d'un Rodrigue en plein burn-out est décrit en détail, avec une personne qui se réjouit de le voir aussi mal, et ceux qui connaissent mon écriture savent que je peux aller jusque dans les tripes quand j'écris quelque chose. Si vous y êtes sensibles, cela s'étalera tout du long de cet acte alors, faites attention.
(et coucou @ladyniniane !)
Félix s’accrochait au bastingage du bateau, regardant l’eau claire défilée sous la coque. À leur vitesse, il arrivait à voir les poissons qui frôlait l’embarcation, les carpes et les truites nageant tranquillement en mangeant, les anguilles jaunes qui remontaient aussi la rivière vers les piémonts. Parfois, un brochet sortait le bout de son nez pour avaler un poisson plus petit. Le tout était entouré d’algue et de lentilles d’eau, certaines qu’il connaissait et d’autres moins. Cela lui faisait penser au lac… bien que l’eau était beaucoup moins clair que chez lui, celle d’Egua était toute propre et transparente, même si ses profondeurs étaient si sombres qu’on ne pouvait pas voir à travers… mais le garçon écarta tout de suite cette pensée, refusant de penser à chez lui, ou même de l’appeler son chez lui. S’il était là-bas, il verrait Alix se ruiner autant la santé que Rodrigue et ça, c’était hors de question ! Si ces deux-là voulaient se tuer au travail, très bien pour eux mais, Félix ne voulait pas voir ça ! Il était parti pour ça après tout ! Pas question d’avoir des remords !
Cependant, c’était dur de ne pas y penser quand on s’ennuyait à dix sous de l’heure… il n’avait pas le droit de s’entrainer sur le pont pour ne pas risquer d’endommager le matériel, sauf sous surveillance et encore, il ne pouvait faire de la magie que pour éviter qu’elle ne s’accumule en lui et ne le rende malade. Il devait s’empêcher de penser à Rodrigue à chaque fois qu’il l’utilisait en plus donc, il n’aimait plus en faire. Dimitri dormait la plupart du temps, Dedue restait avec lui et Sasiama avait le mal de rivière. De son côté, il était habitué à être sur un bateau, il y en avait toujours beaucoup sur le lac alors, il était le moins malade d’eux quatre. Mais une fois qu’il avait fini d’étudier et les petits trucs qu’il pouvait faire pour aider l’équipage terminé, l’ennui arrivait vite. Il avait joué avec Fleuret mais, il en avait un peu marre maintenant et il n'aimait pas pêcher à la ligne, il préférait attraper les poissons avec ses mains dans l’eau, pas la patience d’attendre qu’ils daignent mordre à l’hameçon… s’il était…
« Non, il ne faut pas que j’y pense… c’est trop tard de toute façon… »
Le garçon cherchait comment s’occuper, quand il entendit Sasiama l’appeler. La petite fille tangua avec le bateau, ayant du mal à avancer avec la houle. Il la rattrapa avant qu’elle ne trébuche, lui montrant encore comment se tenir sur le pont sans être déséquilibré. Heureusement que le voyage ne durait que six jours et que trois étaient déjà passé, ce serait mieux de vite retrouver la terre ferme pour eux… et moins Félix verrait d’eau, moins il penserait à chez lui, ce qui ne lui ferait que du bien… et sa marque se tairait surement enfin.
« Fèlix… Dmitri est… est…
– Réveillé ? Proposa-t-il en mimant le fait d’ouvrir les yeux, la petite galérait avec le fodlan, même si elle commençait à comprendre les choses simples qu’on lui disait.
– Ba ! S’exclama-t-elle comme elle pouvait malgré son mal de fleuve, Félix sachant qu’elle disait « oui ». Dmitri veut… voir… Fèlix ?
– T’as la bonne forme. Par contre, c’est Fé-lix, pas Fè-lix. Enfin, tu y arriveras bien… je te suis Sasiama.
Il suivit la petite fille jusque dans la cabine de son ami. Il s’était adossé à des oreillers avec l’aide de Dedue, les yeux entrouverts, ses cheveux à présent court, calciné pendant la Tragédie, ses joues encore brûlées même s’il ne devrait pas en garder de cicatrices. Ses mains par contre étaient couvertes de cicatrices de brûlures, comme tout le reste de son corps couturé avec des points en glace, signe qu’il n’avait survécu que grâce à Areadbhar et la protection de Blaiddyd. Son poignet droit était même complètement couvert d’une main de givre, comme si quelqu’un l’avait agrippé pour l’empêcher de tomber dans le vide. Si Félix avait bien compris, Dimitri ne devrait pas perdre l’usage de ses mains, encore heureux mais, ce serait long avant qu’elles ne guérissent.
« Félix… grinça-t-il avec un sourire en le voyant, la gorge encore pleine de fumée.
– Il ne va pas s’en débarrasser avant un moment… Lambert se fout vraiment de tout, même de son propre fils… alors pour p…
Le garçon aux cheveux noirs se força à chasser la fin de sa phrase de sa tête, ne voulant pas y penser et se sentir coupable, c’était juste Rodrigue qui était trop idiot pour partir. Il demanda alors à son ami :
– Tu te sens comment ?
– Ça va, mentit-il pour ne pas l’inquiéter, avant de se raviser en voyant les deux lames d’ambre sur lui voulant la vérité. J’ai encore mal, mais, c’est normal d’après le médecin… juste un peu moins là où il y a de la glace.
– Pas trop marre d’être enfermé là-dedans ?
– Un peu… dis-moi Félix, à quoi ça ressemble dehors ? On en est où à peu près ? Tu connais bien les rivières en plus, on voie quoi comme poissons dans la Secana ?
Il hésita un peu, avant de commencer à lui décrire tout ce qu’il avait vu depuis le pont, les bateaux croisés et les villages traversés. Il lui décrivait une truite avec de grosses tâches sur elle quand Dimitri finit par soupirer.
– J’aimerais bien que mon père voie tout ça…
Le magicien se retient très fort de dire ce qu’il pensait de ce chien idiot, de penser à son propre père et que ce dernier serait sans doute mieux avec eux. Sans rien remarquer dans son épuisement, le blond lui demanda.
– Excuse-moi Félix mais, je peux te demander un service ?
– Ça dépend quoi.
– Tu peux écrire une lettre pour mon père pour moi ? Je ne peux pas écrire avec mes mains, mais promis, je te dicterais tout… je sais qu’on ne peut pas envoyer de lettre maintenant mais, je la donnerais quand on sera arrivés à Charon… il dût voir son air un peu renfrogné car, il ajouta, sachant qu’il ne pouvait rien lui refuser quand il lui faisait des yeux de chaton suppliant. S’il te plait… il doit s’inquiéter…
– Lambert ne te mérite pas Dima… bon, d’accord, je vais te l’écrire ta lettre.
Il attrapa du papier, une plume, de l’encre et un support de sa propre cabine, déjà sorti après qu’il ait écrit à Sylvain et Ingrid, puis se mit à recopier ce que lui dictait Dimitri. C’était surtout des banalités et des petites phrases mais, il recopia tout aussi bien qu’il put. Lambert ne devrait surement pas être assez en forme pour lire ses pattes de mouches selon Gustave donc, autant faire un effort pour que son lecteur ne s’arrache pas les yeux. Quand il eut fini de copier la petite lettre, il versa du sable sur l’encre pour la faire sécher plus vite, puis remis le surplus dans sa boite. Il allait la plier quand Dimitri l’arrêta avec la voix qui lui restait.
« Il y a encore beaucoup de place… on la continuera une prochaine fois…
– D’accord, » accepta-t-il alors que son ami se rendormait.
Il aida Dedue à le recoucher correctement, puis retourna dans sa cabine pour ranger son matériel d’écriture.
En le voyant sur son bureau, hors de sa boite, le garçon hésita.
Il attrapa une feuille qu’il noircit un peu, avant de l’abandonner en se maudissant de l’avoir fait.
Il recommença le surlendemain quand Dimitri lui dicta à nouveau une lettre. Il se maudit à nouveau mais ne put s’empêcher de recommencer encore une fois tout seul la veille de leur arrivée.
Cependant, Félix se jura de ne pas la donner au messager.
« Si Rodrigue ne tient pas sa promesse de rentrer à la maison avec moi, il ne devait pas s’en faire tant que ça », se mentit-il à lui-même.
*
Félix jouait avec Fleuret sur le pont malgré le froid, quand il entendit le capitaine hurler aux matelots de préparer à accoster, ainsi que le matériel de halage à cause de la pente trop forte. Mieux valait se faire tracter par des chevaux de traits.
« Ça, ça veut dire qu’on approche de Lokris, » devina Félix en levant le nez et en relevant le bord de sa capuche, Fleuret profitant de son inattention pour réduire en pièce la plume qu’il avait trouvé pour jouer avec lui.
Il vit alors la ville fortifiée s’élevé au loin, devinant qu’ils seraient arrivés dans environ deux heures. Elle était nichée dans des contreforts montagneux, entourés de murailles et de champs. S’il se souvenait bien, les montagnes tout autour de la ville serait truffée de galerie, formant un véritable labyrinthe où on cachait de la nourriture en cas de crise depuis la guerre du Lion et de l’Aigle. Il ne le voyait pas vraiment mais, une tâche blanche correspondant surement à l’étendard des Charon devait surmonter les portes de la ville : une belette de gueule et une plume d’azur encadrant leur emblème, également de gueule, sur un fond d’argent. Dans le ciel, il y avait beaucoup de chevaliers à pégase qui circulait avec des wyvern, le climat de la région leur allant encore, même si on n’en trouvait plus aucune au nord. Dans les montagnes, c’était plus pratique de se déplacer dans les airs alors, ils faisaient presque toutes leurs patrouilles de manière aérienne. Logique qu’il y en ait autant qui parcourait le ciel…
« C’est mieux à la maison, c’est plat, et il fait moins humide ici, c’est tout sec, même le froid est différent… enfin, c’est pas un peu de relief et moins d’eau qui vont me faire peur ! Et pas question de rentrer ! »
Félix attrapa son chat qui avait fini de réduire sa plume en morceau, le tenant pour qu’il ne tangue pas avec le bateau alors qu’on l’attachait à de solides chevaux de trait, bai avec une crinière claire de taille moyenne.
« Dommage que Dimitri soit aussi fatigué, songea-t-il en s’approchant du bastingage, observant les hommes les harnachés à la coque en se penchant un peu, même s’il faisait attention à ne pas pouvoir tomber du mauvais côté, comme Ivy lui avait montré. Il adore les chevaux lui, comme… eh !
Il fut arraché à sa réflexion par un coup de naseau humide, puis vit une énorme tête juste à côté de lui, le fixant de ses grands yeux noirs. Il n’avait jamais vu un cheval aussi imposant ! Il était tout noir avec de longs fanons blancs, assez grand pour porter un géant mais d’un autre côté, il semblait aussi tout gentil avec ses grands yeux et ses longs cils. Il ressemblait au destrier de Glenn, même Félix pouvait le monter alors qu’il était bien trop grand pour lui tellement il était gentil, contrairement à son palefroi qui avait tendance à donner des coups de pieds à tout le monde, sauf à son grand frère… mais lui aussi, ce géant tout doux était…
Cependant, comme s’il lisait dans ses pensées, le cheval lui donna un autre coup de nez, semblant vouloir attirer son attention.
– Ah ! Ah ! » Ria une des femmes à terre qui leur fournissaient les chevaux, le tenant par sa bride, emmitouflée dans sa cape comme lui, il faisait froid aujourd’hui. La seule chose qui se détachait bien de sous sa capuche, c’était ces deux yeux bleus très pale sur une peau très bronzé, elle devait passer son temps dehors pour l’être comme ça ou être originaire de la frontière avec Almyra. Le garçon avait l’impression de l’avoir déjà croisé mais, il ne se souvient plus d’où… « On dirait que Gigantes t’aime bien petit ! Tu t’appelles comment ?
– Félix, répondit-il en tendant sa main droite pour caresser les naseaux du cheval, Fleuret allant sur son épaule gauche.
– Félix comment ?
– C’est pas important, j’aime pas ma famille, mentit-il en priant pour que la femme ne le remarque pas. Et toi ?
– Il est vrai ce mensonge ? Je voie à peine ton visage sous ton capuchon mais, c’est écrit dessus que tu ne dis pas la vérité. Ça se sent à des kilomètres, rétorqua-t-elle en se touchant le sien.
– Comment ça ? Tu le sens ? Tu es quoi alors, un chien ? C’est nul les chiens, c’est mieux les loups…
– Non, j’ai juste une très bonne vue et un bon odorat mais, même si je ne sentais rien, ça se voie comme le nez au milieu de la figure que tu mens. Enfin, ça te regarde. Je m’appelle Cassandra mais, tout le monde ici m’appelle Cassie.
– Cassie comment ? Lui renvoya aussi Félix.
– C’est pas important, ne se gêna-t-elle pas pour lui rétorquer. J’aime ma famille mais, je suis pas vraiment dans les clous de la tradition familiale donc, c’est peut-être pas un nom qui me va très bien. Lui, c’est Gigantes, un des chevaux qui va tirer le bateau. Qu’est-ce que tu fais sur ce bateau ? Je sais que les mousses sont souvent jeunes mais, t’as l’air un peu trop bien habillé pour un gamin obligé de gagner son pain. Tu es le fils du capitaine ou tu fais partie de la suite de Son Altesse ?
– J’accompagne Dimitri mais il dort tout le temps et je ne peux pas faire grand-chose sur le bateau, je m’ennuie, répondit-il, ayant juste envie de discuter avec cette soldate, le temps passerait plus vite. Et toi, tu fais quoi ici ?
– Protection de la péniche royale, je me débrouille avec une épée et mes poings, déclara-t-elle en tâtant le pommeau de celle à sa hanche, avant d’ajouter en voyant surement ses yeux briller à la vue de sa lame de qualité et son bras musclé. Tu aimes les armes ?
– Oui, je m’entraine souvent, en magie de foudre aussi… » déclara-t-il avant de se raviser, chassant tout de suite tous ses souvenirs à s’entrainer avec son père, ainsi que ceux avec Glenn, s’affrontant tous les deux en riant. Il savait qu’il n’entendrait plus jamais son frère le taquiner, dire que le jour où il perdrait contre lui, il se mettrait à la magie, tout en clamant haut et fort à quel point il était fier de Félix et de ses capacités. « …Même si je veux arrêter, j’aime pas faire de la magie tant que ça, je préfère l’épée et les arcs. Et ça doit être bien de savoir se battre au corps à corps, tu peux te défendre tout le temps.
– Avec la magie aussi j’ai envie de te dire, rétorqua-t-elle.
– Oui, mais si tu n’en fais plus, ça te fait mal et tu es presque obligé de continuer à vie d’en faire, marmonna-t-il.
Il repensa alors à son père, la manière dont ses veines ressortaient de ses mains et à son cœur lent, à la lettre qu’il avait écrite où il lui demandait toutes les trois lignes comment il allait et si enfin, les maudits médecins avaient accepté de lui donner un tout petit peu de leurs herbes réservées au chien idiot, au moins pour qu’il ait moins mal et quand lui-même allait se décider à se reposer un peu… il secoua la tête alors que Cassandra rétorquait, Fleuret se pressant contre la poitrine de Félix pour avoir des caresses à la place de Gigantes.
– Tu peux arrêter, il faut juste faire attention à le faire progressivement et selon une routine particulière pour habituer ton corps à ne plus produire autant de magie. En tout cas, vu que tu es de l’entourage du prince, je pourrais t’apprendre à te battre au corps à corps quand on aura deux minutes. Ça va être le cas s’il dort tout le temps et si tu t’ennuies. J’ai aussi beaucoup de travail vu que je mène pas mal de patrouilles volantes dans les montagnes mais sinon, je suis dans la forteresse. En plus, c’est la tradition chez les Charon de savoir se défendre avec ses poings, comme la Flamme Passionnée, même si pour le coup, c’est surtout que ça correspond bien à ma manière de me battre.
– Je veux bien. Comme ça, je deviendrais plus fort, et tu pourrais être une bonne partenaire d’entrainement. T’as pas l’air trop mauvaise.
– Ah ! Ah ! Tu ne doutes de rien gamin ! Enfin, je comprends, j’aime bien me battre aussi, surtout contre des adversaires forts. On s’entrainera tous les deux alors ! Je te préviens, ici, je suis invaincue et je ne fais pas de cadeau alors, tu as intérêt à donner tout ce que tu as !
– Hum ! Je suis sûr que tu n’es pas à moitié aussi forte que mon frère ! C’est lui le plus fort ! » S’exclama-t-il par réflexe, avant de se renfrogner, pensant à nouveau à Glenn, son sourire, sa promesse de retourner à la maison pour être chevalier dans leur fief, qu’ils s’entraineraient encore ensemble, tous les deux… « T’avais promis Glenn… tu m’avais promis… tu m’avais promis que tu reviendrais à la maison, au moins pour récupérer tes éperons et qu’on s’affronterait encore… toi aussi, t’es un menteur… déjà que tu ressembles à papa comme deux gouttes d’eau, tu lui ressembles pour ça aussi…
Cassandra dut sentir que quelque chose n’allait pas car, elle lui demanda, alors que Gigantes lui donnait un autre coup de museau.
– Eh ? Petit ? Ça va ? Tout va bien ?
– C’est rien… juste… mon grand frère…
Il n’eut pas à dire grand-chose de plus, elle comprit où il voulait en venir, disant simplement.
– Le foutu voyage, hein ? Elle ajouta en le voyant hocher la tête et serrer un peu plus Fleuret. Je comprends… Courage gamin, on va en avoir tous besoin.
– Je ne suis pas un gamin, ni petit. J’ai treize ans, je suis bientôt un adulte.
– Ça dépend où. À Gautier oui mais ici, la majorité, c’est vingt-et-un ans donc, t’es encore un gamin pour un moment. En plus, être adulte, c’est pas dans le nombre d’année, c’est dans la tête, en assumant ce qu’on aime et qui tu es par exemple…
« On a besoin de Gigantes ! »
L’appel la coupa, autant elle que la conversation qui semblait sur le point de se transformer en leçon de moral. Cassandra partit alors en s’exclamant, lui faisant un signe de main.
– Bon, faut que j’y aille ! A plus tard Félix ! J’ai hâte de t’affronter !
Malgré tout, il répondit à son geste en s’exclamant à son tour.
– Moi aussi ! A plus tard Cassie ! »
Le garçon descendit du bastingage pour ne pas tomber, surtout que le bateau reprenait sa route, de meilleure humeur que tout à l’heure. Le voyage était toujours aussi long mais, même si Cassandra semblait faire des leçons de morale sur un coup de tête, elle ferait une bonne partenaire d’entrainement si elle était aussi forte qu’elle en avait l’air. Si Dimitri dormait toujours autant, il allait sans doute beaucoup s’entrainer alors, il devrait affronter quelqu’un pour devenir fort…
« J’espère que je pourrais aussi nager dans la rivière… »
Sans vraiment s’en rendre compte, Félix retourna dans sa cabine et noircit la fin de sa page où il notait les lettres qu’il n’enverrait jamais, racontant sa rencontre avec Cassie. Il se maudit un peu quand il réalisa ce qu’il faisait, s’étant encore laissé emporter mais au moins, ça lui avait permis de passer le temps.
Après encore deux longues heures, ils accostèrent enfin dans le port fluvial de Lokris, tout le monde retrouvant avec joie la terre ferme. Sasiama était clairement soulagée de retrouver le sol, Dedue aussi et même Dimitri semblait préférer ça. Félix fit tout pour l’être aussi, même s’il trouvait qu’il n’y avait pas assez de canaux et que le fort était vraiment loin de la rivière.
« De toute façon, elle est dégoutante, on ne peut surement même pas boire l’eau de la Secana… » se répéta-t-il pour chasser son envie de plonger dans l’onde, et en priant pour qu’elle ne soit pas trop mauvaise, même coupée avec du vin.
« Dit papa ? Pourquoi l’eau n’est pas claire ici ? Et pourquoi elle sent le vin ? Tu me dis toujours de ne pas boire d’alcool…
– C’est parce que seul l’eau du lac est aussi pure malgré le fait qu’il soit juste à côté d’autant d’activité, grâce à la magie du Brave Fraldarius. Notre ancêtre a rendu son eau potable en permanence. En ville, il faut toujours couper l’eau des rivières et des puits à du vin sinon, elle donne mal au ventre. Ce n’est pas un vin très alcoolisé alors, tu peux en boire sans souci. »
Félix se souvenait avoir bu une gorgée de son verre avant de faire une grimace, le liquide lui piquant la langue… qu’il avait dit que l’eau de son grand-père était bien meilleure… et fait sourire sa f…
Le garçon chassa ce souvenir de sa tête, descendant du bateau aux côtés de l’homme qui portait Dimitri dans ses bras afin d’éviter de le secouer. Il devrait se rendre au fort dans un palanquin, plus confortable qu’une charrette, surtout avec autant de relief. Il vit Cassandra se détacher des soldats pour aller vers un homme qu’il identifia comme le mari de Myrina, il avait dû reprendre son poste de chef du fief à présent. Le consort salua avec un petit sourire la femme, semblant être aussi épuisé que Rod… que tout le monde.
Il vient à leur rencontre, déclarant avec sa voix calme mais forte, étant avocat de profession à la base.
« Soyez le bienvenu Votre Altesse, et à vous aussi héritier des Fraldarius.
Dimitri le salua d’un battement de cils, même s’il n’avait plus assez de force pour bouger sa main après le voyage. Félix le salua aussi mais, demanda en baissant sa capuche, étonné.
– Bonjour… mais comment ça se fait que vous saviez que j’étais là ? Je me suis ajouté à la dernière minute !
– Ah ! C’est ma fille Cassandra qui m’a dit que vous étiez-là. Vous lui avez parlé pendant le voyage, déclara-t-il en montrant la soldate.
Cassandra baissa sa capuche alors qu’elle s’approchait, dévoilant une petite queue de cheval très blonde, presque délavé, comme le portrait de la reine Héléna. En la voyant, Félix se maudit et la maudit au passage. Il s’était fait avoir ! Il comprenait mieux pourquoi elle avait dit qu’il mentait sur qui il était. Ça faisait des années qu’il ne l’avait pas vue, elle ne savait pas qu’il détestait sa famille maintenant !
– Eh ! Louveteau ! Le salua-t-elle à nouveau sur un ton décontracté. T’as bien grandi depuis la dernière fois que je t’ai vue ! La fin du voyage s’est bien passée ? Tu ne t’es pas trop ennuyé ?
Félix se souvenait mieux pourquoi Glenn s’entendait bien avec elle maintenant… et ils étaient aussi forts l’un que l’autre… au moins, il était sûr de ne pas assez s’ennuyer pour penser à son père et à sa santé maintenant…
*
« Salut patron !
– Ah ! Vous vous êtes fait attendre aujourd’hui ! Alors, vous allez comment tous les deux ?
– Mal, comme toujours en ce moment.
Estelle et Bernard s’avancèrent dans la taverne et s’assirent à côté du plan de travail. Le patron, le père Mercier, ne servait plus que de l’eau avec une goutte de vin ici, tout le reste était rationné mais, ça faisait du bien de juste se retrouver pour râler tous ensemble. Ils auraient bien voulu emmené Rodrigue avec eux, rien que pour lui changer les idées après que Félix ne lui ait pas envoyé de lettre depuis son départ mais, il avait à peine le temps de s’occuper de lui-même à cause de sa surcharge de travail, et ce serait surement dangereux pour lui d’être vu ici, dans des lieux où les critiques envers le pouvoir sortaient très vite, même sans alcool pour délié les langues. En plus, même s’il n’y avait pratiquement plus de vin dans leur vin et uniquement de l’eau, ce ne serait surement pas une bonne idée qu’il en boive dans son état…
Le patron leva un sourcil compatissant, leur posant un verre d’eau chacun sur le comptoir.
– L’autre con ?
– Comme tu dis… grondèrent-ils en buvant l’eau avec un sale gout de terre, bien loin de celui du don de Fraldarius qu’était celle du lac.
Estelle ne put s’empêcher de cracher en faisant claquer son verre contre le bois, frustrée.
– Quelle piquette, y a même pas assez de vin pour cacher le gout de tourbe… dire que Rufus se réserve du bons vins et de la bonne eau… rien à voir avec la boue qu’on boit.
– On est pas du même monde, grogna en réponse le patron. Ma main au feu que la plupart des nobles mangent encore leur pleine assiette de viande et de pain, avec du miel et des épices pour relever tout ça !
– C’est clair que plusieurs d’entre eux le font sans même se cacher au palais. Y a surtout notre seigneur, les sœurs Charon et leurs alliés qui respectent le rationnement. Les autres, ils se gavent toujours autant, reconnut Bernard en faisant tourner sa propre eau, pensif.
– Enfin, ça va aller mieux bientôt, il y a des grosses quantités de nourriture qui arrivent de tout le royaume vers la capitale pour nous ravitailler ! Fit observer une autre cliente.
– Formidable… c’est nos familles en province qui vont encore plus ne rien avoir à se mettre sous la dent, on aime, rétorqua la capitaine. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, tout ça… en plus, t’as vu un grain de blé ou de seigle toi ?
– C’est vrai qu’on n’a pas encore vu ces bleds alors, évitons de nous réjouir avant qu’un seul grain ne soit dans nos assiettes, la soutient le patron. En plus, ils ne sont pas arrivés seuls, vous avez vu tous ces soldats ?!
– C’est des renforts provinciaux pour reformer la garde de la ville et du palais, l’informa Bernard. C’est Rufus qui a demandé à tout le monde d’envoyer des gens d’armes ici pour la reconstituer et protéger son petit frère d’autres comploteurs.
– Mouais… moi je dis que ce n’est pas une bonne idée tous ses types armés jusqu’aux dents, gronda un autre client. Je veux dire, vous ça va, on vous connait et vous nous connaissez, vous êtes souvent à la capitale. Mais ces types… ils ne connaissent personne ici, ça ne leur fera rien de nous attaquer… qui nous dit que Son Altesse Royale Rufus ne les fait pas venir pour réprimer les révoltes contre son petit frère chérie ? Ils n’auront pas de scrupule à nous attaquer, ils ne connaissent personne ici… ça sent mauvais cette histoire… déjà que les limiers surveillent ce qu’on dit…
– Quand même, il n’oserait pas s’en prendre à son propre peuple ! S’exclama un autre.
– Comme si son grand-père se gênait pour faire égorger tous ceux dont la tête ne lui revenait pas, répliqua une vieille femme. Et il a l’air bien partie pour suivre bien sagement les traces de son papi le Rufus. Rien que le pauvre homme qu’il a fait exécuter… ça me rappelle de vieux souvenirs… à l’époque de Clovis le Sanglant, les rues étaient toujours rouge sang et la grande place pavée de cadavres…
– Du calme grand-mère, on n’en est quand même pas encore là, lui fit remarquer le précédent. Je sais qu’il pète un peu une amarre le Rufus mais, il n’oserait surement pas recommencer ces horreurs ! Surtout en des temps aussi dures !
– Je ne parierais pas vu qu’il envoie chier toutes les réalisations de son père… hein… le roi Ludovic doit se retourner dans sa tombe en voyant son sang agir comme Clovis, ajouta une autre femme d’âge mur, avant de se tourner vers Estelle et Bernard. Vos seigneurs et les Charon sont bien plus les dignes successeurs du roi chacun dans leur coin, que…
– Les limiers ! Cria un client à la fenêtre. Ils arrivent !
Tout le monde dans la taverne changea de sujet de conversation, parlant de la pluie, du beau temps et du travail, alors que des hommes de main de Rufus, reconnaissable à leur poignard gardé bien en évidence et à l’emblème barré de Blaiddyd brodé sur leur tunique, le symbole des cadets de familles ou des ainés sans emblème. Ils jetèrent un regard tout autour d’eux, vérifiant que personne ne disait quoi que ce soit qui déplairait à leur chef. Estelle et Bernard fourrèrent à nouveau leur poing dans leur poche avec leur mouchoir par-dessus, attendant qu’ils fassent leur petit tour avant de repartir sans payer. Leur patron était la loi alors, ils n’allaient pas se fatiguer à la respecter.
Une fois qu’ils furent aller tourmenter une autre taverne, tous les clients se regardèrent, silencieux. On aurait pu couper l’air avec un couteau…
« Calme… calme… calme… s’ordonna Estelle en serrant le poing. Ne pas causer de soucis supplémentaires au Seigneur Rodrigue, il est déjà assez épuisé comme ça… »
Elle était sûre que tout le monde dans la taverne pensait la même chose, pour des raisons différentes.
En retournant au palais, ils croisèrent un messager arriver de Charon, en train de remettre son courrier à Rodrigue. Ils virent les yeux de leur duc se remplir d’espoir en triant les missives, toutes arrivant de Lokris. Cela faisait douze jours à présent. Même avec du retard, si Félix avait envoyé sa lettre qu’à son arrivée, elle devrait être dans le tas. Cependant, même le petit prince avait bien écrit à son père, le louveteau n’avait rien envoyé. Rodrigue fut tout ce qu’il put pour garder la face mais, les deux soldats ne purent manquer à quel point cela le tirait encore plus vers le bas.
Après avoir récupéré son courrier, il confia tout de même une lettre pour son petit au service des missives et des postes, en priant pour qu’il accepte de la lire.
*
Rufus ressortit de la chambre de son frère, d’encore plus mauvaise humeur que d’habitude. L’état de Lambert évoluait mais, très lentement contrairement à Dimitri. Il voulait bien que ses blessures soient plus graves que celles du petit mais, à ce stade, c’était presque à croire qu’Areadbhar y mettait de la mauvaise volonté elle-même ! Elle luisait moins qu’avec Dimitri alors, qui savait si cette maudite lance ne faisait pas un nouveau caprice ?!
Il alla voir Cornélia, lui confiant ce qu’il avait sur le cœur, comme souvent ces derniers temps.
« C’est vrai qu’elle est différente… peut-être que votre frère est moins sensible à la magie de votre Relique que votre neveu ? Proposa-t-elle. Après tout, même si elle a un début de volonté pour pouvoir rejeter quelqu’un, cela m’étonnerait qu’elle en ait assez pour désigner qui doit vivre et mourir dans une situation pareille… non, elle doit juste sentir les blessures et se dire qu’elle doit agir pour les renfermer et ça s’arrête là…
– C’est bien ma veine alors… les potions ne sont pas aussi efficace que sa magie et on n’a pas d’arme sacré qui sont plus efficace et moins aléatoire pour soigner ! C’est comme si l’univers entier s’était ligué contre mon frère ! Quoi ? Elle a été capable de refaire pousser une main au roi Loog mais maintenant, c’est trop demander de refermer quelques plaies ?! Laisse-moi rire ! Blaiddyd lui-même nous abandonne !
– Du calme, je continue à chercher un meilleur traitement, l’apaisa-t-elle doucement, avant de saisir la perche qu’il lui tendait enfin. Cependant, le fait que vous évoquiez Loog me donne une idée… peut-être que son conseiller… comment s’appelait-il déjà ? Pas Kyphon… ah ! Pan ! Le stratège Pan était également un grand magicien, peut-être qu’il a des archives sur comment cette guérison miraculeuse s’est déroulée ? Il y avait aussi Lucine Dominic mais, elle, ça m’étonnerait que ses archives soient ici, elles doivent être dans leur fief…
– Et ça m’étonnerait aussi qu’une bâtarde à moitié duscurienne ait pu être aussi révolutionnaire en magie ou faire tant de chose, elle a surement volé plusieurs exploits.
– Surement, l’encouragea-t-elle avant de demander. Vous savez s’il a laissé des manuscrits par hasard ? Qui sait, il a peut-être découvert comment faire pour effacer ce qui s’est passé, comme si on avait remonté le temps…
Rufus ne réfléchit même pas une seconde de plus à ses mots. Normalement, seul le roi avait accès à ce qu’avait laissé Pan. Ludovic n’avait pas montré cette pièce a Lambert que par sécurité, quand sa tuberculose avait trop empiré et risquait de l’emporter à tout moment, avant qu’il ne puisse le chasser du trône avec son idée stupide. Apparemment, il y aurait énormément de techniques et de sort très complexes, voir destructeurs alors, mieux valait que seuls d’excellents et sages magiciens tentent de se les approprier.
« Père m’a dit qu’entre de mauvaises mains, ces travaux pourraient surement causer plus de dégâts que si Némésis revenait… même Clovis n’a pas trop osé y toucher, même si c’était peut-être parce qu’il méprisait la magie… et je suis plutôt d’accord avec lui, mieux vaut laisser les travaux de Pan dans l’oubli et la poussière… » Lui avait confié Lambert après avoir vu cette pièce, même s’il lui avait aussi dit où la trouver et avec quelle clé.
« Désolé petit frère mais, s’il y a quelque chose là-bas qui te permettra de guérir plus vite, même juste un tout petit peu, il va falloir les sortir de là. »
Retournant auprès de Lambert, Rufus s’excusa silencieusement en lui prenant quelques gouttes de sang d’une de ses plaies, avant de retourner auprès de Cornélia. Pour sceller son laboratoire, Pan avait fabriqué une serrure qui ne s’ouvrait qu’avec le sang à emblème de ses amis, ou alors il fallait plusieurs sangs de leurs descendants en ligne direct. Le sang de Rufus ne suffirait pas. Il aurait pu aller demander à Gustave de lui prêter le sien mais, il aurait refusé de laisser entrer quelqu’un d’autre entrer dans l’antre de Pan, et même si le régent rêverait de saigner Rodrigue et les deux sœurs Charon, il n’avait pas envie de leur courir après. Ce serait plus rapide comme ça.
La guidant à travers le château, Rufus s’enfonçant à travers les tréfonds du palais, dans des galeries cachées et de vieux couloirs presque oubliés. Il la mena jusqu’à des vieux bas-reliefs, représentant plusieurs éléments de vies de tous les jours, des petits objets, des accessoires des animaux, des personnes, des plantes… bref, un beau bazar sensé être artistique… surement.
Périandre sourit quand la porte s’ouvrit après que Rufus versa le sang sur un bas-relief en forme de pain, séparé en plusieurs morceaux où le sang s’immisça, les gonds grinçant sur eux-mêmes. Pan n’avait pas oublié ce qui était pratique d’utiliser de Shambhala.
Elle fit partir des étincelles de lumières aux quatre coins de la pièce pour l’éclaire. C’était un véritable foutoir sans aucun sens à part celui dans la tête du traitre, avec des expériences dans tous les coins, des livres et des outils étalés partout sur les tables. Il y avait même des assiettes, des couverts et des verres rangés dans un meuble… comme si cette vaisselle avait sa place dans un atelier… Pan avait toujours été un esprit brillant, un véritable génie en plusieurs domaines de pointe mais, il ne réfléchissait pas bien… il était très étrange et pensait hors des clous. Il n’avait jamais été très sensible à la cause, trop curieux de tout ce qui n’était pas important pour le Grand Plan, préférant se perdre dans des expériences inutiles. Le fait qu’il soit même venu ici était de base pour le punir et l’effrayer de cette surface dont il se fichait et était même curieux… un bel échec mais maintenant…
Après avoir fouillé un peu, Périandre mis la main sur un gros grimoire, écrit en ancien fodlan, contenant entre autres un schéma d’un automate de combat, à quatre pattes avec des grandes lames sur la tête et deux autres tournantes sur son dos, puis des images de prothèses en tout genre. Les instructions étaient codées avec de mauvaises dimensions et des matériaux plus fragiles pour les automates de combat mais, ses équipes devraient bien pouvoir le déchiffrer.
Enfin, elle exulta quand elle trouva une boite scellée avec plusieurs sceaux de magie et plusieurs verrous mais, avec l’aide de quatre siècles et d’un peu de sang de son précieux Loog, la fière agarthienne arriva à les faire sauter après avoir un peu insisté. Elle découvrit alors à l’intérieur les gemmes emblématiques expérimentales qu’il avait volé à la cité-mère, des gemmes artificiels tentant de reproduire celles des enfants monstrueux de Sothis maintenant que les quelques-uns qui restaient étaient soit introuvables, soit intouchables. Il avait même détruit toutes les recherches les concernant avant de s’enfuir ce sale traitre… tout ça pour les garder pour les vermines de la surface afin de les protéger de la grande Shambhala… mais maintenant… maintenant… !
« Elles reviennent enfin à la ruche qu’elles n’auraient jamais dû quitter… toutes ses recherches… bon retour à la maison mon petit Pan… »
*
Félix descendit les escaliers vers la cour d’entrainement, quelques jours après son arrivée. Dimitri dormait encore toute la journée, même si sa respiration était moins laborieuse, et il n’avait pas envie de trop parler avec les Charon de son âge. C’était la famille de la Flamme Passionné mais, c’était surtout des gens de loi, il y en avait peu qui était vraiment des gens d’arme avec qui il pouvait s’entrainer… en plus, ils les avaient tous assaillis de questions quand ils étaient arrivés avant que les plus âgés ne leur disent de les laisser se reposer mais bon, le magi… l’épéiste aimerait bien retrouver un peu de calme… et surtout il aimerait s’entrainer. Il n’avait pas eu beaucoup de temps pour pratiquer depuis quelques jours, il sentait déjà sa magie lui picoter les doigts en voulant sortir. C’était même légèrement difficile d’écrire à Sylvain et Ingrid comme ça.
Le jeune garçon chassa l’image de son père de sa tête et son envie de lui envoyer une lettre. C’était trop tard, Dimitri avait déjà envoyé la sienne, pas la peine de le faire aussi.
Quand il arriva dans la cour d’entrainement, il vit Cassandra s’entrainer, seul face à une quintaine. C’était plus un objet que les cavaliers utilisaient pour s’entrainer à la joute mais, elle devait l’utiliser pour s’entrainer à l’esquive. Elle tapait dans le bouclier et évitait à chaque fois le poids de l’autre côté, même si son emblème s’activait tout le temps, comme la sienne. C’était surement parce qu’elle avait aussi un emblème majeur.
« Eh ! Félix ! Tu viens aussi t’entrainer ?
Il sursauta un peu quand elle l’appela, lui faisant signe du centre de la cour. Il s’approcha alors en répondant, bien qu’un peu méfiant.
– Oui. Comment t’as fait pour savoir que j’étais-là ?
– Car t’es aussi discret qu’un gamin de treize ans, répliqua-t-elle en posant son épée. J’ai l’habitude que les plus petits se cachent pour me regarder m’entrainer. L’exercice militaire n’est pas forcément ce qui est le plus mis en avant ici mais, ça les impressionne un peu.
– Pas que là, sur le bateau aussi, répliqua-t-il en se maudissant pour être aussi voyant, même s’il restait curieux. Comment tu as deviné que c’était moi alors que tu ne voyais pas bien mon visage ? La dernière fois que je t’ai vu, c’était il y a quatre ans et je ne t’ai pas reconnu non plus avec ta cape.
– Honnêtement, ce n’est pas avec ta tête que je t’ai reconnue avoua-t-elle. Mais j’ai « senti » que c’était quelqu’un avec un emblème majeur de Fraldarius. Vu que ça ne court plus vraiment les rues les emblèmes majeurs, que vous n’êtes pas connus pour aller voir ailleurs dans ta famille depuis Kyphon, et que tu étais trop bien habillé pour un valet ou un matelot, j’ai juste deviné. Mais tu ne m’as pas reconnu de ton côté ? Ou alors, t’es trop petit pour le faire…
Félix haussa un sourcil, un peu sceptique. Cassandra pouvait « sentir » les emblèmes des autres ? C’était bizarre… mais bon, à part pour le faire courir, elle n’avait pas de raison de mentir, et ça expliquerait comment elle l’avait reconnu après tout ce temps… par contre, ça n’expliquait pas pourquoi elle lui demandait s’il ne l’avait pas reconnu…
– Non, t’avais la tête cachée par ta cape, et ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu. Pourquoi ?
– Rien, je pensais que comme tu as aussi un emblème majeur, tu m’aurais reconnu à l’emblème. On a tous cette capacité dans ma famille quand on finit l’adolescence. Nos sens deviennent beaucoup plus fort et pour moi, c’est ma vue et mon odorat qui se sont beaucoup développé. Pour Théo, c’est son ouïe, son toucher et son odorat par exemple. Je me suis mise à tout sentir bien plus fort, même ce que personne ne sent et en particulier les emblèmes. J’avoue que je pensais que c’était lié à ça si j’étais capable de détecter l’emblème des gens en un clin d’œil, admit-elle. Tu as même une odeur un peu particulière, tu sens l’eau très fort, même comparé à d’autres Fraldarius avec un emblème. Enfin, j’ai jamais entendu dire que le grand-duc Riegan avait cette capacité aussi. J’ai entendu dire qu’il ne sent pas la fatigue contrairement à ses enfants mais, c’est tout.
– L’emblème majeur ? Non, je ne crois pas avoir déjà senti l’emblème des autres… et tu es en train de dire que je sens le marécage ? Tiqua-t-il.
– Pas vraiment le marécage mais, plus l’odeur d’un endroit avec beaucoup d’eau claire. Pour ma famille, c’est plutôt une odeur de feu ou de chaleur, ou alors d’orage alors, c’est peut-être lié à la spécialité de notre ancêtre. En plus, tu n’es pas encore en train de devenir un homme alors, ça n’a pas dû se développer, ça arrive vraiment quand on devient adulte. Enfin, si je me souviens bien, tu nages beaucoup alors, ça doit venir de là.
– Tu parles comme si tu étais vraiment un chien avec ces histoires d’odeur, rétorqua le plus jeune, se souvenant de son p… de son père qui lui avait raconté quelque chose comme ça, pour qu’il ne s’étonne pas si un jour, il sentait son emblème changé ou qu’il s’évanouissait sans crier gare. Et on grandit tard dans ma famille.
– Oui, j’avais compris que tu n’aimais pas ça, et tu préférais les loups, même si tu ressembles plus à un petit chat qui fait le gros dos pour qu’on ne l’approche pas, renvoya-t-elle encore, avant d’éclater de rire en le voyant bouder. Enfin, j’imagine que t’es là pour t’entrainer, pas pour tailler une bavette.
Ça, ça lui allait déjà mieux.
Même s’il aurait préféré éviter d’utiliser la magie, Félix ne prit pas son épée, il devait évacuer ses éclairs de son corps. Cassandra s’équipa également pour s’entrainer face à un magicien avec un bouclier, et ils se mirent en garde une fois leur échauffement respectif terminé. Quand ils commencèrent, le plus jeune sentit très vite que son adversaire était aussi forte qu’elle l’avait dit : ses frappes étaient précises et rapide mais surtout, elles étaient puissantes ! Même s’il en esquivait la majorité, il entendait le bois trancher l’air tout près de lui et la force de l’impact quand il encaissait le coup. Il arriva à tenir un peu mais, il tomba aussi vite face à ses attaques. C’était pas vrai ! Elle était aussi forte que Glenn ! Il savait qu’à l’époque de Garreg Mach, ils finissaient souvent sur des égalités ou des combats nuls mais, Félix ne pensait pas qu’elle aurait progressé aussi vite que son frère !
« Tu te défends bien, sourit Cassandra en lui tendant la main pour l’aider à se relever. Tu es rapide et tu as une bonne capacité d’esquive. En plus, même si tu retenais tes coups, tes éclairs ont l’air puissants.
– Pas assez, et c’est pas avec la magie que je veux progresser, c’était juste pour évacuer, grogna-t-il en se remettant tout seul sur ses pieds. On recommence à l’épée !
– D’accord mais, qu’une seule, je dois aller patrouiller dans les montagnes après, accepta-t-elle.
Félix alla récupérer une épée d’entrainement, puis se mit en garde face à son adversaire. À l’épée, c’était plus évident qu’ils étaient en miroir : Cassandra était droitière et lui, un gaucher s’entrainant avec sa main dominante. C’était rare que les gauchers ne tiennent pas leurs armes à droite, c’était plus facile de s’intégrer dans les formations ainsi mais, ça faisait que les droitiers avaient plus de mal à les lire, ça lui donnait l’avantage. Ils s’affrontèrent à nouveau mais, cette fois, il tomba plus vite que pendant le duel précédent, le faisant encore plus enragé.
– Encore pas mal mais, ça se voie que tu es plus un magicien qu’un épéiste. Tu es doué avec les deux mais, légèrement plus avec tes éclairs. En plus, tu as l’air de plus apprécié ce que tu faisais quand tu utilisais la magie.
– Non, c’est juste que j’en avais pas fait depuis plusieurs jours alors, ça faisait un peu mal, fallait juste que j’évacue. C’est mieux de se battre à l’épée. Ce serait mieux aussi si je savais me battre à droite.
– Ah là, je t’arrête tout de suite, si tu n’es pas en formation, c’est bien mieux de tenir son arme à gauche, le reprit-elle sans hésité. Même quand t’es habitué à te battre, c’est toujours surprenant de tomber sur un gaucher. C’est bien plus rare que les droitiers alors, tu mets un peu de temps à comprendre ce que tu combats. Non, si tu veux devenir plus fort, il faut que tu gardes ta main dominante, sauf si tu veux te contrarier tout seul, évidemment.
Heureusement, la sonnerie de l’horloge coupa net la conversation, Cassandra devant rejoindre le reste de la patrouille. Elle fila avec juste un signe de main et en insistant encore sur le fait qu’il devrait continuer à utiliser sa main gauche et ses éclairs. Bon, au moins, le temps qu’elle fasse sa patrouille, Félix ne devrait plus en réentendre parler avant la fin de l’après-midi, le temps qu’elle parcoure tout le massif montagneux.
Il se remit à s’entrainer seul, maniant son épée avec sa main droite mais, il se maudit en se voyant aussi maladroit. Le garçon se força à garder cette main, se rappelant que c’était juste une question d’habitude mais, il finit par se faire mal à la tête à force de se mélanger entre ses mains.
« C’est juste parce que c’est le début… » se força-t-il à penser après être remonté dans sa chambre.
Il reprit alors sa plume et écrivit comme son père lui avait montré, en tournant sa feuille d’une certaine façon pour éviter d’étaler l’encre alors qu’il décrivait sa journée. Au pire, Félix pouvait bien écrire des lettres, même s’il ne les envoyait pas. Ça évitait d’oublier ce qu’il faisait à Charon quand il racontait ses journées à Dimitri quand il se réveillait, c’était tout…
*
Le soleil brillait dans le ciel, réchauffant doucement sa peau. Il était lové dans l’herbe tendre, roulé en boule, sa tête sur ses pattes. Il sentait son petit rêver, pressé contre lui. Il releva la tête pour passer un coup de langue entre ses oreilles, vérifiant au passage que tout allait bien, quand son petit ouvrit les yeux.
Soudain, le ciel s’assombrit, l’azur aérien remplacé par un gris étouffant. Le père se remit tout de suite sur ses pattes, se plaçant au-dessus de son petit pour le protéger mais, alors qu’il allait vérifier comment il allait, il se rendit compte qu’il ne le sentait plus.
Fou d’inquiétude, il regarda tout autour de lui, avant de voir son petit s’éloigner sans se retourner, s’avançant avec le soleil vers l’Est, s’enfonçant dans les montagnes…
Sans hésité, le père tenta de le poursuivre, de le récupérer, de s’excuser, de le retrouver mais, rien à faire. Les racines où ils dormaient l’instant d’avant s’étaient changé en chaines de fer, l’enfermant dans cette prison sombre et glaciale de pierre. Il avait si mal de partout ! Elles allaient l’écraser !
Deux yeux glacials sortirent de la pénombre, suivit d’un grand sourire bardé de dent en forme de hache, s’approchant de lui pour lui couper la tête alors qu’il suppliait, à l’agonie de voir son petit loin de lui sans aucun moyen de savoir comment il allait réellement.
« Non ! Non ! Laissez-moi ! Laissez-moi partir ! Mon petit ! Mon tout petit ! Rendez-le-moi !
– Alors… susurra sa propre voix à son oreille. Mords-les tous et va le retrouver. Retrouve-les tous… »
« Nooooooonnnnn ! »
Rodrigue se réveilla en sursaut, sortant hors de son lit en se précipitant vers le voisin mais, il ne trouva personne, il était vide et froid. Non ! Non ! Où était-il ?! Où était Félix ?! Où était son petit ?! Son louveteau avait disparu ! Quelqu’un lui avait fait du mal alors qu’il était à côté, comment était-ce possible ?!
Ses sens lui revinrent alors avec la mémoire, s’arrachant au sommeil et aux cauchemars… toujours le même…
Félix n’était plus là…
Il était parti… il avait choisi de suivre Dimitri… il devait respecter son choix…
Le père s’assit sur le côté de son lit, prenant son chapelet entre ses mains pour tenter de se calmer. Il se mit à réciter ses prières pour s’apaiser, chasser cette pensée horrible ayant marqué la fin de son cauchemar et s’obliger à se rappeler à son devoir… à ce qu’il devait faire pour le Royaume… il retrouverait Félix après… quand ils auraient le temps de vraiment parler tous les deux… il aurait aussi le temps de soigner son corps de la trop grande présence de magie en lui… il devait garder Faerghus en entier pour que son louveteau puisse grandir dans un monde aussi en paix que possible. Lui-même passera après.
« Ô Fraldarius, Brave de l’eau, Épéiste de l’Onde, grand-père, je supplie ta grâce de me donner de ta force et de ta persévérance afin de rester à jamais déterminé… donne-moi la force de tenir jusqu’à la fin pour mon louveteau, je t’en supplie… »
Sans s’en rendre compte, des petites fissures imperceptibles se multipliaient de plus en plus sur son corps.
Dans la nuit sans étoile, le vent mugit dans le noir,
Les ronces m’écorchent et m’enserrent en riant,
Les chaines cruelles boivent sans soif mon sang,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon désespoir,
Dans le froid de l’hiver, la bise ce moque de moi,
Tous mes os se figent un par un,
Ils se pétrifient jusqu’à la fin,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon effroi,
Dans le noir des ténèbres, même le soleil cruel est ennemi,
Mes yeux déjà asséchés de larmes brûlent,
À sa vue dont ils ne supportent plus la férule,
Ô dieux, à la belle lune j’hurle, elle est ici ma seule amie.
*
« Qu’est-ce qui m’a convaincue de me foutre dans cette histoire ?
– Grrrrand cœurrrr capitaine !
– Je sais merci… quand même, on m’aurait dit un jour que je ferais la cochère pour le grand-duc, j’aurais jeté le type cinq minutes à la mer pour le faire décuver.
– Ma présence vous dérange-t-elle tant que ça Capitaine Drake ?
Ivy jeta un regard au-dessus de la barre, voyant le vieil Oswald von Riegan pratiquement ronronner à sa question. Finalement, c’était à elle qu’on avait confié la mission d’emmener le grand-duc à Fhirdiad, ce qui l’arrangeait pour voir plus rapidement comment allaient les Fraldarius… mais cela signifiait aussi qu’elle devait trimballer des marins d’eau douce dont une partie avait le mal de mer. Au moins, le grand-duc lui-même et sa suite la plus proche étaient assez solides pour supporter les voyages en mer mais quand même, ça les ralentissait bien… au moins, elle serait payée selon la durée du voyage, c’était déjà ça, même s’il avait fallu négocier sec avec l’Oswald…
Ce dernier se tenait sur le pont sans être troublé par la houle, semblant marcher dessus comme sur le plancher des vaches. C’était pourtant un homme très âgé. Il avait hérité de sa mère quand Clovis le Sanglant était encore au pouvoir à Faerghus, ça devait lui faire quatre-vingts balais à présent, ou quelque chose dans ses eaux-là. Ses cheveux coupés courts étaient devenus entièrement gris tout comme sa barbe entourant toute sa bouche moqueuse, après avoir été brun-noir dans sa jeunesse. Sa peau claire était bien ridée, témoignant d’un visage expressif, mais ses yeux vert sapin restaient toujours aussi vif, courant de partout sur le pont, les cordages et l’horizon. Malgré son statut, il avait opté pour des vêtements simples et adaptés à la vie sur un bateau, même s’il gardait sa chevalière à son doigt. Un étui contenant un arc prêt à être tendu et un carquois rempli de flèches pendaient à sa ceinture et si Ivy se fiait aux rumeurs sur son compte, mieux valait évité de se retrouver dans sa ligne de mire encore aujourd’hui. Avec un faucon, il ressemblerait à un vieux chasseur.
La capitaine lâcha un soupir exaspéré, tout en continuant à surveiller les courants et les vents.
– Dites à vos hommes de se trouver des tripes pour le retour, je ne nettoie pas encore leur vomi la prochaine fois, ou je vous fais payer un supplément. Vous avez déjà une toute petite suite pour un noble, essayez de trouver des gens qui n’ont pas le mal de mer pour faire plus d’un mois de voyage en bateau.
– Merci de votre sollicitude envers eux, répliqua-t-il, souriant toujours mais, ça semblait cacher quelque chose. Et c’est une habitude, je voyage toujours en petit comité. Question… d’efficacité dirons-nous.
D’habitude, Ivy arrivait à bien lire les gens à force de négocier mais là, avec le grand-duc, c’était très difficile de dire ce qu’il cachait. Ce sourire était évidemment une façade, mais pour dissimuler quoi, elle aurait bien aimé le savoir.
– Drôle d’oiseau celui-là… si on ne doit pas encore ralentir pour soigner le mal de mer de quelqu’un, on devrait être à Fraldarius dans deux semaines. Le fleuve qui traverse Faerghus est plus calme alors, en une semaine, on est à Fhirdiad.
– Cela nous fera donc bien un peu moins d’un mois allé, un mois retour. Ne vous en faites pas, ils devraient se faire à la houle avec le temps. Ce sont des gens de la terre, il faut un temps d’adaptation au sol qui bouge tout le temps… même si j’avoue que cela m’étonne que le fils Gloucester soit aussi malade.
– Ça a beau être une morue, il n’a pas de tripes visiblement, rétorqua-t-elle. Et vous ? Comment ça se fait que vous teniez aussi bien ? Les cerfs, à part celui sur notre pavillon, ça ne nage pas.
– Oh, ne le taquiner pas, il va se vexer, bouder et être encore plus malade, s’amusa-t-il avec une pétulance qu’on attribuerait à quelqu’un de plus jeune mais bon, c’était aussi le genre de remarque qu’on passait à une personne âgée. J’ai beaucoup voyagé pendant ma jeunesse, que ce soit dans les airs ou sur l’eau, même si ça fait longtemps que je n’avais pas repris la mer. J’en serais presque nostalgique si la situation n’était pas aussi grotesque. De plus, c’est peut-être grâce à mon emblème majeur mais, je n’ai jamais eu le mal de mer ou celui des airs, et je sens à peine la fatigue depuis que je suis adolescent. Cela doit être à cause de lui, leur fonctionnement peut être assez étrange… tient ? Qu’est-ce que c’est que ça là-bas ?
Il lui indiqua l’horizon à bâbord, un point noir minuscule s’y dessinant, trop petit pour discerner ce que c’était. Elle hurla alors à la vigie de regarder de pointer sa lunette dans ce sens.
– Un navire de pêche mon capitaine ! De taille moyenne ! Il doit arriver à raz de notre coque ! Une grande voile blanche ! Il y a… dix… non, quinze personnes sur le pont ! … Deux gabiers ! … Une vigie !
– Ça en fait du monde pour un pauvre bateau de pêche, et les bancs de poissons ne sont pas aussi loin en mer en cette saison, marmonna-t-elle. Y a quoi sur leur pont ?!
– Hum… je voie mal mais, on dirait qu’ils n’ont encore rien remonté ! Je ne voie rien non plus pour conserver leur pêche !
– C’est pas intéressant ça ! À Faerghus, on commence à saler ou fumer les prises à terre ! Lui rappela-t-elle. Dis-moi plutôt s’ils ont beaucoup de choses sur leur pont !
– Hum… non ! Rien ! C’est vide ! Il n’y a que des hommes et des femmes !
– Voilà bien d’étranges pêcheurs, commenta Oswald, devenant plus sérieux. Jeune homme ! Ils tiennent quel cap ?! Est-ce qu’ils ont un pavillon ?!
– J’ai l’impression qu’ils viennent vers nous Altesse ! Et aucun ! Je voie mieux leur vigie, elle n’a pas de lunette !
– Ils n’ont pas dû encore nous repérer clairement alors ! Hissez notre propre pavillon ! Celui avec le cerf marin plutôt que celui du duc ! Il est plus craint par les hommes de la mer ! On garde le cap vers Fraldarius ! Et que tout le monde reste sur ses gardes ! Ordonna le capitaine. C’est peut-être juste des pêcheurs qui se sont perdus ou tentent de chercher un banc de cabillaud plus au large mais, on ne sait jamais ! Toi là-haut, tu ne les perds pas de vue !
– Aye ! Répondirent en chœur son équipage en se mettant à s’activer dans tous les sens.
– Oui mon capitaine !
Ivy continua à surveiller le point sombre au loin, devenant de plus en plus gros. Comme l’avait dit la vigie, c’était un bateau de pêche, assez rudimentaire d’ailleurs. Une coque de noix qu’on avait retournée, fiché un mat dessus et un pont, puis qui flottait vaille que vaille, mais assez haut pour les aborder si ses occupants essayaient. Ils étaient également plus nombreux que tout à l’heure, sortant de la calle, le nombre de marins s’élevant à une trentaine.
« Noce ! L’appela leur vigie. Vient ! »
Le perroquet s’envola tout de suite vers le nid de pie, y restant quelques instants avant de redescendre vers sa compagne pour répéter à voix basse.
« Moussaillons maigrrres et arrrmés capitaine.
– Maigres et armés hein… répéta-t-elle en comprenant de quoi il en retournait avant de dire à Oswald. Dites à votre suite d’aller vomir dans la calle, c’est surement des paysans qui se sont reconvertis en pirate. Vous devriez aussi vous planquer, je dois vous garder en un seul morceau.
– Bien sûr, mieux vaut n’avoir que des marins sur le pont. Et ne vous en faites pas pour moi, je sais me défendre, lui assura-t-il en attachant déjà la corde de son arc.
Ivy allait répliquer mais, quand elle le vit tendre son arc sans souci malgré sa rigidité, elle le laissa faire, même si elle grogna un peu.
– Vous vous faites mal, je vous facture les soins médicaux.
– Évidemment capitaine, déclara-t-il en allant donner ses ordres discrètement.
Pour ne pas risquer que le vent ne porte ses ordres à l’autre bateau, Ivy envoya Noce transmettre ses instructions à son équipage. Ce dernier se mit tout de suite en ordre bataille, mettant les branles bas, sortant leurs épées et faisant crépiter leur magie tout en s’éloignant du bastingage. Elle-même tâta son épée de côté, tout en faisant signe aux gabiers de manœuvrer les voiles pour ne pas perdre le cap, alors qu’ils tendaient la corde de leur arc avant de les recacher derrière les voiles. La vigie d’en face n’avait pas lunette alors, sauf si elle avait une excellente vue, elle ne pouvait pas voir ce qui se passait ici.
Une fois que les deux navires furent presque côte à côte, Ivy ordonna à un de ses matelots de saluer l’autre bateau en agitant leur pavillon. C’était autant un signe cordial que d’avertissement, tous les navigateurs de Fodlan et au-delà connaissaient son cerf avec une queue de triton, et savaient qu’il ne fallait pas attaquer le moindre navire l’arborant. Ou alors, c’était à ses risques et périls.
Cependant, les autres marins ne répondirent pas, s’approchant de plus en plus d’eux. Prévisible mais, ça restait malpoli de leur part. Ivy bloqua la barre pour s’avancer discrètement sur le pont, tirant son sabre en le gardant dans son fourreau alors qu’elle attendait avec ses hommes, Noce sur l’épaule. Oswald de son côté restait plus haut, son arc dans les mains et regardant les voiles de l’autre navire, où d’autres gabiers avaient grimpés.
Le silence régnait sur tout leur pont quand d’un coup, une faucille arrondie s’éleva depuis la frêle embarcation pour attraper leur bastingage, suivit de plusieurs autres. Une première femme sortit la tête du pont d’en dessous, sautant avec un fléau reconverti en masse d’arme rudimentaire, criant pour se donner du courage, alors qu’elle hurlait aux autres derrières elle qui tentaient de grimper sur le bâtiment plus grand que leur coquille de noix.
– À l’abordage ! Ils ont l’air riches ! Prenez tout et on s’en va…
Ivy ne la laissa pas finir, lui assenant un énorme coup de pommeau d’épée en plein visage. Comme avec un marteau mais, qui ne risquait pas de lui éventrer le pont au moindre coup de travers. Face à des gens comme ça, c’était tout aussi efficace, surtout qu’ils ne portaient aucune protection. Peu entrainée, la femme qui menait la charge tomba tout de suite, lâchant son fléau mais, quand elle essaya de le reprendre, Noce fila vers elle et se mit à lui donner des coups de bec en hurlant de fureur.
– Une attaque ! Une attaque capitaine ! Trrrremblez rats de calle ! Nourrriture pour requins ! Marrrin de fond de latrrrrines ! Pirrrrates crrrrétins !
– Vous avez entendu Noce ? S’écria-t-elle en tirant sa lame avant de la pointer vers ses ennemis, qui avaient tous blanchis en les voyant prêts à les recevoir. Attrapez-moi ces pirates de fond de cale et ne les laissez pas s’échapper ! Qu’ils apprennent qu’on ne nous défie pas un navire Drake sans conséquence ! Et on a du beau monde à bord alors, que ce soit propre ! C’est clair ?!
– Ouais ! À l’abordage !
Ses hommes n’hésitèrent pas une seconde avant de foncer dans la bataille, bien plus habitués au combat en pleine mer que leurs assaillants, renversant vite la situation. Maintenant, les pirates tentaient tant bien que mal de s’éloigner d’eux et de s’enfuir mais, c’était peine perdue, ils étaient déjà ferrés par les hommes de la corsaire. Ivy avait attaqué de bien plus gros navires bien plus entrainés que cette coquille, elle n’allait pas les laisser filer comme ça !
Vive comme l’éclair, elle sauta directement en plein sur le pont ennemi, suivit de Noce qui avait finir de faire son sort à la capitaine ennemie. Les pirates de terre ferme se figèrent en la voyant oser se jeter au milieu de leurs rangs, avant de refoncer vers elle en hurlant pour tenter de l’impressionner et de se rassurer. Sans trembler ou hésiter, Ivy trancha le bras d’un homme, lui faisant lâcher sa fourche transformée en lance, avant de l’envoyer dans les pieds d’une de ses camarades avec le plat de son épée. Les deux finirent au sol, alors que Noce partait à l’assaut d’un grand type avec une hache. La capitaine alla tout de suite assisté son compagnon, mettant hors combat l’homme avant qu’il ne lui fasse un trou dans sa coque.
Levant les yeux, elle vit les gabiers se reprendre depuis les voiles et tenter de bander leurs arcs mais, elle vit des traits se ficher dans leur épaule. Ce n’était pas mortel mais, ça leurs empêcherait de les canarder avec leurs flèches.
« Faudra que je paye mieux l’archer qui arrive à être aussi précis à une telle distance, songea-t-elle avant de se reprendre. Enfin, s’il demande une récompense. »
Quant à la vigie, elle devait être roulée en boule de peur dans son nid de pie car, elle ne tentait rien contre eux. Tant mieux, ça l’arrangeait ! Ce serait plus vite fini.
Le combat ne dura pas, les assaillants suppliant grâce au bout de quelques minutes contre l’équipage bien plus entrainé et habitué à la mer.
« Attachez-moi tout ça et mettez-les en rang sur le pont ! Ordonna Ivy en ressautant sur son propre pont pour vérifier l’état de son navire. On a des questions à leur poser ! Francesco ! Fouille-moi leur cale avec Alida et Sesto ! J’en prend un à voler, il finit en nourriture pour les poissons, clair ?!
– Bien capitaine ! Répondirent ses marins en obéissant.
Elle hocha la tête en faisant le constat des dégâts. À part quelques coupures et une ou deux bosses, rien à signaler de leur côté. Le plus blessé était leur plus jeune mousse mais, il apprenait encore le métier, c’était normal. Leur guérisseur le soignerait en deux temps trois mouvements. En plus, il était tout jeune, on cicatrisait vite à cet âge.
En face, les dégâts humains étaient bien plus importants : pas de mort mais, plusieurs avaient de grosses coupures, n’étant pas protéger par des vêtements molletonné ou épais fait pour le combat, ou même pour la mer pour la plupart. C’était des habits de paysans, juste avec deux ou trois pêcheurs dans le lot.
« On dirait que les pénuries ont déjà transformé des fermiers en brigands et en pirates.
Elle jeta un œil derrière elle, et vit Oswald s’occuper du mousse, lui bander le bras lui-même. Il ajouta en voyant son regard étonné.
– J’ai quelques notions en pharmacopée. C’est un passe-temps pour mes heures perdues qui sert toujours.
– Mouais, ça doit quand même être utile de connaitre les plantes et les remèdes quand on a des ennemis de partout… songea-t-elle sans le dire. On dirait. Je les ai entendu discuter, ils ont un accent du coin et on est pas loin d’Ailell. C’est déjà pas bien riche là-bas alors, perdre encore plus de vivre et avec tout ce qui s’est passé, ça doit plus rapporté d’être pirate, même s’ils n’y connaissent rien.
– Hum… de plus, ils ont surement dû augmenter les taxes ou au moins demander des vivres en province pour nourrir la capitale, ce qui a dû encore plus réduire la ration des paysans. La parfaite recette pour les pousser au brigandage pour nourrir leur famille, pensa-t-il à voix haute tout en nouant le bras du gamin. C’est fini mon grand, tu peux y aller.
– Merci sieur ! S’écria le mousse en s’en allant.
Oswald lui jeta un regard à la fois attendri et nostalgique, s’ouvrant un peu plus que d’habitude mais, l’ouverture se referma très vite alors qu’il se relevait, vérifiant son bras gauche, enveloppé dans une petite protection de cuir d’archer.
– C’est bon, je n’ai pas trop perdu la main… enfin, j’ai bien fait de garder ça… comment compter vous faire à présent ?
– Pas vraiment le choix, va falloir faire un détour pour les ramener à leur seigneur, grogna-t-elle. Ça va nous prendre trois jours de plus rien que pour les ramener, deux de plus pour reprendre notre route et il va falloir leur remplir l’estomac j’imagine… ça va faire des frais en plus et moins de choses pour nous, c’est que ça mange les affamés… j’espère qu’ils ont des filets de pêches pour récupérer un peu de poisson en plus, et il va falloir que je refasse le plein d’eau douce une fois au port…
– C’est bon Cap’tain, ils sont équipés pour pêcher, l’interrompit Alida en passant à côté d’elle. Ils n’ont pas de butin en tout cas, ils n’ont pas eu le temps d’attaquer qui que ce soit. Il n’y a rien d’intéressant non plus pour nous, ni rien qui pourrait se revendre. Même leurs armes, c’est leurs outils agricoles qu’ils ont bricolés pour attaquer.
– Ouais, je m’en doutais, et que personne ne vole rien, on est en mission officielle et pas la peine de se prendre une autre prime pour trois fois rien.
– Bien. Par contre, les flèches qui ont touché les gabiers et cloué leur vigie dans son nid de pie, c’est pas les nôtres. Vu la couleur, ça doit être celles d’un archer du grand-duc, déclara-t-elle en lui montrant, leur empennage trempé dans de la peinture jaune.
– Ah oui, c’est les miennes. Merci jeune fille, je n’ai plus assez de force pour les retirer sans faire plus de dégâts, déclara Oswald, qui ajouta en voyant son air étonné après les avoir récupérées. Qu’est-ce qui se passe ? Elles se sont fichées où ? J’avais visé cette zone, ça fait mal mais, ce n’est pas mortel si on ne touche pas l’artère ou le poumon, expliqua-t-il en montrant un tout petit cercle à la jonction de l’épaule, du bras et du torse. Et pour la petite vigie, j’ai visé son habit pour le clouer au mat, ça évitait de le blesser. J’ai touché à côté ?
– Euh, non, elles sont juste arrivées dans une zone un peu plus grande et un peu entaillé l’épaule de la vigie mais, comment vous avez pu faire ça à une telle distance et avec de la houle ?! S’exclama Alida, sans voix en le voyant expliquer ça le plus naturellement du monde.
Oswald grommela, visiblement déçu de lui-même.
– Décidément, je perds la main… touché à côté d’aussi près… comme quoi, la vieillesse aussi est un naufrage. Faudra que je me réentraîne plus sérieusement sinon, Justine va se foutre de ma gueule quand on se retrouvera de l’autre côté. Je règle son sort à Rufus, puis celui de Tiana et je m’y remets bien.
« D’accord… faut vraiment pas l’énerver le grand-duc, songea Ivy à ses mots. S’il est toujours aussi en forme, j’en serais presque à plaindre Rufus et Lambert quand ils vont se le prendre dans la gueule… presque. »
*
« Et dix victoires à zéro ! Mais tu t’améliores petit !
– Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler « petit »… et j’ai pas l’impression…
Félix se remit sur ses pieds tout seul, sans prendre la main que lui tendait toujours Cassandra quand elle le battait. Depuis que le premier était arrivé la semaine dernière, ils s’entrainaient presque tous les jours ensemble mais, elle le faisait tomber tout le temps, que ce soit quand il utilisait la magie ou son épée. Au moins, le duel n’était pas faussé par son emblème, celui de Cassandra s’activait tout aussi souvent que le sien, c’était déjà ça. Mais ce que ça pouvait le frustrer ! Il n’avait même pas l’impression de progresser ! Enfin, ça lui évitait de penser à son père…
– On recommence… s’exclama-t-il comme il put, une fois qu’il eut repris son souffle.
– Non, on en a fait suffisamment aujourd’hui. On est tous les deux fatigués.
– Je ne suis pas fatigué…
– Il est vrai ce mensonge ?
Félix n’eut pas le temps de répondre quand une petite voix arriva dans la cour.
– Cassis pourrie ! Courrier !
– Egli, pour la millième fois, arrête de m’appeler comme ça, grogna Cassandra en se tournant vers sa cousine.
La petite fille lui tira la langue en réponse, lui lançant sans ménagement une lettre avant d’en donner deux plus correctement à Félix. Egli ressemblait beaucoup à son père Kimon mais, elle n’avait pas ses yeux verts presque pierreux, les siens étaient du même bleu très pale que ceux de sa cousine, tous partageant une peau mate, bronzant très facilement. Elle repartit en courant sans demander son reste, criant à nouveau « Cassis pourrie ! » avant de disparaitre dans les couloirs. Cassandra leva les yeux au ciel avant de faire une grimace en voyant sa missive.
– Une lettre de Christophe… bon, ma main au feu, je vais avoir besoin de l’aide de Théo pour le convaincre de changer d’avis…
– C’est pas celui qui voulait s’engager chez les chevaliers du chien errant ?
– Si… à tous les coups, il a gobé tout ce que crache l’Église Occidentale, il est assez naïf quand il veut alors… en plus, vu la situation, je ne vais pas pouvoir aller lui tirer les oreilles. J’ai déjà du linge à laver en famille, ça va être compliqué de laver le sien aussi, marmonna-t-elle en donnant un coup de tête vers la porte où avait disparu Egli. Enfin, Théo est le futur meilleur juriste de tout Fodlan, il est doué pour convaincre les gens alors, avec son aide, peut-être qu’on arrivera à l’empêcher de faire une connerie. Et toi ?
– Aucune de Sylvain, il est parti pour une rencontre avec les srengs alors, il ne répondra pas à mes lettres, et Ingrid nous a dit qu’elle doit économiser le papier alors, elle écrit plus rarement. C’est Alix… et mon vieux encore… c’est pas important, grogna-t-il en n’ouvrant même pas les lettres.
– Vraiment ? Demanda-t-elle en haussant un sourcil. Pourquoi ?
– Il va juste me bassiner avec le devoir de chevalier qui l’oblige à rester avec des chiens idiots. J’ai pas envie de lire à quel point il se tue à la tâche pour eux.
– C’est pas comme s’il avait vraiment le choix, il doit tenir à sa tête, ainsi qu’à celle de son frère, répliqua l’épéiste plus âgée. Chez vous, c’est la tête coupée collective si vous trahissez. Quitter la famille royale dans une situation pareille revient à trahir tout le royaume alors, il est bien obligé d’obéir. Vu sous cet angle, je trouve plutôt qu’il tient à sa vie et à celle de ses proches.
– Dans les deux cas, Rufus veut sa mort alors, il ferait mieux de rentrer à Egua. Il ne pourrait rien lui faire à la maison et pap… le vieux serait mieux avec Alix en plus… ça lui fait mal d’être trop longtemps loin de lui … marmonna-t-il en se renfrognant encore plus que d’habitude.
– Les choses sont souvent plus compliqués qu’elles en ont l’air, répliqua-t-elle plus doucement. Tu penses vraiment qu’il s’infligerait tout ça sans une excellente raison ? Je le connais à peine et ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu mais, ça ressemble plus au Rodrigue dont me parlait Glenn.
Félix ne répondit pas, fixant les deux lettres pliées entre ses mains. Cassandra haussa les épaules avant de s’en aller, lui faisant juste un signe de la main.
– Enfin, c’est toi qui voies, mais les gens ont souvent des raisons d’agir comme ils le font. Je ne peux pas décider à ta place si c’est de bonnes raisons ou des mauvaises par contre, et tu les connais bien mieux que moi. En tout cas, fin d’entrainement et si tu me cherches, je suis avec Théo en train de tirer les oreilles de Christophe par lette, à plus tard.
Félix remonta aussi dans sa chambre après avoir rangé le terrain d’entrainement, seul en compagnie des lettres. Dimitri était resté éveillé une bonne partie du matin alors, il ne devrait pas se réveiller avant demain alors, il avait toute la journée à tirer tout seul maintenant…
Le garçon prit son cahier de leçon, essayant de continuer à étudier comme chez lui mais, c’était chiant les exercices comme ça… il devait s’exercer à utiliser un abaque rapidement mais, juste taper dans des boules sur un bâton pour compter des trucs imaginaires, c’était pas intéressant… et le latin aussi, c’était nul de juste recopier des lignes et des lignes et des lignes de déclinaisons… c’était mieux d’apprendre le sreng, il n’avait qu’à parler avec Sylvain ou Fregn…
« Je préférerais discuter avec grand-père… »
Le soupir lui échappa dans son ennui mais, il ne pouvait même pas parler avec Fraldarius. Félix sentait sa présence dans le lac mais, il ne l’avait plus entendu depuis qu’il l’avait sauvé, même les rares fois où il touchait Aegis… malgré tout, il se demandait ce que son ancêtre pensait de la situation… il avait des indices avec l’énergie de sa marque mais, c’était moins bien qu’en le voyant parler, même s’il ne comprenait pas un mot de latin…
Il rejeta un œil aux six lettres qui attendaient d’être ouvertes… tenta de se redire que ce n’était que des… des… des gens se tuant pour des chiens idiots…
Félix craqua et finit par faire sauter les sceaux de cire, buvant les mots de sa famille. Il fit tout pour ignorer à quel point il se sentait soulagé de lire des nouvelles de son père et son oncle, essayant de cacher ses inquiétudes en se rappelant de la santé de son père en se moquant de son écriture… mais il ne pouvait s’empêcher de voir à quel point ils avaient la même tous les deux… Rodrigue aussi était gaucher alors, quand ils écrivaient, tout était tordu, l’encre bavait sur le papier, et leur plume grattait tout le temps tout… c’était même son père qui lui avait montré comment faire pour écrire à peu près correctement à l’endroit… pour leurs lettres, ils s’écrivaient à l’envers, ça allait mieux avec leur main…
« …j’espère que tu vas bien, que tu te sens bien à Charon, et que tu auras le temps de m’écrire parfois, même si je me doute que tu dois être bien occupé avec les autres enfants. Je comprendrais… »
Félix fixa ces dernières lignes, les lisant encore et encore tout en jetant un regard vers le coin de son bureau…
*
Rodrigue travaillait sur l’arrivée du grand-duc Riegan avec les sœurs Charon. Rufus l’avait chargé de tout planifier seul mais, ce n’était pas humainement possible de le faire en plus de tout son travail alors, ils planchaient tous dessus dès que possible. C’était déjà compliqué avec Duscur étant donné que personne ne savait vraiment par quel bout prendre la situation et les srengs s’agitaient alors, ce n’était vraiment pas le moment d’être en froid avec leur principal fournisseur de bleds ou de provoquer un autre accident diplomatique car, l’organisateur était épuisé et avait laissé passer une maladresse. Enfin, ça ne durerait qu’un temps, Lachésis et Thècle devaient partir quelques jours avant l’arrivée du grand-duc afin de faire le tour du domaine royal, pour s’assurer que les recettes ordinaires rentraient bien dans les caisses royales. Au moins, c’était un peu d’aide de gagner sur quelques jours…
Ils discutaient des arguments à présenter au grand-duc pour le convaincre de leur faire crédit pour les bleds, quand le valet en charge du courrier au palais entra en annonçant :
« Livraison de courrier ! On a un messager de Charon qui a débarquer ce matin donc… le courrier des dames Lachésis et Thècle… il leur donna à un gros paquet de missive accrochés les unes aux autres avec de la ficelle, avant de se tourner vers Rodrigue. Et le vôtre sieur Rodrigue.
– Merci beaucoup, le remercia-t-il en commençant à le feuilleter, faisant une pause dans son travail.
De toute façon, le surplus de magie dans ses veines lui piquait tellement les doigts qu’il avait du mal à tenir une plume, rendant son scripte encore plus illisible que d’habitude. D’après le médecin Hersend et Cornélia, ce n’était pas encore assez grave pour qu’il ait un traitement afin de l’aider à l’évacuer. Elles n’avaient pas assez de potion et de médicament pour se permettre de gaspiller alors que l’affection était encore légère. L’homme serrait donc les dents en continuant à s’entrainer pour l’évacuer, en espérant vaguement que le mal passe malgré sa poitrine qui se coinçait plus vite qu’avant… il muselait son inquiétude à ce sujet et ses mauvais souvenirs en se disant que c’était juste la fatigue… c’était bien la première fois qu’il évitait de penser à Félicia…
Enfin, il avait moins mal quand il avait des nouvelles d’Alix, c’était déjà ça… en plus, c’était lui qui lui donnait le plus de nouvelle de Félix… après leur dispute, il ne voulait surement plus lui parler… mieux valait lui laisser le temps… même s’il ne pouvait s’empêcher de lui écrire… c’était surement mal de le forcer à garder le contact mais, le père était incapable de renoncer à ce dernier lien avec son enfant, même si c’était à sens unique.
Cependant, une lettre ressortit de la liasse… cette écriture… c’était…
Sans réfléchir une seconde de plus, Rodrigue se précipita sur elle, fit sauter la cire et se mit à la lire sans pouvoir s’arrêter, buvant le moindre mot, la moindre lettre, la moindre rature… tout tellement il était heureux d’enfin avoir des nouvelles de son fils…
« Si c’est mal écrit et que ça bave, c’est parce qu’on a la même écriture dégueulasse… »
Il arriva même à rire du commentaire à la fin de la lettre avant sa signature, riant d’à quel point oui, il avait sans doute un des pires scriptes de tout Faerghus tous les deux.
Rodrigue dût la lire deux ou trois fois sans même s’en rendre compte, puis recommencer quand il vit qu’il y avait trois autres lettres. Les dates s’étalaient sur les deux semaines et demie depuis son départ… toutes les lettres de Félix était arrivé d’un coup… il ne savait pas ce qui avait poussé son fils à tout lui envoyé d’un coup, il aurait sans doute dû s’inquiéter mais, il en était incapable tellement il était heureux d’avoir enfin des nouvelles… le père se rendit à peine compte du temps qui passait, jusqu’à ce qu’il attrape sa plume pour répondre et se rappelle qu’il était en plein travail. Il allait s’excuser quand Lachésis le rassura.
« T’en fais pas, tu mérites bien une pause, et ça faisait une éternité qu’on ne t’avais pas vu sourire comme ça et cela vaut bien quelques minutes à travailler à deux. »
Il la remercia d’un regard, puis se remit au travail avec plus d’énergie que d’habitude, rassuré d’avoir des nouvelles.
Quand Lambert l’appela pour venir discuter avec lui pendant un de ses moments de lucidité, Rodrigue n’eut même pas de pensées sombres au sujet du roi et eut moins de mal à lui lire les lettres que lui envoyait Dimitri, pensant juste à celles de Félix. D’habitude, il était toujours au bord des larmes quand il le faisant, pensant juste à son propre louveteau dont il n’avait aucune nouvelle. Le blessé avait encore du mal à se rendre compte de ce qui se passait autour de lui, guérissant lentement malgré Areadbhar alors, il ne savait rien de son état… et Rodrigue lui aurait dit, Gustave l’aurait rappelé à l’ordre sur le fait qu’il fatiguait inutilement le roi avec ses états d’âmes, et Rufus l’aurait accusé d’accabler son frère… mais avec les lettres de son louveteau, ce n’était plus un tel calvaire.
Lui aussi avait le réconfort de savoir comment allait son enfant…
Le soir, il se coucha après avoir écrit sa réponse aux lettres de Félix, l’esprit plus tranquille depuis longtemps, sachant que son fils allait bien et attendant plus de nouvelles.
*
Sylvain avançait dans la neige avec sa mère, le chaperon de son père et quelques soldats très fidèles parlant le sreng. Après plusieurs jours de mer, ils continuaient leur chemin vers le lieu de réunion avec les autres chefs et rois de Sreng, une grande plaine dégagée avec juste un immense arbre qu’on disait issus des racines d’Yggdrasil où Le Bavard reposerait d’un côté, datant de l’époque du Brave Gautier pour l’autre. Ce serait un endroit neutre, au moins symboliquement, même si on était à présent du côté Fodlan de la frontière à présent. C’était les srengs qui avaient proposé ce lieu de rencontre, Sylvain était sûr que c’était afin de rappeler qu’une partie de Gautier était Sreng mais, Isidore avait accepté afin de rappeler aux différents souverains leur cuisante défaite à la bataille de la Rivière Noire, cinq ans plus tôt. C’était surement pour leur dire que le Royaume les avait déjà mis en échec quand ils étaient coalisés. Cependant, le jeune homme se demandait s’ils pourraient de nouveau tenir à une autre poussée, même faites par des rois sans yeux, surtout après la saignée de Duscur… enfin, ce n’était pas lui qui faisait les règles.
Il avait lui-même passé des jours à s’entrainer pour cette rencontre une fois que son père l’eu autorisé à être le hérault de Gautier, ainsi qu’à lire des chroniques datant de son ancêtre Gylfe le Berserkr. Les srengs avaient une excellente mémoire et il savait que l’histoire du dernier berserkr était souvent raconté par les scaldes alors, les autres srengs s’attendraient surement à ce que son comportement se rapproche du sien, surtout vu le passif de sa famille avec eux ou avec même des dieux et héros de leur panthéon. Mieux valait être sur-préparer que pas assez dans ces circonstances.
Au bout d’un moment, alors que l’arbre millénaire devenait de plus en plus net et imposant au fur et à mesure que leur groupe s’approchait, Sylvain put distinguer la foule qui s’était attroupé tout autour de lui. Des bateaux avaient été porté à terre, arborant des voiles colorés avec différents symboles, tout un tas de valravens se mélangeaient dans l’enclos construit pour les accueillir, des personnes s’agitaient dans tous les sens à terre et s’il ne se trompait pas, on avait élevé à nouveau des statues en l’honneur des dieux de Sreng. De grandes tables avaient été disposé en cercle, autour de pétroglyphes tracés au centre, représentant divers divinités. Enfin, un grand autel en la mémoire du Bavard semblait s’élevé autour des racines de l’arbre, en sa mémoire.
« À peine arrivé qu’ils nous déclarent la guerre… » gronda le chaperon de son père, un vieux général du nom de Vigile… il portait bien son nom tient.
Sylvain hocha juste la tête, même s’il comprenait la dévotion envers le Bavard, réputé pour sa langue d’argent, sa capacité à parler à tous les êtres vivants qui aurait permis d’apporté la paix entre les hommes, les bêtes et le petit peuple malgré sa cécité… une sorte d’équivalent à Gautier en beaucoup moins violent… ce serait même la première porteuse de l’emblème de Gautier qui aurait assassiné et dévoré le Bavard pour lui voler son pouvoir et alimenter sa lance maléfique… enfin bon, ce n’était pas comme si les légendes autour de Gautier était bien plus flatteuse du côté foldan donc bon. En plus…
« Les srengs élevent toujours un autel au Bavard quand ils veulent qu’une paix soit conclu, lui rappela-t-il quand même. Après tout, c’était sa spécialité de trouver des compromis.
Vigile eut un regard mauvais à sa réaction, grognant à Sylvain, assez loin pour que Fregn ne l’entende pas.
– N’oubliez pas de quel côté nous sommes.
– Bien sûr, je ne l’oublie pas, » lui jura-t-il, regardant l’assemblée de plus en plus clair.
À peine était-il à portée de voix pour s’annoncer, qu’un grand corbeau vola vers eux en croassant, avant d’aller se poser sur l’épaule de Fregn qui le caressa en le saluant, passant sa main sur les peintures qui le recouvraient.
« Cela fait longtemps Starkr. Comment vas-tu vieux brigand ?
L’oiseau poussa un cri en allant chercher quelque chose dans sa besace, cherchant surement un peu de nourriture dans ses vivres, même si Fregn le chassa vite.
– Je t’ai déjà dit que je ne te donne jamais rien, va plutôt demander à Arnina pour avoir des friandises… elle ajouta en voyant le corbeau aller vers son fils. Ne lui donne rien Sylvain. C’est un vieux glouton, il serait capable d’avaler tout ton repas la seconde après.
Il sourit en voyant le corbeau commencer à tenter de défaire l’attache de sa sacoche, avant qu’on l’appelle.
– Starkr ! Revient ici !
Le corbeau s’envola vers une femme de taille moyenne pour une sreng mais, qui serait plutôt petite pour une faerghienne. Elle avait des cheveux blonds tressés comme les blés, des yeux bleus très clairs comme deux aigues-marines, saisissant complètement ceux qui les rencontraient. Le droit était entouré d’un grand tatouage qui descendait sur sa joue, semblant dessiner un œil autour du vrai, le même motif se retrouvant sur Starkr et le corbeau sur l’épaule de la femme. Elle portait son épée sur le côté, étant la coutume des Sreng et elle en aurait surement besoin pour les duels rhétoriques, ainsi qu’un anneau de métal autour de sa tête, afin de marquer son statut. Elle les salua poliment, une fois qu’ils eurent mis le pied à terre afin qu’ils soient tous à la même hauteur.
« Salutation à vous, émissaires du souverain de Gautier et de Faerghus. Moi, Thorgil le Kaenn, ne peut que remercier le connaisseurs des courants et des vents d’avoir conduit votre navire jusqu’ici sans tempête.
– Salutation à vous aussi Le Kaenn. Les dieux ont été cléments avec nous sur le chemin, et Sothis a pris soin de notre destin afin que nous ne sombrions pas et arrivions bien tous au Grand Thing, déclara Sylvain en la saluant tout aussi formellement qu’elle. Moi, Sylvain José Isidorsson Gautier, remercie à mon tour Njörd de sa bonté de vous avoir tous amené ici sans encombre.
La femme sourit, visiblement satisfaite de le voir, avant de le prendre dans ses bras comme il était d’usage, même si l’embrassade fut plus chaleureuse qu’elle ne le serait avec les autres rois et reines du Ting.
– Tu as bien grandi Sylvain, sourit-elle en s’éloignant, ses mains posées sur ses épaules. Je suis contente de te revoir malgré tout.
– Merci Thorgil, je suis aussi contente de te revoir, même si j’aurais préféré que ce soit dans de meilleures conditions, lui répondit-il sans hésité, sincèrement heureux de revoir sa famille maternelle.
S’il se fiait au regard appuyé que lui lançait Vigile, il n’était pas très satisfait de le voir aussi familier avec sa tante. Cependant, ignorez leur lien de parenté l’aurait surement vexée et ce n’était pas le moment d’énerver qui que ce soit. Thorgil sourit encore plus quand elle put enlacer Fregn, ronronnant en la voyant, même si l’ainée garda les formules formelles, s’adressant tout de même à celle qui serait sa reine si elle vivait encore avec son peuple.
– Je suis contente que tu es pu venir ma très grande sœur ! Cela fait aussi trop longtemps qu’on ne s’est pas vu !
– Moi aussi ma toute petite sœur. Cela fait une éternité et je suis heureuse que le destin nous réunisse à nouveau, même si comme mon fils, j’aurais préféré que ce soit dans de meilleurs conditions.
– Les Nornes, sous la houlette de Sothis, ont une appréciation parfois étrange des bonnes histoires. Mais les difficultés qu’elle place sur notre chemin sont autant de défis à relever pour grandir et évoluer, rétorqua-t-elle. Enfin, nous parlons tous mais, vous devriez aller saluer les autres rois et saluer le Bavard, qui nous observe et arbitre ces négociations aux côtés de Tyr depuis Asgard.
– Bien sûr, nous ne voudrions pas contrarier qui que ce soit. Nous avons également amené un présent pour le Bavard, confirma Sylvain, avant d’ajouter, devant obtenir un maximum de confirmation pour ne pas commettre d’impair. J’espère seulement qu’il ne sera pas offensé en voyant les descendants de sa meurtrière lui rendre hommage.
– Le Bavard est un homme magnanime, bon et sage. Jamais, il ne tiendrait des personnes sans lien avec sa mort pour responsable. Il sera sans doute très touché par votre présent. Tient, » elle sortit un anneau semblable au sien de son manteau. Elle lui fit signe de se baisser, ce qu’il fit, le recevant en faisant montre d’humilité de pouvoir porter un tel attribut. Le Kaenn déclara alors. « Par ce présent, que chacun te reconnaisse comme le représentant de ton peuple au premier coup d’œil.
– Merci ma tante. Je ferais en sorte d’en être digne et de représenter au mieux la parole de Faerghus. »
Le jeune homme la salua à nouveau puis, alla à la rencontre de tous les autres rois srengs, devant échanger peu ou prou les mêmes mots avec chacun d’entre eux et n’en oublier aucun. Cela permettait autant d’avoir un premier contact que de jauger la personne en face, et Sylvain savait que cela aurait une influence sur l’endroit où chacun serait assis pendant la négociation. Ce premier débat serait d’ailleurs sa première épreuve dans ce Grand Thing, devant éviter à tout prix de se retrouver avec les rois sans yeux sinon, c’était fini d’avance.
Au regard de sa mère, il se débrouillait plutôt mais, Vigile vient à ses côtés, murmurant en fodlan pour que moins de personnes le comprennent.
« Évitez de trop vous comporter en sreng. Je comprends que nous devions adopter leurs codes pendant un Thing, surtout un de cette ampleur mais, nous représentons aussi Faerghus. Un comportement trop éloigné de celui du reste du Royaume risquerait de leur laisser croire que nous sommes du côté de Sreng, alors que rien n’est moins vrai.
– Je comprends aussi mais, pour le moment, il s’agit surtout de politesse basique. Si nous ne le faisons pas, les rois le prendront aussi pour un manque de respect et risqueraient de s’en offusquer. Même si on n’est pas de leur côté, nous sommes aussi très affaiblis après Duscur alors, je veux prendre le moins de risque possible. Rien que pour l’offrande au Bavard, pour les Gautier du temps de Gylfe le Converti et même avant lui, il fallait qu’il demande à chaque participant du thing leur avis si sur c’était de bon ton ou non de lui en faire une, » lui expliqua-t-il, avant de se taire en rencontrant un autre roi, signalé par son anneau autour de la tête.
Il fit le tour de tous les rois de l’assemblée pendant le reste de la journée, certains venant à sa rencontre mais pour la plupart, il fallait qu’il aille à eux, marquant la différence entre eux. Vigile n’approuvait pas vraiment qu’un fils de Gautier s’abaisse à chercher les salutations de quelqu’un d’autre que le roi en personne ou les ducs de Fraldarius, encore plus quand il s’agissait de « roitelets » srengs mais bon, Fregn le faisait taire. Rien que le fait que Thorgil soit venue les saluer en personne était exceptionnel, ça aurait dû être un roi servant un autre roi qui aurait dû venir l’accueillir, étant donné que Gautier obéissait au suzerain de Faerghus. Et elle ne leur avait pas fait cette fleur pour une quelconque déférence envers Faerghus mais, juste par solidarité familiale. Isidore serait venu à sa place, il aurait pu aller se faire voir, le Kaenn l’aurait sans doute mis à l’épreuve directement… enfin bref, au moins, ça commençait bien pour le moment.
À la fin de la journée, tous les rois et émissaires étaient arrivés, ce qui faisait une cinquantaine de rois, reines, et émissaires. Étant donné qu’il était tard, on remit les délibérations sur où chacun s’assiérait pendant les négociations au lendemain, préférant consacrer le soir au Bavard.
Chaque roi passa devant l’autel consacré au héros, dans l’ordre alphabétique faute d’une hiérarchisation concertée. Ils posèrent divers objets à côté de l’autel marquant à nouveau sa tombe, après avoir été détruite pendant la dernière guerre. C’était souvent de la nourriture et des objets domestiques, mais jamais de viande, de poisson ou d’arme, afin de respecter ses valeurs pacifiques, la légende voulant même qu’il soit végétarien. Tout se fit dans un silence respectueux, le vent portant les vœux des rois aux oreilles de chacun, bien différent de la cacophonie des présentations et des salutations de la journée.
Quand ce fut le tour de Sylvain, il s’approcha en silence, tenant une casserole contenant un pain. Il se mit à genoux devant l’autel et lui offrit en déclarant, répétant des mots de Gylfe.
« À toi le Bavard, puisses-tu dans ta si grande sagesse être magnanime et accepté cette offrande, même si elle a été déposée par des mains où coule le sang de ton assassin… que ton aura bienveillante protège et tutelle ce Grand Thing afin que la paix continue à vivre, que nous puissions nous rapprocher légèrement de ton habilité dans tes mots, du calme dont tu faisais preuve, de la sagesse de tes décisions et arbitrages. Merci à toi. »
Normalement, il ne se serait sans doute pas retourné, histoire de ne pas voir l’air désapprobateur de son père dans tout ce qu’il faisait, encore plus quand ça avait un rapport avec Sreng mais là, Isidore n’était pas là, et Vigile lui faisait moins peur que lui.
Le jeune homme jeta donc un regard autour de lui une fois qu’il eut regagné sa place : la plupart des souverains hochaient la tête, l’air approbateur. Thorgil souriait, tout comme Fregn qui laissa échapper à quel point elle était fière de lui.
« Vanes et Ases… au moins, ça commence bien ! Soupira-t-il de soulagement dans sa tête, attrapant son porte-bonheur pendu à son cou, une petite écaille que lui avait donné Félix pour le protéger de Miklan. Il ne croyait pas beaucoup mais, il aurait bien besoin de rester aussi déterminé que Fraldarius ou Félix pendant les négociations. Pourvu que ça dure… »
*
« Et… loupé ! Mais, c’est pas mal, tu t’améliores bien petit ! Cassandra sourit avant de lui demander en le voyant se relever. Tu veux en remettre une ?
– Non, le messager ne va pas tarder, répondit Félix en essayant – et échouant vu la tête de sa partenaire d’entrainement – de cacher son impatience.
Il reposa son épée, récupéra la lettre qu’il devait lui donner pour le courrier en partance pour Fhirdiad et marcha rapidement vers la grande cour d’entrée de la forteresse, traversant les couloirs qu’il connaissait à présent presque sur le bout des doigts. Quand il arriva à destination, il vit un homme aux cheveux et aux yeux verts pierreux, assis dans un fauteuil avec de très grandes roues sur les côtés, en train de lire rouleau qui se déroulait sur ses genoux.
– Théo ! Appela le petit garçon en le voyant lire. Le messager est passé ?!
– Ah ! Félix ! Il lui fit un signe de main, faisant tourner son fauteuil roulant afin de lui faire face. Non, ne t’en fais pas, c’est une lettre du tribunal de Lokris par rapport à une affaire de contrebandier, rien à voir ! Mais tu ne t’entrainais pas avec Cassie ?
– Si mais, il s’est arrêté pour venir récupérer son courrier et en donner au messager histoire d’être sûr de ne pas le rater ! Répondit Cassandra en arrivant à son tour. Pas de mauvaise nouvelle de ton côté ?
– Non rien, juste l’affaire du contrebandier, il va juste avoir deux jours de piloris, des peines d’intérêts généraux pour rembourser et Rufus n’a pas besoin de savoir on va dire. En tout cas, ne t’en fais pas, il n’est pas encore arrivé. Mais on peut attendre tous ensemble si vous voulez, ça passera plus vite.
– Si tu veux, même si j’ai pas beaucoup de temps avant de partir en patrouille, accepta sa sœur en sautant par-dessus la barrière pour le rejoindre plus vite à l’étage en-dessous.
Ils se mirent à discuter tranquillement, Théo parlant de ses affaires à sa sœur. Normalement, c’était tenu au secret mais, comme le disait elle-même Cassandra, ce genre de chose lui rentrait par une oreille et lui sortait par l’autre, alors…
Félix descendit normalement, essayant de ne pas trop les regarder se charrier l’un l’autre… ne pas penser à la boule dans sa gorge, l’envie de faire pareil, chez lui avec son grand frère… de revoir Glenn, même s’il le faisait courir et le taquinait, l’affronter à nouveau dans la cour d’entrainement à Egua, avec Alix qui riait fort et Rodrigue qui souriait, avant qu’ils n’aillent tous se promener sur le bord du lac… il…
« Ça ne sert à rien… ça ne sert à rien de regretter… il ne reviendra jamais… il ne reviendra jamais… je ne devrais même plus y penser à part pour le dépasser… »
Malgré tout, il entendit encore son grand frère l’appeler, lui souriant en faisant de grands signes de main alors qu’il rentrait à la maison, comme il lui avait promis avant de devenir un menteur lui aussi.
« Eh ! Louveteau ! »
Félix essaya de chasser de toutes ses forces l’image de son frère de sa tête, essayant de se raccrocher à la discussion entre Théo et Cassandra, autour de ce jugement de contrebandier.
« …donc, on a utilisé cette loi datant de Sybilles sur les cas de contrebande qui nous autorise à gérer ses affaires au niveau local, avec juste des contacts avec le fief d’où vient ses marchandises, sans devoir le faire remonter à la couronne et à la haute justice… il ajouta en la voyant hocher la tête l’air de rien, un petit sourire taquin aux lèvres. Je parie que tu as tout compris ?
– J’ai compris que c’était compliqué et que tu utilisais la moitié de la bibliothèque dans un procès, tout ça pour éviter qu’un type qui a récupéré du seigle à Daphnel pour le vendre au marché noir ici se fasse décapiter car, Rufus veut la peine de mort pour tous les contrebandiers du Royaume. J’y comprendrais jamais rien à tous ces trucs de juristes, t’as du talent pour deux en la matière.
– Chacun ses talents, que veux-tu… répondit Théo en hochant la tête. Tu es encore plus forte que toute la famille réunie…
Il allait ajouter quelque chose quand le messager arriva enfin. Le groupe de trois lui offrit un verre d’eau et une miche de pain, puis il leur donna le tas de missive. Félix l’échangea tout de suite avec sa propre missive pour Rodrigue, avant d’attraper celle de son père, ainsi que celles de Lambert et Rufus pour Dimitri. Il s’en alla tout aussi vite pour porter ces deux missives à Dimitri, puis pouvoir lire la sienne tranquillement. Le messager sourit en le voyant filer comme un chat dans les escaliers.
– Il les attendait de pied ferme on dirait. Il doit adorer son père.
– Oui, même si c’est le dernier à assumer, répliqua Cassandra en attrapant la lettre de ses tantes et celle de Christophe, tout en priant très fort pour que ce dernier arrête ses conneries.
– Enfin, de ce que ce j’ai vu, ça a l’air d’aller mieux comparé à quand il est arrivé, fit remarquer son petit frère.
– Un peu… j’essaye de lui parler un peu mais bon, il est têtu le gamin… Cassandra ajouta en voyant le regard de son frère. Qu’est-ce qu’il y a Théo ?
– J’allais rien dire, à part que niveau têtu, vous vous êtes sans doute bien trouver tous les deux Cassie, rétorqua-t-il avec un sourire, avant de dire sur un ton plus sérieux. Enfin, je pense que tu pourrais tenter de discuter avec lui. Vous avez l’air de vous ressembler un peu tous les deux j’ai l’impression, et t’es la seule à qui il adresse plus la parole dans la famille en dehors du petit Dimitri, Dedue et Sasiama, et encore pour ces deux petits vu qu’ils se comprennent à peine. S’il doit écouter quelqu’un, ce serait plus toi alors bon…
– T’as pas tort… je suis moins sûre que toi qu’il m’écoute un jour mais bon, qui ne tente rien n’a rien… »
*
« …l’assemblée a donc voté. Les décisions que le thing prend vis-à-vis de Faerghus devront être suivi par tous les reines et rois de Sreng, avec ou sans yeux. Toutes initiatives contraires à ces décisions rendront leurs responsables irrespectables, et ils devront en subir les conséquences, que ce soit vis-à-vis de leur peuple ou des autres royaumes. Gautier doit également s’engager à respecter ses décisions mais, son roi n’aura pas le droit d’intervenir en cas d’irrespect de celle-ci, sauf si elles visent le royaume qu’il dirige. Cependant, ce territoire aura le droit de dénoncer les initiatives contraires à ce qui a et sera décidé pendant ce thing, et aura également le droit de traiter les irrespectables avec tout le respect qu’ils méritent. Il s’engage également à ne pas s’en prendre à tout royaume respectable qui ne les aura pas frappés les premiers. Ces décisions ont été prises sous le regard de Tyr, d’Odin et du Bavard. Moi, Otkatla la Modérée, reine ayant renoncé à mon pouvoir quand la vieillesse frappa à ma porte, qui ait l’honneur de présider et d’arbitrer ce Grand Thing d’envergure, demande donc à toutes les personnes présentes de jurer de respecter cette décision, autant eux-mêmes que leur peuple et futurs dirigeants.
Tout le monde tira son arme et la pointa vers le ciel en criant ensemble, les voix résonnant comme un écho dans la plaine noire de monde.
– Par Tyr, Odin et le Bavard, en ce jour, nous jurons !
Sylvain reposa sa lance en même temps que les autres, n’ajoutant pas Sothis à la liste pour ne pas agiter la foule. Vigile allait encore le reprendre à ce sujet mais, c’était peut-être la Déesse du Destin pour les srengs, c’était aussi celle ayant le pouvoir de le briser et de le modifier alors, ce n’était pas une déesse devant laquelle on jurait. Cela faisait déjà trois jours que l’assemblée s’était organisé et débattait sans cesse et pour le moment, le jeune homme s’estimait plutôt chanceux…
Déjà, il avait gagné le droit de siéger avec les rois, pas avec les rois sans yeux, ce qui lui facilitait la tâche. Il avait dû faire valoir les traditions de Faerghus, le lien de vassalité sans trop s’y appesantir, rappeler que c’était une préparation à une réunion avec le roi Lambert donc, ce serait bête de ne pas commencer à débattre directement avec son représentant plutôt que de passer par l’intermédiaire des rois sans yeux qui s’exprimait en leur nom, qu’il était là pour défendre les intérêts de son peuple avant tout… bref, il avait dû sortir tous ses arguments pour se faire accepter au vote à cette table… et il avait dû vaincre cinq rois et reines sans yeux qui lui disputaient sa place en duel de force et de rhétorique… encore heureux, même si ces souverains étaient très forts au combat, ils étaient nuls en débat alors, combattre et débattre en même temps, encore plus… alors, Sylvain avait eu une place en bout de table. Pas la meilleure mais, il aurait au moins une voix à lui.
En plus, Thorgil le soutenait très peu, elle jouait son propre jeu avec ses propres intérêts pour son royaume mais, il l’en remerciait dans le fond. S’il se reposait trop sur sa tante, personne ne respecterait ce qu’il avançait, il serait juste le neveu de Thorgil le Kaenn, pas Sylvain José Isidorsson Gautier, représentant de Gautier défendant les intérêts de Faerghus au Grand Thing de Sreng. C’était déjà assez difficile de s’appeler Gautier et d’avoir un emblème en Sreng, pas la peine d’avoir plus d’handicap comme ça… au moins, on l’appelait « le Métis », pas « l’Enfant de Cannibale », c’était pas mal.
Otkatla demanda le silence avant de reprendre, s’appuyant sur sa canne avec son vieux corbeau sur son épaule.
– Nous en avons donc fini avec ce sujet. Les prochains débats tourneront sur la respectabilité de Faerghus et de ses dirigeants après le massacre de Duscur. Lors du premier débat où nous avons décidé des sujets de discussion de ce thing, plusieurs d’entre nous ont soulevé le fait que le cas du roi Lambert Ludovicosson devrait être traité à part de celui de son royaume. Nous allons donc le décider au vote. Si cela est adopté, nous traiterons de la marche à suivre avec Lambert en premier, puis avec le Royaume en général. Nous commençons par une pause afin que vous puissiez débattre entre conseillers et roi de votre position. La séance reprendra quand le sable du sablier sera écoulé. Vous pouvez disposer.
Tout le monde remercia l’arbitre avant de se disperser. Sylvain fila avec sa mère et Vigile dans sa tante, se laissant tomber sur son lit de camp pour souffler un coup.
« Tu t’en es bien sorti, déclara Fregn en lui tendant un verre d’eau, avant d’en remplir deux autres.
– J’aurais des réserves sur plusieurs points et manière d’obtenir des concessions mais, il faut reconnaitre que dans notre position, nous ne pouvons guère espérer mieux, admit Vigile.
– Merci maman, le jeune homme descendit son verre d’une traite, la gorge sèche à force de négocier. Par contre, ça va être raide de négocier la prochaine…
– Oui. Il va falloir leur faire comprendre que le roi est indissociable du Royaume alors, nous devons nous opposer à ceux qui voudraient les traiter les deux différemment, déclara Vigile.
Sylvain ne put s’empêcher de faire une grimace, admettant à l’homme de son père.
– Je pensais plutôt encourager le fait de les dissocier. Je pense qu’on pénaliserait le Royaume si les deux étaient trop fortement associés dans l’esprit des srengs. Cela donnerait l’impression que le Royaume est comme un seul homme derrière cette décision, et cacherait les divisions internes, qui pourront sans doute nous sauver la mise.
– Je suis d’accord avec Sylvain, le soutient Fregn de son ton neutre. Aucun sreng de toute l’assemblée ne doit avoir de respect pour Lambert, pas après avoir entrainé son peuple dans une expédition pareille. Les discussions autour de lui vont sans doute se concentrer sur à quel point il est respectable ou non et comment agir selon son absence de respectabilité. Déjà que pour la plupart d’entre nous, c’est incompréhensible que personne n’ait tenté de le renverser après une décision pareille, ce serait se tirer une flèche dans le pied d’en plus leur faire croire à un royaume uni derrière son roi.
– Je comprends ce point de vue mais, nous devons également montré que nous sommes unis sinon, les rois sans yeux en profiteront surement. Si nous commençons à faire la concession que le roi et le royaume sont différents, nous commençons à instiller l’idée que comme eux, nous pouvons changer de roi sur un coup de sang. De plus, ce serait également dangereux pour nous-mêmes si nous commencions à faire cette distinction. On pourrait nous accuser de trahison en ne défendant pas le fait que le roi unit le Royaume sur lequel il règne naturellement. Le roi représente le Royaume uni derrière, est sa tête et son ciment qui donne l’exemple sur la marche à suivre. Nier ce lien pourrait être remettre en question le droit naturel de la famille royale d’être cette tête, surtout après tous les travaux de Sa Majesté Ludovic. Il était élaboré contre son père qui était un tyran, puis à cause de la tuberculose qui lui a rongé les sens et l’esprit mais, il a porté avec force l’idée d’une monarchie élective pratiquement à la sreng. Dans la situation actuelle, certaines âmes malveillantes pourraient s’en servir afin de créer encore plus de troubles à Faerghus…
Sylvain réfléchit un peu, pesant le pour et le contre. Dans les deux cas, ils étaient coincés… soit il défendait que le roi faisait corps avec le Royaume, ce qui serait mieux pour lui et conviendrait à la vision faerghienne des choses, mais les srengs n’allaient pas les louper et perdre tout ce qui leur restait de respect pour Faerghus à cause de Lambert. Soit il défendait que le roi était bien séparé de la nation, ce qui ne pourrait que l’avantager avec les srengs, ils pourraient concentrer leur mépris sur Lambert – qui était celui qui avait envoyé tout le monde à l’abattoir en préparant tout à la dernière minute – et Faerghus pourrait même être considéré comme une victime ce qui les arrangeraient bien. Les srengs n’achevaient pas les personnes à terre si elles étaient respectables, cela faisait partie de leur code d’honneur. Assassiner quelqu’un de dangereux et se servir de l’espionnage pour saboter une ville afin de faciliter un vol de bled, pas de problème mais, quelqu’un d’inoffensif et déjà mal en point, non, sauf vraiment situation désespérée pour récupérer de la nourriture. Faerghus n’avait plus de blé et tout le monde là-bas savait ce que c’était de voir ses gosses mourir de faim, cela devrait les calmer un peu, à condition que Faerghus soit respectable. Cela lui semblait la meilleure option mais d’un autre côté, aux vues des dernières nouvelles au sujet de Rufus, Sylvain pourrait jouer sa tête en séparant le roi et le royaume…
Dans les deux cas, ils étaient dans la merde… c’était juste pas les mêmes personnes qui y étaient… sauf que bon, il préférait tirer le Royaume de cette merde que de sauver la face de ce type…
« Le pire, c’est que je le voie bien dire « mais ne vous en faites pas, on va se mettre d’accord, tout va bien se passer et tout le monde sera content ! » s’il était à ma place… mais bien sûr… la dernière fois, ça s’est tellement bien passé que Dimitri a failli y passer… et tout le monde est resté sur le carreau… le Lambert dit ça ici et c’est bon, c’est mort, fin de thing, on a des raids tous les jours dans tout le Royaume dès demain… »
Il était en train de ruminer quand la cloche annonçant la reprise des négociations. Bon et bien… quand il fallait y aller, il fallait y aller.
Sylvain serra son porte-bonheur dans sa main, l’accrochant à son poignet, cherchant peut-être de la détermination dans l’écaille gorgée de la magie du Brave de la Persévérance, puis alla reprendre sa place. Otkatla donna un coup de canne afin de marquer le début de l’assemblée avant de rappeler.
« Le débat qui va nous occuper à présent est le suivant : devons-nous considérer le Royaume comme indissociable de son roi, ou alors considérez que ce sont deux entités séparées ? Si cette deuxième option est retenue, nous aborderons le cas du roi Lambert, puis celui du Royaume dans cet ordre. Nous allons à présent tirer au sort le nom de celui qui commencera à parler…
– Un instant La Modérée. J’ai une proposition à soumettre à l’assemblée pour le début de ses débats.
Toute l’assemblée se tourna d’un seul homme vers Thorgil qui avait levé la main, un sourire illisible aux lèvres, ses yeux perçant poser devant elle sans fixer personne, tout en donnant l’impression qu’elle regardait tout le monde, presque nonchalante. Sylvain se souvenait que Fregn avait appris à sa petite sœur comment faire pour que personne ne sache ce qu’elle pensait, et l’élève égalait le maitre dans ce genre de situation… Otkatla reprit la parole, l’autorisant à parler sans souci.
– Merci La Modérée. Voyez-vous, dans cette question, nous avons sans doute tous une idée préconçue de la situation faerghienne. Nous savons comment ils fonctionnent donc, nous projetons ce que nous pensons d’eux, en bien comme en mal. Cependant, les choses sont souvent bien plus complexes qu’il n’y parait. Il me semble donc plus approprié que des personnes ayant vécu les mois de préparation exposent leur point de vue les premiers. Nous avons même un témoin de choix, Sylvain le Métis, qui est même un membre d’une grande famille du Royaume. Cela me semble donc approprié de le laisser parler le premier pour nous exposer la situation dans le Royaume, et dans quel état d’esprit il était.
Bon, d’accord, Thorgil commençait fort ! À tous les coups, elle voulait voir comment il se débrouillait, et surtout de quel côté il allait plaider. Aux vues des réactions de Fregn, sa petite sœur était sans doute aussi d’avis que Lambert était digne de tout son mépris… bref, ce qui était le plus raisonnable à faire en fait… soit elle voulait voir si Sylvain restait fidèle jusqu’au bout à la manière de pensée faerghienne, soit elle voulait voir s’il agissait selon ce qui était le plus défendable devant les srengs et s’il savait s’adapter… et lui qui se trouvait déjà dans la merde…
« Enfin, si je m’en sors, je pourrais gagner le respect de tous et avancer plus facilement mes arguments… Thorgil me lance un défi et elle essaye surement de voir si je le relève ou si je me dégonfle. Bon, il va falloir y aller au culot on dirait. »
– Hum… cela me semble correct, admit l’arbitre. Bien, que tous ceux qui sont pour que Sylvain le Métis parle en premier lève la main. Vous avez une minute.
Sylvain fut dans les premiers à voter pour, tenant son porte-bonheur de l’autre pour se donner du courage. Les autres rois srengs le jaugèrent du regard, aussi indéchiffrable que sa tante, avant de lever la main à leur tour. Elle n’était clairement pas toute seule à vouloir le défier.
À la fin de la minute, Otkatla et ses assistances comptèrent le nombre de voix.
– Sur vingt-trois rois clairvoyants, on a donc dix-sept pour que Sylvain le Métis s’exprime le premier, dont Sylvain le Métis lui-même. Du côté des trente-trois rois sans yeux, on a dix-huit pour, ce qui revient à neuf voix. Cela fait donc vingt-six voix sur trente-neuf. La proposition de Thorgil le Kaenn est donc accepté. Sylvain le Métis, la parole est à vous. Expliquez-nous dans quelles circonstances ce voyage a été décidé, cela me semble un bon début. Comme toujours, les questions sont autorisées pendant les prises de paroles, sauf quand celui qui a la parole boit afin de respecter son répit.
– Merci La Modérée, la remercia-t-il tout en commençant solennellement. Ce voyage à Duscur avait avant tout une portée diplomatique. Un tout petit seigneur de la frontière avec le peuple aux mains habiles, Kleiman, l’a attaqué afin d’agrandir son territoire, alors que son territoire ne connaissait pas la faim. En plus de violer les traités et les accords avec eux, ce seigneur sans yeux a tué plusieurs de leurs frères et sœurs de tout âge alors, cela a provoqué la colère de leurs chefs. Tout ceci est donc remonter à notre roi.
– Les fodlans chevaliers sont vraiment alambiqués… pourquoi demander à quelqu’un qui n’a rien à voir ? Demanda une des reines face à lui, une qui avait failli se retrouver avec les rois sans yeux. C’est ce Kleiman qui a tué et commencé à attaquer pour une raison stupide. Pourquoi ne pas le laisser payer seul pour son crime ?
– C’est ce qui était prévu. Kleiman devait effectivement passer devant le tribunal après une enquête menée par la justice royale. Et je comprends que cela peut vous sembler étrange mais, Kleiman étant un seigneur du Royaume, il a rendu hommage à notre roi, il est donc son vassal. Par ce serment, il lui doit donc obéissance, fidélité et assistance, dont l’assistance militaire ou le conseil, mais en contrepartie de ce dévouement, le seigneur a les mêmes devoirs envers son vassal, soit obéissance, fidélité et assistance, » expliqua-t-il en parlant de la fidélité vassalique plutôt que des fiefs, les srengs n’auraient pas pris au sérieux l’histoire que quelqu’un tenait la terre où il vivait depuis des générations de quelqu’un d’autre. « Il doit notamment protéger son vassal et est aussi responsable de ses actes car, il ne l’aura pas empêcher de mal agir par ses mots ou sa force. J’ajouterais que contrairement à la situation avec les royaumes des navigateurs, nous étions en paix avec Duscur, grâce à des traités qu’avait signé la famille royale avec Duscur il y a à présent quatre cents ans. Les vassaux devaient donc également les respecter, ce qui ajoutaient une autre raison à ce que la famille royale prenne en charge cette affaire.
– Donc, quand un seigneur se retrouve être un sans yeux, vous devez nettoyer derrière lui, en plus de devoir le supporter par obligation car, les couronnes sont dans le sang chez vous, fit observer une autre reine, bien plus importante cette fois, même si ce n’était pas encore au niveau de Thorgil qui restait la personne la plus puissante ici.
– D’où l’intérêt du lien vassalique. Si un vassal se comporte mal, ou si un seigneur bafoue son vassal, il est du devoir du suzerain, le roi, de venir régler la situation. On peut rapprocher cette règle aux liens de respectabilité. Personne ici n’irait contrarier ou se rendre irrespectable aux yeux de quelqu’un de plus puissant que lui ? Le lien vassalique est encore différent mais, il peut rapprocher de cette hiérarchie qui existe entre les rois des navigateurs du Midgard, en plus formalisé peut-être. Le premier devoir du roi est celui de faire régner la justice en son Royaume. Il est donc logique qu’en cas de seigneur sans yeux, c’est à lui d’intervenir. Dans le même ordre d’idée, c’est pour cela qu’il a décidé d’agir lui-même afin de ramener la paix et donc la justice sur ses terres. Le roi Lambert a même personnellement pris à cœur cette affaire. Il a notamment organisé tout le déroulement de ce voyage auquel il participait lui-même… pour le meilleur comme pour le pire, j’en conviens. Il est cependant dans les droits et devoirs du roi de défendre les intérêts du Royaume, et ce de la manière dont il le pense juste. Le conseil a donc dû obéir bon gré mal gré à ses ordres et se mettre à organiser ce voyage en Duscur en deux lunes.
Sylvain vit la reine hocher la tête, se gardant une seconde pour boire une gorgée d’eau, la gorge un peu sèche à force de parler. Ce n’était pas très glorieux comme argumentation mais, il espérait que les srengs comprendraient au moins le chemin de pensée des faerghiens dans cette histoire, ça pourrait amener les gens à comprendre pourquoi ils avaient agi ainsi… et au cas où, il avait quand même mis quelques piques, afin de montrer qu’ils étaient lucides… le jeune homme n’aimait pas trop cet angle d’attaque, le fait de dire que Lambert avait tenté de résoudre le problème et pas en créer encore plus, même si cela avait provoqué l’inverse… cela respectait la vision faerghienne, et c’était vraiment comme ça que cela fonctionnait en gros et en restant le plus neutre que possible, sauf que…
– Sauf que ce système est mis à bas en cas de roi sans yeux.
Sylvain se tourna vers Thorgil, cette dernière le regardant toujours en souriant, plantant ses yeux dans les siens comme pour lire en lui comme dans un livre. Elle n’avait pas dû apprécier un point de son argumentation ou alors, c’était de nouveau un test sur s’il arrivait à relever son défi. Elle continua sur un ton nonchalant, comme si rien ne pouvait troubler son calme.
– Tout ceci est bien joli mais, regarde donc la situation. Le roi de Faerghus est censé être celui qui assure la justice mais, il a également été injuste en décidant comment se déroulerait ce voyage. Dans votre respect envers une couronne qui coule dans les veines plutôt qu’obtenu par reconnaissance des compétences, un homme seul a pu décider seul d’emmener un grand nombre de personne dans ce voyage qui, tu l’as souligné toi-même, a été préparé dans la précipitation et personne ne l’a arrêté. Une grande partie d’entre nous sait pourtant de première main que des seigneurs de talent travaillent à ses côtés mais, pour la malchance d’être né dans la mauvaise famille et pas dans le bon ordre avec le bon emblème, ils doivent s’abaisser à respecter les décisions d’un roi sans yeux, quelle humiliation… où étaient-ils donc quand Lambert Ludovicosson a décidé d’envoyer autant des vôtres dans une mission aussi dangereuse ?
Sylvain comprit alors où voulait en venir le Kaenn. Plus qu’un défi, elle lui ordonnait de choisir un camp : défendre Lambert malgré le fait que ce soit une cause perdue, ou le critiquer pour ses actions et être contre lui. Que ce sujet de débat ne serve qu’à cela qu’il ne serait même plus étonné à présent.
Le jeune homme sentit le regard de Vigile sur son épaule, le perçant lui aussi, lui rappela son père malgré l’angoisse et l’incertitude qu’il devinait à l’intérieur… Isidore lui dirait surement d’envoyer les srengs à Némésis et de défendre jusqu’au bout le fait que Lambert était indissociable du Royaume et l’unité de leur pays… cependant…
« Je fais ça… c’est fini pour nous… personne ne peut respecter un homme qui envoie ses propres fidèles à la mort par inconscience. »
Sylvain prit donc sa décision :
– Cela est en effet un problème. Bien que son souci de la justice ne soit pas à remettre en question, Lambert Ludovicosson doit être critiquer pour sa vision naïve. Il pense notamment pouvoir toujours arriver à arranger les affaires de tout le monde, ce qui, comme tu en doutes le Kaenn, ne marche pratiquement jamais. Nous pouvons remercier les Dieux que les conseillers qui l’entourent habituellement compensent cette naïveté, même s’il a refusé de les écouter cette fois-ci. Cependant, l’opposition était grande. Les seigneurs clairvoyants que tu évoquais à l’instant se sont tous dressé contre ce projet, ont pesé de toutes leurs forces afin de limiter un maximum les dégâts. Ils auraient laissé le roi faire, il serait sans doute parti sans aucune préparation, même la plus élémentaire comme la mise en place du rationnement des vivres. Nous devons beaucoup au travail exceptionnel des deux Loups Inséparables, la Grande Famille et leurs proches, qui ont réussi l’exploit de limiter les dégâts et à organiser une expédition qui, si elle n’avait pas été attaqué, aurait pu accomplir son but. Et même en dehors des grands, les petits seigneurs ont également tout fait éviter que leurs sujets partent à Duscur, tout comme les roturiers qui ont refusé de s’y rendre.
« Que Lambert et ses idées de merde aillent se faire dévorer par Hati et Sköll. Hors de question d’associer Faerghus à ce roi sans yeux. »
– Alors pourquoi ne pas l’avoir renversé s’il est l’un des nôtres ? Fit remonter l’intermédiaire des rois sans yeux.
– Je sais qu’à des yeux de navigateurs de Midgard, il est incompréhensible que personne n’ait tenté de le renverser. Cependant, le temps pour agir était très court, à peine deux lunes. Malgré le fait que presque tous anticipaient que ce voyage serait un échec, certains jouaient leurs propres cartes en pariant sur cet échec. Une fois que la voie diplomatique aurait échoué, des opportunistes – que la honte des hommes et la honte des dieux ne renierait pas – aurait profité des tensions qui s’accentuaient de jour en jour, pour lancer une offensive contre Duscur afin de leur voler terres, mines et richesses. Ces personnes ont donc fait très attention à devenir proche du roi et à le soutenir et évidemment, son manque de clairvoyance l’a poussé à s’enfoncer dans ces mauvaises décisions. Ses proches les plus intimes étaient contre mais, tant qu’il avait cette certitude entretenue par ces opportunistes, il continuait à s’obstiner dans l’erreur.
– Donc en plus d’être aveugle aux réalités, il a également rejeté les bons conseils que ses propres proches lui ont adressé ? Marmonna un roi à côté de lui.
– Oui, il s’est laissé aveuglé par ce que lui voulait en dépit du bon sens. De plus, j’ajouterais qu’il avait chargé les personnes les plus opposés à ce voyage de tout organiser. Non pas par calcul ou cruauté du roi d’obliger les opposants à préparer eux-mêmes le bateau funéraire de leurs proches mais, juste par confiance envers ces personnes, même si nous sommes d’accord pour dire que c’est une décision assez discutable.
– En effet… gronda encore son voisin. C’est comme forcé quelqu’un à préparer les offrandes funéraires pour toute sa famille, le tout en disant que c’est pour son bien avec un sourire. Quelle humiliation… mais personne ne s’est révolté ?
– Justement. Ils auraient pu partir et abandonner leur poste mais, s’ils le faisaient, cela revenait à trahir le roi et les condamnait tous à mort. Selon la loi, ils n’auraient respecté leur serment d’assistance envers leur seigneur, et il s’agit d’un crime puni de mort. Cela aurait également entrainé des représailles de la part des opportunistes et amené la guerre sur leurs terres, alors que leurs sujets étaient déjà mis plus à contribution qu’à l’ordinaire. Les opportunistes auraient pu en profiter pour leur voler les terres où ils vivaient depuis des générations, jusqu’à même leurs propres enfants.
– On peut voler les enfants de quelqu’un juste parce qu’il n’est pas d’accord avec le roi ?! S’étrangla encore une autre reine. Ce ne sont pourtant pas des criminels !
– Pour vous, oui, c’est normal de tenter d’arracher le pouvoir à quelqu’un qui s’en est montré indigne et irrespectable. Cependant, pour nous où le pouvoir est détenu par une seule famille, celle qui a dirigé la rébellion qui a mené à l’indépendance, qui sont considéré comme des personnes missionnées par Celle qui réécrit le Destin afin d’être roi. Il est donc inenvisageable de tenter de lui ravir la couronne, même si c’est assez contradictoire. Quelqu’un qui tente de se révolter contre la famille royale, même s’il a de bonnes raisons, est un traitre à la nation et donc un criminel. La justice peut donc arracher leurs enfants à leur famille afin qu’elle ne leur enseigne pas la trahison.
– Hum… je comprends. C’est horrible mais, cela se comprend d’un point de vue pragmatique de faerghien…
– Enfin, l’organisation de ce voyage aurait donc échu à ces mêmes opportunistes. Ils auraient alors sans doute saboté le voyage afin que tout se passe mal, quitte à menacer tous ceux y participant, notamment les roturiers dont ils n’ont que peu faire. Ils étaient donc piégés entres plusieurs maux et devaient arbitrer entre tout ceci pour s’en sortir. Ils ont donc choisi de rester auprès du roi et de préparer au mieux ce voyage, afin qu’il soit plus sûr pour les membres du convoi, tout en faisant tout pour tenter de faire changer Lambert Ludovicosson d’avis. Cette position d’organisateur leur permettait d’être près du roi et de tenter de l’influencer. Cela a échoué mais, ils ont tout fait pour lui faire revoir sa position. Le Royaume désapprouvait ce voyage dans sa grande majorité, et il a lutté contre de toutes les forces et avec toutes les ressources à sa disposition. Cependant… il soupira sans cacher sa propre exaspération et désapprobation. Les Ases et les Vanes l’en maudissent, cela n’a pas suffi à ce roi sans yeux pour changer d’avis.
Sylvain ignora le regard de Vigile sur sa nuque. Évidemment, il désapprouvait mais, il était assez intelligent pour savoir que c’était une mauvaise idée de le contredire en public, surtout dans un moment pareil. Au moins, la vérité était dite, et cela montrait clairement sa position.
Lambert était un roi sans yeux et méritait d’être traité comme tel après ce qu’il avait osé faire à son propre Royaume.
Les différents souverains des navigateurs de Midgard s’étaient mis à discuter entre eux pendant plusieurs minutes, installant un petit brouhaha. Sylvain fut de nouveau questionné sur ses opinions et répondit en défendant avec force sa position, faisant tout pour faire comprendre que Faerghus n’était pas un bloc uni derrière le roi, mettant en avant les divisions et toutes les tentatives pour empêcher la catastrophe, ainsi que les efforts pour l’atténuer si le voyage arrivait quand même. Cela dura un peu avant que Thorgil ne reprenne la parole devant tous, le silence s’installant pour l’écouter.
– Alors, il n’y a pas à débattre plus selon moi. Qu’en pensez-vous Otkatla ?
– C’est aussi à l’assemblée de décider. Qui veut passer aux votes ?
Tous les rois clairvoyants et les sans yeux votèrent pour passer au vote. On posa les termes du vote qui fut secret, les assistants distribuant des tablettes de cire avec un stylet. Sylvain nota sans hésité sa propre opinion, accrocha les deux petites plaquettes, puis la mit dans la boite des votes. On mélangea le tout afin de ne pas reconnaitre les votes les uns des autres, puis l’arbitre commença à dépouiller les tablettes.
Sylvain se retrouva à serrer comme pas possible son porte-bonheur, espérant qu’il soit arrivé à les faire changer d’avis, ou au moins à leur tirer de la tête l’idée que tout le monde était uni derrière Lambert, regardant nerveusement les deux piles des votes s’élever en même temps.
Puis après plusieurs minutes et deux recomptages, Otkatla la Modérée déclara solennellement, au grand soulagement des faerghiens.
– L’assemblée s’est donc exprimée. Sur trente-neuf voix, dix-neuf sont pour que le cas du roi Lambert Ludovicosson soit traité séparément de celui du Royaume en général. Quatre se sont abstenus. Seize sont pour que nous traitions les deux en même temps. Le cours de l’assemblée sera donc le suivant, nous traiterons donc de la marche à suivre avec le roi Lambert Ludovicosson, puis de la considération que nous accorderons à Faerghus en général…
– Un instant !
Une reine leva sa hache avant de donner un coup sur sa table avec son manche, réclamant la parole. Elle grimpa alors dessus en déclarant.
– L’assemblée a tranché mais, la majorité n’a été franchi que par une voie, et quatre d’entre nous se sont abstenus. Avec leurs voies, ils auraient pu faire pencher le vote de l’autre côté. Il est donc dans mon droit de défier celui qui porte le plus la proposition en duel, afin de voir si ses épaules sont assez solides pour porter un choix aussi important ! Alors, Sylvain le Métis, bats-toi pour prouver ta valeur !
Sylvain n’eut pas vraiment le choix, refuser serait perçu comme abandon de sa part, ce qui entrainerait un autre vote et là, il était sûr de perdre la majorité. Il empoigna sa propre lance, monta aussi sur la table de pierre et répondit.
– J’accepte de relever ton défi !
Ils sautèrent alors tous les deux au centre des tables, se défiant du regard, alors qu’Otkatla ne disait rien, approuvant silencieusement. La reine, Kria la Fougueuse, prit une seconde pour le jauger, avant de commencer les hostilités avec ses mots.
– Un Gautier hein… pour un fils de dévoreur de cadavres, tu utilises bien ta langue. Essaye de ne pas la souiller, c’est celle du Bavard que vous avez dévoré, vous et votre emblème monstrueux.
Elle s’élança alors, donnant le premier coup que Sylvain esquiva en rétorquant.
– Quand on a une telle abomination dans la famille, il est bien normal de vouloir s’en éloigner. Je n’ai pas envie de ressembler à quelqu’un qui dévore les autres pour devenir plus fort ! Pour défendre mon peuple, je peux agir moi-même !
Il se demanda à lui-même où il avait trouvé une telle confiance en ses propres capacités… c’était surement parce que tout ce qu’il avait fait ces derniers jours, toutes les négociations faites avec les srengs, il les avait faites sans que ce soit son emblème ne soit rentré dans l’équation. C’était une des rares fois de sa vie que Miklan n’était pas derrière lui pour dire que tout ce qu’il accomplissait, c’était grâce à son emblème, ou son père qui lui disait que ce n’était jamais assez bien pour un Gautier. Non, ici, être un Gautier à emblème était un désavantage et malgré tout, il s’en sortait. Sa mère l’encourageait toujours, et il arrivait même à impressionner Vigile… c’était peut-être pour ça.
– Comme c’est adorable, tu peux te débrouiller tout seul comme un grand avec ton sang et ta lignée maudite. Même si on peut se demander ce que tu es le Métis. Tu affirmes être des faerghiens mais… elle lança sa hache sur lui, Sylvain la parant avant qu’elle ne le touche. Mais d’un autre côté, tu sembles penser de notre manière. Quel fodlan ne suivrait pas son chef aveuglément ? Il n’y a que ceux qui commercent tout le temps qui réfléchissent plus à ça mais, c’est parce qu’ils ont plusieurs chefs !
– Sauf que pour nous, on les hérite selon ce que les Nornir ont filé sous la houlette de Sothis, aussi aléatoire et injuste soit-il. On les élirait, on ne serait pas assez idiots pour choisir des rois sans yeux, contrairement à certains, tacla-t-il à son tour, sachant que le coup des fodlans qui suivaient leur chef comme des moutons leur berger était une provocation. En quatre cents ans, jamais personne n’a encore réussi à les faire tomber de leur trône étant donné que tout le monde accepte que c’est le roi. Le seul qui est tombé de son trône, c’est quand son propre fils l’a renversé. Nous ne sommes pas du genre à renverser nos rois mais, notre royaume est toujours resté entier, la tête haute jusqu’à présent, et les navigateurs de Midgard sont bien placé pour le savoir !
Il la fit reculer d’un coup de lance qui failli la toucher en plein ventre. Même avec une lame en bois, cela aurait fait très mal mais bon, aucun des deux n’étaient là pour laisser une chance à l’adversaire.
– Et pour ta première attaque, je suis les deux. J’ai grandi à Faerghus avec des amis faerghien, mais aussi avec ma mère qui m’a élevé comme un sreng. Je pense donc un peu comme les deux.
– Donc, tu trahis les deux, tu ne peux pas satisfaire les deux côtés en défendant à la fois ton roi et ton peuple ! Soit l’un est l’autre ne sont qu’un et sont donc méprisable, soit l’un est séparé de l’autre avec un roi sans yeux et un peuple à terre !
Cette fois, elle arriva à lui assener un gros coup en plein dans les côtes. Ça faisait mal ! Mais il serra les dents. Sylvain devait gagner ce duel ! Il le fallait ! Il profita alors de sa proximité et de sa plus grande taille pour frapper violemment son front contre le sien, la sonnant un peu alors que lui était habitué à ce recevoir des coups en pleine tête.
– C’est pour ça que j’ai choisi de défendre le plus important ! Le peuple tout entier de Faerghus est plus important que sauver un roi des conséquences de ses actes !
Il profita de sa désorientation pour lui donner un grand coup avec le talon de sa lance en plein ventre, la faisant vaciller. Kria se rattrapa in extremis avec le « fer » de sa hache, ne tombant pas au sol comme il aurait préféré que cela se fasse, signant sa victoire sur son adversaire. Cependant, au lieu d’attaquer à nouveau, elle se redressa, tapa son arme et le regarda dans ses yeux. Sylvain se tendit, l’angoisse nouant ses tripes, craignant d’avoir perdu le duel avec une mauvaise rhétorique. Non ! Surtout pas !
Cependant, la reine Kria hocha la tête en déclarant simplement.
– J’ai eu ma réponse, ce duel est donc terminé. Merci pour cet affrontement Sylvain le Renard.
Et elle repartit à sa place aussi simplement qu’elle l’avait défié, une fois qu’ils se furent tous les deux saluer.
Comme le voulait les règles du thing, on refit un vote pour voir si les opinions avaient changé à cause du duel.
Sylvain ne put que pousser un long soupir de soulagement, quand Otkatla annonça qu’il y avait à présent vingt-huit personnes pour traiter le cas de Lambert séparément de celui de Faerghus.
De son côté, Thorgil souriait toujours, songeant simplement en continuant les débats, alors que le nouveau surnom de son neveu s’imposait à la place du précédent.
« Le Renard… ça lui va mieux… et dans le bon gélinier si on se débrouille bien. »
*
Avec les jours, Rodrigue avait pris l’habitude de continuer à travailler debout devant la porte. Cela faisait du bien à son dos de se lever un peu, il avançait tout aussi vite en lisant des rapports dans l’entrebâillement de la porte, notant le brouillon de ses ordres sur une tablette dure, et surtout, il pouvait voir arriver plus vite le messager, attendant avec impatience les missives de sa famille. Celui qui s’occupait du courrier avait même pris l’habitude de venir le voir en premier, en brandissant les lettres de Félix et d’Alix. Sa somme de travail ne faisait que grandir mais, ces nouvelles étaient comme une bouffée d’air frais… même la magie accumulée en lui semblait moins douloureuse après les avoir lu… même si les nouvelles n’étaient pas souvent bonnes, cela lui faisait tellement bien de juste les sentir plus proche.
L’homme écrivait son brouillon de réponse à une requête du domaine royale, quand le messager en annonçant.
« Courrier Vôtre Grâce ! Et c’est la grande arrivée, on a une lettre de votre fils et une personnelle de votre frère en plus de sa missive officielle !
– Ah ! Merci beaucoup, sourit-il en récupérant son courrier.
– Et les missives barbantes en plus, ajouta-t-il en lui tendant un gros paquet de lettres cachetées de manière officielle. En tout cas, ça fait plaisir de vous voir sourire comme ça. Vous n’étiez pas très en forme ces derniers temps mais, depuis quelques jours, ça a l’air d’aller mieux.
– C’est que j’ai à nouveau des nouvelles de mon fils. Il ne m’avait rien envoyé au départ mais, il m’en envoie à chaque courrier à présent alors, ça me rassure.
– Aaahhh… je comprends, on est pareil, mais c’est mes parents qui sont restés au village pendant que je tentais ma chance à la capitale. Ils ont du mal à tenir une plume mais, ils font toujours un effort pour m’écrire dès qu’ils peuvent. C’est compliqué en ce moment avec la vie qui est de plus en plus cher mais, ils m’ont envoyé une lettre gravée sur du bois ! ça fait toujours du bien d’avoir des nouvelles des gens qu’on aime !
– Je ne peux pas être plus d’accord avec vous, confirma-t-il avant de lui souhaiter. Bon courage pour la suite de votre tournée.
– Merci, et que la Déesse vous garde !
Rodrigue profita de l’arrivée de son propre courrier pour prendre sa pause de ces derniers jours, afin de lire les dernières nouvelles de sa famille. Il ne s’arrêtait jamais à part pour les missives de sa famille, cela ne le ralentirait pas trop.
Il était tellement heureux de leur arrivée qu’il ne remarqua pas le regard de Rufus braqué sur lui, froid et mécontent. Il préférait quand Rodrigue était sur le point de s’effondrer, l’épuisement qui le gagnait petit à petit l’handicapait pour faire son travail et il aurait bientôt pu le chasser, même si c’était savoureux de le voir galérer. Mais quelques lettres de son fiston et boom, le voilà repartit avec de l’énergie à revendre ! Même assez pour perdre son temps à discuter avec les domestiques ! Lambert aussi le voyait, alors qu’il n’avait pas retrouver la moitié de ses sens car, cette maudite lance semblait rechigner à le soigner. C’était d’un énervant ! Il voyait presque Ludovic vanté sa résistance, tout en étant trop compréhensif avec le fils de Guillaume et Aliénor, parce que c’était le fils de Guillaume et Aliénor, tout en étant dur à en crever avec ses propres enfants.
« Tout ça à cause des lettres de son gamin et de l’autre enragé… »
L’homme n’eut pas à y réfléchir deux fois avant de savoir ce qu’il devait faire pour le voir ramper à nouveau.
Il se rendit dans la pèce où était centralisé le courrier, et ordonna qu’on lui amène le chef des courriers et messages. Une femme d’âge moyen arriva, dame… Messagère Lettre Courrier, il savait juste qu’elle était de la toute petite noblesse venant de Charon, car tous les agents de l’administration venaient de Charon, et se fichait un peu du tier comme du quart de son nom. Au moins, elle semblait docile et faire ce qu’on lui ordonnait.
« A partir de demain, ce ne sera plus le même agent qui fera le tour de distribution dans le palais. Je l’ai pris à discuter avec des membres de l’administration et leur faire perdre du temps. À la place, mettez la personne la plus froide de tout le service. Je ne veux pas que qui que ce soit discuter pendant le travail.
– … bien, je comprends. Il en sera fait selon votre volonté Votre Altesse, se soumit-elle sans trop hésité.
– Vous êtes maligne. De plus, j’ai remarqué qu’un de nos suppléants, le duc de Fraldarius, recevait beaucoup trop de courrier personnel et que cela le distrayait. À présent, toutes les lettres personnelles qu’il reçoit ou qu’il envoie doivent m’être transmises avant toute chose, et ce sera à moi de décider s’il les reçoit ou non.
– Vraiment ? Si je puis me permettre, cela vous fera du travail supplémentaire, et le seigneur Rodrigue semble toujours si…
– Discutez et je vous fais couper la tête, est-ce que je suis clair ? De même, ce n’est pas dans votre intérêt de parler à qui que ce soit de cet ordre. Je ne vous ai rien dit, et que je ne vous prenne pas à lui donner les lettres en douce. Autant pour vous que pour les personnes de ce service. Vous devez tous avoir une famille à nourrir après tout… est-ce que je me suis bien fait comprendre ?
Elle hocha la tête, pale comme un linge, bien obéissante, comme tout serviteur devrait l’être. Ce n’était pas si grave en plus, quelques lettres et nouvelles en moins. S’il était aussi résistant que le vantait Ludovic, Rodrigue devrait bien tenir sinon, c’est que son père se trompait vraiment sur toute la ligne.
Quand on lui apporta en avance la lettre du fifils à son papa, Rufus ne put s’empêcher d’aller hanter le côté du château où était l’étude du chouchou de son père, à chaque fois qu’il en recevait une d’Alix ou de Félix d’ailleurs. Il ne put s’empêcher de se délecter de voir la figure de Rodrigue se décomposer petit à petit, demandant – non, mieux, suppliant – pour savoir si une lettre personnelle de sa précieuse famille chérie était arrivée pour lui. Mais comme il l’avait demandé, le nouveau messager était une vraie porte de prison, il ne disait jamais un mot de plus qui n’était pas nécessaire à son travail avant de partir.
Rufus s’en allait à chaque fois avec un grand sourire, requinquer de le voir enfin ne PAS s’en tirer aussi bien que Ludovic le disait toujours.
« Alors père ? Tu en penses quoi ? Il ne tiendra pas plus de deux jours sans nouvelles ! »
*
Comme toujours, Félix alla attendre le messager dans la cour des Charon avec Théo, ainsi que Cassandra avant qu’elle ne parte en patrouille.
Comme toujours, il leur apporta des nouvelles officielles, la sempiternelle lettre de Lambert et celle de Rufus pour Dimitri, des notes de l’administrations centrales, des ordres… mais le messager n’avait rien pour Félix.
« Vous êtes sûr ? Demanda-t-il tout de même.
– Oui, désolé, j’ai rien du tout pour vous… marmonna-t-il en montrant sa sacoche vide. La venue du Grand-Duc Oswald von Riegan se rapproche, c’est peut-être pour ça ?
– Surement, il doit être très occupé à cause des chiens idiots. Il ne sait pas leur dire non, marmonna-t-il en tendant tout de même sa lettre pour Rodrigue, cachant autant qu’il pouvait à quel point il était déçu de ne pas avoir de nouvelle de son père. Ce n’est pas son genre… il écrit tout le temps… même quand je ne donnais pas de nouvelles, il m’écrivait… c’est juste la surcharge de travail, se persuada-t-il tout seul. C’est juste la surcharge de travail car, c’est un crétin qui préfère se tuer à la tâche plutôt que de retourner à la maison… c’est ça… c’est juste que son travail est plus important que moi, c’est tout… »
Il était le premier à ne pas y croire.
*
Alix tomba des nues quand le messager lui annonça qu’il n’y avait pas de lettre personnelle de Rodrigue, juste des missives officielles qui, aux vues du nombre, devait avoir été écrite avec son propre sang tellement on le faisait travailler jusqu’à l’épuisement.
« C’est vrai ce mensonge ? On s’écrit tout le temps avec mon frère, on ne se laisse jamais sans nouvelle, même quand on est débordé ! Gronda-t-il sans y croire.
– Je vous jure que je n’ai jamais eu la moindre lettre personnelle du seigneur Rodrigue pour vous, lui assura le messager. Tout le monde est vraiment surchargé de travail à la capitale, il n’a peut-être pas eu le temps ?
– Bien sûr… quand les poules auront des dents… »
Le second jumeau lui confia tout de même sa lettre au messager, sentant que quelque chose clochait dans cette absence de courrier. Il verrait prochain coup. Une fois, ça peut arriver mais deux fois, jamais. Après, il commencerait à plus secouer tout ça, en espérant que le grand-duc ne prendrait pas trop de temps chez eux pour qu’il puisse agir tranquillement.
*
Après un second passage du messager sans nouvelle, Félix commença à soupçonner que quelque chose clochait. Une fois, d’accord mais, que son père ne lui donne pas de nouvelles une deuxième fois, ce n’était pas possible !
« Pourquoi tu ne m’écris pas ? C’est pas comme toi ! Pourquoi tu ne me dis rien papa ?! » S’énerva-t-il en écrivant à Sylvain, lui racontant ce qui se passait pour grogner avec quelqu’un qu’il connaissait depuis toujours et avoir son avis, il avait toujours été de bons conseils, même si sa réponse arriverait tard.
Il se mentit encore à lui-même en se disant que le travail était sans doute plus important que lui aux yeux de Rodrigue, qu’importe si ce mensonge lui faisait encore plus mal que de seulement s’inquiéter.
*
Lambert était encore dans le flou, peu conscient des choses autour de lui. Il sentait qu’Areadbhar le guérissait mais, c’était très lent, plus que pour Dimitri mais, ça lui allait… c’était bien mieux si la Relique avait tout donné pour sauver son petit, même si cela en faisait bien moins pour lui… Déesse, il se rendait compte maintenant qu’il n’aurait jamais dû l’emmener ! À cause de lui, son fils était… enfin, c’était trop tard pour regretter. L’homme à la peau noir couvert de glace et son regard fatigué dans ses rêves suffisait à lui faire comprendre qu’il avait vraiment merdé… c’était encore plus efficace que les regards et les mots désapprobateurs de Ludovic… … … son père devait avoir honte de lui de là où il était… c’était surement mieux s’il n’était pas en état de reprendre le travail avant un moment, histoire de ne pas encore plus tout ruiné…
Dans ses quelques moments de conscience, le blessé aimait beaucoup que Rufus, Gustave ou Rodrigue soit à ses côtés. Il demandait surtout son ami d’enfance de venir, se sentant mieux et mieux conseiller à ses côtés, quand il tentait de rassembler les fragments de son esprit pour prendre une décision. C’était apaisant d’être avec lui… même si c’était étrange… sa voix semblait moins assurée ces derniers temps, plus fragile… enfin, il niait qu’il avait un problème et Rufus et Gustave juraient aussi que tout allait bien alors, c’était surement sa tête qui lui jouait des tours.
Souvent, Lambert lui demandait de lire les lettres de Dimitri, voyant encore trop mal pour le faire lui-même et pouvant à peine les tenir dans ses mains. La Déesse soit louée, il allait mieux de jour en jour et se rétablissait… la Déesse soit louée, la Déesse soit louée…
Il crut entendre un reniflement… comme une sorte de sanglot…
« Rodrigue ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu vas bien ? Le questionna-t-il, un peu inquiet.
– … oui, ne t’en fais pas… j’ai… j’ai juste le nez un peu bouché…
Heureusement pour lui, le mensonge passa sans trop de souci, Lambert ne pouvant pas remarquer grand-chose dans son état. Rodrigue tenta de se reprendre… ça ne servait à rien, et il n’avait pas envie d’en plus subir un savon de Gustave qui lui reprochait d’inquiéter le roi avec cette histoire de lettres… il recevait les lettres officielles de ces régions alors, c’était juste qu’il n’avait rien à lui dire… il devait juste tenir… mais c’était si dur en lisant les nouvelles de Dimitri à Lambert… pour Lambert… alors que lui-même…
« Ça ne sert à rien… ça ne sert à rien de l’envier… je dois me contrôler… s’ordonna-t-il en reprenant sa lecture comme si de rien n’était. Ce n’est pas le moment de craquer… aucun des deux ne me louperait si je faisais la moindre chose qui troublait Lambert… du calme… tout ce que je peux faire, c’est attendre… »
Rodrigue crut bien craquer quand Lambert sourit de joie, en apprenant que son fils s’était presque débarrassé de tous les résidus de fumée dans ses poumons, à quel point il était heureux en l’apprenant. Dans une situation normale, Rodrigue l’aurait été aussi mais, il en était incapable… pas quand son cœur réclamait à cor et à cri des nouvelles de sa propre famille.
Il se laissa tomber dans son lit après tout ceci, se laissant entrainer dans un sommeil noir comme les profondeurs. Dans ses rêves, malgré les chaines autour de ses jambes et ses mains, son esprit arrivait toujours à s’échapper de son corps pour tous les voir… tous ceux qui manquaient tant à son cœur…
Ô Lune, grande lune si belle qui m’écoute toujours chaque nuit,
Ce soir, malgré les ronces qui m’étranglent et toujours me lacèrent,
Je te hurle mon désespoir, je te hurle ma rage, je te hurle ma prière,
Ô Lune, entend mon sort hurlé au fond de cette prison de suie !
Même si je suis prisonnier, je m’évaderais !
Même si je ne suis plus que mon désespoir, je m’en servirais !
Même couvert de chaines, jusqu’à la dernière je les lacérerais !
Ô lune ! Au pire des maléfices je me sacrifierais !
Que les dieux qui m’abandonnent me haïssent aujourd’hui,
Car moi la pauvre créature enfermée sort ses crocs acérés,
Même si devenir une bête est le pire des sorts à redouter,
Je suis prêt à en être une pour sortir de cette prison honnie !
*
« Vous êtes sûr qu’il n’y a rien pour moi ? Alix et Félix devraient pourtant m’avoir écrit… »
Rufus étouffa un rire en voyant Rodrigue cherchant pathétiquement à obtenir quoi que ce soit de la tombe qui servait de messager, tout en se retrouvant face à un mur à nouveau. Il était tellement misérable, ça en devenait comique !
Une fois le spectacle de la décomposition du chouchou de son père fini, le régent retourna dans ses appartements avec un bon repas, puis se mit à décacheter les lettres qu’il avait récupéré, riant des questions des trois Fraldarius qui se demandaient mutuellement pourquoi les uns les autres n’envoyaient plus de nouvelles. Ils étaient tellement tous pareils que ça en était drôle de les voir paniquer comme des chats coincés sur une branche !
Il les referma à la va-vite avant de les enfermer dans sa cassette personnelle, observant victorieusement le testament de son père également caché à l’intérieur, sous la pile de lettre. Ludovic n’avait jamais été aussi à côté de la plaque qu’en ce moment.
Rufus adorerait voir le visage de son père enfin se défiger pour se décomposer en voyant tout ceci.
*
Alix était sur le point d’exploser. Rufus avait le culot d’envoyer plusieurs de ses hommes chez lui directement, en armes, le tout pour lui réclamer d’ouvrir ses réserves loogiennes pour la capitale. Ils avaient même brutalisé plusieurs de ses hommes tellement ils se croyaient tout permis ! Non seulement, on le privait de nouvelles de son frère mais, il fallait en plus qu’Alix affame lui-même leur propre peuple ?! Et pourquoi pas se pendre pour le faire rire pendant qu’on y était ?! Histoire que Rufus ressemble encore plus à Clovis vu que c’était son objectif apparemment !
C’était surement très mal calculé de sa part mais, le plus jeune jumeau alla récupérer Moralta et Aegis, les mis à son bras et à sa hanche, rempli son carquois et bandit son arc et attendit de pied ferme ces voleurs devant les portes de la grande réserve, soigneusement entretenue par ses soins et ceux de son frère afin de toujours pouvoir nourrir son fief.
Quand les agents de ce diable de Rufus arrivèrent, Alix n’hésita pas une seconde à les mettre en joue de ses flèches, grondant après eux.
« Personne ne nous prendra notre nourriture. Par la loi écrite par le roi Loog le Lion lui-même, cette réserve est inaliénable sauf par la volonté de son seigneur. Même le roi n’a aucun droit de me forcer à vous donner quoi que ce soit qui se trouve à l’intérieur. Que Rufus veuille être le nouveau Clovis, c’est votre souci. Moi, je refuse d’être comme lui et de laisser mon peuple crevé ! Je suis leur seigneur, pas leur bourreau ! Je suis fils de Guillaume le Loup, bras droit du roi Ludovic le Prudent, descendant de Kyphon Daguet, compagnon et conseiller de Loog le Lion, fils de Fraldarius l’Épéiste de l’Onde de par mon emblème ! Je suis le deuxième duc de Fraldarius après mon frère ! Mon devoir va envers le roi mais aussi et surtout envers mon peuple ! J’ai juré à tous mes ancêtres de protéger nos terres et notre peuple ! Même face au roi s’il le faut ! Jamais je ne romprais mon serment ! »
Les soldats reculèrent, effrayés par ses crocs, encore plus quand les habitants d’Egua commencèrent à leur jeter des pierres et des briques sur eux pour les faire déguerpir. Que l’un d’entre eux tente quoi que ce soit, il recevrait une flèche en conséquence. Félix n’était plus à Fhirdiad, et cela lui ferait une excuse pour aller arracher son frère de là-bas par la force s’il le fallait ! Il sentait presque à quel point ils l’usaient volontairement jusqu’à l’os ! Il savait que Rodrigue était malade ! Alix n’avait pas de nouvelles écrites mais, leur lien demeurait toujours et il lui hurlait d’aller le retrouver ! Son frère avait besoin de lui ! Il devait aller le chercher ! Le retrouver ! Rodrigue ! Rendez-lui son frère !
Rodrigue se leva d’un coup de sa chaise alors que Gustave travaillait avec eux sur la venue du grand-duc Riegan, retardée d’une semaine à cause d’une tempête, attrapant son crâne. Alix ! Alix avait encore plus de problème que d’habitude ! Quelque chose n’allait vraiment pas ! Il le savait ! Qu’est-ce qui arrivait à son frère ?! Il avait vu des hommes en armes partirent pour plusieurs fiefs sur ordre de Rufus sans les consulter, est-ce qu’ils s’étaient rendus chez eux ?! Est-ce qu’il menaçait Alix ?! Cela faisait des semaines qu’il n’avait plus de nouvelles de lui ! Il n’en pouvait plus ! L’ainé des jumeaux devait savoir ! Alix !
« Rodrigue ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Lui demanda Tècle, en se levant à son tour pour le soutenir, l’homme étant vacillant sur ses jambes ces derniers jours.
– C’est Alix… il a des problèmes… c’est plus grave que d’habitude… il faut… il faut que j’aille voir ce qui se passe…
– Vous n’y pensez pas ? C’est à près d’une semaine aller-retour de la capitale, cela nous ferait perdre plus de temps qu’autre chose à quelques jours de l’arrivée du grand-duc Riegan, » lui rappela Gustave d’un ton laconique et Déesse, qu’il se taise ! Lui, il avait la chance de recevoir du courrier de sa femme, de sa fille et de son frère mais, il les laissait pourrir sur son bureau sans les lire ou prendre le temps d’y répondre une fois tous les trente-six du mois ! Lui voulait juste une nouvelle de son fils et aller aider son frère ! C’était tout ! « Ce n’est pas raisonnable de…
– Assez ! Je n’en peux plus ! Je ne sais pas comment va mon frère et mon fils ! Ça fait des semaines que je n’ai plus de nouvelles ! Je veux voir mon frère ! Alix me manque ! Et je veux voir mon fils ! Vous avez osé me prendre Félix sans état d’âme ! Vous m’avez volé mon fils ! Vous m’avez volé mes deux fils ! Vous m’avez volé ma famille ! Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un individu aussi vil que vous ou Rufus ! À votre différence, je tiens à autre chose que mon travail !
Rodrigue sentait sa magie s’agiter dans ses veines, s’échapper un peu tellement il était épuisé et inquiet. Il sentait qu’Alix s’en était tiré de loin mais, ça ne suffisait pas… il voulait son frère ! Il voulait son fils ! Il voulait sa famille ! Il voulait sa meute ! C’était si difficile à comprendre ?!
Gustave ravala visiblement assez vite la couleuvre, même s’il haussa la voix et il verrait plus nettement, il verrait sans doute que le capitaine de la garde avait les sourcils froncés, comme face à un enfant capricieux.
– Rodrigue, retrouvez vos sens. N’agissez pas comme votre p…
– Gustave, il a raison. Pour l’amour de la Déesse, fermez-là.
Lachésis prit les choses en main, jetant un regard noir au chef de la garde. Ce n’était pas lui qui lui donnerait des ordres. Toutou du régent ou pas, ce n’était que le deuxième fils d’une famille de baron, descendant peut-être de la Danseuse des Forêts mais, bien petite face au grand clan Charon et à la belle-famille du roi. Rodrigue n’était clairement pas en état de juste se lever, il avait déjà de la chance qu’il arrive encore à penser correctement alors, elle n’allait pas lui jeter la pierre de juste craquer, surtout s’il sentait que son frère allait mal. Le chef de la garde tenta de rétorquer, visiblement mécontent qu’elle ne soit pas de son côté.
– Lachésis, nous ne pouvons pas le laisser dire des choses pareilles. Nous sommes même en retard sur ce que nous avons prévu pour la bonne date, et le retard de l’arrivée du duc nous force à…
– Si vous voulez que nous soyons à l’heure, convainquez Rufus de nous donner plus de bras et moins de travail en même temps. Vous êtes son petit épagneul, il sera peut-être plus généreux avec ceux qui remuent la queue devant ses idées dangereuses pour le pays. De plus, aucun de nous trois n’a d’ordre à recevoir de votre part, me suis-je bien fait comprendre ?
– … bien sûr, accepta-t-il, très clairement à contrecœur mais, ce n’était pas le plus important pour le moment.
– Bien. Rendez-vous plutôt utile et faites quérir Estelle Duchesne et Bernard Parjean pour qu’ils le raccompagnent dans sa chambre, il a très clairement besoin de repos. Allez les chercher vous-mêmes tient, ça ira plus vite et on pourra vite reprendre le travail, ordonna-t-elle, alors que Thècle était arrivée à convaincre Rodrigue de se rasseoir.
Heureusement, Gustave déguerpit en vitesse pour aller chercher les deux compagnons de Rodrigue. Tant mieux, il ne leur courrait pas après sur le fait qu’il perdait du temps qu’il pourrait consacrer au travail, car Déesse, seul le travail semblait compter pour lui ! Elle plaignait de tout cœur son épouse et sa fille pour tout ça… même le roi Ludovic l’appréciait très peu pour cela à cause de ça… enfin, ce n’était pas le plus urgent.
Lachésis demanda à sa sœur, alors qu’elle arrivait à faire respirer un peu Rodrigue.
– Il nous en reste tu penses ?
– Je crois, je l’ai planqué dans le livre au cas où, celui de la quatrième étagère.
La sœur ainée alla récupérer la cachette dont lui avait parlé sa sœur, un livre de jurisprudence trop ancien pour être utile. Elles avaient coupé le gros du centre des pages, puis l’avaient alourdi avec un peu de plomb pour dissimuler le stratagème. Heureusement pour elles, les deux sœurs gardaient toujours une grosse réserve de thé alors, il leur restait encore même après le début des restrictions. Ce serait très hypocrite de leur part, ainsi que contre leurs valeurs et leurs serments de magistrates de se fournir au marché noir alors, elles en économisaient chaque feuille précieusement pour les moments les plus durs, ou comme celui-ci.
Elle fit chauffer leur eau dans sa tasse grâce à sa magie de feu, puis fit infuser le mélange de gingembre à l’intérieur, avant de le tendre à Rodrigue. Il l’accepta d’une main tremblante, visiblement remis de sa crise mais toujours confus, murmurant.
– Merci beaucoup… je suis vraiment désolé pour vous avoir offert un tel spectacle… c’est indigne de la situation.
– Franchement, on a tous craqué ici, vous devez êtes dans les derniers à ne pas avoir piqué une crise alors, ne vous en faites pas pour nous, lui assura Thècle. En plus, on a l’habitude, on a aussi de vrais jumeaux dont l’un est magicien dans la famille alors, ça renforce le lien entre eux au point qu’ils savent ce qui arrive à l’autre même de loin, on est habitué.
– Oui… j’imagine, même si cela n’excuse pas mon comportement… c’est juste… entre les hommes en armes qui sont partis il y a quelques jours, la crise de colère et d’angoisse d’Alix et le manque de nouvelles de toute ma famille, je… ce n’est pas normal… leurs lettres arrivent pourtant… on s’écrit tout le temps d’habitude…
– On comprend, c’est très stressant tout ça… Hum… et si on lui demandait aussi de nous envoyer des nouvelles ? Vous avez surement un code entre vous ? On pourrait demander à Alix de nous envoyer un double de ses lettres afin de voir ce qui pose problème, au moins pour un temps.
– Oui… c’est une bonne idée… excusez-moi de vous entrainer là-dedans.
– Ce n’est rien. Et surtout, il faut que vous vous reposiez un peu, ce n’est pas normal que vous échappiez vos éclairs comme ça, surtout que votre peau est de plus en plus fendillée, ça gagne même vos mains… fit observer Thècle, voyant les plaies légèrement électriques sur ses phalanges.
– Je suis allé voir Cornélia et le médecin du palais ce matin, elles m’ont dit que ce n’est pas encore très grave et qu’elles n’avaient pas assez de potions pour pouvoir se permettre de les utiliser pour des cas comme le mien.
– Bon… ce sont elles les femmes de médecine mais, on a des doutes. Enfin, nous deux, on est là jusqu’à après-demain matin alors, restez au lit demain, histoire de vous reposer un peu, ce ne sera vraiment pas du luxe. La journée normale de travail est presque terminée aujourd’hui, vous pouvez bien vous poser une seconde… »
L’homme était trop fatigué pour refuser. Heureusement, Estelle et Bernard arrivèrent assez vite, le ramenant dans sa chambre pour qu’il puisse dormir un peu, après avoir pris son repas autrement que sur le pouce. C’était évident qu’il avait perdu trop de poids en trop peu de temps. C’était normal de maigrir à cause des rations assez légères mais, pas à ce point. Évidemment, Rodrigue ne disait rien mais, il semblait avoir des difficultés à manger, voir à garder la nourriture qu’il ingurgitait. Que ce soit en lien avec sa magie en surcharge que cela ne les étonneraient même pas…
Bref, les deux sœurs firent bien comprendre à Gustave de ne pas aller déranger Rodrigue, sauf extrême nécessité. Il accepta en grognant.
« Nous avons besoin de ses compétences.
– Elles auront disparu dans le néant si vous le tuer à la tâche alors, dans son intérêt et dans le vôtre, laissez-le se reposer. Sinon, on vous laissera expliquer à son fils que vous avez tué son père, et son frère jumeau à Alix s’il ne perd pas la raison en le perdant. »
Il ne dit plus rien. Cela ne durerait que quand elles étaient là, Rufus surveillant moins leur moindre instant de faiblesse mais, cela ferait toujours une journée de répit…
*
« Fort Egua en vue !
– Et bien enfin ! On a juste une semaine de retard !
Ivy grommela en manœuvrant son navire dans le lac, esquivant les duos de pêcheurs tirant leurs filets sur leurs tout petits navires en forme de coquille de noix. Entre les pseudo-pirates et une tempête qui les avaient forcés à rester plus longtemps à la frontière entre l’Alliance et le Royaume, les voilà à arriver à Fort Egua en trois semaines plutôt qu’en deux. Bon, c’était pas tant le retard qui la gênait, on la paierait en conséquence et tous les frais étaient à la charge du grand-duc mais, ça faisait plus de temps sans avoir des nouvelles directes mais juste des rumeurs de ports, et c’était pas joli-joli… enfin, elle ferait son propre avis une fois qu’elle aurait vu Alix.
Son équipage amarra leur navire peu de temps après que la cathédrale de la ville ait sonné midi alors, elle allait conduire le grand-duc Oswald à la forteresse après avoir mangé sur le pont, quand ce dernier l’arrêta, mettant une cape simple.
« Marchons tranquillement, c’est toujours intéressant d’écouter ce qui se dit en ville.
Bon, elle ne pouvait pas trop dire non mais, elle grommela quand même, devant admettre qu’il n’avait pas tort.
– Je vous le facture aussi, et je me garde le prix si je dois vous tirer d’un bourbier car on vous a reconnu.
– Évidemment capitaine, cela ne m’étonne pas de vous. Enfin, le temps qu’on sera en ville, appelez-moi Oswald et disons que vous avez accepté à bord car, nous allions dans le même sens étant donné que je vais voir mon petit-fils à Fhirdiad. Ce sera plus discret et ce serait étrange que vous ayez un supérieur, surtout qu’on vous connait dans le coin.
Ivy accepta d’un hochement de tête devant le comportement étrange de son seigneur alors qu’ils commençaient à se mêler à la foule. Au bout de trois semaines avec lui sur le dos toute la journée, elle était habituée à sa bizarrerie.
En tout cas, elle pouvait tirer son chapeau à Alix, tout semblait normal en ville, même si beaucoup de monde portait du noir ou des signes de deuil. Les gens semblaient arriver à trouver de la nourriture, les rationnements qu’elle pouvait apercevoir ne semblaient pas trop maigre, et aucune odeur de maladie ne flottait dans la ville. En règle générale, la maladie accompagnait toujours les périodes de disette, surtout dans un endroit aussi humide alors, c’était un tour de force de garder sa ville aussi saine et calme pendant des périodes aussi instables…
Enfin, saine, c’était déjà pas mal. Mais calme, on était loin du compte.
Tout le monde semblait tendu et à cran, c’était palpable dans l’air. Les discussions de midi semblaient vives, tendues, et les gens semblaient de mauvaise humeur. Quand ils arrivèrent vers une des plus grosses auberges de la ville, Oswald fit un signe de tête vers elle, avant de s’avancer dans sa direction, allant à une grande table en demandant, comme s’il avait fait ça des milliers de fois.
« On peut ?
– Bien sûr grand-père, fais comme chez toi, accepta un homme en train de grignoter son pain. Je ne vous ai jamais vu ici, z’êtes de passage ?
– Merci beaucoup et oui, j’arrive de Derdriu. Je vais rendre visite à mon petit-fils qui vit à Fhirdiad, je m’inquiète pour lui. Capitaine ! Par ici !
– On a un des meilleurs grands-ducs du monde mais, aussi l’un des pires. Faut toujours lui courir après… tant mieux Oswald, on arrive !
– Tient mais, c’est pas le capitaine Drake ? La reconnut l’homme. Vous êtes de retour à Egua pour les affaires ?
– Pour une fois, je suis de passage, je me rends à Fhirdiad cette fois… deux repas ! Commanda-t-elle en s’asseyant, Noce revenant avec une noix grapillée elle ne savait où dans le bec, la dévorant sans souci avant de recevoir quelques noix pour son repas. J’ai des vivres à vendre… et ce type était assez fou pour me payer une fortune pour aller voir son petit-fils donc, je lui ai trouvé une place dans la calle.
– Deux repas tout de suite ! Et vous allez bien nous laisser un peu cap’tain ! S’exclama la serveuse.
– Les affairrres sont les affairrres ! Déclara Noce, en équilibre sur le bras de son amie d’une patte, l’autre servant à tenir la noix qu’il cassait avec son bec.
– On verra ça avec Alix, je leur en dois une. Comment ça se passe ici ?
– Bien à Egua mais, Déesse, vous seriez arrivés y a deux jours !
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Demanda Oswald. Tout le monde a l’air à cran…
– Vous voulez rire ! Le régent a tenté de nous voler notre réserve loogienne !
– Attend… quoi ?! Il a viré connard à ce point le Rufus ? Demanda Ivy.
– Ouais… y a ses hommes qui ont débarqué en ville en disant qu’il était là pour récupérer un dixième de nos réserves sur ordre du régent. Et armés jusqu’aux dents les malandrins ! Évidemment, les gardes, ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas les faire rentrer aussi armés dans la ville et qu’il leur fallait l’autorisation du duc pour leur donner quelque chose de cette réserve.
– Oui, c’est un petit peu la loi en fait ! Enfin bon, vu comment tu le racontes, je parie qu’ils ont pris le gauche, marmonna la capitaine, tout en payant la serveuse pour son repas (vingt pièces les deux assiettes de brouet, ils ne se gênaient pas, même si c’était compréhensif vu la rareté de la nourriture… elle mettrait ça sur la note du grand-duc).
– Ah ça tu peux le dire ! Ils ont pris le gauche en blessant jusqu’au sang les gardes ! Mon voisin était dans le lot, un bras et deux côtes cassés il a gagné ! Et ils voulaient forcer les portes de la réserve loogienne !
– C’est effectivement complètement illégal. Si j’ai bien compris, seul Clovis le Sanglant a osé voler dans les réserves loogiennes et encore, il gardait la forme de demander avant au lieu d’ordonner. Il demandait avec une lance sur la gorge de l’autre mais, il y avait la forme au moins… marmonna Oswald. Le roi Ludovic doit se retourner dans sa tombe s’il voie le comportement de ses fils…
– Ah ça, c’est à se demander s’il n’y avait pas une erreur à l’expédition tellement c’est le jour et la nuit ! En tout cas, pour le seigneur Alix, ça a pas fait un pli. Il a pris Aegis et Moralta, son arc, ses flèches et il les a attendus de pied ferme devant la porte de la réserve. Il les a mis en joue avec ses flèches et leur a interdit de rentrer ! Nous, ça nous a requinqué et on s’est mis à leur lancer des pierres et tout ce qui nous tombait sous la main ! Ils n’ont pas fait long feu ! Courageux mais pas téméraire si vous voyez ce que je veux dire.
– On voie bien, arriva à sourire Oswald avant d’ajouter, plus sombre. Tout ceci est tout de même bien inquiétant… j’espère que mon petit Claude va bien… je n’ose imaginer le chaos qui doit régner à la capitale…
– C’est le nom de votre petit-fils ?
– Oui, un gamin adorable, et curieux le petit ! Il s’intéresse à tout ! Ma fille et mon gendre n’ont pas de problème d’argent mais bon… avec de la chance, ils voudront bien que je l’emmène avec moi à Derdriu, ce sera plus sûr…
– Plus sûrrrr qu’ici… rha, répéta Noce en allant se percher sur son épaule, récompenser par une petite caresse sur le cou.
– Surement, c’est devenu un coupe-gorge. Et heureusement pour les fhirdiadais, ils ont le duc Rodrigue avec eux, ça limite la casse mais, de ce qu’on a compris, c’est pas la forme pour lui non plus… suffit de voir Alix pour le voir, il dépérit…
– Faut dire, rien que les séparer ces deux-là, c’est une mauvaise idée. Et le louveteau, il supporte comment ? ça doit faire beaucoup de ne plus pouvoir voir son père si peu de temps après avoir perdu son grand frère, ça a dû lui faire un choc…
– Ça, on n’en sait rien. Il n’est pas à Egua. Aux dernières nouvelles, il est à Charon avec le prince, un caprice du roi apparemment. Si j’ai bien compris, il ne voulait pas que son gosse reste tout seul sans ses amis dans la famille de sa maman. Donc bon, il a pas trop eu le choix de l’envoyer là-bas notre duc… quand le roi dit, on doit le faire.
– Whouw, il pense à son gosse qu’après l’avoir envoyé dans un convoi traumatisant où il a frôlé la mort… très clairement le meilleur père de Faerghus à ce que je voie, ironisa sans vergogne Ivy.
– Vous m’ôtez les mots de la bouche capitaine, ajouta Oswald. J’ai souvent rencontré des survivants de naufrages pendant ma longue vie, aucun n’en est ressorti idem, notamment dans leur tête. Alors après un massacre… je n’ose imaginer tout le soin dont ce pauvre gamin va avoir besoin… quelle histoire… » marmonna-t-il, plus sombre que jamais.
Ils finirent de manger, puis, après avoir retrouvé l’équipage et qu’Oswald se fut mieux habillé, ils allèrent à la rencontre d’Alix dans la forteresse. Cela lui ferait perdre moins de temps s’ils allaient toquer à sa porte directement.
Le duc en second vient presque tout de suite les accueillir. Il était bien habillé pour l’occasion mais, on voyait qu’il avait couru toute la matinée, avec sa queue de cheval habituelle de travers et ses manches retroussées. Ses mains étaient couvertes d’encre et marqué par la trace de la plume. Il semblait aussi épuisé, de gros cernes gravés dans sa peau encore plus pale que d’habitude, et il ne prenait jamais de couleur ceux-là…
Il les salua poliment, même si sa voix semblait usée, presque comme celle d’un malade.
« Bienvenu en mon fort Grand-Duc von Riegan, j’espère que vous avez fait bon voyage. Je voie que vous êtes bien entouré, je n’ai guère à m’inquiéter. Le capitaine Drake mène son navire d’une main de maitre.
– Je suis également honoré que vous acceptiez de m’accorder un instant alors que le travail vous pèse. Nous avons eu le temps de voir la ville, vous la tenez magnifiquement.
– Votre compliment m’honore mais, quand on gère bien son fief et qu’on a deux sous d’anticipation, ça tient. J’espère simplement que personne ne vous a… importuné, la ville est assez à cran.
– Nous en avons entendu parler, plusieurs habitants nous ont rapporté ce qui s’est passé il y a de ça trois jours, l’informa Oswald sans hésité.
– Vous êtes déjà au courant ? Bon, ça m’arrange, j’aurais pas à faire de langue de bois sur ce que je pense de ce connard.
– Tu en fais de la langue de bois toi ? Rétorqua Ivy.
– Dernièrement, j’étais un peu obligé car, Rufus a la hache facile mais là, c’était vraiment trop pour qu’il se justifie. Et Gustave m’a envoyé un courrier suppliant pour que je me tienne bien sage et tranquille, comme lui qui remue la queue devant Rufus pour cette rencontre. Mais honnêtement, j’en ai plus rien à foutre à ce stade. Qu’il me rende toute ma famille et peut-être que j’accepterais de me tenir tranquille.
– T’as plus de nouvelles et t’es en manque ? Devina Ivy.
– Oui, depuis plus de deux semaines, j’ai aucune nouvelle à part les lettres officielles alors, je sais qu’il est en vie car y a que lui et Félix qui écrivent aussi mal dans tout Fodlan mais, pas comment ! J’ai toutes les lettres de Félix qui arrivent depuis Charon alors que c’est plus loin mais, pas celle de Rodrigue ! Je sens juste comment il se sent, et c’est pas ça qui va me rassurer. J’ai envoyé un messager porter le courrier en main propre à Rodrigue la semaine dernière mais, on l’a obligé à le donner au service des missive car vous comprenez, il y a tellement de risque que la lettre soit empoisonnée, ça pourrait toucher le roi, au Déesse… bref, des conneries. On m’empêche surtout de lui parler pour une raison que j’ignore mais, je n’en peux plus ! Vous ne deviez pas arriver d’un jour à l’autre, je serais en route pour l’arracher à Fhirdiad !
– Ne vous en faites pas, je comprends parfaitement. Toute cette histoire m’empêche aussi de voir une partie de ma famille, même si c’est plus pour lui donner une giroflée à cinq pétales, avoua Oswald sur le même ton, habitué à ce genre de discussion qui était monnaie courante au sein de l’Alliance quand les masques tombaient. Surtout que vu comment ils traitent leur propre peuple autant l’un que l’autre, ça m’étonnerait que les deux frères en aient quoi que ce soit à foutre eux-mêmes. Enfin, nous avons apporté du bled, et la capitaine Drake a insisté pour qu’une partie ne soit que pour Faldrarius.
– C’est clair que si vous pouviez lui en coller une aussi à ces deux chiens idiots, ça m’arrangerait. Et merci beaucoup Ivy, on ne crache jamais sur plus de nourriture en ce moment. On négociera ça tout à l’heure, je dois faire un sort à un vassal là. En attendant, vu que je vais devoir vous fausser compagnie, est-ce que tu pourrais donner cette lettre à Rodrigue quand vous serez à Fhirdiad Ivy ? Lui demanda-t-il en lui tendant une grosse enveloppe. Tout le monde sait qu’on te connait bien depuis Garreg Mach et que tu étais très proche de Félicia alors, tu devrais pouvoir le voir. Et s’il te refuse de rentrer, je sais que tu as assez de culot pour les envoyer sur les roses.
– Ne vous en faites pas, nous comprenons, déclara Oswald. Vous devez être tous très débordé après cette Tragédie et avec un régent pareil.
– Et t’inquiète, je voulais justement rendre visite à Félicia alors, je peux attendre, c’est pas comme si on avait déjà une semaine de retard.
– Et quelle semaine. J’espère seulement que ça a donné cinq secondes à Rodrigue pour se reposer… »
On l’appela en urgence et il dut partir, les confiant à deux domestiques qui leur proposa une infusion faite maison. Ivy la refusa pour aller voir la tombe de Félicia, devinant que son amie devait se ronger les sangs comme jamais de là où elle était.
Oswald l’accepta poliment, profitant de l’accueil chaleureux de la maison. Toujours aussi excellent… Il y avait des choses qui ne changeait pas.
« Belle régularité de partout… si eux, c’est toujours constant, chez les minets d’à côté, c’est toujours un coup sur deux… au moins, je suis prévenu, je serais moins… désagréable lors des négociations quand je verrais l’ampleur des dégâts à la capitale… aucun des deux ne mérite ma compassion après tout ce qu’ils ont fait… on verra à quel point ils sont méprisables quand je les verrais en face. En tout cas, il faudra que je demande à Ivy si c’est possible qu’on arrive incognito un jour avant à Fhirdiad, histoire d’écouter l’avis direct des habitants sur leurs seigneurs… Enfin bon, ce n’est pas comme si je n’avais pas déjà prévu d’ajouter deux lions à mes trophées de chasse. »
*
Au bout de très longs jours et d’interminables nuits de négociations fébriles, Otkatla la Modérée et le reste du thing finirent enfin par voter la fin du Grand Thing. Sylvain était d’un côté déçu de déjà retourner à Gautier mais, aussi content que cela se finisse. Il allait définitivement passer la plupart de son temps sur le bateau à dormir pendant le voyage retour, il s’était tellement battu avec ses mots et sa lance qu’il était épuisé. Il avait même gagné un peu plus de muscle après le thing, comme la plupart des rois et reines s’ils ne se trompaient pas. Enfin, ce n’était pas important.
L’arbitre finit de rédiger au propre les canons du thing, puis chaque souverain y apposa son nom et celui de son territoire, afin de prouver qu’ils se soumettaient à toutes les décisions votées. Le jeune homme écrivit son prénom et son patronyme en sreng, puis son nom de famille en fodlan sans souci avant le « Saint-Royaume de Faerghus », satisfait. D’après Vigile et Fregn, il s’était bien débrouillé et avait réussi à garder le Royaume en bonne position par rapport à ce qu’ils auraient pu craindre. Bon, il avait un peu enfoncé Lambert mais, son père n’avait pas à le savoir, ça passerait pour une décision collective qu’il n’avait malheureusement pas pu endigué. Il avait fallu faire des concessions et pour le coup, Sylvain avait préféré en faire sur son roi que sur le Royaume tout entier. Il avait même arraché une promesse d’aide des royautés Sreng en cas de danger menaçant Gautier, grâce aux votes de plusieurs rois importants donc, c’était toujours ça de prit, même s’il devait se méfier des occasions trop belles comme celle-ci.
Normalement, à la fin d’un thing, tout le monde se réunissait une dernière fois pour faire la fête tous ensemble mais, étant donné les circonstances, chacun rentra plutôt en vitesse chez lui, afin de préparer la prochaine réunion avec Lambert dès que ce sera possible. On sacrifia seulement aux dieux avant de faire ses adieux à tous ceux qu’on avait aimé rencontré au thing, tout en souhaitant de ne pas se revoir sur un champ de bataille.
Sylvain fit cette prière en saluant un autre adolescent avec qui il avait discuté quand il avait quelques minutes, quand Thorgil vient le voir, arborant toujours avec ce sourire mystérieux qui n’avait pas quitté ses lèvres de tout le thing. Elle déclara sans hésité à Sylvain, toujours impénétrable, Starkr sur une de ses épaules et son plus jeune corbeau, Ungr, sur l’autre.
« Pour ton premier thing, tu t’en es bien sorti. J’espère pouvoir de nouveau négocier avec toi, c’est un bon défi pour quelqu’un de ton âge.
– Merci Thorgil le Kaenn. T’affronter était aussi un bon défi, surtout que tu ne m’as pas épargné. J’espère également pouvoir refaire d’autres joutes verbales avec toi… avec peut-être juste un défi idiot comme enjeu…
Starkr s’envola alors de l’épaule de la reine pour aller se poser sur celle du jeune homme, croassant en lissant ses mèches rousses. Thorgil lâcha un rire en déclarant, fixant son oiseau qui ajustait sa position.
– Alors Starkr ? Tu préfères le pain de mon neveu à moi, c’est ça ? Vieux brigand va…
– Désolé mais, je crois qu’il n’a pas envie de revenir de ton côté, fit observer Sylvain alors que l’oiseau s’installait confortablement contre lui, un peu gêné.
– T’en fais pas, ce n’est pas toi qui as décidé mais, ce vieux brigand. Ungr a fini d’apprendre de lui alors, ça me gêne moins, tant que tu t’en occupes bien, évidemment. Il commence à se faire vieux et ne peut plus survoler aussi longtemps un champ de bataille qu’avant mais, c’est un malin et il est encore fort. Considère-le comme une récompense pour t’être aussi bien débrouillé au thing, tu l’as bien mérité. En tout cas, j’espère que le destin ne nous fera pas nous revoir sur le champ de bataille Sylvain le Renard.
– D’accord, merci beaucoup ma tante. Je te promets de bien m’en occuper, lui jura-t-il en passant sa main sur les plumes du poitrail de l’oiseau, vérifiant au passage que les peintures d’espionnage dessus étaient bien trop endommagé pour être utilisable, ce qui était le cas. Je l’espère également, et que les dieux mèneront ton navire jusqu’à bon port. »
Elle eut un vrai sourire quand elle le prit dans ses bras pour lui dire au revoir, lui disant d’être prudent en route. Thorgil alla ensuite enlacer sa sœur, même si elle lui dit à la place.
« A bientôt ma très grande sœur, j’ai hâte de te revoir, déclara-t-elle sans se cacher, avant de murmurer, seulement audible pour son ainée. À toi de jouer l’Ombre. Tu sais ce que tu as à faire.
– Moi aussi, j’espère aussi pouvoir te revoir bientôt, même si j’espère également que ce sera sous de meilleurs auspices, lui assura Fregn, avant de murmurer à son tour. Cela fait des années que je n’attends que ça, le Kaenn. »
(partie 1 - suite)
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lilias42 · 1 year
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Un autre UA en cours et qu'on tente de garder sous contrôle : "Tout ce que je veux, c'est te revoir..." (ou Lambert survit), acte 1.
Bon, j'ai un nouveau UA qui est arrivé dans ma tête... donc, le voici. ça fait une petite pause avec CF vu que bon, au bout d'un an, j'avais vraiment besoin d'une pause... et qui finit en moins "et tout le monde crève, pis y a la révolution et les méchants sont fini avec tout le monde qui est heureux dans la réincarnation" , là, même si ça va être un peu long, on a une fin heureuse en moins de dix ans pour la relation principale, et moins de soixante pour la fin heureuse pour tout le monde. Là, c'est moins d'un an pour l'avoir !
Pour que tout le monde s'y retrouve :
-on est dans le même contexte que dans le pré-canon de CF. Comme pour ma voie dorée en AM, je garde les mêmes règles et éléments que dans ma fanon sauf qu'on est à un moment différent.
-Pour le contexte de mon pré-Duscur, il est déjà posté sur ce blog alors, vous pouvez vous référer à ce billet si vous voulez plus de détail.
-ici, on est pile après la Tragédie sauf que contrairement au canon, Lambert survit. Je ne vous donne pas plus de détail, tout est dans ce qui suit.
-deux points de vocabulaires : "bled / bleds" est l'ancienne orthographe du mot "blé" et jusqu'au XIXe siècle, on utilisait ce mot aussi pour parler toutes les céréales panifiables, rien à voir avec le "bled" contemporain, et une "géline" est l'ancien nom des poules, ce qui est également un mot médiéval / moderne (on pouvait par exemple devoir un quart de géline tous les ans à son seigneur alors, on lui ramenait une poule tous les quatre ans). Les personnages vivants dans un univers de fantasy, je trouvais que cela collait d'utiliser des mots de vieux français.
Comme toujours, si vous avez des questions, vous pouvez me les poser sans problème.
Je vais essayer de faire tenir cette histoire en 3 parties (qui s'appelle acte ici car j'avais envie et que ça sonnait bien avec le découpage de l'histoire à mon avis). Je vais essayer de garder ça sous contrôle et ne pas trop exploser les compteurs avec une histoire interminables alors, je vais essayer de me limiter à 3 (ou au pire, je couperais l'acte 2 ou l'acte 3 en deux, même si j'aimerais éviter mas bon, on verra bien).
Donc ! C'est parti pour ce dérivé de CF ! Pour rester dans mes anciens titres qui sont des descriptions, il s'appelle "Lambert qui survit" et sinon, je pense que ce serait "Tout ce que je veux, c'est te revoir..." (si je ne change pas d'avis entre temps).
Et un grand coucou à @ladyniniane ! C'est ce dont je t'avais parlé et merci pour tes conseils !
Avertissement ! Si vous aimez Lambert, passez votre chemin ! Je ne vais pas être tendre avec lui !
+même si c'est plus dans la seconde partie, il y a des situations de dépression et de désespoir avec quelqu'un qui se sent vraiment au plus profond du trou. Ce n'est surement pas aussi fort que pour Dimitri mais, je préfère vous prévenir au cas où vous êtes sensibles à ses sujets.
Acte 1
Rodrigue tenait Félix par les épaules alors qu’ils avançaient difficilement entre les autres familles déjà arrivées, cherchant des nouvelles, des informations, des confirmations de leur inquiétude ou le miracle d’une angoisse infondée même si personne n’en avait, quelque chose… cela faisait une semaine, même moins pour l’arrivée des nouvelles et personne n’arrivait encore à y croire… enfin, à part tous ceux qui savait que cela tournerait mal, l’avait hurlé à corps et à cri, tout fait pour l’empêcher mais, même eux n’auraient pas imaginé un fiasco pareil…
« Rodrigue ! On m’a annoncé votre arrivé ! La Déesse soit louée ! Vous êtes là !
Le père leva la tête et vit Gustave arriver à grands pas vers eux, l’air grave et sombre, visiblement épuisé, un paquet dans ses bras.
– Oui, nous avons sauté sur notre monture dès qu’on a su, Alix s’occupe de Fraldarius et de gérer les émissaires de l’Alliance. Quelles sont les dernières nouvelles ? Le questionna-t-il, mort d’inquiétude. Le messager s’est évanoui de fatigue avant de nous dire quoi que ce soit… et…
– Où est Glenn ? Le devança Félix. Il n’est pas là ? Et où est Nicola ? Et Jacques ?
– Merci pour votre vitesse… il glissa son regard vers le louveteau, hésitant avant de dire quoi que ce soit devant lui. Je préfère vous en parler entres adultes pour les informations plus… sensibles…
– Glenn, c’est pas sensible. Où est mon frère ?! Où est Nicola ? Où est Jacques ? Pourquoi personne du convoi n’est là ? Et Dimitri ?
– Son Altesse est revenue, tout comme Sa Majesté, tenta de le rassurer Gustave. Ils sont gravement blessés mais heureusement, ils ont été rapidement pris en charge par les villageois des environs qui ont été alertés par l’incendie, ce qui leur a surement sauvé la vie. Cependant, Son Altesse a été blessée par nos hommes pour défendre le fils de la maison qui les a recueillis, ils ont cru que cette famille les avait pris en otage. Heureusement, le Flutiste des Glaces soit loué, Areadbhar est arrivée à le maintenir en vie, il va s’en sortir.
Rodrigue eut un petit soupir de soulagement, rassuré de savoir Dimitri en vie même si du peu qu’il savait sur ce qui s’était passé, seulement survivre serait une épreuve très difficile pour lui… pour n’importe qui faisant partie du convoi et qui était revenu d’ailleurs… Glenn, Nicola et Jacques auraient besoin de beaucoup de repos et de soin pour s’en remettre. Il ferait tout pour qu’ils puissent se rétablir en paix à Fraldarius, l’eau du lac les soignerait et les protégerait… … … et se serait plus sûr pour le Royaume d’avoir un roi majeur au lieu d’un régent, encore moins un comme Rufus. Les mois qui venaient s’annonçaient très difficiles, surtout du point de vue diplomatique, il avait besoin de stabilité pour éviter un autre bain de sang…
– Je m’en fiche de Lambert ! S’écria d’un coup Félix, furieux avant que Rodrigue ne puisse ne l’en empêcher, occupé par ses pensées. C’est pas Glenn, Nicola et Jacques ! Pourquoi tu ne dis rien sur eux Gustave ?!
– Félix, calme-toi… le reprit un peu Rodrigue, moins énergique qu’il n’aurait dû l’être normalement mais, il n’en avait ni la force, ni l’envie, avant d’ajouter malgré cela. Gustave. Je comprends que vous soyez débordés et que vous voulez que nous nous mettions au travail, ce que je ferais sans délai aux vues de la situation. Cependant, pour l’instant, ce qui me préoccupe le plus est d’avoir des nouvelles de mon fils, de mon compère, et de tous mes hommes. C’est ce qui m’inquiète le plus, tout comme mon cadet. Je vous le demande de père à père. Dites-nous comment vont-ils, je vous en prie…
Gustave se ferma encore plus, se murant dans le silence, mal à l’aise, avant d’avouer, la voix brisée.
– Ils… ils ne sont pas là… Sa Majesté Lambert et Son Altesse Dimitri sont les seuls à être revenu de Duscur vivants… tous… tous les autres membres du convoi sont morts. Nous avons pu ramener le corps de Jacques mais, pas celui de Nicola… il était bien trop endommagé pour être ramené… et pour Glenn… on ne l’a pas retrouvé. Il fait partie des disparus…
– Alors, il n’est pas mort ! Rétorqua Félix en essayant de sortir de l’étreinte de son père. Il doit être encore quelque part ! Vous n’avez juste pas assez bien cherché ! Il a surement dû tomber épuisé quelque part et d’autres duscuriens l’ont recueilli ! Juste pas ceux de ce village ! Ils ont sauvé Dimitri alors, ils ont dû le faire aussi pour Glenn ! Mon frère ne peut pas être mort ! Pas comme ça ! Pas pour…
– Je suis désolé, le coupa Gustave en leur tendant le petit paquet qu’il tenait. C’est tout ce qu’on a retrouvé de lui pour le moment…
Rodrigue le récupéra, défaisant la corde qui tenait le tout ensemble en tremblant de tous ses os, les mêmes mots que ceux de Félix tournant dans sa tête. Non… non… non… ce n’était pas possible… il devait y avoir une erreur… Glenn ne pouvait pas être mort… pas lui… pas lui aussi… il était si fort… encore plus qu’eux tous… le meilleur des chevaliers de sa génération… il ne pouvait pas… pas pour…
« Il ne peut pas être mort pour Lambert lui aussi ! »
Cependant, le tissu dissimulait le reste d’un plastron explosé par un puissant sort de magie noire, un trou en plein milieu de la poitrine au niveau du cœur, ainsi qu’une épée brisée en mille morceaux, qu’il reconnaitrait entre mille après l’avoir vu brandi des centaines de fois à la maison, pour s’entrainer avec son petit frère… non… pas ça… pas lui… ça ne pouvait pas…
Mais, le père ne pouvait pas nier la réalité de ce qu’il tenait entre les mains… ce… Glenn…
– Glenn est…
– Non ! C’est pas possible ! Il n’est pas mort ! Il n’est pas mort ! Il va revenir ! Il va revenir papa ! Il ne peut pas être mort comme ça ! Il ne peut pas… » S’écria encore Félix, même si ses yeux se teintant de rouge ne pouvaient se détacher du peu qu’il restait de son frère… il ne restait que ça… c’était tout ce qu’il restait de Glenn… son louveteau… son fils… il n’en restait…
« Il n’en reste rien… ! Où est mon fils ?! Tu avais dit que tu ramènerais tout le monde en vie de ta folie ! Ils devaient tous rentrer à la maison ! Et tu rentres tout seul ! »
Rodrigue sentit ses jambes trembler mais, il se força à rester stable alors que Félix fondait en larmes contre lui, s’accrochant à son manteau pour tenir droit. Le père se baissa à sa hauteur, serrant son fils restant dans un de ses bras et les restes de son ainé dans l’autre, contre son cœur alors qu’il pleurait aussi silencieusement, la gorge serrée de chagrin… même eux pourraient s’y noyer… mais il ne devait pas faillir, il ne devait pas tomber maintenant, il devait tenir… il devait tenir pour Félix et le Royaume… même si…
« Glenn… Nicola… je suis désolé… tellement désolé… tout ceci n’aurait jamais dû arriver… si seulement nous avions pu… mais aucun regret ne vous ramènera… je vous en supplie, de là où vous êtes en attendant la réincarnation, protégez-nous… »
*
Félix finit par s’endormir en pleurant, accroché à son père comme toujours. Confiant à regret les restes de Glenn à Gustave, Rodrigue porta son fils dans ses bras vers leur chambre habituelle. Elle était toujours en ordre au cas où il devait se rendre d’urgence à la capitale pour plusieurs jours.
« Nous devons nous mettre le plus rapidement possible au travail. Avec la convalescence de Sa Majesté et la mort d’une grande partie de la tête du Royaume et d’autant de membres de l’administration, Faerghus va surement entrer dans des temps très instable, surtout que ce voyage était très impopulaire. Après tout ce qui s’est passé et autant de mort, la colère sera d’autant plus forte partout et il nous sera difficile de l’apaiser, déclara Gustave. Dans un moment de conscience en revenant, Sa Majesté a juré que…
– Gustave, par pitié, laissez-moi coucher Félix et le confier à quelqu’un de confiance avant de me raconter tout ceci, le reprit Rodrigue en serrant son louveteau contre lui, ce dernier accroché à son cou. Il a toujours entendu dans son sommeil, et il a vécu bien assez de choses horribles pour aujourd’hui… il ajouta à voix plus basse avant que Gustave ne puisse ajouter quoi que ce soit. Je sais… mais laissez-moi le traiter comme l’enfant qu’il est encore, mon fils aussi a besoin de soin.
– Je comprends votre envie de vous occuper de lui dans un moment aussi difficile mais, le Royaume aussi a besoin de vous… et même plus que jamais le temps de la convalescence de Sa Majesté. Il doit passer avant tout pour tout faerghien respectable.
Rodrigue entendait d’ici la remarque d’Alix à ses mots, qui sonnait plus horriblement juste que jamais à présent… même s’il ne devait jamais dire de telles choses à voix haute, encore plus à présent… ce serait bien trop dangereux pour eux… il demanda à une de ses épéistes dont il était sûr de la fidélité en toute circonstance de veiller sur lui puis, alla coucher son petit dans son lit. Cependant, Félix ne le lâcha pas, s’accrochant solidement à son cou. À regret, Rodrigue souffla à son fils, en priant pour que sa voix ne tremble pas.
« Je suis désolé mon louveteau mais, il faut que je te laisse… j’ai beaucoup de travail… je dois faire en sorte que tout tienne… je ne veux pas que tu grandisses dans un chaos encore plus grand que celui va arriver… je te protégerais Félix, je te le promets… je reviens dès que possible… »
Heureusement ou non, Félix le lâcha, le laissant partir. Posant un dernier baiser sur le front de son fils, le père rejoignit Gustave en lui demandant le moindre détail des évènements pour tenter de comprendre ce qui s’était passé et quel scénario ils n’avaient pas anticipé.
Une fois dans un bureau à part où le désordre ambiant signalait un passage important de jour comme de nuit, Gustave trouva un petit espace où étaler une carte de Faerghus et Duscur où était représenter les principales routes, les villes, les lieux-dits et les éléments particuliers permettant de s’orienter ou de faire les itinéraires. Gustave pointa une vallée étroite du doigt, sur le chemin des Pèlerins. Il s’agissait d’une voie sacrée de pèlerinage vers la capitale et le Grand Temple de Duscur, ainsi que le chemin le plus court pour s’y rendre… mais aussi un des plus dangereux pour un convoi de la taille du leur… Myrina avait prévenu mille fois qu’un tel chemin serait bien trop risqué, l’idéal pour une embuscade où il serait très difficile de se défendre… comme la grande majorité d’entre eux, dont les jumeaux, ils avaient tous soutenus de passer par la côte… ça aurait été bien plus long mais aussi plus prudent… sauf que Lambert était du parti d’aller au plus vite…
« Le convoi s’est engouffré dans ces gorges mais, il a pris du retard à cause d’une route en mauvaise état. Les chariots s’embourbaient dans des nids de poule et ont retardé l’arrivée à l’étape suivante. Comme le ciel et la nuit était sombre, ils ont levé le camp pour faire une halte et reposer les chevaux, contrairement à ce qui était prévu.
– Une route aussi fréquentée et entretenue en mauvaise état pile au bon moment… gronda Rodrigue, peu dupe de tout ça, le cœur de plus en plus lourd en devinant exactement ce qui s’était passé cette nuit-là.
Il mettrait même sa main au feu que c’était ce qu’avait anticipé Myrina…
– C’est vrai que c’est étrange. Ensuite, du peu que nous savons, des troupes habillées en noir et en rouge sombre les ont encerclés et les ont attaqués par surprise. Le prince a parlé de « corbeaux humanoïdes » alors, on se demande s’ils ne portaient pas des masques, si ce ne sont pas ses blessures et l’horreur de la situation qui l’ont fait cauchemarder tout éveillé. À cause de la fatigue de la marche, de l’obscurité et de l’enclavement de la gorge, la garde a été dans l’impossibilité de s’organiser et s’est retrouvée déborder par des troupes bien supérieures en nombre…
– « …Ils attaqueront aussi surement l’intendance depuis les hauteurs des gorges. Il leur suffira de disposer des archers, des magiciens et des lanceurs de javelots ici… ici… et à cet endroit. Ils pourront ainsi cibler l’intérieur même de nos défenses. Ce passage est un véritable piège et un lieu parfait pour les embuscades. Si vous voulez vraiment passer par ici, il faudrait entrainer nos troupes à se battre spécifiquement dans un environnement pareil et que nous soyons beaucoup plus de militaires que le nombre prévu pour le moment. Il faudrait également beaucoup plus d’unités volantes ou d’homme sachant escalader des pentes abruptes, mes hommes des piémonts ne suffiront pas. Non, traverser ses gorges est une folie […]. Si vous tenez tant que ça à y passer, faites-les nous traverser de jour et allez immédiatement nous barricader dans le village fortifié un peu plus loin. Il ne faut absolument pas que nous y passions de nuit, ce serait comme demander à ce que nous nous fassions exécuter avec le sourire aux lèvres »… … … Rodrigue hésita à finir la déclaration de Myrina, encore parfaitement claire dans son esprit mais, s’y résolut, en écho avec ce qu’il n’avait cessé de répéter. « …et je suis comme tout le monde, je tiens à ma vie et je veux revenir entière chez moi auprès de ma famille… ». C’était une des prévisions des dangers qui arriveraient sur la route. Myrina avait utilisé les cartes et les descriptions du terrain pour tenter d’anticiper les menaces qui pourraient planer sur le convoi. Est-ce bien ce qui s’est passé ? Le questionna-t-il pour être sûr.
Gustave baissa les yeux en hochant la tête, tout aussi conscient de la situation que lui… Rodrigue sentit son poing se serrer, le sang gelé, la morsure glaciale de la colère dévorant son cœur endeuillé.
– Tout ceci aurait pu être facilement éviter avec plus de préparation. C’était évitable. Mais…
Il se força lui-même à se taire, sachant que cela ne résoudrait rien et que cela les mettrait tous en danger, surtout que tout le monde devait chercher des coupables… l’occasion de régler ses comptes avec son voisin et rival était bien trop belle… tous les coups étaient permis dans ces cas-là… l’homme avala donc bon gré mal gré ce qu’il avait envie de cracher, laissant le duc parler et donner une réponse plus convenable.
– Qu’avez-vous commencé à faire ?
– Je vais vous expliquer. Mais nous devons être extrêmement prudent, les murs ont des oreilles. De plus, les grands seigneurs de l’Ouest ont déjà commencé à battre la campagne pour convaincre leurs sujets de lancer une vendetta contre Duscur, avec Kleiman à leur tête qui hurle qu’il faut « purger les hérétiques de cette Terre »… autant dire qu’il n’a jamais ouvert une seule fois les Écritures pour déclarer des choses pareilles.
– Et il n’a pas vu non plus l’état de nos comptes et du trésor… nous sommes en pleine césure, et de la nourriture a déjà été réquisitionner pour le convoi, nous allons surement devoir la rationner et en acheter encore plus à nos voisins… de plus, le voyage a couté très cher, et L… Sa Majesté a utilisé les fonds des réserves de la couronne pour le financer, et une partie des grands seigneurs. On n’avait pas le temps de prélever un impôt exceptionnel en deux lunes, et il aurait rendu le voyage encore plus impopulaire qu’il ne l’était déjà. Si l’instabilité perdure, il sera difficile de lever les impôts et les taxes afin de renflouer les caisses… on va surement devoir faire payer le don gratuit aux églises en fixant le montant nous-mêmes, et une redevance exceptionnelle à la noblesse tellement les caisses sont vides… une opération militaire, même à titre privée serait suicidaire pour tout le royaume… enfin, ils doivent penser que les mines de Duscur constituent une raison suffisante pour saigner encore plus Faerghus à blanc.
– Je le pense aussi, même si je vous conseillerais de vous méfier. Les seigneurs de l’Ouest ne vous portent guère dans leur cœur et risquent de faire barrage à vos actions », déclara Gustave, et Rodrigue nota avec méfiance le fait qu’il ne se soit pas inclus dans la prise de décision. Lui aussi n’était guère aimé des très grands seigneurs de l’Ouest qui le voyaient comme un cadet parvenu, bien que ce soit moins pire que leur mépris pour Nicola. Cela voulait surement dire quelque chose s’il ne s’incluait pas ainsi, mieux valait être prudent. « De plus, même si Sa Majesté vous a confié le Royaume le temps du voyage, maintenant qu’il est terminé, la loi donne le pouvoir à Son Altesse Rufus. Il faudra attendre que Sa Majesté soit réellement en pleine possession de ses moyens, s’il en décide ainsi, pour qu’il lui ôte la charge de régent à son frère et vous la reconfie… surtout que je ne pense pas que le régent vous épargnera… nous savons tous les deux que votre relation avec le frère du roi est… compliqué…
« Si les premiers veulent l’obligation d’envoyer leur enfant à la mort ou c’est la tête coupée collective, le second être orphelin dès l’enfance, et tous autant qu’ils sont avoir une espérance de vie qui dépasse péniblement la trentaine dans leur famille, je leur offre ma place avec joie… comme ça, je rentre chez moi avec mon fils m’occuper de mes terres et de ma famille… »
Rodrigue fit taire cette voix sombre au fond de lui. Penser à des choses pareilles n’aiderait personne, autant lui que le Royaume. Il n’avait pas de temps à perdre en rumination ou avec sa colère, il devait être efficace pour Faerghus. S’il se perdait là-dedans, il ne vaudrait surement pas mieux que ces vengeurs qui semblaient déterminer à achever leur propre pays. De plus, une fois que Lambert aurait retrouvé ses esprits et se serait remis, s’il n’avait pas enfin retenu la leçon après ce qui s’était passé, il essayerait encore de ménager la chèvre et le chou, ce qui rendrait la situation encore plus confuse et explosive qu’elle ne l’était déjà… déjà que l’adhésion du peuple était surement réduit en poussière après ce qui s’était passé… c’était Lambert qui avait tout manigancé pour ce voyage, c’était connu, son peuple ne l’oublierait pas de sitôt et risquait de lui faire sentir… Non… Il devait tout faire pour éviter que le chaos ne s’installe et garder le Royaume en ordre, au moins pour que son fils ne grandisse pas pendant une guerre civile.
Le père pensa à Félix, à la conversation qu’il avait eu avec son ainé ce soir-là… Glenn avait raison quand il disait que les joues de son petit frère étaient encore toutes rondes… il n’avait même pas commencé à muer… il était tout petit... son corps ne se transformait même pas encore pour devenir celui d’un homme�� ses réactions et sa manière d’agir… il était si jeune… ce n’était pas encore un adolescent… ce n’était qu’un enfant… son enfant… son louveteau… il refusait de laisser quoi que ce soit le menacer de près ou de loin. Il ferait tout pour le protéger ! Même du roi lui-même si nécessaire !
– Mais ça, je dois le garder pour moi et ne rien dire en toutes circonstances… se souligna le père à lui-même avant d’ajouter en duc du Royaume, prenant son chapelet entre ses doigts pour se calmer. Faisons en sorte d’éviter que la situation ne se dégrade encore plus qu’elle ne l’ait déjà.
*
Quand Alix sut ce qui s’était passé une fois le messager remis sur pied, puis ses informations complétées par la lettre de Rodrigue, il ne put s’empêcher de bouillir de colère. Oui, pour le Royaume, c’était mieux que le roi majeur survive, ça aurait été encore plus un merdier sans nom si on avait eu une régence jusqu’à la majorité de Dimitri, encore plus une de Rufus, et encore bien plus d’arguments raisonnables… mais par la Déesse ! Sur les deux survivants qu’il y avait eu, c’était Dimitri – les Braves en soient loués et remerciés pour l’éternité – et Lambert, et est-ce qu’il devait « remercier » Némésis en personne pour ça ?! C’était lui le responsable de ce fiasco ! Il n’avait tué personne de leur camp lui-même mais, c’était lui qui avait poussé tout le convoi à la mort avec ses conneries ! ça n’aurait pas pu être Glenn ou Nicola ou les deux l’autre survivant ?! Tout le monde mais pas lui ! Pas ce connard ! S’il y avait une seule justice divine dans ce foutu monde, il serait curieux de voir la gueule des juges et des jurés !
Cependant, l’homme fit tout pour se ressaisir immédiatement. La situation était critique, ça allait être un dangereux jeu d’équilibriste et un bras de fer permanent pour maintenir le Royaume en un seul morceau… enfin bon, ils avaient quatorze ans d’expériences sous Lambert, plus dix-neuf sous Ludovic avec Rodrigue, ça valait toujours mieux que zéro à quelques mois maximum comme ce chien idiot. Ça les aiderait à s’en sortir et tant pis s’ils devaient l’abandonner sur le bord de la route au passage.
Bon, le connard était en vie, et quand ils étaient conscients, autant Lambert que Dimitri juraient devant la Déesse que les duscuriens n’y étaient pour rien, d’accord… il fallait faire en sorte de faire tourner cette nouvelle, afin d’étouffer dans l’œuf toute envie de vendetta. Il faudrait encore quelque chose pour concentrer la colère face à ce fiasco mais, le peuple était très conscient que ce voyage était né de la volonté de Lambert seul. S’ils se débrouillaient correctement, le roi pourrait devenir le centre de cette colère et la concentrer sur lui… ce n’était pas l’idéal mais, c’était toujours mieux que la guerre avec Duscur… avec de bons agents qui courraient de ville en ville pour éparpiller les bonnes informations, ça devrait le faire.
Si elle ne finissait pas par péter une amarre pour de bon et par faire le doigt d’honneur que Lambert méritait, Alix pourrait surement demander l’aide de Fregn. Les srengs n’attaquaient pas les gens à terre, sauf les êtres les plus méprisables, et pas de doute que le chien idiot en faisait partie maintenant. Il pourrait s’en servir pour la convaincre de l’aider dans cette tâche, en plus de renouveler leur aide pour éloigner Sylvain de Miklan… même si les srengs n’étaient pas un élément à négliger. Lambert avait surement perdu toute dignité à leurs yeux, et les traités de paix avec les srengs prenaient en compte la respectabilité des deux partis, ils étaient surement tous à refaire maintenant… Thorgil ne laisserait jamais passer une telle occasion, comme tous les autres rois srengs avec deux sous de jugeote. Là aussi, il ne faudrait pas se louper mais, il y réfléchirait à ce moment-là avec Rodrigue et les Charon.
Il faudrait aussi qu’ils se méfient des seigneurs de l’Ouest. Alix voyait d’ici ces chiens errants se lécher les babines, utiliser le deuil et la souffrance de tout le Royaume pour en provoquer encore plus. Les filons duscuriens valaient bien encore plus de sang versé et encore plus de mort… ils devaient les neutraliser au plus vite.
Enfin, et le plus important, son rôle à Egua serait surtout de protéger leur fief, en particulier leur réserve loogienne… lors de la fondation du Royaume, le roi Loog avait accordé à la famille de tous ses compagnons de construire une réserve de nourriture inaliénable, même sur ordre de roi à part si le seigneur régnant en cédait une partie au roi en échange de contrepartie, en remerciement de tous les services rendus pendant la guerre, et parce qu’il ne les considérait pas comme acquis ou de la merde. Normalement, elle était censée être juste pour conserver assez de bled pour nourrir leur capitale un mois mais, il était devenue de coutume de demander d’agrandir la réserve loogienne à chaque fois que le seigneur en cédait une partie à la couronne… à force, la leur était devenue immense, assez pour qu’Egua tienne un an de siège sans ravitaillement… évidemment, les jumeaux n’avaient pas été assez cons pour donner un grain de bled de cette réserve pour le convoi, comme tous les gens avec deux neurones actives. Lambert les avait déjà quasi forcés à lui avancer de l’argent qu’il ne rembourserait jamais, il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin.
Mais bon, Alix voyait déjà les chiens errants venir gratter à sa porte, tout ça pour le supplier de leur donner l’aumône avec des yeux de chiot suppliant… puis japper et de montrer leurs petits crocs en menaçant de le mordiller avec…
« Qu’ils essayent, et je leur montrerais ce que c’est de vraiment mordre. Un chien errant ne fera jamais le poids face à un loup, » gronda-t-il intérieurement, se tendant comme un arc prêt à envoyer une flèche, son regard s’affutant dans le reflet de l’eau de son verre… il voyait presque le portrait effrayant de Guillaume à l’intérieur.
Il la but d’une traite, n’essayant même pas de calmer le torrent furieux en lui. Au contraire, qu’il l’alimente. Cette colère lui donnait de la force, la rage de protéger leur fief et de tout faire pour que ce désastre n’ait pas plus de conséquence sur lui et encore moins sur sa famille, même s’il devait égorger Lambert lui-même pour sa connerie… il n’en avait plus rien à foutre de ce connard à ce stade, même s’il avait intérêt à être discret pour ne pas finir la tête sur le billot le premier.
« Pour l’un ou l’autre… abusez de mon frère et de sa patience, ou que qui que ce soit utilise le louveteau pour le forcer à se tuer au travail, que ce soit Lambert ou Rufus, et je jure que je finis le travail des comploteurs à leur place… »
*
Les nouvelles de Fhirdiad arrivèrent d’abord par les marins à Gautier, puis avec les cadavres de leurs hommes pour les annonces officielles trois semaines après la Tragédie. Sylvain n’en croyait pas ses yeux. Tant… tant de corps et de morts ! Il sentait que c’était la pire idée du siècle comme tout le monde mais, il n’aurait jamais imaginé que ce serait à ce point-là ! Il n’y avait que la famille royale qui avait échappé par miracle à ce massacre ! Dire que Dimitri était là-bas ! Il avait surement tout vu en plus ! Non, il avait tout vu tout court ! C’était impossible qu’il n’ait rien vu… par les dieux d’Asgard, il devait être dans un état !
« Faudra que je négocie pour me rendre à la capitale dès que l’occasion se présentera, songea-t-il, sachant déjà qu’il ne pourrait pas aller à Fraldarius pour la morte saison après tout ceci, les routes étaient bien trop dangereuses, encore plus maintenant qu’il était majeur à Gautier. Dimitri doit être en miette à l’intérieur en plus de l’extérieur… par les Ases et les Vanes, tout ça car Lambert n’a écouté ni Snotra ni Odin ! C’est vraiment un roi sans yeux ! Résultat, il a emmené tout le monde à la mort et traumatisé à vie son propre fils ! Si ses blessures ne le tuent pas aussi ! Dimitri… je t’en supplie, survie… »
« Quel gâchis… grogna son père en lisant la lettre l’informant de ce qui s’était passé. Toutes ses vies perdues pour rien… apparemment, dans un éclair de conscience, Sa Majesté et Son Altesse auraient dit que ce n’étaient pas des duscuriens qui les ont attaqués… Son Altesse parle de corbeau à forme humaine ou d’humain à tête de corbeau…
Il jeta un regard suspect à Fregn, Miklan grognant à leur mère à la suite de leur père.
– C’est bien une attaque de sauvages ce genre d’embuscade, surtout pour des lâches comme les srengs. En plus, les autres magiciens comme ta sœur-là, Huld, couverts de tatouages de la tête au pied, c’est pas une de leur spécialité de se transformer en monstre ? Surtout que vous montez déjà des monstres à tête de corbeaux…
– Si c’était des métamorphes srengs, on ne vous aurait pas attaquer en pleine montagne, ce genre de terrain n’est clairement pas à notre avantage, même avec nos valravens, rétorqua-t-elle sans trembler. On aurait voulu vous attaquer malgré les traités, on aurait juste remonté le fleuve pour piller Fhirdiad puis se tirer ensuite. Ça aurait été bien plus rentable et moins dangereux. De plus, personne n’a intérêt à la mort de votre roi chez nous. Si on veut un bon défi, on va voir les Loups Inséparables ou la Grande Famille. De plus, quand on attaque, on a le courage de le faire chez vous, et aucun souverain raisonnable ne se serait faufiler ainsi en pleine montagne. Là, il n’y avait pas assez de bled pour que le défi en vaille la chandelle, c’est bien trop dangereux pour peu de résultat. Personne à part un roi sans yeux n’y serait allé pour la beauté du geste, et ils ne sont pas assez puissants pour se permettre une telle expédition, ou ils se feraient renverser à la seconde même où ils proposeraient l’idée à leurs concitoyens. »
Isidore fronça le nez à sa réponse, avant de demander à ce que quelqu’un effectue des recherches sur les magies permettant de se métamorphoser, puis donna ses ordres pour qu’on s’occupe des morts. Sylvain resta près de sa mère, l’aidant à poser ce qui restait de leurs armes dans les mains des défunts ou contre leur cœur pour ceux qui n’avaient plus de bras. C’était autant la coutume sreng que celle de Gautier pour les morts au combat après tout, même si les formules différaient.
« Merci pour tout ce que tu as fait, tu as bien mérité de te rendre au Valhalla accompagné des valkyries, soit fier de toi pour ta force et tout ce que tu as apporté à ce monde. Repose en paix jusqu’au Ragnarök… » souffla Fregn à chacun, imité par Sylvain. Isidore était occupé à autre chose qu’eux, et Miklan était déjà parti de l’autre côté de la forteresse, aucun des deux ne l’entendrait utiliser les formules srengs.
Quand ils eurent fini, ils se lavèrent les mains puis, Fregn alla ouvrir un tonneau rempli d’hydromel. Elle en remplit deux grands gobelets puis, deux bassines avant de répandre son contenu entre les morts, pour leur offrir un dernier verre chez les vivants et abreuver les chevaux des valkyries, aidé par son fils. À la fin, ils burent tous les deux leur propre verre en leur compagnie pour leur souhaiter un bon voyage.
« Personne n’est devenu un berserkr pendant les combats on dirait… commenta Fregn en finissant son hydromel.
– Un berserkr ? S’étonna Sylvain en se rappelant de cette légende. Ce sont les guerriers-fauves d’Odin en personne… pourquoi l’un d’entre eux apparaitrait chez les fodlans qui croient en Seiros et Sothis seule ?
– Hum, je ne t’en ai pas parlé ? Enfin, c’est vrai que c’est très rare. Exceptionnellement, des magiciens peuvent devenir des berserkir quand ils sont au plus profond du désespoir, ou quand ils n’ont pas d’autres choix pour survivre. Ils entrent alors en transe et se transforme en bête pour survivre à la menace, même si la plupart d’entre eux restent bloqué sous cette forme. Quand ils meurent en sachant se retransformer ou au combat, Odin les intègre dans son armée de berserkir où là, ils peuvent entrer en transe à volonté. On reconnait le corps d’un berserkr par la présence de fourrure ou d’attribut animal, un peu comme pour le Bavard, même si lui n’était pas un berserkr, bien trop pacifique pour ça. C’est justement en s’inspirant de ces guerriers que nos ancêtres ont mis au point la métamorphose animale. Étant donné la violence des combats, j’ai pensé qu’on pourrait en croiser un, et il aurait fallu une cérémonie funéraire spéciale pour lui alors, je faisais attention à tout signe étrange…
– C’est pas faux. Hum… j’ai vu personne ressembler à ça en tout cas… mais tu en as déjà vu ?
– Non, le dernier berserkr connu était justement le dernier Gautier avant que cette famille ne jure allégeance à Loog et à Fodlan. Gylfe Olofosson Gautier se serait transformé plus d’une fois en un énorme renard pendant qu’il combattait l’Empire, au départ pour empêcher l'annexion de ses terres à Adrestia, étant donné qu'il était du peuple sreng, puis pour le roi Loog qui lui avait prouvé qu’il méritait son dévouement. Les membres de sa famille se faisaient régulièrement exécuter pour rébellion et désespérait souvent mais, c’était le seul qui était aussi un magicien alors, il était parvenu à se transformer alors qu’il était sur le point de se faire capturer et couper la tête, raconta-t-elle.
Sylvain se souvient un peu alors de l’avoir aussi lu dans un livre d’histoire fodlan mais, qui disait que ces transformations n’étaient qu’un ajout de la légende pour embellir ou tâché son histoire selon les auteurs. Déjà qu’il ne fallait pas dire trop fort que Gautier avait été sreng et pas un territoire fodlan autonome toujours dressé contre l’empire, dire qu’en plus qu'un des fidèles compagnons du roi Loog était tellement sreng qu’il était aussi un berserkr des légendes, c’était un peu trop pour plusieurs personnes de Fodlan, Isidore le premier. Fregn but une gorgée d’hydromel avant de reprendre, pensive.
– Hum… j’ai aussi entendu parler de deux jumeaux de la même époque plus au sud qui aurait fait la même chose, l’un magicien, l’autre lancier mais, je suis moins sûr que c’était bien deux berserkir… après tout, il n’y en a qu’un des deux qui était magicien… enfin, on en a pas réentendu parler depuis chez nous… pour dire à quel point c’est rare… enfin, encore heureux étant donné qu’on peut très difficilement revenir en arrière. Pour Gylfe le Berserkr, il fallait plusieurs jours pour se retransformer et ça aurait été très douloureux, et je n’ai pas d’autres informations pour ces jumeaux, surtout que d’autres sources disent qu’ils ne l’étaient pas vraiment. Ça aurait été un frère et une sœur du même père mais, de mères différentes qui seraient nés le même jour et auraient développé un lien fusionnel semblable celui entre des jumeaux.
– On dirait l’histoire de Torf et Poppa Daphnel… se rappela Sylvain. Enfin, c’est surement mieux que ce soit aussi rare si c’est difficile de redevenir humain, encore plus vu comment on peut en devenir un. En plus, les berserkir deviennent des animaux à taille humaine mais, sans un esprit humain alors, ça doit être facile de les prendre pour de vraies bêtes sauvages. Même s’ils sont féroces, ils peuvent toujours être pris pour des cibles par des chasseurs une fois la fureur du combat passé.
– Oui, encore plus s’ils ne se calment pas… encore heureux dans un sens, cela n’est pas arrivé. Ils ont déjà dû tous sombrer au plus profond du désespoir, et aucun n’aurait dû se rendre dans ce convoi digne d’un roi sans yeux, ils ne méritaient pas de finir leur vie comme une bête sans conscience ni âme à part l’idée de survivre…
Sylvain hocha la tête en finissant son verre. Malgré tout ce qui s’était passé, c’était surement mieux qu’aucun berserkr ne soit apparu…
Fregn observa le champ de mort à leurs pieds, pensive. Tout ça pour un roi sans yeux… quel gâchis et quelle honte… c’était des personnes compétentes qui tenaient le gouvernail en ce moment avec les Loups Inséparables et la Grande Fratrie mais, ce n’était surement qu’une question de temps.
« Il faudra que j’essaye ce dont m’a parlé Huld, histoire de parer à toutes éventualités… ce n’est pas garanti que ça marche mais, ce sera toujours mieux d’essayer que rien. »
*
« Tu vas voir avec Ingrid ?
Francis regarda sa femme Diane, accompagné d’Hector et Colin, tous aussi inquiet que lui, tous portant leurs habits de deuils noirs et blancs. Plus de quinze jours après le départ du convoi et à peine une semaine et demie après leur retour sur leurs terres, ils avaient appris ce qui s’était passé lors du voyage… la lettre était arrivé avec le corps de Frédérique et tous leurs hommes. A part le prince et le roi, tout le monde était mort et depuis, Ingrid s’était enfermée dans sa chambre en refusant de sortir ou de prononcer un mot quand elle ne pleurait pas… ça faisait deux semaines maintenant…
– Oui… au moins lui faire dire quelque chose ou manger un peu…
– Et toi papa, tu as mangé ? Lui demanda Hector.
– Et toi maman ? Ajouta Colin. Vous n’étiez pas à table avec nous à midi…
Les deux parents échangèrent un regard mal à l’aise, avant que Diane n’ellipse la question, s’étant mis d’accord pour ne pas dire qu’ils ne mangeaient qu’une fois par jour à présent, pour donner leur nourriture à leurs enfants.
– Oui, ne vous en faites pas, nous sommes simplement débordés. On pourra remanger avec vous quand la situation se sera un peu calmée… on va essayer d’au moins être là à midi.
Elle ne mentait pas complètement, ils étaient débordés et savait à peine où donner de la tête, surtout que leurs caisses étaient presque vides. La santé financière n’était déjà pas très bonne de base – c’était même pour ça que Frédérique avait insisté pour aller en Duscur, parce que la compensation était très intéressante tellement personne ne voulait y aller – mais c’était encore pire maintenant… il avait dû contribuer un peu pour financer ce voyage et ils s’étaient saignés pour bien équiper leur fils ainé, en se disant que son gambison et son bouclier de voyageur pourrait toujours servir ou être revendu. La couronne n’avait surement pas les moyens de leur payer la somme promise, leurs terres étaient pauvres, et tout le Royaume allait surement devoir mettre la main à la poche pour le tenir debout et rembourser ce voyage… et Francis se maudissait de penser directement à tout ceci mais, il pouvait aussi faire une croix sur l’argent promis en dot par les Fraldarius pour le mariage d’Ingrid et Glenn… il savait que c’était la mort de son frère et de son fiancé qui avait poussé sa fille à s’enfermer mais, il devait aussi penser à comment s’occuper de son fief ou même de sa propre famille…
« J’y penserais une fois qu’elle ira mieux, c’est trop tôt… » décida-t-il en reprenant le chemin vers la chambre de sa petite.
La porte était fermée, comme toujours depuis qu’ils avaient su pour… dire qu’avant, Ingrid passait son temps dehors et ne restait dans sa chambre que pour dormir…
Toquant légèrement à la porte, Francis s’annonça, espérant ne pas trop entrer dans son espace mais, elle devait manger un peu.
« Ingrid ? C’est moi, je t’apporte ton repas. C’est de la soupe à l’oignon, tu aimes bien ça… » Pas de réponse. « Elle est bien chaude, tu devrais la manger maintenant, ça te réchauffera aussi un peu… on n’aura surement pas les moyens de se procurer du bois… » Toujours pas de réponse. Il ajouta alors. « J’entre.
Doucement, presque sur la pointe des pieds, le père ouvrit la porte de la chambre. Il trouva sa fille roulée en boule dans sa couverture, cachée dans un coin avec un livre dans les mains. Il le reconnut tout de suite comme le cadeau que lui avait fait Glenn pour son anniversaire, un recueil de légende de chevalerie… elle le lisait en boucle à chaque fois qu’il venait la voir depuis…
Francis l’approcha prudemment, avant de se baisser vers elle en demandant, tâtant le terrain.
– Cette histoire raconte quoi ?
– L’histoire de deux chevaliers… l’un disparait alors, l’autre se transforme en chien pour le retrouver… il n’arrête pas de chercher jusqu’à le retrouver, même s’il doit mourir d’épuisement… à la fin, ils se retrouvent et l’amour du disparu permet à sa fiancée de redevenir humaine… tu crois que ça peut arriver ? Peut-être que si ça arrive, je pourrais… je pourrais peut-être… moi aussi, je… je…
Elle se remit à pleurer, Francis abandonnant le bol sur le sol pour tenir sa fille dans ses bras en essayant de la consoler. Elle appelait Glenn, elle appelait Frédérique, elle appelait tout le monde… elle voulait revoir tout le monde, quitte à devoir s’enfermer dans le corps d’une bête mais, c’était impossible… complètement impossible…
– Je suis désolé… je suis désolé ma chérie… tout ça n’aurait jamais dû arriver… »
Ce fut les seuls mots qu’il trouva à dire, n’ayant aucune idée de ce qui aurait pu dire d’autres dans une telle situation, à part soutenir sa famille et ses enfants dans cette épreuve avec tout ce qu’il avait en lui…
*
Quatre semaines après leur arrivée à Fhirdiad, les funérailles collectives pour tous les morts et autant de nuit pratiquement sans dormir, Rodrigue arriva à prendre quelques minutes pour diner avec Félix. Ils mangèrent leur soupe coupée avec du pain pour la rendre plus consistante en discutant tous les deux, ayant peu d’occasion de le faire sans que le père ne soit épuisé. Il faisait tout le travail des personnes mortes avec les Charon, même si Rufus semblait vouloir faire le ménage dans sa première belle-famille en en éloignant plusieurs ou en les séparant, surement par peur d’une alliance familiale, voir avec les Fraldarius à cause des derniers évènements. Aux vues de l’instabilité qui s’étaient installé à l’Ouest, même si les seigneurs étaient des alliés de Rufus, ce dernier ne devait pas vouloir que l’Est devienne une force d’opposition, même si sa manière de faire les rendait bien moins efficace pour pallier aux difficultés actuelles. Le seul qui pourrait faire quelque chose pour contrer les actions du régent, c’était Lambert mais, si Dimitri se réveillait parfois quelques heures grâce à la protection d’Areadbhar, son père ne l’avait pas encore fait. Le prince ne serait pas aussi fragile, il aurait donné la Relique au roi mais, ce n’était pas le cas. Quand bien même, lors d’un moment de conscience à leur retour, Lambert aurait interdit d’enlever la protection physique de Blaiddyd à son fils, de peur qu’il ne survive pas sans elle. Au moins une chose de raisonnable de sa part…
Rodrigue fit tout pour éloigner ses pensées de lui. Il se ménageait dès que possible quelques minutes à partager avec son louveteau et pour écrire à Alix mais, c’était toujours si peu… il ne voulait pas gâcher ses instants si précieux avec Félix… sa petite forteresse de chaleur dans cette période si sombre…
Leur ordinaire était plus frugal que ce à quoi ils étaient habitués mais, pour économiser la nourriture et mieux la gérer, toute la ville était rationnée depuis le début de la semaine à l’exception des blessés et des malades, même pour les nobles. Ils ne mangeaient même plus de viande, à part le dimanche pour le jour de la Déesse, comme aujourd’hui.
« Tient Félix… Rodrigue lui donna sa part carnée, la posant dans son assiette.
– Et toi papa ? Tu aimes bien la viande aussi…
– Tu en as plus besoin que moi pour grandir correctement. Si tu ne manges pas assez, tu resteras tout petit, lui expliqua-t-il en se souvenant des histoires de Nicola, leur racontant que leur père était très petit car, devant courir dans tout son fief pour échapper à ceux qui voulaient lui voler son héritage et ses terres alors, il n’avait pas forcément accès à une bonne nourriture.
– Oui mais toi, tu es aussi très fatigué, tu travailles beaucoup, et c’est pas grand-chose, alors… il coupa la petite tranche de maigre pour lui en donner la moitié. Tient, pour toi.
– Merci mon louveteau », lui sourit-il.
Ils piquèrent tous les deux leur moitié et n’en firent qu’une bouchée en même temps, se faisant rire un peu tous les deux de leur synchronisation. Rodrigue passa un doigt affectueux sur la joue de son fils, le cœur plus léger d’être avec lui… ces rares petits moments de lumière avec les lettres d’Alix… il ne les échangerait pour rien au monde…
Ils finissaient de nettoyer leur assiette quand un serviteur entra dans l’étude. Rodrigue s’attendit à un nouvel appel à la vengeance contre Duscur mais, l’homme leur annonça à la place :
« Sa Majesté a repris connaissance. Il est encore faible mais, ses jours ne sont plus en danger. On vous demande immédiatement dans ses appartements.
Au lieu d’être soulagé, Rodrigue sentit tout son corps se tendre, comme avant un combat difficile. À part par l’entrebâillement de la porte, il n’avait pas vu et n’était jamais allé au chevet de Lambert, n’ayant tout simplement pas le temps de le faire entre toutes ses obligations et le peu de temps qu’il pouvait accorder à Félix ou pour écrire à Alix. Il avait à peine pensé au moment où Lambert se réveillerait ou si on lui annonçait sa mort… ce qu’il devait faire ou non, comment agir… il n’avait pas envisager que la simple pensée de le voir vivant l’angoisserait autant, pas au point de vouloir refuser… mais il devait bien obéir…
Le père sentit le poing de Félix se serrer sur sa manche, son petit grognant en s’accrochant à lui.
– T’as pas à le voir si t’as pas envie… pas après…
Rodrigue le fit taire en posant sa main sur ses épaules et en lui faisant non de la tête, un avertissement silencieux avec son air grave. Évidemment, son fils avait senti son appréhension… il devait faire plus attention à mieux caché ce qu’il ressentait… de plus, ils devaient faire très attention à ce qu’ils disaient, c’était dangereux. Rufus avait déjà jeté un noble au cachot pour avoir osé dire tout haut que Lambert était indigne de son statut de roi… un roturier aurait eu droit à la corde… il fallait être extrêmement prudent, même ses lettres avec Alix étaient codées quand ils se plaignaient l’un à l’autre de la situation, ce qui était un des rares moments où ils pouvaient vraiment vider leur sac sur cette farce grotesque… le père avait déjà prévenu son fils mais, c’était difficile pour quelqu’un d’aussi jeune de mentir autant sur ce qu’il pensait vraiment, encore plus après ce que Lambert avait fait à leur famille… mieux valait prendre les devants.
– C’est un ordre, je dois y aller. Mais tu peux rester ici si tu veux, tu n’es pas obligé de venir si tu ne veux pas voir Lambert tout de suite. D’accord ?
Félix fit la moue mais, accepta d’un hochement de tête. Rodrigue le remercia en passant sa main sur sa tête, avant de suivre le domestique jusqu’aux appartements de Lambert.
Plus ils se rapprochaient, plus le nœud de ses entrailles se resserra, l’appréhension montant à chaque pas, l’empêchant de plus en plus de respirer, comme si ses poumons avaient gelé… mais ce fut pire quand le père entra dans la chambre de son roi.
Il était là, allongé dans son lit, une de ses épaules complètement bandée à cause d’un coup de hache qui aurait surement pu le décapiter, si le coup avait été plus précis. Des brûlures de magie noire le recouvraient de toutes parts (mais il était encore en vie contrairement à Glenn, dont le torse avait été explosé par un sort), plusieurs de ses os étaient cassés (mais il était encore en vie contrairement à Nicola, dont tous les os avaient été si disloqué qu’on n’avait pas pu le ramener), ainsi que des coupures et une contusion à la tête… …heureusement sans gravité (mais il était encore en vie contrairement à Jacques dont le crâne avait été explosé à coup de masse)… cela ne devrait pas le tuer (contrairement à tous les autres membres du convoi). Il avait l’air hagard, le teint gris, les yeux ternes et cernés mais, il bougeait encore…
Lambert bougeait encore lui…
Rodrigue n’avait rien ressenti de tel quand Dimitri avait entrouvert les yeux. Pour lui, cela n’avait été que du soulagement de le voir bouger, parler un peu, de le voir demander comment allait les jeunes duscuriens dont la famille les avait sauvés, l’ayant accompagné à Fhirdiad, son sourire de voir le frère et la sœur vivants à ses côtés. Cela sonnait parfaitement juste de le consoler quand il s’était excusé que tout le monde soit mort, surtout Glenn qui serait mort à sa place… c’était normal et la vérité de lui dire que ce n’était pas de sa faute… ce n’était pas sa faute, c’était une victime de toute cette histoire lui aussi…
Là, quand Lambert tourna son regard bleu terne vers lui, l’air désolé, perdu, Rodrigue ne ressentit rien de tout cela, juste un vide profond qui transperçait sa poitrine, un torrent furieux rempli de mépris se déversant à l’intérieur. Il savait qu’il n’en restait plus grand-chose, encore plus du côté d’Alix mais, ils avaient été amis tous les trois, ils avaient même grandi ensemble, côte à côte pendant des années… mais là, en le voyant ici, allongé dans ce lit et en vie alors que tant de monde était mort… alors que Glenn, Nicola, Jacques et tellement d’autres de ses proches et sujets étaient morts comme ils l’avaient tous anticipés… quand Lambert les avait tous jeté à la mort sans réfléchir… son esprit ne put penser qu’à une seule chose quand son roi bafouilla, ne pouvant ne rien dire d’autre de toute façon :
« Je suis désolé… »
« Tu es tellement pathétique… tes excuses ne me rendront jamais mon fils et mon compère, ni aucun autre enfants, parents, frères, sœurs, cousins, tantes, oncles, amis et mêmes rivaux et ennemis de personne… tu ne ramèneras jamais personne avec tes excuses, il fallait y penser et écouter ce que tu ne voulais pas entendre avant chien idiot… »
Cependant, Rodrigue se força à dire avec soulagement, même s’il devait en vomir après. Il devait dire ceci, pour le bien de sa famille et pour protéger ce qui lui restait.
« Je suis heureux de vous voir hors de danger Votre Majesté… J’espère que vous vous rétablirez vite… »
Ses mots creux semblèrent contenter Lambert, qui arriva à grimacer un sourire triste et rassuré en le voyant mais, cela ne fit que donner un haut-le-cœur à Rodrigue. Il ne voulait pas ça, il voulait son fils ! Son compère ! Ses sujets dont il avait trahi la confiance en étant obligé de les envoyer à la mort ! Rodrigue sentait la colère d’Alix d’ici, savait exactement à quoi il penserait s’il était à sa place comme s’il était à côté de lui… ils étaient toujours blessés en même temps, même en ne recevant aucun coup… l’autre était l’un et l’un et l’un était l’autre, depuis toujours…
« Mais quel connard… il gobe tout ce qu’on lui raconte sans hésité… comme s’il n’avait pas envoyé tout le monde à la mort lui-même… c’est de sa faute si on est dans la merde jusqu’au cou ! Alors, tu ranges tes excuses, vire Rufus et tu nous laisses gérer avec des gens compétents ! »
Rodrigue savait que ce serait ce à quoi penserait Alix en voyant tout ceci… les jumeaux seraient aussi inconscients que lui, ils lui enverraient surement tous leurs reproches dans la figure avant de le laisser se débrouiller seul… mais pour garder la tête sur les épaules dans tous les sens du terme et pour le bien du Royaume, ils devaient garder le silence…
Le duc échangea alors des banalités avec Lambert, lui demanda comment il se sentait, puis l’informa de l’état de Dimitri et du Royaume, ainsi que les premières actions qu’ils avaient fait avec Gustave, Lachésis et Thècle Charon maintenant qu’elles étaient à la capitale… quand Rufus les laissait travailler en paix et sans détricoter tout ce qu’ils faisaient quand ça ne lui plaisait pas, c’était lui le régent officiel après tout… cependant Gustave l’empêcha de lui en parler, Lambert était trop fatigué pour ça… ils purent discuter que quelques minutes avant que le blessé ne se rendorme…
Quand il ressortit enfin de cette chambre et retourna mécaniquement dans son bureau pour se remettre au travail, Rodrigue avait toujours ce mauvais gout dans sa bouche, sa gorge serré… tellement que le nœud fissurait tout ce qui l’entourait, sa magie réagissant bizarrement à tout ceci… il voudrait tellement qu’Alix soit là…
« Et bien, quelle tête d’enterrement…
Le duc fit tout pour ne pas montrer quoi que ce soit en entendant Rufus l’approcher, le coupant sur le chemin de son étude. Il regarda le… régent l’approcher, la seule personne de tout le palais à peu près en forme et de relative bonne humeur, même s’il agitait les envies de revanches des seigneurs de l’Ouest. À ses joues bien pleine et son énergie, il ne devait pas respecter le rationnement mais bon, c’était le cadet des soucis de Rufus de respecter les règles et il ne s’en cachait pas… si Lambert ne tarderait surement pas à être l’un des hommes les plus détester du Royaume, Rufus l’était déjà aux vues de son comportement et de ses propres prises de position… discrètement, Rodrigue répondit en respectant l’étiquette.
– Veuillez m’excuser, je suis simplement très fatigué, mes devoirs me prennent énormément de temps et d’énergie.
– Bien, on aurait dit que vous étiez déçus de voir mon frère en vie, gronda-t-il avec un sourire qui devait se vouloir menaçant mais, qui n’impressionnerait pas Rodrigue si ce n’était pas le régent, il avait vu largement pire comme adversaire. J’avoue que je trouvais ça suspect après ce qui s’est passé, encore plus quand je vous voie être contre la guerre contre les duscuriens, alors qu’ils sont évidemment coupables.
– Je ne songerais à rien de tout cela envers Sa Majesté, lui assura-t-il en repoussant son malaise de tout à l’heure, ne devant rien montrer à Rufus s’il tenait à sa tête. Et je ne fais qu’écouter les dires de Sa Majesté et de Son Altesse, toutes deux jurent que les duscuriens ne les ont pas attaqués, mais sauver au contraire. Ils doivent surement la vie aux villages voisins, en particulier la famille Molinaro qui se sont occupés d’eux. Son Altesse était dévastée quand il a appris ce qui était arrivé à ce village à qui son père et lui doivent la vie. Si l’enquête prouve la culpabilité des duscuriens, je reverrais mes positions mais pour le moment, nous devons surtout penser au maintien du Royaume dans cette période de césure et de deuil. Les Charon, les Gautier, mon frère et moi-même pensons préférables d’épargner une guerre à nos finances, et d’orienter le maximum de nos fonds vers le maintien des aides aux nécessiteux, l’achat de vivres de première nécessité, de l’administration, la justice, la protection des routes et la lutte contre le brigandage, expliqua-t-il encore en faisant tout pour ne pas se tirer une flèche dans les pieds au passage.
– Hum… bien, même si cela me semble bien lâche et facile. Cependant… », Rufus lui attrapa le bras, serrant comme il pouvait malgré son absence totale d’entrainement, sauf à celui des plaisirs, « …vous n’êtes pas sans ignoré que mon père Ludovic vous portait en haute estime, et même bien trop si vous voulez mon avis. Vous avez intérêts à être à la hauteur des louanges que le vieux vous faisait, me suis-je bien fait comprendre ?
– Bien évidemment, mon seul désir est la survie du Royaume et de son peuple, comme feu Sa Majesté le roi Ludovic l’avait toujours à cœur. Je me dévoue corps et âme à cet objectif de bien commun.
– Tant mieux, cela vaut mieux pour votre tête. Ne vous prenez pas pour plus que vous n’êtes, surtout que vous semblez assez lent à la tâche alors que le pire a été évité. Lambert et Dimitri sont en vie, c’est tout ce qui compte. Vous devriez vous en réjouir.
Rodrigue se mordit la langue, faisant tout pour être aussi impénétrable que possible. Rufus le répétait souvent celle-là…
« Arrêtez d’être triste car, des membres de votre famille et de votre peuple sont morts pour rien dans une boucherie évitable. Soyez plutôt heureux et parfaitement satisfait car, mon frère et son fils sont encore en vie. Si ça va pour la famille royale qui est MA famille, cela va pour tout le monde alors, retournez au travail sans vous plaindre. »
Enfin… c’était comme ça que ça sonnait dans les oreilles de tout le monde. Les sœurs Charon étaient les premières à vouloir l’étrangler pour ça, ayant perdu treize frère, sœur, beaux-frères, belles-sœurs, neveux et nièces dans la Tragédie, comme pratiquement tout le palais et la ville mais, tous savaient que la phrase suivante était l’ordre de se taire sinon, c’était la corde.
Le duc répondit alors, faisant tout pour être parfaitement dans son rôle de subordonné.
– Je remercie tous les jours la Déesse pour la survie de la famille royale. Ma lenteur et celles de mes associés s’expliquent par la surcharge de travail et le manque de mains, plusieurs d’entre nous sont morts pendant la Tragédie. Nous travaillons également à résoudre ce dernier problème avec les sœurs Charon. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser Votre Altesse, je me dois de retourner à mes tâches », déclara-t-il avec une révérence respectueuse et en soulignant le « Votre Altesse » en se montrant le plus soumis possible au régent afin de respecter ses désirs et ne pas s’attirer ses foudres.
Rodrigue s’esquiva pour se rendre dans son bureau après avoir vu le sourire satisfait de Rufus. S’il se montrait suffisamment docile envers lui, il devrait plus facilement pouvoir manœuvrer dans l’administration et refuser des choses à ses fidèles, arguant qu’il n’était pas contre lui mais, juste en désaccord. C’était humiliant de s’aplatir devant un homme tel que Rufus, et ça n’arrangeait pas cette impression de vide interne en lui mais, cela en vaudrait la peine si cela pouvait protéger des vies et le Royaume, en particulier si ça protégeait sa famille.
Le duc travailla jusqu’à tard, cette sensation désagréable ne le quittant pas une seconde jusqu’à ce qu’il arrive à se trainer jusqu’à ses appartements, à bout de force, comme si voir Lambert puis Rufus l’avait vidé de son énergie.
Cependant, quand il entra, il fut accueilli par Félix, encore debout malgré l’heure tardive, un chat tricolore à côté de lui, appelé « Fleuret » à cause de ses tâches ressemblant à des fleurs et en référence à Fleurette. C’était un des errants qui parcouraient le palais, son fils l’avait pratiquement adopté depuis qu’il était ici, il lui tenait compagnie. Les cahiers de Félix étaient entassés sur le bureau, ses mains couvertes d’encre indiquant qu’il avait bien travaillé pendant la journée. Rodrigue faisait attention à ce qu’il ne néglige pas trop ses études, il aurait toujours besoin d’une tête bien faite, encore plus dans une période aussi incertaine qui s’annonçait. Deux assiettes aussi pleines que le rationnement le permettait les attendaient aussi.
Son louveteau sauta du banc quand il le vit rentrer, se précipitant vers lui pour enrouler ses bras autour de sa taille. Il ne dit rien mais, Rodrigue comprit où il voulait en venir. Son inconfort d’avoir revu Lambert s’envola, chassé par son envie de serrer Félix dans ses bras, comme si c’était un miracle de le voir en vie… c’était un miracle qu’il soit en vie, il était né si faible… il était encore si fragile, qu’un enfant… mais il était aussi si fort, ne tombant pas… comme sa mère… comme toujours… Rodrigue ferait tout pour qu’il ne risque rien…
« Je suis un père horrible, je m’appuie plus sur mon fils que l’inverse… je suis désolé Félix… mais merci pour tout… merci d’être là… je t’aime mon louveteau, plus que tout… je te protégerais… »
Ils mangèrent tous les deux avant que Félix n’aille dormir, Fleuret contre sa poitrine. Allumant une petite sphère de feu au-dessus de sa feuille, Rodrigue écrivit à Alix pour raconter tout ce qui s’était passé aujourd’hui, tout en codant leur lettre personnelle, écrivant à l’ammoniac entre les lignes ordinaires. D’habitude, il écrivait leurs codes dans une autre encre invisible qui se révélait à la chaleur, il pourrait feindre que ces mots n’étaient que des grognements entre frères et de la prudence excessive mais là, c’était des états d’âmes plus dangereuses pour eux… mieux valait utilisé une encre sympathique nécessitant un réactif, même s’il devait l’économiser… il voulait juste en parler plus avec Alix que seulement en devinant ce qu’il pensait.
Une fois sa lettre scellée et avoir réciter ses prières pour sa famille, le Royaume et les morts, Rodrigue alla se coucher après avoir vérifié que son fils allait bien, s’enfonçant dans un sommeil agité, sa magie picotant dans ses veines à cause de toutes les émotions de la journée.
*
« Grmph… il ne manque pas de culot celui-là… »
Rufus descendit un verre de vin dans ses appartements, repensant à sa confrontation avec Rodrigue plus tôt. Il savait qu’il mentait, ce type mentait mal et cela se voyait. Il disait se réjouir de la survie de la famille royale et pour Dimitri, le régent voulait bien y croire mais, pour Lambert, il savait que c’était faux, même si rien ne l’indiquait sur son corps quand il parlait, Rufus le sentait ! De quoi il se plaignait ?! Lambert était en vie et Dimitri aussi, le Royaume qu’ils aimaient soi-disant tous allaient survivre, pas la peine de faire des têtes d’enterrement à chaque fois qu’il voyait leur roi ! ça devrait les rassurer au contraire ! Ils cachaient tous quelque chose, c’était sûr ! Tous ! Tous ! Et ce loup enragé le premier ! Mais c’était impossible de le prouver ! Son visage était aussi impénétrable que celui de ce glaçon de Ludovic !
« Foutu loup enragé ! »
Enfin bon, il avait pu voir Rodrigue s’aplatir et ça, Rufus ne pourrait jamais s’en lasser. Voir l’un des favoris évidents et avérés de son père devoir admettre ce qu’il était, qu’un simple vassal dont il pouvait demander et obtenir la mort quand il voulait, c’était satisfaisant.
« La prochaine fois, je le fais s’agenouiller devant moi, qu’il apprenne enfin où est sa vraie place. »
Sortant la clé de sa chemise de corps, Rufus ouvrit doucement sa cassette où il gardait le testament de son père, le lisant encore, se rappelant de ce vieux lion édenté et essoufflé, en train de dépouiller son propre fils de son héritage avec sa stupide idée de monarchie élective, tout ça pour choyer les rejetons de son « grand frère » adoré.
« …ainsi, écrivait la main tremblante de Ludovic, secoué de toux et de crachat de sang tuberculeux, les tâches rendant le parchemin presque illisible à plusieurs endroits à présent mais, Rufus le connaissait par cœur à ce stade, en mon âme et conscience, je me dois de l’admettre et reconnaitre que dans la situation actuelle, si je devais voter pour élire le prochain roi, ma voix irait aux jumeaux Rodrigue Achille Fraldarius et Alix Persée Fraldarius. Selon mon expérience, mon esprit et ma propre réflexion, ainsi que l’observation de leurs parcours et décisions antérieurs, ils sont les plus à même de prendre soin du Royaume pour le mener vers un jour meilleur. … »
Rufus froissa le papier entre ses mains, maudit les noms encore parfaitement visibles malgré le sang qui noircissait de jour en jour, même s’il n’arriva toujours pas à le jeter au feu. Ce vieux lion… il le voyait encore, le teint gris, les joues creuses, les yeux mort… un squelette vivant juste rempli de maladie, vidé de vie et de force mais, qui en trouvait encore assez pour affirmer qu’il ne laisserait jamais Lambert devenir roi, qu’il n’était pas fait pour ça et qu’en substance, il était indigne de cette tâche… il serait encore là, Ludovic s’en donnerait surement à cœur joie pour dire qu’il avait raison… après tout, ce n’était qu’un bloc de glace insensible avec juste le Royaume et la famille de son « grand frère » Guillaume en tête…
« Alors père ? Ils s’en sortent comment tes petits favoris ? Si intelligents, si habile, si compréhensifs des besoins du peuple, si raisonnables et avec la tête sur les épaules ? Et la famille de ta petite créature Héléna qui était – oh ! – bien plus douée que Lambert en politique, tout comme le reste de sa fratrie ? Qui mettrait Lambert sur le droit chemin en étant sa petite femme ? Tu dois te sentir bien con de les voir tous échouer comme ça et d’avoir provoqué toutes ses morts, avec l’aide des duscuriens. Ils auraient préparé ce voyage sérieusement, rien de tout ça ne serait arrivé. Enfin, te connaissant, tu dirais à Lambert qu’il est trop naïf et borné… grogna-t-il tout seul en renfermant les documents volés à double tour dans sa cassette. S’ils sont si forts, je peux bien les titiller un peu, ils s’en sortiront bien… Déesse, j’aimerais tellement voir ta tête ! »
*
« Derdriu ! Derdriu à l’horizon capitaine ! Cria le marin au nid-de-pie.
– Aaaaah ! C’est bon de revenir à la maison !
– Surtout qu’on a fait de bonnes affaires !
Ivy sourit en voyant ses hommes s’agiter tout en travaillant, nouant et dénouant les bons nœuds, veillant aussi à ce que les voiles tiennent correctement le vent. Elle-même tenait la barre, son navire volant sur les vagues alors qu’elle aussi voyait leur port d’amarrage, bien protégé par la mer au fond de sa lagune. Après six mois à commercer en Almyra, ça faisait du bien de retrouver leur Alliance bien-aimé à la plupart d’entre eux, même Ivy avait déjà hâte de reprendre la mer pour se rendre en Faerghus. Ça faisait une éternité qu’elle n’avait pas rendu visite aux jumeaux, Glenn et Félix, elle avait plein de choses à raconter aux garçons ! Elle avait aussi mis la main sur un thé que Félicia aurait surement adoré si elle était encore parmi eux, elle voulait aussi passer lui dire bonjour et le partager avec elle, même si Ivy était bien moins bec sucré qu’elle. Enfin, avant ça, fallait déjà qu’ils passent les bancs de sable recouverts par la marée haute, puis déchargent leurs marchandises… Ivy devait aussi payer ses marins, mettre l’argent dont ils n’avaient pas besoin pour leur prochain voyage à la banque, aller refaire leurs passes-ports et papiers officiels pour cette année car, l’administration adorait les épices… bref, autre chose à faire que rêvasser avant de retourner voguer sur les flots !
– Vous discuterez à terre ! Passons le Croche-Navire et on parlera en descendant notre butin ! Ordonna-t-elle alors que Noce s’envolait de son épaule pour ajouter.
– Passage dangerrrreux ! S’exclama le perroquet gris à la queue rouge en volant tout autour des marins. Tout le monde sur le pont !
– Bien capitaine ! »
Habilement, ils passèrent le banc de sable piégeux puis, arrivèrent à bon port. Une fois les formalités administratives réglés, leurs cargaisons en lieu sûr, les rendez-vous pris et les intermédiaires payés, ils allèrent tous fêter leur retour à leur taverne habituelle, buvant à leur santé une grande chope de bière.
« Et bien Ivy, ça fait un moment qu’on ne vous avait pas vu ! S’exclama la tavernière, une bonne connaissance à eux à force. Vous êtes allés plumer qui cette fois pour ramener un pactole pareil ?
– Almyra pendant six mois et on a fait des affaires complètement légales Tessa, lui assura-t-elle avec un sourire. C’est pas ma faute si les gens sont nuls pour négocier. En tout cas, ressert moi une bonne choppe, ça me changera du jus de fruit !
– À la vitesse où vous videz vos verres, je parie que vous étiez dans la partie où ils n’ont pas le droit de boire de l’alcool, ria la tavernière en devinant déjà qu’elle allait faire une excellente recette ce soir.
– Ouais, loi divine du coin. Ils fument pour se mettre la tête à l’envers eux. J’ai essayé quand je suis allée là-bas la première fois mais, c’est pas à mon gout. Rien ne vaut la bonne bière derdrienne pour nos palais leicesters !
– Tu m’étonnes… et vous ramenez quoi de là-bas ?
– De belles étoffes, des pigments, des épices qui se mangent, des livres de tout et n’importe quoi, de l’encens, de l’ivoire, de l’or… la routine habituelle pour un petit voyage en Almyra orientale… lista-t-elle en prenant une autre gorgée du liquide ambré et rond sur sa langue. Et ah ! Du thé aux aiguilles de pins d’Almyra et du sucre au thé…
– Du sucre au thé ? Répéta Tessa en en croyant pas ses oreilles.
– C’est du thé mais horriblement sucré mais que veux-tu, ma Félicia adorait le sucre alors, quand je rentre, je lui en ramène pour le partager avec elle sur sa tombe et lui raconter mes derniers voyages comme au bon vieux temps. Son mari et ses gosses adorent les trucs avec du piquant par contre alors, je leur ramène du thé aux aiguilles de pin qu’il adore. Je voulais aussi leur ramener un chat avec le nez tout écrasé vu que ce sont des grands amoureux des chats mais, son proprio n’a pas voulu me le vendre, et comme j’avais rien fait d’illégal en six mois, je me suis dit que j’allais pas tenter d’avoir une prime sur ma tête dans un autre port, surtout qu’ils n’auraient pas apprécié… donc bon, pour une prochaine fois… prochaine arrêt : chez eux ! Je me remplierais aussi les poches au passage, c’est un des coins les plus riches du Royaume !
– Euh, ta petite Félicia ? C’est la petite malade des Lebur non ? C’est pas elle qui a épousé un grand noble du Royaume ? La questionna la tavernière, un air sombre passant sur son visage. Je me souviens qu’une fois, des crétins t’ont attaqué ici pour te prendre en otage et la faire chanter…
– « Tenter » de me prendre en otage, corrigea-t-elle sans louper la gravité sur son visage. C’est finalement moi qui aie fait jurer à ses marins de latrine d’être gentils avec les demoiselles, en particulier celles de Faerghus et si je les prenais à piller les côtes de Fraldarius, c’est moi qui allait les envoyer par le fond pour jouer avec les poissons, si c’est pas sa belle-famille qui le faisait en premier. Je suis une Drake, j’ai une réputation à tenir, et Félicia et sa famille sont mes petits protégés, on touche avec les yeux et de loin. Donc oui, c’est ma Félicia, et prochaine destination, le Fort Egua par les voies fluviales. Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ?
– T’es pas au courant ?! Ah non, attend, c’est vrai que vous êtes revenus qu’aujourd’hui et que l’info est arrivée y a trois jours, ça n’a pas eu le temps d’arriver plus loin… marmonna-t-elle avant de lui apprendre. C’était le mois dernier, le roi de Faerghus s’est rendu en catastrophe à Duscur. Mais quand je te dis en catastrophe, c’est vraiment en deux lunes, le voyage a été décidé par le roi puis, ils sont tous partis et ils ont raclé partout où ils pouvaient pour avoir les fournitures nécessaires pour le voyage ! T’as raté un bon marché si tu avais des bleds ou des fèves à vendre d’ailleurs, ils prenaient tout ce qu’il trouvait ! Le convoi s’est fait attaquer sur le chemin et ils se sont fait écraser ! Seuls le roi et le prince s’en sont sortis vivants, tous les autres sont morts sur place !
– Attends… quoi ?! S’étrangla Ivy, l’inquiétude lui serrant la gorge. Tu sais qui était dans ce convoi ?! Et ils sont partis en deux mois pour un voyage pareil ?! Pourquoi ils ont fait ça ? Il s’est passé quoi ?
– Apparemment, y a un des petits chatelains de la frontière qui voulait agrandir son fief en conquérant des terres duscuriennes alors, crise diplomatique et le roi a décidé de se rendre en Duscur en signe de bonne volonté…
– Quoi le roi a décidé ? Il doit se concerter avec les grands pour faire quoi que ce soit normalement, sauf à être un Clovis le Sanglant ou l’empereur d’Adrestia. Le roi de Faerghus doit s’appuyer sur les autres seigneurs pour prendre des décisions pareilles, et je les connais ceux-là. J’ai été à Garreg Mach avec eux et je les ai revus plusieurs fois. Ok, le Lambert, il a clairement pas inventé l’eau tiède et c’est un bel idiot que même Noce pourrait vaincre dans une négociation mais, ses seconds, les jumeaux Fraldarius, ils en ont dans le crâne ! Ils n’auraient jamais laissé faire ça !
– Ah pour le coup, le travail en équipe avec les grands et leur accord, il s’est assis dessus le roi, c’était sa décision seule et tout le monde le sait. C’était le voyage du roi et point, ça la rendu très impopulaire d’ailleurs vu que c’était fait dans une telle précipitation que personne ne voulait y aller. Apparemment, les seigneurs de l’Ouest ont trouvé leur intérêt vu qu’ils étaient tous derrière le roi mais, à l’Est, c’était une véritable levée de bouclier mais bon, ils ne pouvaient pas trop l’ouvrir car sinon… tu sais ? Haute trahison, obéissance au seigneur suzerain, les devoirs du vassal, devoir d’obéissance, tout le monde fait la même chose et y a pas de table ronde pour décider à plusieurs ce qu’on fait, et tous uni ensemble devant l’adversité, tout ça…
– Tous unis devant l’adversité et derrière la connerie oui… grogna Ivy. Les nobles se foutent peut-être sur la gueule quand ils ne sont pas d’accord dans l’Alliance mais, ça lui aurait fait les pieds au Lambert de se prendre une révolte nobiliaire dans la gueule… enfin, en deux mois, ils n’ont pas dû avoir le temps de s’organiser… et tu sais qui était là-bas ? Au moins les bataillons de troupes envoyés ? Insista-t-elle avant de préciser, morte d’inquiétude. La jeune garde princière, elle y était ? Elle est directement affectée à la protection du prince.
– Alors, elle devait y être. Comme personne ne voulait y aller, ils ont dû prendre de gens au hasard alors, s’il pouvait prendre des régiments qui doivent suivre quelqu’un comme des toutous pour la surveiller comme le lait sur le feu, tu penses bien qu’ils n’allaient pas cracher dessus, rétorqua la tavernière avec un air blasé, avant de demander, plus inquiète. Tu connais quelqu’un dedans ?
– Oui, le fils ainé de Félicia fait son service là-dedans…
– Ah… alors… Tessa se tut une seconde, remplit un verre d’eau qu’elle posa sur le bar devant la marchande puis, marmonna, sincère. Je suis désolé… surtout qu’il ne devait pas être bien vieux… si… si t’as besoin de parler, n’hésite pas, je t’écouterais sans problème…
– Ivy… parrrrdon… babilla Noce en prenant une de ses courtes mèches dans son bec.
La marin les remercia d’un regard, passant sa main sur les plumes bien entretenu de son compagnon de toujours, puis en buvant doucement l’eau offerte par Tessa. Ça faisait du bien… et refroidissait un peu ses nerfs… Déesse, fallait pas que ce crétin de Lambert lui tombe dessus ! Enfin, avec un tout petit peu de chance…
– Merci à vous deux… elle finit son verre d’une traite avant de déclarer, déterminée. Raison de plus pour que je me rende à Fraldarius. Va leur falloir des vivres et des fournitures, et ça me permettra d’avoir des infos de première main. Qui sait ? Peut-être que quelques soldats ont survécus dans le lot ? C’est pas possible qu’il ait tué tout le monde jusqu’au dernier mais, qui ait loupé la famille royale alors que c’était surement les plus important à descendre du convoi… j’ai déjà pris mon rendez-vous et payez mes épices à l’administration pour refaire mes papiers. Je les ai, et je file là-bas.
– Comme tu veux, mais méfie-toi un peu, y a le vieux Riegan qui est en train de chercher des navigateurs pour se rendre en Faerghus. T’es une des meilleurs de toute l’Alliance, il risque de te demander de l’accompagner là-bas. En plus, voyager à bord du navire d’une Drake, c’est l’assurance d’avoir une paix royale pendant toute la traversée.
– Merci du compliment, je sais me faire respecter. Et c’est clair, ce vieux cerf est doué pour débarquer avec juste l’argent pour acheter un rouleau de tissu mité, et repartir avec une cargaison de soierie, marmonna Ivy, connaissant – et respectant – la ruse de son grand-duc qui les avait tirés de pas mal de pétrin, et elle préférait ça à un crétin fini.
– Ouais, et il est encore en forme pour son âge. Il a… quoi ? Quatre-vingts ans cette année ? Et pas plus tard qu’y a trois mois, il avait le projet de rendre visite à sa fille mais bon, quand tu pars avec un arc et une épée dans les bagages, les retrouvailles familiales n’allaient pas forcément être des plus chaleureuses, c’est moi qui te le dis. C’est encore le meilleur archer de toute l’Alliance.
– Comme quoi, commencer à régner avec un taré assoiffé de sang comme Clovis juste à côté, ça forge le caractère. Enfin… s’il me laisse mettre les voiles pour Fraldarius, ça vaudrait le coup de jouer les passeuses pour lui. Pour le moment, tout ce que je veux, c’est savoir comment va la famille de Félicia. Je leur en dois plusieurs en plus, je peux bien leur offrir un petit coup de pouce…
– Capitaine… grrrrand cœurrrrr ! Babilla Noce.
– Oh la ferme, faut bien que j’entretienne mes relations commerciales, rétorqua-t-elle alors que son compagnon de toujours se serrait effrontément contre sa tête. Et je tiens quand même un peu à eux…
Ivy se mit à réfléchir à son organisation dans les prochains jours. Avec un peu plus d’épices que nécessaire, elle aurait ses autorisations en deux semaines au lieu d’un gros mois, et encore plus si le grand-duc lui demandait de l’emmener à Faerghus. Non pas qu’elle ait très envie d’être le toutou des nobles mais, ce ne serait que pour une fois, et Geoffrey était également quelqu’un de bien à l’académie, contrairement à sa sœur alors, si ça pouvait arranger le grand-duc et son héritier, ça pouvait l’arranger elle aussi… et lui ouvrir de nouveaux marchés avec de nouveaux clients potentiels à la cour de Derdriu.
« Bref, j’ai plus d’opportunité de me faire du blé pour retourner naviguer comme je veux où je veux, et je peux aller voir les Fraldarius et savoir comment tout le monde va, c’est tout bénèf’ pour moi… faudra juste que je me retienne de baffer Lambert, ça devrait aller comme condition. »
*
« …c’est une honte ! Quel genre de père êtes-vous ?!
– Un qui ne veut pas salir la mémoire de son fils avec du sang d’innocent.
Rodrigue fit tout ce qu’il pouvait pour garder son calme, les mains posées sur son bureau pour qu’elle ne trahisse aucun état d’âme, bien malgré sa fatigue et celle d’Alix. Tout un groupe de nobles se faisant appeler « les vengeurs » venaient de pratiquement défoncer sa porte, l’interrompant alors qu’il rédigeait un ordre d’arrestation pour Kleiman avec Lachésis et Thècle, ce dernier ayant provoqué toute cette situation. Il savait que Rufus allait le casser, comme le procès lancé par Lambert contre lui pour avoir attaqué Duscur sans sommation et tué vingt-et-un d’entre eux. Kleiman avait réussi à se faire très apprécier par le régent, en appelant à la contre-attaque immédiate contre les duscuriens mais, au moins pour la forme et pour les on-dit, ils devaient le faire. Les serviteurs étaient au courant que Lambert et Dimitri n’avaient vu aucun duscurien, ils avaient déjà fait tourner l’information en discutant en ville et même si beaucoup était persuadé du contraire, le doute permettait de juguler l’envie de vengeance de beaucoup. Une fois l’état de choc passé, Lambert serait surement haï et sa parole caduque mais, il devait en profiter tant qu’elle avait encore de la valeur. Ça leur ferait gagner du temps et pour ça, c’était tout ce dont ils avaient besoins. S’ils arrivaient à instiller suffisamment de doute dans la certitude que les duscuriens avaient organisé ce fiasco, ils pourraient peut-être empêcher la guerre… enfin, il priait la Déesse pour que ça marche dans les milieux roturiers.
Par contre, pour les nobles, ce serait mission presque impossible, ils avaient bien trop à gagner dans une guerre avec Duscur, que ce soit en butin ou en possible annexion. Encore, à l’Est où la zone d’influence des Charon et des Fraldarius était forte, ça allait, leurs vassaux et métayers étaient plus remontés contre le roi à force. Gautier était surtout occupé à faire en sorte que les srengs respectent leur tradition de ne pas attaquer un adversaire à terre. Les Galatéa étaient peut-être fous de rage contre les duscuriens et voulaient les faire tous payer jusqu’au dernier, le comté était coincé entre les Charon et les Fraldarius, et il était pratiquement ruiné. Francis ne pouvait pas se permettre de perdre d’argent dans une telle expédition, autant égorger son peuple lui-même, ce serait plus court que les faire mourir de faim.
Mais à l’Ouest, c’était une tout autre paire de manche… à part Rowe qui était une seigneurie assez importante en termes de taille et de puissance, et un peu Mateus derrière, les autres étaient bien plus petites et morcelées. D’un côté, s’était très pratique pour profiter de leurs divisions internes, ils avaient beaucoup de mal à s’organiser entre eux sans se manger le bec les uns des autres, mais de l’autre, beaucoup nourrissaient l’ambition d’agrandir leurs terres ailleurs et d’augmenter leurs revenus et leur influence par tous les moyens possibles, et la guerre était un excellent moyen d’accéder à cet objectif… surtout face aux duscuriens bien plus faibles militairement qu’eux…
Alors, autant les deux sœurs que lui-même se retrouvaient périodiquement avec des représentants des « vengeurs » venant les exhorter de déclarer la guerre aux duscuriens, officiellement pour venger leur mort et leur faire payer leur crime, officieusement pour récupérer des terres. Alix et les autres Charon recevaient également les mêmes demandes mais, ils les repoussaient tous autant qu’ils étaient. Mais ceux qui restaient à la capitale semblait déterminé à les faire plier et accepter. Ils avaient tenté de le convaincre en le traitant de lâche et de mauvais seigneur au début, mais maintenant, ils allaient même jusqu’à fouler aux pieds le cadavre de Glenn pour le pousser à faire une erreur ! Stratégie très grossière mais, la fatigue ne l’aiderait pas à garder son calme… encore plus avec sa magie aussi instable, elle le pompait aussi ses forces… Rodrigue avait trop peu de temps pour s’entrainer alors, elle s’accumulait en lui… le tout ensemble, elle devenait plus difficile à contrôler, même si ce n’était pas dangereux pour les autres…
– Hors de question de leur donner la satisfaction d’arriver à avoir mon parti sur un coup de sang ou la fatigue… se jura Rodrigue avant de continuer. Sa Majesté et Son Altesse jurent toutes deux que l’armée les ayant attaqués portait de l’écarlate et du noir, et que les soldats avaient la peau blanche comme de la craie pour ceux qui avait le visage découvert. Nous ne sommes pas sûr de l’identité de leurs agresseurs, et les duscuriens n’auraient rien à gagner à provoquer une guerre contre nous, à part une guerre qu’ils sont sûrs de perdre. De plus, ce que vous me demandez est de vous aider à lever une armée destinée à ravager Duscur jusqu’au moindre village. Vous me demandez de faire subir à d’autres parents d’enfants innocents de vivre le même cauchemar éveillé que moi. Comme vous le dites, j’ai aussi perdu mon enfant, mais aussi mon compère, plusieurs proches et des personnes dépendant de ma protection. Je connais cette douleur et cette peine tout autant de vous, et je refuse de faire subir un tel sort à quelqu’un d’autre. Les coupables devront être punis à la mesure de leur crime, je suis tout à fait d’accord sur ce point, mais la justice des hommes et de la Déesse nous ordonne de mener l’enquête afin de déterminer qui sont les vrais coupables. Vous invoquiez Glenn, je sais que mon fils ne voudrait pas que des innocents soient tués dans une soif de sang incontrôlé.
– Dites-vous cela par crainte de l’erreur ou par lâcheté ? Piqua l’un des vengeurs. Après tout, vous n’êtes qu’un bouclier et un gratte-papier. Vous passez plus de temps dans cette étude à écrire qu’à vous entrainer pour défendre nos terres et notre honneur ces derniers temps.
– Je préfère être un lâche qui n’a pas tué un innocent, qu’un soi-disant brave massacrant tout sur son passage par vengeance. Je ne ferais que cracher sur tout ce que j’ai appris de mon compère et de mes parents, puis que j’ai transmis à mes fils. Un crime a été commis, laissons la justice faire son office et chercher les coupables. Faire justice nous-mêmes n’amènera qu’à plus de souffrance inutile, ainsi qu’un sentiment d’injustice qui ne fera que se transformer en envie de vengeance à terme. Et en effet, j’écris des lettres à envoyer dans tout le Royaume pour savoir où en sont les différentes mesures locales visant à éviter une disette et que l’anarchie ne s’installe. Vous n’êtes pas sans ignoré nos difficultés monétaires, même la noblesse doit participer alors que nous payons habituellement l’impôt du sang, et nous avons pour la plupart déjà dû contribuer financièrement à ce voyage. Nous engager dans une campagne militaire ne ferait que gaspiller l’argent destiné au peuple, ce qui serait fatale pour une grande partie d’entre eux, ce qui créerait encore plus d’endeuillé faerghiens, et j’ose espérer que cela n’est point votre objectif.
Rodrigue les laissa s’énerver tout seuls face à lui, répondant à leurs arguments ressemblant de plus en plus à des insultes par des remarques calmes, gardant complètement le contrôle de lui-même. Sa mère avait toujours agi ainsi dans la plupart des situations tendues, tout comme son père : gardez son calme et faire en sorte de rester en contrôle, même quand il s’échappait. La façade de contrôle permettait souvent de repousser les chiens errants, déstabilisés en voyant que leurs petits jappements n’avaient pas l’effet escompté.
Comme prévu, ils finirent par jeter l’éponge pour la plupart d’entre eux, même si l’émissaire de Rowe et quelques-uns de ses sous-fifres tentaient encore leur chance. Le duc était sur le point de les faire sortir quand on frappa à la porte, avant que Félix n’entre, un plateau avec leur repas à la main en appelant, Fleuret sur son épaule et avec l’épéiste qui veillait sur lui.
« Papa ! Tu viens manger ?!
– J’arrive Félix, lui sourit-il, heureux de le voir après avoir subi les « vengeurs » toute la matinée. Pars devant. Je les fais sortir et j’arrive…
– Attendez ! Nous n’avons pas… commença un d’entre eux, avant que l’émissaire de Rowe ne l’arrête.
– Non, laisse-le. Nous ne sommes quand même pas au point de l’empêcher de profiter de la famille qui lui reste, glissa-t-il avec un sourire, jetant un œil au père puis au fils, son sourire s’étendant après avoir scruté Félix. Nous sortons.
Rodrigue se tendit à ces mots, méfiant. C’était trop beau et trop facile… et cette expression… elle faisait crépiter le surplus de magie en lui, prêt à tonner au moindre danger menaçant son petit… il les fit sortir en verrouillant sa porte, posant même un sceau sur la serrure au cas où. La libération de magie lui fit du bien… ses veines s’allégeait un peu du surplus… il fallait vraiment qu’il trouve quelques minutes pour s’entrainer… le père allait rejoindre son fils quand l’émissaire le retient une seconde en déclarant, un sourire entendu aux lèvres.
– Votre fils est adorable avec vous, on voie combien il vous aime, et à quel point vous tenez à lui également.
– J’ai toujours été très attaché à ma famille, répondit-il en restant dans ce qui était connu de tous et le plus vague possible, ne devant pas donner trop d’information à cet homme.
Rodrigue voyait bien qu’il tentait de lui tendre un piège, et il ne devait surtout pas tomber dedans.
– Cela se voie et c’est touchant. C’est admirable d’entretenir des liens aussi forts dans une famille, même si c’est surement aussi un héritage pour la vôtre. Après tout, vous ne vivez pas très longtemps chez vous, il est logique que vous profitiez autant que vous risquez de vous perdre les uns les autres à la moindre mission pour le Royaume. Il doit être votre soleil en ses temps difficiles, surtout que c’est un enfant plein de vie et de ressources… malgré toutes ses horreurs, il garde toute sa force et continue à avancer.
– C’est le cas dans la plupart des familles, et Félix a toujours été un battant. Il tient de sa mère, louvoya-t-il encore sans répondre directement à la remarque sur leur courte durée de vie, même s’il sentait les poils de sa nuque s’hérisser, craignant ce que l’émissaire allait dire après avoir planté un tel décor.
– Peut-être pas à ce point… enfin, j’imagine que vous voulez le meilleur pour votre enfant, et c’est également extrêmement louable de votre part. Il serait d’autant regrettable qu’il lui arrive quoi que ce soit, encore plus si peu de temps après que son frère ait perdu la vie. Après tout, nous serons d’accord que tout parent veut le meilleur pour son enfant, en particulier pour sa sécurité. En une période aussi trouble, cela doit beaucoup vous…
L’émissaire se tut d’un coup en sentant le regard acéré de Rodrigue braqué sur lui, dur comme de l’acier alors qu’il exprimait à peine sa méfiance l’instant d’avant. Rien dans son expression ou son attitude n’exprimait la moindre agressivité ou colère mais, son regard était comme des crocs pressés contre sa gorge, prêt à lui arracher s’il commettait la moindre erreur. Le duc n’avait fait que changer légèrement d’expression, redresser légèrement les épaules en les tendant et à relever le menton pour le toiser avec méfiance, un avertissement tacite. Il en semblait même plus grand alors qu’il était de taille moyenne et qu’il avait perdu pas mal de poids en quelques semaines, surement à cause des rationnements de nourriture. Au moins un noble qui le respectait… mais sa face un peu émaciée rendait ses arêtes plus aigües, plus dures, aiguisant encore plus son regard comme des crocs.
« Ça se voie qu’il a étudié la politique avec sa mère… cette maudite Aliénor pouvait menacer quelqu’un d’avoir sa tête d’un regard ! »
– Effectivement, tout parent veut le meilleur pour ses enfants et qu’ils vivent en toute sécurité. Je serais prêt à tout pour protéger Félix et ne pas le perdre lui aussi. Alors, ne vous en faites pas, la moindre personne qui aurait l’audace de lui faire le moindre mal le paiera très cher, déclara le père d’un ton glacial, ses mots coulant le long de l’échine de l’émissaire comme une pluie insidieuse qui glaçait jusqu’aux os, d’une froideur que n’aurait pas renier le roi Ludovic. D’après notre cher Nicola, je ressemble comme deux gouttes à mon père pour ce qui est de ma… détermination à protéger notre famille. Cela est déjà un avertissement en soi.
C’était peu de le dire aux vues du sort que Guillaume avait réservé à ceux qui avaient tenté de lui ravir son héritage, ou de s’en prendre à ses fils, surtout qu’une fois qu’il mordait, il ne lâchait plus. Celui qui avait été le plus proche d’arracher les jumeaux à leurs parents avaient fini sans terre, ni titre, ni noblesse, ni fortune, ni allié, ni rien alors que c’était un noble de premier plan au départ, mais qui avait voulu récupérer de riches terres appartenant à Fraldarius. Dans cette optique avait pensé que c’était une bonne idée de tenter d’enlever les enfants des ducs pour en faire une monnaie d’échange sûre. Les parents des jumeaux l’avaient complètement détruit, arraché à coup de crocs tout ce qu’il avait morceau par morceau. Cette affaire leur servit d’avertissement à tous leurs ennemis, et la Déesse savait que Guillaume en avait beaucoup : le moindre ennemi qui s’approchait de leur tanière et de leur portée serait déchiqueté sans la moindre pitié.
L’émissaire ne put empêcher un frisson d’agiter tout son corps. Il savait qu’Alix était le portrait de son père mais, il ignorait que Rodrigue pouvait être aussi impitoyable, ou au moins menacé de l’être de manière aussi convaincante. Il était plus apprivoisé que son frère en apparence mais, il était tout aussi sauvage que lui finalement… il sentait presque la magie crépitée dans les veines du duc, prête à le balayer comme une pauvre branche dans des rapides s’il s’approchait un tant soit peu de son fils. Son maitre devait être bien plus prudent qu’il ne le pensait de base avec lui !
– Je comprends parfaitement, et je prie pour que cela n’arrive jamais. Sinon, vous pourrez compter notre soutien pour obtenir justice. Nous cherchons la même chose.
– Bien, je vous saurai gré de faire passer ce message, afin de prévenir tout intention malveillante de la part de vos camarades. Je ne doute pas de votre bonne foi mais, qui sait s’il n’y a pas parmi vous quelques âmes perdues ou corrompues qui serait prête à employer de telles méthodes. Toutes nos forces doivent être entièrement tournées vers le maintien du Royaume, surtout que les récoltes s’annoncent mauvaises cette année. Je suis sûr que vous avez également à cœur que le pays où vit votre famille ne sombre pas, n’est-ce pas ?
– Cela va de soi. Si vous voulez bien m’excusez Votre Grâce…
L’émissaire fit une petite révérence en guise de salut avant de s’enfuir, ne voulant pas rester aussi proche d’une bête qui risquait de le mordre. Tant pis pour l’accès au marché noir, il ne voulait pas risquer de se faire égorger par un loup enragé ! Son maitre devrait se montrer prudent avec lui s’il ne voulait pas finir comme un lièvre broyé sous ses crocs !
« Cependant, il avait l’air… étrange… il est fatigué et il perd du poids, c’est évident et en plus, il n’a pas l’air de pouvoir beaucoup s’entrainer… pour un magicien aussi expérimenté que lui, ça pourrait s’avérer dangereux pour sa santé… cela intéressera surement le Seigneur Rowe… »
Rodrigue se frotta la main en voyant l’homme partir, mal à l’aise en rejoignant Félix qui l’attendait à l’angle du couloir. Heureusement, il était loin et du côté de son dos quand il parlait à l’émissaire… aux vues de son visage, son expression devait être monstrueuse et il ne voulait pas montrer ça à son fils.
Sa magie s’agitait dans tous les sens dans son corps, tapant contre les parois de ses veines. Sa colère avait dû la rendre plus instable, prête à être utiliser même s’il n’en avait pas l’intention. Il fallait vraiment qu’il se trouve un moment pour s’entrainer un peu et l’utiliser, le père allait encore plus se ruiner la santé qu’il ne le faisait déjà en dormant aussi peu… au moins, l’avertissement était passé… même s’il n’aimait vraiment pas être aussi agressif, il n’avait pas pu s’en empêcher… ce n’était peut-être que l’émissaire et le comte Rowe l’affirmerait surement s’il le confrontait mais, les vengeurs étaient prêts à tout pour commencer cette guerre, même aux manœuvres les plus basses…
« Papa ? L’appela Félix en lui prenant la main, le plateau appuyé sur sa hanche. Tout va bien ?
– … oui, ne t’en fais pas. Les vengeurs viennent souvent réclamer beaucoup de choses à mon étude. Je leur refuse tout ou presque car, c’est dangereux pour le Royaume, même si Rufus est avec eux. Il faut simplement que je fasse attention quand je choisis mes mots…
– Rufus est un crétin, il sait rien faire à part râler. Mais j’ai entendu qu’il parlait de moi… et tu t’es figé quand le type de Rowe te l’a dit avant qu’il n’ait l’air d’avoir peur…
– Ta langue Félix et…
Rodrigue hésita, ne sachant pas s’il devait lui dire ou non. Il faisait tout pour épargner autant d’horreur et difficulté que possible, même si son louveteau en était très conscient, c’était impossible de tout lui épargner. Il ne voulait pas dire à Félix que l’émissaire venait de le menacer pour faire plier son père mais d’un autre côté, il devait également le prévenir des dangers qui planaient autour de sa tête. Lui mettre des œillères ne le préparerait pas à affronter les difficultés non plus… après ce qu’il venait d’entendre, Rodrigue devait redoubler de prudence… les vengeurs ne reculerait devant rien…
– Je t’en parlerais quand on sera dans nos appartements, déclara-t-il alors en le débarrassant du plateau de nourriture. D’accord ? »
Félix dut sentir la gravité dans sa voix car, il accepta d’un hochement de tête sans discuter, prenant Fleuret dans ses bras. Ils traversèrent le palais en silence puis, une fois seuls, ils s’assirent côte à côte sur le banc, le père reprenant là où il s’était arrêté.
« Tu sais que beaucoup de seigneurs de l’Ouest veulent provoquer une guerre avec Duscur pour se venger officiellement.
– Oui, je l’ai entendu mais, Dimitri et le chien idiot ont encore dit que c’était pas leur faute ! Rétorqua Félix. Dimitri dit que c’était des gens avec une peau blafarde qui faisait beaucoup de magie avec leur main ! Alors que chez les duscuriens, leur magie est dans des objets ! C’est pas eux !
– Je sais, et eux aussi certainement. En réalité, il est fort probable que leur principale motivation soit de récupérer des terres et les mines duscuriennes afin de s’enrichir, quitte à utiliser la Tragédie à leur avantage mais, pour cela, ils doivent normalement obtenir l’aval du roi. Ni Rufus, ni les Charon, ni moi ne pouvons provoquer une guerre tant que Lambert est en vie, c’est lui seul qui a ce pouvoir… cependant les vengeurs ne reculeront devant rien pour provoquer une vendetta sanglante, notamment en recevant le plus de soutien possible. Ils sont prêts à tout pour ça, surtout que Rufus est de leur côté, même s’il n’a pas réussi à convaincre son frère de commencer une guerre, la Déesse soit louée… Étant donné qu’ils pensent que j’ai beaucoup d’influence sur Lambert, ils essayent de me pousser à les soutenir afin de le faire plier. C’était ce que tentaient de faire ces émissaires quand tu es arrivé.
– Sauf que c’est pas le cas sinon, tout le monde serait encore là… gronda Félix avec un regard noir, serrant un peu Fleuret dans ses bras. Les chiens idiots, ça n’écoute personne… mais pourquoi il te parlait de moi alors ?
– … ils cherchent un moyen de pression sur moi et… et il y a des chances qu’ils s’en prennent à toi afin de me forcer à faire tout ce qu’ils veulent.
– Quoi ?! Hoqueta Félix avant de montrer les dents. N’ai pas peur papa ! Je ne me laisserais pas faire ! Je me défendrais ! Et Zoé est avec moi ! Ils ne m’auront jamais !
– J’en suis sûr, tu es très fort mais, je m’inquiète quand même pour ta sécurité. S’ils décident de te faire du mal ou de t’enlever, ils viendront bien plus nombreux que tu ne pourras pas les repousser malgré ta force, même avec Zoé. Je te l’ai dit, ils ne reculeront devant rien pour déclencher une guerre… Rodrigue fit une pause avant de souffler. Cela devient beaucoup trop dangereux pour toi… il vaudrait mieux que tu rentres à la maison…
– Ah non ! Je rentre pas ! Refusa-t-il d’un coup sans hésiter une seconde. Tu resterais tout seul ici avec les chiens idiots sinon ! Je te laisse pas tout seul ! Je reste avec toi ! Tu sais pas rester tout seul en plus ! Laisse-moi rester encore un peu papa !
Les mots de son fils furent comme une couverture qu’il serrait sur son cœur, autant un réconfort qu’une attache infernale l’empêchant de faire ce qu’il devrait faire. Rodrigue le serra alors dans ses bras, ne sachant pas comment lui refuser cela après ses mots… il voulait juste garder son fils à ses côtés malgré tout…
– Comment je suis censé être raisonnable après des arguments pareils ? Je suis désolé Félix…
– T’excuse pas, tu l’es tout le temps toi. Tu peux ne pas l’être de temps en temps…
– Je ne peux pas vraiment me le permettre… souffla-t-il avant d’accepter. D’accord, tu peux rester encore un peu mais, si tu es en danger ou que les choses s’aggravent encore, tu rentreras à la maison. Ce sera moins dangereux pour toi dans notre fief, d’accord ?
– …D’accord… mais si ça arrive, tu rentres à la maison pour voir Alix et la tombe de Glenn. Tu ne t’arrêtes pas depuis des semaines… toi aussi tu dois te reposer…
– Tu es aussi dur en affaire que ta mère, arriva à sourire Rodrigue avant d’hocher la tête en priant pour que cela soit possible. C’est d’accord, on fera ça… mais soit prudent Félix.
– Promis papa ! »
Rodrigue lui embrassa le front en priant, la magie brûlant ses veines devenant légèrement moins douloureuse quand il était avec son fils.
« Déesse, Mère de toute vie, toi qui connais la douleur des parents perdant un enfant quand les tiens te rejoignent, protège mon fils du mal, je t’en supplie… »
*
« Estelle ! Bernard !
Les deux soldats levèrent la tête en entendant l’appel d’Alix, leur deuxième duc arrivant vers eux. Il avait l’air encore plus mal que d’habitude, plus agité, et cela se confirma quand il déclara.
– Rodrigue a des problèmes à la capitale. J’aimerais que vous vous rendiez à ses côtés pour l’épauler et l’aider à se défendre. Ma main au feu que ce sont des chiens errants qui tentent de profiter du deuil de tout le monde pour se remplir les poches. Je m’inquiète pour lui et Félix, ces vautours seraient capables d’enlever le louveteau pour arriver à leurs fins.
– Bien sûr, répondit sans hésiter Estelle après avoir consulté son second d’un regard, ce dernier acceptant aussi d’un hochement de tête. Vous avez reçu une lettre ?
– Non mais, j’ai senti qu’il se tendait et s’énervait vraiment. Je sais qu’il lui ait arrivé quelque chose ou qu’il a été menacé, je le sens d’ici et aux vues de ses dernières lettres, c’est surement ces chiens errants de vengeurs qui sont revenus gratter à sa porte. En plus, le connaissant, il ne s’inquiète pas pour lui alors, ça doit être pour le louveteau, et ça pue encore plus. Alors, je préfère prendre des précautions.
– On ne vous a jamais dit que vous étiez des vrais jumeaux jusqu’au bout tous les deux ? Lâcha Bernard, s’étonnant toujours de ce genre de chose malgré l’habitude. Enfin, c’est normal que vous vous inquiéter pour lui vu la situation.
– Il est moi et je suis lui, ça ne change pas. Il a le flanc ouvert en pleine tempête pendant la compagne sreng, je le retrouve dans le blizzard, c’est pratique. Je m’inquiète surtout que les deux connards n’abusent encore plus de lui en plus des vengeurs. Rufus ne change pas ses bonnes habitudes de lui laisser faire tout le boulot sans qu’il puisse dire trop non car bon, on ne refuse rien à la famille royale, et même si Lambert était en état, j’ai pas envie que le Royaume subisse encore ses décisions connes.
– On comprend, et nous aussi, on voudrait que le pays continue à tourner, surtout que de ce qu’on a compris, Rufus passe son temps à lui mettre des bâtons dans les roues alors, du renfort ne sera jamais de refus, déclara Estelle sans hésiter.
– Merci beaucoup, les remercia Alix avec soulagement.
– Par contre, vous devriez vous reposer un peu, fit remarquer Bernard. Vous êtes blafard avec des cernes de dix cordées de long, et vous avez maigri avec ça. Je sais que vous êtes débordé au point de ne plus avoir beaucoup de temps pour vous entrainer, mais ça n’aurait pas dû vous faire perdre autant de poids en si peu de temps…
– J’ai pas vraiment le temps pour ça… heureusement, dans notre fief, c’est Lambert qui a cristallisé la colère autour de la Tragédie et pas les duscuriens mais, y a quand même beaucoup de paysans qui ont dû finir la césure en volant… c’est chez nous que les marchands de Leicester arrivent, il faut que les routes soient sûres…
– Oui mais, si vous tombez, vous ne pourrez pas continuer à travailler. En plus, vu que vous sentez ce qui arrive au seigneur Rodrigue, il doit aussi sentir votre état, et il doit aussi s’inquiéter en sentant votre fatigue. Si ce n’est pas pour vous, faites-le au moins pour lui… je suis sûr qu’au moins cinq minutes de sieste le rassureraient beaucoup !
Alix fit la moue mais, finit par grogner.
– Bon, d’accord mais, cinq minutes et pas une de plus, et parce que je sais que si je le fais, Rodrigue sera un peu moins inquiet.
– D’accord, c’est déjà ça ! Sourit l’adjudant.
Le second duc marmonna dans sa barbe avant de repartir, la fatigue se lisant dans chacun de ses mouvements. Après avoir préparé ce foutu voyage en deux mois à peine, puis ces dernières semaines à travailler d’arrache-pied pour que leur fief ne meure pas de faim, ce n’était guère étonnant, encore plus séparé de son frère.
« Allez, vient, allons faire nos bagages. Le Seigneur Rodrigue doit être dans le même état que lui, lui ordonna à moitié Estelle en se redressant.
– Faut qu’on trouve une idée en chemin pour réunir toute la famille, ils ne vont pas bien du tout loin les uns des autres, même si ça va être compliqué… ce n’est pas le roi qui va nous tirer de ce bourbier, c’est plutôt nos ducs et les Charon…
– J’ai aussi plus confiance en eux. Et le Lambert, il nous a poussés dans ce merdier en souriant que tout se passerait bien, grogna Estelle avant d’ajouter, serrant le poing autour de la poignée de son poignard. On a pas un roi, juste un chien. Il pourra dire ce qu’il veut, les ordres des seigneurs Alix et Rodrigue passeront en premier pour moi. Eux au moins, ils ont tout fait pour empêcher ce fiasco. Et toi ?
– Idem honnêtement, répondit sans hésiter Bernard, imitant le geste de sa supérieure en serrant le manche de sa masse. J’ai déjà deux ducs, pas besoin d’un roi.
*
« …donc, pour la levée de l’impôt extraordinaire, nous devrions faire appel à des agents du Royaume directement plutôt que des intermédiaires qui avancent l’argent et se rembourse après, proposa Thècle après avoir calculé le montant dont ils avaient besoin pour le restant de l’année, plus élevé que prévu à la base.
– Je suis d’accord, la soutient Lachésis. Ces agents sont largement détestés et ne s’encombrent pas de scrupule. Ils ne feraient que jeter encore plus d’huile sur le feu, on en a clairement pas besoin, sauf si on veut anéantir ce qu’il reste de respect envers le roi.
– Nous sommes donc tous du même avis, conclut Rodrigue en finissant de noter ses calculs. Nous risquons de manquer de bras par contre alors, il faudra soit faire appel à des agents de nos fiefs ou en recruter… cela serait peut-être à jouer, marmonna-t-il pour lui-même. Même si ce sont des dépenses en plus, si les brassiers trouvent un moyen d’avoir une paie régulière, ils n’auront pas à recourir au brigandage pour se nourrir, ce qui réduira la dangerosité des routes pour les marchands. Par contre, il faudrait des personnes avec un minimum d’éducation, on n’a pas vraiment le temps de les former au calcul…
– Nous pourrions alors faire appel à des gens de nos fiefs respectifs. Autant les vôtres que les nôtres sont tous passé par l’école, et ils seront plus fiables que des personnes venant d’autres fiefs, fit observer Lachésis.
Rodrigue hocha la tête, pensif. Des bras supplémentaires ne seraient pas de refus, ils n’étaient clairement pas assez nombreux. À eux trois, ils effectuaient au moins le travail d’une dizaine de personnes, une bonne partie des responsables étaient morts à Duscur… en plus, comme l’avait fait remarqué l’ainée des Charon, ils seraient bien plus fiables et fidèles à leur nom directement, ce serait toujours utile pour mieux contrôler l’administration et s’assurer que tout se passe bien. Les seigneurs de l’Ouest tenteraient également de mettre leurs propres sujets à ses postes mais, ils ne devaient surtout pas gagner encore plus d’influence et de pouvoir qu’ils n’en avaient déjà. Ils s’emparaient de l’administration, la guerre était assurée, autant avec Duscur qu’interne, les « vengeurs » n’auraient aucun scrupule à récupérer les fonds pour leur « vengeance » directement sur les cadavres des paysans molester pour leur prendre leurs dernières pièces… et ça, c’était si l’Église Occidentale n’envoyait pas ses clercs lettrés par « solidarité confessionnelle »… non, les seigneurs de l’Ouest qui n’étaient pas de confiance ne devaient jamais mettre le moindre pied dans l’administration, c’était une question de vie ou de mort à ce stade ! Par contre…
– Sa Majesté risque de les croire quand les vengeurs diront qu’ils veulent aider… et le régent va vouloir placer ses propres proches, leur fit remarquer Rodrigue.
– Oui, il va falloir les prendre de vitesse tous les deux, et l’église occidentale au passage. Je leur opposerais bien l’ordonnance contre les sectes et le fanatisme mais bon, est-ce qu’il reste quelque chose du roi Ludovic que Lambert n’a pas massacré, je vous le demande… grogna Thècle.
– C’est bon pour celle-ci, elle est à peu près sauve, on pourra leur mettre sous le nez pour faire barrage, leur rappela Lachésis avant d’ajouter avec dépit, même si Rufus s’assiéra surement dessus. Quand il s’agit de son père, il se comporte encore plus comme un adolescent attardé. Cependant, pour le moment, les vengeurs et lui semblent surtout se concentrer à se faire un réseau et ne pensent pas trop aux petites mains. C’est l’occasion de renforcer nos positions avant qu’ils ne s’en rendent compte et ne puissent riposter.
– Vous n’avez pas tort… j’ai déjà plusieurs personnes en tête, même si elles risquent de ne pas venir pour le roi mais, seulement par fidélité envers ma famille… les prévient Rodrigue. Enfin, après ce qui s’est passé, ça va être compliqué de rallier les gens autour du nom de Lambert une fois l’état de choc passé.
– Ne vous en faites pas, on comprend et de toute façon, cela risque d’être la même chose de notre côté. Enfin, l’important, c’est qu’ils arrivent à travailler ensemble. La question de leur hommage importe peu pour le moment…
Lachésis laissa la fin de sa phrase en suspens, tous sachant parfaitement ce à quoi elle pensait : « si cet hommage est envers nous, cela nous arrange, mais nous devons nous montrer fins et discrets pour que cela marche. » Elle n’avait pas tort… ce n’était pas très respectueux pour la famille royale mais pour le moment, ils devaient avant tout consolider leur propre position pour tenir face à Rufus. À eux trois pour le moment, ils tenaient toutes l’administration, une partie de la justice et le pouvoir officieux qui les accompagnaient, mais c’était assez faible face aux pouvoirs d’action du régent, officiel et plus coercitif. Eux pouvaient agir dans tout le Royaume grâce à leur place au conseil, mais elle était révocable à tout moment sur le moindre mot de Lambert, ou s’ils en étaient écartés petit à petit par Rufus pour placer ses proches, et lui ne perdrait jamais sa place dans la famille royale… non… les trois conseillers marchaient sur des œufs… la prudence devait rester leur mot d’ordre…
– Alors, même si nous devons agir vite, faisons-les arriver petit à petit… proposa Rodrigue. Une armée qui se déplace se voie et les défenseurs s’adaptent pour les repousser. Des petites incursions régulières devraient être plus efficaces et passer inaperçues. Une fois qu’ils seront assez nombreux, nous pourrons peut-être avoir l’occasion d’en faire venir plus sous couvert de l’efficacité des premiers, et pour que les différents services s’entendent bien entre eux pour travailler.
– Comme les srengs, fit remarquer Thècle sans louper l’ironie. On envoie les éclaireurs, puis les espions, puis les saboteurs, on soudoie les gens qu’on ne peut pas tuer tout de suite ou on les égorge, puis le gros de l’armée débarque en un éclair quand la cible est déstabilisée. Enfin, on est en guerre contre les vengeurs pour éviter un vrai bain de sang alors, ce n’est pas inapproprié.
– D’ailleurs, Fregn est bien silencieuse ses derniers temps… honnêtement, je pensais qu’on verrait ses sœurs débarquées dans le dernier mois à Fhirdiad, afin de renégocier les traités de paix, avec leur flotte et leur hache si nécessaire… ils ne conviennent surement plus à Lambert vu ce qu’il a fait… apparemment, elle est toujours dans le nord mais, nous devions nous méfier, cette femme est comme une ombre qui se glisse n’importe où… pensa à voix haute Lachésis avant de se tourner vers Rodrigue. Vous avez des nouvelles d’elle de votre côté avec Alix ?
– A part qu’étant donné les évènements, elle comprend pourquoi nous ne pourrons pas accueillir Sylvain pendant la morte saison, surtout qu’Isidore y était réticent de base étant donné qu’il est majeur à présent, pas grand-chose. Elle ne laisse rien paraitre et ne lâchera surement rien… pas officiellement en tout cas… hum… Rodrigue fouilla dans ses souvenirs des lettres, même si les mots se mélangeaient dans sa tête à cause de la fatigue et un fond de migraine qui ne le quittait pas depuis sa confrontation avec l’émissaire Rowe, quand il se souvient d’un détail. Cependant… peut-être qu’elle est plus de notre côté… mais sans être de celui de Lambert ou de Faerghus… même si ce n’est surement pas une bonne nouvelle pour nous vis-à-vis de la famille royale…
– C’est-à-dire ? Explique-toi ? Le poussa à continuer Thècle.
– Les srengs ont beaucoup de mal à comprendre notre monarchie héréditaire, ainsi que la vassalité. Ils raisonnent plus en clans, en peuples et en alliances occasionnelles, et surtout par respect qui suit un code de l’honneur assez strict, tout en jouant les arbitres les uns pour les autres. Ça n’a aucun sens pour eux d’obéir à quelqu’un simplement parce qu’il est né dans la bonne famille, ni que nous lui devions nos terres et notre pouvoir dans la loi. Nous vivons sur ses terres, ses terres nous appartiennent, et nous n’avons pas à écouter quelqu’un qui n’est pas à notre hauteur, ce n’est qu’une insulte fait à soi-même. Fregn l’a bien exprimée lorsque nous avons appris pour ce voyage : « Respecter des personnes irrespectables revient à s’insulter soi-même. Cela signifie que vous considérez comme égale ou supérieure une personne inférieure à vous. Je refuse de me rabaisser car, il a une couronne dans les veines ».
– Hum… ce n’est pas faux, surtout qu’elle était particulièrement bavarde ce jour-là, même si je comprends d’où ça vient. Mais justement, Lambert n’a pour le moment que son sang pour faire respecter son autorité, ce que les srengs méprisent. Raison de plus pour venir renégocier ses traités en vitesse, fit observer Lachésis avant d’ajouter avec pessimisme, sauf si elle est en train de rassembler toute la péninsule pour lancer une attaque sur Fhirdiad. Ils n’attaquent pas les gens à terre mais, Lambert n’est pas assez digne de respect pour qu’ils appliquent cette règle.
– C’est justement là où on entre en scène. Dans les lettres que nous a écrites Fregn, elle fait souvent référence à nos yeux, que ce soit les nôtres ou ceux de votre famille mais, jamais avec Lambert ou Rufus. Elle utilise plutôt des phrases ou des métaphores pour dire qu’ils n’y voient rien, qu’ils sont « sans yeux ».
Lachésis se redressa en entendant ce détail, comprenant aussi ce que cela voulait dire.
– Les srengs appellent leur mauvais roi « les rois sans yeux ». Le vrai mot est intraduisible mais, ils utilisent ce genre d’expression pour expliquer leurs pensées. Pour elle et surement pour ses sœurs et confrères, Lambert est un roi sans yeux et Rufus ne vaut pas mieux mais, s’ils parlent de nous en désignant nos yeux, c’est que nous sommes assez dignes de respect pour que les traités tiennent.
– C’est de la manière dont j’interprète les choses en tout cas, confirma Rodrigue. Pour elle, tant que nous sommes en bonne position pour agir et de décider pour l’ensemble du Royaume, Fregn considère qu’elle ne s’insulte pas en nous respectant. Cependant, elle ne fera surement pas la même chose avec Lambert et Rufus. Si elle les décrit comme des rois sans yeux, elle ne s’abaissera pas à leur obéir, et les autres srengs aussi.
– Et bien, on n’est pas dans le sable jusqu’au cou… c’est bien gentil qu’elle nous respecte, ça nous fait une alliée relativement fiable, même si je suis sûre qu’elle a quelques oreilles à gauche à droite dans la capitale, elle ou ses sœurs. En plus, si vous arrivez à l’aider à protéger son fils, elle vous sera surement redevable. Cependant, nous, on est aussi les plus instables au conseil. Nous, on peut nous renvoyer, Lambert et Rufus, non. Si on est renvoyés, la « gentillesse » des srengs part avec nous, et ils ne vont pas se gêner de rappeler un roi sans yeux à l’ordre. C’est comme ça qu’ils font, un roi méprisable ne mérite que de se faire renverser ou plumer.
Les trois se regardèrent, mal à l’aise avec cette information. Cela les arrangeait, évidemment que cela les arrangeait que les srengs se tiennent tranquilles s’ils étaient là. Ça pourrait même leur donner un peu plus de pouvoir contre Rufus mais bon, ils agitaient cette menace, c’était leur tête qui tombait… le régent n’était pas assez bête pour leur laisser un pouvoir aussi important, même si ça voulait dire que les srengs viendraient frapper à leur porte le lendemain, ainsi que leur famille… ils devaient être très prudents et faire avec ce qu’ils avaient…
Ils discutaient d’une tournée des deux sœurs dans le domaine royal pour assurer la cohésion interne, ainsi que se trouver des alliés en interne du cœur du Royaume, quand une petite fille entra en trombe dans la pièce en criant. Rodrigue reconnut tout de suite la petite sœur duscurienne qui avait suivi Dimitri avec son frère, la petite Sasiama qui vient tout de suite lui tirer la manche, complètement affolée en débitant dans sa langue, répétant en boucle pour bien se faire comprendre.
« Dmitrios ! Dmitrios ! … … … … mal ! Dmitrios ! … … … le… … … mauvais ! Aidez-le ! Aidez-le ! Dmitrios !
– Dimitri ?! Il va mal ?! S’alarma tout de suite Rodrigue en comprenant les bouts de phrases. J’y vais !
– On va chercher les médecins ! » S’exclamèrent les deux sœurs.
L’homme suivit en courant la petite fille dans les couloirs du palais jusqu’à la chambre du prince. Il le trouva allongé sur le côté, tenu par Dedue et Félix alors qu’ils le faisaient vomir, son fils utilisant sa magie sur lui pour l’aider. Il le rejoignit pour l’aider en demandant, comprenant ce qui se passait.
« Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Il a mangé sa soupe et il n’y avait pas de problème mais, il a eu mal au ventre et à la poitrine juste après alors, on le fait vomir ! J’ai utilisé Soin pour l’aider à tenir !
– Vous avez bien fait, lui assura-t-il en tentant de garder son calme pour ne pas les affoler encore plus, devinant ce qui avait provoqué ses symptômes d’un coup. On va à utiliser Vitalis et s’il s’affaiblit, on utilisera Reconstitution. Il a toujours Areadbhar ?
– Oui, j’y ai fait très attention !
– C’est très bien Félix. On reprend un autre Vitalis ensemble à trois. Un… deux… trois !
Ils envoyèrent une nouvelle vague de magie de foi en Dimitri qui purgea les dernières gouttes de poison, le prince finissant de rendre son repas, l’estomac vide. Les Fraldarius se mirent alors à utiliser un « soin » pour lui rendre un peu de force et l’aider à retrouver ses sens, alors qu’il hacha difficilement après s’être rincé la bouche sans rien avaler, histoire de ne pas dilué ce qui lui restait de suc gastrique.
– R…Rodrigue… Félix… Dedue… Sasiama…
La petite fille tenue par son frère pépia en pleurant quelque chose que le père et le fils ne comprirent pas, mais le blond essaya de sourire en assurant dans sa langue, avant de traduire.
– Elle est très inquiète, elle a eu très peur en me voyant comme ça… mais… mais qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai mangé et d’un coup, j’ai eu mal au ventre, à la gorge et à la poitrine… ça m’a donné envie de vomir…
Dedue dit aussi quelque chose en montrant sa bouche, déclarant avec des mots simples à comprendre pour mieux expliquer ce qu’il voulait dire sans savoir le dire en fodlan.
– Beaucoup… … beaucoup d’eau blanche… … … … pas normal alors, demander à Sasiama courir au… au… [aide ? Médecin ?]
– Tu as bien fait Dedue, lui assura-t-il avant de chercher comment le traduire en duscurien, parlant assez basiquement cette langue alors, il lui dit simplement pour ne pas faire d’impair. Merci beaucoup… pour… votre aide de… à tous les deux. Et de beaucoup salive ? Hum…
Rodrigue regarda les vomissures au sol, verdâtres avec quelques gouttes de sang, les yeux tous rouges de Dimitri. Et il s’était senti mal dès qu’il avait avalé son repas sans temps de latence… Cela ressemblait à un empoisonnement à l’arsenic… mais il ne pouvait pas en être sûr…
Quand la médecin arriva enfin avec Thècle et Lachésis, même si cette dernière repartit assez vite en voyant la scène, comprenant ce qui se passait. Elle ausculta et donna un antidote au prince puis, souffla aux adultes qu’ils devaient parler, laissant le prince avec ses amis qui s’occupaient de lui. La femme lui confirma alors.
– Il présente tous les symptômes d’un empoisonnement à l’arsenic. Heureusement qu’ils l’ont fait vomir tout de suite et utiliser la magie de guérison pour le faire tenir avec sa Relique, puis que vous ayez eu recours à Vitalis, cela lui a surement sauvé la vie. Quelqu’un a dû le mélanger à sa nourriture… mais c’est aussi un poison virulent qui agit très vite, son gouteur aurait dû avoir les mêmes symptômes que lui dès qu’il a avalé le bouillon…
– C’est le cas, mais il n’a pas eu autant de chance que Son Altesse, il est mort.
Lachésis revient vers eux avec un autre domestique, horrifié par ce qu’il venait de se passer alors qu’elle expliquait.
– Voici Florien Seite, le collègue de travail de Didier Lonfain, le gouteur de Son Altesse. Ils ont apporté son repas à Dimitri ensemble. Ils n’ont pas encore monté le repas de Sa Majesté alors, ils sont en train de vérifier en cuisine si sa nourriture n’est pas empoisonnée.
– D’accord, merci beaucoup Lachésis, la remercia Rodrigue, avant de se tourner vers le domestique, essayant de rester calme malgré la situation. Je suis désolé pour votre collègue, surtout que nous avons tous perdu bien trop de monde en trop peu de temps.
– M… merci beaucoup Votre Grâce… je… ô Déesse… ça faisait cinq ans que je travaillais avec lui ! Il était comme tout le monde Didier, il adorait le petit prince ! M… que cela reste entre nous, moins le roi depuis ce foutu voyage mais, le petit prince ? Déesse toute puissante ! Il l’aimait beaucoup ! Qui ne pourrait pas aimer un gamin aussi adorable ?! Je… je ne comprends pas ce qui a pu se passer !
– Je comprends votre trouble, surtout si vous le connaissiez depuis très longtemps, c’est une lourde perte. Cependant, nous devons vous poser quelques questions sur ce que vous avez vu, afin de mieux comprendre ce qui s’est passé. Pouvez-vous répondre maintenant, ou préfériez-vous attendre un peu pour vous calmez ?
– Je… je préfère répondre maintenant… ça doit être important… rien que pour aider le petit prince…
– D’accord, merci beaucoup à vous, n’hésitez pas à nous dire si cela devient trop pour vous et que vous voulez faire une pause. Pour commencer, pouvez-vous nous raconter ce que vous avez fait aujourd’hui ?
– On… comme tous les jours, on a monté le bol de soupe de Son Altesse dans sa chambre, vu qu’il ne peut pas quitter son lit… Didier a gouté le repas de Son Altesse devant lui comme d’habitude, n’a rien senti de bizarre, puis on est retourné en cuisine pour prendre notre repas à nous mais, il s’est senti mal, puis il s’est mis à vomir… le… le temps que je trouve quelqu’un pour le surveiller, il était déjà mort !
– Vous êtes retournés en cuisine ? Il s’est senti mal quand ? Après combien de temps après avoir gouté le plat ? Le questionna la médecin.
– Je… je sais pas trop ! Dix minutes, peut-être ? Le temps de redescendre les étages, d’aller en cuisine et de mettre nos couverts sur la table avec les autres… il demanda au médecin en la voyant froncer les sourcils. Qu’est-ce qu’il y a ? Il y a un problème ?
– Plutôt… l’arsenic est un poison foudroyant, il aurait dû ressentir les symptômes dès qu’il a avalé la nourriture empoisonnée, sauf s’il avait pris un antidote ou qu’il était protégé par un sort qui, pour une raison quelconque, a arrêté de fonctionner, ce qui a surement provoqué sa mort. Votre collègue est de quel corpulence à peu près ? Il est mince, commune, enveloppée ? Cela pourrait peut-être expliquer la lenteur du poison. En plus, étant donné qu’il est gouteur, il doit être assez résistant, même si contre l’arsenic, aucun être vivant ne tient très longtemps.
– Un peu enveloppé mais bon, il a toujours été très gourmand et il gouttait tous les plats de Son Altesse… on l’a même traité de fou plus d’une fois aux cuisines car, il adorait dépenser tout son salaire pour de la nourriture bizarre, il était toujours en train de courir après l’argent… il se plaignait aussi du rationnement, il disait qu’il ne devrait pas se priver comme ça… mais je vous jure ! À part sa gourmandise et que l’argent lui brûlait les doigts, c’était quelqu’un de bien ! Il n’a jamais rien fait de mal à personne ! Pourquoi il voudrait faire du mal au petit prince ?
Rodrigue et les deux sœurs échangèrent un regard en écoutant la discussion. Il tenait peut-être le mobile, ou au moins ce qui avait permis de pousser le gouteur à cacher que la soupe de Dimitri était empoisonnée… Florien avait raison, son collègue n’avait aucune raison de vouloir la mort du prince plutôt que celle du roi mais, si des comploteurs voulaient achever ce qu’ils avaient commencé à Duscur avec du poison, il devait impérativement mettre le gouteur de leur côté, même s’ils devaient s’en débarrasser après… l’épée n’avait pas fonctionné et ils étaient tous plus méfiant depuis la Tragédie alors, il passait à plus discret…
– D’accord, reprit la médecin. Merci beaucoup pour votre franchise. Je vais devoir inspecter le corps pour confirmer nos soupçons mais avant ça, il faut que quelqu’un surveille le prince, au cas où il ferait une rechute. Le poison a dû l’affaiblir à nouveau, mieux vaut être vigilant. Il ne doit pas non plus s’éloigner d’Areadbhar. Elle lui donne de sa force, même s’il n’en aura surement plus besoin dans peu de temps. Et appelez aussi quelqu’un pour nettoyer mais, qu’elle soit prudente, le poison est surement encore virulent. Il ou elle devra porter des gants, faire tout brûler avec un torchon le visage puis bien se laver les mains, les bras et la face après sa besogne, et l’eau qu’elle a utilisée devra être jeter en-dehors de la ville. Les risques sont faibles mais, nous ne sommes jamais trop prudents en ce moment.
– Da… d’accord… ce sera fait selon vos ordres…
– Je vais trouver quelqu’un de confiance pour le surveiller, assura Thècle.
– De mon côté, je vais aller prévenir Gustave de ce qui s’est passé, au cas où un accident similaire aurait déjà eu lieu pour quelqu’un d’autre, continua Lachésis. Nous devons explorer toutes les possibilités.
– Oui, surtout qu’ils ont l’air de ne pas être à leur coup d’essai si la mort de Didier n’est pas accidentelle, ajouta Rodrigue. Je m’occupe des enfants, ils risquent d’avoir aussi été en contact avec le poison. »
Ils se séparèrent sur ses mots, chacun prenant sa tâche. La servante chargée de nettoyer arriva vite. Rodrigue porta Dimitri avec Areadbhar le temps qu’elle change les draps maculés, ce dernier tremblant un peu avant de se stabiliser. Il remerciait la grande lance de ne pas le geler, même si son poids le faisait trembler un peu, il fallait bien la force des Blaiddyd pour la manier…
« Rodrigue ? C’est toujours toi ? Demanda le blessé, à peine conscient.
– Oui Dimitri, je suis là, lui confirma-t-il. Tu es hors de danger maintenant mais, il faut que tu te reposes.
– Tu sais Rodrigue… il y a quelqu’un dans Areadbhar… il est très grand… avec une très longue tresse blonde… avec un œil comme ceux de papa, et l’autre est bleu comme le tien, d’Alix et celui de Glenn… et une peau noire… et des morceaux de glace partout… il me tient sur ses genoux… et quand j’ai peur, il… il joue de la flute… tu… tu crois que c’est Blaiddyd ?
– Oui, j’en suis sûr. Le Flutiste des Glaces est très attaché à sa famille, comme tous les Braves. Il doit vouloir te protéger plus que tout au monde, autant toi que ton père, même s’il ne peut le montrer que si tu touches son arme.
– Tu es sûr ? Le questionna-t-il en se recroquevillant un peu, dévoilant ses cicatrices de glace, trace du miracle de son ancêtre, alors que Félix s’approchait d’eux.
– Bien sûr. Ne t’en fais pas, Blaiddyd veille sur toi et sur ton père, lui promit-il pour le rassurer.
– T’en fais pas, les Braves, ils ne te lâchent jamais. En plus, c’était l’ami de Fraldarius et de Dominic non ? Si c’était l’ami de grand-père, c’était quelqu’un de bien, assura Félix.
Dimitri hocha la tête avant de se blottir contre Rodrigue en soufflant.
– Je veux voir mon père…
– Bientôt Dimitri, quand vous serez tous les deux en état de bouger un peu plus, lui assura-t-il alors que le prince se rendormait.
Le duc laissa le blessé sous la garde d’une épéiste de confiance, puis emmena Félix, Dedue et Sasiama à la pièce d’eau pour qu’ils se lavent, avec des habits propres au cas où. La lavandière était devenue amie avec plusieurs de ses hommes alors, si Rodrigue lui demandait, elle devrait accepter de s’occuper du frère et la sœur duscurienne.
Dedue s’occupa de sa sœur afin de bien enlever tout le poison, pendant que Rodrigue faisait de même avec son fils dans le même but. Après un début en silence quand il lui récurait le visage, il lui demanda, inquiet. Il avait failli voir son ami mourir après tout…
« Comment te sens-tu ?
– Ça va… Pourquoi ils ont fait du mal à Dimitri ? Gronda-t-il. Il n’a rien fait de mal !
– Hum… il vise la famille royale, surement pour prendre leur place. C’est pour ça qu’ils s’en prennent à lui.
– Et y a pas moyen de les empêcher ?
– Nous devons être très vigilants afin de le protéger et étouffer tout ce qui pourrait le menacer, même si c’est difficile d’avoir des yeux et des oreilles partout. La zone d’ombre est toujours présente, même quand on essaye de la réduire au maximum… souffla-t-il en chassant de mauvais souvenirs de son esprit. Heureusement que vous étiez là. Vous l’avez bien protégé.
– D’accord… en tout cas, ils ne lui feront rien, je te le promets ! Lui jura-t-il sans hésiter.
– J’en suis sûr mais, n’en fait pas trop. Tu es encore un enfant, tu n’as pas à te mettre en danger comme ça. On va trouver des personnes de confiance pour le protéger…
– Et si c’est comme tout à l’heure et qu’ils n’y arrivent pas ? En plus, pourquoi c’est toi qui t’en occupes ? ça ne devrait pas être Rufus ? C’est son neveu et il tient à lui alors, pourquoi il ne le protège pas autant que toi ?
Rodrigue ne sut pas quoi répondre à cette question, il se posait la même… pourquoi Rufus n’agissait pas ? Il montrait qu’il s’inquiétait pour sa famille, ce qui était surement sincère d’ailleurs mais, au lieu de la protéger, il voulait à tout prix se venger, même s’il devait jeter son propre peuple à la mort… et Rufus ne lui dirait surement rien, la meilleure stratégie qu’il avait trouvée pour avancer était d’affecter la soumission, il devait trouver le bon angle pour arriver à obtenir quoi que ce soit dans les domaines que Rufus contrôlait… il semblait attendre d’eux une soumission total et ambitionnait d’avoir un pouvoir tout aussi grand…
« Alors pourquoi ne t’en sers tu pas pour vraiment protéger ceux qui te sont chers ? »
– Je ne sais pas… hacha-t-il honnêtement. Je ne sais vraiment pas…
– … C’est qu’un chien idiot… » gronda Félix.
Rodrigue répondit en passant une main dans ses cheveux, avant de poser un doigt devant sa bouche pour lui rappeler qu’il devait rester silencieux à ce sujet. Son fils bouda un peu mais, il ne dit rien de plus.
Une fois sûr que plus aucune trace de poison n’était sur les enfants, chacun retourna à ses tâches, même si Gustave vient voir le duc et les deux sœurs avant qu’ils ne retournent à leur étude. Il n’avait pas connaissance d’autres assassinats suivant ce mode opératoire mais, ses hommes chercheraient plus rigoureusement dès qu’ils en auraient l’occasion. Il leur avait aussi conseillé de ne pas parler de tout ceci au roi, pour ne pas encore plus le fatiguer d’inquiétude pour son fils. Lambert était encore très faible, et toute émotion forte était à proscrire pour ne pas aggraver son état. Quand le chef de la garde leur avait dit ça, Rodrigue entendit parfaitement ce à quoi penserait Alix à ses mots, tout comme son ton cassant et ironique.
« Il avait l’air de vachement s’inquiéter pour son gosse quand il l’a emmené dans un piège évident, alors que tout le monde lui hurlait que c’était un piège évident. »
Il n’en dit rien à personne, même si aux commentaires de Lachésis et Thècle une fois Gustave parti, elles pensaient la même chose qu’eux… enfin bon, mieux valait éviter de donner un bâton à Rufus pour les battre avec, même s’il tirait ses excuses de quelqu’un d’autre.
Rodrigue s’attaquait à une demande d’arbitrage assez complexe d’un petit fief de l’Ouest, quand un serviteur vient le chercher pour le mener à Lambert. Le roi voulait souvent le voir quand il était suffisamment conscient pour parler. Il mettait beaucoup de temps à se remettre mais, ce n’était pas très étonnant après tout ce qu’il avait enduré…
« Dommage que la famille royale n’ait pas d’arme sacrée comme nous avec Moralta, ce serait bien utile dans cette situation… songea-t-il sur le chemin, même si sa migraine s’aggravait. Enfin, c’est ainsi, il faut faire avec… et c’est peut-être mieux s’il met du temps à se remettre, les mécontents viendront peut-être moins vite lui demander des comptes personnellement… »
« Ah… Rodrigue… je suis content de te voir…
Lambert avait à peine repris des couleurs ses dernières semaines, toujours aussi vidé de ses forces. D’après Cornélia et les autres médecins du palais, c’était dû au choc physique bien sûr, mais aussi psychologique de la Tragédie. Dimitri tenait légèrement mieux uniquement grâce à Areadbhar, bien qu’il soit dans le même état que son père… enfin, si la Déesse le voulait bien, il serait bientôt suffisamment remis pour pouvoir se passer de sa Relique et il pourrait la donner au roi.
Cependant, d’après les serviteurs qui le veillait, le visage de ce dernier s’animait toujours un peu plus quand Rodrigue venait le voir, bien plus que quand c’était Gustave ou Rufus. Cela lui faisait toujours plaisir de le voir… lui parlait toujours comme avant… comme si rien ne s’était passé… que tout était encore normal…
« Mieux vaut que je garde pour moi ce que je ressens vraiment… »
– Bonjour Lambert… lui répondit-il sur un ton de conversation normal. Comment te sens-tu ?
– Comme toujours, un peu cassé mais, je n’ai pas à me plaindre… comment va Dimitri ? Je ne l’ai pas vu depuis que nous sommes au palais…
Rodrigue repensa à ce qui s’était passé aujourd’hui, ce qui risquait d’arriver, au corps meurtri du petit garçon qui tremblait dans ses bras à cause du poison, alors qu’il peinait déjà à se remettre de la Tragédie, les cicatrices gelés recouvrant tout son corps… mais il ne pouvait toujours pas être honnête…
– Il se remet lentement malgré tout… d’après la médecin Hersend, les blessures sont profondes et il lui faudra encore plusieurs lunes pour se remettre, surtout qu’il a respiré beaucoup de fumée. Cependant, il ne devrait plus avoir besoin d’Areadbhar pour tenir dans peu de temps.
– D’accord… tant mieux, ça veut dire qu’il sera bientôt guéri… même si… rrhaaa… l’air de Fhirdiad ne doit pas aider pour ses poumons… il a toujours été… mauvais et humide… même si Cornélia a beaucoup aidé… c’est pas… c’est pas un air pour un petit garçon… il a même affaibli… Héléna… sans lui… elle… elle ne serait pas…
Il se tut, se refermant un peu. Rodrigue resta le plus vague possible en réponse, mordant de toutes ses forces ce qu’il voulait vraiment dire… fit disparaitre les souvenirs de la femme épuisée, éreintée d’angoisse et de tension à force de devoir toujours passer derrière son mari, afin de le raisonner quand il s’entêtait par péché d’optimisme et de naïveté… ça l’avait même empêché de tomber enceinte pendant longtemps, jusqu’à ce que Félicia prenne soin d’elle et l’aide à se détendre… enfin, ce n’était pas le moment de trop critiquer le roi…
– Peut-être… l’air n’est jamais très bon en ville. Il voulait te voir aussi, tu lui manques.
– Je le comprend… j’ai hâte aussi de le revoir, il me manque… pre… kof ! Première chose que je fais en me levant… je vais l’embrasser… mais… peut-être que ce serait mieux si… s’il allait loin de la capitale… l’air de la campagne est… est bon…
Rodrigue crut rêver quand il entendit ses mots. Rufus ne les laisserait jamais faire sans l’aval de Lambert mais Déesse, ce serait l’idéal ! Il serait loin de la capitale et protéger en cas de révolte. Entre les morts, les impôts, les restrictions et le rationnement, Fhirdiad se transformait petit à petit en une véritable poudrière prête à exploser. Plus Dimitri serait loin, mieux ce serait.
– Ce serait une très bonne idée, répondit-il honnêtement à Lambert pour la première fois depuis la Tragédie. Hum… pas à Fraldarius étant donné qu’Alix est déjà débordé et que beaucoup de nos hommes sont ici, et Rufus refuserait de nous confier Dimitri. Par contre, les Charon sont assez nombreux pour s’occuper de lui. Leur fief semble assez calme, est loin des troubles de l’Ouest, et leur forteresse Lokris est située dans le piémont de la montagne de Garreg Mach, l’air y est très sain. De plus, je suis sûre que la famille d’Héléna sera plus rassurée de savoir leur neveu loin de l’agitation de la capitale.
– Surement… même s’il sera… tout seul là-bas… sans ses amis…
– Peut-être mais, il sera aussi entouré par ses cousins, plusieurs ont son âge. Je sais qu’il les connait beaucoup moins que Félix, Ingrid et Sylvain mais, ce serait bien le diable Némésis s’il ne s’entendait pas avec au moins un d’entre eux. De plus, je pense que Dedue et Sasiama le suivront tous les deux, ils sont déjà très amis tous les trois.
Lambert n’avait pas l’air très convaincu par son affirmation, jetant son regard au plafond alors qu’il marmonnait.
– Ils ne seraient encore que trois… tu peux et écrire à Ingrid et Sylvain et demander à Félix s’ils… s’ils peuvent l’accompagner en Charon s’il te plait ? Ce serait… mieux pour lui si… rhaaaa… ces amis étaient avec lui…
C’était un ordre malgré le ton alors, l’homme n’avait pas d’autre choix que d’accepter, même s’ils connaissaient déjà les réponses : Ingrid s’était enfermée et ne sortait plus à cause de la mort de Glenn, et Sylvain ne pourrait pas quitter Gautier, les routes étaient trop dangereuses et maintenant qu’il était majeur, Isidore n’hésiterait pas à l’emmener sur le champ de bataille. Et Félix… Rodrigue avait honte mais, il ne voulait pas le laisser partir… même maintenant qu’Estelle et Bernard étaient arrivé à la capitale avec des renforts, qu’il avait toute confiance en les Charon, et que c’était peut-être mieux pour Dimitri, le père ne voulait pas voir son fils loin de lui… son louveteau qui lui donnait tant de force… il ne pourrait le confier qu’à Alix mais, seulement parce que son frère était lui et qu’il était son frère et que c’était la personne en qui il avait le plus confiance au monde…
– Ce sera fait, répondit-il tout de même.
Lambert sourit à sa réponse avant de souffler en tournant à nouveau son regard vers lui, plein de reconnaissance.
– Merci beaucoup de t’en occuper… je ne sais pas ce que je ferais sans toi en ce moment… et que tu sois toujours à mes côtés… je ne pourrais jamais assez te remercier Rodrigue…
L’homme aux cheveux noirs retient une grimace quand sa migraine s’intensifia d’un coup, lui faisant souhaiter n’importe quoi. Il répondit de manière plus raisonnablement, étouffant comme il pouvait cette pensée sombre.
– Je ne fais que mon devoir envers le Royaume et la famille royale.
« Alors, rend-moi Glenn et Nicola… rends-les moi… rends-moi tout le monde. »
Il étrangla cette pensée folle qui hurlait encore plus fort en débitant d’autres horreurs ensuite, alors que Lambert sourit à nouveau.
– Merci pour tout mon ami… je sais que je peux te faire confiance pour tout…
« C’est bien pour ça que je te hais chien idiot. »
*
Il faisait froid… tellement froid… si froid… il n’avait pourtant pas froid comme d’habitude… pas au corps… il avait froid au cœur… si froid… il faisait glacial… tellement qu’il sentait à peine ses membres… avait du mal à respirer… avait mal partout… mais il ne tremblait pas, il ne devait pas…
La seule source de chaleur était dans ses bras… son trésor serré contre son cœur… son petit soleil… sa seule lumière dans cette tempête…
« Ne t’en fais pas… je vais te sortir de là… ça va aller… ça va aller… je te protégerais… je vais te protéger… ça va aller… je t’en supplie mon petit, tiens bon… »
Son visage était couvert de glace, comme un grand masque tordu, figeant ses traits mais, il s’en fichait… tant que son soleil restait en sécurité, à l’abri de cette tempête de neige… tant que sa fourrure restait toujours aussi chaude… tant que son petit était en sécurité, rien d’autre ne comptait… il pouvait tout endurer tant qu’il allait bien… il serait prêt à tout pour le protéger !
« Ça va aller… ça va aller… ça va aller… on est bientôt arriver… »
Cependant, alors qu’ils arrivaient près de la présence aqueuse toute semblable à la sienne devant eux, son pied se prit d… non, quelque chose le prit… quelque chose venait de lui attraper la jambe ! Le tirait sous la neige ! Non ! Non ! Laissez-moi ! Il ne voulait pas ! Là aussi, cela brillait dans la tempête mais, au lieu d’éclairer les lieux, tout devenait plus sombre et flou dans son sillage, le masque s’enfonçant dans sa chair et la neige tranchant tout son corps.
« Je ne veux pas ! Lâche-moi ! Laisse-moi partir ! »
Il serra son petit encore plus fort, fit tout pour le protéger de cette lumière sombre en cherchant un endroit où le mettre loin d’elle mais, tout était exposé à la tempête ! Et son soleil qui devenait de plus en plus froid ! Non ! Non ! Pas ça !
« Non… non ! Par pitié ! Pas ça ! Pas toi ! Par pitié ! Ne meurs… »
« Papa ! Réveille-toi ! Papa ! »
Rodrigue se redressa d’un coup à l’appel, tremblant et en sueur. Déesse, quel cauchemar ! Cela faisait des années qu’il n’avait pas fait de pareil… depuis la mort de son père il dirait… surement à cause de ses migraines… mais ce n’était pas important.
Félix était à côté de lui, les mains en l’air après l’avoir remué dans tous les sens pour le réveiller, le clair de lune dévoilant l’inquiétude qui creusait ses traits. Oh, non, non, non… il n’avait pas voulu ça ! Il fit tout ce qu’il put pour retrouver son calme et contrôler son souffle avant de dire, espérant ne pas aggraver les choses.
« Félix… je… je suis désolé de t’avoir réveillé…
– T’excuse pas, c’est pas ta faute. Tu faisais un cauchemar ?
– Oui, même si c’est rare que ça m’arrive… merci beaucoup de m’avoir réveillé. Enfin, ne t’en fais pas pour moi, ça va aller… tu devrais aller te recoucher, il est tard…
– J’allais pas te laisser comme ça ! Et d’accord ! Mais pour que tu ne fasses plus de cauchemars… humf !
Il attrapa d’un coup son oreiller sans réveiller Fleuret, puis monta sans hésiter sur le lit de Rodrigue, avant de se pelotonner sous sa couette en marmonnant.
– Comme ça, si tu refais un cauchemar, je te réveille d’un coup de pied.
Vaincu par la fatigue de la journée, Rodrigue se contenta de le reprendre sur ses mots sans le chasser, sentant son mal de tête s’apaiser un peu.
– Ta langue Félix, on ne frappe pas les autres… il laissa échapper un rire en se souvenant. Tu fais comme quand tu étais petit… mais dans ses moments-là, c’était quand toi tu faisais un cauchemar, tu venais toujours finir ta nuit avec moi dans ses moments-là…
– Car c’est toi maintenant qui fait un cauchemar… marmonna-t-il, les paupières de plus en plus lourde. Bonne nuit…
Son louveteau se rendormit tout de suite, vaincu par la fatigue et l’heure tardive. Rodrigue eut un sourire, puis lui caressa les cheveux en soufflant quelques notes, sa voix n’étant heureusement pas trop enrouée à force de ne plus chanter.
« Dors, dors, mon tout petit,
Quand le jour se change en nuit,
Dors, dors, mon tout petit,
Quand dans le ciel, la lune luit,
Dors, dors, mon tout petit,
Je veillerais sur toi toute la nuit,
Dors, dors, mon tout petit,
Je jure, de toute ma longue vie…
Tu es mon plus grand trésor,
Alors mon tout petit, dors. »
Il se rendormit aussi assez vite, tombant dans un sommeil profond et sans rêve, à son grand soulagement… Félix rentrouvrit les yeux, sentant son père plus calme… c’était déjà ça…
« C’est bizarre… il a le cœur qui bat à peine… comme pour… … … ça doit être la fatigue… »
Il mordit son envie d’aller taper Rufus jusqu’à ce qu’il arrête d’exploiter Rodrigue, pour le forcer son travail à sa place, en se rendormant à ses côtés.
*
« Quoi ?! Qu’est-ce que tu dis Lambert ? Tu veux envoyer Dimitri à Charon ?! Mais tu t’es pris un autre coup sur la tête ?
– De mémoire, pas plus que ceux que j’ai déjà pris… mais ce sera mieux… l’air de la montagne lui fera du bien… et c’est la… la famille d’Héléna… ils prendront bien soin de lui… Rodrigue pense que c’est une bonne idée… et… et Lachésis et Thècle sont d’accord… ils… ils sont habitués à être nombreux… et en bateau sur le fleuve, le… le voyage sera… rhhaaa… sera calme et rapide… surtout maintenant que… qu’il peut se passer d’Areadbhar…
Rufus se frappa le front devant la décision de son frère. Ouais, le bon air de la montagne… c’était surtout l’occasion pour les Charon de récupérer un argument de poids pour faire pression sur eux… et évidemment, Rodrigue était d’accord… encore ce loup enragé… il était docile face à lui, mais avec son petit frère, il remontrait ses crocs… et il n’hésitait pas à profiter de son état de faiblesse l’animal, comme ses deux comparses de sœurs Charon… sa main au feu qu’il avait agité Héléna en plus… malgré le fait qu’il ne l’aimait pas autant que Patricia, la simple mention de la petite créature de Ludovic suffisait parfois à le faire changer d’avis en ce moment… il fallait vraiment qu’il trouve une idée pour leur rappeler qui était le vrai régent à ces trois-là…
– Je comprends que tu veuilles le meilleur pour Dimitri mais, je doute que ce soit une bonne idée de l’envoyer aussi loin de toi. Imagine ce qui pourrait arriver pendant le voyage ? Il serait bien mieux qu’il reste ici avec nous, ça le fatiguera moins.
– C’est pour ça que j’ai… demandé à… rrhhaa… Rodrigue, Lachésis et Thècle de tout organiser… ils savent s’y faire… surtout que c’est… c’est une route fluviale très fréquenté…
– Tu parles, ils n’ont même pas été fichu de bien organiser le voyage à Duscur ! Ils n’ont fait aucun effort et voilà le résultat !
Son frère détourna les yeux en l’entendant, marmonnant avec honte.
– C’est… c’est plutôt moi qui aurais dû… les écouter… ils avaient dit que ce serait très dangereux… ils l’ont dit… même Areadbhar l’a dit… si je les avais écoutés… alors…
– Alors rien, tu as fait ce que tu devais faire et c’est eux qui n’ont pas été à la hauteur de tes ordres. T’es le roi, c’est normal que ce soit toi qui prennes les décisions, et tes conseillers sont tes serviteurs qui doivent exécuter tes ordres.
– Ludovic ne faisait pas ça…
– Car le vieux détestait la monarchie… et il te méprisait assez pour vouloir mettre ses favoris sur le trône à ta place, alors qu’il te revient de droit, quoi qu’il dise pour se justifier. Tu te préoccupes trop de ce qu’il pense. Il est mort ce salopard, oublie-le, c’est tout ce qu’il mérite. T’as juste fait un voyage qui a mal tourné car, l’administration et tes conseillers étaient incompétents. Lui, il a fait un coup d’État, où lui et tous ses complices auraient eu la tête coupée s’il avait raté son coup. T’es plus prudent que lui, quoi que les gens en pensent.
–… je me le demande…
– Oublie, c’est pas le moment de réfléchir à ça alors que tu es encore en train de te remettre. Repose-toi petit frère, tu mérites bien après tout ce qui t’es arrivé… »
Malheureusement, Lambert n’avait pas l’air très convaincu mais, il se rendormit vite, trop fatigué pour rester éveiller plus de quelques minutes à chaque fois. Il avait déjà dû y laisser toutes ses forces en parlant autant…
« Repose-toi bien et reste avec nous Lambert… je ne veux pas te perdre… »
Il embrassa son petit frère et le reborda avant de s’en aller, même s’il laissa exploser sa colère une fois seule. Maudit Rodrigue, Lachésis et Thècle ! Ils poussaient encore Lambert à faire n’importe quoi ! Et Lambert semblait s’être mis en tête qu’ils avaient raison en plus ! L’épuisement et les blessures le rendaient plus manipulable que d’habitude… encore plus quand ça venait de son « meilleur ami » à sens unique… lui qui était toujours si déterminé à faire ce qu’il avait à faire, voilà que trois mots suffisaient à le convaincre de faire quelque chose de stupide !
« S’ils ne lui ont rien fait… après tout, c’est des magiciens, tous autant qu’ils sont… faudrait que je demande à… »
« Votre Altesse ? Puis-je me joindre à vous ?
Cornélia se tenait sur le pas de la porte, une bouteille de vin à la main… il ne l’aurait pas imaginé être du genre à aller au marché noir mais bon, la connaissant, elle pouvait aussi l’avoir tiré de sa réserve… Rufus s’en fichait en fait, cela avait l’air d’être du bon vin et il avait envie d’avoir quelqu’un à qui se plaindre.
– Entre, à condition que tu me laisses la moitié de la bouteille.
– Merci et telle était mon intention, sourit-elle en refermant la porte derrière elle, pendant que Rufus sortait deux verres.
Cornélia les remplit en gazouillant, toute contente et presque pimpante. Ça faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu aussi guillerette, depuis son accident dans les escaliers en fait… il avait toujours mis ça sur le compte du coup à la tête, elle s’était enfoncé le crâne et avait survécu de peu.
– Quel bonheur de voir Son Altesse retrouver peu à peu la santé ! Je suis sûre que ce sera bientôt la même chose pour Sa Majesté dans quelques temps !
– Enfin quelqu’un d’autre de raisonnable en plus de Gustave… oui, Dimitri se sent bien mieux, grâce à tes soins surtout. Cette maudite lance n’y a pas fait grand-chose… tout ce qu’elle lui a fait, c’est le transformer en abomination en le couvrant de givre, et lui faire voir un soi-disant Blaiddyd mais bon, ça se voie qu’il a reçu quelques coups sur le crâne. Imagine, il rêve que Blaiddyd en personne était noir comme un duscurien ! On n’a jamais entendu une absurdité pareille ! Enfin, c’est pas le seul qui s’est pris des coups sur la tête…
– Hum… vous semblez bien troublé… puis-je vous prêter oreille ? Lui proposa la guérisseuse avec attention. Cela vous fera sans doute beaucoup de bien de vous confier à quelqu’un.
Rufus réfléchit une seconde, puis finit par accepter de parler. Après tout, Cornélia n’avait jamais trahi Lambert, même quand Areadbhar avait commencé à lui geler les doigts et à le rejeter, alors que ça pouvait être interprété comme une défaveur divine… comme le vieux l’avait fait avec Clovis d’ailleurs pour dire qu’il avait bien fait de comploter contre lui… elle était de confiance.
– L’état de Lambert m’inquiète… il va mieux mais d’un autre côté, il se met tout le blâme de la Tragédie sur ses épaules… et il écoute de plus en plus Rodrigue, Lachésis et Thècle… alors que ce sont les mêmes qui sont à l’origine de ce fiasco… un autre Charon ou Alix arrive, et il va finir par leur lécher les bottes comme un toutou… je sais que Lambert tient beaucoup aux jumeaux mais, à ce stade, ce serait lui rendre service de les dégager de son entourage ! Ils profitent tous de sa faiblesse pour lui faire faire n’importe quoi, comme cette idée stupide d’envoyer Dimitri en Charon car, l’air est meilleure et que c’est la famille de cette créature d’Héléna. Le gosse serait bien mieux ici, mais non ! Parce que ces trois-là et surtout Rodrigue ont dit que c’était une bonne idée, faut le faire ! Il est trop faible pour s’opposer à eux !
– Hum… je comprends, vous avez peur qu’il se fassent manipuler par ses « proches », devina Cornélia.
– C’est pas que j’ai peur, c’est le cas ! Rétorqua-t-il sans hésiter. Et je ne peux même pas les chasser avec ça ! Même si c’est évident qu’ils le manipulent, ils se sont soumis assez vite à mes volontés et font tout leur travail. C’est brouillon et bâclé mais, je ne peux pas trop me passer de leurs connaissances, même si bon, si j’avais la bonne occasion, je le ferais et mettrais mes hommes à leur place… En plus, ça me permet de les avoir à l’œil, plutôt qu’ils complotent tranquillement dans leur fief avec le restant de leur famille et leurs fidèles. J’ose même pas imaginer ce que sont en train de combiner le reste de la fratrie ou les fraldariens en ce moment, encore plus s’ils étaient au complet… je peux même pas les faire exécuter… j’ai pas de preuve qu’ils tentent de manipuler Lambert, ils font leur boulot, et je le fais, leurs petits moutons de sujets vont se révolter car, le vieux était assez con pour laisser des seigneurs fidéliser autant leurs sujets et leurs vassaux.
– C’est vrai que la situation est épineuse… souffla la magicienne, pensive et prudente. Je ne veux pas m’immiscer dans ce qui ne me regarde pas, je ne suis pas faerghienne mais une simple roturière adrestienne après tout mais, le nœud des problèmes semble être le duc de Fraldarius et les sœurs de feu la reine Héléna, ai-je tort ? Et bien, même s’il est vrai que cela est risqué de les laisser rentrer chez eux, ils peuvent aussi y retourner sans avoir la possibilité de faire quoi que ce soit ?
– Comment ? Avec la tête sous le bras ? C’est pas que je n’ai pas envie de mettre la tête des putains de fils préférés de Ludovic sur sa tombe, pareil pour ses petites créatures mais, je fais ça, j’ai tout le duché de Fraldarius et le comté de Charon qui vont marcher sur la capitale… et vu qu’entres bêtes, soit on s’entre-dévore, soit on s’entend, cette sauvage de Fregn serait capable de sortir du bois avec toute sa famille pour nous plumer, vu qu’elle s’entend bien avec les jumeaux.
– Non, c’est clair que cela ne ferait que mettre de l’huile sur le feu. Cependant, il y a d’autres façons de les rendre inoffensifs…
– C’est-à-dire ?
– Et bien, même si c’est surement une idée assez faible, je les épuiserais petit à petit, afin de les pousser lentement dans leurs derniers retranchements et les rendre inoffensifs à cause de la fatigue. Cela serait vu comme la conséquence logique de l’envergure de leur tâche, mais aussi qu’ils n’en sont pas dignes s’ils n’arrivent pas en venir à bout malgré leur statut. De plus, quelques humiliations et rappels à leur rang de subordonné devrait user leurs nerfs plus vite mais, submergé par la tâche, ils ne devraient pas avoir le temps de penser à prendre leur revanche à cause de la surcharge de travail. Il faudrait y aller progressivement mais, cela devrait fonctionner.
Périandre cacha son sourire satisfait en voyant la joie de Rufus devant son plan. Après l’idée stupide d’empoisonnement d’un de ses anciens collaborateurs, tout le palais était sur ses gardes, elle devait rester sur ses gardes pour ne pas se faire prendre. Non pas qu’elle n’avait pas essayé de lui inoculer petit à petit un poison de sa fabrication indétectable par ses inférieurs mais, ce maudit rejeton était résistant et protéger par son ancêtre Simplex… alors un poison humain, même pas la peine d’y penser, même à forte dose. Elle règlerait le sort de cette vermine après. Pour le moment, l’important était de se concentrer sur la déstabilisation du Royaume. Ce pays se transformait petit à petit en véritable poudrière prête à exploser mais, les quelques grands seigneurs compétents encore en vie l’étaient trop et limitaient bien trop le chaos… c’était eux dont elle devait obtenir la peau ou la démission, pas celle de Lambert finalement. Lui, il semblait même devenir le centre de la détestation au fil des jours… non, s’ils voulaient ruiner la création de Sothis pour replonger Sphigxi dans le chaos originel, mieux valait le garder en vie, histoire de provoquer une guerre civile ou exciter les ambitions de toutes parts.
Par contre, Périandre devait se concentrer sur l’élimination de deux familles-clés pour atteindre son objectif dans le Royaume : les Charon et les Fraldarius. Ces deux familles constituaient la colonne vertébrale de Faerghus ces dernières années, avec la famille royale quand un roi à peu près compétent était sur le trône. Si elle voulait le briser en mille morceaux, elle devait impérativement éliminer ces deux colonies de parasites.
« Autant commencer par les Fraldarius… ils sont les moins nombreux, et ceux qui semblent tenir la mort loin de la famille royale. Glenn a tout de même réussi à tuer plusieurs des nôtres à lui tout seul et à sauver la vie de Dimitri même si c’était au prix de la sienne – il faudra que je pense à dire à Myson de me garder son corps de côté pour quand je rentrerais, je veux aussi voir de moi-même comment il a fait pour être aussi résistant pour un insecte sans emblème ! – Félix est toujours sur les talons du prince et est capable de le soigner, Alix arrive à maintenir les relations commerciales avec l’Alliance et tient les vassaux de tout l’Est en respect, et Rodrigue fait le travail du régent sans l’être, tout en semblant redonner de l’énergie à Lambert à chaque fois qu’il le voie… en plus, même s’ils meurent jeunes dans cette famille, ils ont aussi la vie chevillée au corps, ils sont aussi difficiles à écraser que ce sauvage de Pertinax… son obstination est jusque dans son sang visiblement… mais bon, c’est aussi leur point faible… »
Elle proposa alors, toute innocente comme la vraie Cornélia l’aurait été avec sa trop grande modestie.
– Si vous voulez vous débarrasser de Rodrigue en l’épuisant, je pense qu’il a déjà fait une bonne partie du travail seul en ne pouvant plus s’entrainer. Sa magie a dû s’accumuler en lui et l’affaiblir. Toutefois, je vous conseillerais aussi de briser en mille morceaux ce qui le tient entier…
– A quoi pense-tu exactement ? » Demanda-t-il, même si Périandre savait qu’il lui demandait surtout pour se faire une joie de l’entendre. Rufus semblait toujours se faire une joie de détruire tout ce que son père chérissait et pour le coup, cela l’arrangeait.
« C’est bien simple, volez-lui ce à quoi il tient le plus au monde : son fils. »
*
Quelques semaines plus tard, Dimitri fut assez remis pour pouvoir se rendre à Charon, afin de se reposer en paix. Comme il l’avait anticipé, Ingrid et Sylvain ne pourraient pas venir, il n’avait même pas eu de réponse de Gautier, et Félix avait refusé de partir de Fhirdiad alors, il serait juste accompagné de Dedue et Sasiama. Ce serait sans doute mieux pour eux deux aussi, il y aurait peut-être moins de vengeurs prêts à les passer à tabac dès qu’ils étaient isolés… Rodrigue, Lachésis et Thècle finissaient de boucler les derniers préparatifs pour le voyage du lendemain, quand un serviteur vient les chercher. Apparemment, Rufus les réclamait dans la cour centrale.
« Qu’est-ce que ce s… que souhaite nous dire le régent ? Demanda Lachésis, sa petite nuit de la veille ne l’aidant pas à être patiente. Nous sommes encore plus débordés que d’habitude, Sa Majesté nous a chargés personnellement de tout organiser, afin d’être certain que le voyage soit sûr, et le grand-duc Riegan doit nous rendre visite dans peu de temps. On n’a pas de temps à perdre.
– Si c’est par rapport au fait que Son Altesse aille se soigner chez nous, le régent s’est déjà expliqué avec son petit frère. Nous ne faisons qu’obéir à la volonté royale, rétorqua Thècle.
– Il a dit que cela avait un rapport mais, il n’a pas exprimé précisément sa pensée… il veut juste que vous veniez dans la Cour Centrale afin de vous donner quelque chose… déclara-t-il à mi-voix avant d’ajouter de lui-même, mort de peur lui aussi de ce qu’il allait arriver s’il n’obéissait pas et épuisé. S’il vous plait…
Rodrigue ne put qu’avoir de l’empathie pour lui, Rufus usait tout le monde jusqu’à la corde depuis qu’il était régent, en particulier quand il était de mauvais humeur… il tendit alors un gobelet rempli d’eau au serviteur pour qu’il se pose une seconde, puis ils le suivirent tous les trois jusqu’au régent et ses alliés. Cela sentait mauvais… Rodrigue passa ses doigts derrière lui, sentit son poignard à sa ceinture, sur ses gardes, tout comme les deux sœurs qui firent de même… mieux valait qu’il l’utilise avant sa magie, il avait très peur qu’elle explose s’il en utilisait trop d’un coup tellement elle s’était accumulée dans ses veines ces dernières semaines… l’homme n’avait aucune idée de ce qui les attendait alors, mieux valait être prudent.
Quand ils arrivèrent dans la cour centrale, Rufus bavardait avec ses principaux partisans, soit des vengeurs dans la très grande majorité et des membres intégristes de l’Église Occidentale…
« Si le roi Ludovic voyait tout ceci… songea tristement Rodrigue. Lui qui a tout fait pour endiguer les sectes de l’Église Occidentale… voilà que son fils les encourage maintenant…
– …et ça ne m’étonnerait même pas qu’il fasse ça juste pour faire chier son père, » poursuivrait surement Alix.
« Nous voici Votre Altesse, s’annonça Lachésis. Que souhaitez-vous nous annoncer ? Nous aimerions pouvoir rapidement regagner nos études, afin de finir d’organiser le voyage de son Altesse vers Lokris.
– Ne vous en faites pas, ce ne sera pas long, leur sourit-il à pleines dents, ses partisans gloussant comme des gélines derrière lui. On attend plus qu’une seule personne et tout le monde sera là…
Rodrigue se mit d’autant plus sur ses gardes, gardant prudemment ses doigts vers l’endroit où était son poignard, tout comme les deux sœurs qui gardaient leur main sur leur hanche. Ils étaient loin de la chambre de Lambert et dans son état, quoi qu’il se passe, il n’entendrait rien… Déesse, qu’est-ce que Rufus pouvait bien leur vouloir ? Surtout pour rire comme ça ? Si c’était une humiliation, ce serait le moins grave, sa fierté pouvait le supporter… ce serait même presque la meilleure option plutôt qu’il n’impose une autre de ses décisions brillantes… il ne voyait pas Gustave, il devait être occupé à vérifier que le bateau du prince était en parfait état. De plus, il faisait tout pour préserver Lambert des conséquences de Duscur et de ses actes, trop mort de honte et de culpabilité pour dire quoi que ce soit au roi. Rufus devait le voir comme un allié… son absence annonçait d’encore plus mauvaises choses…
Cependant, il arrêta d’y penser quand il entendit des éclats de voix puis vit Félix et Zoé être emmenés dans la cour, son fils allant tout de suite vers lui alors qu’il demandait ce qui se passait. Rufus le prit de vitesse en souriant, Rodrigue se mettant par réflexe entre lui et son louveteau pour le protéger.
– Un peu de patience, vous le saurez bientôt.
– Votre Altesse, allez-vous enfin nous dire à quoi rime tout ceci ? Demanda Thècle, à bout de patience.
– Bon, bon, puisque vous êtes si pressé… voyez-vous, Sa Majesté est revenue très affaiblie de Duscur, et il est aisé de le manipuler. Les temps sont durs, je dois tout faire pour préserver mon petit frère et mon neveu des mauvaises influences. Alors, afin que tous ici compreniez bien que je ne ferais pas de quartier avec les ambitions mal placées… il lança un sourire grotesque dans la direction du trio, essayant sans doute d’être menaçant et échouait mais, l’appréhension de ce qu’il allait faire les gelait tous. Autant faire un exemple…
– Un exemple ? Répétèrent-ils avec appréhension, alors que des éclats de voix leur parvenaient.
Rodrigue eut le réflexe de prendre Félix contre lui, entourant sa tête avec sa cape pour lui épargner quoi qu’il puisse arriver, les mains sur ses oreilles quand les éclats se transformaient en suppliques. Deux des gardes du corps de Rufus arrivèrent en maintenant un homme qui se débattait, mort de peur, habillé comme un condamné à mort dont on n’avait pas encore fait la toilette, suivit d’un bourreau qui semblait assez jeune, tenant sa hache à deux mains, surement inexpérimenté s’il se fiait aux tremblements qui l’agitait et saoul à l’odeur de vin qui le suivait. Ils reconnurent le captif comme un noble qui avait été arrêté peu de temps après la Tragédie, au motif d’avoir dit trop fort que Lambert avait envoyé le convoi à la mort, Rufus l’avait immédiatement fait incarcérer. Comprenant tout de suite ce qu’il allait se passer, Lachésis intervient, gardant sa colère cachée en elle alors qu’elle déclarait sur un ton professionnel.
– Que pensez-vous faire à cet homme ? De ce que nous savons, sont seul tort est d’avoir exprimé son opinion, ce qui est permis par la liberté d’expression. Cette opinion peut entrer dans le cadre du délit de calomnie mais, il n’est pas puni de la peine de mort dans le domaine royal, lieu où le crime a été commis. De plus, pour toute peine et en particulier la peine capitale, il doit passer devant un tribunal pour déterminer sa peine. Si cela a été fait, est-ce que vous avez les minutes du procès et le procès-verbal de la séance ? Le questionna-t-elle, Rodrigue voyant l’espoir briller dans les yeux du pauvre homme. J’aimerais le consulter afin de vérifier si toute la procédure a été respectée, afin que la peine soit appliquée dans les règles fixés par la loi et ne pas risquer des représailles et autres procédures pour déni de justice.
– Un procès est inutile et ce n’est pas de la diffamation. Il s’agit de trahison. Cet homme a osé critiqué le roi et ses décisions en pleine période de crise, c’est une menace à l’unité nationale. En ces temps difficiles, cela revient à trahir Sa Majesté mon frère, et donc tout le Saint-Royaume de Faerghus. Dans le cadre du droit de justice seigneurial et surtout royale, j’ai donc décidé de faire un exemple de cet homme et de le faire exécuter pour trahison.
– Sauf que cela, c’était la loi avant la Grande Ordonnance de Justice, le roi Ludovic III votre père a interdit qu’une personne seule décide de la vie ou la mort d’un condamné, quel qu’il soit et qu’importe la position de la personne décisionnaire, lui rappela Thècle malgré l’appréhension d’évoquer Ludovic en la présence de Rufus. Vous devez impérativement passer devant un conseil composé de juges et de jurés afin de valider cette décision.
– Je n’ai que faire des décisions de mon père. Il n’a fait qu’affaiblir le pouvoir de la famille royale dans la folie causée par la tuberculose, et il ne pouvait pas savoir que nous allons finir dans une situation bien pire que tout ce qu’il a pu connaitre. Il a eu un règne assez tranquille après tout, il ne pouvait pas se douter que l’incompétence de son conseil nous mènerait à un tel fiasco. Ne vous souciez plus de toutes ses ordonnances mais, seulement celle de mon frère et celles des rois précédant mon père.
Les trois conseillers échangèrent un regard tendu. Les ordonnances précédant Ludovic… avec ce qu’il allait faire, autant dire tout de suite qu’il allait suivre la politique de Clovis, il s’était octroyé les pleins pouvoirs et l’impunité la plus complète tout au long de son règne, jusqu’à ce que Ludovic ne casse toutes ses décisions qui les avaient fait régresser au niveau de l’Empire. Et ils ne pouvaient même pas lui remarquer à cause des mêmes lois qu’ils appliquaient, dire quoi que ce soit en sa présence pourrait être utiliser pour les condamner au même sort que cet homme dans les bonnes conditions…
– Papa… marmonna Félix, la voix étouffée dans le manteau de son père, Rodrigue le tenant toujours contre lui pour lui cacher ce qu’il allait arriver. Papa ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi Rufus va le faire t…
– Chuuut Félix… il ne faut rien dire, il en profiterait, lui murmura son père en priant pour que personne d’autre ne l’entende, avant de se redresser pour demander. Pourquoi faire venir mon fils ? C’est encore un enfant, il n’a rien à faire dans une exécution publique. Laisse-le partir.
– Au contraire, cela lui rappellera où est sa place et ce qu’il risque s’il parle en mal de la royauté, ce qu’il a tendance à trop oublier. Et le fifils à son papa a-t-il peur du sang ? Ce serait plutôt un agneau tout faiblard qu’un louveteau, les nargua Rufus, faisant glousser ses partisans. C’est pas comme si les exécutions publics n’étaient pas ouvertes à tous, et il devra se battre quand il sera grand – sauf si ça devient un gratte-papier comme ma charmante belle-famille car, tu trouves que ton fils chéri est fragile comme du verre – autant qu’il s’habitue tout de suite.
Déesse, ça se voyait qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un champ de bataille ! Quel rapport entre une exécution et une guerre ? Surtout une exécution pareille complètement illégale ?! Était-il hors sol ou comme Clovis à ce point ?! Cependant, aller contre lui ne lui donnerait que plus de grain à moudre pour obtenir sa tête. Alors, Rodrigue répondit simplement, sur la défensive alors que Félix serrait les poings dans son manteau, fou de rage à ses mots.
– Je ne pense pas que lui faire vivre de telles choses soient bon pour lui. Comme vous le dites, je tiens à lui alors, je veux le protéger aussi longtemps que possible des horreurs de la mort, surtout après une Tragédie aussi atroce qui nous a arraché son grand frère et son grand-compère. Y être confronté ainsi aussi jeune est très mauvais pour un enfant, je parle d’expérience. Alors, Votre Altesse, je vous demande de le laisser partir et retourner à ses études.
Rufus ne répondit pas tout de suite, même si c’était évident à son visage que ce n’était qu’une manœuvre pour le faire espérer en vain mais, cela permit à plusieurs partisans du régent de murmurer leur léger accord avec Rodrigue : une place d’exécution n’était pas un endroit pour un enfant aussi jeune. Les Braves en soient remerciés, il y avait des personnes raisonnables dans le lot, ou alors d’autres parents… Rufus céda donc à moitié en marmonnant.
– Il reste ici mais, tu peux le garder emmailloter comme un nourrisson dans ta cape.
– Merci, souffla Rodrigue, avant de se tourner à nouveau vers son fils en soufflant, espérant que cela le protégerait un peu. Il faut que tu te bouches les oreilles… je suis désolé de t’imposer cela…
– C’est pas ta faute à toi… Pourquoi il fait ça ?
Le père le serra un peu plus dans ses bras en restant muet, ne devant surtout pas montrer ce qu’il ressentait. Montrer à Rufus que son plan pour les terrifier fonctionnait ne ferait que l’encourager à recommencer et aggraverait la situation.
En les voyant tous se taire, le régent eut un sourire trop semblable à ceux de Clovis dans les chroniques, puis se tourna vers le condamné en déclarant.
– Tu sais maintenant ce qui t’attend sieur… quel est ton nom déjà ? Ah oui, Acace Adenet Dadvisard, es-tu prêt à mourir pour expier ton crime ?
– Non ! S’écria-t-il, mort de peur en cherchant de l’aide dans l’assistance du regard, désespéré. Pitié ! Je jure que je regrette ! Je veux bien faire n’importe quoi pour me repentir ! Tout ce que vous voulez mais par pitié ! Je ne veux pas mourir !
– Tu as pourtant osé dire que le roi était en partie responsable de la Tragédie, alors qu’il n’y ait pour rien. C’est la plus grande victime de toute cette histoire avec le prince. Et toi, tu as osé le transformer en coupable !
– C’était un instant de faiblesse ! Un simple égarement ! J’étais mort de chagrin ! Comprenez-moi ! Plusieurs de mes proches sont morts dans ce convoi ! Tenta de se justifier l’homme, mort de peur devant la mort qui arrivait. Je me suis trompé ! J’aurais dû dire que c’était ces diables de païens duscuriens qui étaient les vrais coupables ! Ils méritent de tous mourir jusqu’au dernier pour leur crime ! J’en suis sûr ! Ce serait même récompensé par la Déesse et c’est ce que Blaiddyd, Brave de la justice, réclame haut et fort ! À mort les duscuriens ! Je vous aiderais ! Je mettrais mon bras vengeur à votre service ! Je ferais tout ! Je vous en supplie…
– Et bien, l’offre est alléchante mais, c’est bien trop tard, rétorqua Rufus. Mais ne t’en fais pas, tu vas me servir. Après avoir vu ce qu’ils risquent, beaucoup de traitres et de comploteurs comprendront qu’il n’est que folie de s’en prendre à la famille royale. Tu devrais être fier de servir le Royaume ainsi.
Acace en devient muet d’horreur, tétanisé jusqu’à ce que les gardes de Rufus commencent à lui raser le crâne, afin de ne pas gêner le passage de la hache du bourreau, puis à trancher le col de sa chemise dans le même but. Il se mit alors à se débattre comme il pouvait, recriant sa repentance et en appelant à la pitié royale, hurlant à quel point il ne voulait pas mourir.
« Pitié ! Pitié ! Par pitié ! Votre Majesté ! Votre Majesté Lambert ! Je vous en supplie ! Aidez-moi ! » Finit-il par hurler mais, d’ici, le roi ne pourrait jamais l’entendre.
Rodrigue, Lachésis et Thècle serrèrent les poings, se retenant de toutes leurs forces d’intervenir. Tout ce qui se passait ici était illégal, c’était une violation du droit royal et des idéaux de Roi des Lion Loog mais, tant que Rufus était régent et se donnait le pouvoir d’être la loi, ils ne pouvaient rien faire à part regarder impuissants, sinon…
Les gardes du régent finirent par ligoter Acace sur le billot pour l’empêcher de se débattre, même s’il semblait s’être résigné, pleurant ses dernières suppliques alors que le bourreau se mettait en place.
« Pitié… pitié… je n’ai rien fait… c’est injuste… je suis désolé… tellement désolé… ayez pitié… ma famille… elle m’attend… elle s’inquiète… je vous en supplie… pitié… je… je ne veux pas mourir… »
Félix se serra encore plus contre son père. Il n’entendait presque plus rien des cris de cet Acace, juste des éclats de voix, des gémissements, et des pleurs. Il ne comprenait rien à ce qui se passait… qu’est-ce que ça apportait à Rufus d’agir comme ça à part de faire comme les traitres qui avait tué Glenn ?! Il enfonça sa tête dans le ventre de Rodrigue, serrant les poings de rage autour de ses oreilles. Il voulait juste sortir de là et tirer ce pauvre homme de ce foutu billot où il n’avait rien à y faire ! Mais, son père le tenait trop fort et il lui avait dit de ne pas bouger…
« Papa tremble aussi… » Sentit-il, prenant Rodrigue dans ses bras pour l’aider à tenir aussi plutôt que de tout faire pour ne rien entendre.
Le petit garçon sursauta quand un nouveau cri se fit entendre, Rodrigue le serrant encore plus contre lui, les mains sur ses oreilles, même s’il lui souffla, Félix arrivant à entendre toute son inquiétude dans sa voix.
« Il faut que tu te les bouches, je t’en prie. Ne t’en fais pas pour moi, je ne veux pas que tu entendes ça. »
Félix obéit à contre-cœur, mettant ses mains sous les paumes de son père, même s’il perçut le cri horrible à travers, suivit de plusieurs autres de plus en plus faible avant de complètement disparaitre mais, l’immobilité de son père lui apprit avec horreur que ce n’était pas fini. Par les Braves ! Combien de fois cet incompétent de bourreau allait devoir s’y reprendre ?! Il sentait son père se crisper un peu à chaque cri alors, s’il se fiait à ça, il avait fallu onze coups pour que le condamné ait la tête tranchée… onze… c’était énorme…
Enfin, après trop de temps, Félix entendit la voix étouffée de Rufus mais, il perçut malgré tout à quel point il était satisfait… comment pouvait-il être content de ça ?! Il avait agi comme un vrai monstre assoiffé de sang !
« C’est même plus un chien errant à ce stade ! C’est qu’une bête ! Et il a tous les pouvoirs en plus ! Si jamais… ses mains se crispèrent en devinant ce qui allait se passer si son père faisait la moindre chose qui ne plairait pas à la bête. Oh non… non… non… pas ça ! Papa ! »
Il sentit les mains de Rodrigue se desserrer un peu de sa tête, même s’il garda sa cape tout autour de sa tête, lui soufflant doucement malgré sa voix tremblante.
« Partons… mais ne sors pas de là… il ne faut surtout pas que tu voies ça… » souffla-t-il, Félix devait avoir deviné ce qui s’était passé aux vues du temps qui s’était écoulé…
L’exécution avait été une vraie boucherie… après la passe pour mesurer s’il avait le bon angle, le bourreau avait touché plusieurs fois le crâne et les épaules au lieu de la nuque, avant d’enfin l’atteindre mais là aussi, il avait fallu plusieurs coups avant que la tête ne tombe… quelle mort horrible… le bourreau semblait complètement inexpérimenté, il avait dû boire pour se donner du courage mais, cela avait fini en vrai massacre de ce pauvre homme… Félix ne devait surtout pas voir cela… Déesse… il ne devait surtout pas voir une horreur pareille !
« Et ça risque de se reproduire… devina sans problème Rodrigue, sa magie palpitant encore plus fort dans ses veines comme si elle voulait en déborder, son emblème se déversant dans ses veines avec cette résolution. Je dois mettre Félix en sécurité. Il faut qu’il parte, il faut qu’il quitte la capitale ! Il faut qu’il quitte ce coupe-gorge ! Il faut qu’il s’éloigne à tout prix de Rufus et ses partisans ! »
Après s’être mis d’accord pour se donner une heure afin de faire le point tous les trois, les deux sœurs Charon retournèrent dans leurs propres appartements, murmurant entre elles quelques choses. Elles devaient également s’adapter. Rodrigue tient Félix au plus près, gardant juste sa main dominante libre au cas où, terrifié à l’idée de croiser un partisan trop zélé du régent, avant de ne vraiment pouvoir souffler qu’une fois dans leur chambre, la porte fermée à clé et dans un endroit où ils ne pourraient pas être épiés par les murs.
Il allait demander à son fils comment il allait, quand Félix se précipita sur lui pour le serrer dans ses bras. C’était prévisible mais, cela lui faisait toujours mal, le persuadait encore plus de mettre son louveteau en sécurité.
« Félix… je suis désolé que tu ais dû assister à ça…
– Arrête de t’excuser quand c’est pas ta faute. Rufus est complètement fou ! Il n’a pas le droit de faire ça ! C’est juste une bête !
– Oui mais, il s’est accordé les pleins pouvoirs en s’appuyant sur les textes de Clovis, ce qui nous empêche de dire quoi que ce soit. Nous allons devoir être encore plus prudent… alors…
– Alors, tu rentres à la maison ! S’écria tout de suite son fils. Rufus te déteste ! Dès qu’il pourra, c’est toi qu’il tuera papa ! Je veux pas que ça arrive ! Il faut qu’on rentre à la maison ! Il ne pourra rien te faire là-bas et il se débrouillera tout seul pour une fois ! Il te fait déjà beaucoup de mal en te donnant tout son travail ! Dimitri va en Charon en plus, y a plus personne qui te mérite ici à part Thècle et Lachésis ! Il faut qu’on parte !
Félix était mort de peur pour lui… il n’avait même pas peur pour lui-même mais, juste pour Rodrigue… il ne pouvait que comprendre sa terreur. Il savait aussi bien que lui que Rufus lui ferait couper la tête dès qu’il en aurait l’occasion, ou au moins l’éloigner en l’épuisant… c’était surement une partie de sa stratégie étant donné qu’il profitait du moindre prétexte pour lui donner des tâches en plus… cependant…
– C’est impossible… je dois rester à Fhirdiad…
– Quoi ?! Mais pourquoi ?! Rufus te traite mal comme tout le Royaume et Lambert, c’est pas mieux ! Tu risques d’y rester pour toujours ! Je ne veux pas te perdre ! S’exclama-t-il en lui donnant des petits coups frustrés sur sa poitrine avant de répéter. Je ne veux pas te perdre ! Pas comme Glenn ! Je veux pas que tu meures ! Alix doit vouloir te revoir en plus ! Toi aussi tu veux le revoir ! Ne mens pas, t’es pas doué pour ça !
– Je sais que c’est dur mais, c’est justement parce que Rufus traite mal le Royaume que je ne peux pas partir, tout comme Lachésis et Thècle, tenta-t-il de lui expliquer en lui prenant les mains pour tenter de le calmer. Si nous partons, plus personne ne dirigera le Royaume et il sera laissé à l’abandon par Rufus. Il ne pense qu’à se venger des duscuriens, et les seigneurs de l’Ouest l’encouragent dans cette voie car, ils ont des intérêts à annexer Duscur. C’est pour cela que nous devons rester tous les trois, pour protéger le Royaume et faire en sorte qu’il ne s’effondre pas. Il s’agit même d’une disposition du Kyphonis Corpus, nous sommes obligés de nous y tenir. C’est mon devoir de veiller sur lui…
– Merde au devoir ! Et merde au Kyphonis Corpus !
– Félix ! Le reprit-t-il même si son fils ne le laissa pas continuer.
– C’est ce que Glenn dirait ! Tu restes plus longtemps, Rufus va te tuer ! Alors que tu peux partir ! Rufus se débrouillera tout seul, se prendra le mur et c’est tout ce qu’il mérite pour avoir encouragé ce voyage et vous avoir tous traité comme ça ! Il a même tué quelqu’un qui n’a rien fait de mal car sa tête ne lui revenait pas alors, tu es le prochain sur sa liste ! Il te déteste car t’es plus compétent que lui ! Même Lambert s’en fiche du Royaume ! Il s’en fiche si Dimitri devient orphelin alors, il ne doit pas se préoccuper de grand monde à part lui ! Même Glenn en a eu marre des conneries de ces deux chiens errants et idiots et voulait partir ! Il serait parti dès qu’il aurait pu s’il n’avait pas été obligé de rester ici ! Tout ça à cause de son foutu service et devoir envers le pire crétin de Faerghus à cause de foutus règles du Kyphonis Corpus ! Et à cause de ça, il est… rha ! Pourquoi c’est plus important de respecter ce devoir et de travailler pour un chien idiot que de rester en vie ?!
– Je comprends que ce soit dur à accepter mais, cela ne concerne pas que moi. Le mur dont tu parles, c’est Faerghus tout entier et si Rufus est au pouvoir seul avec ses sbires, il va le considérer que comme un moyen de faire un nouveau bain de sang. Cela touchera aussi notre fief… je refuse que tu vives dans un pays encore plus dévasté qu’il ne l’ait déjà… moi aussi, je ne veux pas te perdre, pas après Glenn… même si tu n’as pas tort, cela devient beaucoup trop dangereux, admit-il avant de balayer les espoirs de Félix que son père entende enfin raison. Il faut que tu rentres à la maison, tu seras bien plus en sécurité là-bas…
– Alors tu rentres aussi à la maison ! Lui rappela-t-il alors sans hésiter. C’est ce que tu m’avais dit ! Tu avais dit que si je rentrais, tu rentrerais aussi avec moi et que tu te reposerais un peu ! Surtout vu ta tête ! Même Alix ne te reconnaitrait pas ! Donc, je rentre et toi aussi et Rufus ne te tuera pas à la hache ou en t’exploitant !
Rodrigue baissa alors les yeux avec honte, Félix devinant que là aussi, son père serait trop idiot pour partir deux secondes de la capitale car, ils avaient des chiens idiots comme roi et régent ! Il le savait pourtant, il le savait ! Tout ça à cause de fichus mots sur des bouts de parchemins vieux de quatre cents ans ! Et à cause de ça, Glenn avait été obligé de suivre ce crétin de Lambert et maintenant, c’était son père qui restait à cause de ces foutus devoirs ! Alors qu’à cause de ses devoirs, presque personne n’avait de cheveu gris dans la galerie des portraits, tandis que chez les rois, ils avaient presque tous des cheveux blancs ! À cause de ça, sa famille… son grand frère était… son père allait… et pourtant, pourtant, ils… !
Félix se dégagea de l’étreinte de son père en criant. Il ne laissa même pas le temps à Rodrigue de répondre, il se détourna et s’enfuit sans demander son reste.
– T’es qu’un idiot et un menteur ! Menteur ! Je te déteste ! Reste-là à mourir pour ses chiens errants si c’est si bien de te faire écraser chien idiot ! »
Il courut dans les couloirs en essayant de croiser personne sans trop réfléchir où il allait, à part qu’il ne voulait pas aller ni chez les copains de Rufus, encore moins près des deux frères stupides, ni retourner dans sa chambre… il ne voulait pas voir le futur cadavre… si c’était si bien de se tuer au travail pour des crétins comme un petit toutou, qu’il le fasse tout seul.
« Pourquoi il s’en fiche de mourir pour ce crétin alors qu’il pourrait être à la maison avec Alix ?! Il veut déjà m’y envoyer alors, pourquoi pas lui aussi ?! C’est lui le plus en danger ! » N’arrêtait-il de se demander en déambulant dans les cours.
« Miaou ! »
Félix se tourna en entendant miauler, puis vit Fleuret trotter vers lui avant de se frotter contre ses jambes.
« Fleuret… il le prit dans ses bras, pressant la boule de fourrure toute chaude contre lui, content d’y trouver une cachette pour ses yeux qui piquaient depuis tout à l’heure. Toi aussi, t’as pas envie d’être avec cet idiot, hein ? »
Le chat répondit en ronronnant, avant de se draper comme un foulard sur ses épaules… Écharpe faisait toujours ça avec Glenn… il adorait le mordiller mais, il avait aussi déprimé quand il était à Garreg Mach, comme ses frères et sœurs… Lunaire, Glaïeul, Bouclier et Écharpe adoraient Glenn, c’était vraiment avec lui qu’ils restaient. Pour eux aussi, ce serait dur…
Il étrangla un sanglot en pensant à son frère souriant, incapable de bouger sous ces énormes chats comme celui de leur mère sur ses genoux… le très vieux souvenir de son père avec Fleurette et lui sur les genoux, parlant surement de Félicia…
Félix fit tout pour chasser ses souvenirs de sa tête, et se rappeler que son vieux était juste un crétin qui voulait juste se faire écraser…
Il déambula sans faire attention où il allait, jusqu’à arriver dans la chapelle du palais. Avant, son père s’y rendait presque tous les jours pour y chantait des hymnes à la Déesse, et ses amis et lui se glissaient dans un coin pour l’écouter… Rodrigue avait une si belle voix…
« Sauf maintenant qu’il cire les bottes de chiens idiots avec sa langue… » Cracha-t-il dans sa tête, ignorant le souvenir de la dernière fois qu’il avait entendu son père chanter, la berceuse toute douce malgré le voile de tristesse au fond de sa voix usée de fatigue, repoussant l’inquiétude de sentir son cœur aussi lent. « De toute façon, c’était qu’un ramassis de mensonge… si c’était vrai, il resterait avec moi et rentrerais à la maison… et ça doit pas être si grave que ça… s’il continue à travailler pour ces cons, ça ne doit pas être assez grave pour qu’il s’arrête deux secondes… »
La chapelle était pratiquement vide, seuls des personnes trop vieilles pour aider au palais priant avec ferveur pour les âmes des morts, la paix dans le Royaume et avec ses voisins, ainsi que pour la miséricorde divine… comme si ce n’était pas à cause de Lambert au départ si tout allait mal maintenant et que la seule grâce divine qu’il aurait, ce serait le sang et l’épuisement de son père, de son oncle et des Charon… il aurait fallu que ce ne soit pas le roi dès le départ, point.
« Si la Déesse est si forte que ça, pourquoi elle nous a collé un abruti pareil ?! »
Il n’y avait pas de vengeur ici à première vue, ils n’aimaient pas aller ici, même le dimanche. Le prêtre de la chapelle ne voulait pas la guerre avec les « païens », pour ceux qui allait prier tout court… et après, ça se disait suivre la volonté de la Déesse… au moins, il n’aurait pas à les supporter.
Le garçon marcha le long des murs sans se faire remarquer, ne voulant de toute façon personne, glissant à côté bas-reliefs racontant les exploits des Braves et des Saints. Au fond de la chapelle, de chaque côté du transept, il y avait à gauche une sculpture représentant tous les Braves réunis, et de l’autre les Saints et les Apôtres entourant la Déesse, toutes deux précédés des statues à l’effigie de chacun d’entre eux. S’engouffrant du côté des Braves, Félix s’avança jusqu’à celle représentant Fraldarius, tout au fond au côté de Dominic et face à Blaiddyd. Son ancêtre était représenté assis, son épée sur ses genoux, son bouclier posé à côté de lui, alors que son visage semblait chanter, légèrement penché vers ceux qui le regardaient. Cela ne ressemblait pas du tout à son vrai visage, grand-père le Brave étaient couverts d’écailles des pieds à la tête, avaient des branchies sur la gorge, des iris blanches, un chignon tressé interminable, des mains palmées, des dents de poissons, et il était minuscule. Pour la statue, ses traits auraient été recopiés sur ceux de Kyphon alors, ils ne risquaient pas de se ressembler tous les deux mais, les yeux restaient les mêmes… ils les avaient tous des yeux en forme d’amende ou d’œil de chat dans la famille, bleu d’eau en général à part de rares exceptions comme lui…
Fraldarius-Kyphon semblait le regarder, alors que le souvenir des notes s’échappait de la bouche de pierre, entrouverte pour laisser s’envoler la mélodie, figée dans une expression douce, heureux de pouvoir chanter… comme son p… son vieux quand il fredonnait pour eux tous… Face à lui, Blaiddyd jouait de la flute pendant que Dominic dansait… certains disaient que quand leurs Reliques étaient toutes réunies dans la chapelle, on pouvait les entendre à nouveau s’adonner à leur passion pour la musique tous ensemble…
Cependant, même si aucune de leurs armes à part Areadbhar n’était présente à la capitale, une berceuse se rejouait à nouveau dans les souvenirs de Félix… il n’en comprenait pas un mot, ne parlait pas du tout latin à part pour le lire un peu dans les vieux traités, encore moins à l’oral mais, le sens était difficile à ignorer…
« Tu chantais pour que je survive et pour me rassurer… »
Même s’il ne croyait pas beaucoup en la Déesse, il croyait en leurs ancêtres. Il avait vu le sien dans ses rêves et il lui avait sauvé la vie après tout… alors, le cadet de sa famille posa sa main sur la base de pierre froide, la voix tremblante alors qu’il demandait, la voix plus brisée qu’il ne l’aurait voulu…
« Dites… autant l’un que l’autre… ils étaient comme ça avant ? Est-ce que Blaiddyd et Loog étaient aussi idiots ? Est-ce qu’ils vous prenaient tout aussi ? Est-ce qu’ils vous considéraient tellement comme acquis qu’ils vous traitaient comme ça ? Est-ce qu’ils vous épuisaient comme ça ? … si c’était le cas, pourquoi vous êtes avec eux ? Vous étiez aussi bête que mon vieux qui va se tuer pour ce chien idiot ? Et si c’était des personnes de confiance, pourquoi on doit faire tout ça pour leurs descendants car, il y en avait quelques-uns qui en valaient la peine ? Pourquoi t’as accepté ces privilèges et obligations Kyphon ? Et pourquoi on doit tous mourir comme ça ? Pourquoi chez nous, on meure presque tout le temps avant quarante ans d’un coup de poignard pris pour le roi alors que de leur côté, ils meurent de vieillesse ? Pourquoi tu ne peux pas toujours nous protéger comme tu l’as fait avec moi Fraldarius… ? Pourquoi on doit constamment passé derrière eux… et pourquoi… il commença à renifler alors que son poing se serrait contre le granit. Pourquoi mon père doit… pourquoi il doit encore travaillé pour Lambert alors qu’il a provoqué la mort de mon frère ? Pourquoi il fait ça ? … Pourquoi il fait ça alors que… tout le monde voie bien… à quel point ça le fait souffrir… et que Rufus veut le tuer… pourquoi il s’inflige tout ça… ?
Il sentit alors que des larmes inondaient ses yeux, dévalant ses joues à toute vitesse comme des rapides alors que ses reniflements faisaient trembler ses épaules. Fleuret se serra un peu plus contre lui, un gros ronronnement résonnant dans ses oreilles. Félix le prit alors dans ses bras, l’enlaçant pour tenter de retrouver un peu de calme… non… il ne devrait pas pleurer comme ça… il ne tiendrait pas aussi bien que Glenn s’il pleurait comme un bébé tout le temps ! Pas en public en tout cas… il grimpa alors sur la statue, puis se glissa dans l’interstice entre le bouclier et la hanche de Fraldarius, étant encore assez petit pour le faire… on ne pouvait pas le voir depuis l’allée centrale, personne ne le trouverait bien caché ici… il se ferait gronder d’avoir grimpé comme ça sur une statue vieille de quatre cents ans mais, il voulait juste un endroit où personne ne le trouverait…
La pierre était glaciale contre lui, bien différente de la présence de son grand-père… de Fraldarius. Elle était comme l’eau du lac, aqueuse, vive et insaisissable mais, aussi toujours chaleureuse, même quand l’onde était sur le point de geler…
« Comme celle de… »
Félix se força à ne pas penser à la fin de cette phrase, ne voulant pas en entendre plus alors qu’il cherchait de la chaleur dans la fourrure de Fleuret, restant lové dans ses bras, tout sage et ronronnant… il ne devait pas y penser, il ne devait même pas penser à cet idiot qui se mettait en danger tout seul et refusait de se mettre à l’abri. Tout ça parce qu’il était un… un…
« Pourquoi je n’arrive plus à l’appeler « chien idiot » ? Je viens de le faire ! S’il se met en danger comme ça, c’est qu’il… qu’il est… »
Là encore, le garçon n’arriva pas à finir sa phrase, grognant de frustration et d’incompréhension… les notes s’imposant à la place des reproches.
« Dors, dors, mon tout petit,
Quand le jour se change en nuit,
Dors, dors, mon tout petit,
Quand dans le ciel, la lune luit,
Dors, dors, mon tout petit,
Je veillerais sur toi toute la nuit,
Dors, dors, mon tout petit,
Je jure, de toute ma longue vie…
Tu es mon plus grand trésor,
Alors mon tout petit, dors. »
« Alors pourquoi tu ne restes pas avec moi et ne rentres pas à la maison ? »
Il continua à tremper la fourrure de Fleuret, les notes le rassurant et le poignardant en même temps de frustration et de rage. Pourquoi son père pouvait dire ça et ne pas le faire pour lui-même après ? Pourquoi lui, il ne pouvait pas le faire aussi ? Pourquoi Rodrigue devait rester ici et lui pouvait rentrer ? Félix avait presque l’impression d’être chassé alors qu’il voulait juste rester ici ! C’était pas juste ! Et en plus…
« Ça sert à rien… c’est un idiot qui fait des trucs idiots… idiot, idiot, idiot… »
« Eh ! Qu’est-ce que tu fais là-dedans ?! Sors de là tout de suite !
Félix se résigna à obéir en entendant Gustave commencer à le gronder, se trainant hors de sa cachette pour voir le maitre d’arme au pied de la statue. Son expression passa de la colère à la peine en voyant son visage. Le petit garçon devinait qu’il avait surement ses yeux tout rouges d’avoir autant pleuré mais, quand il tendit la main pour essuyer ses larmes, Félix le repoussa. Lui, c’était pire qu’un chien idiot, c’était un vrai tapis qui faisait tout pour dorloter Lambert et lui cacher à quel point tout le monde le détestait maintenant, il obéissait presque tout le temps à Rufus, et empêchait souvent les sœurs Charon et Rodrigue d’informer l’idiot des méfaits de son frère sous prétexte de ne pas l’épuiser. Comme si le travail de son pèr… de son vieux n’était pas assez pénible comme ça !
– Félix, qu’est-ce que tu fais là ? Lui demanda la carpette. Rodrigue sait que tu étais ici ?
– Ça ne te regarde pas, grommela-t-il en évitant ses yeux, gardant toujours Fleuret entre lui et Gustave.
– Hum… je ferais mieux de te ramener à ton père, il se fait tard et après ce qui s’est passé aujourd’hui… mieux vaut que tu sois avec lui, déclara-t-il, mal à l’aise.
– Quoi ? T’étais au courant qu’il allait massacrer quelqu’un et t’as rien fait ?! Mais t’es vraiment un tapis ou quoi ?! Et après, ça se prétend chevalier alors que tu laisses R… grah ! Vous valez pas mieux l’un que l’autre ! Mordit-il tout de suite, même s’il ravala la fin de sa phrase, ne voulant pas lui dire à lui. Tu ne mérites pas mon père et tu ne lui arrives même pas à la cheville ! Aide-le au lieu d’aider Rufus !
– Non, je ne savais pas ce qui allait se passer, et même si je l’avais su, je n’aurais pas eu le pouvoir de l’en empêcher. Rufus est le régent, et moi qu’un fils de baron secondaire qui a monté en grade grâce à ses efforts. Je suis peut-être leur maitre d’arme et le chef de la garde mais, je n’ai guère plus de pouvoir que celui d’être un proche et je n’ai pas de gros appui…
– Tu aurais pu en parler à Lambert, l’engueuler, lui dire que c’était un monstre, interdire à tes hommes de l’aider, libérer cet homme, soutenir mon père, taper du poing sur la table… c’est juste que t’es aussi lâche que Rufus est feignant. Sauf que contrairement à lui, tu sais faire des efforts quand ça t’arrange ! Là, ça t’arrange pas car, ça blesserait le chien idiot qui a tué mon frère de savoir que son grand frère massacre des gens pour lui et ça, tu ne veux pas que ça arrive car, t’es un gros lâche !
– Félix, ça suffit, je ne tolérerais pas que tu me parles sur ce ton ! Le gronda-t-il tout de suite. Je sais que tu parles comme le faisait Glenn mais…
– Ne parle pas de Glenn ! T’as pas le droit ! Pas quand tu aides autant celui qui l’a envoyé à la mort !
– Je ne fais que mon devoir Félix, comme ton père.
– Alors, vous êtes deux idiots.
Gustave se contenta de froncer les sourcils avant de l’entrainer vers la sortie sans rien dire pendant un moment, Félix non plus. Il ne voulait pas en entendre plus de sa part. Bon, il n’avait pas envie de voir Rodrigue se faire du mal tout seul, c’était à peine mieux que rester avec Gustave le tapis…
– Je préférerais voir Dimitri… finit-il par marmonner pour lui-même.
– C’est vrai que tu ne pourras plus le voir à partir de demain, souffla Gustave en tentant d’être compréhensif. Il ne va pas revenir avant longtemps de Lokris.
– … je pourrais aller avec lui alors… il ajouta en voyant le regard étonné de Gustave. Penses pas que je le fais parce que Lambert le veut, c’est juste pour ne pas laisser Dimitri presque tout seul et parce que je veux rester avec lui.
Le visage du tapis passa de l’étonnement au soulagement, alors qu’il déclarait, comme si Félix venait de lui enlever un gros poids des épaules.
– On devrait trouver une place pour toi et ton chat sans souci, surtout que ce n’est pas la première fois que tu voyages en bateau. Merci beaucoup, Sa Majesté était vraiment inquiète à l’idée qu’il n’ait aucun de ses amis de longue date à ses côtés, étant donné qu’il est rarement allé aussi longtemps dans sa famille maternelle…
– Je te l’ai dit, je ne le fais pas pour ce chien idiot, juste pour Dimitri. Pas pour lui, répéta-t-il en se fermant complètement autour de Fleuret, chassant le souvenir de la dernière fois qu’il avait vu quelqu’un soulagé.
« Papa ? Qu’est-ce que tu écris ?
Félix regarda au-dessus des mains de son père, assis à son bureau dans leur appartement. Il grattait encore du papier alors que le soleil était couché depuis longtemps mais, pas dans son étude contrairement à d’habitude, et ça ne ressemblait pas à ses lettres pour Alix. Rodrigue leva le nez de son travail, lui expliquant.
– J’écris à Francis et à Fregn et Isidore… enfin Sylvain maintenant qu’il est majeur. Lambert voudrait que Dimitri aille à Lokris pour se reposer, l’air y sera bien plus sain en montagne que dans la capitale et il y sera plus tranquille…
Le fils vit qu’il ne disait pas tout, devinant qu’il essayait de ne pas l’inquiéter, même si Félix n’était pas aveugle. Il savait que tout le monde était mécontent en ville, surtout contre Lambert alors, cela pouvait être dangereux pour la famille royale. Encore, il se fichait du sort du roi, mais il ne voulait pas que Dimitri subisse encore plus la connerie de son père… ni que son propre père ou les personnes de son fief soit en danger…
– Mais alors, pourquoi tu écris à Fregn et Francis ? Demanda-t-il.
– Il y irait avec Dedue et Sasiama mais, Lambert voudrait qu’Ingrid, Sylvain et toi l’accompagnent si possible. Je dois alors écrire des lettres pour leur demander. Je ne pense pas qu’ils acceptent, surtout que Sylvain surement devoir aider ses parents avec la frontière mais, c’est noté que je l’ai fait… il hésita un peu avant de demander, un peu nerveux, il était encore plus facile à lire à cause de sa fatigue. Et toi ? Tu voudrais accompagner Dimitri à Charon ?
– Hum… j’aime bien Dimitri mais non, je ne vais pas te laisser tout seul ici.
Rodrigue avait souri à sa réponse, le « merci » sortit presque par accident au lieu d’un « d’accord » dans sa fatigue… il avait l’air tellement soulagé de l’entendre dire qu’il resterait avec lui et qu’il ne partirait pas avec Dimitri. Il faisait confiance aux Charon mais, son père ne voulait pas le voir loin de lui…
« Ça va lui faire de la peine quand je lui dirais que finalement, je pars… »
Félix se força à chasser cette culpabilité de sa tête, ne voulant rien ressentir de tout ça et se persuadant tout seul qu’il prenait la bonne décision. Il ne voulait pas le voir encore plus s’écraser devant Lambert et Rufus, il ne le verrait pas faire s’il était loin en Charon, et il serait avec Dimitri. Il n’avait même pas envie de rentrer pour voir Alix s’angoisser pour son frère… non, ce serait mieux de partir loin.
Le garçon sentit sa marque réagir dans son dos, le picoter comme pour lui dire quelque chose qu’il traduisit sans problème… elle ne semblait même pas en colère, juste réprobatrice et lui conseillant de rester auprès de sa famille, déversant l’énergie de son grand-père et de son emblème dans ses veines… là aussi, Félix nia encore et encore, rejetant les mots silencieux de Fraldarius comme il ne l’avait jamais fait auparavant…
« Je ne veux pas le voir devenir le toutou de deux chiens idiots ! Pas question de le voir s’abaisser comme ça ! Si t’es pas content, dit-le à lui et pas à moi ! … mais par contre, ne le marque pas comme ça, ça voudrait dire que tu as fait un miracle… »
Félix détestait à quel point cette énergie dans son dos était familière, s’entêtant de toutes ses forces alors qu’il marchait dans le palais, refusant de changer d’avis ou de voir son père dans cet état plus longtemps…
*
« Place ! Place ! Voici le courrier de Fhirdiad !
– Ah ! Enfin ! Vous avez une semaine de retard !
– Les routes sont encore plus mauvaise que d’habitude, la neige est retombée, c’est difficile de circuler, répondit le messager en se laissant tomber de sa selle.
Sylvain tendit l’oreille depuis l’autre côté de la cour, allant retrouver sa mère pour l’aider dans ses tâches une fois ses études terminées. Fregn sortit également de la forteresse en entendant l’appel du messager, des petites plaquettes de bois entre les doigts, un message venant de Sreng arrivé quelques heures plus tôt. Isidore comprenait à peine la langue de sa femme, encore moins les termes spécifiques à sa culture ou les runes alors, elle avait dû tout lui traduire pour qu’il puisse savoir ce que le grand thing lui voulait. Le jeune homme regarda l’épaule gauche de sa mère, rassuré de la voir bouger avec moins de peine que ses derniers jours. Elle avait glissé et percuté un meuble avec elle peu de temps après le rapatriement des corps alors, elle avait eu un peu de mal à l’utiliser. Heureusement, elle guérissait petit à petit.
Le margrave prit la pile de lettre, tria rapidement, puis appela.
« Sylvain. Ici. »
Obéissant, le jeune homme rejoignit son père qui lui tendit deux lettres avec un cachet de cire sarcelle sans le regarder, continuant de feuilleter le tas de missives. Reconnaissant l’écriture de Félix et l’emblème des Fraldarius, il fit sauter le sceau de celle qui semblait la plus officielle et la lut en vitesse. Fregn s’approcha, silencieuse comme une ombre pour voir de quoi cela parlait.
« C’est Félix, lui indiqua-t-il en sreng par réflexe avec elle. Il m’explique que Dimitri part demain pour Charon afin de se reposer dans la famille de sa mère, l’air y sera meilleur pour ses poumons brûlés, et il y sera plus en sécurité qu’à Fhirdiad. Il y va avec les duscuriens qui l’ont suivi après la Tragédie, Dedue et Sasiama mais, Lambert voulait qu’on l’accompagne tous les trois aussi, même si on n’est pas obligé. Félix a écrit cette lettre à la place de Rodrigue pour l’aider. L’autre est personnelle à mon avis.
– Il a bien d’étranges priorités ce roi sans yeux, grogna Fregn dans sa langue maternelle, personne ne la comprenant dans les environs. Qu’il se préoccupe de son fils est tout à son honneur mais, c’est un peu tard, et le loup sage a certainement d’autres occupations en ce moment. Il est tellement occupé que son petit doit l’aider…
– Sylvain, je t’ai déjà dit de ne pas parler sreng sauf si cela est vraiment nécessaire, tu n’en es pas un. Toi aussi Fregn, gronda Isidore en parcourant une missive qui, à la cire, arrivait de l’administration royale directement. Qu’est-ce que cela dit ?
« Peut-être que si tu me parlais plus pour me faire autre chose que des reproches, ce ne serait pas la langue qui vient plus naturellement, » songea Sylvain mais, il affecta la soumission, c’était le mieux à faire avec le margrave. Il lui expliqua alors de quoi il en retournait, son père décrétant un « non » catégorique avant même qu’il n’ait eu fini. Sylvain s’en doutait, mais même s’il aurait pu lui dire qu’il était majeur à présent et donc, il pourrait décider de quand même aller auprès de Dimitri, il était du même avis qu’Isidore pour une fois. Il était bien plus utile ici, surtout avec les srengs qui commençaient à s’agiter et avait déjà mis au point leur marche à suivre, que ce soit dans leur coin ou pendant le thing.
Son père fronçait de plus en plus les sourcils au fur et à mesure qu’il lisait sa propre lettre, soupirant en la refermant. Il regarda Fregn de travers en ordonnant, méfiant.
« Fregn, va ailleurs, et toi Sylvain, ne t’avise pas de raconter quoi que ce soit de cela à ta mère. »
Ça ne sentait pas bon. Sa mère obéit tout de même, retournant de là où elle venait, avant que Sylvain n’accepte à moitié, bien qu’il ne jurât pas. Il verrait selon le contenu de la missive.
« C’est une lettre écrite sur ordre du régent. Il nous demande de mettre une partie de nos réserves loogiennes de côté pour la capitale en cas de besoin, mais aussi de leurs envoyer des soldats et de l’argent. Les fhirdiadais sont très agités ces derniers temps, et il a peur d’une révolte contre l’autorité royale. Il est sûr de la fidélité de nos troupes alors, il nous demande de leur envoyer un bataillon complet de renfort avec les vivres et l’équipement nécessaire.
– Un bataillon complet ?! Mais ça fait plus… ! Se rendit-il compte à mi-voix Sylvain, même s’il baissa encore plus le ton, sachant qu’il n’était pas seul. Père, on ne peut pas envoyer les gardes-frontières alors, nous devrons prendre des soldats gardant la ville. Eux aussi sont en colère après avoir perdu des proches et des camarades à Duscur, ils ne sont peut-être pas les plus sûrs pour cette mission, lui fit-il remarquer. De plus, si nous devons leur fournir des vivres et de l’équipement, nous risquons de ne pas en avoir assez pour finir la soudure ou en cas de mauvaises récoltes, surtout si nous leur prêtons encore de l’argent. On pourrait ne pas avoir les moyens d’acheter des compléments à Leicester ou Almyra. C’est vraiment risqué de nous priver de nos vivres comme ça.
– Peut-être mais, cela reste un ordre royal, il est de mon devoir d’y répondre au mieux. Dans chaque ville de notre fief, vingt soldats devront être choisis pour se rendre à la capitale, avec leurs vivres et équipement. Pour ce qui est de la réserve loogienne, nous allons voir ce que nous pouvons mettre de côté pour Fhirdiad, commanda Isidore à voix haute, sachant que Fregn n’entendrait rien de là où elle était, puis il ajouta plus durement à l’attention de son fils. Nous devons envoyer ce que nous demande le roi. Les descendants de Loog sont les seuls souverains légitimes de Faerghus et nous nous devons l’obéissance en tant que vassal, ne l’oublie pas.
– J’obéis sans problème au(x) digne(s) héritier(s) du Roi des Lions », rétorqua-t-il en louvoyant un peu, évitant de dire à qui il pensait précisément. Aux yeux de son père, il se comportait déjà comme un sreng à part entière, mieux valait éviter de l’énerver en faisant le difficile sur qui il reconnaissait comme roi avec ou sans yeux. Pour le coup, le fodlan était pratique pour ne pas prononcer les pluriels.
« Bien, ne commence pas à penser comme ta mère que la fidélité doit être sur commande. Il s’agit de la famille royale, nous nous devons de lui rester fidèle et de veiller au maintien de la frontière. La défense du Royaume par le nord est entre nos mains, c’est un devoir qui demande le plus grand zèle et une fidélité sans faille, il ajouta en voyant son fils hocher la tête. Maintenant, voyons ce que les srengs préparent encore.
Ils allèrent ensemble dans l’étude de Fregn, cette dernière relisant sa traduction en les attendant. Elle donna la lettre originale à Sylvain pour qu’il puisse la lire lui-même, la traduite à Isidore, puis expliqua pour être sûr que son mari comprenne.
« Il s’agit d’une lettre de Thorgil le Kaenn, qui nous a écrit en tant que reine et non en tant que sœur, belle-sœur et tante. Le Grand Thing s’est tenu à la première pleine lune après la Tragédie, sous le regard de Tyr et d’Odin.
– Oui, l’assemblée des notables de votre ville, marmonna Isidore.
– Pour Gautier, c’est l’assemblée des notables d’une ville, et ça c’est le thing normal. Chez nous, c’est l’assemblée de tous les membres de la communauté pour prendre une décision importante, que ce soit pour l’élection du roi ou pour négocier avec un royaume voisin. Ici, il s’agit du Grand Thing, qui réunit des représentants et les rois de tous les Royaumes Srengs. Il ne se réunit que lors des grandes crises. Par exemple, la coalition que vous avez affrontée il y a quelques années, s’était formée lors d’un Grand Thing, même s’il n'avait pas été suivi par les grands Royaumes. La situation après la Tragédie était tellement exceptionnelle que plusieurs rois ont voulu qu’ils se réunissent, afin de se mettre d’accord ensemble sur la marche à suivre vis-à-vis des traités, dont Thorgil le Kaenn.
– Bien, et qu’est-ce que ta sœur a décidé avec ses comparses ?
– Les rois pensent que les faerghiens sont à terre alors, ils n’attaqueront pas. Cependant, ils considèrent que les traités doivent être modifiés pour s’adapter à la nouvelle situation. Pour citer le Kaenn et d’autres rois et reines, « les différentes dispositions du traité ne conviennent plus au roi Lambert Egitte Ludovicosson Blaiddyd. »
– Les corbeaux se précipitent déjà sur les restes des morts.
– Votre roi serait mort, nous n’aurions rien fait, il ne serait resté que des victimes à terre et aucun décideur. Cependant, la décision d’aller en Duscur lui revient à lui et à lui seul, nous ne pouvons que changer notre appréciation après tout ce que cette décision à provoquer. Pour faire montre de leur bonne volonté, ils demandent que deux rencontres aient lieu : une avec un représentant de Gautier pour décider de mesures plus locales et voir ce que Faerghus a encore à proposer, puis avec Fhirdiad directement. Leur niveau d’exigence avec la capitale dépendra du défi que nous nous leur opposerons pendant la première rencontre. Thorgil le Kaenn nous conseille que ce soit un membre de notre famille qui soit envoyé à la première réunion, et me demande de l’accompagner pour éviter les impairs. Si l’émissaire est doué et compétent, ils seront dans de meilleurs dispositions pour encore nous considérer comme digne de respect. Dans le cas contraire, ils ne s’encombreront pas de manière avec nous.
– Hum… toujours deux allures avec vous, gronda Isidore en analysant sa femme du regard. Je m’y rendrais, afin qu’ils ne pensent pas que tout est permis à présent.
– C’est toujours mieux qu’une ou rien. Et je ne pense pas que ce soit une très bonne idée que ce soit toi qui t’y rendes, le contredit Fregn.
Le margrave fronça les sourcils, mécontent de la contradiction. C’était rare qu’elle s’oppose aussi directement à lui mais, Sylvain se tut, sachant que sa mère agissait ainsi pour une bonne raison. Elle expliqua alors, calme et froide, comme toujours dans ce genre de discussion.
– Tu ne parles pas un traitre mot de vrai sreng, la langue du commerce et le langage militaire ne suffiront pas dans les discussions qui seront toutes en sreng. Tout le monde ne parle pas fodlan et nous serons entre srengs. Il y aura probablement des duels oratoires pendant les séances de discussions, et les différents reines et rois vont surement faire appel à des concepts typiquement srengs, surtout que nous parlons souvent par périphrase pour désigner certains dieux et concepts. Si c’était toi qui venais, il te faudrait que je te serve d’interprète et te traduise tout, ce qui rallongerait et hacherait les discussions. Vous trouviez que nous allions très vite et que nous dégainons nos arguments et positions à la même vitesse pendant les négociations après le conflit frontaliers, nous allons encore plus vite dans notre langue maternelle. Il arrive même que nous nous défions à des combats oratoires et physiques, où on doit se combattre à l’arme blanche tout en argumentant sur notre position, afin de montrer notre habilité dans les deux domaines. Il faut impérativement quelqu’un qui parle couramment sreng et connait très bien nos coutumes. C’est le minimum à respecter pour ces négociations.
– Alors, je peux y aller.
Isidore tourna son regard froid vers Sylvain, ce dernier continuant en espérant ne pas avoir commis un impair.
– Je parle couramment sreng, Mère m’a appris les différents pans de sa culture, je maitrise les figures de styles, et vous m’avez autant appris à négocier qu’à me battre tous les deux. Je devrais convenir un minimum à leurs attentes. De plus, je suis adulte à présent, je me dois d’en faire encore plus pour aider notre marche et le Royaume. Tu me disais l’autre jour de me préparer à faire mes preuves au combat. Même si ce n’est pas un combat physique, je dois aussi être capable d’affronter des adversaires dans un duel verbal. Je sais que ce serait ma première mission officielle, et qu’elle est de la plus haute importance mais, je ferais tout pour défendre les intérêts de Gautier et Faerghus.
Isidore le jaugea du regard, avant de marmonner, impénétrable.
– Je vais y réfléchir…
Il s’en alla sans rien dire de plus, les laissant seuls. Fregn attendit qu’il soit parti pour souffler, sûre d’elle.
– Ce sera toi qui iras là-bas. Il ne peut pas y aller car il ne parle pas sreng, Miklan non plus et l’un ou l’autre s’y rend, c’est l’accident diplomatique assuré, ils sont tout sauf des négociateurs. Tu as été formé à discuter uniquement parce que je l’étais aussi et parce que le roi Ludovic l’a imposé de base, il était furieux en voyant Miklan n’être formé qu’aux armes, et ce n’était pas le genre de roi à qui on tenait tête. Même Isidore sait que si c’est un Gautier qui doit s’y rendre, c’est toi ou personne. Il va surement chercher quelqu’un pour nous chaperonner mais, le plus sage est de t’envoyer avec moi.
– Si tu le dis, répondit son fils, sachant que même si ces parents se méfiaient l’un de l’autre comme de la peste, Fregn était aussi une des personnes qui lisait le mieux le margrave. Je n’ai pas envie qu’il arrive quoi que ce soit à mes amis et aux gens de notre fief, on est déjà assez affaibli comme ça.
– C’est sûr que nous avons perdu beaucoup trop de monde ces derniers temps… elle laissa sa phrase en suspens, avant de demander. Qu’est-ce que le régent nous demandait dans la missive ?
Sylvain hésita un peu. Isidore lui avait interdit de parler du contenu de cette missive à sa mère mais, il savait aussi qu’elle était de bon conseil quand il avait l’impression d’être en décalage avec le margrave. Après tout, c’était elle qui l’avait élevé, pas son père, il se sentait plus proche de sa manière de pensée que celle typique de Gautier, notamment avec tout ce qui tournait autour de Sreng. Il se décida alors à en parler avec elle, lui expliquant les dernières demandes de Fhirdiad. Fregn l’écouta attentivement, gardant pour elle son mécontentement devant les dernières « demandes » de la capitale.
« Si Rufus voulait faire exploser le Royaume volontairement, il ne s’y prendrait pas mieux. Encore plus de soldats, de nourriture et d’argent pour eux sans rien en retour à part leur approbation… il ne faut vraiment pas qu’on s’énerve sinon, dans ses conditions, ce serait facile de faire tomber Gautier mais bon, ça, c’est la spécialité de Thorgil et Huld… en tout cas, ça a fonctionné on dirait… ça valait le coup de gratter tout ça à l’aiguille. »
*
Gustave fit craquer un peu son épaule, épuisé par sa journée. Les enfants étaient partis ce matin pour Duscur et la séparation fut difficile. Sa Majesté avait à peine assez de force pour tenir son fils dans ses bras avant son départ, encore moins pour l’accompagner jusqu’au port et le saluer une dernière fois avant qu’on ne largue les amarres… enfin, vu l’agitation dans les rues ses derniers temps, ce n’était peut-être pas plus mal… rien de bien violent mais, mieux valait préserver le roi de tout ceci, cela risquait de le fatiguer… cela avait été difficile pour le petit prince aussi mais, ce serait bien mieux pour sa santé et moins dangereux pour lui, surtout que Félix était avec lui. Il pourrait le soigner en cas de besoin, Dedue resterait à ses côtés pour s’occuper de lui et Sasiama aussi.
« Il est bien entouré, et les Charon ne sont pas en reste, ça devrait bien se passer. »
Pour les Fraldarius aussi, la séparation avait été difficile. Rufus avait commenté en se moquant que Rodrigue voulait se coller à son fils, et que même s’il semblait un peu réticent au début à l’idée d’enlacer son père, Félix restait tout de même un bébé accroché au sein de son père plutôt qu’à celui de sa mère.
« Ah, j’oubliais, c’est vrai qu’il a tué sa propre mère en arrivant. Quel charmant enfant. »
Heureusement, ni le père ni le fils ne l’avait entendu, encore heureux mais, Gustave avait été obligé de leur rappeler que le bateau attendait Félix pour partir. Le petit avait semblé hésiter un peu mais, était finalement parti sans trop se retourner, son chat serré contre sa poitrine.
« Je comprends que vous vouliez le meilleur pour Son Altesse Dimitri, je le souhaite aussi mais, s’il vous plait Gustave… l’avait presque supplié Rodrigue peu avant le départ. Laissez-moi garder mon fils… »
Sa détresse faisait mal au cœur mais, le capitaine de la garde avait été obligé de refuser. C’était difficile pour tout le monde mais, la présence de son meilleur ami serait mieux pour Son Altesse…
« Vous êtes fier de vous on dirait.
Le chevalier fut tiré de ses pensées par le grognement d’Estelle, appuyée contre un mur avec son bras droit Bernard. Les deux semblaient sur le point de le mordre… le second envoya à son tour, les bras croisés devant lui.
– Profitez d’une dispute en famille pour séparer un père et son enfant… un comportement digne d’un chevalier, vraiment. Tu m’étonnes que le Seigneur Terrail n’ait jamais voulu se faire adouber, il ne se serait jamais abaissé à de tels sournoiseries pour satisfaire un caprice. On est vraiment chevalier quand on n’en a pas le titre pour parader avec.
– Je comprends que vous n’appréciez pas que Félix quitte son père ainsi, surtout s’ils se sont disputés peu de temps avant, mais il est maintenant trop tard pour changer les choses. Je ne lui ai rien proposé, c’est Félix lui-même qui a demandé à accompagner Son Altesse. C’était son propre choix.
– C’est ça, c’est ça, courrez dans la boue jusqu’au cou, grogna Estelle. Il est vachement en état de prendre des décisions posées le gamin. Mais le roi a ce qu’il veut, j’imagine que cela vous suffit pour avoir bonne conscience. Bravo pour votre exploit et vous pouvez être très fier de vous, vraiment.
Elle fit alors un signe à son second et ils s’en allèrent sans lui laisser le temps de répondre. En ces temps difficiles – et surtout avec Rufus – de tels propos seraient condamnables mais, Gustave n’en fit pas grand cas, c’était juste de la colère mal contrôlée dans une situation compliquée. Tant que Rodrigue restait du côté du roi, ces hommes aussi, c’était tout ce dont il avait besoin pour le moment…
De leur côté, Estelle et Bernard durent remplir leurs obligations mais, dès qu’ils purent s’absenter, ils arrivèrent à convaincre le cuisinier de les laisser se servir un peu dans la montagne de victuaille que se réservait Rufus, afin de préparer un grog à leur duc. Une boisson chaude lui ferait du bien…
Les deux soldats le trouvèrent dans son étude, en train de répondre à des demandes et des requêtes qu’évidemment, le régent refusait de traiter, ne voulant pas s’abaisser à gratter du papier, les moins titrés ou nobles que lui pouvaient s’en charger. Lors d’une patrouille avec quelques soldats de Rowe pas trop endoctrinés par l’église occidentale et leur seigneur, plusieurs d’entre eux avaient dit que si Rodrigue, Lachésis et Thècle tombaient, c’était tout le Royaume qui tombait avec eux. Au moins, il y avait des personnes lucides dans le sud, même si on ne les entendait pas beaucoup sous les hurlements des chiens errants… même s’ils en payaient tous les trois le prix, ils étaient épuisés…
« Seigneur Rodrigue ?
Leur duc leva les yeux de son travail à l’appel de Bernard. Ils étaient rouges et gonflés, comme s’il avait pleuré, profondément enfoncés dans ses orbites et les cernes. Son teint très pale de base devenait complètement cireux, effleurant encore plus les contours de son visage maigre. Ses veines ressortaient de plus en plus à cause de la magie qui s’accumulait dans son corps. Ils l’avaient trainé chez un médecin pour trouver une solution mais, il était aussi débordé que les autres et devait économiser leurs remèdes pour les cas très graves alors, à part continuer sa routine de travail avec quelques aménagements rapides, il fallait qu’il serre les dents et tienne le temps que la crise politique passe… ou que son état s’aggrave encore et qu’il s’effondre au mauvais moment… là, les guérisseurs daigneraient lui donner un congé et les soins dont il avait besoin… Rodrigue ne leur aurait pas interdit, les deux soldats auraient été prêt à soudoyer le médecin pour avoir ces foutus médicaments, et il aurait eu des problèmes s’ils lui avaient pris de force… Rodrigue releva un peu plus la tête, tentant de donner le change malgré sa voix enrouée.
– Oui ? Que se passe-t-il ? Vous avez besoin de quelque chose ?
– Ce n’est rien, à part que vous devriez boire ça, ça vous fera du bien, déclara Bernard en lui tendant le verre.
Estelle ajouta en voyant son duc reconnaitre la mixture.
– On s’est arrangé avec le cuisinier, il nous a laissé nous servir dans la réserve de Rufus.
Il arriva à sourire en prenant une première gorgée brûlante, buvant lentement.
– Merci…
Les deux soldats lui laissèrent le temps de boire son verre, le vidant complètement. Il souffla, serrant sa tasse pour se maintenir.
– Merci beaucoup… ça fait du bien… il hésita un peu avant d’avouer, la fatigue le rendant plus bavard. Il me manque déjà… je sais que c’était son choix mais, j’aurais préféré…
– Est-ce que c’était son choix ou est-ce qu’il a pris sa décision sur un coup de tête et de colère ? Marmonna Estelle.
Rodrigue baissa les yeux en soufflant.
– Je le sais… j’ai essayé… mais rien à faire… tout ce que je peux faire maintenant, c’est espéré que cela se passe bien et que je pourrais vite le revoir… soupira-t-il avant de marmonner en se pinçant l’arête du nez, essayant de se convaincre lui-même. J’aurais préféré qu’il soit à la maison, je me serais moins inquiété mais, les Charon sont de confiance, ils le protégeront très bien et Félix sera plus en sécurité là-bas qu’à la capitale… le grand-duc Riegan va bientôt nous rendre visite, j’aurais surement à peine eu le temps de m’occuper de mon louveteau… les vengeurs lui voulaient du mal ici, les Charon sont bien assez nombreux pour veiller sur lui… et les srengs ne vont surement pas tarder à venir renégocier les traités entre nous et eux… ils doivent déjà se concerter entre eux alors…
– Seigneur Rodrigue… Bernard posa sa main sur son épaule, attentif. Vous avez aussi le droit de craquer de temps en temps en temps, surtout après tout ce que vous avez vécu ces derniers temps… personne ne vous en voudra.
Leur duc eut un regard triste et un sourire tordu, désabusé alors qu’il grinçait, même si les larmes se remettaient déjà à couler.
– Tout le monde n’est pas d’accord…
Il n’avait pas besoin de préciser de qui il parlait. Estelle et Bernard restèrent à ses côtés le temps que la crise passe, avant de discuter un peu avec lui afin de l’aider à se sentir mieux. Ce n’était pas grand-chose mais, c’était mieux que rien.
Quand les deux militaires durent reprendre leur poste, ils croisèrent Rufus, bouffi d’orgueil et fier de lui, se moquant encore de leur duc et des deux sœurs Charon. Ils rêvaient de lui arracher ce sourire arrogant de son visage… enfin bon, c’était le régent et eux des roturiers, et il s’était accordé tous les pouvoirs dont celui de vie et de mort. Son frère n’était déjà pas bien utile mais là, il l’était encore moins. Un mot de travers, les deux soldats se retrouvaient suspendu à une corde par le cou, et leur duc la tête sur le billot… ils devaient être prudents, ravalés leur colère et ne pas faire de vagues, même si c’était rageant. Enfin, eux au moins, ils pouvaient toujours se soulager à la taverne le soir. On n’y servait plus rien à présent, et elles avaient été recyclés en point de rationnement mais, cela restait un lieu de rencontre où on pouvait dire à peu près tout, tant qu’ils n’allaient pas dans les mêmes que les vengeurs ou des partisans de Rufus. C’était mieux que pour leur duc qui n’avait surement que ses lettres à son frère pour parler de tout ça à quelqu’un, et encore, en les codant surement.
« Tient ? Deux toutous de Fraldarius ? Vous n’êtes toujours pas retourné à votre place ou dans votre niche ? Oh, j'oubliais, c'est la même chose pour vous ! » Leur lança Rufus en les voyant, faisant glousser ses oies de partisans autour de lui.
Vraiment une belle situation de merde…
Estelle et Bernard s’inclinèrent respectueusement sans rien dire, gardant leur colère en eux, bien qu’ils se jurèrent tous les deux de rester au côté de leurs seuls seigneurs dignes de ce nom.
« Moque-toi le petit roquet, rira bien qui rira le dernier. Un jour, on trouvera un moyen de te la faire boucler. »
(suite)
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lilias42 · 1 year
Text
Nouveaux chapitres pour CF ! L'introduction et les deux premiers chapitres !
Coucou tout le monde ! Petit retour dans CF avec les trois premiers morceaux de l'histoire !
J'avoue qu'en ce moment, je fais pas mal de trucs dans le désordre alors, j'avance pas beaucoup sur CF, c'est une petite pause on va dire avant de repartir de plus belle. Cependant, j'ai relu l'intro de cette histoire y a peu le temps pour la corriger et ça fait un moment que je voulais la mettre ici, histoire de mettre le début de cette histoire (et il faudra que je réfléchisse à un résumé de quatrième de couverture aussi)
Donc, pas de note de début cette fois, on commence in medias res sous la coupe ! Bonne lecture !
Ah si ! Erratum, j'ai une note à faire ! La prière que chante Rodrigue dans le chapitre 1 est inspirée de la traduction française officielle de la prière chrétienne "Pater Noster", mais adaptée à Fodlan.
(voilà ce que je t'avais dit @ladyniniane ! J'espère que ça te plaira !)
Introduction
« La Déesse fit les plan… plantes et les bêtes… peuplant la… la terre et les cieux ; Elle cré… créa aussi les hommes.
– Bien Rodrigue, à vous Alix.
Le petit garçon releva le nez de son missel pour regarder son frère, se mettant à lire à son tour comme il pouvait.
– Les hommes dé… désiraient le pou… pouvoir et la Déesse ré…pon…dit à leur demande… Pourquoi les hommes voulaient le pouvoir Rosemonde ?
– C’est expliqué après, vous le savez, continuez.
– Je sais… c’est « Elle acc… accor…da les biens faits…
– Non, pas comme ça, répétez. « Bienfaits », en un seul mot.
– Bien… bienfaits des cieux, les bienfaits de la terre et les bienfaits de la magie… » Oui mais, pourquoi elle ne leur a pas donné avant ?
– Et pourquoi les animaux et les plantes n’ont pas demandé le pouvoir comme les hommes ? Ils n’en ont pas besoin ? Ajouta Rodrigue.
– C’est simplement que les animaux ont des griffes et des crocs pour se protéger et chasser, des choses que nous, les humains, n’avons pas. C’est pour cela que nous devons cultiver la terre pour nous nourrir et que nous pouvons utiliser la magie pour nous défendre contre le danger. Mais ce n’ait pas le sujet de la leçon, nous verrons ça plus tard. Vous avez déjà posé beaucoup de questions et j’aimerais que nous finissions cette leçon de lecture. Alors, continuez.
– Y a des trous dans l’histoire… marmonna Alix en posant sa joue sur son poing. Papa et maman, ils disent que c’est bien de poser des questions.
– Papa taquine même souvent la prêtresse en lui en posant quand il va à l’église, ajouta Rodrigue avant de se rappeler. Mais maman a dit que les trous, c’est parce que les textes sont très, très, très vieux alors, on en a perdu.
– Dommage, j’aurais bien aimé savoir pourquoi ils ont pas demandé des trucs les’animaux…
– Un peu de concentration tous les deux, il faut qu’on reprenne la leçon et que vous appreniez à lire. Rodrigue, reprenez et Alix, tenez-vous correctement.
– Oui Rosemonde, obéit-il en reprenant son livre pour continuer, même s’il s’arrêta assez vite. « Les hommes u… u…
– Il est compliqué celui-là, « usèrent ».
– uzère… de l'art de la magie et acc… accrurent leur pouvoir ; mais les zom…
– Pas de liaisons ici, il y a un « h » qui la coupe.
– D’accord… « …les… » il fit une grosse coupure pour être sûr de ne pas faire une faute. « …hommes ne virent pas que le pouvoir attirait le mal. »… Pourquoi le pouvoir de la Déesse attire le mal ? La questionna-t-il encore, curieux. La Déesse, elle est gentille alors, elle peut pas faire des choses méchantes ?
– La Déesse ne fait jamais de mauvaises choses quand elle utilise ses pouvoirs, parce qu’elle n’oublie jamais le bien et le mal. Même ses actes durs sont toujours justes. Par contre, quand c’est les hommes qui l’utilisent, il est tellement grand qu’ils peuvent oublier le bien et le mal car, ce pouvoir est assez puissant pour tout faire.
– Alors, pourquoi elle l’a donné comme ça ? Elle ne pouvait pas en donner moins pour qu’on fasse pas de bêtise ? Demanda à son tour Alix, tout aussi curieux que son frère.
– Hum… je ne connais pas assez les Écritures pour répondre à toutes vos questions. Vous pourrez demander à la prêtresse quand vous la croiserez ou au prochain office.
– Oh non… ça endort l’office…
– Alix, ne parlez pas comme ça. Vous n’allez tout de même pas faire comme votre père et avoir aussi peu de considération pour la Déesse ?
– Bah c’est pas grave, intervient Rodrigue pour soutenir son frère. J’en aurais pour nous deux vu qu’Alix aime pas !
– C’est vrai ! On est pareil donc, ce que fait Rod, c’est comme si c’était moi qui le faisais !
– Non, ça ne marche pas comme ça…
– Tout se passe bien ?
Les deux frères se retournèrent et virent leur maman entrer dans la pièce, accompagné de leur tonton Nicola. Ce n’était pas vraiment leur tonton mais, c’était leur compère et le meilleur copain de leur papa donc, c’était pareil, même s’il avait une tresse marron comme le poil d’un ours et les yeux de la même couleur, pas des cheveux noirs comme la nuit comme leur papa ou jaune, orange miel comme leur maman. Ils sautèrent de leur chaise pour aller faire un câlin à leur maman. Alix commença à lui parler de la leçon, vite suivit par Rodrigue qui complétait ses phrases.
– On s’entraine à lire…
– …Donc on lit les Écritures…
– …mais y a plein de trous…
– …tu peux nous expliquer ?
– D’accord, cela doit ��tre dur parfois. Vous vous en sortez bien pour lire ? Et qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Les questionna-t-elle.
– Oui, ils lisent de mieux en mieux, même si cela manque encore de fluidité, intervient Rosemonde. Par contre, ils n’arrêtent pas de poser des questions sur plusieurs points…
– Tant mieux alors, c’est sain de poser des questions et de remettre en question les choses, assura Aliénor, son regard tout vert allant vers Rosemonde.
– Tout de même Dame Aliénor, il s’agit de la Parole de la Déesse…
– Non, il faut aussi savoir La remettre en question, cela leur permettra de construire leur propre moral quand ils seront grands, lui jura leur maman. Guillaume partage mon point de vue sur le sujet, même si notre foi est très différente. Je préfère que nos louveteaux commencent par se poser des questions plutôt que de croire tout ce qu’on leur raconte, même s’ils critiquent jusqu’aux Écritures. Ils réfléchissent quand quelque chose leur semble étrange au moins. Guillaume en est très fier.
– Ah ça… pour être les fils du Loup, ils le sont… ce ne sont pas vos enfants pour rien… marmonna Rosemonde, même si un petit sourire fier ornait sa bouche fine.
– Nous sommes bien d’accord, répondit Aliénor. Bon, il faut qu’on retourne tous au travail, je reviendrai plus tard pour voir comment ça se passe…
« Eh ! Regardez ! S’écria un domestique qui devait se trouver dans une pièce d’à côté. C’est pas le convoi royal ? Là-bas ! Aux portes !
– Oui ! On dirait bien ! Je vois l’étendard du roi ! »
Rodrigue eut un grand sourire en regardant son frère qui s’exclamait, tout identique tous les deux, entendant à peine leur maman dire qu’ils rentraient bien plus tôt que prévu.
« Tu as entendu ?!
– Oui ! Oncle Ludovic arrive ! Alors…
Ils s’écrièrent ensemble en sautant hors de la pièce.
– Papa est de retour !
– Rodrigue ! Alix ! Ne courrez pas dans les couloirs ! Et attention dans les escaliers ! Les reprit leur nounou.
– Oui Rosemonde ! Répondirent-ils en se précipitant quand même hors de la pièce pour retrouver leur papa. Le revoir plus vite valait bien de se faire gronder après.
Ils bousculèrent un peu un serviteur qui venait leur annoncer ce qu’ils avaient déjà entendu, l’homme riant un peu en les voyant aussi pressés.
– Doucement les louveteaux ! Le seigneur Guillaume ne va pas se renvoler tout de suite !
Rodrigue l’écouta à peine, courant plutôt à toute vitesse avec son frère à travers les couloirs de leur maison. Papa était rentré ! Il avait dit qu’il reviendrait quand les capucines fleuriraient mais, il était déjà de retour !
« Papa est le meilleur ! Il a déjà fini tous ses devoirs ! S’exclama Alix avec joie à l’idée de le retrouver.
– Oui ! Et il est rentré plus vite ! » Sourit Rodrigue à son frère en arrivant aux escaliers qui les forcèrent à ralentir le rythme. Les marches étaient encore trop hautes pour eux, ils ne pouvaient pas encore les dégringoler sans tomber. Ils ne pourraient le faire que quand ils seraient aussi grand que leur maman ou leur papa. « Par contre, on ne va pas pouvoir faire notre plan…
– Oui, c’est vrai… on n’a qu’à remplacer les capucines par des ancolies, c’est pareil ! Sourit le deuxième-né en ayant la bonne idée. Et ce sera joli dans sa tresse aussi !
– C’est vrai ! Se rappela Rodrigue. En plus, Bruno dit qu’elles restent pas longtemps, faut les lui mettre dans sa natte avant qu’elles repartent chez elles !
– Et cette fois, on ne se fera pas prendre quand on les mettra ! On fait comme on l’a dit ! Tu lui demandes comment bien écrire avec ta main gauche…
– Et toi, tu les mets dedans !
– On est d’accord alors !
– Et cette fois, ça va marcher !
– Oh oui ! Cette fois, papa ne le verra même pas ! Ça sera joli ! Rit Alix, les deux frères se tapant dans la main pour se mettre d’accord, alors qu’il arrivait sur la dernière marche. Prêt ?
– Oui ! Répondit Rodrigue en se mettant aussi en position.
– Et… hop !
Ils sautèrent en même temps au sol, faisant le concours de celui qui irait le plus loin mais, comme à chaque fois, ils firent la même distance au pouce près. C’était normal après tout, ils étaient jumeaux alors, ils faisaient presque tout pareil. Ils étaient même nés identiques, c’était normal.
– Faites attention dans les escaliers, les prévient leur maman, les suivant de près dans le colimaçon.
– Oui maman !
– On a sauté que de la dernière marche… la rassura Rodrigue.
– …et on est encore à égalité ! Continua Alix avant de dire à nouveau à son frère. Car on est vrais jumeaux !
– Pour toujours ! Compléta-t-il.
Ils repartirent à toute vitesse dans les couloirs sans l’attendre, trop impatients de revoir leur papa. Ils s’excuseraient plus tard pour ça.
Après encore quelques grandes foulées dans les couloirs, ils arrivèrent dans la cour où se trouvait le carrosse d’Oncle Ludovic. C’était bizarre… c’était pas le même que d’habitude… l’autre devait être cassé, ça devait casser comme leurs petits chevaux de bois, les jumeaux avaient brisé la patte d’un l’autre jour en jouant aux chevaliers, même si Bruno avait dit qu’il pourrait le réparer cette fois.
Leur oncle était déjà descendu alors, leur papa ne devait pas être loin. Il y avait même Lambert ! Il était avec Gustave ! Bon, Rufus aussi mais, ça voulait surement dire qu’ils allaient rester longtemps vu que leur travail s’était fini plus vite ! Il y avait quelqu’un de penché à l’intérieur du carrosse, leur papa devait l’aider à descendre quelque chose de la voiture !
– Papa ! Tu es là !
Cependant, ce ne fut pas leur papa qui sortit du carrosse mais, un autre homme, qui aidait le premier à porter une grande boite en bois sombre, aussi grande que Nicola. Oncle Ludovic se tourna vers eux en les attendant appeler leur papa. Il était tout blanc et semblait très triste. C’était bizarre, papa l’aidait souvent pourtant, et leur oncle n’était jamais triste quand il venait ici au printemps d’habitude. Très occupé et c’était dur de savoir s’il était en colère ou pas mais, pas triste.
– Rodrigue… Alix…
– Oncle Ludovic… où est papa ? Demanda le premier-né.
– Il va bientôt arrivé ? Continua le second jumeau. Il nous a manqué !
– Papa a encore du travail chez toi ?
– Pourquoi tu n’es pas avec lui alors ?
Oncle Ludovic devient encore plus pale, mal à l’aise. Il devait être malade s’il était blanc comme ça. Il jeta un œil à la boite en bois, avant de bégayer après s’être rapproché d’eux et s’être baissé à leur hauteur, comme leur papa et leur maman quand ils leur expliquaient quelque chose de dur. Les deux frères ne l’avaient jamais vu comme ça, aussi hésitant et triste. Il avait les yeux tout rouge… il devait être fatigué… il avait vraiment besoin de l’aide de leur papa pour travailler.
– Gui… Guillaume est… est dans… il regarda encore la boite en se taisant, les frères comprenant que leur papa était dedans, alors que leur oncle continuait avec peu de voix. Je… Je suis désolé… c… c’était pour me protéger… Guillaume… votre père… votre père est…
Oncle Ludovic les serra tous les deux contre sa poitrine en retenant ses larmes, posant la tête des jumeaux contre ses épaules alors qu’il leur annonçait quelque chose en rapport avec leur papa mais, sans qu’ils comprennent vraiment. Rodrigue en tout cas ne comprenait pas, et en jetant un regard à Alix, il sut que lui non plus.
En six ans d’existence, c’était la première fois qu’il était confronté à ça d’aussi près, quand les gens allaient dormir dans une boite. Alix et lui ne connaissaient pas leurs grands-parents, ils étaient morts peu de temps après la naissance de leur papa à la guerre. Quand ils avaient demandé à leur nounou pourquoi ils n’avaient pas de grand-maman comme à Lambert, elle leur avait dit qu’elle était partie très loin pour le bien du Royaume et qu’elle ne reviendrait pas, tout comme son mari. Leur papa, il leur avait dit qu’elle et leur papi étaient partis très loin, avec la Déesse dans l’astre céruléen et qu’ils veillaient sur eux de là-bas avant de naitre à nouveau.
C’était un des rares moments où il ne leur souriait pas.
Leur papa semblait toujours gentil avec eux, sauf quand ils faisaient une bêtise où il était sévère, ou quand il n’était pas un peu énervé contre leur oncle Ludovic et les vassaux. Il chantait aussi tout le temps à tue-tête, comme si le silence le gênait, reprit en chœur par ses jumeaux au grand dam de leur nounou. D’après Rosemonde, « les chansons des sous-lards de l’armée ne convenaient pas à deux jeunes ducs » et elles étaient trop grossières pour eux. Eux, ça les faisait rire de chanter avec Guillaume.
C’était surement pour ça qu’ils ne comprenaient pas.
– Ne pleure pas Oncle Ludovic… papa va se réveiller et tout arranger, comme toujours ! S’exclama Alix.
– C’est vrai, papa ne dors jamais très longtemps, comme maman. Il se couche toujours après nous, il est toujours debout quand on se réveille la nuit et il est toujours levé avant nous. Il va vite se réveiller, assura Rodrigue en tendant sa main pour essuyer ses larmes.
– Rod a raison ! Il va vite se réveiller ! Il ne faut pas pleurer parce qu’il dort plus que d’habitude ! Ça lui fera du bien ! Par contre… il s’éloigna un peu de l’adulte pour pouvoir échanger un regard et des mots silencieux avec son frère.
– Moi aussi, répondit-il à la suite qu’il avait devinée sans souci.
Les deux petits visages complètement identiques se tournèrent alors vers leur oncle, plantant leurs yeux étonnés dans les siens en demandant d’une même voix.
– Pourquoi papa dort dans une boite ?
Ludovic eut un regard triste, puis souffla en posant une de ses mains sur leur épaule, sans arriver à trouver ses mots.
– Rodrigue, Alix… votre père ne se réveillera plus. Il est avec vos grands-parents à présent. Il… il est mort à ma place… il ne se réveillera plus…
– Quoi ? Deux hoquets lui répondirent en même temps, alors qu’Alix s’exclama, se différenciant du calme apparent de son frère.
– Pourquoi il ne se réveillera plus ?! Il nous avait promis qu’il allait vite revenir pour jouer ! Papa n’est pas un menteur ! Aussi sûr que Rodrigue est moi et que je suis Rodrigue !
– Papa ne ment pas, c’est un adulte. Sa chanson avant de partir, c’était même pour nous jurer que quand il reviendra, il serait bien et qu’on ne se séparera plus. Un adulte, ça ment pas non ? Pourquoi tu dis qu’il ne reviendra pas alors ? C’est si bien d’être mort ?
– Il préfère être avec papi et mamie qu’avec nous ?
– On a fait quelque chose de mal ?
– C’est peut-être parce qu’on arrête pas d’échanger nos places pour pas faire ce qu’on aime pas ? Proposa Alix en regardant son frère.
– C’est vrai que Rosemonde a dit qu’elle allait écrire à papa pour lui en parler car, ça ne gêne pas trop maman qu’on le fasse, même si elle nous fait la morale après pour nous dire pourquoi c’est pas bien… il est en colère à cause de ça ?
– On peut arrêter si c’est ce qui le met en colère. C’était juste pour pas m’entrainer à la lance alors que j’aime pas ça et que Rodrigue préfère la manier plutôt que l’épée…
– Oui, ça nous fait juste rire que personne n’arrive à nous différencier à part papa et maman. Si c’est ça, on arrête…
– Mes enfants… les coupa doucement Ludovic. Votre père ne serait jamais assez en colère contre vous deux pour partir loin de vous. Ça le faisait plutôt rire de vous voir inventer des stratégies pour échanger vos places sans que les adultes le voient, ou pour mettre des fleurs dans sa natte. Les adultes peuvent mentir mais pour ça, il ne mentait pas. Vous étiez ses deux petits louveteaux. Il aurait eu le choix, il serait avec vous à cet instant, avec votre mère.
– Alors pourquoi il n’est pas là ? » Demandèrent-ils ensemble, le fixant avec leurs grands yeux de chats bleu comme l’eau du lac, exactement les mêmes que ceux de Guillaume… comme leurs cheveux, leur teint, leur petite silhouette…
« Déesse… ce que vous ressemblez à votre père… ce que vous vous ressemblez les uns les autres… » songea le roi en cherchant ses mots, ne sachant pas comment expliquer qu’un humain pouvait vouloir en assassiner un autre, tout ça pour empêcher une paix et en criant que c’était au nom de la Déesse. Surtout pour ces deux-là… il… il n’aurait jamais cru devoir leur annoncer la mort de leur père… Guillaume était si fort… l’était encore plus depuis que la Déesse les avait bénis Aliénor et lui de deux petits louveteaux…
Ludovic ne pouvait pas oublier le jour où ils étaient nés, comment Guillaume tournait en rond en attendant qu’Aliénor accouche, n’ayant pas le droit de rentrer étant donné que le travail était compliqué. Le bébé s’était présenté dans le mauvais sens, les pieds les premiers. Ce n’était pas un bon signe, surtout après toutes les fausses couches d’Aliénor… Une aide finit par enfin l’autoriser à entrer dans la pièce, le nouveau-né était pratiquement sorti à part un bras, quand la sage-femme ne s’écria.
« Attendez ! Attendez ! Ne le laissez pas encore rentrer ! Il y a un deuxième bébé ! Il tient la main de son frère ! »
Guillaume était pratiquement tombé par terre d’étonnement, de joie et d’inquiétude en entendant la nouvelle. Après tout ce temps et faux espoirs, son Aliénor et lui avaient des jumeaux pour leur premier enfantement qui arrivait à terme, se tenant même pas la main pour ne pas être séparés. Des jumeaux…
Il se souvenait du sourire de Guillaume, de sa joie à l’idée d’avoir des jumeaux, rassurant le premier-né qu’on lui avait confié. Le petit appelait son frère de tous ses petits poumons alors, le nouveau père lui assurait qu’il arriverait bientôt, qu’ils ne seraient pas séparés longtemps, tout en priant pour qu’Aliénor ressorte vivante de cette épreuve, même s’il croyait peu… Guillaume n’avait jamais été aussi doux avec quelqu’un d’autre de sa vie, cajolant le bébé pour le rassurer alors qu’il était loin de son frère, les notes toutes douces qui calmèrent un peu les pleurs…
« Il doit être terrifié loin de son jumeau dans un endroit aussi nouveau… ne t’en fais pas mon bébé, ça va aller… tu vas vite le retrouver et tu es en sécurité ici, tout comme ton frère ou ta sœur… vous êtes en sécurité, je vous protégerai tous les deux jusqu’à mon dernier souffle, je vous le promets… »
Les larmes de joie de Guillaume avaient coulé sans s’arrêter quand il prit ses deux fils pour la première fois contre lui aux côtés d’Aliénor, le premier-né s’arrêtant de pleurer en retrouvant son double, tout identique à lui. Les nouveaux parents leur donnèrent le nom des parents de Guillaume, Rodrigue et Alix, morts à la guerre quand il avait à peine trois ans. Il arriva à rire en disant qu’il avait de la chance que le nom de sa mère soit unisexe, leur jurant de toujours les aimer. Que Guillaume avait aimé ses fils de tout son cœur et de toutes ses tripes dès le premier jour de leur existence. Il arrivait même à les différencier instinctivement, même quand ils faisaient tout pour rester identiques. Un vrai « loup » avec ses petits, ses crocs d’habitude tout le temps sortis pour le bien de son fief et du Royaume se cachant sous ses rares sourires, qu’il ne montrait vraiment qu’à sa famille…
« Il aurait tant voulu rester en vie avec vous… il ne voulait pas mourir… il voulait revenir vers vous… vous revoir… puissiez-vous me pardonner un jour pour avoir provoqué la mort de votre père… cela arrive bien trop souvent… votre père avait déjà perdu ses parents avant de pouvoir le connaitre… ils ont également donné leur vie pour le Royaume… votre famille a versé trop de sang et de larmes pour la mienne… puissiez-vous nous pardonner… »
Ludovic tenta donc, même s’il n’était pas sûr de lui, ne trouvant pas de meilleure tournure.
– Un… un homme très méchant a tenté de me faire du mal. Votre père l’a arrêté mais, c’est à lui qu’il a fait beaucoup de mal et il ne s’est pas relevé. Il…
Les mots se bloquèrent dans sa gorge mais, le regard perdu des petits les poussèrent à sortir, alors que l’adulte priait pour que cela adoucisse un peu le sort de leur père, même si ce dernier allait surement revenir de la réincarnation pour le chercher en enfer, afin de lui tirer les oreilles de désaccord. Déesse, ce qu’il serait furieux contre lui… mais il ne voyait rien d’autre pour adoucir la situation aux enfants et leur expliquer, c’était la seule image de la mort qu’ils connaissaient en lien avec celle de leur père.
– Guillaume est mort comme un vrai chevalier…
Cette fois, les deux petits comprirent, s’attrapant la main instinctivement pour ne pas se lâcher. Ça avait toujours été normal de se tenir ainsi, depuis qu'il était né même…
– Il ne se réveillera pas ?
– Non. Il va rester dans son cercueil…
– Il ne chantera plus ?
– Non. Il ne pourra plus chanter à présent…
– Même les chansons de l’armée qui mettent Rosemonde en colère ?
– Même elles…
– Il ne nous racontera plus d’histoire ?
– Non, il ne pourra plus… même les histoires de chevaliers et de gentils voleurs…
– Il ne jouera plus avec nous ?
– Non… il ne pourra plus…
– Il ne rira plus avec maman sans qu’on comprenne vraiment.
– Non plus… même s’il adorait votre mère…
– On ne pourra plus lui mettre des fleurs dans les cheveux sans qu’il le voie et se faire toujours prendre…
– Non… hum… un petit éclat de rire triste arriva à sortir de sa gorge. Vous le faisiez toujours rire quand vous tentiez de le faire…
– Il ne te dira plus « c’est mon boulot de t’empêcher de faire des conneries » ?
– Non… c’est vrai qu’il me le disait trop souvent…
– Il restera avec papi et mamie maintenant ? Et il va se réincarner aussi ?
– Oui… je suis vraiment désolé… Guillaume aurait préféré rester avec vous deux plus longtemps aux côtés de votre mère… mais quitte à mourir, je crois que c’est ce qu’il aurait voulu… pour protéger la paix afin que vous grandissiez bien sans vous inquiétez de la guerre… tenta-t-il avant de répéter. Il est mort comme un vrai chevalier… comme un vrai chevalier… même s’il voulait rester avec vous… Guillaume voulait tellement rester avec vous…
– – Non, non… tu mens… refusèrent-ils en donnant un petit coup de poing faible sur sa poitrine, comprenant qu’Oncle Ludovic leur disait que leur papa ne reviendrait plus jamais, ajoutant d’autres petits coups impuissants à chaque phrase. T’es un vilain menteur Oncle Ludovic… c’est pas vrai… papa va se réveiller… il va revenir… il a promis… papa va revenir, sourire et chanter… c’est toi qui mens… papa est pas avec papi et mamie… on va le dire à papa et maman… t’as pas le droit de mentir… papa va te gronder… papa va… papa… notre papa… on veut papa !
Les deux jumeaux s’effondrèrent contre l’épaule de l’homme, pleurant à chaudes larmes en réclamant leur père, voulant plus que tout le revoir et qu’il se réveille avec son grand sourire. Aliénor essayait de rester à peu près entière derrière eux malgré sa peine, soutenant ses enfants avec Ludovic, même s’ils étaient inconsolables… Ce dernier ne lâcha pas les louveteaux jusqu’à ce qu’ils s’épuisent à force de pleurer et d’appeler leur père. Ils se tenaient toujours tous les deux. Après avoir confié Lambert et Rufus à Gustave, il les prit alors dans ses bras pour les porter dans leur lit, suivit d’Aliénor qui n’avait plus assez de force pour les porter, même si elle resta toujours à la hauteur de ses enfants.
« Je n’ai pas le temps d’être triste », déclara-t-elle quand il lui demanda comment elle allait, « ni même pour te tirer les oreilles pour avoir comparé Guillaume à un chevalier. Ça a tué ses parents je te rappelle et on n’avait pas le temps pour se prendre la tête avec ça. On a toujours visé au plus efficace pour notre fief et notre famille… même si c’était surement pour le mieux… il n’aurait surement pas compris sinon, surtout qu’ils aiment beaucoup les histoires de chevalerie, marmonna-t-elle en priant pour que ses fils ne l’entendent pas dans leur sommeil. Je dois m’occuper d’eux et du duché… Gui ne me le pardonnerait jamais si quelque chose leur arrivait… je dois être forte pour eux… »
On enterra Guillaume dans sa boite le lendemain, au bord du lac comme il l’avait toujours voulu d’après leur maman. Il aurait deux tombes, une au bord de l’eau et une autre dans le caveau familial, sur la seule ile de Lac Egua, celui du Brave Fraldarius toujours pur.
Habillés de la même façon en noir et blanc, les jumeaux se tenaient toujours par la main, ne se lâchant pas, même pour poser le dernier repas de leur papa sur un petit bateau de bois puis, le pousser sur la surface. Ils avaient trop peur pour se lâcher, trop peur que l’autre s’en aille aussi pour toujours pour seulement y penser.
Délaissant ses bleus habituels, Aliénor s’était drapée de noir et de blanc, ses cheveux blonds-roux couvert d’une mantille noire, tout comme Nicola à ses côtés. La seule chose de couleur qu’elle portait était une broche d’argent, frappée avec leur emblème, un cadeau de Guillaume. Elle s’était baissée afin d’être à leur hauteur, la main sur leurs épaules. Lambert était à côté d’eux, Rufus aussi, Ludovic juste derrière la famille Fraldarius. L’homme immense avait tenté de poser une cape sur leurs épaules mais, ils l’avaient repoussé. C’était le geste de leur papa. Leur papa se mettait toujours derrière eux et les enveloppait avec les pans de ses très longues capes très chaudes, autant pour les garder à proximité que pour les protéger du froid. Rodrigue disait souvent que quand il serait grand, il aurait la même cape immense que lui. Ça faisait rire leur papa… il ne l’entendrait plus maintenant. Ni rire, ni sourire, ni lire, ni chanter… plus rien… il ne l’entendrait plus jamais à part son silence…
Pendant la cérémonie, le prêtre répéta les mots de Ludovic.
« Sa Grâce le Duc Guillaume Ulysse Fraldarius, le septième du nom, dit le Loup, en protégeant sa Majesté le roi Ludovic le IIIème, a agi comme le devrait tout homme de Faerghus. Dans sa mort triste, nous devons trouver de la joie en voyant le roi sain et sauf ainsi qu’un exemple à suivre. Même s’il a laissé derrière lui une veuve et deux enfants encore trop jeunes, il a sacrifié jusqu’à sa vie pour son roi. Par cet acte instinctif d’abnégation pure, il a eu la mort la plus honorable. Pour Faerghus et pour le roi, Sa Grâce Guillaume le Loup est mort comme un vrai chevalier… »
« Lui aussi dit ça… pensa Rodrigue en serrant la main d’Alix dans la sienne, pleurant à nouveau quand on mit de la terre sur la boite où était son papa. Comme Ludovic… comme nounou… cela doit être vrai… »
                                                                          Chapitre 1                   
« Il manque un tranchoir et un tailloir. Et une chaise.
– Comment ça seigneur Alix ?
– Il manque ceux de papa… répondit Rodrigue à la place de son frère. Et « seigneur », c’est papa, pas nous…
Il sauta de sa chaise avec son propre tranchoir et le tailloir de son frère dans les mains, puis alla les poser à la place où devait être Guillaume. Ça faisait trois semaines qu’on avait enterré leur papa dans la terre du lac dans la boite, trois semaines que tout était en noir et blanc, que tout était silencieux. C’était pas comme leur papa… Guillaume, il souriait toujours avec eux, n’aimait pas les couleurs aussi sombres, et détestait encore plus le silence. Il n’aimerait pas une forteresse comme ça… c’était comme s’il n’avait jamais été là… et pourtant, même si on leur parlait tout le temps de leur « père », ça sonnait toujours faux, comme des mensonges. Ni l’un ni l’autre des jumeaux ne comprenaient tout, à part que ce n’était pas comme leur papa… c’était pas comme lui… et on ne les appelait plus par leur nom maintenant… c’était juste « seigneur Rodrigue » et « seigneur Alix », ou « Vôtre Grâce » les rares fois où ils étaient séparés, ou « Vos Grâces », plus Rodrigue et Alix, sauf leur maman et Nicola qui les appelaient toujours par leur prénom, ou « les louveteaux » quand ils leur parlaient à tous les deux en même temps, comme le faisait leur papa.
Le cuisinier eut un air triste et répondit.
– Excusez-moi pour cet oubli. Je vous apporte un autre tranchoir et tailloir. Par contre, maintenant que… maintenant, on doit tous vous appelez ainsi.
– Maman ne le fait pas, rétorqua Alix. Nicola aussi.
– Dame Aliénor est votre mère, c’est normal, et le Sieur Terrail est un ami d’enfance de votre père, ils ont beaucoup fait ensemble tous les trois. C’est pour ça qu’il se permet d’être plus familier avec vous. C’est parce que vous êtes tous les deux quasiment ducs maintenant.
– C’est papa le duc, c’est son travail, rétorquèrent-ils d’une même voix.
Le cuisinier ne répondit pas, l’air encore plus triste, comme figé par leur regard identique. Tout en noir et blanc, ils se ressemblaient encore plus… et sur les lèvres de l’homme, Rodrigue pouvait encore lire les mêmes mots : « ce qu’ils ressemblaient à leur père »… mais ils lui ressemblaient depuis toujours non ? Et pourquoi ils disaient tous « père » ? Avant qu’il soit dans la boite, tout le monde leur disait « papa », pas « père »… pourquoi tout changeait d’un coup ? Papa, c’était papa, pas père.
– Que se passe-t-il ?
– Ah ! Dame Aliénor !
Les jumeaux se tournèrent vers leur maman qui venait d’entrer, elle aussi tout habillée de noir. Même ses cheveux blonds-roux devenaient noirs sous sa grande mantille… c’était la seule qui n’avait pas trop changé avec Nicola. Elle était toute triste car, Guillaume était dans la boite, et souvent fatiguée mais, elle continuait à agir comme leur maman. C’était rassurant…
– Il a oublié de faire la place de papa alors, on lui a donné une partie de nos affaires, lui expliqua l’ainé en montrant là où devrait être la chaise de Guillaume.
– Je vois. Ça arrive ce genre d’oubli.
– Oui mais, depuis que papa est dans la boite et mort comme un vrai chevalier, tout le monde oublie de le faire.
– Les choses sont un peu compliquées en ce moment, souffla-t-elle simplement en s’approchant. Tout le monde est triste car, papa est mort en faisant son travail.
Elle passa sa main sur les cheveux des louveteaux puis, les rassit sur leur chaise, avant qu’ils ne fassent tous ensemble une prière de remerciement à la Déesse pour leur permettre de bien manger. Ces mains étaient toutes chaudes contrairement à la forteresse, c’était bien… ils mangèrent ensemble en parlant de ce qu’ils avaient fait ce matin, Aliénor les écoutant patiemment, toujours attentive. C’était la meilleure des mamans… normal, elle était toujours avec le meilleur des papas… elle était très, très occupée en ce moment, comme papa avant mais, elle faisait tout pour arriver à manger et passer le soir avec eux, leur lisant des contes et des légendes pendant la veillée au coin du feu. Ils lui réclamaient toujours la légende du Brave Fraldarius ou celle de Kyphon et de Loog, c’était leur préférée. Les aventures de leur ancêtre avec le Roi Lion tout en s’occupant de sa fille Clothilde… ça leur faisait penser à Guillaume quand il n’était pas encore dans une boite.
Après le repas, Aliénor dut retourner travailler, et les jumeaux filèrent dans le jardin, le seul endroit où le silence n’était pas total, toujours occupé par les bruits de la nature, du lac et du travail des jardiniers pour le garder aussi beau. C’était le début du printemps en plus. Ça sentait toujours bon par-dessus l’odeur de fumier en ce moment. S’ils trouvaient Bruno après avoir joué, ils lui demanderaient s’ils pouvaient l’aider à s’occuper des fleurs de potentilles, c’était les préférées de leur papa… il ne les verrait pas fleurir cette année dans sa boite dans la terre…
Les deux petits jouaient avec des petits animaux de bois sur le sol, quand le jardinier les trouva assis par terre.
« Ah ! Rodrigue ! Alix ! Vous êtes là les louveteaux ! Votre gouvernante vous cherchait ! Il ne fait pas un peu frais par terre ? Vous ne jouez pas dans la grande salle ?
– Bonjour Bruno ! Répondirent-ils en souriant. Lui, il les appelait toujours par leur prénom.
– Non, ça va, on est bien là ! Et on est mieux dans le jardin ! S’exclama Alix, tout content d’entendre quelqu’un continuer à leur parler normalement.
– C’est bien vrai ! Si seulement cette vieille rigide de Rosemonde voulait bien l’entendre…
– En plus, y a le portrait qui fait peur dans la grande salle. C’est papa mais, c’est pas papa… ajouta l’ainé en s’accrochant à son frère. On est mieux près du lac.
– Ah oui… il est horrible ce portrait de Gui’. Même lui le détestait mais, il avait dû être sérieux tout le long et bon, notre Gui’ quand il était sérieux… mouais, il pouvait faire assez peur. Surtout qu’il souriait tout le temps avec vous, ça fait une sacrée différence.
– Papa fait pas peur… qu’est-ce que tu dis Bruno ?
– Oh, trois fois rien, ce n’est pas important, je m’égare. L’important, c’est que votre papa, il vous adorait et aimait sourire avec vous, leur assura-t-il avant d’ajouter. Au fait, les lilas viennent de fleurir, ils sont magnifiques ! Vous voulez le voir ?
– Oh oui ! Et on pourra t’aider à t’occuper des potentilles ?
– Bien sûr les p’tits loups… leur sourit-il plus doucement.
Les deux enfants rangèrent leurs jouets à leur place, pendant que Bruno prévenait une domestique qu’il les avait retrouvés puis, ils suivirent le jardinier jusqu’aux arbustes de lilas et effectivement, ils étaient tous en fleur ! On aurait dit que des boules de laine blanches, violettes, mauves et bleutés étaient accrochées aux branches ! C’était si joli !
– C’est super beau ! Ils doivent être super vieux pour avoir autant de fleur !
– Ah ! Ah ! Non, ce n’est pas comme les coccinelles ! Certains sont un peu vieux oui, mais les blancs doivent avoir une petite dizaine d’année ! C’est pas si vieux pour un arbre. C’est encore des louveteaux, comme vous deux !
– Vraiment ? Et on grandira autant qu’eux ?
– J’en suis sûr.
– Mais on sera encore pareil ? Demanda Rodrigue. J’ai pas envie qu’on ne soit plus pareil avec Alix, même si tout le monde à part maman et papa se trompe quand on est habillé de la même manière.
– Moi aussi, je veux pas me différencier de Rod ! En plus, on est déjà bien assez différents comme ça !
– Ah ça, l’avenir nous le dira. Et même si vous devenez très différents l’un de l’autre, vous resterez toujours des jumeaux, rien ne pourra vous enlever ça.
L’image de la boite passa dans la tête de Rodrigue, tout ce qu’elle enfermait et avait mis dans la terre froide : leur papa, son sourire, ses chansons, sa chaleur, son énergie, la joie de leur maison… est-ce que les boites pouvaient tout enlever quand on les mettait dans la terre ? Et est-ce que… est-ce que ça pouvait même enterrer ça ? Est-ce que vraiment rien pouvait leur enlever le fait qu’ils étaient des jumeaux ? Même…
– Même la mort ? Même si elle a réussi à prendre papa ?
– Ah non ! Ne parle pas de ça Rod ! S’exclama Alix d’un coup, horrifié en attrapant ses mains, comme toujours. Je ne veux même pas penser à être sans toi ! Ce serait mon pire cauchemar si tu n’étais plus là ! On ne sera jamais séparés ! Même par la mort ! On sera toujours ensemble !
– Alix… oui, tu as raison, arriva-t-il à sourire en resserrant les mains de son frère. On sera toujours ensemble ! Tu seras toujours moi…
– …Et tu seras toujours moi aussi ! Je suis toi et tu es moi ! Pour toujours !
Bruno n’intervient pas, se contentant de passer doucement sa main sur leur tête, silencieux. Ils se mirent à s’occuper des lilas avec lui, fredonnant une chanson de Guillaume. Ça leur faisait du bien de chanter un peu… c’était comme s’il était avec eux d’une certaine manière… ils en récupéreraient quelques gerbes pour aller lui donner sur sa tombe…
« Un jour notre papa m’a dit,
Vous êtes mes azalées mes fils,
Quand il nous a vu tout surpris,
Il a alors ri dans sa grande pelisse.
Je n’ai pas compris pourquoi papa ri,
Mais j’ai quand même aussi ri fort avec lui,
Car il est toujours bon et bien de rire,
Alors on rit toujours ensemble dans la nuit
Un jour, mon papa a dit à ma maman,
Mon amour, nos enfants sont de lierre,
Maman a alors répondu tout en riant,
De lierre et de nigelle mon tendre cher,
Quand ils nous ont vu tout surpris,
Ils ont encore ri dans leur pelisse.
Je n’ai pas compris pourquoi ils ont ri tous deux,
Mais j’ai quand même aussi ri très fort avec eux,
Car il est toujours bon et bien de rire tous ensemble,
Alors on rit toujours jusqu’à ce que la terre tremble,
Un jour, papa nous a dit,
Vous êtes comme le myosotis,
Quand il nous a vu surpris,
Il a expliqué dans un sourire.
La joie d’un amour sincère dans la belle azalée,
Par la nigelle et le lierre pour à jamais nous lier,
Le myosotis conserve votre souvenir dans l’éternité,
Telle est la couronne qui dans mon cœur est tressée.
Ce fut à notre tour de bien rire,
Alors papa, il doit alors y fleurir,
Un grand drap de potentilles,
Pour toute notre petite famille. »
Ils aidèrent Bruno jusqu’à ce qu’ils entendent Rosemonde les appeler, ça voulait surement dire qu’ils devaient retourner étudier. Le jardinier leur passa de l’eau sur les mains de son arrosoir, puis les laissa se les sécher avec un torchon pour nettoyer le plus gros de la saleté, même s’ils devraient changer de chausses et taper leurs chaussures pour ne pas mettre de la terre partout à l’intérieur. Il les raccompagna jusqu’à la gouvernante pour lui expliquer mais, dès qu’elle les vit, Rosemonde devient toute blanche en s’écriant, furieuse.
« Au nom de la Déesse, qu’est-ce qui s’est passé ? Vous êtes dans un état déplorable !
– Mais… mais on a rien fait de mal ! On a juste voulu aider Bruno… bafouilla Rodrigue sans comprendre.
– C’est vrai ! C’est tout ! C’est pas la première fois qu’on le fait !
– Ne vous en faites pas Rosemonde, ils m’ont juste donné un petit coup de main. Ils jouaient dans la cour alors, j’en ai profité pour leur montrer les lilas en fleur et ils ont voulu m’aider. Ça leur a un peu changé les idées. Dame Aliénor ne me l’a jamais interdit, tout comme le Sieur Guillaume.
– Je comprends Plantet mais, ils ne peuvent plus s’abaisser à gratter la terre comme deux fils de paysans. C’était déjà bien peu digne de fils de Fraldarius de se mêler ainsi des tâches des domestiques mais, à présent, ils sont les ducs. Ils doivent tenir leur rang en toute circonstance, ce qui n’est guère le cas quand ils mettent les mains dans la terre de cette façon ! Je sais que le sieur Guillaume le tolérait mais, cela reste indigne d’un homme de si haute naissance !
Alix et Rodrigue échangèrent un regard sans comprendre. C’était vraiment mal ce qu’ils venaient de faire ? Ils le faisaient tout le temps pourtant, et leurs parents ne leur disaient rien… bon, d’accord, Rosemonde n’aimait pas trop mais, papa et maman lui disaient de les laisser faire. C’était si mal que ça d’aider Bruno à s’occuper des lilas ? Pourquoi elle disait qu’ils ne devaient pas le faire car, ils étaient fils de Fraldarius ou de duc ? Ils savaient qu’ils auraient beaucoup de travail et qu’ils devraient protéger les roturiers quand ils seraient grands mais, pourquoi c’était mal d’aider Bruno ? Et pourquoi elle l’appelait Plantet et pas Bruno comme d’habitude ? Ils avaient fait une si grosse bêtise que ça ? Les jumeaux ne comprenaient plus rien…
– Enfin Rosemonde, ne parlez pas comme une adrestienne à autant séparer les choses, le roi Loog en personne faisait son pain et son ménage lui-même. Je veux bien que maintenant, ils sont plus ducs qu’avant mais, ce sont aussi des enfants et les enfants ont besoin de souffler un peu. J’ai jamais vu la forteresse ducale aussi silencieuse de ma vie, et je connaissais Gui’ depuis qu’il était en langes. Un tel silence l’aurait rendu fou. Un décalage pareil entre ce qui se passe d’habitude et maintenant doit rendre le tout encore plus violent pour eux. Non, croyez-moi, un bon moment dehors sans penser à tout ça et en chantant un peu comme avec Gui’ ne peut leur faire que du bien.
– Là n’est pas la question. Ce n’est pas très respectueux envers son âme du Sieur Guillaume d’agir comme s’il était encore là. Le chant était sa grande passion et son don, on ne peut nier qu’il avait une des plus belles voix de tout Fodlan mais, nous ne pouvons pas singer son chant, et nous devons respecter les morts en observant le silence afin de ne pas gêner le recueillement de chacun. De plus, même si je comprends votre raisonnement, nous ne pouvons pas nier ce qu’ils sont à présent : les ducs en titre. Ils ne règnent pas, ils sont trop petits et notre Dame assure la régence jusqu’à leur majorité mais, ils restent ducs et ils doivent montrer l’exemple. J’en suis la première désolée mais, pour eux, le temps de l’enfance et de l’insouciance est terminée et ils doivent agir selon leur…
– Mais papa ne voudrait jamais ça ! Il ne voudrait pas ! Il détestait trop le silence ! Et ils ne nous disaient pas ça ! C’est pas papa… ou… ou… Ouuuuuiiiinnnn !!!!
Rosemonde s’arrêta de parler en entendant Rodrigue fondre en larmes. Il n’en pouvait plus, il n’en pouvait juste plus d’entendre tout ça. Ce n’était pas leur papa, pas leur vrai papa ! Leur papa ne voudrait jamais un tel silence de… de… un silence de mort ! Il détestait le silence ! Il ne voudrait jamais ça ! Et pourquoi tout changeait d’un coup ?! Leur papa n’était plus là mais, il jouait souvent avec eux et ils riaient tous ensemble ! Pourquoi ils ne pouvaient pas continuer à le faire ? Leur papa ne voulait pas qu’ils jouent sans lui ? Ils ne comprenaient plus rien !
– Rodrigue… Ne pleure pas… Alix lui prit à nouveau la main, tout aussi secoué que lui par les mots de Rosemonde. On n’est pas les ducs ! On ne le sera jamais ! C’est papa ! »
Le cadet entraina son frère en le tirant vers la forteresse pour les éloigner de leur gouvernante, courant dans les couloirs en passant entre les jambes des serviteurs, avant de pousser la porte de la pièce où travaillait leur maman. Elle sursauta sur sa chaise quand ses petits entrèrent en trombe et s’accrochèrent aux pans de sa robe, tous les deux en larmes maintenant. Elle lâcha son travail pour se glisser vers eux, passant sa main sur leur dos avec douceur, comme toujours avec eux. Quand ils commencèrent à se calmer, Aliénor les redressa un peu pour leur demander.
« Vous voulez en parler ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Les deux petits lui expliquèrent ce qui venaient de se passer avec Rosemonde, répétant encore.
« C’est pas nous les ducs… c’est papa…
– C’est vrai que vous êtes encore petits pour l’être. Vous le serez quand vous serez aussi grand que papa. Pour l’instant, vous avez le droit d’être des enfants. Et vous avez le droit de chanter. Guillaume ne se taisait jamais, il ne voudrait pas vous priver du chant, surtout si ça vous fait du bien. J’en parlerai avec Rosemonde. Elle n’a pas à vous priver des choses qui vont font du bien, surtout en justifiant ses actes avec Guillaume… »
Les mots d’Aliénor les rassurèrent un peu, même s’ils ne la lâchèrent pas de la journée, faisant leur sieste dans son bureau pour rester avec elle.
Quand le soleil se coucha, elle les emmena à la chapelle ducale pour prier pour l’âme de Guillaume. Il risquait de passer un peu de temps avec la Déesse avant de se réincarner… d’habitude, Alix ne suivait pas autant son frère et sa maman à l’église. Il était comme Guillaume sur ce point, il ne croyait pas beaucoup. Mais là, les deux jumeaux se collaient encore plus que d’habitude. Si l’un d’eux partait ou s’ils se sépareraient, ils étaient sûrs de le retrouver dans une boite. Leur maman aussi… il ne fallait surtout pas se séparer…
Rodrigue récita ses prières sur le bout des doigts, fredonnant doucement le Mater Nostra que lui avait appris sa maman. Il faisait rouler à chaque mot un chapelet dans ses doigts que son papa lui avait offert, avec des perles de roseaux et les emblèmes des Braves et des Saints en breloque. Toutes étaient là, afin de prier la personne qui pouvait le plus les aider, comme Cichol et Cethleann aujourd’hui car, ils étaient liés à la famille. Il avait aussi son propre emblème dans les mains et celle de Sothis pour qu’ils protègent son papa. Guillaume ne croyait pas vraiment en la Déesse mais, il ne l’avait jamais empêché de prier autant qu’Aliénor, disant que cela ne lui faisait rien de mal.
« Toi Notre Mère, toi qui es aux cieux,
Que ton nom si respecté soit sanctifié,
Que ta bienveillance reste en ces lieux,
Que ta volonté soit faite pour l’éternité,
Accorde-nous du pain et de l’eau pour aujourd’hui,
Pardonne-nous pour nos offenses si grandes et si graves,
Nous serons sages pour que tu reviennes cette nuit,
Nous ne laisserons plus tenter par le pouvoir qui déprave,
Veilles sur nous, veilles sur les défunts,
Veilles sur nous et délivre-nous du mal,
Que ta Volonté soit faite.
Amen. »
Cela lui avait toujours fait du bien de prier. C’était comme pouvoir confier les choses qui lui faisait le plus mal au cœur, tout en sachant qu’il ne ferait pas mal à la personne en face. Le petit garçon pouvait tout dire à Alix, son papa et à sa maman mais, cela les inquiéterait alors qu’avec la Déesse, ça ne lui ferait pas aussi mal et elle pourrait surement intervenir. C’était peut-être pour ça qu’il se mettait à lui demander des choses que personne d’autre qu’elle pouvait faire.
« S’il te plait Déesse… supplia-t-il avant de réciter la formule que sa maman lui avait appris, celle à dire avant un vœu. Déesse de justice et de paix, envoie ton esprit sur les peuples en conflit, pour que le pardon et la réconciliation construisent une paix durable dans les cœurs et entre les hommes… ne mets pas Alix et maman dans une boite… s’il te plait… »
Rodrigue alluma une petite bougie sur l’autel, ainsi que sur celui de Saint Cichol et de Fraldarius pour qu’il protège sa famille, croisant la prêtresse au passage qui manipula les chandelles à sa place, il n’avait pas le droit de toucher au feu. Il en profita pour attraper le pan de son aube et il lui demanda. Elle devait savoir.
« Dites Ma Sœur, où est papa ?
Une prêtresse, c’était forcément très proche de la Déesse non ? Elle devait bien savoir. La femme âgée eut un sourire triste puis, se baissa à sa hauteur en lui assurant.
– Maintenant, Votre père est auprès de la Déesse. Elle l’a rappelé à Elle quand il est mort, comme tous les chevaliers qui ont été dignes de leur titre.
– Et pourquoi il n’est pas avec nous ? On a fait des bêtises ?
– Bien sûr que non. C’est juste que quand on… on part, il faut un peu de temps pour se reposer avant de revenir dans ce monde, surtout quand on part comme un vrai chevalier… votre père est seulement très fatigué.
– Alors, il reviendra quand il se sera reposé ?
– D’une certaine manière mon enfant… d’une certaine manière… souffla-t-elle d’un ton énigmatique. Il viendra surement vous voir…
Rodrigue ne comprit pas vraiment pourquoi elle hésitait autant à lui répondre… « Il viendrait surement vous voir »… ça voulait surement dire que les légendes sur les revenants étaient vraies ! Il en parla avec Alix et sa maman en sortant de la chapelle. Son frère retrouva d’un coup son énergie folle en se rappelant les légendes, avant de s’écrier.
« Il faut qu’on lui fasse comprendre qu’il peut rester ! Vient Rod !
– Eh ! Attends-moi Alix ! »
Ils filèrent dans les cuisines pour demander s’ils pouvaient faire un ragout de poisson que leur papa adorait. Leur papa adorait le poisson, surtout ceux du lac. Ça lui fera plaisir d’en trouver prêt pour lui quand il reviendra une fois bien reposer ! Les cuisiniers les laissèrent faire, et les jumeaux préparèrent aussi bien que possible une truite pour leur papa avec leur aide puis, ils posèrent le ragout sur la table de la salle où ils mangeaient. Ils allèrent aussi décrocher le portrait qui faisait peur pour le remplacer maladroitement par celui d’une de leur chambre, où c’était vraiment leur papa, avec un grand sourire. La Déesse était d’accord pour qu’il le fasse de toute façon, leur emblème les avaient aidé à enlever la planche de bois très lourde barbouillée de peinture, pour éviter qu’ils ne tombent à cause de son poids.
En courant dans tous les coins, ils entendirent des gens que n’aimait pas beaucoup leur papa discuter à voix basse. Ils chuchotaient entre eux qu’avec son sale caractère, Guillaume s’était fait beaucoup d’ennemis alors, si ce n’était pas en protégeant le roi, il allait sans doute se faire tuer à un moment ou un autre. Les jumeaux ne les écoutèrent pas. Leur papa était très gentil avec eux, il était juste sévère. C’était normal d’être sévère avec les personnes qui faisaient des bêtises. Ces gens étaient juste des méchants. Personne ne pouvait dire que c’était bien mérité de mourir comme ça.
Leur papa ne l’avait pas « bien mérité », il était juste mort comme un vrai chevalier, comme leur mamie et leur papi. C’était tout.
Le soir, quand leur maman les mit au lit, ils allèrent tous les deux dans celui d’Alix. Depuis que leur papa était mort comme un vrai chevalier, ils le faisaient plus souvent qu’avant, ayant peur de ne pas retrouver l’autre à son réveil. Quand ils le faisaient, leur maman les laissaient faire en ce moment, même si avant, elle était comme Rosemonde et ne voulait pas qu’ils prennent l’habitude de ne pas dormir chacun dans leur lit, sauf parfois, comme quand Guillaume était chez leur oncle Ludovic… avant de partir chez lui, leurs parents les laissaient même parfois dormir avec eux.
« En plus, si on reste tous les deux, papa… hum… ! Je suis coincé ! Râla Alix alors qu’il s’était perdu dans sa chemise pour la nuit, avant qu’Aliénor n’aide sa tête à trouver le bon chemin vers le trou pour elle. Merci maman ! En plus, papa pourra venir nous voir tous les deux si on est ensemble !
– C’est vrai ! Ajouta Rodrigue en posant son oreiller sur le lit de son frère.
– Hum… Rodrigue… Alix… les reprit doucement leur maman, essayant de ne pas être trop brusque avec eux. Même si Guillaume venait vous voir, il ne pourrait rester. Les revenants sont comme… comme les fantômes… même s’ils peuvent venir vous voir, ils ne peuvent pas rester, ni faire les mêmes choses que nous… Guillaume veille sur vous d’une certaine manière mais, il ne reviendra jamais vraiment non plus…
– Oui mais, on pourra le voir non ? Demanda son premier-né. On veut le revoir encore une fois… s’il revient, on pourra le voir alors, même s’il reste pas… il reviendra non ?
– Oui, c’est tout ce qu’on veut, le soutient son frère. On veut juste encore voir papa… il viendra bien non s’il n’est pas loin ?
Le visage de leur maman devient très triste, comme si elle avait une boule dans la gorge qui ne voulait pas la laisser parler. Elle leur embrassa le front en chuchotant, passant sa main dans leurs cheveux.
– C’est une histoire compliquée…
– Bah non, on veut juste voir papa, et papa aussi doit vouloir nous voir. Toi aussi, il doit vouloir te voir maman ! Il ne veut pas venir papa ?
– Bien sûr que non… votre père détestait s’éloigner de vous et rester loin de la maison… vous êtes nos petits louveteaux… enfin, elle les coucha en relevant l’édredon tout chaud, maintenant, c’est l’heure de dormir… vous avez tout ?
– Si Alix est là, oui !
– Et si Rodrigue est là, aussi ! S’exclamèrent les deux jumeaux l’un après l’autre. Et tu ne pars pas pendant la nuit ! J’aurais peur que tu ne reviennes pas si t’es pas là !
– Promis ! Et toi aussi, si tu vas faire pipi, tu me réveilles et on y va ensemble… je ne veux pas que tu ne reviennes pas…
Leur maman sembla éviter de dire quelque chose avant d’ajouter avec un sourire un peu triste, comment souvent depuis que papa était dans une boite.
– D’accord… Hum… et si je vous racontais comment le Brave Fraldarius a rencontré Blaiddyd et Dominic ?
– – Oh oui ! S’il te plait ! Racontes-là nous maman ! S’agitèrent-ils, tout contents d’entendre cette histoire.
– Une fois que vous serez de nouveau couché et sages.
Les deux jumeaux se recouchèrent tout de suite, l’un contre l’autre en attendant l’histoire. Une fois que le silence régna, Aliénor commença à raconter, faisant les voix alors qu’ils l’écoutaient religieusement.
– A l’aube des temps, alors que la Déesse n’était pas encore connue de tous, Fraldarius, votre ancêtre, serait né du lac même. Fils de l’eau, il fut élevé par son père adoptif au bord de sa Mère alors que les humains commençaient à peine à peupler Fodlan, ignorant encore le nom de la Déesse qui leur avait donné la vie. Dans le but d’aider son peuple et sa Mère, Fraldarius décida d’apprendre à maitriser l’eau pour rendre celle du lac buvable à tout instant, afin de préserver son peuple et son père des maladies.
– Fraldarius est très gentil, souffla Rodrigue, ses paupières commençant déjà à s’alourdir de sommeil.
– Cependant, un jour alors que son village encore fragile se réveillait, un grand vacarme résonna de toute part et ils furent attaquer par un des peuples voisins au leur ! Son père y mourut, et Fraldarius fut capturé par l’homme qui avait tué son père, l’emmenant au loin avec lui pour en faire son esclave.
– Oh non ! C’est la pire partie de l’histoire ! Il est méchant ! Il n’a pas le droit de faire du mal au papa ! S’écria Alix en remuant dans tous les sens.
– Alix, du calme, tu vas finir par frapper ton frère en t’agitant comme ça, le reprit Aliénor en posant sa main sur ses épaules pour le calmer. Je peux reprendre ?
– Oui maman ! Répondirent-ils tous les deux.
– Bien… pendant le voyage, il rencontra une autre prisonnière de guerre, Dominic, fille de la forêt…
– Ton ancêtre à toi maman… souligna Rodrigue.
– Oui… elle aussi avait été arraché à son village et à sa famille qui avait trouvé la mort dans l’attaque. Ils se rapprochèrent alors tous les deux, le même chagrin, la même peine, le même désir de rentrer chez eux et la même soif de vengeance les animant à présent, avec le don pour la magie et la musique mais, il ne rencontra pas qu’elle. Dans la maison de leur ravisseur, ils rencontrèrent un autre enfant de leur âge, fils de l’hiver, en secret tout aussi passionné qu’eux de magie, mais étant esclave depuis sa naissance, il n’avait pas de nom. Ils décidèrent alors de lui donner le nom de Blaiddyd, de l’endroit où il allait promener les bêtes, tous finissant berger, propriété du ravisseur et assassin des proches de Dominic et Fraldarius. Le temps passa, les été et les hivers se succédèrent au rythme des lunes. Petit à petit, les trois enfants se lièrent, amoureux de la magie et de la musique, devenant chaque jour de plus en plus puissant afin de pouvoir s’enfuir et retourner dans leur peuple un jour prochain…
Aliénor fit une pause pour regarder ses fils. Ils dormaient déjà l'un contre l'autre. Avec toutes les émotions de ses derniers jours, ils étaient épuisés, même s’ils avaient du mal à s'assoupir. Ils avaient peur que l’un ou l’autre disparaisse… tellement qu’ils n’arrivaient plus à dormir séparer, ils étaient tout le temps collé… ce n’était pas étonnant… ils avaient beaucoup de chemin à faire ensemble pour arriver à se remettre… ils étaient trop jeunes pour pleurer leur père…
La mère les recoucha correctement sous l’édredon d’Alix, ses jumeaux se serrant d’eux-mêmes, afin d’être au plus près l’un sur l’autre. L’un bougeait, l’autre se réveillerait… mais elle faisait tout de même gardé la porte de leur chambre par un garde chargé de veiller sur eux, c’était plus prudent. Elle embrassa leur petite frimousse avant de repartir vers son bureau. Elle avait encore des lettres à lire avant de dormir elle-même…
En retournant dans son étude pour finir son travail de la journée, Aliénor passa dans la salle où ils mangeaient tous ensemble, et vit le plat froid attendre quelqu’un qui ne reviendrait jamais à sa place, recouvert d’une assiette pour empêcher les chats de le manger. Épuisée, elle se laissa tomber sur son propre siège à ses côtés, fixant la chaise voisine comme s’il était là à l’écouter, même si c’était impossible.
« J’aimerais tellement que tu sois là… pour tenir le fief, je m’en sors, notre peuple nous soutient dans son immense majorité et pleure ta perte autant que nous, et on a bien fait le ménage en arrivant. La plupart de nos vassaux te respectait ou te craignait trop pour se révolter, quand ils ne nous doivent pas tout. Ceux qui sont passés entre les gouttes sont les plus difficiles à contrôler mais bon, eux aussi, quand ce n’est pas leurs voisins qui leur règlent leur compte pour trahison en pleine période de deuil, c’est leur propre population qui tente de les pendre pour oser s’en prendre à une veuve et des orphelins fraichement endeuillés, surtout que les roturiers te sont reconnaissant pour tes hôpitaux et tes écoles. Le vrai problème, ce sont les seigneurs extérieurs, et les ambitieux de tout bord… si tu m’avais dit que ma main pleine d’encre vaudrait aussi chère un jour, je ne t’aurais pas cru…
Elle fit une pause, regardant son alliance en la tournant autour de son doigt, libéra ses longs cheveux blonds de leur mantille noire et de leur chignon. Elle était encore à l’ancienne, apparaitre les cheveux détachés et sans chapeau devant quelqu’un d’autre que son mari la gênait un peu, même si de moins en moins d’hommes et de femmes se couvraient la tête en permanence en public. Là, elle était seule, et Guillaume aimait beaucoup ses mèches blondes, c’était presque leur petit secret à eux deux de se voir les cheveux détachés… elle passa ses doigts dedans, pensant au nombre de fois qu’elle avait peigné la longue chevelure de son mari, ses épaisses boucles noires toutes douces, enfermées à la va-vite dans une longue tresse tombant jusqu’à ses hanches… il ne prenait jamais le temps de les couper ou alors, il prenait sa dague et tranchait tout d’un coup… du Guillaume tout craché… même s’il avait arrêté quand leurs louveteaux avaient commencé à marcher, il aimait trop quand leurs petits essayaient de mettre des fleurs dans sa natte sans se faire repérer, même si c’était toujours un échec cuisant. Ils étaient bien trop adorables quand ils le faisaient… même s’ils se faisaient prendre à chaque fois, Rodrigue et Alix riaient toujours tellement quand Guillaume les attrapait… elle ne les avait plus entendus rire depuis trop longtemps, les rires étant remplacés par les pleurs, l’incompréhension et la peur…
– Il y en a un autre qui a tenté de m’enlever l’autre jour… rien de grave, je te rassure mais, c’est tout de même le troisième alors que ton corps a à peine eu le temps de refroidir… ils se jettent tous sur mon veuvage, comme les chiens errants qu’ils sont en croyant que convoler avec ta veuve leur donnera un quelconque droit sur tes louveteaux… s’ils croient qu’ils obtiendront quoi que ce soit de moi en me passant un bout de ferraille au doigt, ils se trompent lourdement. Je ne les laisserai jamais saccager tout notre travail », lui jura-t-elle, sortant les griffes en pensant à ces petits braquets jappant derrière sa famille, et qui pensaient que leurs petits jappements allaient réussir à faire trembler un loup féroce. « En plus, ils s’en prennent à moi pour le moment, je sais me défendre, et le premier à avoir essayé a fini sur une roue sur ordre de Ludovic, histoire que les autres ayant envie de se faire de l’argent avec mon veuvage réfléchissent à deux fois avant de tenter leur chance. Non, je ne m’inquiète vraiment pas pour moi… ce qui m’inquiète le plus, c’est s’ils décident de s’en prendre à nos petits…
Aliénor fit une pause, une boule de plus en plus grosse dans sa gorge, l’inquiétude lui serrant le cœur.
– Rodrigue et Alix sont prudents mais, ils restent des enfants, même s’ils risquent de grandir beaucoup plus vite dans une situation pareille. Parfois, il faut que le duc ou le futur duc soit présent afin que quelque chose se fasse, comme quand l’assemblée d’Egua enregistre une décision, même si c’est symbolique… alors, je leur fais prendre un de tes portraits pour faire comme si tu étais encore là et duc… même si en réalité, c’est eux… Ils ne comprennent pas encore que c’est eux, voir même que tu ne reviendras jamais… pour le moment, c’est plus un coup de main qu’ils te donnent ou je leur présente ça comme un jeu, j’essaye d’éviter de leur dire qu’ils font leurs devoirs ducaux… ils sont si petits… ils ont à peine six ans… je sais à quel point c’était dur pour toi, et même s’ils sont dans une situation moins difficile que toi, je voudrais leur éviter autant que possible d’avoir à prendre des responsabilités d’adulte… je sais que tu ne voudrais pas qu’ils aient autant de responsabilité que toi à leur âge… au moins, pour le moment, il n’y a pas d’assassins qui attentent à leur vie comme pour toi, et Ludovic est un précieux allié. Il endigue une bonne partie des velléités de certains… même s’il va falloir qu’on le ramène à la réalité avec Catherine, il faut avouer que faire pendre tous les cerveaux derrière ta mort alors qu’ils étaient nobles, et jurer que toute personne ayant trempé dans ce complot subirait le même sort, a calmé pas mal de monde. Mais je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour Rodrigue et Alix. Ils sont tellement jeunes, et tu leur manques tant… on est jamais assez vieux pour affronter ce genre d’épreuve… jamais… ils aimeraient tellement te voir… … … j’aimerais tellement te voir… qu’il ait raison et que tu viennes manger ce qu’ils t’apportent… tu me manque déjà… … … j’aimerais tellement que tu sois là Guillaume…
Elle sentit des larmes roulées les unes après les autres sur ses joues… elle leur avait pourtant interdit de se montrer à nouveau depuis qu’elle s’était effondrée une fois seule avec Nicola et Ludovic, après avoir appris ce qui s’était passé et avoir vu le corps de Guillaume dans son cercueil… elle n’arrivait juste pas à croire qu’il se soit fait tuer sans voir son cadavre… pas lui… pas Guillaume… il avait résisté à pire qu’un coup de couteau, ça n’avait pas pu le tuer… pas son loup de mari… pas son mari… pas lui… tout mais pas Guillaume… pas déjà… il allait survivre plus longtemps que les autres, vivre autant que Kyphon et Clothilde… ne pas mourir pendant sa trentaine comme trop de ses ancêtres… que ses propres parents morts dans leur vingtaine…
Mais quand ils avaient soulevé le couvercle, elle n’avait pu que le reconnaitre, habillé dans la sarcelle ducale, les plis du tissu cachant à peine la blessure mortelle en plein ventre… sa peau encore plus pale à cause de la perte de sang, sa longue tresse reposant sur son épaule, ses beaux yeux de chat provenant du Brave Fraldarius lui-même fermés à jamais, cachant pour toujours le bleu d’eau si semblable à celui du lac… même inanimé, son visage conservait son aspect mordant, ferme face à ses ennemis mais, cachait tout l’amour et la douceur qui se peignaient dans ses traits quand il était avec elle et surtout quand Guillaume restait avec leurs fils… Déesse… ce que leurs jumeaux ressemblaient à leur père… c’était Guillaume au même âge… leurs louveteaux étaient bien les fils de leur père…
« Comment cela a-t-il pu arriver ? » fut sa première question, vite suivit par :
« Reste avec nous… » puis d’un :
« Je t’aime… »
Elle l’avait embrassé une dernière fois avant de refermer le couvercle du cercueil pour toujours. Rodrigue et Alix dormaient, ils étaient tombés d’épuisement à force de pleurer mais, elle refusait de prendre le risque qu’ils voient le corps de leur père. La simple vue du cercueil avait déjà été une épreuve terrible pour eux, elle refusait de les traumatiser encore plus s’ils voyaient le cadavre inanimé de Guillaume… ils étaient trop jeunes pour voir le corps de leur père… bien trop jeunes… tous… Guillaume était mort si jeune…
Elle s’était effondrée, incapable de retenir ses larmes et sa peine. C’était injuste ! Qui était les monstres qui avaient osé leur faire ça ?! Qui étaient les lâches assoiffés de sang qui avaient voulu empêcher une paix ?! Rationnellement, elle connaissait tous les arguments en bois mouillé que les coupables avanceraient mais là, sur le coup de l’émotion, elle voulait juste entendre ce qu’ils avaient à dire sur le meurtre d’un père de deux enfants, que ce soit Guillaume ou Ludovic si leur bras armé avait atteint leur objectif. Qu’ils disent la vérité qu’ils se fichaient des autres et de la mort, qu’ils voulaient juste gagné de l’argent et du prestige facilement avec la guerre et le butin, comme au temps de Clovis le Sanglant avant que Ludovic, Catherine, Guillaume, elle-même et bien d’autres ne le renversent… qu’ils aient le courage d’avouer leur soif de sang et d’or devant elle au lieu de se cacher derrière leur petit doigt…
Ludovic et Nicola aussi avaient beaucoup pleuré avec elle… Nicola avait perdu son ami de toujours avec qui il avait survécu à leur minorité, presque comme son frère, avec qui ils avaient affronté et survécu à bien pire des dizaines de fois… c’était comme perdre un membre de sa propre famille… Guillaume était autant un membre de sa famille que Nicola en était un de la leur…
Et pour Ludovic, c’était encore pire… Aliénor ne l’avait presque jamais vu aussi émotif… lui qui était toujours froid et presque sans émotion apparente… elles étaient toujours très subtiles et faciles à manquer, c’était rare de le voir les extérioriser ainsi… les deux seules fois qu’elle l’avait vu pleurer, c’était de rage en voyant Clovis commencer une autre guerre sanglante qui tuerait trop d’innocents, puis de soulagement quand ils l’avaient enfin renversé. Il aurait aussi pleuré Guillaume en le voyant mort dans ses bras… il avait toujours été aux côtés de Ludovic depuis qu’il était petit, que ce soit quand il fallait tirer le gamin des champs de batailles de son père, ou quand un gosse de quatorze ans commençait à comploter pour renverser le dit père, puis qu’il mettait son plan en application quatre ans plus tard… encore plus après quand il lui avait fallu régner, ainsi que le ramener dans le droit chemin par la peau du cou quand il faisait des conneries… « c’est mon boulot de t’empêcher de faire des conneries », l’éternelle maxime de Guillaume qui répétait souvent au roi quand il s’entêtait… sa mort revenait à perdre son principal soutien et son grand frère pour Ludovic…
« Je suis désolé… Guillaume ne voulait pas mourir… il voulait vous revoir… il voulait revenir auprès de vous tous… je suis désolé que ce soit passé ainsi… »
Aliénor l’avait fait taire, ce n’était pas la faute de Ludovic. Il avait déjà tout fait pour rendre cette rencontre la plus sûre possible mais, il y avait toujours une zone d’ombre inévitable… et elle avait suffi pour que…
« Aaaoooouuuhhhh… Aaaoouuhhh… oouuuhhh… aaaaooouuuhhh… »
La veuve releva la tête en entendant un loup hurler à la lune. Il y en avait vraiment beaucoup sur leurs terres mais, assez peu d’attaques, la Déesse soit louée. Après tout, un loup et son louveteau ornait leur blason depuis Kyphon et sa fille Clothilde, en référence à leur surnom de « Loup » eux aussi, capable même d’en monter un géant… peut-être que les vrais lupins de leurs terres sentaient qu’ils avaient à faire avec des loups humains, qui savait ? C’était ce que disait la légende en tout cas… Rodrigue et Alix aimaient beaucoup cette histoire…
Elle les écouta, leur chant s’envolant vers l’astre lunaire et à l’étoile céruléenne, brillant dans le ciel comme si de rien n’était en bas… les réponses de ses amis à sa plainte ne tardèrent pas, plus forte, venant de partout et de plus en plus énergique au fil des minutes. Les hurlements semblaient de tout âge : des vieux, des jeunes, des adultes, des pas encore en âge, d’autres trop…
Aliénor sourit en les entendant, percevant presque la voix derrière les cris lupins et entendant ses mots piquants mais toujours attentionnés avec elle.
– Tu as raison, ce n’est pas mon genre de me morfondre. On s’en sortira, je ferais tout pour les protéger de la moindre menace, et même si tu n’es plus là, je sais que tu en feras autant de ton côté. Ce ne serait pas la première fois que tu interviens quand on s’y attend le moins. Un autre coup de bluff, n’est-ce pas ? En tout cas, je sais que tu n’es plus là mais, tout en étant proche en quelque sorte… tu ne nous abandonneras pas… elle embrassa son alliance en souriant un peu. Montrons-leurs que le loup n’a pas encore poussé son dernier cri et n’a pas encore perdu tous ses crocs.
Elle se releva en saluant la meute de loups hurlant à la lune, sentant la présence de Guillaume à ses côtés alors qu’elle retournait travailler, plus déterminée qu’elle ne l’avait été depuis sa mort.
                                                                                    Chapitre 2         
Les jours passaient et rien ne changeait vraiment. Les petits faisaient tous les jours quelque chose pour leur papa, le posait sur la table et chaque matin, ils étaient tristes de voir qu’il n’était toujours pas assez reposé pour venir les voir. Leur maman leur avait expliqué que s’il revenait, il ne pourrait rien toucher et qu’il devrait vite repartir pour ensuite revivre mais, les jumeaux continuaient quand même. Ça faisait un lien avec leur papa…
Leur maman restait autant que possible avec eux, elle évitait même de quitter la maison pour rester avec eux. C’était bien, ils ne voulaient pas que leur maman rentre aussi dans une boite. Ils ne voulaient pas qu’elle soit aussi fatiguée que papa…
Cependant, environ un mois et demi après que la boite de Guillaume avait été mise dans le sol, un messager vient voir leur maman pour lui demander de venir dans une ville plus au nord, dans la forteresse de Crèvecœur. Ils ne comprirent pas vraiment la raison, à part que cela avait avoir avec le nord et surtout, que c’était à cinq jours au moins de chez eux, et ils qu’étaient trop petits pour la suivre.
« Non maman ! Ne pars pas ! »
Ils s’accrochèrent de toutes leurs maigres forces à la robe de leur maman. Elle allait partir, tomber sur quelqu’un de méchant et elle rentrerait dans une boite ! C’était sûr ! Ils ne voulaient pas la perdre ! Ils ne voulaient pas la perdre ! Ils voulaient garder leur maman ! C’était leur maman ! Elle n’avait pas à partir ! Elle devait rester avec eux ! Ils pleurèrent même pour qu’elle ne parte pas, refusant qu’elle meure comme un vrai chevalier aussi.
« Chut… chut… ça va aller… ça va aller… ne pleurez pas… je ne mourrai pas, c’est promis… je dois y aller, c’est mon devoir mais, je ne mourrai pas…
– Pourquoi c’est ton devoir ? Demanda Rodrigue. Nicola ne peut pas y aller tout seul ?
– Les adultes n’ont pas des devoirs comme ça à faire ! Restes ! S’exclama Alix.
– Tout le monde a des devoirs. Le mien en tant que duchesse et de régente, c’est de protéger le fief, comme Guillaume le faisait. C’est le devoir de tous les seigneurs de protéger leur fief et leur peuple, ainsi que tous ceux qui leur sont chers. Tout le monde n’a pas le temps d’apprendre à se défendre alors, nous qui avons ce temps, nous devons les défendre de toutes nos forces. Autant les personnes plus faibles que les plus jeunes, que les plus vieux et les personnes qui nous sont chers, comme les loups défendent leur meute. Votre père s’entrainait et travaillait beaucoup pour protéger son fief, mais aussi pour vous protéger tous les deux.
– Pour de vrai ?
– Bien sûr… pourquoi vous mentirais-je ? Votre père vous adorait et voulait tout faire pour vous protéger… elle les attira contre elle et les embrassa tous les deux. Vous êtes nos louveteaux… Il voulait vous protéger plus que tout au monde… »
Ils se calmèrent un peu grâce aux mots de leur maman mais, ils restèrent inquiets… cela devient pire toute la journée, puis ils ne purent plus se tenir quand leur maman était sur le point de partir. Il y aurait Nicola avec eux et ils l’adoraient mais, ce n’était pas pareil, ce n’était pas maman…
Les jumeaux filèrent alors sur le bord du lac pour se calmer avant d’aller lui dire au revoir, même s’ils ne voulaient pas… peut-être que s’ils ne venaient pas lui dire au revoir, leur maman ne partirait pas et elle resterait… ils pourraient même dormir un peu sous les buissons pour se cacher encore plus et l’empêcher de partir… ils avaient sommeil…
Il y avait beaucoup de brume aujourd’hui au-dessus de l’eau et elle était sombre, on n’y voyait pas à trois pas. Se prenant la main pour ne pas se perdre, les jumeaux marchèrent un peu le long de l’eau, n’entendant rien d’autre que son clapotis. C’était un jour étrange aujourd’hui…
Rodrigue crut entendre quelque chose souffler dans son oreille, une voix peut-être. Il tourna la tête vers le lac et vit alors des petites lumières sur la surface de l’eau.
« Alix… regarde…
– Qu’est-ce que c’est ? Demanda-t-il, ses doigts se resserrant sur les siens. Tu crois que… tu crois que c’est papa ?
Leur papa les emmenait souvent sur le lac, leur parlant de tous les détails à savoir sur leur fief. C’était peut-être qu’il voulait rentrer par le lac ? Ils ne savaient pas… et ils ne voyaient pas assez bien dans le brouillard pour le dire. Mais ils voulaient le voir là, dans la brume, au-dessus de l’eau…
Ils se tournèrent vers l’onde en levant leur main libre, ne se lâchant pas.
– Papa…
Ils mirent les pieds dans l’eau sombre.
– Papa… c’est toi ? Papa… papa !
Ils s’avancèrent jusqu’à avoir de l’eau jusqu’à la poitrine, même si c’était très difficile de marcher dedans. Elle était méchante l’eau ! Elle les empêchait d’aller voir leur papa ! Puis ils entendirent la voix de leur maman à travers la brume.
– Rodrigue ?! Alix ?! Où êtes-vous ?! Ô Déesse ! Rodrigue ! Alix ! N’avancez plus !
Elle se précipita à toute vitesse dans l'eau et les tira en arrière alors qu’ils protestaient, la main toujours tendue vers les lumières.
– Non ! Non maman ! C’est papa ! Papa est là ! Regarde ! C’est papa !
– Rodrigue… Alix… ce n’est pas Guillaume… ce n’est pas lui… il n’est pas là… il ne vous mettrait jamais en danger… jamais… il ferait toujours tout pour vous protéger… toujours… il a toujours fait passer sa famille avant tout autre chose… ce n’est qu’une illusion… des feux follets… ce n’est pas Guillaume. Quel père digne de ce nom mettrait en danger ses enfants ?! Ô Déesse… Déesse… j’ai eu si peur… Déesse…
– Maman… ils sentirent les larmes d’Aliénor rouler sur ses joues, se tournant vers elle pour les essuyer avec leurs mains trempées. Maman… ne pleure pas…
– Ce n’est rien… ça va aller… ça va aller… j’ai juste… ô Déesse… j’ai eu tellement peur… ne me refaites jamais une peur pareille… j’ai bien cru que j’allais vous perdre tous les deux vous aussi…
– Maman… » répétèrent les jumeaux, ayant très mal dans leur poitrine de voir leur maman pleurer comme ça, ils n’avaient pas voulu lui faire autant de peine ! Ils voulaient juste qu’elle ne parte pas, c’était tout ! Ils ne pensaient pas… Ils devaient faire attention à ce qu’ils faisaient sinon, leur maman pleurerait encore et ils n’aimaient pas ça… « On ne te fera plus peur… c’est promis… ne pleure pas… »
Leur maman retarda un peu son départ pour Crèvecœur afin de rester un peu plus avec eux mais, quand elle partit, les jumeaux lui promirent de rester très sages avec Nicola et Rosemonde. Quand elle n'était pas là, ils travaillèrent bien, même si Rosemonde les grondait un peu parfois mais, elle leur laissait aussi du temps pour jouer tous les deux dans le jardin avec Bruno, mais aussi la fille de Nicola, Loréa, ils s’entendaient bien tous les trois.
Quand leur maman revient, elle ne les lâcha plus des yeux ou alors, il fallait que quelqu’un de confiance les surveille. Ce fut long avant qu’elle n’accepte de les lâcher un peu mais, c’était normal… il ne voulait plus l’inquiéter comme ce jour-là.
Avec le temps, les jumeaux acceptèrent petit à petit que les gens les appellent « seigneur » ou « Votre Grâce » sans se fâcher, les surnoms étant souvent changés en « petits seigneurs » ou « Petite Grâce », les vrais étaient pour leur papa. Ils ne voulaient pas donner encore plus de travail à leur maman en refusant quelque chose comme ça. Ils devaient être aussi forts que leur papa et leur maman. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas faire autant de chose qu’eux car, ils étaient trop petits mais, ils feraient tout pour être aussi forts qu’eux.
Ils avaient arrêté de compter le nombre de jour depuis que leur papa était dans une boite mais, un jour d’été, ils arrêtèrent de poser de la nourriture pour lui sur la table. Ils avaient compris que Guillaume ne reviendrait pas.
Ce jour-là, les jumeaux passèrent la journée à remplir un petit coffre plein de choses, plein de souvenirs. Ils la remplirent de tout ce qui était important pour eux et leur papa puis, après que leur maman ait aussi mis quelques objets à l’intérieur, ils l’enterrèrent sous les fleurs de potentilles que leur papa aimait tant.
Il y avait des objets et une lettre, pour leur papa, même s’il ne la lirait jamais. Peut-être que Rodrigue et Alix déterreraient la boite un jour, quand ils seront aussi grands que leur papa. Peut-être pas. Ils verraient bien… mais cette fois, ils comprenaient mieux ce qui se passait… ils allèrent ensuite au lac avec leur maman et un dernier repas pour leur papa qu’ils posèrent sur une petite barque. Les jumeaux avaient l’impression que quelqu’un était là, dans le lac tout autour d’eux, alors qu’ils s’avançaient plus facilement dans l’eau que ce jour-là… ils devinèrent qui c’était et lui dirent tous les deux, s’en voulant de ne pas avoir été gentil alors qu’Il les avait sauvés avec leur maman…
« Désolé d’avoir dit que tu étais méchant Fraldarius… on est désolé… merci de nous avoir aidé… »
Rodrigue et Alix sentirent une chatouille sur leurs chevilles dans l’eau, et ils surent que leur ancêtre leur pardonnait de s’être mal comportés. Ils poussèrent alors la petite embarcation en disant, comme ils s’étaient mis d’accord tous les deux.
« Au revoir papa… on se reverra mais, après avoir vu la Déesse… tu seras fier de nous et on sera aussi fort que toi, on te le promet…
Leur maman se baissa alors à leur hauteur, les embrassant tous les deux sur le front alors qu’elle leur promettait.
– Vous vous en sortez très bien. Votre père sera toujours fier de vous, louveteaux. »
****************************************************************
Vus que c'est un peu plus court que d'habitude (enfin, comparé à ce que je peux sortir en ce moment vu que c'est souvent des arcs entier que je pose dessus), petites anecdotes !
-A la base (soit au tout début début), Aliénor ne devait pas être aussi développée ou même existée. Les jumeaux étaient sensés être orphelins des deux parents et être élevés par Ludovic (Nicola n'existait pas encore à l'époque), et ils considéraient ce dernier comme leur père vu qu'ils ne se souvenaient déjà plus de Guillaume (on devait direct passé de l'intro [donc grosso modo l'intro à partir du moment où Ludovic commence à dire ce qui s'était passé avec Guillaume jusqu'à la fin de cette partie] à la partie à GM). C'est qu'après en écrivant l'histoire que j'ai eu plus d'idée autour de leur enfance et de leur mère qu'elle s'est ajouté au lot, notamment en écrivant l'UA "Bye !" où Guillaume et Aliénor sont encore en vie
-quand je me suis dit que leur mère allait s'appeler Aliénor, sa personnalité s'est écrite toute seule car bon, juste le nom la rend badass de base vu la personnalité de l'Aliénor historique
-Ludovic aussi était très différent, c'est même un des personnages qui a le plus changé entre son apparition dans ma tête et ce qu'il est à présent : à la base, cela devait être un jeune roi assez incertain qui s'accrochait beaucoup à Guillaume pour régner car, son père Clovis était incompétent sans être aussi dangereux mais, avait laissé le Royaume dans un sale état, et la mort de Guillaume le forçait à s'affirmer (il l'est encore un peu dans "Bye !" avec des circonstances différentes). Ce n'est qu'en écrivant le reste de l'histoire qu'il est devenu aussi froid et peu expansif, et que Clovis soit devenu un monstre assoiffé de sang que Ludovic met hors d'état de nuire d'un coup d'état, ce qui le rend plus intéressant à mon avis, surtout vis à vis de Lambert dont il est l'opposé.
-Dans la même veine, c'est quand Clovis est devenu un tyran que Ludovic a commencé à être aussi froid : c'est sa personnalité de base de ne pas être expansif sur ce qu'il ressent mais, c'était aussi un système de défense pour rester impénétrable pour Clovis (les deux se tiraient joyeusement des flèches dans les pattes)
-Mettez Ludovic et Byleth dans la même pièce et vous entendrez les mouches volées. J'ai tendance à penser à Byleth quand j'écris Ludovic, ils sont aussi inexpressif l'un que l'autre (au début pour Byleth)
-Lors de l'histoire d'Aliénor au chapitre 1, c'était à la base une histoire sur Kyphon et un loup avec qui il s'était lié d'amitié, qui l'avait suivi partout et dont les descendants continueraient de veiller sur la famille ducale. Cela racontait notamment comment cette louve l'avait protégé des hommes de son père (qui le reconnaissait que parce qu'il n'avait plus d'héritier, tout en le considérant comme une femme alors que c'est un homme trans) alors qu'il accouchait de sa fille et toute la relation entre "la Noiraude" et la petite famille de Kyphon jusqu'à sa mort, ainsi qu'une anecdote de jeunesse de Guillaume et Nicola qui, attaqués par des hommes de Clovis le Sanglant, ont été sauvé par un grand loup noir, et tout le monde est persuadé que c'était un petit de la Noiraude... sauf que ça faisait 9 pages et que ça n'allait pas être exploité plus tard, l'ancêtre le plus mise en avant dans cet histoire étant le Brave Fraldarius de première génération Pertinax. Donc, coupé au montage.
-faudrait que je voie si j'ai pas trop la flemme de le faire vu que c'est un micro-détail mais, je vais peut-être ajouté que Ludovic a les yeux vairons, comme son ancêtre Simplex qui a l'oeil gauche de Pertinax après qu'il ait été crevé. ça pourrait ressortir de temps en temps, et pour Ludovic, ça pourrait faire ressortir son lien avec les Fraldarius.
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lilias42 · 1 year
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Les différents types de magies dans l'univers de Fodlan
Bon ! Etant donné que ça commence à faire beaucoup de types de magie différents, je crois que je dois faire un billet pour faire le point et aider les gens à s'y retrouver (et me faire un petit pense-bête au passage) car bon, y en a une par endroit... ah ! Faudrait que je vous explique pourquoi il y en a autant je crois... ça sera plus logique.
En fait, je pars du principe que la magie est un élément culturel, technique, martial... comme un autre et donc, qu'elle évolue différemment selon l'endroit où on est et les différences influences. Dans cette optique, toutes les magies évoluent différemment selon les contextes géographiques, culturelles, techniques, l'époque... et donc, chaque pays a une magie différente ! Alors, pour s'y retrouver, voici ce "petit" (logiquement, ça aurait dû l'être) billet ! Je listerais donc les différents types de pratiques magiques selon les différents lieux, mise à part pour le premier paragraphe car on va voir leur ancêtre.
Attention !!! Ce billet est à 99% de la fanon !
Ce n'est pratiquement pas canon à part quelques points sur lesquels je m'appuie pour imaginer et développer la magie des différents endroits du monde de Fodlan ! Ne prenez donc pas ça comme base pour étudier la magie de Fodlan ! Ce serait comme utiliser Astérix pour étudier la période post guerre des Gaules !
(comme toujours, suite sous la coupe)
On va commencer dans l'ordre chronologique et avec l'une des premières formes de magie apparue : la sorcellerie. C'est un peu le point particulier car, c'est l'ancêtre de la magie actuelle dans le jeu ! J'en ai déjà parlé dans mes billets sur l'époque des Braves mais, c'est une pratique qui consiste à prendre la magie présente dans l'environnement, la passer dans le corps et la modeler selon qu'on désire avec, la seule limite étant l'imagination et l'audace du sorcier... à première vue. Son utilisation première est très souvent utilitaire car, elle peut permettre de manipuler son environnement pour le rendre plus facilement habitables et cultivables, et que la survie du peuple était la principale priorité à ce moment-là. Il n'y a pas de manière standard d'en faire, chaque sorcier a sa pratique de la sorcellerie qui lui est propre et adapté autant à son corps, sa pratique et sa résistance, qu'à ses objectifs, ses besoins et ceux de son peuple, ses priorités, voir à son caractère. Un emploi militaire est également possible quand le camp d'en face n'a pas de sorcier dans ses rangs mais, en raison de sa trop grande puissance et de son potentiel quasi infini si vous résister à l'entrainement, deux sorciers ne s'affrontent jamais car, il y a de grandes chances pour que leur confrontation mène la destruction totale du champ de bataille où ils s'affrontaient, et les effets de la sorcellerie peuvent le rendre inhabitable sur plusieurs siècles. Les résultats peuvent être très impressionnants et durer dans le temps, parfois sur plusieurs siècles ou modifier l'environnement de manière définitive.
Exemple : le lac Egua de Fraldarius est toujours pur et son eau saine car, le Brave Lucius Fraldarius Pertinax, sorcier lié à l'eau, a travaillé toute sa vie pour la rendre buvable pour son peuple, c'est même la raison pour laquelle il a commencé la sorcellerie. L'eau est toujours pure des siècles après et a des propriétés réputées curatives, notamment pour les personnes descendants du Brave.
Exemple : les peuples de Daphnel, Gloucester et Charon pensaient en voyant Ailell pour la première fois que deux sorciers s'étaient affrontés à cet endroit, un de feu et l'autre maniant la terre, d'où la création de cette plaie béante en Fodlan remplie de lave et inhabitable alors que les terres autour sont plus ou moins fertiles et cultivables.
Donc, la sorcellerie peut permettre de provoquer de véritables miracles ou des calamités selon comment elle est utilisée. Cependant, elle est très peu pratiqué à cause de sa dangerosité : en effet, même si dans mon idée, le corps des habitants de ce monde produit de la magie, la sorcellerie s'appuie surtout sur la magie présente dans l'environnement qui passe dans le corps, ce qui peut être extrêmement brutal pour le corps du pratiquant, en particulier au début. Le corps doit arriver à supporter le passage de la magie, ce qui occasionne une pléthore d'effet secondaire, qui vont du crachement de sang à l'hémorragie interne, les organes qui fonctionnent mal ou plus, perte temporaire ou définitive de mobilité...
Exemple : en apprenant à parler le langage des animaux, Gautier a souvent eu la gorge et les oreilles a vif et ne pouvait plus entendre ou parler pendant de longues périodes. Idem, quand il a commencé à apprendre à se métamorphoser en animal, ses os craquaient à chaque fois qu'il changeait.
Déjà, vous avez une bonne partie des apprentis sorciers qui meurent avec les premiers effets de la magie en eux. Et ça, c'est sans compter un autre effet de la magie : en passant dans le corps, si on arrive à résister, le corps va se modifier afin de mieux résister à cette énergie, ainsi que pour mieux la canaliser, surtout qu'elle est de plus en plus présente dans le corps. Cela provoque alors la pousse de ce qu'on appelle les "fiertés", des excroissances en tout genre qui reflètent le type de sorcellerie et les spécialités du sorcier. Elles sont nommés ainsi car, les sorciers en sont très fiers en règle générale et elles sont la preuve vivante de leur puissance, ainsi que la manière dont vous pratiquer la sorcellerie et parfois de votre personnalité.
Exemple : Blaiddyd Simplex a appris à manier la glace et le froid avec une flute au début alors, ses fiertés ressemblent à des cristaux gelés qui recouvrent toute sa gorge au départ et qui suit le passage de l'air, avant de se répandre sur le reste de son corps.
Exemple : Gonerilè, dite "Metaheta" a développé une grande force afin de défendre son village contre "la chasse aux humains" des agarthans, que ce soit en se battant, ou en construisant des fortifications, ou en l'entourant d'un labyrinthe complexe en modifiant son corps et sa taille plus tard ; ces fiertés sont des veines d'énergie qui souligne sa grande force, mais aussi des yeux qui ont poussé tous son corps en témoin de sa peur des agarthans et de sa paranoïa vis-à-vis d'eux, notamment car une de leurs ruses pour rentrer dans les villages, c'est de voler la peau d'un habitant pour se faire passer pour lui puis, faire un carnage dans le village où il a pu rentrer grâce à cette peau. Elle devait donc être en alerte en permanence et faire attention au moindre détail (c'est surement elle qui a inspiré la légende d'Argos, le géant aux cents yeux, en plus de quelques autres légendes, surtout que c'est une des plus anciennes sorcières connues, voir une des premières, et au moins la première en terme de puissance)
C'est aussi le deuxième gros choc pour le corps étant donné que leur pousse est très douloureuse et énergivore, ce qui achève la plupart des pratiquants qui n'arrivent pas à endurer la douleur des nouveaux organes et excroissances qui poussent dans leur corps. De plus, à ce stade, si les fiertés commencent à vraiment pousser, vous ne pouvez plus arrêter la sorcellerie car, votre corps a besoin de la magie que vous utiliser pour fonctionner correctement. On ne peut faire marche arrière vraiment que quand les toutes premières fiertés commencent à pousser et là aussi, ce sera long. Mais si vous continuez puis, que vous arrêtez de pratiquer la sorcellerie quand vous avez de vraies fiertés, arrêter provoquera aussi la mort.
Cependant, si le pratiquant survit à tout cela, il obtient une puissance hors normes, capable de provoquer de véritables miracles grâce à sa sorcellerie. Le sorcier devient aussi une véritable armée à lui tout seul grâce à cette force, même si les sorciers ne s'affronte jamais entre eux, histoires de ne pas rendre les terres inhabitables.
Exemple : dans les cités d'où viennent Charon, Riegan et Goneril, les règles de la guerre juste (polemos) ordonne que les sorciers ne doivent pas participer au combat, autant quand ils sont des deux côtés que quand un seul des belligérants en a un ou plusieurs dans ces rangs. Dans le premier cas, car c'est trop dangereux et destructeur, et dans le deuxième, car cela rendrait la compétition entre la cité injuste en offrant la victoire au camp des sorciers sans même avoir à combattre.
Le corps des sorciers devient également nettement plus résistants aux blessures, la maladie... et sa régénération est bien plus rapide. Par contre, attention, si l'élément que maitrise le sorcier est sensible à quelque chose, lui aussi le deviendra car, il sera principalement composé de cet élément à un certain stade. Son espérance de vie est également rallongée et le processus de vieillissement ralenti en contrepartie. Un sorcier bien entrainé peut vivre plusieurs centaines d'années, voir plus d'un millénaire en conservant sa jeunesse pour les plus puissant. Leur esprit s'adapte aussi en conséquence, même s'ils restent des humains qui ont besoin de vivre en groupe pour garder leur santé mentale aussi intact que possible même si souvent, à cause de l'accumulation d'expérience qu'ils ont vécu et de personnes qu'ils ont rencontré comparé à la durée de leur vie, ils sont paradoxalement en avance sur leur temps car, ils ont eu le temps de réfléchir à plus de choses et avec un angle plus de spectateur qui voie les choses défiler à toute vitesse, surtout qu'ils sont eux-mêmes hors de la norme la plupart du temps.
Exemple : j'aime bien m'imagine que Riegan (Kelon pour l'instant, la foudre en grec ancien mais, ça peut changer) a pris l'habitude d'aller discuter avec les jeunes sorciers qu'il rencontrait et tenter de les convaincre de se parler plutôt que de se battre, en particulier après qu'il ait participé à l'équivalent de la guerre de Troie qui l'a dégouté de la guerre (faut dire, ces deux frères y sont morts et quand il est rentré chez lui après dix ans de guerre, sa famille s'était tellement endetté que son père a dû vendre ses filles, son fils restant, puis sa femme et enfin lui-même pour les payer, l'esclavage pour dettes étant légal, et ils sont tous morts quand Riegan revient). Il est d'ailleurs devenu ami avec Pyrkaïa dite Charion ("appartient à Charon", le passeur des morts) car, tous les deux restaient en retrait quand leurs cités se combattaient, surtout qu'eux mêmes n'étaient pas d'accord, même s'ils ne pesaient rien dans la décision finale (Kelon car il est une voix parmi tant d'autres à l'assemblée des citoyens, même si on prend plus en compte son avis quand on utilise son pouvoir, Pyrkaïa parce qu'elle est une femme en âge d'être mariée dans l'équivalent de Sparte et qu'une femme ne devrait pas maitriser la sorcellerie mais, c'est la seule qui a survécu et elle n'est pas du genre à se laisser marcher dessus alors, on fait avec)
D'ailleurs, en parlant de Pyrkaïa, une notion très importante est le consentement : tout doit être consenti en sorcellerie, et le sorcier doit tout payer eux-mêmes, pas les autres. S'ils veulent s'améliorer en sorcellerie, ils doivent en payer le prix eux-mêmes et ne pas prendre la vie ou la force vitale des autres pour ça. D'ailleurs, forcer quelqu'un à devenir sorcier ou le faire par devoir revient pratiquement à condamner la personne à la mort car, soit il le fera car on l'aura choisi, et pas parce qu'il a choisi de faire de la magie. C'était d'ailleurs le cas de la cité de Pyrkaïa : les citoyens de sa cité ont vite compris qu'un sorcier était un avantage militaire certain, surtout que l'un d'entre eux l'est devenu pour ça mais, quand ils ont tenté de faire en sorte que plusieurs de leurs jeunes deviennent des sorciers pour servir leur cité, cela n'a conduit qu'à la mort car, ils ne sont pas devenu sorcier parce qu'il le voulait. La seule à avoir réussi à devenir une sorcière, c'est Pyrkaïa car elle, elle voulait servir sa tribu, mais aussi et surtout parce qu'elle le voulait, elle avait la volonté de le faire et le bon état d'esprit. Elle-même pense que si elle a survécu, c'est parce qu'elle avait assez la niaque pour devenir une sorcière alors qu'on lui avait interdit de l'être car, elle était une périèque (soit une famille de libre mais, qui n'avait pas les mêmes droits civiques que les homoioï à Sparte) et une femme.
Par contre, par conséquence, si le sorcier force quelqu'un à servir d'intermédiaire, de carburant ou autre à sa magie, ou force quelqu'un pour sa sorcellerie, il en subira les conséquences physique et mental.
Exemple : aveuglé par la haine d'une "créature de feu" qui a chassé son peuple de sa ville, Sextus Gloucester Gravis (pour le moment) a décidé de devenir sorcier afin de se venger et de récupérer leurs terres. Dans son désir de devenir plus fort que ce monstre enflammé et trouvant qu'il ne progresse pas assez vite, il va tenter d'utiliser la force vitale et magique d'un animal mais, cela le frappe d'une malédiction qui le prive de force (il peut à peine porter des vases légèrement lourds), il a dû mal à marcher et se déplacer sans une canne (déjà que le fait qu'il soit un sorcier de la terre n'aide pas mais là, c'est encore pire) et même visuellement, une partie de sa peau de son côté droit est tombé et révèle maintenant ses muscles et son squelette de métal, notamment sur son visage où il lui manque toute la partie droite à part son oeil dans son orbite. Si Riegan n'avait pas été dans le coin et aider à survivre en rendant son énergie à l'animal sinon, Gravis y serait resté. Il n'a pas tué l'animal, il n'a même pas utilisé toute l'énergie ou voulu le tuer, juste lui prendre un peu d'énergie pour l'utiliser pour lui-même et voir s'il pouvait le faire mais, la sorcellerie ne l'a pas loupé et il en a subi les conséquences, amplifié par le fait que c'est la haine qui a motivé son action. Il ne retrouvera une partie de sa santé physique que quand il se sortira de ce cycle de vengeance et commencera à utiliser ses pouvoirs pour le bien commun, notamment en utilisant ses pouvoirs pour fertiliser les sols de son peuple (et ceux de ses voisins Riegan et Daphnel, quand ils essayeront d'éviter que leurs peuples s'entretuent notamment en faisant en sorte que tous aient ce dont ils ont besoin [soit de bonnes terres] en mettant leurs sorcelleries en commun, même si Gloucester et Daphnel ne peuvent pas s'encadrer et leurs trois peuples avec des traditions et des cultures aussi très différentes les unes des autres encore moins)
Enfin bref, la sorcellerie, c'est très varié, unique à chaque sorcier qui développe la sienne selon ses talents et ses objectifs, avec un pouvoir assez puissant capable de provoquer des miracles incroyables. Mais en même temps, c'est extrêmement dangereux et imprévisible, et elle a provoqué beaucoup de mort parmi ses pratiquants alors, elle a été progressivement abandonné au fur et à mesure au profit de la magie moderne qui est surtout basé sur la magie nabatéenne à qui elles ressemblent beaucoup, tout en ayant quelques inspirations de la sorcelleries (comme les personnes qui ont des affinités avec des éléments différents [comme par exemple Annette qui manie que de la magie de vent, Linhardt le vent et le feu, Sylvain le feu, Félix la foudre...]).
Pour la magie de Nabatéa et de Fodlan, je passe assez vite car, on la voie dans le jeu et qu'elles sont assez proches, la magie fodlan étant directement hérité de la magie de Nabatéa. Tout le monde peut en faire sans trop de danger, chacun a les capacités d'apprendre la magie même si chacun a une maitrise plus ou moins facile.
Il faut cependant être doué en mathématiques et en sciences afin de savoir comment la magie va réagir et provoquer au combat. C'est d'ailleurs comme ça que j'explique les talents et faiblesse en Raison (en plus de l'histoire que les emblèmes aident qu'on voie dans le soutien d'Hanneman et d'Alois) : la plupart des personnes ayant une faiblesse dedans sont des personnes qui privilégies l'action à la réflexion (comme Félix avant son évolution [plus ma théorie perso qu'il n'aime pas pratiquer la magie car, c'est ce en quoi son père est doué et qu'il ne veut pas lui ressembler, d'où le talent caché], Caspar et Catherine) ou moins éduqué ou ayant reçu une éducation potentiellement moins poussé (Ashe, Raphaël, Cyril, Alois). Je suppose aussi qu'en plus, il y a aussi des différences culturelles dans la pratique de la magie pour Petra et Cyril. Avec ceci pour ses deux-là, il faut ajouter des difficultés avec la langue qui s'accentue quand on travaille sur quelque chose de plus pointues, et je vous donne ma parole que quand vous travailler sur des sujets un peu pointues ou qui demande un peu de maitrise, en maitrisant mal la langue du texte que vous lisez, même avec un traducteur, vous allez galérez même si vous connaissez votre sujet. Vous comprenez plus par anticipation car, vous savez ce que vous aller trouver dans l'article (et c'est pour ça que c'est stupide de mettre tous les articles scientifiques en anglais je trouve car bon, c'est pratique une langue véhiculaire mais, tout le monde ne parle pas cette langue mais je m'égare).
Et si c'est pas ça, il faudra m'expliquer pourquoi Dimitri est mauvais en raison alors que c'est un des persos qui réfléchit le plus et qui cherche constamment à comprendre les autres, à part le fait qu'il ait des difficultés en science (et si vous me dites à cause de son état mental, on va pas être copains vu qu'il s'en sort finalement alors, il faudrait que ce soit un talent caché pour que ça reflète son état mental qui s'améliore). D'accord, il fonce aussi dans le tas comme à Merceus mais, parce que ça marche et que c'est plus sa manière de faire... et ça permet de ne pas faire doublon avec Claude qui est le spécialiste des tactiques hors-normes. Claude d'ailleurs a aussi une neutralité alors que lui aussi n'arrête pas de réfléchir et qu'il est sans doute un des personnages les plus intelligents de toute l'histoire alors, à part qu'il ait encore quelques difficultés à déchiffrer certains passages des livres de magie (et le fait qu'il aurait été trop OP s'il avait eu un talent en plus) ce n'est pas très logique au sein même de l'histoire où les personnages intelligent comme Sylvain ont justement le talent caché "raison". Et pourquoi - POURQUOI ?! - Delagarde est la seule des trois à avoir un talent dedans ! Delgarde ? Sérieusement ? Le personnage qui ne cherche jamais plus loin que son nez, prend tout ce qu'elle sait pour la vérité absolue car elle, elle le sait, qui a toujours raison, et ne cherche jamais la vérité ? C'est pas du tout une pensée scientifique rationnelle sauf si vous voyez la recherche et la science que comme un moyen d'être plus puissant, et non un moyen d'aider les autres en en apprenant plus sur le monde (ou alors, ils ont pris la définition sociologique de la bêtise pour elle : c'est quand on s'enfonce trop dans sa croyance au point de tout faire selon elle et sans réfléchir autrement qu'on est bête, même si on est très intelligent tout du moins). Comment elle peut être doué en Raison ?! On peut également un peu faire ce reproche à Dorothéa et Hapi même si là, on peut dire que ça colle à son archétype et que c'est un peu la manière de se défendre qui est la moins chère vu que la magie vient du magicien, et que la première l'a travaillé pour se défendre à l'opéra, là où la deuxième est une valeur plus aberrante à cause des expériences qu'elle a subies.
A cause d'une fanon que j'ai sur la famille Charon (soit le plus grand clan familiale de tout Faerghus, ainsi que tout Fodlan vu qu'on est sur une génération de parents qui regroupe une fratrie de douze, des petits-enfants qui sont encore plus nombreux, et un matriarcat assumé [Cassandra prend le nom de sa grand-mère Catherine qui était une excellente femme d'Etat et de justice respectée de tous, et si elle parle surtout de son père dans le jeu, c'est que de mon côté, sa mère - et fille de la matriarche Charon - Myrina est morte à Duscur car il fallait bien que quelqu'un de chez eux y aille en plus de Kimon, le diplomate en chef du Royaume, qui est obligé d'y aller et étant le petit dernier de la fratrie - et un peu considéré comme le bébé de ses grands frères et soeurs - ses ainés ne pouvaient pas le laisser partir tout seul alors, Myrina - comtesse en titre et meilleure combattante de sa fratrie - a décidé de l'accompagner]), Catherine a un frère paraplégique de naissance qui se déplace en fauteuil roulant, Théophylacte, dit Théo. C'est un excellent juriste (au point que dans CF, c'est lui qui porte l'accusation et la voix des victimes de Delagarde pendant son procès) et un érudit spécialisé sur les Braves et leurs histoires au sens archéologique et historiques du terme, il va plus loin que les textes, même s'il a parfois du mal à cause de ses jambes qui sont complètement paralysées. J'aime bien me dire que les personnes comme lui ont mis au point une forme de télékinésie afin de faciliter leur quotidien. ça marcherait comme la magie offensive qu'on voie en jeu mais, ça aurait principalement une utilisation pratique et assez facile à apprendre.
Cela augmente aussi le "taux" (faute d'un meilleur mot) de magie dans le corps alors, un magicien expérimenté risque d'avoir mal s'il s'arrête trop brusquement de pratiquer, la magie en lui ne s'évacuera plus très bien. Cependant, contrairement à la sorcellerie, on peut arrêter, il faut juste faire gaffe à ne pas arrêter trop vite afin de laisser à son corps le temps de s'habituer, même si un arrêt vraiment brutale peut rendre très malade et dans les cas les plus extrêmes, conduire à la mort.
Exemple : Une scène coupée de CF était Rodrigue qui venait au chevet de Félix car, il a décidé d'arrêter de faire de la magie pour ne plus ressembler à son père mais, comme il l'a fait trop brusquement, son corps réagit mal. Cela a été coupé car sinon, ils se seraient réconciliés quand Félix se rend compte d'à quel point son père tient à lui quand il revient de la capitale pour s'occuper de lui (il a juste eu très peur que son louveteau meurt aussi), et ils auraient eu le temps de discuter (et Rodrigue l'occasion de dire d'où vient le fameux "il est mort comme un vrai chevalier") Donc, scène jamais écrite.
Cependant, tout ceci se paie par le fait qu'elle peut être considéré comme assez faible par rapport aux autres formes de magie, en particulier la sorcellerie. Montrer un sort de feu, aussi puissant qu'il soit, à Pyrkaïa, elle va ne pas vous croire si vous lui dites que c'est la plus puissante attaque de flamme au monde car, c'est une magie de base pour elle, là où elle peut manier la chaleur, le feu, résister aux flammes, dégage une chaleur de plus en plus intense qui peut faire fondre pratiquement tout et n'importe quoi et peut s'enflammer elle-même. Idem pour Riegan : quand t'as un type capable de manipuler la météo, d'apaiser les tempêtes tout comme en provoquer afin de nourrir ses champs et protéger les bateaux de sa cité, dont la magie est assez puissante et présente en lui pour avoir fait pousser des ailes dans son dos, il ne va pas comprendre ce qu'il y a de si incroyable dans une Fulguration. Mais même si on le paye par une puissance de feu plus faible, qui force à travailler en bataillon et à plusieurs pour faire de gros dégâts à la manière d'un bataillon d'archer, mais au moins, c'est la moins dangereuse de toutes et la plus accessible au plus grand nombre.
A Shambhala, on a une magie très différente et qui est à l'opposée de la sorcellerie sur plusieurs points. En effet, si la sorcellerie est basé sur le consentement, le dépassement de soi-même en payant seul le tribut de sa magie avec le corps qui encaisse tout, et qui devient petit à petit de provoquer des miracles si elle est bien utilisée avec un but utilitaire, tout en étant unique à chaque sorcier qui l'adapte à lui, ses pratiques et son environnements, avec des pratiques très différentes d'une personne à l'autre, la magie des Agarthans est bien plus tourné vers l'utilisation militaire et n'a aucun scrupule à utiliser la vie des autres pour l'améliorer, tout en étant très formalisé et rigide, on ne sort pas du cadre. L'utilisation de combustible animal ou humain est monnaie courant et souvent même la base de plusieurs sorts puissant. Si Gravis avait utilisé la magie agarthan, il aurait encore son corps en entier... pour un temps. Cependant, rien de positif ne peut sortir de cette magie qui utilise la vie d'autrui pour fonctionner. Sa manière d'être mise en oeuvre crée trop de souffrance pour donné quoi que ce soit de positif.
Exemple : Lamine (j'ai pas encore son prénom / surnom définitif, mais elle sera peut-être dace ou germaine, à voir) est empoisonné jusqu'au plus profond d'elle-même, corps et sang (au point qu'elle a vécu une bonne partie de sa vie seule car, juste être à côté d'elle était dangereux parce qu'elle exultait du poison sans s'en rendre compte, sauf si elle se concentrait assez pour le retenir en elle) car, elle a bu beaucoup de poisons et de venin divers pour renforcer son corps quand elle aspire la maladie et le venin des autres pour les soigner. Elle a fait la même chose en se brisant ses propres os pour s'entrainer à soigner les fractures ou les plaies ouvertes. Guérison et poison sont les deux faces d'une même pièce et elle devait connaitre l'un pour faire l'autre alors, elle a appris les deux afin de soigner le plus efficacement possible les membres de son peuple. C'est elle qui a payé le prix de ses recherches et elle n'a fait souffrir personne d'autre qu'elle-même, et sa sorcellerie de guérison permet de soigner tout et n'importe quoi jusqu'au blessure mortelle et les maladies incurables. Si elle provoque un mal ou un bien, c'est une décision de Lamine de ce qu'elle veut faire de son pouvoir. Elle utilise aussi sa voix comme véhicule de sa magie, ou alors sa cuisine car, ce sont des choses qu'elle aime faire. Ce n'est pas une pratique très physique car, ce n'est juste pas son truc. En face, un agarthan vole la substance vitale d'un autre pour la donner à un blessé mais, le sort le corrompra un peu le lanceur et encore, c'est assez rare qu'ils soignent. La plupart du temps, il vole plutôt l'énergie vitale de quelqu'un pour s'en servir comme carburant à leur magie. La plupart du temps, cela plutôt l'effet d'aggraver l'état de l'autre. Il y a également une procédure à suivre à la lettre qui efface toutes les spécificités de l'individu afin de le faire rentrer dans un moule, même si cela rend la pratique de cette magie très rigide et c'est elle qui plie son environnement à elle plutôt que l'inverse.
Ils sont donc passé maitre en magie obscure et causant des ravages à tout ce qui les entourent, notamment pour trouver du carburant. Etant donné que les agarthans ont un gros complexe de supériorité envers les humains (Solon appelle les humains "d'insignifiantes bêtes sauvages" et Kronya de "monstres" et de "créatures inférieurs" alors bon, ils s'en cachent pas...), ils n'ont aucun problème à utiliser des humains comme base de leur sort ou comme cobaye pour tester des sorts, humains qu'ils chassent sans vergognes. C'est pour cela qu'ils sont passé maitre dans l'art de transformer des personnes contre leur volonté en bête démoniaque ou tout ce qui touche au corps et à ses transformation (implantation d'emblème simple ou double). Les agarthans jouent vraiment aux dieux et feront tout pour les dépasser alors, modifier ses créations pour les "améliorer" ou les modifier est un bon moyen de se donner l'illusion d'être l'égale des dieux. Il peut parfois y avoir de bons côtés mais, c'est exceptionnelles et vraiment l'exception qui confirme la règle, et il y a toujours des effets secondaires négatifs. La plupart du temps, leur magie détruit le corps et n'a aucune limite dans l'horreur.
Exemple : c'est une autre histoire que je n'ai jamais publié (même si j'en ai déjà parlé ici ou par-ci, par-là à l'occasion - même si ça gâche l'idée de base si je la publie un jour vu que tout le truc, c'était qu'on ne connaissait pas l'identité du héros même s'il y avait de gros indice) mais une de mes premières fic sur Fodlan était basé sur l'idée que Glenn ne mourrait pas à Duscur mais, était récupéré par les agarthans (Pan plus précisément). Pour le maintenir en vie, Pan le transformait en simili-cyborg en mécanisant une grande partie de son corps qui avait été détruit par la Tragédie. En soit, c'est une bonne chose mais, c'est également à double tranchant car, il doit boire un sérum concentrant de la magie toutes les semaines puis mois pour survivre, afin de remplacer les fluides qu'il ne peut plus fabriquer lui-même et faire fonctionner ses prothèses (et après avoir relu, j'avais mis entre les lignes que la composition de ce sérum était en fait à base d'autres êtres humains, même si je pense que je ne reprendrais pas ce point si je reprend cette histoire). De plus, de base, ce n'était pas par charité s'ils l'ont sauvé : pour Pan, peut-être un peu vu qu'il a commencé à développer ses émotions au contact de Loog et de ses compagnons, et que Glenn ressemble assez à Kyphon pour lui rappeler son vieux compagnon mais, il ne se l'avoue pas encore à lui-même (déjà qu'il est l'original de service à Shambhala à cause de son tempérament joyeux et un peu foufou dans ce monde-là). Ces émotions sont encore à un état embryonnaire après autant de temps séparé des personnes qui l'encourageaient à les développer alors, la raison qui prime pour l'avoir sauvé était plutôt d'arriver à faire l'exploit de pratiquement ressusciter quelqu'un, ce que même la Déesse ne fait pas.
C'est simple, ce genre de magie n'apporte jamais rien de bon et finit toujours par exploser à la figure de ceux qui la manie. Le corps a d'ailleurs beaucoup de mal à la supporter, elle a tendance à dévorer l'utilisateur de l'intérieur comme de la corruption, ce qui finit par son autodestruction interne, que ce soit physique ou mental. On pourrait comparer ça à de la corrosion sur du métal, ou à de la pourriture qui dévore petit à petit une personne. Pour tenir la pression, il faut soit y être baigner depuis tout petit pour s'habituer à la corruption et vivre avec (c'est le cas des agarthans de sang), soit être conditionné avec un entrainement spécial (Hubert notamment est dans ce cas, et surement Jéritza aussi) ou alors avoir subi des expériences (Lysithéa, Hapi et Edelgard). Toutefois, la corruption reste et dévore petit à petit le corps sans que l'utilisateur le remarque. Pour un agarthan, ça va, ils sont très peu sensibles à cette corruption et peuvent vivre sans problèmes avec. Mais pour un humain, sa santé se détériorera bien plus vite et il mourra plus jeune. Pas au point de Lysithéa mais, l'espérance de vie est facilement divisé par deux ou plus pour quelqu'un comme Hubert par exemple. Par contre, vous n'êtes pas dans ces trois catégories, vous allez autant regretter d'avoir tenté de l'utiliser que si vous aviez tenté de faire de la sorcellerie : la magie attaque l'ennemi mais, comme la sorcellerie quand on tente d'utiliser la vie de quelqu'un d'autre pour alimenter son propre pouvoir, elle attaquera aussi son manieur et le blessera. Là, ce sont des brûlures diverses à des organes et des os qui pourrissent selon le sort.
Les agarthans peuvent également infuser leur magie noir dans des objets comme des marionnettes géantes. C'est le cas des Titanus mais, ce n'est pas eux qui ont mis au point les pantins de base. Il s'agit de technologie nabatéenne qui a été détourné : à la base, les Nabatéens leur ont donné des golems afin de les aider à cultiver les champs et à nourrir leur population mais, les agarthans ont détourné les golems avec leur magie pour en faire des armes de guerre leur obéissant à eux seuls. Ils peuvent également gorgé des récipients spéciaux de métal de magie pour créer des bombes très puissantes qui détruisent tout sur leur passage : c'est le cas des Epieux de Lumière, qui sont les versions les plus puissantes de ses bombes, même s'ils sont extrêmement longs et compliqué à fabriquer alors, les agarthans en ont un nombre très limité et ne les utilisent qu'en case d'extrême urgence (si on essaye de trouver un sens à ses missiles qui débarquent comme un cheveu sur la soupe dans cette histoire). Pour ma part, je pense que ce serait plutôt des objets à poser quelque part puis, il suffirait d'attendre que cela saute après une durée x, à la manière d'un explosif traditionnel et qui laisserait des traces de corruption sur une très longue période. Ailell aurait été créé à cause d'une importante quantité d'explosif magique, que les agarthans auraient fait sauter pour un, voir ce que ça provoquerait je ne sais pas combien de kilos de magie noire qui explose en même temps, et de deux, voir à quel point ils peuvent détruire et façonner dans la destruction leur environnement. Pour les désamorcer, il faut absorber la magie qu'elles contiennent ou au moins la disperser mais, c'est très dangereux pour le corps encore une fois alors, c'est à ses risques et périls.
Pour leur magie, j'ai essayé de faire un pendant très négatif de la sorcellerie, avec une magie qui semble plus facile à première vue (c'est pas toi qui prend cher quand tu l'utilises, c'est les autres) mais, qui est bien plus insidieuse et n'amène rien de bon, là où la sorcellerie est certes très rude d'entrée de jeu mais, si tu survis, tu peux vivre avec et provoquer plus de miracles que de catastrophes si c'est la bonne personne qui la manie.
Pour Sreng, c'est une magie assez différente qui fonctionne grâce à des tatouages. Leur magie est également un dérivée de la sorcellerie mais, eux, ils ont trouvé comme moyen d'éviter que la magie pénètre dans le corps, le modifie trop et provoque trop de dégâts internes, ils ont gravé des veines de peintures sur leur peau, afin que la magie passe par-là plutôt qu'à l'intérieur d'eux. Les magiciens sont donc couverts de tatouages de runes, fait à partir d'une encre particulière dont la préparation est précieusement gardée secrètes en Sreng. Un des sorts les plus communs est une marque de rune fait sur les mains qui permet de rappeler son arme par exemple. Son champ d'utilisation est cependant plus large que la magie fodlan qui est plus élémentaire, comme avec le coup de l'arme qu'on rappelle. Elle peut également permettre de renforcer les sens ou d'autres utilisations varié selon les besoins de l'utilisateurs.
Exemple : les espions ont souvent des tatouages renforçant leurs sens comme la vue et l'ouïe afin de faciliter leur mission, la mère de Sylvain, Fregn.
Exemple : les personnes chevauchant les valravens (des créatures volantes mi-loup, ni-corbeau directement inspiré de la mythologie danoise, et qui dans la légende, est né des corbeaux des champs de batailles qui ont mangé le coeur d'un enfant) ont un tatouage permettant de retomber sur ses pieds et sans se blesser, quand ils tombent de selle dans les airs. Les espions peuvent aussi l'avoir afin de sauter du haut des murailles et s'échapper s'ils se font repérer.
Les tatouages peuvent également évolué selon les progrès du sorcier, en devenant plus complexe et permet de transporter plus de magie. Par exemple, je pense que les srengs pourraient être capable de se transformer en animal mais, cela se ferait par étape :
1- un tatouage simple qui fait la silhouette de l'animal qui donne les capacités de la bête en question au début (sens, force...), en général dans le dos afin d'avoir de la place d'ajouter des détails pour plus tard
2- toute une série d'étape intermédiaire où le tatouage se complexifie, alors que le magicien peut de plus en plus prendre la forme et les capacité de sa bête (par exemple, le développement de l'organe de Jacobson afin de vraiment sentir les phéromones)
3-l'étape finale est quand le tatouage est complet, adapté à la personne qui le porte et qu'elle peut se transformer entièrement en animal sans qu'on puisse le distinguer d'un vrai. La seule différence est justement la présence du ou des tatouages, et le fait que ce soit dans le dos permet de les identifier plus facilement si on regarde sous la fourrure, bien que ce soit en grande partie caché. Ceux qui ne sont pas espion et spécialisé dans l'infiltration ajoutent souvent un tatouage sur leur visage afin qu'on les identifie comme humain sans qu'ils aient à parler et éviter les accidents, de chasse notamment.
Par contre, étant donné que c'est vraiment des sorts complexes et que c'est une magie délicate, en règle général, les métamorphes ne maitrisent pas d'autres sorts pour ne pas brouiller leur magie.
De plus, étant donné que ce sont des tatouages, les srengs peuvent les appliquer sur d'autres être vivants afin de créer un lien entre deux entités. Cela peut être très utile en cas de guerre et de raids, surtout que les srengs sont des spécialistes de la guerre psychologique, notamment avec leur habitude d'infiltrer les villes qu'ils visent afin de savoir si c'est une bonne cible à attaquer pour avoir du blé. Ils vont donc faire en sorte de faire stresser leurs ennemis et les pousser à ouvrir les portes pour récupérer ce qu'ils veulent puis se barrer en vitesse avant que la garde arrive.
Exemple : la reine Thorgil le Kaenn (soeur de Fregn et donc tante de Sylvain) a un tatouage autour de l'oeil qui lui permet de voir par les yeux de son corbeau, afin d'espionner discrètement elle-même ses ennemis et leur mettre de bon taquet de pression en étant courant de détail qu'elle ne devrait pas connaitre. Exemple dans l'exemple, j'écris un peu de temps en temps (même si ça avance pas vite vu que je bosse sur plusieurs histoires en même temps) une histoire alternative où les Fraldarius et les Charon laissent tomber Lambert devant la folie qu'est le voyage en Duscur, et Fregn prévient ses soeurs que le roi est indigne de respect et donc, pour un sreng, les traités avec lui ne tiennent plus car ça les pousseraient à trop le respecter (et donc s'insulter eux-mêmes). Ses soeurs et une bonne partie de Sreng descendent donc vers Fhirdiad et assiègent la ville le temps de trouver un moyen de piller tout le blé qui s'y trouve et d'imposer un nouveau rapport de force. Fregn fait bien son boulot d'espionne donc, elle sait qu'Areadbhar est enfermée dans un coffre au lieu d'être sur son présentoir, et que Lambert et Rufus l'ont fait ensemble car, d'après ce dernier, "elle ne sert vraiment à rien au final" mais, elle n'arrive pas à savoir pourquoi. C'est grâce au corbeau de Thorgil que les srengs savent que c'est parce que la Relique rejette Lambert qui n'écoute plus que ceux qui vont dans son sens et lui gèle les doigts en conséquence, l'oiseau s'étant posé près de sa fenêtre et attendu de voir ce qui allait se passer. Alors, évidemment, ça fait "oeil qui voie tout et sait tout (et bordel, comment ils peuvent être au courant ?!)" quand elle lui lâche discrètement la bombe pendant les négociation.
Exemple : toujours afin de faire la guerre psychologique à l'adversaire, quand ils ont un prisonnier ou un chef ennemi qu'ils doivent exécuter, ils vont discuter bruyamment aux portes de la ville de la manière horrible dont ils vont le mettre à mort, le tout dans la langue de l'ennemi pour qu'il comprenne ce qu'ils racontent, et souvent notent qu'ils ne donneront comme tombe à leurs ennemis que le ventre de leur valravens. Ils attendent aussi que le condamné à mort parle, afin que l'un des leurs capables de copier les voix entende assez la sienne pour la copier. Ils vont ensuite cacher qu'ils se contentent de le décapiter pour aller vite et l'enterre mais, la personne qui peut copier les voix va se mettre à hurler à la place du mort comme si on le torturait et qu'il agonisait dans une grande souffrance puis, on donne des morceaux de viande animale aux valravens pile sous les murailles ennemis (car ils ont un respect minimum pour la vie de l'ennemi quand même, et qu'ils évitent que leurs montures carnivores prennent gout pour la chair humaine histoire qu'il n'essaye pas d'en remanger). Ils sont limite niveau droit pour les prisonniers de guerre qu'ils exécutent mais, l'important est surtout de terrifier l'ennemi afin qu'il cède à leur revendication et leur ouvre les portes et là, les srengs respectent toujours leur parole de juste prendre la nourriture et de repartir sans blesser personne (et celui qui ne respecte pas les ordres ou l'accord avec la ville attaquée ou assiégée sera sévèrement sanctionné).
Par contre, c'est tout de même un dérivée de la sorcellerie en moins diluée que la magie Fodlan donc, ça peut être très puissant mais, son utilisation entraine des brûlures là où les tatouages sont faits et de la fatigue, même pour des magiciens expérimentés. Une des choses qui étonnent le plus les fodlans quand ils combattent les srengs est d'ailleurs le fait que dès que le combat est terminé, avant même de bander leurs blessures, les magiciens srengs se jettent dans de l'eau gelée ou plongent la partie tatouée de leur corps dans des tonneaux d'eau froide car, ils doivent refroidir leur corps. C'est donc à utiliser avec modération. Le seul cas où ça ne brûle pas trop, c'est pour les transformations animales : ça brûle bien quand on change d'apparence mais, une fois la forme stabilisé, le magicien peut se déplacer sans avoir mal.
Il faut également que les tatouages restent intacts pour être utilisables. S'ils sont barrés ou modifiés de la mauvaise façon, on ne peut plus les utiliser (c'est le cas de la plupart de ceux de Fregn à part celui qui lui permet de rappeler son arme car bon, déjà que c'est la meilleure espionne de tout Sreng, on ne va pas la laisser se balader avec des sens renforcés quand même !)
On a donc une magie puissante mais, qui peut être difficile à mettre en place et qui demande une longue préparation, notamment avec l'encre des tatouages qui est bien spécifique.
Pour Almyra, on a aussi une descendante de la sorcellerie qui a pris une autre forme. Là, pour contrer les effets de la magie sur le corps, ils ne la font pas passer par eux, et la concentre plutôt dans des petits objets et des petites boites qu'ils peuvent transporter sur eux. En cas de besoin, un familier tangible de différentes formes peut surgir et se mettre à attaquer l'ennemi. Cet être est composé de magie et d'énergie donc, elle n'a ni sens ni volonté propre sauf cas vraiment exceptionnel où ils peuvent développer une pseudo-conscience assez primitive mais, si ça arrive une fois tous les trois siècles, c'est le maximum car il faut vraiment que le magicien qui les crée soit d'une force hors du commun. Etant des pantins, c'est leur créateur qui les contrôle et les fait agir au combat, jusqu'à ce que la créature soit trop endommagé pour qu'elle soit utilisable et se disloque. Ils peuvent avoir des sens ajouté comme la vue ou l'ouïe qui est relié à son créateur mais là aussi, c'est rare et il faut être puissants pour le faire.
Le but du magicien (appeler un marionnettiste étant donné qu'il manipule des créatures sans volonté comme une marionnette) au combat est donc d'arriver à contrôler sa créature tout en se battant lui-même la plupart du temps, sauf s'il reste à l'arrière mais, étant donné que la créature est souvent aveugle, il doit s'approcher du front afin de voir précisément ce qu'il fait et ne pas viser ses camarade. Je pense d'ailleurs qu'afin de bien distinguer tout le monde, les soldats almyrois privilégient des couleurs très différentes de celles qu'on porte en Fodlan ou alors, les almyrois ont adopté depuis plus longtemps l'uniforme que tous les soldats portent, encore une fois pour être reconnaissable par leurs camarades magiciens et ne pas être visé par leurs créatures. Ils pourraient également avoir des duos chez les unités aériennes : sur une wyvern, vous avez un archer qui canarde l'ennemi depuis le ciel, plus un marionnettiste qui contrôle plusieurs créatures au sol et qui peuvent aussi servir de point de repère, afin que l'archer sache où viser l'ennemi depuis le ciel. De plus, en cas de chute de la selle en plein vol, les créatures peuvent récupérer les cavaliers et les marionnettistes pendant la chute et les ramener sur leur wyvern sans trop de blessure, ou servir à amortir les chutes.
Exemple : Nader (le vrai, pas le monstre crétin qu'on a eu dans cette horreur de Nopes) porte une amulette qui s'active quand il tombe pour le récupérer en cas de chute, et Claude en a surement une semblable même s'il la cache pour ne pas hurler "JE SUIS D'ALMYRA !!!". Les deux ont été offerte par la femme / compagne / meilleure amie avec qui il est en colloque à vie de Nader selon mon humeur et mon envie du moment afin de les protéger, celle-ci étant une marionnettiste confirmée qui est également en charge de la protection du palais royal, ses familiers pouvant voir et entendre.
C'est une magie plutôt courante cependant contrairement à la magie des srengs et à peu près tout le monde peut concentrer son énergie dans une amulette ou une petite boite, qu'il gardera sur lui afin de se défendre en cas de problème. Le tout, c'est d'avoir la force mentale de contrôler la créature sinon, elle risque de devenir incontrôlable. Cela peut être par contre assez long de remplir la boite, et il faudra remettre de son énergie régulièrement dedans pour "nourrir" votre familier alors, tout le monde n'en est pas capable. Les personnes avec des familiers portent d'ailleurs souvent leurs amulettes bien en évidence afin qu'on leur fiche la paix et de toute façon, c'est très compliqué de contrôler un familier qu'on a pas créer soi-même sans l'accord de son créateur donc, ils ne se le feront pas trop volé. Il y a surement aussi tout un commerce d'amulette et de boite à familier factice assez florissant, afin que ceux incapable d'en faire un puisse au moins donner l'illusion de pouvoir vous envoyer un familier à la figure si vous l'attaquer ou le voler. Les marionnettistes eux sont reconnaissables par le grand nombre d'amulette qu'ils portent sur eux, souvent sous la forme de bijou. En plus, les amulettes ont tendance à luire un peu à cause de la magie à l'intérieur donc, c'est plutôt jolie.
Les artisans en ont souvent, notamment dans les travaux de force où les familiers remplacent les porteurs de pierres ou autres objets lourds. Ce ne sont pas des créatures avec une volonté, elles ne demandent pas de salaire ou de nourriture (à part votre énergie pour continuer à tenir) et elles sont remplaçables donc, on les utilise comme des outils. Les marchands aussi en ont souvent une sur eux, même si les grandes caravanes et convois de marchandises ont toujours un service de sécurité qui assure leur protection et dans ses cas-là, il y a souvent des marionnettistes qui peuvent convoquer plusieurs créatures à la fois, là où des personnes ordinaires ne peuvent qu'en contrôler qu'une avec des difficultés même si dans ces cas-là, c'est pas encore trop dangereux.
Le vrai risque, c'est quand un marionnettiste utilise beaucoup de familiers d'un coup que son esprit n'est pas capable de le supporter, ce qui peut provoqué de gros dégâts sur sa psyché qui vont des troubles de l'attention pour les séquelles les plus légères à la folie dans toutes ses formes pour les cas les plus graves. Un magicien expérimenté se contente donc souvent d'envoyer trois, quatre, cinq grand maximum créature en même temps, s'il est sûr de pouvoir les contrôler sans devoir trop se soucier de sa propre survie ou qu'il peut se concentrer sur ce qu'il fait avec ses créatures.
L'armée en a évidemment aussi beaucoup comme dit auparavant, et ils s'en servent aussi pour effrayer l'ennemi. Mettez vous à la place des fodlan qui ne connaissent pas forcément cette forme de magie : vous avez un soldat ennemi et là, y a un démon qui semble sortir de ses vêtements pour se battre avec lui, et point bonus si le soldat en face a eu l'idée de mettre l'amulette dans sa bouche (ce qui est une pratique courante). Là, panique général car le type vient de cracher un monstre d'énergie qui peut sembler enflammer donc, vous avez juste les jetons ! Pour des soldats plus expérimentés, ça fait moins peur mais, l'esbrouffe qui peut accompagner l'arrivée des créatures, le contexte de combat, la surprise de tomber sur ces trucs... peut facilement impressionné, et les almyrois comptent sur leur sens de la mise en scène et l'esbrouffe pour que l'ennemi les fuient : on ne prouve pas sa valeur en battant des couards alors, autant faire fuir les plus trouillards et les convaincre de trouver un autre métier plutôt que les tuer. ça fait un pré-tri des bons adversaires, et ça évite des morts inutiles. Si vous vainquez psychologiquement votre ennemi, vous avez déjà en grande partie gagné et ils appliquent cette maxime à la lettre.
Une des marionnettiste des plus puissantes de l'histoire est Eudoxie Goneril, à l'époque de la Guerre du Lion et de l'Aigle et une alliée de Loog. Car oui, j'ai tendance à effacer le fait que techniquement, Leicester se révolte et est rattaché à Faerghus 50 ans plus tard, je préfère les voir se révolter tous ensemble, et ça permet d'être plus raccord avec ma manière de voir l'histoire de Fodlan en général avec les régions dites "barbares" du Nord et de l'Est où vivaient les Braves, ce qui fait qu'il y a presque un fossé culturel entre Adrestia et le reste de Fodlan, avec un bon vieux revanchard des familles dans les régions périphérique comme Gautier et Goneril qui sont fodlan que de nom : Gylfe Eriksson Gautier vit et se considère comme un sreng, il est sreng dans sa tête et jusqu'au bout des ongles et n'a quasi rien en commun avec Fodlan, encore moins Embarr avec une haine farouche pour les descendants de Wilhelm car, ils se souviennent qu'il y a des membres de sa famille et de son peuple qui ont fini décapité pour l'exemple pendant les annexions (oui car, si vous ne contrôler pas une partie de votre territoire, vous renvoyer l'armée pour mater les révoltes et leur apprendre que si, ce sont des bons adrestiens, c'est marqué ici mais bon, vu que vous ne faites rien pour vraiment calmer le jeu, les rébellions repartent très vite) afin de montrer la civilisation tuant la sauvagerie alors, merci connard mais, on te déteste maintenant et rêve pour qu'on t'obéisse.
Eudoxie Goneril, elle, est pratiquement almyroise à quelques différences près vu que même si c'est en marche, l'empire almyrois n'est pas encore arrivé à ses portes même si c'est des zones avec une culture proche mais sinon, elle l'est, surtout que chez eux aussi, le récit de l'empereur qui tue une de leur protectrice protégée par Ahura Mazda de manière inhumaine et impure est encore présent (même si des deux côtés, on a effacé Seiros avec le temps et qu'on mélange les deux générations de Braves). Elle utilise notamment leur magie à base d'amulette et était capable de commander une véritable armée de plusieurs dizaines de créatures à elle toute seule sans jamais craqué (à condition de quand même pas faire ça tous les jours). Dans l'idée que je me fais d'Eudoxie, c'est une toute petite femme avec des cheveux roses (oui, j'aime bien m'imaginer que toute la famille d'Hilda est minuscule avec Holst comme valeur aberrante) qui porte énormément de bijoux qui s'avèrent être des amulettes, ainsi qu'un voile pour des motivations religieuses, de pudeur aussi (les cheveux ont été pendant longtemps considéré comme une partie intime du corps très lié à la séduction alors, partout dans le monde - dont en Europe -, on disait de les cacher pour préserver son intimité) mais aussi pour cacher des amulettes en-dessous. Les chroniqueurs de l'époque la décrive comme portant toute une armée sur elle et quand elle combat les forces adrestiennes qui tente de la faire rentrer dans le rang, elle les domine depuis les hauteurs des montagnes avec ses troupes qu'elle double de tant de familier que la pierre semble s'enflammer. Elle a aussi été capable de créer un tout petit familier avec un début de volonté qui se conduit comme une sorte de chat, dont elle se sert comme d'espion et de vigie, ainsi que d'animal de compagnie quand elle reçoit des gens afin de les impressionner (oui, mes almyrois ou personnes qui sont de culture almyroise ont fait de l'esbrouffe un art de vivre). Elle rejoint d'ailleurs Loog entre autre parce qu'elle respecte un type qu'il n'a pas peur de ses familiers, et même si elle est alliée à l'Empire d'Almyra, elle sent qu'elle va se faire gober par eux s'ils s'approchent trop, avec le fait que l'alliance que lui propose Loog et Walter Riegan est plus intéressante donc, elle plante un peu un couteau dans le dos des almyrois et rejoint Fodlan car, dans tous les cas, elle sait d'avance qu'en plus d'une alliance et une "soumission" qui est assez light vu que Loog considère ses alliés comme ses égaux, là où l'avenir est plus incertain si elle doit rejoindre l'empire almyrois. Par contre, ses derniers ont très peu appréciés qu'elle ne les ait pas rejoint alors de la proximité culturelle donc, ils vont tenter de récupérer les montagnes de Goneril qu'ils considèrent comme peuplés de leurs frères et qui leur a été volé par les Goneril en particulier et les fodlans en général, même si avec le temps, la motivation devient de plus en plus floue et perdue.
Duscur, c'est un peu plus compliqué. Pour ceux qui ont lu le billet sur Blaiddyd Simplex, vous savez que la magie est assez mal vue à cause de ce qu'il pense être une punition du dieu du ciel envers les sorciers qui ont fait brûler la terre (en gros résumé). Même si leur croyance a évolué avec le temps et qu'ils ont peut-être perdu cette peur de la magie, ça reste tout de même quelque chose de pas très développé et ils se sont surtout concentré sur la maitrise du métal afin de faire des armes puissantes et solides (laissez-moi croire que Zoltan était un duscurien, histoire d'effacer l'horrible soutien Félix / Dedue avec Félix et Dimitri qui sont tous les deux fans d'un grand forgeron duscurien !). Il s'agit donc plus d'un peuple de forgerons que de magicien.
Cependant, ils ont également trouvé du minerai avec des propriétés magiques dans leurs montagnes, comme le cristal d'arcane du jeu ou le mithril alors, ils ont pu s'en servir pour fabriquer des armes semblables aux épées Levin du jeu et autre hache Tonnerre. Ils pourraient également l'utiliser pour en faire des objets protecteurs plus discrets, comme sous la forme de bijou ou d'objet du quotidien.
Exemple : dans "Bye !", quand Pan sauve Dimitri de la Tragédie de Duscur et le confie à la famille de Dedue, il leur donne un bracelet de sa fabrication capable d'envoyer des ondes de chocs. Quand leur village se fait attaquer lors du massacre de Duscur (après que Dimitri soit rentré avec Dedue), les parents Molinaro donne le bracelet à leur fille Sasiama pour qu'elle puisse s'enfuir et se protéger avec. Elle finit dans un groupe de survivant en plein dans les maquis de Duscur, et personne ne s'étonne de ce type d'objet car, c'est quelque chose de relativement courant à Duscur comme arme d'auto-défense discrète.
Il y a donc de la magie mais, ce n'est pas très courant et surtout, elle est lié à des objets et pas à la personne. Tout le monde peut les utiliser à condition de savoir s'en servir et de diriger l'énergie à l'intérieur mais, si l'objet est cassé ou perdu, il faut le remplacer par un autre pour continuer à faire de la magie. Il faut également l'entretenir et surement le réalimenter en magie (ou le remplacer quand la magie contenu dans le métal est épuisé) régulièrement.
Enfin, du côté de Morfis, c'est un peu particulier. En fait, dans ma fanon, les morfisiens sont en grande partie des agarthans qui ont fuit la tyrannie de Thalès car, ils n'étaient pas d'accord pour faire du mal aux autres habitants de Fodlan, et qu'ils voulaient vivre tranquillement leur vie dans leur coin. La plupart sont né après que Sothis ait noyé le continent pour arrêter leurs ravages en Fodlan et sur les peuples voisins (par exemple : chassé des humains des continents d'à côté comme le village de Metaheta car, il leur faut des matériaux pour leur magie et que c'est drôle de voir des gens fuir en courant et en suppliant pour leur vie, et de leur voler leur peau pour ensuite attaquer à l'intérieur même de leur village... entre autre), surtout qu'à part vivre sous terre, leur mode de vie n'est pas si différents de celui des artisans et des paysans de Fodlan : ils travaillent toute la journée pour nourrir leur ville et leur famille comme tout le monde car, il faut bien des petites mains pour faire tout ça. Le traumatisme reste d'avoir été éliminer mais, ils ne l'ont pas directement vécu comme leurs chefs et en nourrissent moins rancune mais, ils n'ont pas leur mot à dire, ils sont obligés de suivre Thalès et ses proches.
Cela a surtout commencé à partir de Pan qui a plus ou moins redécouvert les sentiments pendant sa mission auprès de Loog. Les agarthans méprisant les sentiments et les émotions, ils font tout pour les étouffer et surtout, ils ont une pensée de ruche : tout le monde doit écouter l'Agastya Thalès et faire tout ce qu'il ordonne sans poser de question, et la réflexion des masses est très mal vue. Pan réfléchissait mais, uniquement sur ses recherches et assez peu sur sa propre condition, existence ou ce qu'il voulait. On l'a formaté depuis qu'il était une "larve" pour être obéissant et vu qu'il est plus intelligent que la moyenne, on l'a laissé faire ses recherches mais, tout doit rentrer dans la vision et les désirs de Thalès et ses sbires directs. Vu qu'il peut être assez créatif avec ses sorts mais, pas dans le sens que veut Thalès, je pense aussi qu'on lui a ordonné de réorienter ses recherches, ce qu'il a fait par obéissance et fidélité envers son Agastya. C'est d'ailleurs cette obéissance en plus de son intelligence qui ont poussé Thalès et ses hommes à le désigner pour la mission en Faerghus quand ça commençait à péter de toute part. Pan accepte car, les ordres sont les ordres, même s'il aurait préféré rester dans son labo à expérimenter des sorts et s'infiltre donc dans la maison de Loog et devient proche de lui. Cependant, être en contact avec des humains très différents qui assument leurs émotions, il commence à en être curieux et à développer les siens. C'est notamment le cas avec Loog qui est une personne très chaleureuse et agréable, qui le pousse à se rapprocher des autres même si au départ, Pan n'arrive à montrer ses sentiments - et donc une part de sa vulnérabilité - qu'à Loog. Il arrivera ensuite à se connecter à d'autres personnes, dont à la Dame des Vents, Lucine, fille bâtarde du baron Dominic de l'époque avec une duscurienne, avec qui il se lie à cause de leur passion commune pour la magie et la science, puis bien plus tard avec des personnes très différentes de lui, comme Kyphon alors qu'ils ne pouvaient pas s'encadrer à la base. Il apprend aussi toutes les merveilles de la surface et d'être en vie, même si c'est simple et un peu stupide à première vue mais, Pan finit par y prendre gout et à aimer et surtout respecter ces êtres de la surface. Il va donc trahir Shambhala pour rester auprès de ses amis et entrainera d'autres de ses camarades dans son sillage, sa trahison et surtout son courage de s'opposer à l'Agastya poussant d'autres agarthans à se remettre en question, puis à partir, même s'ils gardent en eux une peur viscérale de Thalès et du sort qui les attends s'il les rattrape un jour.
Ils vont alors fuir à Morfis, en plein milieu d'un désert aride et ils vont établir leur ville dans une grande formation rocheuse, où ils vivent la nuit pour échapper aux agarthans et au Soleil de plomb. Ils sont parfois appelé "les morfisiens" mais, ce ne serait pas le plus juste étant donné que des humains vivent aussi dans les oasis du désert et que ce sont des morfisiens alors, ils prennent le nom d'Hégra / hégréens pour désigner leur cité (et ce ne serait pas le nom d'un personnage, je les aurais appelé Pétra / pétrarques vu que c'est un peu l'idée de leur ville et que cette ville est un vrai mille-feuilles de civilisation mais bon, ça marche aussi car les deux sont des sites nabatéens dans le monde réel). Leur magie leur sert donc à adapter leur vie à leur environnement, mais ils font également beaucoup de recherches sur... bah à peu près tout et n'importe quoi tant que ce n'est pas de la magie noire. La manière de faire de la magie ressemble à un mélange entre la magie fodlan, la magie duscurienne avec des objets enchantés (apprise de Lucine) et quelques restes de leurs anciennes pratiques agarthans mais, à présent, leurs compétences sont utilisés pour le bien de tous, surtout en médecine.
Exemple : pour les Titanus, au lieu que ce soit des armes de guerres, ils sont utilisés comme des outils pour l'agriculture et la vie de tous les jours, comme des sortes de petits "robots" avant l'heure. Pan a commencé à fabriquer des automates inoffensifs quand il était avec Loog et que la fille de Kyphon, Clothilde, et les enfants de Gylfe venaient lui tourner autour, à la base pour qu'ils lui fichent la paix mais, ça a tellement touché Pan de les voir aussi heureux de jouer avec qu'il a continué à fabriquer ses jouets.
Les hégréens ont donc un mélange de magie et de technologie. Ils passent d'ailleurs maitre dans la mise au point de prothèse destiné à remplacer des membres perdus. Ils peuvent faire des membres mécaniques de grandes précisions, comme des mains ou des yeux. Une des premières réalisés fut d'ailleurs pour Loog quand il a perdu une de ses mains au combat, Pan ayant fabriqué une mécanique pour que leurs ennemis continuent à le prendre au sérieux, et pouvoir monter sur le trône car normalement, un invalide qui ne peut plus se battre ne peut pas gouverner comme roi, même s'ils ont fait passé ça pour un miracle du Brave Blaiddyd pour faire croire aux adrestiens que la Déesse est de leur côté. Ils sont d'ailleurs très connus pour cela et beaucoup d'écloper et de malade tentent de trouver leur cité cachée dans le désert. Ils les soignent sans problème mais, dès que l'emplacement de leur cité devient trop connu, les hégréens font leurs bagages et vont emménager ailleurs avec leurs automates qui servent de porteurs dans le désert. Ils vident leur ville de toute leur technologie, objet, installation histoire de s'assurer que personne - Thalès et les autres agarthans les premiers - ne puisse se douter qu'ils étaient là. Il y a donc beaucoup de cités fantômes qui cadrillent le désert de Morfis.
J'irais plus rapidement pour les suivants, étant donné que je ne suis pas très sûre que cela restera comme ça (et qu'honnêtement, je n'y ai pas encore beaucoup réfléchi).
Pour Brighid, je me base sur les moments où Pétra dit qu'il y a des esprits partout chez elle, et que certaines personnes en ont un en elles et que cela leur permet d'accomplir des miracles. Je pars donc sur l'idée que ce sont des personnes capables faire une projection astrale : leur esprit quitte leur corps et ainsi, elles sont plus en contact avec la magie environnante sans que leur corps n'encaisse la magie, et la magie n'endommage pas l'âme. Etant immatériel, ils peuvent voler et marcher sur l'eau, tout en influant sur leur environnement en redirigeant la magie pour obtenir ce qu'ils veulent, même si ses effets sont plus limités que la sorcellerie. Il faut donc un très long entrainement pour y arriver, et leur corps est très vulnérable quand ils sont hors de leur corps. Ils ont donc besoin de protection quand les magiciens se projettent. Ils ne doivent aussi ne pas rester trop longtemps hors de leur corps pour ne pas tomber dans un état végétatif. Etant entre Fodlan et Dagda, ils ont également appris de la magie des deux et l'incorporent à la leur pour devenir plus habile. Les magiciens brigilènes sont d'ailleurs passé maitre dans la maitrise de sort fodlan tout en étant désincarné, même si cela les fatigue très vite et qu'ils doivent rapidement retrouver leur corps quand ils les utilisent.
A Albinéa, cela ressemble un peu à la magie de métamorphose des srengs sauf que là, c'est pour tout le monde. Quand ils arrivent à l'âge adulte, tous les albinois doivent effectuer un rite de passage où après avoir bu une mixture spéciale, ils vont dormir et rêver de l'animal qui les protège ou alors, un prêtre de leur village leur indiquera selon leur personnalité (à voir s'ils ne font pas les deux). Ils auront alors cet animal gravé dans le dos (pas tatoué, c'est des cicatrices pour les contours, c'est les couleurs qui sont tatoués). Il est censé donné des indices sur leur destin, leur tempérament, ainsi que leurs forces et ils pourront se transformer en cet animal s'ils s'entrainent, ce que font la majorité des gens afin d'avoir plus de compétence pour survivre dans leurs terres gelées. Leur armée est donc surtout composé de métamorphe et cela les rend assez imprévisible car, on ne sait jamais sur quoi on peut tomber en face car, ils peuvent se transformer en toutes bêtes, du mammifère à l'insecte en passant par les poissons en tout genre et les oiseaux. Aucune transformation n'est vu comme plus faible que l'autre mais, plutôt avec des utilisations dans des contextes différentes. Ils peuvent également offrir à des anciens ennemis avec qui ils font la paix de leur graver leur animal protecteur, en signe d'amitié car, dans leur tête, ils leur montrent quel est l'animal que les dieux ont choisi pour le nouvel allié (et en général, ils s'arrangent pour que les dieux choisissent un animal respecté dans sa culture et pas trop moisi) et les albinois les considèrent comme faisant partie de leur communauté. Fort probable que quand Ludovic a réussi à signer la paix avec Albinéa, on lui ait proposé de graver un lion majestueux dans son dos, à lui comme à tous ses proches alliés en adaptant à chacun, mêmes s'ils n'ont surement pas pu le faire à cause de la tentative de régicide lors de l'arrivée du roi albinois qui s'est conclu sur la mort de Guillaume, qui a un peu chamboulé tout ce qui était prévu.
Enfin, pour Dagda, c'est ceux où mes idées sont les plus flous alors, je pars sur des sorts écrits sur des rouleaux ou les bras des magiciens, qui projettent la magie inscrit dans l'encre sans plus développé (désolé Shamir). Même si, vu la taille du pays, ils pourraient y avoir beaucoup de variances locales de leur magie.
Et pour finir, on va passer en revue les emblèmes qui forment une valeur assez aberrante : en effet, quand j'écris en fanon, les emblèmes ont souvent des effets secondaires mais, qui est plus lié à la sorcellerie des Braves qu'au nabatéen assassiné, alors que la sorcellerie n'est pas transmissible. Bon, honnêtement, c'était parce que je trouvais ça intéressant de voir leur magie être transmise et pour mieux marquer les successions pour le point de vue narratif.
Exemple : Félix adore l'eau et nager dans ma version, avec le lac qui lui sert aussi de cachette quand il veut être seul car, être dans l'eau l'apaise, tout en sachant que personne ne viendra le déranger à plusieurs mètres de profondeur. Cela vient de son ancêtre Lucius Fraldarius Pertinax, qui était un sorcier lié à l'eau et aux fluides, ce qui permettait aussi de renforcer l'idée que même quand il la rejette, Félix fait corps avec sa famille et il y reste attaché de toute son âme, même quand il se ment à lui-même en disant qu'il la déteste. S'il avait un pouvoir hériter du nabatéen dont il a l'emblème, ce serait plutôt une plus grande résistance car, il s'agissait du dragon du bouclier (vu que ces surnoms donnent des indices sur leur pouvoir, comme avec Indech qui est le dragon de l'eau et manipule l'eau, et Indech qui manipule le vent en étant le dragon du vent, même si Rhéa est également une valeur aberrante étant donné que ses sorts sont lié au feu [à cause de son lien avec l'Emblème du feu et Sothis] et ses attaques sous sa forme de dragon sont lié à la neige / froid)
D'un point de vue de l'histoire, je pense que cela peut venir du fait que même si ce n'est pas transmissible, les emblèmes et la proximité avec les Reliques (où l'âme des Braves de la première génération est enfermée avec celle du nabatéen) ont permis à leur descendant d'hériter de bride de leur pouvoir, en plus de la puissance hors du commun de leur sorcellerie. Les Braves de la première génération devait faire partie des sorciers les plus puissants de l'histoire alors, on peut dire que cela les a assez altéré pour qu'ils puissent transmettre un peu de leur pouvoir à leur famille, afin de la protéger. Leurs descendants ont donc hériter de quelques caractéristiques de leur ancêtre, et l'emblème permet d'amplifier ces caractéristiques, même si ce n'est pas forcément visible ou présent pour leurs descendants sans emblème.
Exemples : Atta Gautier Loquax est le Brave des animaux, il sait leur parler et se transformer en animal, tout en copiant leurs capacités (force, ouïe, sens en général... à part la vue étant donné qu'il est aveugle). Son bon contact avec les bêtes s'est transmis à ses descendants : Sylvain a naturellement un bon contact avec eux, même si cela vient surtout de lui. Par contre, à cause de son caractère, Miklan se fait haïr des animaux et il n'a pas un bon contact avec eux (notamment car ils sentent que c'est un humain terrible). Mon Glenn n'aimait pas trop l'eau contrairement à Félix qui est un vrai poisson. Hilda a naturellement un peu plus de force et de souplesse qu'Holst car, Metaheta était la Brave de la Force et la Brave Changeante, pouvant modifier tout son corps.
On a donc un mélange entre les emblèmes nabatéens dans le sang des humains qui permettent d'utiliser les Reliques, et un héritage de leurs ancêtres pour les humains.
Du côté des nabatéens, leur emblème est lié à leur pouvoir et à la magie où ils excellent, comme dit auparavant avec Macuil et Indech, même si cela n'a pas l'air automatique comme on l'a vu avec Rhéa / Seiros. Pour cette magie-là, cela peut être relativement comparable à la sorcellerie, étant donné qu'elle peut provoquer tout ce qui est en lien avec, de manière défensive, offensive ou pratique.
Pour mieux comprendre, je vais prendre un autre exemple, qui est aussi le cas particulier dans ma fanon des emblèmes : celle de Charon.
En effet, on sait grâce aux soutiens entre Lysithéa et Catherine qu'il pleut toujours quand ça les arrange le moins, quand elles font la lessive par exemple. Rien ne le confirme et elles-mêmes veulent tester mais, je vais partir du principe que c'est vraiment le cas. Pour moi, ce n'est pas grâce à leur ancêtre, pour rappel la Brave Pyrkaïa maniant le feu, mais du nabatéen dont elles ont l'emblème pour une raison toute simple : leur famille n'a pas reçu son emblème car, Pyrkaïa a dû boire du sang de dragon sous la contrainte mais, parce qu'elle est naturelle. Dans ma tête, Pyrkaïa a rencontré un nabatéen (dont je n'ai pas encore le nom définitif, peut-être Oengus) qui était en train de voyager dans le nord pour mieux connaitre les peuples nouvellement arrivés en Fodlan, ils ont appris à se connaitre et au final, ils sont tombés amoureux et ont eu des enfants ensemble (jusqu'à ce que Némésis casse leur idylle en assassinant son mari puis, en la forçant à boire son sang et à utiliser ses os en combat par pur sadisme). La famille de Charon descend donc vraiment d'un nabatéen, ce qui fait que son emblème est plus ancré dans leurs veines (des yeux et des cheveux verts comme ceux des nabatéens ressortent même parfois au fils des générations, comme pour la mère et le frère de Catherine qui ressemblent à des nabatéens) et mélange autant la sorcellerie de Pyrkaïa, mais aussi la magie des nabatéens en lien avec son emblème. "Oengus" est surnommé "le dragon de la Foudre" alors, ses pouvoirs étaient en lien avec le temps, ce qui fait que ses descendants humains peuvent parfois influencer l'arrivée de la pluie, même si c'est rare et incontrôlable (et si on veut une pointe d'ironie, ils l'appellent souvent quand ça les arrange le moins car, ils pensent au fait qu'ils ne veulent pas de pluie, ce qui l'appelle par accident).
Si on tire un peu sur les cheveux, ça pourrait même expliquer pourquoi Catherine peut sentir qui a un emblème et lequel, son emblème majeur naturelle lui donnerait la capacité de repérer d'autres nabatéens ou en partie (même si Félix ne le peut pas car, la sienne n'est pas vraiment naturelle, on a forcé Pertinax à boire le sang). Après tout, d'après Flayn, elle sent dès le départ que Byleth a l'air différente des autres personnes qu'elle a rencontré, et qu'elle sent quelque chose de particulier / familier en iel alors, peut-être que c'est possible qu'elle sente qu'elle soit plus ou moins nabatéenne, même si la méfiance de Seteth envers Byleth met du plomb dans l'aile à cette théorie, d'où le fait que je dis que je tire un peu les cheveux ici (enfin, encore plus que le reste).
Et voilà ! Voici ma manière de voir les différentes magies dans l'univers de Fodlan ! Cela permettra à ceux qui lisent mes chapitres / billets sur "Bye !" de mieux s'y retrouver vu que c'est assez variés. Encore une fois, c'est surtout de la fanon mais, j'espère que ça vous aura plu de lire mes petits délires sur la magie et que tout cela se tient ! Merci beaucoup d'avoir lu !
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lilias42 · 1 year
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Et voilà ! Deuxième partie et fin de l'OS dorée sur AM !
Bon ! Il est enfin là celui-là ! Désolé d'avoir tant tardé à le mettre, je pensais le poster coup sur coup mais, je n'étais pas satisfaite de la seconde partie alors, j'ai préféré le retravailler plus longtemps que de sortir vite une seconde moitié à moitié cuite. J'ai donc rajouté quelques morceaux pour ne pas faire trop "on saute des évènements pour aller plus vite à la conclusion".
Il y a aussi des éléments qui sont volontairement mis de côté dans cet OS et j'ai coupé pas mal de chose qui ne s'articulait pas bien dans ce genre d'histoire car, ça aurait manqué d'impact. Par exemple, une partie avec Omnes a été rajouté pour le faire apparaitre un peu mais, ce n'a pas été le cas de tous les éléments qui aurait pu apparaitre. Par exemple, je voulais que Dimitri fouille la chambre de son père et de son oncle pour tomber sur un portrait de sa mère biologique Héléna chez le premier, et sur une boite que son oncle a toujours refusé de lui montrer chez le second. Cependant, ça aurait fait beaucoup d'un coup et je n'aurais pas pu tirer tout le jus d'eux dans l'OS, surtout qu'il était plutôt hors sujet. Pour la boite, elle est au centre d'une sous-intrigue de CF, et Dimitri n'est pas encore assez armé ici pour affronter le contenu de cette boite. Pour Héléna, elle aura un rôle plus important dans l'autre OS que j'écris de temps en temps où Duscur est empêché par une révolte générale à Faerghus et les srengs qui viennent dire coucou (en plus, j'ai appris cette semaine que si les vikings étaient détestés des seigneurs qu'ils pillaient, ils faisaient le "bonheur" [avec des guillemets car ils pillent quand même même si c'est moins intéressant de s'en prendre à des paysans qu'à des seigneurs / bourgs bien riches, faut pas déc*nner] car, ils fichaient un tel boxon que c'était quasi impossible de récupérer les impôts auprès des paysans alors, ça faisaient des années / mois blanc pour eux et il a fallu remettre tout à plat à la fin de leurs expéditions donc, j'aimerais bien tenter de l'intégrer). Alors, ces idées arriveront surement à un moment où un autre mais, pas dans ce texte-là.
Je le fais rarement mais, toute l'ambiance d'une scène est inspirée d'une chanson. C'est simple, c'est elle qui m'a débloqué quand je me disais qu'il manquait quelque chose à cette seconde partie. Il s'agit de la version française de la chanson "Heaven" faite par Poucet (et aller écouter tout ce qu'elle fait, sa voix est juste magnifique ! Elle fait souvent dans un registre assez triste / lyrique pour celle que j'ai écouté mais, ça vaut le coup !)
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Je ne précise pas quelle partie elle a inspiré pour ne pas spoiler mais, ce sera assez évident une fois écouter.
Pour le contexte de cet OS, tout est expliqué dans l'intro de la partie précédente mais, si vous avez des questions, n'hésitez pas à demander !
Ici, on reprend le cours des choses avec la bataille de Fhirdiad jusqu'à la fin de l'histoire et l'épilogue ! (+une scène coupée mais, je vous explique une fois arriver là-bas).
Bonne lecture !
(et voilà @ladyniniane ! J'espère que ça te plaira !)
Quand leur armée était arrivée aux portes de Fhirdiad, ils pouvaient entendre les émeutes depuis les plaies de Tailteans. La cousine de Sylvain, Hlif, les avait rejoints avec les troupes de Gautier en même temps que plusieurs guerriers srengs venu grossir leurs rangs sur ordre de leur tante, la reine Thorgil. Elle avait dû sentir que si Eldegard gagnait la guerre, Sreng était certainement dans ses prochaines cibles et avait préféré prendre les devants. Hlif avait alors lâché le corbeau qui la suivait partout au-dessus de la ville, et fait un rapport sur la situation grâce à lui, voyant par ses yeux grâce à leurs tatouages. Elle serait surement inondée de question après la bataille par Annette, Linhardt, Lysithéa et Hanneman sur comment sa magie fonctionnait mais, il y penserait plus tard.
Selon son rapport et ce que pouvaient voir les unités aériennes depuis le ciel, les combats urbains avaient déjà commencé, menés en petits groupes par différents chefs rebelles. Les émeutiers étaient concentrés autour des différentes portes et poternes de la ville, ainsi que les chemins de rondes, laissant l’intérieur de la ville relativement vide mais, Cornélia l’avait rempli avec ses propres fidèles ainsi que des bêtes mécaniques inconnues. Cela confirmait les informations que leur avait transmis l’espion infiltré dans la ville.
Sous le commandement du seigneur Seteth et d’Ingrid ainsi qu’un de leurs chefs pour les srengs montés sur des valravens, les cavaliers pégases et wyverns allèrent prêter mains fortes aux émeutiers sur les remparts, et les portes de la ville s’ouvrirent assez vite sans qu’ils n’aient eu besoin de l’enfoncer avec leur bélier.
Ils commencèrent par combattre tout autour de l’enceinte afin d’éviter d’être pris en tenaille, puis avancèrent petit à petit vers le parvis du palais et de la cathédrale au centre de la ville. Des coups de trompettes pour se faire entendre au milieu de cette cacophonie assourdissante résonnèrent de toute part, tout comme des éclats de magie pour indiquer une position prise ou demander des renforts.
Dimitri combattait de toutes ses forces jusqu’à perdre son souffle, sentant chacun des coups que son armure encaissait ou qu’il évitait de peu, le sifflement des fers des lances et des épées le frôler, avant qu’il n’enfonce leur propre armure avec Areadbhar qui l’entourait de son énergie, glaciale mais protectrice.
Le bruit autour de lui et dans sa tête était assourdissant. Les morts hurlaient tellement fort, l’encourageaient à tout détruire sur son passage mais, il n’avait pas le temps de les écouter. Il avait trop de choses à penser en même temps : bien mener ses troupes, protéger ses soldats, surtout les unités plus fragiles comme Annette, faire attention à ne pas se faire tuer lui-même, surtout qu’il était plus grand que la moyenne et sa tête dépassait de la mêlée… le surplus d’information tout autour de lui l’empêchait de les écouter.
Quand ils arrivèrent au bourg, ils firent face à d’immense titans de fer et d’acier, couverts de veines et de sphères bleues, hauts comme une maison et avançant seuls à travers les grandes avenues. Déesse, qu’est-ce que c’était ces choses ?! Mais après un instant d’étonnement, le lancier se reprit, essayant de rationaliser les choses, aidé par le fait que leur espion les avait déjà informés de la présence de « bête de métal bougeant apparemment toutes seules ». Ces choses ressemblaient aux automates que Dame Rhéa avait utilisé pour protéger le Saint-Tombeau… pas dans leur forme mais, dans leur comportement, ils se ressemblaient beaucoup. Bon, la situation était moins impressionnante qu’il le pensait de base. Cornélia avait dû s’inspirer des mêmes travaux sur la magie que Rhéa pour les concevoir, ou avoir la même idée. De sa haute taille, il arriva à retrouver Byleth et à la rejoindre, afin de conjuguer leurs forces pour ouvrir la voie en les faisant tomber efficacement.
Pendant que la professeure protégeait leurs arrières avec son bataillon, Dimitri et ses troupes s’attaquèrent à un des automates, visant les espèces de mécanismes au niveau de ses jambes et de ses pieds pour lui faire perdre l’équilibre, quand un autre se dirigea vers eux pour porter secours à son partenaire ou pour bloquer leur avancée. Un cavalier valraven arriva alors, esquiva le coup de glaive et de bouclier avant d’arriver à se poser sur l’équivalent des épaules de la machine. Il descendit, s’accrochant comme il pouvait aux aspérités du golem, alors qu’il semblait tracer quelque chose sur le métal, autant sur son torse que sur le début de ses bras. Quand il eut fini, il ressauta sur sa monture qui distrayait le golem, puis hurla d’abord en sreng puis en fodlan.
« Dispersez-vous ! »
Comprenant l’urgence, Dimitri répéta son ordre afin que les faerghiens l’écoutent. Les soldats obéirent aussi vite qu’ils purent, alors qu’un gargouillement étrange se fit entendre, comme si du métal bouillait à la manière de l’eau dans une marmite, avant qu’une grande explosion n’entoure la tête de la marionnette, la faisant tomber au sol.
« On a trouvé son point faible ! S’écria Ashe depuis sa wyvern, tournant autour du second golem avec Cyril, assez habile dans les airs pour esquiver ses coups en continuant à le cribler de flèches, tout comme Ingrid qui y lançait javeline sur javeline.
– Peut-être ! Mais elle ne va pas pouvoir recommencer ! Répondit Sylvain en esquivant un coup de bouclier, avant de tirer Lysithéa sur sa selle avant qu’elle ne se fasse écraser. Elle va se faire détruire les épaules vu la force de l’explosion !
Dimitri comprit en voyant la cavalière se retirer, protégée par un de ses camarades alors qu’elle retournait à l’arrière. Bon, il faudrait trouver autre chose… faisant reculer ses troupes pendant un instant là où le golem ne pourrait pas les suivre, le lancier essaya d’évaluer la situation. Il essaya de se remémorer le combat contre les automates de Rhéa pour s'appuyer sur cette bataille mais, tout était flou… juste des mouvements instinctifs contre ses choses en voyant juste ses amis être en danger, obéissant à peine aux ordres de Byleth… son souvenir le plus précis de ce combat était un automate au sol, réduit en pièces détachées avec sa lance, son épée et ses poings, lui entre ce géant de métal et Ashe, allongé au sol avec Mercedes qui soignait sa plaie à sa tête… le jeune homme ne se souvenait plus comment il avait fait pour venir à bout de ce golem à lui tout seul… mais Dimitri ne pouvait plus se permettre d’agir comme au tombeau sacré, c’était bien trop dangereux.
Abandonnant l'idée de trouver comment faire en cherchant dans ses souvenirs, il passa son regard sur la marionnette gardant le passage vers Cornélia… elle avait une partie de son bouclier cassé par Areadbhar, mais elle ne semblait pas s’en être rendu compte, l’utilisant comme avant… cela leur ferait une ouverture pour atteindre ses jambes… il y voyait les mêmes globes dessus que sur le haut de son corps… et il semblait y avoir des flèches fichées à l’intérieur…
– Nous devons atteindre ses orbes bleus, déclara Dimitri. Mais il faudrait arriver à arracher son armure.
– On peut passer par le trou fait dans le bouclier, fit remarquer Sylvain. Le golem n’a pas l’air d’avoir remarqué qu’il était cassé mais, il faudrait aller aussi vite qu’à cheval à pied, et les chevaux ne sont pas assez souples pour passer dans cette petite fenêtre…
– Hum… je sais ! Sylvain ! Tu peux bien changer de taille quand tu te transformes ? Lui demanda Lysithéa en se tournant vers lui.
– Oui, je peux devenir aussi grand qu’un loup géant, même si je ne ferais pas le poids avec mes griffes contre… il comprit alors où elle voulait en venir. D’accord ! Tu t’accroches bien alors !
– Évidemment ! Elle se tourna alors vers Dimitri. On se charge de faire tomber son armure ! Vous, occupez-le !
Le rouquin sauta alors de sa jument en prenant l’apparence d’un renard grand comme un petit cheval. Lysithéa se glissa sur son dos et s’enfonça dans la fourrure épaisse, à moitié allongé dedans en se tenant aux touffes de poils de ses épaules. Comprenant leur plan, Dimitri ordonna à ses troupes de se faufiler dans les ruelles afin d’encercler le titan de métal pour l’attaquer tout en restant en sécurité, ainsi que de concentrer leur tir sur le haut du golem, en espérant que les troupes aux balistes magiques ne les repéreraient pas. Lui-même grimpa sur la monture de son ami, et prit la tête des cavaliers qui se mirent à distraire leur cible en galopant partout autour de lui. Le golem se perdit dans ses actions, incapable de savoir qui viser dans ce banc de cavalier autour de lui. Profitant de son inattention, Sylvain fonça dans le trou du bouclier avec Lysithéa sur son dos, vif comme un goupil s’introduisant dans un gélinier. Une fois derrière les défenses, ils sautèrent sur le pied le plus exposé aux attaques du golem, et commencèrent à attaquer l’armure sur sa jambe. Dimitri sentit sous la puanteur du sang et de métal celui de la corruption, la magie noire de la magicienne attaquant le métal noir, celle de la chaleur alors que les sorts de feu du rouquin faisaient fondre les parties endommagées.
Le golem changea alors d’attitude. Au lieu de les attaquer, il se mit à taper des pieds, incapable d’atteindre ses jambes avec ses armes.
« Une fois qu’on a passé son glaive et son bouclier, il n’a aucun moyen de se défendre ! »
Il vit du coin de l’œil Byleth se frayer un chemin jusqu’à lui, à bout de souffle et l’épaule fraichement soigner s’il ne se trompait pas mais, elle était encore en état de combattre.
« La situation ?! Lui cria-t-elle pour se faire entendre dans le chaos des combats.
– Un des golems est tombé ! Il en reste un ici ! Sylvain et Lysithéa attaquent sa jambe pour faire tomber son armure et touché les orbes dessous ! C’est la partie la plus fragile ! Une fois sur lui, il n’a aucun moyen de nous toucher !
– Bien ! »
La professeure fila à nouveau, rapide comme un éclair. Profitant de l’inattention du golem occupé à tenter de faire tomber les deux magiciens, elle se faufila à son tour dans le trou du bouclier et se mit à attaquer son autre jambe, la fragilisant à son tour avec sa magie.
Au bout d’un moment, il entendit la voix de Sylvain hurler, ressortant en trombe des pattes du golem avec Lysithéa sur le dos.
« Dispersez-vous ! »
Avec un bruit de grincement, la marionnette commença à s’affaisser sur sa droite, la jambe complètement détruite par les efforts des deux magiciens. Byleth les suivit assez vite, tous les soldats royaux allant se réfugier dans les ruelles loin de la créature. Elle s’effondra sur un étrange mécanisme qui tirait des sortes de flèches d’énergie, les deux automates se détruisant mutuellement. Il eut encore quelques mouvements erratiques de la marionnette, puis plus rien, leur ouvrant la voie vers le centre-ville une fois sûr qu’il ne se relèverait pas. Il rendit sa monture à Sylvain puis, ils avancèrent à nouveau vers Cornélia.
Dimitri ne prit même pas le temps de se réjouir d'avoir réussi à faire tomber cette chose. La fureur et le flux de la bataille étaient trop intenses pour qu'ils perdent la moindre seconde. Maintenant qu’ils avaient compris comment s’en débarrasser, aux suivants…
« Je vois Cornélia se déplacer vers le sud de la ville ! Elle est seule ! Hurla aussi fort qu’il put Cyril sur sa wyvern, esquivant de peu une attaque magique, avant qu’Ashe ne tue le magicien qui l’avait visé.
– Il ne faut surtout pas qu’elle s’échappe ! S’écria Dimitri.
– Partez devant avec Byleth ! Ordonna Gilbert qui les avait rejoints en passant par l’autre côté de la ville, tout en repoussant un ennemi avec son bouclier. Nous vous couvrons ! »
Les deux généraux ne se le firent pas dire deux fois et foncèrent dans la direction que Cyril leur indiqua d’un trait. Courant à toutes vitesse dans les rues autrefois si connues et familières, Dimitri et Byleth arrivèrent à rattraper Cornélia sans trop de problème, son uniforme de gremory étant extrêmement utile pour protéger le magicien de sa magie et de celle des autres mais, beaucoup moins pour s’enfuir, une partie de sa jupe abandonnée derrière elle, sectionnée d’un coup de dague. Byleth se faufila dans les ruelles que Dimitri lui indiqua une fois qu’elle fut dans son champ de vision, plus rapide que lui pour la prendre en tenaille.
« Cornélia ! S’écria-t-il, gardant autant son calme qu’il le pouvait face à cette femme qui lui avait tout pris. Arrêtez de fuir ! C’est fini !
Comme pour souligner ses mots, la professeure surgit des venelles de la ville, aussi vive qu’un chat, l’épée du créateur en avant, stoppant la course de la traitresse.
– Tiens donc, cela faisait longtemps, Votre Altesse, pas vrai ? Demanda-t-elle alors d’un ton mielleux en se tournant vers lui, piégée entre eux deux. Vous êtes devenu incroyablement fort.
– Vous ne manquez pas de culot, rétorqua-t-il, s’accrochant de toutes ses forces à Areadbhar et à son énergie gelée, une question jaillissant de ses lèvres. Je parie que c’est vous qui avez tué mon oncle et qui m’avez piégé, non ?
– Mais oui, tout à fait ! J’avais oublié cet épisode agréable de ma vie, se moqua-t-elle d’un air effronté, pas effrayé pour un sou.
– Eh bien je vais vous tuer, sale garce ! Enragea-t-il, hors de lui. Pour vous récompenser de tout ce que vous avez fait !
– Dimitri ! Ne répond pas à ses provocations. Elle ne cherche qu’à te pousser à l’erreur, le reprit Byleth, toujours aussi calme.
Le jeune homme l’écouta, sachant qu’elle avait raison, utilisant Areadbhar et sa voix pour s’ancrer à la réalité. Perdre son calme ne ferait que ruiner tous ses efforts, ceux de ses amis et des Braves de ces dernières semaines pour qu’il remonte la pente !
– Hm, renifla la traitresse en regardant Byleth. Je ne peux pas dire que je sois ravie de vous voir. J'en sais long sur vous… J’aimerais pouvoir discuter un peu avec vous… Mais…
– Je n’ai que faire de tes persifflages, la coupa le professeur sans perdre sa posture de combat ni son visage neutre. Nous sommes ici pour reprendre Fhirdiad et te chasser, toi et Eldegard, de Faerghus.
Elle engagea alors le combat avec un premier coup de taille. Cornélia esquiva en chargeant un sort mais heureusement, la professeure le vit et para avec son étole de Prophète. Dimitri en profita pour foncer sur la traitresse et lui assener un premier coup dans l’épaule, déchirant le gambison recouvrant ses bras. Cornélia siffla et tenta de le frapper avec sa dague à défaut d’un sort plus long à convoquer maintenant qu’il était proche d’elle mais, son armure encaissa sans souci le coup, étant bien renforcée aux niveaux des épaules et du torse. Le prince lui donna un autre coup en plein ventre, son emblème gelant ses veines alors que l’armure de plaque de son adversaire volait en éclat. Pile au bon moment ! Byleth acheva Cornélia d’un coup de taille, la faisant tomber au sol, vaincue.
« C’est fini ! Cessez les combats ! La traitresse Cornélia est morte ! Se battre pour elle est maintenant inutile ! Ne vous battez plus pour une morte ! » Hurla Byleth, l’écho de ses ordres parvenant à leurs oreilles, relégués par leur armée.
Dimitri essayait de reprendre son souffle, épuisé, les mains tremblant sous l’effort… ou peut-être le soulagement ? Il ne savait pas… il était si fatigué… la bataille avait été éprouvante pour eux tous… mais c’était fini… c’était fini… Cornélia était là, gisait à ses pieds, en train de se vider de son sang… il l’avait tuée avec Byleth… et si la plaie qui allait de son épaule jusqu’à sa hanche ne l’avait pas tué sur le coup, ce n’était qu’une question de temps… il aurait eu beaucoup de question à lui poser mais, tant pis. La traitresse tyrannique allait mourir et ne ferait plus rien de mal à personne, c’était le principal…
« C’est fini, Cornelia, hacha le prince entre deux respirations, entendant ses amis les rejoindre, l’écho de la voix de Mercedes leur demandant s’ils allaient bien tous les deux. Si vous avez quelque dernière parole, c’est le moment.
– Vous avez raison. Très bien… J’aimerais vous raconter une vieille histoire, si vous le permettez. C'était il y a de cela dix ans… Patricia a dit… elle serrait sa poitrine pour empêcher le sang de s’échapper et d’imbiber encore plus ses vêtements. Elle a dit qu’elle aimerait revoir sa véritable fille, peu importe ce que cela lui coûterait. Alors, j’ai exaucé son désir, en échange de la tête du roi…
– La tête du roi ? Vous parlez de la Tragédie de… » Hoqueta de surprise Dimitri, sans voix. Il ne s’attendait vraiment pas à ça ! Il ne put s’empêcher de lui cracher, refusant d’y croire. « Vous êtes une misérable ! Alors vous voulez dire que mon père… et tous les autres… ont été tués par ma belle-mère ?!
– C'est exact. Sa famille était tout pour elle… Vous devez comprendre ce sentiment, non ? Le questionna-t-elle avant de le narguer avec un sourire cruel, s’effondrant de plus en plus. Ah, pauvre petit prince. Que même sa mère n’aimait pas… C'est pathétique.
– Comment osez-vous ?!
– Tout ce qu'il vous reste à présent... c’est le désespoir, ricana-t-elle.
– Non. Il nous reste bien plus que cela.
Byleth intervient, l’épée du créateur flamboyant dans ses mains et regardant sévèrement Cornélia en la dominant de toute sa taille. Elle qui était si petite semblait grande comme le ciel à présent.
– Ce qui nous reste à présent, c’est de découvrir toute la vérité sur ce qui s’est passé sans vos mensonges. Merci, vous venez de nous donner un autre objectif qui nous motivera à nous battre de toutes nos forces.
Le visage de Cornélia se tordit à ses mots. Dimitri écouta sa professeure, tout comme Areadbhar. Elle ne parlait pas mais, son énergie à la fois glaciale et chaleureuse semblait tenter de communiquer avec lui, vouloir lui rappeler quelque chose. Dimitri posa un peu sa joue contre sa hampe, ignorant le sang pour juste sentir la présence de Simplex.
– C’est vrai. Blaiddyd est le Brave de la Justice, celui qui s’est toujours battu pour que les plus faibles puissent vivre un jour meilleur, et ses compagnons et égaux de toujours sont Fraldarius, Brave de la Persévérance qui n’a jamais perdu son but de vue, et Dominic, Brave de la Connaissance qui a toujours travaillé d’arrache-pied pour en savoir toujours plus sur le monde qui l’entourait, commença-t-il. Nous devons suivre leur exemple. Ce que vous venez de dire n’est pas une raison de sombrer dans le désespoir à nouveau mais, de se battre d’autant plus pour découvrir la Vérité, comme eux ont trouvé la vérité que les humains ne devraient pas asservir leurs propres frères et dans leur propre Révélation de la Déesse. Merci de me l’avoir rappelé Professeure.
Cornélia ne put s’empêcher de siffler de rage, une étincelle de magie noire apparaissant pour mourir immédiatement dans sa main, alors qu’elle-même expirait en le foudroyant du regard.
– Tu lui… ressembles… beaucoup… trop… ta lignée… maudit soit-e…
Dimitri n’avait aucune idée de qui elle parlait exactement mais, il s’en fichait, il avait d’autres chats à fouetter.
Il fit le bilan de l’état des troupes, et rencontra les chefs résistants qui les avaient aidés à reprendre Fhirdiad, tout en demandant à ce qu’on fasse venir l’agent infiltré dans la capitale. Il avait accompli un travail exceptionnel, et il espérait pouvoir aussi rencontrer ce fameux Omnes. D’après ses complices, il avait combattu dans la bataille mais, il était allé faire le tour des mécanismes installés par Cornélia pour les désamorcer, de peur qu’ils soient explosifs ou piégés. Il écoutait le rapport d’Ingrid sur les unités aériennes, quand ils entendirent :
« Votre Altesse ! »
Sylvain les rejoignit avec un sourire malgré une grande plaie tout juste rafistolée au bras, accompagnée de sa cousine Hlif que Dimitri reconnut comme la cavalière de valraven ayant tué le premier titan de métal, ainsi que d’un petit homme trapu aux cheveux et à la barbe noir veinés de gris, couvert de suie. À son habit, c’était surement un forgeron expérimenté.
« Voici notre espion ! Ajouta-t-il.
– Ah ! Merci Sylvain ! Le remercia-t-il. Et surtout, merci à vous. Toutes les informations que vous nous avez fait parvenir nous ont été précieuses et d’une très grande utilité pendant la bataille. Vous avez toutes notre reconnaissance et vous serez aussi récompensé à la mesure de votre aide. Oh ! Mais je manque à tous mes devoirs ! Je ne vous ai pas demandé votre nom !
– Ne vous en faites pas, vous le connaissez déjà, Lion Sauveur, rétorqua-t-il en se redressant, ou plutôt elle à la grande surprise de Dimitri et d’Ingrid.
– Fr… Dame Fregn ?! C’est vous ?! Je… je ne vous ai pas du tout reconnue, admit-il en voyant la mère de Sylvain se débarrasser de sa barbe, comprenant qu’il avait été berné par sa silhouette, son allure trapue et du maquillage soigneusement étudié.
– Tu me dois dix pièces Hlif, je t’avais dit qu’il ne la reconnaitrait pas, lança le rouquin à sa cousine, cette dernière marmonnant, les épaules et les bras entourés de bandages gelés pour apaiser les contrecoups de sa magie sreng.
– Comment je pouvais deviner que les Fodlans voyaient si mal ? Enfin, un pari est un pari.
– On sort d’une bataille, et la première chose à quoi vous pensez, c’est de parier sur s’il la reconnaitrait ou pas ? Les rappela à l’ordre Ingrid, les sourcils froncés et les yeux sévères.
– Pour notre défense, on avait fait ce pari avant le combat pour calmer nos nerfs justement, rétorqua Hlif. Enfin, on est pas là pour parler de cela, et le Lion Sauveur a surement beaucoup de chose à demander à l’Ombre.
Dimitri essaya de ne pas baisser les yeux, et plutôt de continuer à regarder Fregn. Les srengs n’appelaient jamais les autres par un titre et le vouvoiement n’existait pas dans leur langue alors, à la place, ils employaient des surnoms. S’il se souvenait bien, être appelé « Votre Altesse » par un sreng pourrait être vu pour de la froideur ou de la méfiance, là où un surnom mélioratif était un signe de respect. Il n’était pas sûr de mériter un tel surnom mais, ce n’était pas le moment de le relever.
Fregn avait en effet beaucoup de choses à dire, et leur présenta tout ce qu’elle avait appris à la capitale, dont sur ce fameux Omnes. Apparemment, c’était un érudit touche à tout, à la fois médecin et inventeur originaire de Morfis mais, qui aurait beaucoup d’amis à Faerghus, les ayant rencontrés pendant un voyage à la fin du règne du roi Ludovic, avant de repartir quelques années plus tard pour sa patrie. Quand il avait appris pour la Tragédie de Duscur huit ans auparavant, il avait sauté dans la première caravane traversant le désert, puis premier bateau en partance pour Rhodos venu pour retourner dans le Royaume, afin d’aider dans la mesure de ses compétences, même s’il avait bien mis quatre ans et demi à arriver. Il avait notamment voulu mettre à leur service une de ses inventions : des automates capables de se mouvoir seuls, sans aucune assistance humaine, pouvant d’effectuer des tâches simples. Le temps de l’adapter ses assistants de laboratoire pour les travaux agricoles et de constructions, le scientifique avait présenté le résultat de ses recherches à Rufus, quelques temps après le départ de Dimitri pour Garreg Mach mais, le régent n’en avait pas vu l’intérêt et l’avait chassé du palais, le traitant de savant fou. Omnes avait cependant eu la mauvaise surprise en rentrant chez lui de trouver les hommes de Cornélia, ordonnant son arrestation pour travaux scientifiques immoraux et la réquisition de toutes ses recherches. Heureusement pour lui, il avait réussi à s’enfuir et se cacher mais, tous ses travaux avaient été volés.
« C’est avec ses recherches que la traitresse a mis au point ses automates, les Titanus, les informa Fregn. Par contre, je n’ai pas trouvé de preuve attestant du vol de ses recherches, à part qu’il connaissait très bien leur manière d’être conçu, bien qu’il ne sache pas comment ils étaient bâtis en détail. La confection finale est trop éloignée de ses prototypes.
– D’accord, et j’imagine qu’il a été traqué par Cornélia après cela… devina Dimitri.
– Oui, il a même dû se faire passer pour mort pendant quelques mois qu’il a passé à fuir dans tout le Royaume puis, il est revenu à Fhirdiad quand il a su que vous aviez été exécuté Lion Sauveur. C’est là qu’il a commencé à mettre en place les premiers réseaux de résistance, au moins pour contrer la propagande de Cornélia assurant que vous étiez l’assassin de Rufus. C’est à ce moment-là qu’il a pris le nom d’Omnes…
Il allait lui demander si elle connaissait son véritable nom, quand ils entendirent un hurlement d’horreur parcourir toute la ville. Sans perdre une seconde, croyant que des renforts ennemis étaient sortis d’ils ne savaient où, les généraux foncèrent vers l’origine des cris, heureusement encore armurés et armés pour ce genre de cas de figure. Ils trouvèrent alors le croque-mort et ses assistants s’occupant de Cornélia, livide de peur alors qu’ils fixaient le corps. Quand ils virent Dimitri, l’homme en noir déclara en claquant des dents, pointant du doigt le cadavre de la traitresse.
« On… on a appliqué la procédure habituelle… on… on a vérifié son pouls, sa respiration, sa réaction à la douleur puis… puis quand on a été sûrs qu’elle était enfin morte, on l’a retournée sur le ventre… pour… pour la transporter face vers le sol comme pour tous les criminels… mais… mais là… Déesse, cinquante ans de métier et je n’avais jamais vu ça ! Là sa peau a commencé à glisser entre nos mains et… et un autre corps est sorti à travers la plaie ! On jure que c’est vrai ! Regardez ! On le voie qui dépasse !
Ingrid fit signe à Dimitri de ne pas s’approcher de peur d’une autre ruse de la traitresse, retourna un peu du bout de sa lance avec prudence, avant de faire elle-même un pas en arrière, horrifiée. Par la plaie béante, on voyait un autre corps, emboité dans la peau à la manière de certaines poupées mais là, ce n’était pas des jouets en bois mais, des êtres de chair et de sang ! Un autre maléfice de Cornélia ?!
– J’ai entendu ce qui s’est passé ! Laissez-moi passer ! Il faut que je vérifie quelque chose ! Je crois savoir ce qui se passe !
La foule s’écarta pour faire passer un tout petit homme aux cheveux rouges très sombres, presque noir comme certains vins ou du sang séché, assez semblable à ceux de la vraie Monica, tirés en arrière avec une tresse bouclée, roulée en chignon à la va-vite. Ses yeux rouges et vifs étaient aussi assez inhabituels, tout comme sa peau assez pale à l’aspect presque pierreux mais, cela n’était pas des couleurs impossibles non plus. C’était simplement extrêmement rare à Fodlan mais, s’il avait bien compris, c’était très courant à Morfis. Ses habitants étaient connus pour avoir des cheveux, des yeux et des teints très différents de ceux du continent, avec le fait qu’ils ne se ridaient pas avec la vieillesse. D’ailleurs, il était impossible de dire l’âge de cet homme : ses traits ressemblaient à ceux d’un jeune adulte mais, ses gestes étaient ceux de quelqu’un avec beaucoup d’expérience. Un drôle de mélange qu’il retrouvait en Flayn, Seteth et Rhéa… Enfin, ce n’était pas le plus important.
L’homme s’agenouilla à côté du cadavre, ramenant son tablier d’herboriste sous ses genoux, même si ses poches débordaient d’outils variés.
« Attention ! Cela peut être dangereux ! Le prévint Ingrid.
– Ne vous en faites pas pour moi, cette vipère ne fera plus jamais de mal à personne… marmonna-t-il en inspectant le cadavre. Je vois… je ne savais pas qu’ils… enfin, peu importe. Il faut déjà… humf ! Il tenta de tirer ce qui dépassait de la plaie mais, dû se résoudre à son échec en rageant contre lui-même. C’est pas vrai, moi et ma force… j’ai besoin d’un coup de main s’il vous plait ! Deux personnes pour tenir ses membres pendant que je tire dans l’autre sens ce que cette peau contient, demanda-t-il en se tournant vers la foule.
– Qui nous dit que ce n’est pas un piège et que tu n’es pas de mèche avec Cornélia ? Le questionna Gilbert, faisant partie des gens attirés par les cris.
– Si c’est un piège, il n’aurait pas bien fonctionné étant donné qu’il est assez voyant et ne s’est pas déclenché à sa mort, sauf si le but est de tuer les croque-morts qui déplaceront le cadavre, rétorqua l’homme. De plus, ce n’est pas Cornélia… enfin, pas celle que vous pensez. C’est sa peau, oui mais, celle à l’intérieur n’est pas la femme que vous pensez être. Ce sera plus clair quand on l’aura tirée de là.
– Fregn, vous le connaissez ? La questionna Dimitri en se tournant vers elle.
– Oui, il s’agit du fameux Omnes, c’est lui qui a tenu toute la résistance de la ville, ainsi que celui qui a désarmé les sortes d’orbe magique sans magicien, déclara-t-elle. À première vue, il est de confiance mais, mieux vaut que des prisonniers l’assistent.
Comprenant le raisonnement, Dimitri accepta et fit venir deux soldats capturés qui aidèrent l’inventeur. Eux-mêmes se mirent à hurler de peur quand, à la fin, ils se retrouvèrent avec une enveloppe de peau d’un côté, et de l’autre un corps s’y ressemblant à s’y méprendre à celui de Kronya et Solon.
« Ils sont donc aussi impliqué là-dedans. »
– Hum… j’en avais entendu parler avant mais, c’est la première fois que je vois ça, marmonna Omnes en allongeant le corps puis, en inspectant l’enveloppe qui le contenait, étant le seul à garder son calme et un air grave.
– De quoi s’agit-il ? Lui demanda Dimitri. Nous avons déjà croisé deux personnes dans le passé qui se sont avérés être des imposteurs. Leur corps ressemblait beaucoup à celui que vous tenez.
– De ce que j’ai entendu à ce sujet, c’est une sorte de… déguisement intégral mais, bien plus macabre : on tue la cible à remplacer puis, on lui enlève sa peau comme celle d’un animal en coupant à des endroits où on ne peut voir les entailles, comme sous les bras par exemple ou sur les côtes, déclara-t-il en montrant des sortes de coutures sur la peau. Quelqu’un connaissait la victime ici ?
– Oui, une partie d’entre nous, répondit Gilbert de manière évasive.
– Est-ce qu’elle a disparu pendant un temps et après sa réapparition, est-ce qu’elle avait changé de comportement ?
– Hum… maintenant que vous le dites, oui. Il y a treize ans, elle a dû s’absenter de la cour pendant plusieurs mois à cause d’une chute dans les escaliers. Elle s’était blessée à la tête, nous avions pensé que c’était à cause de cela que son comportement avait changé… marmonna-t-il, se maudissant lui-même de n’avoir rien remarqué.
– Vous ne pouviez pas savoir, lui assura Omnes en devinant ce qui se passait dans sa tête. Cela doit être le temps qu’il leur faut pour rendre la peau portable… ensuite, on la donne à un porteur qui fait à peu près le même gabarit que la victime et s’il est assez bon acteur, il peut la remplacer en imitant son comportement. La Cornélia d’origine a surement été remplacée pendant sa convalescence. À tous les coups, elle a été attaquée par cette femme et ses alliés qui l’ont tuée pour obtenir sa place au plus près du pouvoir et de la cour… Par contre, je sais que c’est un processus très long, qui demande énormément de ressources et d’énergie. Il est également très risqué car, une fois découvert, et surtout une fois qu’on a découvert comment on peut mettre au jour la supercherie, l’ennemi devient bien plus méfiant et fait attention. La personne qui m’avait parlé de ce maléfice m’a dit par exemple qu’une fois coupée, la peau « d’emprunt » ne saigne pas mais, ne se régénère pas non plus, ce qui oblige à faire des coutures qui pourraient trahir la nature même de la peau, ou créer des soupçons. Ils n’ont pas dû l’utiliser à tort et à travers.
– Pourquoi aurait-elle fait ça à votre avis ? Et dans quel but ?
– Je ne sais pas… marmonna Omnes à la question de Dimitri. Argent, pouvoir, désir de puissance, simple envie de nuire, volonté de détruire le Royaume, sympathie adrestienne, tenter de préparer la guerre qui nous frappe aujourd’hui, envie de faire brûler le monde entier en semant le chaos… les options les plus simples et les plus délirantes sont toutes à prendre en compte, surtout que toutes les personnes impliquées ne partagent surement pas le même objectif. J’ai fait des recherches sur Cornélia et ses alliés quand ils m’ont volé mes recherches, afin de comprendre ce qu’ils voulaient en faire, et je suis tombé sur un vrai nid de serpents. De ce que j’ai pu apprendre sur ce groupe d’humains étranges, ils recherchent surtout le chaos. C’est une sorte de secte qui se replie sous terre pour se cacher des autorités, et c’est pour ça que ses membres ont une peau aussi pale, voir grisâtre. Ils ne voient jamais le soleil. Mais quoi qu’il en soit, leurs intentions sont purement mauvaises et ne visent qu’à tout détruire sur leur passage, déclara-t-il, une colère sourde dans sa voix.
– Un groupe ne voulant que le chaos ? Répéta Sylvain, se grattant la tête. Ça n’a aucun sens… même Eldegard veut quelque chose de plus concret en voulant refaire un empire mort depuis plus de quatre cents ans car, elle fantasme sur le passé mais… qu’est-ce qu’ils ont à gagner à vouloir la destruction pour la destruction ? Qu’est-ce qui leur restera après ?
– Ils sont peut-être des genres de Loki qui aime semer la zizanie et le chaos car, c’est dans leur nature et leur destin ? Lui proposa Hlif.
– Ouais mais, même Loki a des arguments qui tiennent mieux pour vouloir tout détruire… répondit son cousin.
– Tout de même, admet que cela correspondrait à Solon et Kronya, lui fit remarquer Ingrid. Ils ne semblaient pas avoir plus d’objectif que de tuer, détruire et ruiner tout ce qu’ils croisaient.
– Je dois admettre que j’ai moi-même quelques doutes sur le fait qu’on ne puisse désirer que le chaos et la souffrance d’autrui, sans autre objectif derrière, admit Dimitri. Cependant, nous n’avons pas vraiment d’autres pistes. Omnes ?
– Oui… Votre Altesse j’imagine ? Demanda-t-il. Aux vues de comment les autres vous traitent, j’imagine que c’est vous. Les forces du monde en soient remerciées, vous êtes encore en vie…
– C’est cela. Omnes, j’aimerais que vous partagiez avec nous tout ce que vous savez sur ce groupe. Tout sera pris sous l’angle de l’hypothèse tant qu’aucunes preuves n’accompagneront pas vos dires mais, vous semblez être celui qui en savez le plus sur tout ceci.
– Bien Votre Altesse, accepta-t-il sans hésiter. Je vous jure de vous révéler tout ce que je sais. Je vous le jure, ainsi qu’à un très vieil ami.
– Merci à vous, répondit-il, même s’il décida d’être discret sur l’identité de cet ami, c’était surement très personnel pour faire une telle promesse devant lui aussi alors qu’il était absent. Peut-être que c’est une autre victime de ce groupe… d’où le fait qu’il soit aussi bien au courant sur eux. Une dernière question plus triviale. On m’a dit qu’Omnes était un surnom. Pouvons-nous connaitre votre véritable nom ?
– Oui. Mon nom est Pan… Morfis n’a pas vraiment de nom de famille comme à Fodlan mais, mes amis d’ici m’appelaient « Le Prudhomme » alors, vous pouvez m’appelez Pan Prudhomme. Je serais ravi de vous servir sous ce nom Votre Altesse.
*
Une fois que le plus urgent fut réglé, Dimitri s’autorisa à déambuler un peu dans le palais… il… il ne s’était pas attendu à ce que son peuple l’acclame ainsi… pas après les avoir abandonnés pendant si longtemps… les avoir laissés cinq ans à la merci de Cornélia alors qu’il ne pensait qu’à couper la tête d’Eldegard… et pourtant, ses sujets avaient été là, l’acclamant au balcon royal comme leur roi, le louant pour les avoir libérés des sous-fifres des impériaux, scandaient son nom et le surnom que lui donnaient les srengs « le Lion Sauveur », ces derniers hurlant aussi qu’il était digne de respect et de la couronne qu’il avait dans les veines… quand il était descendu les saluer, une vieille femme lui avait pris les mains, rayonnantes de joie en disant.
« J’étais une jeune fille quand cela est arrivé mais, je me souviens du jour où votre grand-père Ludovic le Prudent a mis fin au règne de son père, Clovis le Sanglant… aujourd’hui, vous lui ressemblez… votre grand-père doit être très fier de vous de là où il est… »
Son grand-père… celui qui avait mis un terme au cycle de conflit sans fin du roi Sanguinaire… Dimitri devait avouer qu’en dehors des récits officiels et de certaines histoires de Rodrigue et Alix, il connaissait très mal son grand-père, mort de la tuberculose alors que sa mère était enceinte de lui… certains murmuraient même qu’il aurait pu se réincarner en lui mais, il croyait peu à la réincarnation, surtout en entendant les morts le supplier de les venger pour qu’ils puissent reposer en paix… cela semblait contradictoire. Son père parlait très peu de Ludovic en dehors de tout ce qui était officiel, et Rufus, c’était encore pire. Le jeune homme pouvait difficilement oublier la fois où, encore plus saoul que d’habitude, son oncle était allé jeter des ordures sur le portrait officiel de son père et avait voulu le brûler, hurlant que tout était de sa faute, il avait fallu l’assommer avec un sort « Vitalis »… Ludovic était un sujet tabou pour ses fils… enfin, il avait énormément de travail avant d’arriver à la cheville d’un roi tel que son grand-père ou de son père…
« Les histoires de familles, ce n’est vraiment pas notre fort… elles finissent toujours mal… » ne put s’empêcher de se dire Dimitri.
Marchant sans trop réfléchir où il allait, juste pour déambuler et faire le point sur ce qui s’était passé aujourd’hui, le jeune homme dériva à travers le palais… malgré ce qu’il avait dit, les paroles de Cornélia le travaillaient… est-ce que c’était vrai ? Que la plupart ne soit qu’un ramassis de mensonge destiné à le faire resombrer dans la haine et la vengeance était sûr mais, où commençait-il ? Quelle était la part de vérité ? Est-ce qu’il retrouverait Patricia à Enbarr ? Serait-elle en train d’encourager ou de tenter vainement d’arrêter sa folie ? Son côté sombre penchait plus vers le premier cas… si elle était capable d’un tel massacre juste pour revoir sa fille…
Alors, est-ce que ses bons souvenirs d’elle était aussi un mensonge ? Il se souvenait que quand Eldegard soit retournée à Enbarr après que Lambert ait finalement chassé Arundel, jugé coupable de tentative de meurtre sur mineur et d’être une trop grande menace pour la sécurité nationale avec sa nièce, Patricia s’était beaucoup refermée sur elle-même et leur parlait à peine, refusant même de voir son père sans Cornélia quand ils étaient sensé être tous les trois… mais elle était si gentille avant… ses yeux d’adulte dirait qu’elle pouvait être capricieuse et impérieuse avec son père, devenant notamment très jalouse quand il parlait trop longtemps d’Héléna, même à Dimitri alors que c’était sa mère biologique mais, à part ça, elle était gentille avec lui… était-ce sa vraie personnalité ou alors, une façade ? Est-ce qu’elle était la mère aimante bien que distante dont il se souvenait, ou une femme prête à tuer pour obtenir ce qu’elle voulait ?
Félix lui dirait sans doute qu’il réfléchissait trop mais, le jeune homme recommençait à avoir mal à la tête… avec les fantômes qui avaient déjà leur réponse, même le sien… si c’était bien un fantôme… ou alors… est-ce qu’Eldegard serait allé jusqu’à…
« O… »
« Eh ! Dimitri ! On te cherchait de partout !
Le blond sentit alors la main de Sylvain se poser entre ses épaules en hurlant à moitié, un grand sourire aux lèvres, suivit par Ingrid.
– Où est-ce que tu étais passé ? On a tourné dans tout le palais pour te retrouver !
– Merci le flair de renard, ajouta le rouquin en tapotant son nez.
– Oh, ce n’est rien. Je voulais juste réfléchir un peu à tout ce qui s’était passé et dit aujourd’hui.
– Tu penses à ce que t’as craché Cornélia… enfin, celle qui a remplacé Cornélia je parie, devina Ingrid avant d’ajouter. C’était que des ramassis de mensonges, tu le sais non ? D’ailleurs, c’est n’importe quoi cette histoire sur Patricia. Elle était très proche de Lambert quand on la voyait mais, pas à ce point… et elle n’aurait jamais trahi le Royaume comme ça !
– Oui mais… où commence-t-il ? » Lui demanda le blond, osant à peine leur dire maintenant que Patricia était bien sa belle-mère, il ne leur en avait jamais parlé avant… « Après tout, on n’a jamais retrouvé le corps ou quoi que ce soit de Patricia, pas même sa voiture… pour tous les autres disparus, on a retrouvé un morceau d’eux ou des objets leurs appartenant mais, rien pour Patricia… je pensais tout ce que j’ai dit sur Cornélia, je te rassure mais, je me pose tout de même des questions… elle… Patricia… elle avait beaucoup changé les dernières années…
– Tu crois qu’elle aurait pu être remplacée aussi ?
– Qui sait…
– Hum… je propose plutôt que tu dormes dessus, déclara Sylvain avant d’argumenter. Tu viens de l’apprendre, et pas de la manière la plus agréable possible. On a aucune preuve pour étayer l’hypothèse que Cornélia et Patricia était en effet complices, à part qu’elle ait complètement disparu sans laisser de trace mais, ça ne prouve rien de sa complicité dans cet évènement. En plus, Cornélia s’est aussi tiré une flèche dans le pied en disant que Patricia voulait la tête du roi. Si on part du principe qu’elle voulait juste tuer le roi pour retourner voir sa fille biologique, si on assume que cette fille existe et que Cornélia n’a pas encore menti – car pourquoi elle ne le ferait pas ? – elle aurait eu mille autres moyens de faire mourir le roi. Elle aurait pu l’empoisonner, le résultat aurait été le même en plus discret et elle aurait pu s’éclipser en prétextant devoir assurer son avenir en travaillant ailleurs. Même si elle était coincée ici, la mort soudaine du roi aurait provoqué un gros désordre politique avec tout le monde qui veut être régent à la place du régent alors, elle aurait pu s’enfuir à ce moment-là aussi. De plus, l’idée du voyage à Duscur était l’idée de Lambert seul pour résoudre les tensions à la frontière et il n’en avait parlé à personne jusqu’à mettre son conseil au pied du mur. Je me souviens encore de ma mère qui fulminait que c’était une idée digne d’un roi sans yeux, et il faut vraiment dépasser les bornes pour que ma mère soit honnête sur ce qu’elle ressent quand on est en Fodlan.
– Ce n’est pas faux… Frédérique avait dit que personne n’était au courant que Sa Majesté Lambert avait échangé une correspondance avec le conseil de chef de Duscur, même dans la chancellerie et la diplomatie, admit Ingrid en se souvenant de l’air atterré de son frère quand il l’avait appris. Ce voyage avait été très soudain…
– Je m’en souviens aussi… mon père s’était même disputé violemment avec Alix… Félix m’avait aussi dit qu’il avait fait du mal à son père, se rappela à son tour Dimitri, se rappelant de l’épéiste donné un coup de pied à Lambert en l’accusant de faire du mal à sa famille. Ils étaient tous sur les nerfs…
– Alors, si ce voyage a été préparé dans la précipitation, les comploteurs aussi ont dû se presser alors, ils ont dû laisser des traces. Et se presser pour trouver une solution en ruminant ne te donnera que des migraines Dimitri, ajouta le rouquin.
– Je suis du côté de Sylvain pour le coup, le soutient Ingrid. On est tous fatigués en plus, ça n’aide pas à bien réfléchir, et il faudra surement une longue enquête pour tirer tout ça au clair… je suis sûr que les jumeaux ont cherché des explications à ce qui s’est passé, ils doivent avoir des réponses, ou au moins un début de réponse.
– Hum… vous n’avez pas tort, admit le prince. Merci beaucoup tous les deux…
– C’est normal Dimitri, lui sourit Ingrid.
– Bon ! Maintenant que tu as l’esprit au calme et qu’on t’a retrouvé, je propose qu’on aille tous à la fête des srengs pour nous vider la tête ! Les invita le rouquin.
– Je croyais que c’était une célébration religieuse en l’honneur de la victoire commune… le reprit la chevalière avec un ton sévère.
– Comme le dirait Hlif, à Sreng, la différence entre une fête et une célébration religieuse après une victoire, c’est où tu la fais, quand, pourquoi, et quel alcool tu sers. En plus, Fregn veut te faire gouter un plat sreng pour te remettre un peu de chair sur tes os. Ça te fera du bien, et la fête faerghienne aura lieu dans quelques jours alors, on aura récupéré pour.
Malgré le grondement réprobateur dans le fond de sa tête, Dimitri accepta l’invitation, tout comme Ingrid. Il avait envie de rester avec eux et parler avec Fregn, et il devait avouer qu’il était curieux de rencontrer la fameuse Hlif dont Sylvain parlait souvent, il n’avait pas eu le temps de vraiment se présenter.
Ils descendirent tous les trois dans la grande place devant le palais, déjà débarrasser des corps des soldats tombés pendant la journée. Il remarqua alors que les srengs avaient mis des petits poteaux de partout, avec des noms et des vœux funéraires pour les morts. « Tu t’es très bien battu mais, tu as tout de même rencontré ta walkyrie », « Tu es tombé car tel était ton destin mais, aujourd’hui, tu festoies au Valhalla avec les dieux », « nous n’oublierons pas à quel point c’est dur mais, on avance en pensant à vous », « même si tu es mort, le village continuera à veiller sur ta famille pour toi »… et bien d’autres phrases, vœux et promesses… certaines que les faerghiens trouvaient choquantes mais, d’autres semblaient bien familières.
Les carcasses des Titanus n’avaient pas encore été évacuées mais, les srengs les avaient recouverts de tissus chatoyants récupérés où ils pouvaient, et parfois même de leurs propres couvertures, capes ou même leur chemise, exhibant tous leurs tatouages et cicatrices avec fierté, prouvant leur force et leur capacité à se battre. Hlif avait relevé ses manches et jambes de pantalon, révélant son corps entièrement tatoué, signe qu’elle était une très puissante magicienne, et même Fregn montrait les sorts de runes incrustés sur sa peau, bien que la plupart ait été barrés et donc rendus inutilisables depuis son mariage. Ils avaient aussi rassemblé autant de nourriture qu’il avait pu se le permettre et faisait tout cuire, des petites statuettes de divinités élevés à la place d’honneur sur un morceau de Titanus cassé, où un d’entre eux avaient écrit « merci aux dieux et au destin d’avoir contribué à vaincre ma maitresse, la traitresse Cornélia. On est mieux sans elle ! ».
Quand la fête commença, Fregn leur fit signe de s’installer au premier rang, alors que celle qui officiait comme prêtresse les félicitait tous pour leur victoire. Elle remplit un grand vase rempli d’alcool s’il se fiait à la couleur, versa une petite partie dans la coupelle des dieux, puis se mit devant Dimitri.
« Au général qui a mené la charge de boire le premier, déclara-t-elle avant d’insister, devinant surement qu’il allait lui dire de commencer par Fregn qui s’était infiltrée à Fhirdiad pendant des mois. Vous l’avez amplement mérité, Lion Sauveur. »
Il accepta alors le vase et but une gorgée. Il ne sentit pas le gout du breuvage, seulement la brûlure de l’alcool fort sur sa langue mais, sans trop savoir pourquoi, entouré de deux de ses plus vieux amis, de rire, d’applaudissement et des louanges hurlés en sreng, le bruit dans le fond de sa tête s’arrêta à nouveau. Ce n’était pas un effet de l’alcool, il ne boirait pas beaucoup pour être sobre pour la journée de demain afin de travailler correctement. C’était un mélange de tout… la joie, ses propres applaudissements qu’il décerna à tous ceux qui avaient combattu, l’instant de calme pour les morts et la tristesse de les avoir perdus, avant qu’un homme ne hurle :
« Alors, que la musique soit d’autant plus forte ! Que les rires soient tonitruants ! Que les chants soient si puissants qu’ils en deviennent discordants ! Que l’alcool tombe de nos verres ! Que nos mots soient hurlés ! Le deuil est toujours difficile mais, c’est un instant de fête ! Nos proches voudraient nous voir heureux d’avoir l’emporté sur nos ennemis et de voir qu’ils sont si peu nombreux avec les dieux ! Fêter ce retour du calme et de la paix en cette ville ! Rire du sort de cette engeance de la honte des hommes et de la honte des dieux ! Nous voir sourire afin de narguer Loki et ses enfants maudits qui se réjouissent de la peine et de la misère ! Nous ne les voyons pas mais, eux, ils célèbrent la victoire au Valhalla auprès des dieux ! N’entendez-vous pas au loin ?! Leur fête bat déjà leur plein alors, ne les décevons pas ! »
Les musiciens répondirent en recommençant à jouer des musiques joyeuses et entrainantes, suivit de chansons toutes plus exubérantes les unes que les autres, improvisant sur les exploits de la journée.
« Un monstre de métal a voulu m’écraser,
Mais j’ai hurlé sur lui et il est tombé,
Après tout, il n’était qu’une grosse poupée,
L’engeance de Loki est bien humiliée ! »
« J’ai volé dans le ciel sur mon valraven,
J’ai frappé de tous les côtés avec mon partenaire,
À ses côtés, je n’ai jamais peur même dans les airs,
Car il me rattrapera toujours sans peine ! »
« Je croyais voir un pauvre désert de pierre,
Mais j’ai vu une ville aux yeux de feu, quelle femme !
Avec un lion à sa tête, quel beau bestiaire !
Ces yeux me rappellent ceux de ma si tendre Gauja… »
Et encore et encore d’autres… tellement que Dimitri serait incapable de se souvenirs de toutes, et il n’était pas sûr que leurs interprètes aussi mais, ce n’était sans doute pas importants… l’important, c’était leurs effets sur le moment, les rires, les cris, les danses et la joie simple qu’elles procuraient. Beaucoup de srengs vinrent vers lui pour le féliciter, certains même pour le défier en combat singulier pour s’entrainer. Il put discuter un peu plus avec Hlif qui lui raconta l’effet de tous ses tatouages, de celui pour se fondre dans la brume, à celui qui inversait le sens du vent un instant, en passant par celui pour retourner sur sa selle quand elle tombait de valraven, ainsi que son tatouage autour de l’œil qu’il avait déjà vu en action, lui annonçant par exemple que Cyril s’était endormi avec sa wyvern et qu’Ashe le ramenait dans son lit.
Fregn discuta aussi avec lui, la femme lui posant dans les mains un fromage typique de sreng, réputé extrêmement fort et rien que l’odeur le confirmait. Évidemment, sa langue sentit à peine son gout, ce qui fit rire un homme, en disant qu’il serait un vrai sreng s’il arrivait en plus à avaler le hakarl, de la viande de requin séché au gout réputé immonde pour tous ceux qui n’avaient pas un palais habitué. La mère de Sylvain lui posa des questions sur son état de santé, s’il se sentait mieux et une fois qu’il ait répondu à ses questions, elle lui raconta les dernières nouvelles de Gautier, ainsi que des histoires de sa mère biologique, Héléna. Fregn était une des personnes les plus bavardes sur elle après son père et les jumeaux, et ça lui donnait un peu l’impression de connaitre cette femme, morte à peine deux mois après sa naissance… Dimitri connaissait toutes ses histoires par cœur mais, cela faisait toujours du bien de les réentendre…
Il se coucha un peu tard… quoi que pas tant que ça comparer à d’autres mais, il se sentait bien. Le jeune homme sombra presque immédiatement dans un sommeil sans rêve, juste rythmé par la musique qui emplissait ses oreilles au loin.
*
Déesse… ça faisait mal ! ça faisait si mal ! Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu aussi mal ! Il avait l’impression de s’ouvrir de partout ! D’exploser de l’intérieur ! Mais le pire, c’était ses jambes ! Il avait l’impression qu’on les lui écrasait tout en les coulant dans une chappe de plomb ! Comme si on les collait ensemble par il ne savait quel maléfice ! ça faisait tellement mal ! Il s’agitait dans tous les sens, surtout ses jambes en essayant de les décoller l’une de l’autre, frappait tout ce qui l’entourait, mordait tout ce qui passait près de lui pour ne pas se couper la langue alors qu’il se retenait d’hurler, se mordant le bras jusqu’au sang à la place, il était bien assez pathétique comme ça !
« Ça suffit ! Je veux juste que ça s’arrête ! »
« Jeune maitre ! Restez avec nous ! Reprenez-vous ! »
Il sentit des bras se poser sur sa poitrine, pour tenter de le clouer dans l’eau et de le calmer, appuyant sur ses côtes. Un autre éclair de douleur le traversa tout entier, comme si on venait de lui assener un coup de couteau en plein poitrine et qu’on fouillait dans la plaie, une seule pensée à l’esprit.
« Ça fait mal ! Dégage ! J’ai déjà bien assez mal comme ça ! »
Pour le coup, ses jambes collées furent bien utiles, repoussant d’un coup celui qui lui faisait mal, même si l’impact renforça encore plus la douleur, comme si elles allaient se briser comme du verre s’il recommençait. Déesse ! Il voulait juste que ça s’arrête !
Sa vue était floue, brouillé de larmes, et il n’entendait pas bien… comme sous l’eau… le sang dans ses tempes battant trop fort pour qu’il entende quoi que ce soit d’autres. Mais entre deux cris étouffés, il voyait quelqu’un… il l’avait déjà vu… la personne lui tendait la main… la tendait vers ses yeux…
« Non ! Non ! Non ! Va-t-en ! Laisse-moi ! Je ne te suivrai pas ! Jamais ! Il me faudra me battre d’abord ! » Menaça-t-il, même si c’était plus pathétique qu’autre chose, il était à peine capable de bouger autrement qu’en convulsant.
« Félix ! Il faut que tu te calmes ! Tu vas te blesser ! »
« Filius fili… » murmura la silhouette.
Félix sentit son père l’approcher, le tenir tranquille alors qu’il se débattait encore. Déesse ! Pourquoi tout le monde appuyait sur sa poitrine ! Il n’avait pas compris que ça faisait mal ! Partez ! Partez tous ! Il ne voulait pas que qui ce soit le voie dans cet état ! Il avait déjà bien assez honte comme ça ! Il ne pouvait rien faire de toute façon ! Rien ! ça faisait si mal !
« Va-t’en ! Laissez-moi seul !
– Pavor est adversaris. No pave. Sin pavor, dolor…
– Toi aussi ! Pars ! Partez tous ! Je ne te suivrais pas de toute façon ! Économise ta salive si tu tiens à ta langue ! Va-t’en ! »
Le blessé mordit un autre hurlement avec la première chose qu’il trouvait, sentit le gout ferreux sur sa langue mais, sans la douleur de la morsure. Ce n’était pas à lui… ce n’était pas son bras ! C’était un doigt ! Et pas le sien ! Merde ! Qu’est-ce que le vieux avait-il encore bien pu faire comme stupidité ?! Il n’avait quand même pas… !
– Chut… » Le jeune homme sentit les bras de Rodrigue passer derrière sa nuque et prendre son épaule avec précaution, le tirant contre lui. Il était si chaud… « Ça va aller… ça va aller… ça fait mal mais, on est là, on va trouver le moyen d’apaiser la douleur… on est là… on ne t’abandonnera pas… jamais…
Par réflexe, Félix se pressa son visage contre la chaleur, la cherchant plus que tout à cet instant… ça faisait toujours aussi mal, il avait toujours l’impression que ses jambes allaient se disloquer et fondre dans une chappe de plomb mais, ça devenait plus supportable… c’était puéril mais, il n’avait pas la force de nier à quel point la simple présence de son père lui faisait du bien… le jeune homme crut un instant que c’était sa magie mais, il devina assez vite que ce n’était pas ça… la magie, même de foi, lui faisait plus mal qu’autre chose… il avait déjà bien trop d’énergie en lui… non… c’était… autre chose… encore plus fort… là depuis toujours… et qui lui faisait chaud au cœur…
« Caritas suorum est potentissimam magicam disciplinam, » souffla la silhouette, devenant plus clair, plus familière, moins menaçante… il la connaissait…
– Je sais que tu as peur et que ça fait mal… mais on fera tout pour t’aider et tu vas résister… tu as toujours été si fort… tu t’es toujours battu… je sais que tu vas t’en sortir… je le sais… on sera toujours là pour toi…
– Papa… ne… pars pas… reste…
Félix n’eut pas la force de se maudire tout seul de réclamer son père comme un gosse… ça faisait moins mal et il ne voulait pas qu’il parte, alors que sa simple présence rendait la douleur plus supportable… il ne voulait plus que Rodrigue parte… ça faisait juste si longtemps…
– Bien sûr, » souffla Rodrigue en ajustant leur position, surement parce que Félix avait enfoncé sa tête dans son ventre sans réfléchir, à part à comment plus sentir cette magie qui se dégageait de son père. « Je reste avec toi… ça va aller… ne t’en fais pas… je ne te quitterais pas…
« Caritas suorum… » songea Félix en entrouvrant une dernière fois les yeux pour voir son père qui lui souriait, tentant de le rassurer, avant de resombrer dans le sommeil.
Quand ses paupières se réouvrirent, il rencontra à nouveau les prunelles de son père mais, sur quelqu’un d’autre, le reconnaissant enfin … c’était même elles qui l’avaient poussé à lui faire confiance la première fois qu’il l’avait vu… ils avaient vraiment tous les mêmes yeux de chat dans la famille…
« Tu y vas fort… tu ne m’avais pas fait aussi mal la dernière fois… marmonna-t-il, se sentant flotter à la surface du lac.
– Tu tam… tua vulnera sunt gravissima…
– Je sais… » grogna-t-il, devinant à la tête de Fraldarius ce qu’il venait de dire sans rien comprendre à sa langue. Il tenta de masser sa poitrine pour savoir ce qui se passait dedans mais, il enleva sa main assez vite à cause de la douleur. « J’allais pas le laisser crever…
– Comprehendo. Tu amas pater, et tu amas familiam nostram, lui fit remarquer son ancêtre, ses mots complètement transparents, tout comme son expression.
– … peut-être…
– Dic mendacium alter, rétorqua-t-il avec un air piquant, et ça ressemblait trop à sa propre tête quand il faisait une remarque caustique, même sans parler un mot de latin. Tu amas pater et familia nostra fortior quam tu admittis, et homines vident veritatem.
– … oui… je sais… ça te va comme ça ?
Son ancêtre eut un petit sourire entendu, avant de passer sa main sur ses yeux, les fermant alors qu’il l’enfonçait sous la surface du lac, fredonnant doucement… sa voix se mêlait à celle de Rodrigue… ses poumons se remplirent d’eau comme si c’était de l’air… la douleur dans ses jambes devenant plus sourde, bien que toujours présente… sa poitrine et aussi sa gorge toujours transpercées… Félix se laissa faire… tout irait bien avec Fraldarius et son père à ses côtés… et même si parfois, son père disparaissait et que les eaux semblaient plus sombres, il finissait toujours par revenir… ça irait…
« Ubi in vitam edi etirum, omnia bene procedit. »
*
Dimitri crut que le monde entier était en peau et faux… à peine Fhirdiad libérée qu’il avait reçu un appel à l’aide de Claude, les forces impériales dirigées par Arundel prenant d’assaut Derdriu. Évidemment, les faerghiens étaient allés directement à son secours, refusant de le laisser tomber, envoyant leurs troupes de Leicester en première garde pour l’aider à se défendre avant l’arrivée des adrestiens. La Déesse soit louée, l’armée principale arriva juste à temps pour empêcher la prise de la capitale aquatique mais quand il tua Arundel alors qu’il assaillait Claude et Hilda… la hache de cette dernière avait pratiquement arraché son bras et la jambe de son oncle… enfin, une partie de sa jambe… la peau de sa jambe… découvrant une peau grise comme celle de la fausse Cornélia… alors, lui aussi…
Il… Dimitri ne savait même pas comment il avait fait pour ne pas craquer sur le coup… à cause de l’angoisse de la bataille surement… et du fait qu’Arundel venait de dévoiler à tous qu’Eldegard était sa sœur… un mélange de tout surement… il faudrait qu’il remercie Sylvain et Ingrid d’avoir aussi bien géré la curiosité de leurs camarades, plaidant qu’ils devraient plutôt en parler quand ils seraient avec Félix afin de ne pas se répéter, ainsi qu’avec les jumeaux, ayant surement des réponses aussi à ce sujet… les deux cavaliers étaient surement aussi curieux qu’eux mais, ils les avaient bien canalisés, lui donnant du temps pour réfléchir à tout cela… et comment leur expliquer… le tout en recevant en plus l’Alliance… apparemment, la Table Ronde et les autres seigneurs de l’Alliance avaient voté à l’unanimité pour rejoindre le Royaume sous l’égide de Dimitri… Claude les lui avait alors laissé avec l’Infaillible, sa propre Relique, en signe d’amitié et de ralliement. Déesse… ça faisait beaucoup à digérer d’un coup…
Alors, le jeune homme s’était isolé, mis à part sur le port de Derdriu et s’était mis à déambuler, en espérant arriver à ordonner ses pensées au calme… sauf que… que tout se tordait à nouveau… l’eau semblait trop bleu, les bateaux revenus de la haute mer avec les derdriens semblable à des jouets géants, les maisons en petits cailloux malgré leur architecture qu’il savait très soignée et colorée… c’était comme se retrouver propulser dans une ville de poupée alors que ses pensées partaient dans tous les sens…
Alors, Arundel aussi avait été remplacé… Pan l’avait confirmé, c’était la même technique de déguisement… et est-ce qu’il existait vraiment deux sorts aussi horribles et semblables en même temps ? Lui aussi… depuis combien de temps ? Est-ce que c’était l’imposteur qui était venu à Fhirdiad ou est-ce que c’était le vrai Arundel ? Si c’était le faux, est-ce que ça expliquerait pourquoi il avait attaqué Félix à l’époque ? Et si oui, pourquoi ? Les sorts qu’il avait utilisés alors étaient composés de flammes noires, comme Cornélia mais, Lysithéa aussi maitrisait des sorts sombres depuis toujours… alors, est-ce que c’était le signe qu’elle était aussi une personne remplacée ? Elle semblait haïr les impériaux pourtant ! Et elle avait aussi beaucoup grandi depuis l’académie, et la peau d’un mort ne devait pas grandir alors, c’était surement le signe que c’était une vraie personne… mais s’ils l’avaient remplacé après… mais son comportement n’avait pas changé… mais si son remplaçant était très bon acteur ? Et s’ils pouvaient agrandir leurs déguisements avec des ajouts de peau ? Ses vêtements étaient très couvrants, avec de longues manches et de très hauts bas, ça pourrait couvrir les coutures… ces maléfices étaient parfaits pour imaginer le pire !
« Qui sait… peut-être que tout est faux ? Lui fit remarquer son père. Peut-être que tous ceux qui t’entourent sont faux… après tout… il sentit ses doigts se presser sur sa gorge, à moitié passant à travers et à moitié dessus. Ils t’ont tous détourné de ton objectif… ils t’ont tous interdits d’aller nous venger… ont tout fait pour te dissuader…
– Cela expliquerait tout… ajouta Glenn. Ça expliquerait pourquoi ma famille et Ingrid ne veulent pas venger ma mort… qui sait, ils sont peut-être tous remplacé depuis longtemps ? Et tu es en train de faire le jeu des adrestiens… après tout, tous les remplacés sont passé du côté d’Eldegard, ils sont passé de leur côté… ils sont tous avec les adrestiens… »
Les fantômes revinrent à la charge avec force, se pressant tous dans son regard pour qu’ils puissent tous les voir en même temps. Ils étaient tous là… même ses amis encore en vie… pleurant tous que Dimitri se soit fait berner par les déguisements, qu’ils étaient tous morts et que maintenant, il travaillait avec leurs remplaçants… il les voyait tous… Dedue qui ne serait jamais revenu… Sylvain et Ingrid morts démembrés, comme s’ils avaient été trainés depuis la selle de leur monture… Ashe le cou brisé par la corde du pendu, mis à mort par les seigneurs du sud pour sa fidélité envers lui… Gustave qui mourrait en protégeant Annette, cette dernière pourtant morte à cause du surplus de magie en elle lors d’une bataille… Mercedes morte de fatigue à force d’aider les blessés… Rodrigue mort à sa place… Félix mort en échouant à sauver son père… Alix mort à cause des impériaux… mort… mort… mort…
Dimitri se prit la tête… il devait se reprendre. C’était faux… il le savait… c’était faux, tous étaient encore vivants… c’était juste ses illusions qui tentaient de le perdre à nouveau, comme les mots de Cornélia et d’Arundel… il fallait qu’il se ressaisisse ! Il ne devait pas les écouter ! Il aurait aimé avoir Areadbhar pour se calmer mais, il devait apprendre à les repousser sans elle… mais ils hurlaient tellement forts !
« Non. Vous n’êtes pas réels. Vous n’êtes pas mes amis. Eux, ils sont vivants et je sais qu’ils ne demanderaient jamais cela.
– Prouve-le ! On est tous morts ! Tu es seul ! Tu es tout seul ! Et tu n’as qu’une seule chose à faire ! »
Sa tête allait exploser mais, Dimitri fit tout pour se ramener à la réalité. Il essaya de tâter le sol, le coque des bateaux afin de bien constater qu’ils étaient vrais et pas des jouets, se concentra sur ses autres sens plutôt que sa vue et son ouïe… quand il arriva au bout de la jetée, il s’y assit, enleva ses bottes et ses jambières, releva son pantalon et plongea ses pieds dans l’eau fraiche. Déesse… ça faisait du bien après avoir marché et piétiné toute la journée…
« Je comprends pourquoi Simplex, Pertinax et Laeta faisaient ça après des journées encore plus longues… c’est agréable… »
« Ingrid s’est blessée à la tête et des plumes ont poussé quand Daphnel l’a sauvée par miracle, et elle peut toujours utiliser sa Relique, c’est donc elle, commença-t-il en se remémorant les derniers évènements, essayant de se raccrocher à la réalité avec des arguments et des faits, en plus de l’eau sur ses pieds. Sylvain est maintenant capable de changer complètement d’apparence, et je doute que ce déguisement permette à l’imposteur de se transformer aussi, il faut que le tatouage soit dans la peau du magicien et intact, c’est Hlif qui me l’a raconté et elle, qui que ce soit derrière ces imposteurs, je doute qu’ils aient eu l’idée de remplacer une sreng presque au hasard, ce serait trop dangereux… Ashe s’est coupé en cuisinant et Annette aussi… Mercedes s’est piquée avec une aiguille quand elle a recousu l’épaule de Gilbert à Ailell… ils ont tous saigné et leur plaie s’est refermé… Dedue est couvert de cicatrice et en a une nouvelle sur la tempe… Alix reconnait toujours Rodrigue alors que personne ne pourrait les tromper, et remplacer les deux jumeaux en même temps serait bien trop voyant… la magie d’Aegis et de Pertinax a encore un effet sur Félix… tous ceux qui ont un emblème peuvent toujours utiliser leur relique, je doute qu’ils puissent copier jusqu’à leur sang et que même s’il le pouvait, les Braves se feraient berner… énuméra-t-il en fixant son regard au loin, se concentrant sur les vagues qui devenaient de plus en plus réel et sur leurs chatouilles sur ses orteils couverts de corne. C’est vous qui ne faites que mentir et qui êtes faux jusqu’au bout… je sais où sont mes vrais amis… »
Les morts continuaient de lui hurler des mensonges et des persifflages mais, la fraicheur de l’eau sur ses pieds l’aida à s’ancrer à la réalité… le jeune se focalisa sur le soleil qui commençait à bailler au loin, la brise sur son visage… l’odeur de la mer qui remplissait ses poumons et les purifiait… la houle sur sa peau… ça lui faisait penser aux moments à Egua… ça lui faisait du bien, alors que les fantômes abandonnaient peu à peu, restant seulement en bruit de fond…
Il ne savait pas depuis combien de temps il était resté là mais, Dimitri finit par entendre des pas arriver vers lui avec la voix de Claude.
« Ah ! Majesté ! Vous êtes là ! Faut dire, je vous comprends, c’est agréable de juste plonger les pieds dans l’eau ici, même si elle est encore froide en cette période de l’année…
– Oui… répondit-il en se tournant vers le grand-duc, ce dernier s’approchant de lui. J’avais besoin de réfléchir et de faire le point.
– Ça se comprend, j’avoue que je ne vous ai pas épargné, sourit-il un peu avant de s’asseoir à son tour au bord de la jetée, d’enlever ses bottes et de mettre aussi ses pieds dedans, même s’il grimaça. Brrrr… elle est gelée ! ça fait combien de temps que vous êtes là ? Enfin, je crois qu’on peut se tutoyer au bout d’une jetée et les pieds dans l’eau. Qu’en pensez-vous Majesté ?
– Aucune idée, je dirais une bonne heure mais, ça pourrait faire plus longtemps. Et je suis d’accord, surtout qu’on le faisait à l’académie. Et oui, ça fait beaucoup à intégrer d’un coup… admit-il.
– Bah, tu dirigeras l’Alliance comme un chef. Tant qu’on peut encore faire des affaires, on est content ici, lui assura-t-il avec un clin d’œil. En plus, vu ce que vous avez fait pour Fhirdiad puis pour Derdriu, on est derrière vous. Même le vieux comte Gloucester a voté pour rejoindre le Royaume, une fois que Lorenz soit revenu de sa… mission d’observation des plans d’Adrestia alors, autant dire que même les pro-impériaux préfèrent t’avoir comme roi que la princesse.
– J’avoue que je suis quand même très étonné. Vous êtes très attachés à votre indépendance dans l’Alliance. « Ni roi, ni empereur », c’est tout de même votre devise. Surtout toi qui disait avoir de grands projets pour l’avenir et tu nous as bien fait comprendre que tu ne voulais pas rejoindre notre armée. Que vas-tu donc faire à présent ?
– Oui mais, y a roi et roi. Si on reste seul, on ne fera pas long feu face à Eldegard, et si j’ai bien compris tes projets à l’académie, tu comptais donner plus de voix aux roturiers ? Les habitants de toute l’Alliance te soutiendront pour ça, faudra juste que tu ne reviennes pas dessus sinon, on sait être les pires ennuis de Fodlan. Et pour après, on va dire que mes rêves me mènent ailleurs. Pour être honnête, je vais même quitter Fodlan pour les réaliser.
– Tu quittes Fodlan ?! S’étonna Dimitri. Mais, mais pourquoi ? Je croyais que tes rêves prenaient en compte l’Alliance ?
– Oui, et ils la prennent toujours en compte mais, diriger l’Alliance ne me laissait pas assez de temps pour atteindre mon vrai objectif. Au moins, ça m’a permis de faire mes preuves, mes premières armes et des raisons de plus pour les poursuivre. Tu savais que si tu creuses profondément ici, tu retrouves des pièces antiques qui sont les mêmes qu’à Almyra ? Pas exactement les mêmes mais, à sa fondation, la Derdriu antique frappait sur ses pièces un motif de chouette comme une autre cité qui se trouve aujourd’hui en Almyra. Elles se sont différenciées avec le temps mais, le motif de la chouette reste. J’avoue que ça a piqué ma curiosité et je serais curieux d’en apprendre plus sur ça aussi…
– Les mêmes pièces en Fodlan et en Almyra ? En effet, c’est étonnant. Enfin… je crois qu’il y aurait beaucoup de choses qui nous étonnerait aujourd’hui si on connaissait mieux nos ancêtres, ne put s’empêcher de commenter Dimitri en se souvenant de Blaiddyd et de sa peau aussi sombre que celle de Dedue. Tu vas être bien occupé en tout cas.
– Oui, autre raison pour laisser à quelqu’un d’autre le devoir de diriger l’Alliance, je suis déjà débordé… D’ailleurs, un conseil, ne te surcharges pas trop de tâches aussi sinon, tu te retrouveras comme moi à ne plus pouvoir rien faire car, tu cours après trop de lièvres en même temps !
– Je comprends… répondit-il simplement. Pour le moment, je vais me concentrer sur le plus important qui est d’arrêter Eldegard, afin de ramener la paix en Fodlan et de libérer Sa Sainteté Rhéa. D’ailleurs, merci de nous avoir renseignés sur sa position.
– Hé, hé, les espions de Judith sont les meilleurs de Leicester, et Lorenz a fait un très bon travail de son côté aussi, même s’ils n’arrivent pas à savoir ce qu’ils lui veulent étant donné qu’ils ne la tuent pas… enfin, elle sera heureuse de voir la prof arrivée à son secours et Byleth, Seteth et Flayn seront aussi heureux de revoir Rhéa. Vous allez être bien occupé en tout cas mais bon, on ne va pas chômer de notre côté avec Hilda.
– Elle t’accompagne elle aussi ?
– Oui. Quand j’ai annoncé à nos amis que j’allais partir, elle m’a dit directement que je n’irais nulle part sans elle, et on a déjà préparé Holst à la nouvelle alors, ça devrait aller. J’avoue, j’ai du mal à m’imaginer sans elle à mes côtés, admit-il. On a tellement fait de choses et survécu ensembles ses dernières années, ce serait compliqué pour nous deux de se séparer comme ça. On va dire qu’à force, tout le monde s’habitue à avoir besoin d’aide, même un intrigant comme moi, déclara Claude sur un ton navré mais, il ne pouvait pas s’empêcher de sourire.
– En plus, nous savons tous que même si tu dis que tu vas utiliser des méthodes horribles, tu ne le fais jamais, ajouta Dimitri avant de l’encourager. Vous allez très bien vous en sortir tous les deux, même si vous allez nous manquer à tous.
– Je l’espère. Et ne t’en fais pas, nous aussi, on aimerait vous revoir, dans quelques années peut-être ou avant mais, je suis sûr qu’on se reverra. Et ce jour-là… il sortit quelque chose de son étole pour lui donner, Dimitri découvrant une petite pièce avec une chouette d’un côté, une forme humaine ailé entouré d’éclair de l’autre. Je t’enverrais une pièce comme ça, histoire que tu sois sûr que tu ne rêveras pas en me revoyant avec Hilda !
– Je te reconnaitrais, ne t’en fais pas, même si je dois te revoir dans vingt ans, lui jura-t-il.
– Ah ! Ah ! On verra ça quand on y sera ! En tout cas, tu resteras toujours aussi inimitable ! Allez ! Il leva la main vers le soleil, comme pour trinquer sans verre. Â nos rêves et à la paix qui les permettra de les réaliser !
Dimitri sourit avec lui, levant la pièce qu’il lui avait donné en souhaitant à son tour.
– Â nos rêves, à la paix qui les permettra de les réaliser et à notre prochaine rencontre Claude.
*
Au lieu de se réveiller dans l’eau, Félix ouvrit les yeux au sol, debout devant une porte qu’il connaissait bien, bien plus grande qu’elle ne devrait l’être. Il eut le sifflement d’une lame qui s’envolait en l’air, travaillant encore et encore chacun de ses mouvements. Une boule apparut dans sa gorge, devinant qui était derrière. Il hésita… puis prit son courage à deux mains. Il prit alors la clenche et tira dessus, plus haute qu’avant…
À l’intérieur de la cour remplie de sable, Glenn s’entrainait, maniant habilement son épée, son épée sur son bras. Garde, feinte, attaque de coupe ou d’estoc, esquive… tout était précis, habile, et maitrisé, gravé au plus profond de son frère grâce à l’entrainement et son génie à l’épée, chaque mouvement en accord avec son style robuste et puissant, fait pour encaisser les coups puis en donner… le plus jeune avait tenté de se rapprocher de cette manière de combattre, lui qui basait bien plus sa maitrise sur sa vitesse et des frappes bien placées avant de se faire toucher…
« Eh ! Félix !
L’appel de Glenn l’arracha à sa contemplation… Félix avait déjà rêvé de Glenn depuis sa mort, de très nombreuses fois même mais, cela se finissait toujours mal… il ne voulait même plus le voir en rêve et le chassait à chaque fois, c’était trop dur de se réveiller à la fin, même quand les songes étaient douloureux… il voulut le repousser à nouveau, lui hurler qu’il n’était pas Glenn, qu’il n’était pas réel mais, il n’en eut pas la force, le contrecoup siphonnant toutes ses forces et… et n’ayant surement plus envie de se disputer avec qui que ce soit pour le moment…
– Tu viens ? L’appela son frère, égal à lui-même malgré sa voix floue, emportée par le temps. C’est pourtant bien toi qui m’as dit que tu allais me battre quand je reviendrais !
– J’arrive Glenn ! » Répondit-il, et tant pis si c’était un piège… il ne voulait pas qu’il parte encore…
« Comme toujours, si tu me bats, je me mets à la magie ! »
Il attrapa tout de suite son épée d’entrainement et se mit en garde, en miroir avec Glenn… ça aussi, il avait tenté de le changer… Félix avait toujours été gaucher, comme une grande partie de leur famille paternelle et leur père, ce qui une très bonne chose pour un épéiste car, on affrontait rarement des personnes maniant leur épée à gauche, les formations étaient faites pour les droitiers… mais Glenn l’était, il faisait tout de la main droite… Félix se souvenait d’à quel point il avait tenté d’échanger ses mains pour tout, que ce soit pour écrire ou pour combattre mais, ses gestes devenaient de moins en moins précis et il parlait même plus difficilement, jusqu’à ce qu’Alix le coince pour le forcer à réutiliser sa main gauche avant de devenir bègue, surtout que lui-même voyait que cela ne lui réussissait pas alors, il avait repris sa bonne main, ainsi que sa propre manière de combattre. Il fit donc face à Glenn ainsi, en miroir avec lui, prêt à lui montrer tous ses progrès de ses dernières années…
Cependant, quand il l’affronta, le plus jeune ne put s’empêcher d’utiliser les techniques de Glenn, de se battre comme lui…
« Je ne pourrais pas le battre sinon… » se persuada-t-il tout seul, sachant qu’il ne lui arrivait pas à la cheville avec les siennes.
Cependant, son grand frère l’envoya presque tout de suite au sol. Mais pourquoi ?! Il tenait pourtant mieux la confrontation avant ! Pourquoi il n'arrivait plus à lui donner autant de fil à retordre que dix ans auparavant ?!
« Monsieur, qui êtes-vous ?
La question frappa Félix en pleine figure. Glenn ne le reconnaissait pas ? Il l’avait pourtant fait tout à l’heure ! Alors pourquoi…
– Vraiment, la question est sérieuse ! C’est pas comme ça que mon petit frère se bat ! Il est vif comme chat et rapide comme l’éclair ! Faut toujours que je fasse attention à tout car il peut surgir de n’importe où ! Ce n’est pas son genre de tenter de bloquer comme ça ! En plus, je dois faire attention à tout vu qu’il est aussi doué avec son épée qu’avec ses éclairs ! Là, ça sert à rien ! Ce n’est pas lui ! Ce n’est pas toi !
– Glenn… souffla le plus jeune en ne pouvant empêcher son regard de fuir les yeux de son frère. Je… je voulais être aussi fort que toi… je voulais être comme toi…
Avec un sourire compréhensif mêlé à de la tristesse, il souffla en réponse :
– Je sais… je suis désolé que tu ais cru ça en partant comme ça… Félix releva les yeux alors que Glenn lui tendait la main, patient. On remet ça ? Tu m’affrontes vraiment cette fois louveteau ?
Félix étrangla un petit hoquet dans sa gorge, voyant l’enthousiasme dans les yeux de son frère quand il lui prit la main. Une fois remis sur ses pieds, ils se mirent de nouveau en garde, avant de s’affronter encore une fois. Le combat fut bien plus dur mais aussi bien plus satisfaisant, chacun donnant son maximum contre l’autre. Glenn parait chaque coup que Félix lui rendait après une esquive souple, le bois tapant parfois l’un contre l’autre avant de les frôler, jusqu’à ce qu’une des épées s’envole dans les airs pour retomber dans le sable.
– Alors… Glenn sourit en montrant ses mains vides, se rendant avec joie. Je suis bon pour apprendre la magie. Rit pas trop quand j’essayerais de faire autre chose que de la fumée, c’est toi le magicien de nous deux.
Félix haletait, tremblant encore sous l’effort du combat, sentant la force du combat battre dans ses veines même si son emblème n’était jamais intervenu… il… il avait gagné… il avait gagné contre Glenn… Glenn qui…
– Je suis très fier de toi Félix, sourit-il en baissant les bras, alors que sa voix semblait devenir plus faible, plus lointaine. Tu as vraiment bien grandi… tu n’as plus à te comparer à moi à présent… tu es bien plus fort quand tu ne m’imites pas…
Les larmes débordèrent de ses yeux quand il lâcha son épée et fonça contre son frère, le faisant presque basculer en arrière alors qu’il enfouissait son visage contre lui en pleurant, s’accrochant à lui. C’était puéril et enfantin mais, il refusait de le lâcher et de le laisser partir, pleurant tout ce qu’il voulait lui dire quand il n’était pas rentré…
– J’ai travaillé très dur… tous les jours, je m’entrainais pour te battre ! C’était tout ce que je voulais ! Je voulais te battre et enfin être aussi fort que toi ! Je… je voulais faire comme toi… être assez fort pour protéger tout le monde…
– Je sais… et tu y es arrivé… j’aurais aimé pouvoir voir ça aussi… souffla-t-il en passant sa main dans ses cheveux pour l’apaiser. Mais tu t’es très bien débrouillé… même quand tu faisais n’importe quoi, tu t’es rattrapé…
– Je sais… je n’aurais pas dû… sauf pour traiter Lambert de chien errant idiot, il t’a envoyé à la mort avec tout le monde… c’était encore plus dur avec ça… t’avais pas à partir… tu aurais dû rester… papa ne voulait même pas que tu partes… personne… c’était pas sa faute… c’est celle de Lambert et des comploteurs… mais… mais… il enfonça sa tête encore plus dans ses bras et son étreinte en sanglotant. Je suis désolé… pour tout le monde… je suis désolé pour papa… je suis désolé…
– Je suis désolé aussi de vous avoir laissés… j’aurais préféré que tout se passe autrement… et maintenant, tu ne recommenceras plus ?
Le plus petit fit non de la tête, murmurant entre deux sanglots.
– Jamais… plus jamais… je ne veux plus le perdre… personne…
– C’est bien Félix… tu as bien grandi… tu te débrouilleras très bien…
Glenn semblait glisser hors de son étreinte, impossible à capturer comme de l’eau vive et fuyante…
Cela ressemblait trop à un adieu.
Félix serra plus fort son frère dans ses bras, refusant de le laisser partir.
– Ne pars pas… tu me manques… tu manques à papa… tu manques à tout le monde… ne pars pas… ne pars pas… reste avec moi… s’il te plait Glenn, ne t’en vas pas…
– Il le faut louveteau… je ne serais pas loin… je ne suis jamais loin…
Glenn se dégagea de son étreinte, se baissant à son niveau alors qu’il hoquetait toujours en pleurant, la vue brouillée par ses larmes. Il les essuya, puis embrassa doucement sa joue, avant de poser sa main sur son cœur.
– Je suis là, pas loin, jamais loin… je serais toujours là, avec toi… en plus, tu n’es pas tout seul… et tu ne restes plus tout seul…
Félix entendit alors un murmure, presque silencieux comme le chuchotement d’un ruisseau dans la forêt… devenant de plus en plus fort… il se tourna dans sa direction… on l’appelait… c’est vrai que cela faisait longtemps qu’il dormait… il devait se réveiller maintenant… il devait l’inquiéter…
Glenn sourit encore en l’encourageant.
– Vas-y… ne le fait pas attendre… il doit se faire un sang d’encre pour toi…
Félix accepta, même s’il posa une dernière question.
– On se reverra grand frère ?
– J’en suis sûr… tu verras, on sera réuni un jour tous ensemble, j’en suis persuadé… papa, maman, Alix, toi et moi, et même papi et mamie… on sera tous réunis, je te le jure… d’accord ?
– D’accord… je t’aime Glenn…
– Moi aussi, je t’aime Félix… il posa son front contre le sien. Je serais toujours avec toi… »
Les deux frères s’enlacèrent encore une fois puis, après un dernier regard à Glenn, le plus jeune ressortit dans la cour d’entrainement en fermant la porte derrière lui, replongeant dans les eaux…
Quand Félix rouvrit les yeux, il se sentait plus léger mais, il avait aussi l’impression que même son sang avait changé, sentant tout son corps comme s’il était différent… c’était comme s’il était dans et en-dehors de sa peau en même temps, comme après une mauvaise gueule de bois mais, en à la fois pire et plus agréable… il tenta de bouger ses jambes, elles agirent comme si elles étaient une… quand il essaya de les dissocier, elles refusèrent et s’emmêlèrent ensembles… Déesse… qu’est-ce que le contrecoup avait provoqué ?!
« Félix…
La voix toute douce de son père lui fit ouvrir les yeux… Rodrigue était là, comme toujours, le tenant contre sa poitrine… il était si chaud… par réflexe, il s’accrocha à sa veste, comme si les seuls gestes qu’il pouvait faire, c’était de se rapprocher encore et encore de lui pour ne plus le lâcher… il se serait surement disputé lui-même avant mais là, il s’en fichait d’agir à nouveau comme quand il était enfant… pas quand repoussé Rodrigue et ceux qu’il aimait ne lui avait fait que du mal…
– Papa… grinça-t-il, sentant l’air passer à l’intérieur de sa gorge de manière différente. Comment tu… combien… et qu’est-ce qui…
– Je vais bien, ne t’en fais pas pour moi. Tu es endormi pendant trois semaines. Le contrecoup du miracle a beaucoup affecté ton corps et il a beaucoup changé, tu as encore besoin de repos…
– Et tu es resté avec moi tout le temps… devina-t-il.
– La plupart du temps, même si Alix m’a remplacé de temps en temps…
– Je sais… je le sentais quand tu n’étais pas là…
Il allait commencer à dire quelque chose mais, Félix le coupa tout de suite.
– N’essaye même pas de t’excuser… tu ne pouvais pas rester dans le lac tout le temps, marmonna-t-il en sentant l’eau tout autour d’eux. Qu’est-ce qui s’est passé…
– Et bien… il baissa les yeux, les posant vers ses jambes, ayant du mal à expliquer ce qui lui était arrivé.
Félix regarda ses jambes, ne les vit pas sous l’eau alors, il les bougea encore, tentant de les ramener vers lui, jusqu’à ce qu’il sente ce qu’il percevait comme étant ses pieds, remplacé par un voile semblable à celui de certains poissons… il remonta un peu sur ses chevilles et sentit encore des écailles… ah… d’accord… ça expliquerait pourquoi il avait l’impression qu’il respirait à l’intérieur même de sa poitrine, alors qu’elle était complètement immergée…
– Alors, ça a provoqué ça cette fois…
– Elle s’est stabilisée depuis quelques jours mais, comme tu ne te réveillais pas, on a préféré te laisser dans le lac, souffla Rodrigue, essayant de le ménager un peu.
– Hum… reste plus qu’à voir ce qui se passe quand j’en sors.
– Tu es sûr ? Ce n’est pas trop tôt ? Et si…
– Ça va aller, lui assura son fils. Et si quelque chose se passe mal, tu seras là pour me remettre dans le lac…
Son père eut un instant de silence avant d’hocher la tête, le prenant dans ses bras pour le soulever hors du cocon protecteur du lac. Félix s’accrocha à son cou pour être plus stable, voyant un peu mieux tous les changements sur son corps ainsi, les sentant palpiter dans sa gorge et sa poitrine.
– Tu es prêt ? Lui demanda-t-il avant de le tirer hors de l’onde.
– …oui… je suis prêt…
Félix ferma les yeux alors les yeux en attendant le contact avec l’air. Même si ça se passait mal, Rodrigue était là. Glenn et Fraldarius aussi veillaient sur lui. Il les avait tous retrouvés…
*
Une fois Derdriu sauvée, l’armée royale dut se dépêcher d’aller reprendre Arianrhod alors que l’Empire tentait de la remplir de soldats. Il était de plus en plus sur le qui-vive… apparemment, d’après le dernier rapport de Lorenz, beaucoup de défections s’opéraient dans le camp d’Eldegard quand elle était revenue gravement blessée.
« Leur raisonnement est fort simple, avait-t-il déclaré. Le plus fort doit être le chef alors, que vaut un chef qui enchaine à présent les défaites, lourdement blessé et qui ne peut plus se battre pour le moment ? Ils ne suivent que la force et celui qui l’a, et cette force est en train de changer de camp alors, eux aussi. »
Si Félix avait été là, Dimitri était sûr qu’il aurait eu une réplique cinglante sur les chiens errants… enfin, pour le coup, cela les arrangeait. Même si ce n’était pas des alliés fiables, cela faisait des hommes en plus dans leur armée et en moins dans celles d’Eldegard… enfin, il devait rester méfiant, surtout que l’Impératrice et Hubert étaient à présent aux abois, des révoltes explosant dans tous l’Empire, menées par les anciens aigles de jais. D’après leurs dernières informations, Petra était même parvenue à chasser les impériaux de Brigid… c’était déjà ça.
Enfin, le principal était qu’Eldegard ne pouvait plus compter uniquement sur la terreur qu’elle inspirait pour tenir son empire, plus après toutes ses défaites, Hubert et elle allaient devoir négocier pour obtenir des soutiens. Chaque défaite les rendait un peu plus faibles à chaque fois. Les faerghiens et les leicesters devaient en profiter, surtout maintenant qu’ils avaient repris pour de bon le verrou d’Arianrhod. Cependant, avant cela, Dimitri devait encore assurer le maintien de la frontière, et régler des questions administratives vis-à-vis de l’Alliance avec les Charon. S’il avait bien compris, ils avaient réussi par il ne savait quel miracle à sauver une grande partie des documents fiscaux et juridiques du Royaume mais bon, ils étaient présents partout dans l’administration. Qu’ils aient des copies de tout ne l’étonnerait pas tant que ça… et ils étaient assez une grande famille au sens même numérique avec plus d’une trentaine d’adultes dans ses rangs, le tout en étant très uni. Ça aussi, ça aidait pour être efficace et au courant de tout.
« Il faudra que je leur rende visite dès que possible… songea le prince en travaillant dans son bureau à Arianrhod, quelques jours après la bataille. Nous devrons dresser un grand inventaire général du Royaume… Eldegard a tout détruit sur son passage, nous devons savoir ce qui nous reste comme ressources pour tout reconstruire… »
Il écrivait toutes les lettres qu’il devait envoyer aux quatre coins du Royaume, afin de garder contact avec tous les seigneurs et faire sentir sa présence : trois lettres de rapports aux Fraldarius, une lettre appelant un des bataillons stationnés à la capitale vienne en renforts à Arianrhod, une lettre pour demander l’état des relations avec les srengs et la reine Thorgil au margrave Gautier, une pile de lettres variés au sujet de l’administration pour les Charon… encore et encore des documents administratifs… l’écriture était si petite… mais il ne pouvait pas se permettre de gaspiller du papier, encore moins pour les documents écrits sur du parchemin, c’était bien trop précieux !
Au bout d’un moment, Dimitri fut obligé de poser sa plume, se frottant son œil restant. Mercedes et Manuela lui avaient donné des gouttes pour les yeux afin de rendre le travail administratif moins fatiguant pour sa vue mais, elles avaient leurs limites… il aurait préféré continuer mais, il était épuisé…
Le jeune homme sortit se promener un peu, se détendant les jambes dans les zones dont les pièges avaient été désactivés. La plupart était connue des faerghiens mais, certains avaient été rajouté par Cornélia alors, ils étaient bien plus compliqués à désarmer. La présence de Pan parmi eux était une bénédiction, cet homme arrivait à « court-circuiter » la technologie de Cornélia, même si Dimitri ne savait pas forcément ce qu’il voulait exactement dire par « court-circuiter »… surement du jargon spécifique aux inventeurs… même s’il devait se renseigner. Hanneman devrait savoir, ou au moins une de ses connaissances de confiance…
Il parcourait la forteresse quand il tomba sur Pan, assit par terre en regardant les étoiles qui commençaient à se montrer, une bouteille à côté de lui, un petit tas de matière surement récupéré sur les installations de Cornélia sur les genoux. Pour quelqu’un qui avait vécu dans le désert, il ne craignait pas le froid, portant des vêtements pratiques et protecteurs pour son travail mais, pas forcément très chauds. Il fallait dire, il avait passé ces derniers jours à désamorcer la moindre installation suspecte, il devait avoir transpiré. L’inventeur voulut se relever quand il le vit mais, Dimitri lui assura.
« Restez assis, vous êtes surement épuisé.
– Je ne suis pas le seul. Vous semblez aussi fatigué. Votre œil est tout rouge. Vous avez fait beaucoup de travail administratif je suppose ? Devina-t-il.
– Mmmhhnn… oui, je dois avouer que lire trop longtemps me fait mal aux yeux… je fatigue vite, même avec des gouttes.
– Je m’en doutais. Je connaissais quelqu’un qui ne lisait pas facilement, il fatiguait vite et avait toujours des yeux rouges après… il avait beau se mettre de la potion, rien à faire jusqu’à ce qu’il arrive mieux à lire et qu’il en prenne l’habitude. Ce n’est pas grand-chose mais, peut-être que regarder autre chose que des pages et des pages écrits en tout petit vous fera du bien.
– …hum, vous avez surement raison. »
Dimitri se laissa un peu tomber contre le mur, s’appuyant contre tout en gardant une petite distance avec Pan de son bon côté. Il le connaissait encore assez peu, et même s’il avait prouvé sa fidélité en combattant Cornélia et en apprenant à d’autres à désarmer sa technologie, il n’était pas encore parfaitement à l’aise avec lui. Cependant, il n’avait pas tort, regarder le ciel étoilé lui fit du bien à l’œil, et c’était reposant de juste ce poser. Ils ne se dirent rien pendant un moment, Pan continuant à trafiquer ce qu’il avait dans les mains, s’interrompant juste de temps en temps pour boire une gorgée de sa bouteille. À l’odeur, c’était de l’alcool mais, il ne semblait pas devenir ivre… Dimitri savait que son père et son oncle tenaient très bien l’alcool mais Pan, cela semblait être une autre catégorie… quel homme étrange… comme son continent, rempli de mystère… l’un des plus connu était la longévité de ses habitants, la rumeur voulant qu’une même personne pouvait voir naitre et mourir toute une lignée sur dix générations… les habitants démentaient cette légende mais, cela correspondrait bien à Pan. Plus il côtoyait cet homme, plus Dimitri le trouvait impossible à mettre dans une case pour son âge, ayant une apparence semblant trop jeune pour tout le savoir qu’il avait accumulé et sa sagesse…
« Que faites-vous ? Lui demanda-t-il au bout d’un moment en le voyant trafiquer le matériel sur ses genoux, alors que son œil devenait un peu moins sec sous la lumière douce des étoiles et de la Lune.
– Hum… ? Petite expérience amusante, j’ai récupéré les matériaux sur les dalles piégées installées par Cornélia. Je voyais aussi si je pouvais les réutiliser efficacement. Cela ressemble beaucoup à la magie de Morfis bien qu’elle semble alimentée par d’autres sortes de magie… mais… si je l’en purge… puis j’ajuste les différents circuits et réseaux d’énergie…
Il marmonna en articulant les différentes pièces sur son tablier entres elles, créant une sorte de petite créature à quatre pattes et avec de grandes oreilles de lapin au sol, une sorte de manivelle dans son dos. Il la tourna un peu puis, relâcha sa petite bête sur le sol, et celle-ci se mit à avancer toute seule !
– C’est comme les Titanus… Mais co… comment arrivez-vous à faire cela ? le questionna-t-il en rattrapant le petit objet, tremblant un peu malgré tout en le sentant continuer à bouger ses pattes loin du sol, même s’il finit par s’arrêter en même temps que la manivelle dans son dos.
– Pour faire très court et très simplifié, la combinaison entre les bons matériaux, la magie et une force motrice. Ici, c’est une sorte de petit ressort que j’ai remonté avec la clé, ce qui permet à l’énergie emmagasiné dans l’objet de circuler dedans pour le faire avancer, lui expliqua-t-il en montrant les différentes parties de sa création. Ça fait un petit jouet comme ça. Deux de mes amis venaient souvent avec leurs enfants, ils me demandaient souvent d’en fabriquer pour s’amuser. Je pense que je pourrais aussi réutiliser plusieurs des matériaux de Cornélia pour créer des prothèses. Cela pourrait être utile aux éclopés.
– J’ai du mal à croire que la même magie puisse autant animer un jouet qu’une arme de guerre… souffla Dimitri en retournant le pantin, s’imaginant bien des enfants s’amuser avec ce genre d’objet, osant à peine toucher la « clé » de peur de la casser. Et des prothèses dites-vous…
– On utilise bien le fer autant pour faire une épée, des couverts ou des bijoux, et on les forge dans les mêmes fourneaux, lui fit remarquer l’inventeur. Ce n’est pas une question de technique ou de savoir-faire mais, simplement d’utilisation. Toute magie permet de faire des choses extraordinaires, c’est même la base de cet art mais, tout dépend de qui la manie et dans quel objectif. Et oui, c’est ma spécialité.
– Cela semblait plutôt être les automates, rétorqua le jeune homme en lui montrant celui qu’il tenait.
– De base, j’étudiais comment renforcer le corps mais, il s’est avéré que j’étais bien plus doué avec tout ce qui n’était pas organique ou hors du domaine curatif. Ne me demandez jamais de faire de la magie de foi, je provoquerais plus de dégâts qu’autre chose. Je me suis mis à étudier différentes manières de renforcer les forces d’un corps humains, puis sur des automates car, j’avais déjà commencé à en fabriquer pour m’assister puis… il laissa échapper un soupir sombre. Puis j’ai dû apprendre à réparer les corps brisés malgré ma nullité en magie de guérison…
– Un de vos amis en avait besoin ? Devina Dimitri, la plupart des motivations de Pan avait un lien avec eux, même s’il était toujours évasif à leur sujet.
– Oui, une main arrachée au combat. On ne l’a jamais retrouvée et il en avait besoin. Alors, avec une autre amie et meilleure des collègues, on a travaillé d’arrache-pied pour lui fabriquer une nouvelle en métal… l’inventeur eut un sourire, et c’était bien la première fois qu’il le voyait sourire ainsi. Je crois que je n’oublierais jamais ce jour… Il était tellement heureux d’avoir retrouvé sa main… hi, hi… il laissa échapper un petit rire attendri. La première chose qu’il a fait avec, c’était de nous pétrir du pain, de le faire cuire et de le partager entre nous deux pour nous remercier et fêter ça. Il savait à quel point on trouvait ses pains délicieux.
– Je vous croies, il devait être soulagé de pouvoir à nouveau manier des objets à deux mains, lui assura-t-il, voyant à quel point ce souvenir était doux pour Pan. Vous devez être très habile avec vos prothèses pour égaler un miracle des Braves. On dit que le roi Loog lui-même a perdu une main au combat mais, Blaiddyd lui-même l’a remplacé par une main en glace.
Pan hocha la tête en répondant, un peu évasif comme souvent :
– Oui, je connais cette histoire. Hum… il l’observa une seconde, fixant son cache-œil. Je pense que je pourrais aussi vous rendre votre œil.
– Mon… mon œil ?! S’étonna le borgne. Mais… mais comment ? C’est bien plus complexe qu’une main !
– Avec pas mal de patience et beaucoup de minutie, oui, même si cela demandera des mois de travail pour seulement fabriquer la prothèse. Si le nerf optique n’est pas trop endommagé, je pourrais vous raccorder une sphère optique qui remplacerait votre œil, alimenté par la production naturelle de magie de votre corps. Cela pourrait résoudre vos difficultés à lire des rapports pendant longtemps, votre champ de vision serait de nouveau complet, et ça empêcherait surement des infections si le globe oculaire a été arraché…
Dimitri posa sa main sur le côté droit de son visage, sentit le cache-œil de cuir noir, la paupière brisée et l’orbite vide en-dessous… il se souvenait à peine de comment il avait fait… juste la brûlure de l’infection et sa vision de plus en plus floue… son besoin de ne pas devenir aveugle pour accomplir sa vengeance… ses doigts qui… l’éclair de douleur puis plus rien une fois soigné… il se fichait de son corps à ce moment-là… tant qu’il pouvait encore servir aux morts comme arme vivante, c’était tout ce qu’il comptait, même s’il tombait en lambeau…
« Simplex n’avait pas tort en disant que je me considérais comme l’esclave des morts… »
Avoir deux yeux lui serait très utile. Rien qu’en combat, cela éliminerait l’angle mort du côté de sa main dominante, cela réduirait les risques qu’un ennemi s’y faufile pour l’attaquer… et comme le dirait Pan, son travail administratif serait bien moins fatiguant avec deux yeux… cependant… est-ce…
– Je ne suis pas sûr de vouloir… ou seulement d’être prêt à avoir un deuxième œil à nouveau… cette blessure… c’est une mise en garde…
– Puis-je savoir de quoi ? Tiqua-t-il tout de suite, étonné.
– Pour ne pas me perdre à nouveau. Je ne peux pas me permettre de négliger à nouveau mon corps, surtout quelque chose d’aussi précieux que ma vue…
– Si vous avez peur d’abuser des prothèses, si ça peut vous rassurer, la douleur de l’opération vous fera surement traiter votre corps avec plus délicatesse, rétorqua-t-il sur un ton un peu abrupt. On n’avait pas grand-chose pour l’anesthésier sur le coup mais, mon ami a beaucoup souffert quand on a raccordé ses nerfs à sa nouvelle main. De plus et sans vouloir vous offenser, je crois que vous avez suffisamment de cicatrices pour vous rappeler que vous ne devez plus vous perdre dans les ténèbres ainsi. Vous forcez à ne pas vous simplifier un peu l’existence ne vous aidera pas.
– Je me pose un peu la question… après tout ce qui s’est passé… n’est-ce pas trop ? Est-ce que cela n’effacerait pas un peu ce que je suis dans le fond ? Même si je réfléchis surement trop…
– Je dirais plutôt que vous êtes têtu… Vous aurez toujours votre cicatrice sur le visage, et je ne suis pas capable de reproduire fidèlement un organe, il y aura toujours un élément mécanique qui trompera l’illusion. Vous infliger une punition tout seul ne vous aidera pas. Enfin… je ne peux pas dire que je ne comprends pas un peu… cela doit être très compliqué dans votre propre tête alors, je ne vous dirais rien de plus à ce sujet.
– Merci de comprendre… et que voulez-vous dire ? Lui demanda Dimitri, parler l’avait toujours bien aidé jusqu’à présent. Vous êtes également passé par-là Pan ?
– Un peu, j’étais un peu comme ça quand j’étais jeune, même si j’étais obnubilé par mes recherches au point de négliger mes propres émotions et les autres, surtout que ce n’est pas quelque chose d’encouragé dans le clan d’où je viens. Je ne savais même pas ce que c’était que d’avoir des amis pendant longtemps. C’est qu’en sortant de ce clan pour un travail que j’ai commencé à comprendre… je ne voulais pas trop au début mais, l’un d’entre eux était toujours horriblement têtu… autant que vous-même… je me suis lié donc à cette première personne, puis à une collègue, puis encore à d’autres… j’ai appris plein de choses très simples, comme le simple fait de lever le nez de mes livres pour regarder les étoiles ou apprécier ce que je mangeais… je ne comprenais même pas ce qui m’arrivait, mais ils m’ont expliqué… sans eux, je serais surement encore dans ce clan où je ne faisais rien de bon pour les autres, et encore moins pour moi-même. J’avoue même qu’à un moment-là, je me demandais si j’avais le droit d’être leur ami à cause de mon clan… puis le membre du groupe avec qui je m’entendais le moins bien a été le premier à me demander si je ne voulais plus les suivre. Quand j’ai dit « oui », il a ajouté que je n’allais pas me frapper tout seul avec une hache car, j’avais juste appris ce que c’était d'avoir des émotions et une morale. C’était donner une autre victoire à mon ancien clan que de m’infliger cela car, cela faisait qu’il avait encore une emprise sur moi… et vous, pourquoi vous infligeriez-vous une punition pareille ?
Dimitri ne répondit pas, faisant tourner ses mots dans sa tête, s’agitant avec celui des morts, alors que Pan finissait sa bouteille.
– Je ne suis pas le mieux placé pour parler, et c’est à vous de décider ce que vous voulez mais, je vous répéterais juste les mots qu’il m’a dit ce jour-là « C’est ta vie, pas la leur. Et s’ils te disent que c’est la leur, dis leur d’aller se faire foutre. ».
Dimitri ne put s’empêcher de lâcher un rire devant cette remarque, voyant très bien Félix capable de lui sortir quelque chose de ce genre-là. Il lui avait dit à peu près la même chose après tout quand il s’était réveillé, comme Rodrigue. Cependant, Dimitri s’excusa tout de suite, ne voulant le vexer.
– Je vous demande pardon, je ne voulais pas me moquer de vos conseils… Cela me fait juste penser à quelqu’un que je connais très bien aussi, il m’a dit quelque chose de semblable il y a peu. Votre ami semblait avoir beaucoup de caractère.
– C’est moins qu’on le puisse dire, sa petite était pareille, c’est de famille. Il a cependant ajouté juste après « ne reste pas tout seul au milieu des problèmes. », compléta le morfisien en se levant, le visage neutre. Enfin, c’est à vous de voir. Ma proposition reste toujours en tout cas. Pour ma part, je vais dormir… la journée a été longue.
– Bien sûr…
Dimitri lui tendit le petit jouet qu’il avait gardé entre ses doigts mais, Pan le refusa en déclarant.
– Gardez-le, pour vous rappeler aussi quelques petites choses. Bonne nuit fils de Loog.
– Merci… Bonne nuit Pan, lui souhaita-t-il à son tour.
Le jeune homme resta encore un peu à regarder les étoiles, puis rentra dans sa chambre pour se reposer aussi. Il en parlerait avec ses amis demain, il y verrait surement plus clair ainsi…
*
Après quelques semaines passées à Arianrhod pour bien sécuriser et réorganiser la frontière, l’armée royale remonta vers Fhirdiad. La route de l’Empire passant par Arundel était bien trop incertaine et semé de zones où leurs armées seraient trop à découvert, et le prince devait réaffirmer sa présence en Leicester afin de s’assurer de leur fidélité. Avec tout ceci, mieux valait traverser le grand pont de Myrddin, passer le Fort Merceus puis de faire tomber Enbarr. Ce serait difficile mais, ils devaient tout faire pour renverser Eldegard afin d’arrêter cette guerre ! Mais avant, Dimitri voulait régler certaines choses au clair et surtout voir comment ils allaient.
Ce fut ainsi que les lions se sont de nouveaux retrouvés à faire route vers Fort Egua avec Gilbert, tous s’inquiétaient pour Rodrigue et Félix. Ils se faisaient annoncer à la forteresse ducale quand ils entendirent la voix de l’épéiste râler, grognant surement après Pierrick.
« Je me sens beaucoup mieux ! Je peux retourner au travail ! Je ne peux pas passer ma vie à dormir dans le lac !
– Vous tremblez encore sur vos jambes ! Rétorqua effectivement le médecin. Et on ne sait pas encore si le contrecoup est fini ! Quelque chose change tous les jours ! Alors, pour l’amour de la Déesse et des Braves, reposez-vous encore un peu louveteau !
– Tu devrais l’écouter Félix, lui conseilla son père. Tes jambes sont encore très instables et tu tombes encore souvent. Je sais que c’est frustrant mais, il faut que tu attendes qu’elles se stabilisent avant de reprendre l’entrainement ou même le travail avec nous.
– Tu dis ça car tu peux faire autre chose de tes dix doigts depuis le mois dernier ! Je t’assure que je me sens bien ! En plus, on est encore en guerre, je ne peux pas rester à rien faire comme ça ! Et toi aussi, fait attention, t’as pas gardé ce que tu as avalé hier !
– Dit celui qu’on a dû littéralement repêcher à la même date. T’es bien le portrait de Félicia sur ta santé tient, ajouta Alix. Repose-toi maintenant et tu pourras nous aider plus après. Nous aussi, on a du mal avec cette idée mais, on t’assure que ce sera mieux pour tout le monde.
– C’est surtout l’hôpital qui se fout de la charité… marmonna-t-il en apparaissant en haut des escaliers avec son père, son oncle et le médecin.
Les cheveux de Félix avaient beaucoup poussé en quelques mois à peine, sa tresse semblant tomber au milieu de son dos à présent, comme avant la guerre. Il semblait aussi plus frêle mais, c’était surement parce qu’il portait une couverture sur ses épaules, en plus d’Aegis qui y était accroché. Rodrigue lui semblait complètement guéri, tenant le bras son fils pour éviter qu’il tombe dans les escaliers, ce dernier ayant un pas hésitant, comme s’il n’avait plus marché depuis longtemps. Dimitri ne put s’empêcher de sourire malgré tout… cela faisait du bien de les voir à nouveau s’occuper l’un de l’autre comme ça. Même si Pierrick et les jumeaux n’avaient clairement pas tort, Félix avait encore besoin de beaucoup de repos.
Toute la famille les accueillit avec chaleur en leur demandant des nouvelles et comment ils allaient. Dimitri, Ingrid et Sylvain se firent une joie d’embrasser Félix et les jumeaux, leur retournant la question sur leur état de santé.
« Si je puis me permettre Votre Altesse, ajoutez un treizième point aux Kyphonis Corpus : « chaque Fraldarius doit impérativement apprendre à se reposer », je gagnerais un temps fou, marmonna Pierrick.
– J’y penserai, surtout qu’ils en ont besoin, lui promit à moitié Dimitri. Comment vous sentez vous ?
– Longue histoire mais, je vais mieux et je n’ai plus mal, résuma Félix en premier. Pour le moment, il faut surtout que mon corps encaisse le contrecoup du miracle et que je m’y habitue.
– Et vous devez aussi vous reposer pour ça, ce que je me tue à vous répéter mais bon, vous le connaissez Votre Altesse, le repos n’est pas dans son vocabulaire, le reprit le médecin.
– Je me repose un peu ! Je fais déjà l’effort de ne pas m’entrainer, et je m’endors tout de suite dans le lac ! Je ne peux pas passer mon temps à rien faire ! Contra l’épéiste. Déjà que je ne peux plus m’éloigner d’un point d’eau…
– Toi, ne pas t’entrainer, c’est possible ? Le taquina Sylvain avant d’ajouter plus sérieusement. Enfin, tu ferais mieux de dormir encore dans le lac pour pouvoir être d’autant plus d’attaque après.
– Grhmf… déjà que je ne peux pas participer au combat contre l’Empire, ne me parle même pas de dormir… j’ai déjà passé trop de temps à ça ces dernières semaines.
– C’est important, sauf si tu veux finir impotent à vie ! Le reprit Ingrid. Tu tiens à peine debout !
– Ça, c’est autre chose mais, je vous montrerai plus tard, rétorqua-t-il en rajustant sa couverture.
– D’accord mais, ça n’empêche pas que tu dois te reposer, insista tout de même Dimitri avant de se tourner vers le père de l’épéiste. Et vous seigneur Rodrigue ? Comment allez-vous ?
– Beaucoup mieux, le lac a fait des miracles sur ma blessure, lui assura-t-il. Je ne peux toujours pas combattre à nouveau et je dois faire attention quand je mange mais, j’ai pu me remettre au travail administratif et aux comptes pour aider Alix. Et vous, comment allez-vous ? Que pouvons-nous faire pour vous aider ?
– Bien mieux aussi, merci beaucoup. Et nous aimerions vous entretenir tous deux de… certaines choses. Ce sera surement assez long…
Pierrick comprit vite qu’il ne devait pas entendre cette conversation et s’excusa, alors que Rodrigue proposa, anticipant peut-être ce qui allait arriver.
– Bien, allons alors dans la petite pièce de séjour avec un peu de thé, nous rentrerons tous et nous serons tranquilles pour discuter.
– C’est une bonne idée… accepta Dimitri.
Ils allèrent tous ensemble dans la pièce, même si Félix eut besoin d’aide pour se déplacer. Ses jambes étaient vraiment faibles, il tenait à peine dessus et avait du mal à avancer, bien qu’il refusa qu’on le porte, marmonnant qu’il n’était tout de même pas infirme, juste fatigué.
« L’hémorragie était pourtant au niveau de son torse, pas de ses jambes… songea Dimitri en le regardant accepter l’aide de Sylvain au final. Le contrecoup du miracle a dû les modifier… espérons que ce ne soit pas trop douloureux… »
Les jumeaux les firent rentrer dans la pièce avec des bancs et des chaises avec des coussins, devant un peu chasser les chats qui y dormaient pour laisser les lions s’installer. Le thé arriva vite, puis ils fermèrent la porte pour préserver l’intimité de leur conversation. Mercedes les servit tous, alors que Rodrigue demandait.
« Merci beaucoup. De quoi voulais-tu nous entretenir ?
– Avant de vous poser des questions, j’aimerais que… que vous me promettiez d’être le plus honnête possible.
– Hum… si tu nous le demandes, on imagine que ça doit être un sujet très sensible car sinon, tu saurais qu’on est honnête avec toi, rétorqua Alix en le regardant par-dessus sa tasse, méfiant. Si tu nous disais déjà sur ce quoi tu veux qu’on te dise tout, histoire qu’on ne fasse pas une promesse dans le vide ?
– Et bien… j’aimerais parler de mon père… mais aussi de ma belle-mère et… et de sa famille…
Un silence très lourd s’installa entre les deux jumeaux, se jetant un regard qui devait signifier mille mots pour eux, alors que Félix fronça les sourcils en demandant, toujours enveloppé dans sa couverture qui le recouvrait entièrement.
– Depuis quand tu as une belle-mère ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
– C’est à cause de ce qu’a dit Arundel à Dimitri, commença Sylvain. Tu sais surement qu’on l’a affronté à Derdriu.
– Oui, et il est mort ce connard, bon débarras, rétorqua-t-il, un regard assassin lui échappant en pensant à cet homme. Et il avait le même déguisement de peau que Cornélia. Merci, je lis le courrier mais, je ne voie pas le rapport entre lui, une belle-mère de Dimitri et sa famille.
– Et bien… le seigneur Arundel a dit qu’Eldegard était la sœur par alliance de Dimitri… lui annonça Ashe, la voix hésitante.
Dimitri crut que Félix allait lâcher sa tasse à sa réaction. Ses yeux s’exorbitèrent de surprise, avant de rétrécir à nouveau de réflexion, puis de colère et d’atterrement. Il avait surement compris pourquoi son père avait mis autant de temps à bannir Arundel à l’époque. Avant qu’il ne puisse reprendre la parole, Dimitri regarda les jumeaux, restés silencieux même si à leurs expressions, ils discutaient entre eux sans un mot.
– C’est pour ça que je vous demande d’être honnête. Je sais que vous êtes au courant de tout ceci, comme tous les proches de mon père à part les Charon.
– Ça ne nous explique pas pourquoi tu insistes tant pour qu’on soit honnête, rétorqua Alix.
– Je sais que sur la fin c’était… compliqué entre vous et mon père… et je sais aussi que vous aviez surement un avis différent du sien. Et je ne veux pas que vous me ménagiez à ce sujet. J’ai entendu suffisamment de mensonges et de demi-vérité. Je veux entendre toute la vérité de votre part, même si elle doit me faire mal. Je l’accepterais et je ne la fuirais pas. Je veux juste comprendre un peu mieux ce qui a pu se passer et tout ce que j’ai entendu et appris. Pour cela, j’ai besoin d’honnêteté, pas de paroles rassurantes, même si ce sera surement très dur à entendre. Pouvez-vous me le promettre ?
Les jumeaux échangèrent encore un regard, avant d’hocher la tête.
– Bien, répondit Rodrigue pour eux deux. Nous serons aussi honnêtes que tu le demandes. Et oui, nous étions au courant pour ta belle-mère… même si nous nous y sommes opposés dès le départ.
Dimitri ne pouvait pas se plaindre de sa franchise, il se doutait même un peu que ce serait l’avis des jumeaux sur la question après y avoir réfléchi de son côté mais, l’entendre faisait toujours mal. Il se ressaisit assez vite, ne pouvant pas déjà laissez tomber, il devait tenir.
– Mais… mais comment tout ça est-il arrivé ? Demanda Ingrid. Ce… cela semble fou comme situation ! Et très dangereux ! Et surtout, qui s’était ?
– C’est vrai que je ne vous ai pas raconté… se souvient Dimitri. Comme vous le savez, ma mère biologique, Héléna Alexanne Charon, est morte peu de temps après ma naissance de la peste. Ma belle-mère, Anselma, était une des concubines de l’empereur Ionius avec qui elle a eu Eldegard mais, à cause des rivalités entre concubines et le jeu politique au sein du harem, elle a été forcée de fuir l’Empire, même si elle n’a pas pu emmener sa fille. Quand elle est arrivée dans le royaume avec l’aide de son frère et du marquis Von Vestra de l’époque, elle est allée demander de l’aide à mon père. Ils ont continué à se voir et ils sont tombés amoureux. Ils se sont donc mariés de manière morganatique mais, pour passer inaperçue, elle a pris le nom de Patricia Arnim et s’est faite passer pour la cousine de la vraie Cornélia, qui était également dans la confidence et qui avait beaucoup aidé ma belle-mère quand elle est arrivée à Faerghus.
– Quoi ?! Tu veux dire que c’était Patricia ? Hoqueta de surprise Ingrid avant de passer sa main devant ses yeux. Déesse… ça explique tellement de choses…
– Quoi donc ? Leur demanda Annette, écoutant tout attentivement.
– Trop long à raconter maintenant, marmonna Félix en fronçant le nez.
– Tout de même, quelle histoire que le roi de Faerghus tombe ainsi amoureux d’une ancienne concubine impériale en fuite et qu’ils se marient, murmura Mercedes. Et seuls ses plus proches conseillers et amis étaient au courant ?
– Après, c’est la version que m’a donné mon père. Je ne sais pas si elle est romancée ou non…
– Dans les grandes lignes et les faits, non. C’est à peu près l’histoire si on simplifie les choses, répondit Rodrigue, même s’il semblait remuer de mauvais souvenir. Et oui, seul le cercle le plus proche du roi était au courant, même si les Charon n’ont jamais su pour son mariage avec Patricia. Ils tenaient énormément à Héléna, même encore aujourd’hui, c’est une fratrie très unie, et Héléna a toujours rempli son rôle de reine à la perfection. Ses frères et sœurs n’auraient pas apprécié qu’elle soit remplacée par une femme dont on ne savait rien à part qu’elle était le sosie de leur sœur, et encore moins si elle était de confiance. Ce n’était pas l’intention de Lambert mais, c’était un véritable camouflet pour eux, et ils auraient pris son mariage pour une insulte envers Héléna. En plus, même au niveau du droit, l’union avec Anselma restait très bancale. Bien qu’ils soient séparés, elle était encore mariée à Ionius selon le droit adrestien, et le droit royal interdit la bigamie. Ils connaissent parfaitement le droit et la justice, la fratrie Charon était très dangereuse pour eux deux si le comportement d’Anselma était indigne d’une reine, ou n’arrivait pas au niveau d’Héléna.
– Dans un sens, je les comprends, même si c’est dur de l’accepter, soupira tristement la magicienne rousse. Le mariage était en partie illégal, et cela doit être dur d’avoir l’impression qu’un membre de sa famille qu’on aime se fait remplacer, encore plus si elles se ressemblaient toutes les deux…
– Physiquement seulement, c’était le jour et la nuit pour le caractère, elles se seraient surement détestées toutes les deux… et Déesse, encore heureux que les frères et sœurs Charon ne lui aient jamais beaucoup parlé… ça aurait été encore pire s’ils avaient découvert le pot aux roses, marmonna Alix. En plus, il y avait le risque qu’elle tombe enceinte de Lambert et là, ça aurait compliqué la succession, surtout s’il avait un emblème. Le mariage avec Anselma était morganatique alors, Dimitri restait le plus légitime en étant l’ainé et issu de son mariage officiel avec la reine mais, c’était toujours un problème. Heureusement que le cas de figure n’a jamais eu lieu mais sinon, on aurait été mal de décider de son sort… si les fhirdiadiens nous en laissaient le temps. Héléna a beaucoup agi en la faveur des roturiers, et a beaucoup fait pour empêcher la corruption alors, elle était très aimée, là où Anselma, on ne va pas se mentir, d’un point de vue extérieur, elle pouvait ressembler à une maitresse. Les fhirdiadiens auraient surement aussi pris la nouvelle comme une insulte et ils auraient pu aller demander des comptes à Lambert eux-mêmes.
– Mais même avec Adrestia, ce n’était pas dangereux que l’épouse du roi de Faerghus soit aussi une ancienne épouse de l’Empereur ? Demanda Annette
– Si, évidemment, c’est même pour ça qu’on était contre ce mariage, répondit encore Alix, son ainé le laissant répondre. Qu’elle reste à Faerghus, d’accord mais, pas comme l’épouse du roi. Il aurait été beaucoup plus prudent qu’elle reste sous la protection d’un seigneur mineur, cela aurait été bien plus discrets et moins compromettant si quelqu’un découvrait la vérité. Si Ionius l’apprenait et voulait qu’on la lui rendre, on aurait toujours pu la renvoyer en feignant l’ignorance mais là, ce n’était pas possible si c’était l’épouse du roi. De plus, Lambert l’aurait toujours défendue, même si Ionius tapait à notre porte avec une hache en criant qu’on l’avait enlevée.
– Mais elle était pourtant là volontairement ! S’étonna Ashe. Et vous auriez vraiment rendu comme ça ? Sans la défendre ? Elle n’a pas dû fuir sans raison…
– Oui, et ? Lui demanda le second jumeau avec un air blasé. C’est pas comme si la raison la plus conne du monde suffisait pour envahir les voisins car, on peut le faire avec sa grosse armée et sa grosse hache… c’est pas comme si l’Ionius avait pris la première occasion pour montrer les muscles dès qu’il est arrivé sur le trône, le tout pour tenter de nous arracher la Madone d’Argent car, tout le plateau de Brionnic en avait marre de lui et de ses prédécesseurs. Alors bon, quand on les a plumés de leurs barons bénis par la Voix Guérisseuse, ils ont pété une rêne et ont tenté de rejoindre le Royaume. Ce qui a évité la guerre vingt ans en avance, c’est que Ludovic a décidé de lui laisser, tout en lui faisant bien sentir qu’il n’hésiterait pas à défendre les frontières royales si nécessaire, même s’il devait monter au front lui-même… et parce qu’Ionius avait été terrifié par la tuberculose de Ludovic. Il avait peur de l’attraper quand Ludovic a fini la réunion avec du sang tout autour de la bouche à cause de ses toux, même si ça aurait été mieux pour tout le monde qu’il la lui refile… ça a toujours été un couard de première.
– Et oui, on sait que ce n’était pas très humain de renvoyer Anselma en Adrestia mais, si Ionius tentait de récupérer sa concubine et s’en servait comme cassus belli, tout le Royaume aurait été danger. Il fallait choisir entre protéger une personne, au prix de mettre en danger des milliers d’autres que nos familles avaient juré de protéger depuis l’origine même du Royaume, ou protéger des milliers de personnes en sacrifiant une personne qui nous avait demandé de l’aide. Nous ne disions pas que c’était une décision facile ou bonne mais, il fallait bien en prendre une, et nous, nous aurions choisi de protéger les faerghiens, quitte à sacrifier Anselma, déclara Rodrigue avec compréhension mais, on sentait aussi que c’était l’homme politique qui parlait.
– Vous voulez dire que le roi Lambert aurait préféré prendre le risque de mettre en danger tout son royaume pour elle ? Demanda encore Annette.
– Ce serait une mauvaise manière de présenter les choses. Lambert était persuadé qu’il pouvait aider et satisfaire tout le monde, et il suivait toujours cette maxime, même si ça rendait ses actions incohérentes, expliqua Rodrigue, n’arrivant pas à cacher l’amertume dans sa voix, Alix ayant l’air de garder ce qu’il avait envie de dire dans sa tasse. Il était aussi très optimiste, même quand tout hurlait le contraire alors, il était sûr que tout irait toujours bien. Pour Anselma, il était persuadé qu’Ionius ne découvrirait jamais rien, et que si ça arriverait, on s’en sortirait.
– Ça collerait avec ce qu’on voyait de lui, réfléchit à voix haute Sylvain. Même quand j’étais petit, j’étais parfois étonné de ce qu’il pouvait faire car, je trouvais ça étrange ou juste trop naïf, comme quand Arundel est venu à Fhirdiad avec… attend, tu veux dire que la gamine qui était avec lui, ton amie El que tu voulais nous présenter, c’était Eldegard ?!
– Si tel est le cas, je commence enfin à comprendre ce que tu as dû ressentir il y a cinq ans, intervient Mercedes. Après, Eldegard est la seule famille qui vous reste, n’est-ce pas ? Et qu’une personne aussi spéciale se révèle être votre plus féroce ennemi… J’imagine à quel point vous avez dû souffrir.
– Oui, même si je ne savais pas que c’était la fille de Patricia à l’époque. Mon père savait mais, je n’étais pas dans la confidence, au cas où je ne serais pas arrivé à tenir ma langue. Eldegard aussi n’était au courant de rien à part que Patricia était sa mère. Il y avait à nouveau des tensions à Enbarr alors, les enfants impériaux étaient envoyés ailleurs, en sécurité, et Arundel s’est occupé de mettre en sécurité sa nièce… même si avec ce qui s’est passé, c’était surement déjà un imposteur… déclara Dimitri après réflexion. Ça expliquerait son comportement…
– On ne sait pas s’il était déjà remplacé mais, Anselma l’ignorait surement, déclara Rodrigue. Elle a toujours défendu son frère bec et ongle, qu’importe ce qu’il faisait. Elle nous en a énormément voulu quand nous avons tout fait pour obtenir son renvoi dans l’Empire, surtout après l’affaire de l’Adrestien brûleur d’enfant. Nous nous apprécions déjà assez peu mais, nos relations se sont encore plus dégradés des deux côtés.
– Quel est cette affaire ? Demanda Dedue.
– C’est vrai que tu ne peux pas être au courant ! Se rendit compte Ashe. Elle avait fait grand bruit dans tout le Royaume ! Même dans le sud, on en parlait comme d’une honte nationale !
– J’en ai aussi entendu parler. Un seigneur de la frontière adrestienne a pratiquement brûlé vif un enfant d’un proche du roi, il a failli le tuer, raconta Mercedes, ayant également entendu parler de cette histoire. Cependant, malgré le flagrant délit, le roi a refusé de le juger ou de l’expulser du pays. Il n’y aurait eu aucune conséquence à son acte, alors que la famille de la victime n’avait pas pu porter plainte car, cela aurait touché la famille royale. Si je me souviens bien de la fin de l’affaire, il aurait eu une action en civile pour trouble et atteinte à la sécurité publique, ainsi qu’agression sur mineur, et il aurait finalement été expulsé. Même dans l’église où j’habitais à l’époque, on ne parlait que de ça… mais je ne sais pas à quel point c’est déformé…
– T’as le gros de l’affaire sans les noms. Ce monstre était bien Arundel, et on a pas pu porter cette affaire devant un tribunal car, Arundel en savait trop alors qu’on était sur le point de s’entretuer sur la frontière, Patricia lui avait surement raconté tout ce qu’elle savait. En plus, on perdait le procès, on nous aurait accusé de calomnie et de trahison envers la famille royale et pour les Fraldarius, la trahison, c’est la tête coupée obligatoire pour les coupables, voir pour tous les adultes de la famille pour l’exemple. On a dû utiliser tout ce qu’on avait à notre disposition pour éloigner toute notre famille de là, même Glenn alors qu’il était déjà chevalier. Hors de question de laisser l’un d’entre nous seul à Fhirdiad avec ce monstre.
– C’était donc votre famille qui a été attaquée, comprit Dedue avant de regarder Félix. Alors, ta marque en écaille…
– Humf… oui, c’est à cause des brûlures d’Arundel, je pensais juste m’entrainer. J’ai été très con pour le coup et je suis tombé dans le panneau des provocations, marmonna Félix en ramenant la couverture autour de lui, ses gestes l’ayant légèrement écarté avant de reprendre une gorgée de thé. C’est Fraldarius qui m’a sauvé. À ce moment-là aussi, juste être proche du lac m’aidait à tenir.
– Tu parles, c’est Arundel le seul coupable. C’était censé être un entrainement, pas une bataille à mort ! Cracha Alix. Et Lambert qui gobait toutes les excuses tant que c’était Anselma qui lui disait… on avoue, on a eu des envies de meurtre quand elle nous a envoyé une charmante lettre, où elle nous assurait que son grand frère était complètement innocent et que c’était la faute de Félix s’il était dans le coma et couvert de brûlures noires. On doit toujours l’avoir celle-là d’ailleurs… Nicola nous avait conseillés de la garder comme preuve au cas où les choses s’envenimaient encore plus. Honnêtement, ça n’a jamais été le grand amour avec Anselma mais après cette affaire, la guerre était déclarée entre nous. C’est pour ça qu’il vaudrait mieux vous méfier un peu de ce qu’on dit. On ne s’encadrait pas avec Anselma alors, nos dires sont forcément biaisés. Enfin bref, pour retourner au sujet de base, c’est à partir de ce moment-là qu’Anselma est devenu vraiment distante avec Lambert. Elle lui en voulait d’avoir renvoyé son frère dans l’Empire et Eldegard avec. Elle refusait de lui parler sans Cornélia pour faire un parti en plus de son côté.
– Je m’en souviens… moi aussi, je ne pouvais plus la voir seul à partir de ce moment-là… et elle était beaucoup plus distante aussi… se rappela Dimitri. Et si je me fie à ce qu’a dit Pan, il y a de grandes chances que Cornélia ait été aussi remplacée à cette période-là, après qu’elle soit tombée dans les escaliers.
– Ça expliquerait ses changements de personnalité… ils n’étaient pas très gros avec nous donc, on pensait que c’était le choc à la tête mais, elle était toujours assez discrète avec ce qu’elle pensait elle-même. Elle devait tout à Lambert dans le Royaume, elle ne pouvait pas se permettre de se mettre en porte-à-faux avec lui. Il ne l’aurait jamais renvoyée mais, elle était assez prudente pour savoir qu’elle ne devait pas faire d’écart pour ne pas se mettre à dos des personnes haut-placées, de peur d’être forcée à retourner dans l’Empire, raconta Rodrigue. Mais cela expliquerait le revirement total de personnalité qui a explosé lors du coup d’État. La vraie Cornélia ne se serait jamais alliée à l’Empire qu’elle a tout fait pour fuir, encore moins à des personnes déclenchant des guerres sur un coup de tête.
– Je pense aussi… elle… la fausse Cornélia a… elle a aussi dit que Patricia l’a aidée… que c’était elle qui avait voulu…
Dimitri déglutit, luttant de toutes ses forces pour ne pas resombrer quand il dit ses mots. Il avait peur… peur de ce qu’il pourrait entendre… les jumeaux tenaient parole, ils étaient honnêtes et disaient ce qu’ils pensaient, ils le voyaient et le sentaient tous… le jeune homme voulait la vérité mais, quelque chose minait son cœur… non, il ne devait pas perdre sa détermination. S’il n’arrivait pas à entendre la vérité, il n’arriverait pas à affronter Eldegard. Il devait être aussi déterminé que Pertinax l’était pour protéger sa famille, autant que Rodrigue à le protéger de lui-même, autant que Félix à protéger son père de la mort… s’accrochant à leurs yeux de chats, Dimitri continua.
– La fausse Cornélia a déclaré que Patricia voulait revoir sa fille plus que tout. Elle a dit que pour la retrouver, elle était prête à tout pour la revoir, et qu’elle avait accepté de l’aider en échange de la tête de mon père… est… est-ce que la Patricia que vous connaissiez en aurait été capable ?
Les jumeaux ne cachèrent pas leur surprise, puis réfléchirent, discutant à nouveau des yeux… leur regard se perdit un peu avant que Rodrigue ne reprenne la parole, roulant son chapelet entre ses doigts.
– Dire que nous nous n’en doutions pas légèrement serait mentir… même si nous nous sommes aussi demander si ce n’était à cause de notre inimitié réciproque si nous l’accusions ainsi. Puis, nous avons enquêté pour savoir ce qui s’était passé ce jour-là…
– Vous ne pensez tout de même pas à ce que vous m’avez raconté avant la bataille de Gronder ? Marmonna Gilbert. Je veux bien qu’après ce que nous avons pu entendre, ça vous conforte dans cette hypothèse mais…
– Tu pourrais aussi la boucler et laisser mon père et mon oncle parler, rétorqua Félix en grattant sa poitrine, dissimulé sous sa veste et sa couverture. C’est eux qui ont cherché à comprendre tout en tenant le Royaume en entier, pendant que toi, tu t’es barré alors, ferme-là et écoute.
Au moins, ça confirmait que la famille s’était réconciliée. Ça aurait été mieux si Gilbert ne s’était pas pris une flèche perdue mais, Félix était Félix. Rodrigue se tourna vers lui, inquiet.
– Cela recommence ? Tu préfères partir ? Après tout, on t’a déjà raconté tout ça…
– Non, c’est juste que ça commence à être un peu sec. Je peux encore tenir, je ne suis pas en papier.
– D’accord mais, n’insiste pas si ça devient trop fort, histoire que tu ne t’effondre pas encore, rétorqua Alix. Et avant que Gustave nous coupe, oui, on a mené l’enquête et comme vous le savez, Anselma fait partie des disparus, comme Glenn mais là, il ne restait vraiment rien d’elle. De plus, rien ne montrait que son carrosse a été attaqué. Pour le coup, Lambert nous a bien rendu service en lui donnant une voiture à part… même si cela la rendait plus suspect car bon, pourquoi une dame de compagnie et nourrice du prince devait avoir un carrosse à elle, à part parce qu’elle lui a fait les yeux doux et pour nous donner du travail en plus, je vous le demande mais bref. Ce n’était pas comme les autres disparus qui avaient tous laissé au moins une « preuve » de leur présence, pour Anselma, il ne restait littéralement rien, comme si elle n’avait jamais été là, alors qu’on sait qu’elle était présente. Étant donné qu’on n’a jamais réentendu parler d’elle, ni pour une rançon, ni pour en tirer un avantage politique qui aurait été nul vu que personne ne l’aurait cru si elle s’était dit femme de Lambert, encore moins quand sa mort en a fait un saint, et que même maintenant que sa gamine est impératrice, on n’a jamais réentendu parler d’elle, on a commencé à se demander si elle n’avait pas trempé dedans.
– Alix, que votre inimitié réciproque ne vous fasse pas aller trop loin, le prévient Gilbert. Vous vous détestiez tous les trois, c’est un fait et vous ne le niez même pas. Ne ternissez pas son image et celle de Sa Majesté plus longtemps !
– Père, attend, laisse-les parler, intervient Annette en posant sa main sur son bras. Tout ce qu’il raconte a du sens pour le moment, et comme tu l’as dit, ils sont clairs sur ce qu’ils pensent de Patricia. De plus, ce sont surement les personnes qui en savent le plus ici sur ce qui a dû se passer ce jour-là… elle se tourna alors vers eux en demandant. Et qu’avez-vous trouvez pendant votre enquête ?
– Merci. Et bien, nous n’avons pas encore de preuves très tangibles mais, nous nous demandons si la Tragédie ne faisait pas partie d’un complot plus vaste, déclara Rodrigue. Mais pensez-y. Pourquoi remplacer Cornélia ? Si nous nous fions aux dires de Pan Prudhomme, c’est un processus très lent et compliqué, les complices de la fausse Cornélia avaient surement des raisons de le faire. On s’est également demandé si les comploteurs voulaient se débarrasser de Lambert car, il était très compliqué à prédire, têtu et qu’il voulait donner plus de voix aux roturiers en politique. Il était bien moins radical que Sa Majesté Ludovic et pouvait aller dans tous les sens mais, c’était suffisant pour s’attirer les foudres des seigneurs de l’Ouest et du Sud, ainsi que de l’Église Occidentale, même si là aussi, il allait moins loin que son père. Lambert s’était fait beaucoup d’ennemi avec le temps.
– Si Cornélia n’a pas fait du Cornélia en racontant mensonges sur mensonges, peut-être que Patricia a pu participer en tant qu’informatrice. Lambert ne lui cachait pas grand-chose et elle a su un mois avant nous que le voyage à Duscur allait avoir lieu alors, elle a pu en parler à Cornélia et cette dernière en a profité. En plus, si c’était dans leur plan de faire accuser les duscuriens, Cornélia et ses complices ont pu recruter des seigneurs de l’Ouest en leur promettant des terres riches et des mines, leur fit observer Alix. Si les bouc-émissaires, c’était les srengs avec leurs fjords, leurs terres stériles et leur neige, Cornélia aurait eu beaucoup moins de succès.
– Alors, elle aurait pu le faire… marmonna Dimitri en passant sa main sur son visage.
– Met bien le conditionnel, insista le cadet des jumeaux. Nous, on le pense, ce serait logique ce qu’on a pu voir d’elle, mais encore une fois, on ne pouvait pas s’encadrer avec Anselma. En plus, comme tu l’as dit, c’était compliqué aussi avec Lambert donc, il est possible que nous le chargions aussi. Tout ceci biaise forcément notre jugement. En plus, nous aussi, on a pas toutes les réponses. Vous en savez autant que nous dans les grandes lignes maintenant.
– Oui… au moins… au moins, je sais… je comprends un peu ce qui a pu se passer… murmura Dimitri en regardant à nouveau les jumeaux. J’ai encore beaucoup de questions mais, j’y voie un peu plus clair à présent, même s’il faudra encore chercher… même s’il y a plus urgent.
– Oui, y a Eldegard à arrêter avant, lui rappela Félix. Enfin bon, c’est notre ennemie jurée mais, c’est aussi ta sœur par alliance et une amie d’enfance… son regard fatigué s’ancra dans le sien, le défiant presque alors qu’il lui demandait. Seras-tu capable de la tuer ?
– Je la tuerai… s’il le faut, répondit-il en espérant ne pas trembler. Mais s’il existe la moindre chance que sa vision du monde soit juste… Alors, je… J’aimerais entrevoir un avenir où nous avancerions main dans la main, elle et moi. Cependant, je n’ai nulle intention de laisser mes sentiments personnels obscurcir mon jugement. L’enjeu est trop grand.
– Tant mieux car bon, sa « vision du monde », ça a surtout l’air d’être de vouloir reconstituer un empire qui n’a jamais existé, vu qu’Adrestia n’a jamais contrôler tout Fodlan dans les faits, lui rappela Sylvain.
– Je m’en doute mais, je ne peux pas m’en empêcher… je préférerais pouvoir en finir par la diplomatie mais, elle refusera surement. Le plus fort doit dominer le plus faible pour elle, et si c’est par les armes qu’elle veut en finir, je l’arrêterais aussi par les armes. L’enjeu est la paix de tout le continent et même au-delà de ses frontières. Je ne peux pas laisser ma nostalgie dicter mes choix alors que tant de vies en dépendent.
Les jumeaux l’encouragèrent d’un hochement de tête, comprenant surement le raisonnement. Ashe intervient alors, toujours aussi prévenant.
– Votre Altesse… Je pense que vous devriez rencontrer l'impératrice et tenter de discuter avec elle, lui conseilla-t-il avant d’ajouter avec tristesse, sachant parfaitement de quoi il parlait. Si nous pouvions mettre un terme à cette guerre sans que le sang ne coule à nouveau, tant mieux. Et puis, tuer un membre de sa famille… c’est mal.
– Oui… tu as raison. Je suis du même avis. Il y a peu de chance que cela aboutisse mais, nous pourrions peut-être proposer une entrevue pour tenter de discuter, même si cela a très peu de chance qu’Eldegard accepte… j’espère simplement ne pas être trop naïf pour le coup… il se tourna alors vers les jumeaux. Qu’en pensez-vous aussi ?
Les deux frères échangèrent un regard avant de déclarer en même temps.
– – Prend Merceus en premier, instaure bien le rapport de force, vérifie qu’elle soit aussi en position de faiblesse afin d’avoir un avantage, et planifie bien la rencontre pour que ce soit sûr et qu’elle n’amène pas son armée avec elle.
– C’est ce que je compte faire, leur jura Dimitri. Je ferai très attention, et j’attendrai que nos forces soient proches d’Enbarr. Si elle est piégée, elle aura plus de chances d’accepter la reddition afin de sauver au moins sa propre peau.
– C’est clair que ce n’est pas le moment de te faire tuer car, tu as voulu donner une chance à l’ennemi, grogna Félix en vidant sa tasse, son regard devenant un peu terne alors qu’il se grattait la tête.
Rodrigue comprit assez vite ce qui se passait et lui conseilla, visiblement inquiet.
– Tu devrais retourner dans le lac… tes symptômes sont de nouveau assez forts… tu risques de t’évanouir…
– Je peux… arf…
– Non, tu ne peux pas, et ça se voit, le coupa Alix.
– De plus, on a dit le plus important, ajouta Dimitri. On peut t’accompagner si tu veux ou que ça ne te gêne pas.
– Sinon, on peut aussi te trainer là-bas si tu t’entêtes, ajouta Ingrid avant que le blessé ne puisse à nouveau refuser.
Heureusement, Félix céda assez vite et accepta que ses amis d’enfance l’accompagnent, les autres ne posant pas trop de questions. Ils comprenaient que c’était surement gênant pour lui d’apparaitre aussi faible, même si c’était normal après avoir épuisé son énergie ainsi.
Quand l’épéiste se releva, il tremblait encore plus que tout à l’heure, au point qu’il pouvait à peine marcher sans aide. Il ne se plaignait pas mais, il semblait désorienté et avoir des vertiges, s’accrochant au bras de Sylvain qui l’aidait à avancer.
« Ce sont tes blessures qui t’épuisent à ce point ? Lui demanda Dimitri, s’adaptant à son rythme lent.
– Par les Braves, parle moins fort… marmonna-t-il, se tenant à nouveau la tête. Oui… enfin, c’est plus le contrecoup de la magie de Fraldarius qui provoque tout ça… j’ai besoin d’eau pour qu’il se stabilise… dès que je suis dedans, je n’ai plus de symptômes…
– Tu n’étais pas autant épuisé la dernière fois, lui fit observer Sylvain. Tu étais mal et fatigué mais, pas à ce point-là…
– Car j’avais juste… juste récupéré des écailles… dans le dos… l… là…
La fin de sa phrase mourut sur sa langue, alors que ses jambes cédèrent sous son poids. Heureusement qu’ils étaient à côté sinon, il se serait surement encore plus blessé ! Sylvain le rattrapa juste à temps en l’appelant en voyant ses yeux fermés, aussi mort d’inquiétude que Dimitri et Ingrid.
– Eh ! Félix ! Reste avec nous ! Qu’est-ce qu’il y a ?
Leur ami ne répondit pas, haletant, la peau légèrement grise et surtout sèche. Déesse, il semblait ne pas avoir bu pendant des jours ! Par réflexe, Dimitri posa sa main sur son front. Il était brûlant de fièvre !
Sans trop réfléchir, il le prit à son tour dans ses bras, assez fort pour pouvoir courir jusqu’au lac en portant un homme adulte. Ils foncèrent à travers la ville jusqu’à la rive où ils savaient qu’ils pourraient avancer en gardant pied, puis s’enfoncèrent dans l’onde. Dès qu’il entra dans l’eau, Félix sembla se détendre, moins souffrir au fur et à mesure que le flot l’enveloppait à nouveau. Les trois amis avancèrent jusqu’à ce que le blessé soit complètement immergé à part sa tête, attendant en priant pour que cela marche.
Heureusement, les Braves soient loués, le visage de Félix s’apaisa complètement, reposant un peu contre le torse du blond comme s’il dormait. Ses pieds s’échappant de sa couverture se mirent alors à briller sous l’eau, tout comme ses jambes avant que leur éclat ne s’estompe à nouveau, Dimitri sentant le poids de Félix se répartir différemment à présent.
« Son corps a changé… murmura-t-il en ajustant sa prise. Ses jambes pèsent bien plus lourd d’un coup…
Sans voix devant ce qui se passait, Sylvain fut le seul à oser écarter la couverture du corps de Félix, découvrant alors que ses membres inférieurs avaient été remplacées par une longue queue couverte d’écailles bleu sombre et aux nageoires sarcelle.
– C’est fou… on dirait… souffla Ingrid, osant à peine frôler les écailles qui avaient recouvert les genoux de leur ami. On dirait une vraie nageoire de sirène…
Elle devait être très sensible car, ce simple contact suffit à réveiller Félix, ce dernier sursautant en voyant qu’il était déjà dans l’eau mais, il n’arriva pas à s’échapper de la poigne de Dimitri.
– Bon… vous savez maintenant, grogna-t-il d’un ton bourru.
– C’est pour ça que tu étais aussi fatigué, comprit Ingrid. Cela doit être épuisant de fabriquer une queue et ses écailles… c’est le contrecoup du miracle j’imagine.
– Humf… oui… elle apparait dès que je suis dans l’eau… et j’ai aussi des branchies…
– Des branchies ? Répéta-t-elle.
– Oui, sur ma poitrine et ma gorge, ils ne disparaissent jamais pour l’instant, déclara-t-il en tirant son col, dévoilant des ouïes palpitant à l’air libre. Je n’ai pas de problème pour respirer sur terre, même les fentes me grattent quand elles sèchent.
– C’est pour ça que tu te frottais comme ça tout à l’heure, ils commençaient à te démanger, comprit Sylvain.
– Ouais… c’est le signe que je ne dois pas tarder à retourner dans l’eau… je venais d’en sortir quand vous êtes arrivés mais, ça va vite…
– Ça va vite… fit écho Dimitri avant de le questionner, une boule dans la gorge. Félix… est-ce… est-ce que tu ne supportes plus de rester hors de l’eau ? Est-ce que tu dois toujours rester dans l’eau ? Est-ce que tu dois forcément être dans le lac pour te sentir bien ?
– … pour le moment, oui, avoua-t-il en fuyant à nouveau le contact visuel, criblant ses propres écailles du regard. Je ne peux pas rester hors de l’eau plus de quelques heures sinon, je me dessèche jusqu’à tomber… Pierrick pense que c’est le signe que mon corps s’adapte encore, on verra le reste quand je pourrais être dans le lac sans lutter pour rester éveiller… pour le moment, je me transforme puis, je m’endors au fond du lac en général… moins de bruit et de passage… grmf… c’est frustrant, je passe mon temps à dormir au lieu de me battre…
– Il faut bien que ton corps se régénère après avoir perdu autant de sang et d’énergie, lui rappela Dimitri. Je préfère te savoir ici à dormir que sur le front !
– Pas moi, rétorqua-t-il. Il faut bien quelqu’un pour te remettre le sablier à l’heure.
– Promis, on le surveille Félix, lui assura la chevalière, et je me charge de ça. Toi, il faut que tu te reposes sinon, tu risques d’avoir des séquelles à vie de ton hémorragie ! Mercedes et Manuela craignent même que tu ne puisses plus utiliser la magie après un choc pareil ! Alors imagine ce qu’elles diraient devant un tel contrecoup !
– En plus, comme l’a dit Ingrid, ça doit te prendre beaucoup d’énergie de faire une aussi belle nageoire ! Ajouta en souriant Sylvain.
– Tu voies quelqu’un avec une queue de poisson et tout ce que tu trouves à dire, c’est qu’elle est jolie… marmonna Félix en lui lançant un regard noir.
– Je suis sérieux ! Elle est vraiment magnifique et elle a l’air aussi puissante que tes jambes ! En plus, tu as de la chance, elle est aux couleurs du royaume et de ta famille. Imagine, elle aurait été rouge écarlate ?
– Jamais ! Je préfère m’arracher les écailles plutôt que d’être de la même couleur qu’Eldegard ! Cracha-t-il, frappant inconsciemment l’eau avec sa nageoire dans un mouvement rageur.
– C’est pour ça que je dis ça, et tu ne ferais quand même pas ça ! ça doit faire mal ! Et ça ne risque pas de t’arracher la peau ? En plus, ça te va bien, tu as toujours été un vrai poisson dans l’eau. On te prenait déjà pour une sirène quand tu nageais, maintenant, tu l’es, le taquina encore leur ainé.
Cette fois, l’épéiste détrempa Sylvain avec sa queue, le faisant rire plutôt que taire, l’humeur sombre autour d’eux se dissipant un peu avec ses remarques. Le connaissant, c’était surement le but de ses paroles légères. S’essuyant un peu, le rouquin ajouta plus sérieusement.
– Tu voies qu’elle ne manque pas de force cette nageoire. Il faut juste que ton corps s’habitue à ce qui a changé en lui. Une queue de poisson et des branchies se mettent en place dans ton corps, c’est normal d’être fatigué. C’est ce que te dis Pierrick non ? Ton état évolue tout le temps, il faut déjà attendre que tu ne sois plus aussi fatigué pour savoir si oui ou non, tu vas devoir rester dans l’eau tout le temps ou non. Qui sait ? C’est peut-être seulement le temps que la transformation s’installe, vu que la magie de Fraldarius est liée à l’eau ? Peut-être qu’elle la facilite ?
– Je pense… c’est moins désagréable quand je suis dans l’eau, je ne sens même plus rien, alors que je sens chaque écaille qui pousse sur terre… et c’est bien moins douloureux que quand la queue en elle-même s’est formée… marmonna-t-il en frottant ses yeux, luttant déjà contre le sommeil. Je ne sais pas si ça accélère les choses mais, c’est déjà ça…
– C’est le principal, tu as déjà assez souffert comme ça, souffla Dimitri, essayant de le garder dans une position confortable. Félix… je suis…
– Excuse-toi et je te noie dans le lac, le coupa tout de suite le blessé en le regardant dans les yeux cette fois. Arrête de t’accrocher à ce qui s’est passé alors que tu ne peux plus rien changer. C’est fait maintenant, accepte-le. Contente-toi de ne plus te rejeter sous un poignard, ça m’ira, surtout que je ne pourrais pas recommencer dans cet état. Histoire qu’on n’ait pas fait tout ça pour rien et que personne d’autre ne se retrouve dans cet état.
– Je comprends… répondit-il. Je te le promets… il regarda aussi Sylvain et Ingrid, ajoutant autant pour eux qu’à tous leurs camarades. Je vous le promets à tous.
Ils sourirent tous les trois à leur manière, avant que Félix ne resombre dans le sommeil, comme un chaton fatigué. Ils entendirent alors un léger ronronnement sortir de sa poitrine, l’eau devant tourbillonner d’une certaine manière dans ses branchies pour le provoquer… un vrai chat… ses amis sourirent en restant avec lui autant qu’ils purent, tout aussi bercé que lui par l’énergie si douce du lac…
« Le lac de Pertinax ressemble à son chant… »
L’armée du Royaume resta jusqu’au lendemain, discutant encore de la stratégie à suivre une fois arrivé dans l’Empire, ainsi que la marche à suivre en interne. Ils décidèrent notamment de faire suivre les principaux soutiens de Cornélia. La plupart avait plaidé leur propre survie face à la déferlante adrestienne, et les plus zélés envers les deux femmes étaient en fuite mais, mieux valait surveiller de près même ceux qui étaient de leur côté à présent.
Au petit matin, la famille Fraldarius les saluèrent, Dimitri leur confiant le Royaume pendant son absence. Rodrigue et Alix les embrassèrent en leur faisant jurer :
« Soyez très prudents, et revenez nous tous vivants.
– Nous vous le promettons, leur jura-t-il.
Les jumeaux leur sourirent, priant encore pour eux. Félix s’approcha à son tour, à nouveau enveloppé dans un long manteau, cachant ses jambes, encore trempé par sa nuit au fond du lac. Il avait retrouvé son air mordant, grognant à eux tous.
– Vous l’empêchez de se jeter sous un autre poignard et vous le ramenez entier. Et toi, tu y vas et tu reviens victorieux avec tout le monde vivant. Sois le phacochère que tu es au fond, fonce et ne te retourne pas.
Dimitri sourit, lui promettant aussi à son tour.
– Je te le promet Félix. Nous reviendrons vite. Repose-toi bien aussi, et sois de nouveau en pleine forme quand on reviendra.
– Bien sûr… gardez ça au cas où, ça peut toujours être utile.
L’épéiste leur confia des écailles bleu sombre, surement les premières qu’il avait perdues, grande comme la main. Elle irradiait de l’énergie de Pertinax et de sa force… et celle que Félix avait donné à Sylvain lui avait toujours porté chance… c’était surement pour ça…
– Ça ne dispense pas d’entrainement pour rester en vie, marmonna-t-il avant d’ajouter. Et je vous affronte en duel tous autant que vous êtes ici une fois que vous serez revenu, histoire de rattraper le temps perdu.
Il fit rire tout le monde, avant qu’ils ne se saluent encore et repartent vers l’Empire afin d’enfin arrêter Eldegard.
*
Au bout de quelques semaines de voyages, l’armée royale et alliée se trouvait à nouveau dans l’Empire, à l’intérieur même du Fort Merceus. Malgré la présence du Chevalier Macabre, ils avaient réussi à prendre la forteresse et à ouvrir la route vers Enbarr. Ils avaient de plus reçu l’aide des résistants locaux, rassemblé par Caspar et Linhardt qui avaient ouvert la voie dans les environs. À présent, c’était un verrou en moins près d’Enbarr… Dimitri venait de recevoir un message lui annonçant que les seigneurs de l’Est avaient pratiquement terminé de rassembler toutes les forces armées du Royaume, et qu’elles étaient en route pour les rejoindre, tout comme celles de l’Alliance, ainsi que des troupes de la reine Thorgil et ses alliés. Ses forces seraient dirigés par le margrave Isidore Gautier et l’héroïne de Daphnel Judith, ainsi qu’un roi proche de la tante de Sylvain pour les srengs. Avec ceci, ils devraient avoir une assez grande force de frappe pour faire tomber Eldegard et Hubert…
Le messager lui avait également confié qu’un serviteur de Kleiman s’était rendu, alors que son maitre courait toujours, avouant leur implication à tous les deux dans la Tragédie de Duscur… à présent mis au fer par les Charon, le gardant dans leurs cachots en attente de son interrogatoire et de son procès… Dimitri devait avouer qu’il avait été tenté de rebrousser chemin pour entendre au plus vite ce que ce serviteur avait à dire mais, il s’en était dissuadé. Il ne pouvait pas perdre de temps alors qu’Enbarr était à portée de main alors, il devait prendre son mal en patience.
« Votre Altesse !
L’appel de Caspar tira le prince de ses réflexions, le combattant en mêlée se précipitant vers lui avec Linhardt sur les talons. Les deux connaissant parfaitement la forteresse et ayant prouvé leur fidélité, ils faisaient partie des groupes en charge de vérifier si le fort était sûr. La paire le salua puis, l’emblématicien annonça.
– La forteresse a été sécurisée, plus aucune troupe ne se cache à l’intérieur, même dans les cachettes et passages secrets.
– Bien, merci à vous. Votre connaissance de Fort Merceus nous a été précieuse.
– C’est normal, on y a souvent joué tous les deux quand on était mômes… lui assura Caspar avant d’ajouter, plus triste. J’aurais pas cru que nos bêtises serviraient dans une situation pareille…
– On ne pouvait pas deviner qu’on allait être gouverné par une va-t’en-guerre qui veut conquérir le continent, répliqua Linhardt.
– Ouais, t’as pas tort… enfin, le principal, c’est qu’on a réussi à épargner les civils… au fait, en parlant d’eux, Ferdinand et Bernadetta voudrait vous parler !
– Si vous voulez bien et que vous le pouvez bien sûr, ajouta l’ami du combattant en mêlée.
Dimitri réfléchit une seconde puis accepta sans trop de problème. Les deux cavaliers avaient passé les cinq dernières années à mener une guerre de harcèlement et de maquis dans l’Empire. Ils s’étaient même fait une spécialité d’aider les réfugier à passer dans l’Alliance au nez et à la barbe des gardes-frontières, et de voler les subsides destinés à l’armée pour les distribuer au peuple affamé d’impôts par le pouvoir central. Si qui que ce soit voulait des informations fiables sur l’état interne de l’Empire, c’était à eux qu’il fallait demander, surtout qu’ils les avaient déjà aidés à Myrddin, même si à ce moment-là, Dimitri les avait repoussés et s’était mal comporté avec eux, n’ayant aucune confiance en des impériaux quel qu’il soit, même s’ils étaient de confiance…
Accompagné de Byleth et Dedue, Dimitri alla donc à la rencontre de ses anciens camarades, en train de s’occuper de leurs troupes. Il voyait Ferdinand s’agiter, donnant les directives à ses hommes pour l’après-bataille, criant pour se faire entendre par-dessus la cohue.
« Hartlieb ! Occupez-vous des blessés avec vos hommes et ceux de Molitor ! Brant et Dürer ! Allez en ville pour voir ce dont on besoin les habitants !  La priorité est d’assurer leur sécurité ! Mentelin ! Nous nous…
– Neumeister ! Ajouta la petite voix de Bernadetta arrivant vers eux. Viens ! Nous devons faire passer la nouvelle de la défaite de Merceus ! Elle se tourna vers son camarade en annonçant avec un sourire. C’est bon ! Les troupes qui ont fui n’ont pas touché à nos vivres et aux non-combattants avec eux !
– D’accord, voilà qui est pour le mieux, rayonna Ferdinand avec son sourire ensoleillé. Nous devons aussi commencer à discuter avec les officiers du Royaume…
– Je voie que vos troupes s’en sont bien sortis elles aussi, vous m’en voyez rassurer.
Ils se turent tous les deux en entendant la voix de Dimitri, surement étonné qu’il soit aussi amical avec eux, même si Caspar et Linhardt leur avaient surement déjà résumé la situation. Ce n’était pas étonnant après Myrddin… il avait été odieux avec eux et les avait pratiquement chassés malgré leur aide… le prince déclara alors, espérant ne pas faire d’impair.
– Merci infiniment pour votre soutien dans cette bataille. Votre aide a été précieuse pour prendre Merceus, vous avez toute ma reconnaissance.
– C… cela est bien normal, lui assura Ferdinand avec sérieux, même s’il semblait briller un peu de joie de le voir aussi amical envers eux. Nous avançons vers le même objectif, et nous sommes ravis d’apprendre que nous avons pu vous aider.
– Oui ! Surtout que c’est très dur pour les habitants de la région ! Le ministre Bergliez les taxent énormément étant donné que c’est leurs terres ! Ajouta Bernadetta avec force. L’armée prend tout et ceux qui tentent de s’y opposer sont arrêtés ! La plupart sont envoyé en Arundel ou à Enbarr et personne ne les revoie plus ! Ils sont sans pitié avec tout le monde !
– D’autres groupes résistants se sont spécialisés dans la libération de ses convois de prisonniers mais, il y a surement énormément de captifs à Enbarr, ajouta son camarade. Nous avons également commencé à faire des tournées en ville pour distribuer des vivres et rassurer les habitants.
– Bien, merci beaucoup pour votre aide et nos hommes vous aideront aussi. Ils auront sans doute plus confiance en des compatriotes qu’avec des étrangers, assura Dimitri. Pouvez-vous nous parler de la situation interne à l’Empire.
– Bien sûr. Des groupes de résistances comme le nôtre sont présent dans tous l’Empire. Il y a beaucoup de réseaux de marché noir et de contrebande pour contourner les restrictions et le rationnement de la nourriture, mais aussi pour cacher des prêtres et des fidèles à l’Église, commença Bernadetta. À Varley, il y a tout un maquis de résistance dans les mines, Eldegard n’a plus accès aux filons de la montagne d’Oghma ! Mon père a même été forcé de fuir de nos terres devant la pression de la résistance ! Ils font également un gros travail pour contrer la propagande d’Hubert ! C’est aussi le cas en Brigid où Petra est pour le moment ! Elle est arrivée à vaincre les forces impériales sur son archipel et les bataillons de Bergliez venus pour les mater ! Elle est en route pour nous aider à reprendre Enbarr !
– De plus, si une grande partie du peuple est contre la politique d’Eldegard, ce n’est pas non plus uniforme dans la noblesse et l’armée. Si des purges ont été faites au début de son règne avec la complicité d’Hubert, tous les opposants ne sont pas morts. Certains se sont retournés récemment contre eux à cause de la série de défaite mais, ils ne sont guère fiables… par contre, toutes les personnes considérées comme « peu dangereuses » n’ont pas été touchés par les purges, comme les invalides ou la toute petite noblesse de province ne pouvant vivre à Enbarr. Elles sont considérées comme faibles et donc, inutiles et incompétentes en toute chose si elles n’ont pas de « mérite » valable à leurs yeux, expliqua Ferdinand. C’est par exemple le cas de ma mère Amalia. Elle a été épargnée à cause de sa cécité et à cause de cela, elle est considérée comme une impotente inutile à la nation. Elle a tourné cela à son avantage pour récolter des informations, notamment en faisant mine de correspondre à l’image qu’Eldegard a d’elle. Elle est revenue sur nos terres depuis votre avancée dans l’Empire mais, elle nous a été une aide précieuse. Même dans l’armée, bien que les militaires aient de nombreux privilèges, ils reviennent surtout aux hauts-gradés qui sont d’origine nobles pour la plupart alors, les roturiers s’en retrouvent lésés et ont des conditions tout aussi difficiles qu’auparavant. Nous avons également un allié et espion au sein des bataillons principaux du nom de Karl, il nous confirme que les soldats de bas-rang sont sur le point de se révolter. Ils le feront sans doute en vous voyant arrivé à Enbarr.
– Bien. Avec autant de troupes, nous devrions pouvoir instaurer un rapport de force en notre faveur dès le départ… réfléchit à voix haute Byleth, avant d’ajouter avec un sourire fier. Je suis heureuse de tous vous voir combattre Eldegard et pour ce qui est juste.
– Nous ne pouvions pas la laisser mettre le continent à feu et à sang ! En plus, les autres pays ne nous ont rien fait de mal ! S’écria Bernadetta.
– Je comprends mais, il faut beaucoup de force et de courage pour se battre contre les siens et pour ses convictions dans votre situation, insista-t-elle. Les aigles de Jais peuvent être fiers. Par contre, je ne vous ai pas entendu parler de Dorothéa…
– Nous n’avons plus de contact avec elle depuis le début de la guerre, elle voulait rester en dehors des combats, lui répondit Ferdinand. Elle a toujours été très proche d’Eldegard à l’académie et peu avec nous autres alors, elle n’a plus jamais tenté de nous contacter. D’après ma mère, elle est arrivée à être engagée comme chanteuse personnelle et dame de compagnie d’Eldegard mais, elle ne participe pas à la politique de l’Empire ou à la guerre. Elle doit surement attendre que le conflit se finisse.
– D’accord, je comprends alors… souffla tristement la professeure.
Dedue posa sa main sur son épaule, tout comme Dimitri qui lui assura.
– Ce n’est pas votre faute.
– Oui, vous avez raison…
– Par contre, Dame Amalia a réussi à savoir où était enfermée Dame Rhéa ! S’exclama Bernadetta. Même si bon, on vous le dira dans un endroit plus discret…
– Bien, merci beaucoup, les remercia Dimitri avant de s’arrêter une seconde, puis osa demander. J… je sais que je me suis très mal comporté avec vous à Myrddin, et je ferais tout pour corriger mes erreurs. Malgré tout, j’aimerais vous demander, à vous et vos hommes, de vous joindre à nous, afin d’unir nos forces dans notre combat contre Eldegard et ses alliés. Vos connaissances du terrain de l’Empire nous serons essentiels, et votre talent au combat n’est plus à prouver. Votre aide nous serait précieuse pour la vaincre.
Le prince devait avouer qu’il s’attendait à un refus, surtout après que son comportement ait été aussi déplorable. Il s’améliorait et ne se laissait plus guidé par ses illusions mais, il comprendrait que les deux cavaliers lui en garde rancune…
Cependant, Ferdinand lui répondit, déterminé, la main sur son cœur.
– Je suis un citoyen adrestien, je suis fier de mon pays, de son histoire et de ce tout ce qu’il a à offrir. Ces habitants sont forts et déterminés, courageux et optimistes face aux difficultés, bien qu’il ait également ses défauts. C’est un pays qui pourrait être capable du meilleur si nous travaillions sur ses lacunes, grandissions et devenions meilleurs, que nous arrêtions de penser que la noblesse est dans le sang et non dans le cœur, que l’argent et le pouvoir sont l’alpha et l’oméga de tout, que nous sommes supérieurs aux autres nations, que les émotions et les sentiments sont une faiblesse, et de nous moquer de ceux qui chutent plutôt que de leur tendre la main… Cependant, Eldegard ne fait qu’accentuer nos défauts, les rendre encore plus présents et graves qu’ils ne l’étaient déjà. Avec Eldegard, le faible est piétiné, ignoré, donné en pâture au plus fort afin que son sang le renforce encore et encore. Ce n’est pas ce dont Adrestia a besoin pour se relever après des siècles entiers de déshérence où les Empereurs n’ont fait que vivre en ignorant leur peuple. Ce n’est pas l’Adrestia que je connais, encore moins depuis que je voyage à travers notre pays pour l’arrêter et mettre fin à sa folie sanguinaire. Eldegard la Sanguinaire, c’est par ce seul nom que le peuple la reconnait vraiment. Et vous, Votre Majesté Dimitri, ils vous surnomment le Roi Sauveur, vous louent pour avoir sauvé votre peuple, sauvé celui de Leicester, prient pour que vous le sauviez à son tour depuis qu’il vous sait en Adrestia… Alors… Ferdinand mis un genou à terre et s’inclina profondément devant Dimitri, pour mon peuple, pour mes propres convictions, je joindrais mes forces aux vôtres et vaincrais Eldegard à vos côtés.
– Moi aussi, je refuse de laisser Eldegard conquérir Fodlan ! Plus personne n’est en sécurité nulle part, même chez soi ! Poursuivit Bernadetta. Si on essaye de se cacher, ils nous sortent de chez nous, et des endroits où on se sent bien. Si on essaye de fuir, les soldats nous traquent ! Et à chaque fois, on finit tous en Arundel dont on ne revient jamais ! Il n’y a pas d’autre choix d’arrêter Eldegard et Hubert ! Et j’ai promis que je ne fuirai plus ! Nous devons l’arrêter ! S’écria-t-elle en s’agenouillant à son tour devant Dimitri. Je vous aiderai autant que je le peux !
Dimitri crut un instant que son esprit lui jouait à nouveau un tour avant de le trahir à nouveau, jusqu’à ce qu’il sente la main de Dedue se poser sur son épaule. Malgré tout, même des adrestiens lui faisaient aussi confiance, même après tout ce qu’il avait fait… il se pencha alors, posant aussi sa main sur son cœur en déclarant.
– Alors travaillons ensemble pour qu’un jour meilleur se lève sur Fodlan. Sur Faerghus, sur Leicester, mais aussi sur Adrestia. »
*
Félix alla dans la cour d’entrainement, cherchant un endroit calme pour se concentrer. Il arrivait à un peu mieux tenir hors de l’eau à présent, pouvant passer une moitié de journée à la surface sans trop de problème tant qu’il ne se fatiguait pas sinon, il devait retourner dans le lac pour se reposer. Ses jambes étaient toujours instables quand il marchait alors, il pouvait rêver pour reprendre une épée – et Pierrick l’attacherait probablement pour le forcer à se reposer s’il essayait – mais il voulait quand même vérifier quelque chose.
S’installant dans un coin, le jeune homme regarda sa main, écarta deux de ses doigts et se mit à se concentrer, essayant d’invoquer ses éclairs entre. Un exercice de base qu’un gamin pourrait faire. Il le faisait quand il était gosse et même après avoir arrêté la magie pendant des années, il avait su les faire réapparaitre sans problème quand il s’y était remis. Ça ne devrait pas lui poser de difficulté, même dans son état.
Cependant, rien ne vint. Pas la moindre étincelle ne crépita entre ses doigts. Il ne sentait même pas la magie affluée dedans alors que son corps en débordait.
Frustré, Félix réessaya, s’aidant de la formule plutôt que de tout faire de tête mais, ce fut le même résultat. Bordel ?! Pourquoi ça ne marchait pas ?! Son corps était plein d’énergie magique ou de quelque chose de proche, il le savait et le sentait ! Bon, c’était celle de Fraldarius et du lac, pas la sienne et pas au bon endroit mais, il devrait bien arriver à la mobiliser ! Surtout pour quelque chose d’aussi basique !
Il essaya alors d’utiliser la magie qu’il sentait dans ses jambes, sachant qu’elle était probablement assez puissante pour faire une étincelle, même s’il devrait la guider vers ses doigts… cependant, le jeune homme comprit tout de suite que c’était une mauvaise idée en sentant la douleur le foudroyer entièrement, et en voyant sa chemise et son pantalon se tâcher de sang, sa veine tentative ayant réouvert ses blessures et faisant saigner le contrecoup encore fragile. Quand il découvrit son torse, il constata que du sang coulait de ses branchies encore palpitant et de nouveau secs… tout ça pour même pas arriver à produire la moindre étincelle ou même de la fumée ratée…
Échec cuisant sur toute la ligne…
Il recommencerait plus tard, au moins pour voir s’il pouvait de nouveau utiliser des sorts de guérison…
Rattrapant sa couverture pour la draper autour de lui et cacher les dégâts, le monde tournant dans tous les sens au moindre mouvement, Félix se releva pour filer vers le lac, il n’aurait qu’à dire qu’il était fatigué même s’il venait d’en sortir… ce n’était pas la peine de prévenir Pierrick pour des égratignures pareilles… même s’il devait tout faire pour ne pas boiter ou trembler à cause de la douleur… ce n’était rien…
Cependant, il n’avait fait que quelques pas quand sa vue se brouilla encore plus avant que tout devienne noir, alors qu’il s’effondrait au sol…
Quand Félix se réveilla, il sentit ses nageoires se déployer dans l’eau que ses branchies filtraient, puis vit le visage inquiet de Rodrigue d’un côté, celui furieux de Pierrick de l’autre.
« Jeune maitre… qu’est-ce ce que vous avez bien pu faire ? Grinça le médecin.
– Rien, j’ai juste tenté d’invoquer des éclairs, rétorqua-t-il sur le même ton.
– Évidemment… je me disais bien que ça ressemblait à ça… il ne faut surtout pas que vous tentez d’utiliser la magie ! Ce n’est pas la vôtre que vous avez en vous pour l’instant ! C’est celle du Brave Fraldarius et même si elle ressemble à la vôtre, elle reste bien plus puissante que vous ne pouvez le supporter ! En plus, vos veines ont en grande partie explosé, elles sont encore en train de guérir, vous ne faites que rallonger votre convalescence tout seul. Il est déjà très peu probable que vous puissiez un jour réutiliser la magie alors…
– Je peux encore l’utiliser, contra tout de suite Félix. Il faut juste que ça revienne et que j’arrive à récupérer mes forces…
L’air sombre du médecin ne lui plut pas du tout et il aurait préféré ne pas la voir… tout comme l’air triste de son père. Ce dernier demanda à Pierrick de se retirer quelques minutes, ce qu’il accepta. Félix fuit le regard de Rodrigue, ne voulant pas réentendre à quel point il devait se reposer et se contenter de dormir, Pierrick lui répétait bien assez souvent. Cependant, il lui dit plutôt.
– Que voulais-tu faire avec tes éclairs ?
– …en refaire…
– Tu as recommencé à faire de la magie que pendant la guerre, et tu disais toi-même que c’était seulement « pour ne pas mourir bêtement », lui rappela-t-il et en plus d’avoir trop de patience, il avait une trop bonne mémoire. Est-ce que tu essayais de retrouver quelque chose ?
Et il lisait en lui comme dans un livre… Félix aurait pu, il se serait échappé de son étreinte pour aller se cacher au fond du lac, dans la petite grotte qu’il s’était aménagé pour passer la nuit tranquille… mais sa queue semblait décider à juste attendre de retrouver ses forces pour recommencer à bouger. Il finit donc par avouer.
– Quand je dormais… j’ai vu Glenn… il était dans la cour d’entrainement…
– Vous vous êtes affrontés, n’est-ce pas ? Devina-t-il sans souci.
– Oui… mais j’ai perdu… j’utilisais ses techniques et il a dit qu’il ne me connaissait pas… que ce n’était pas moi mais, quelqu’un d’autre… que je ne me battais pas comme ça…
– Il a toujours été très fier de ta manière de combattre. Il disait même que s’il s’arrêtait de s’entrainer une seule journée, tu le dépasserais sans souci. Le connaissant, il a dû te demander de l’affronter à nouveau.
– Oui… il voulait que je l’affronte vraiment…
– Et comment l’affrontement s’est terminé ?
– …Il était bon pour apprendre la magie…
– Il disait toujours ça quand vous vous affrontiez, arriva à sourire Rodrigue, nostalgique. Cela ne m’étonne pas vraiment, tu es plus fort que lui depuis longtemps, même si tu refusais de l’admettre.
– Tu parles, je tombe au moindre coup.
– Mais les coups t’atteignent rarement, nuança Rodrigue. Tu es bien plus vif et rapide sur tes pieds comme une épée, là où Glenn était bien meilleur à cheval et résistant comme un résistant. Vous avez simplement des styles différents, et c’est normal. Vous êtes des personnes différentes avec des forces et faiblesses différentes.
– … je voulais être comme lui… être aussi fort et bon que lui… mais il était fier que quand j’utilisais mes propres techniques… et il me demandait de ne pas rire quand il ferait que de la fumée…
– Il a toujours été un cancre en magie, il n’aimait pas du tout la travailler… tu as toujours été meilleur que lui en la matière, et de très loin. … C’est pour ça que tu tentais de refaire des éclairs ?
Félix pressa sa tête contre la poitrine de son père, perdu.
– Je ne sais même pas… juste… je faisais ça avec lui et je voulais en refaire… mais… mais il ne reviendra pas… il ne reviendra vraiment pas… et je ne pourrais plus jamais vraiment le battre… avec mon épée ou la magie… même elle, elle ne reviendra pas… réalisa-t-il comme un coup de massue. Je ne sens plus ma propre magie… juste celle de Fraldarius… et elle est dans mes jambes et mes poumons… la mienne a disparu…
Rodrigue ne dit rien, se contentant de le serrer dans ses bras, cette magie étrange se dégageant encore de lui alors qu’il semblait vouloir le protéger.
– Les choses continuent toujours… même quand elles semblent ne jamais se terminer, même quand on veut que ça s’arrête…  la cicatrice fait toujours mal, elle devient moins douloureuse avec le temps, même si elle est toujours présente… et c’est possible que tu ne puisses plus faire de magie comme nous, nous l’entendons aujourd’hui, mais regarde… tu fais des choses qu’aucun d’entre nous n’est capable de faire… personne ne peut respirer, voir et vivre sous l’eau comme tu le fais… même si elle fait partie d’une blessure, elle peut aussi te donner des forces…
– Ça parait loin et trop long… Comment tu as fait avec les tiennes ? Et comment je ferais si ça recommence ?
– C’est toujours trop long, on veut toujours que ça arrive au plus vite sans se laisser du temps. J’ai mis du temps, ça faisait mal et j’ai parfois maudit le monde entier car, ça faisait mal et que je ne pouvais plus rien faire pour soigner la blessure… pas même le dire à celui qui me l’avait faite en souriant sans s’en rendre compte… mais avec le temps, même si ça faisait toujours mal, on s’habitue à ses vieilles cicatrices, et on tient en pensant à ce qui nous reste d’avant qu’il soit là et à présent, tout en devenant plus résistant à chaque fois, même on sait qu’on ne s’y fera jamais… qu’il ne faut pas s’y habituer mais, au moins apprendre à vivre avec et à accueillir ce qui arrivera ensuite sans oublier… même si c’est surement qu’une manière de le vivre parmi d’autres… il lui embrassa le front, protecteur. Tu trouveras aussi la tienne…
– Hum… il passa sa main sur ses écailles, sentant l’eau battre ses ouïes en même temps que son cœur. Je peux déjà compenser en demandant des cours à Pierrick pour ça…
– C’est une bonne idée. Je suis sûr qu’il t’aidera sans problème, une fois que tes blessures seront bien refermées, lui rappela-t-il.
– … d’accord.
Félix accepta de rester calme et de ne plus forcer après ça. Il dut bien dormir une semaine dans sa grotte au fond du lac avant que ses veines ne se referment, ne remontant à la surface que pour manger. Une fois ses blessures refermées, même s’il tient sa parole de ne pas trop pousser, le jeune homme glissa au fond du lac, à la recherche de… il ne savait même pas quoi… juste, le jeune homme saurait en trouvant. Au moins, ça l’entrainait à utiliser sa nageoire et à respirer de l’eau en bougeant tout le temps. Ça faisait une éternité qu’il ne s’était juste pas perdu dans l’eau ainsi… Glenn n’aimait pas nager et était plutôt mauvais pour ça alors, son cadet avait arrêté de le faire aussi, sauf pour conserver son souffle. Il savait que ça aurait été idiot de perdre la capacité à rester dix minutes sous l’eau sans effort…
Il sut qu’il avait trouvé ce qu’il voulait, quand il tomba sur ce qui semblait être une ancienne structure sur pilotis qui avait sombré. Ce n’était pas rare sur le lac Egua, la seule ile du lac était une construction artificielle qui datait de l’époque du Brave mais, toutes n’avaient pas aussi bien survécus que celle-ci. D’autres étaient plus proche du rivage, il y trouvait toujours des choses intéressantes dedans… Il y avait de grandes pierres gravés avec les mêmes motifs qu’on en retrouvait un peu partout dans cette partie de leur fief, des sortes d’objets dont il ignorait la nature à part que ça ressemblait à des instruments de cuisine, et surtout, caché entre les algues, les cailloux et la vase, Félix trouva un petit trésor d’argent et de vermeil dans plusieurs plats les uns sur les autres, qui devaient surement être attachés ensembles à l’origine, contenant deux torques, une dizaines de fibules en forme de cercle de tailles variées avec leur attache simples, des cuillères, ce qui ressemblaient à des pommeaux et des gardes d’épée.
Le jeune homme remonta tout à la surface, puis se mit à les nettoyer méticuleusement, comme pour ses armes et qu’il avait l’habitude de le faire avec ses trouvailles avant… après plusieurs heures de travail, tout était propre comme à la sortie de la forge… il y avait suffisamment d’élément venant d’armes mais, Félix apporta deux des fibules aux jumeaux, deux différentes, ils comprendraient où il voulait en venir. Ils n’avaient jamais été identiques pour lui. Il en prit puis quatre autres en parfaite état, après avoir accroché sa cape avec une autre attache, reposant sur son cœur. Il en mit une dans chaque tombe de sa famille : une pour Guillaume, une pour Aliénor, une pour Félicia, et une dernière pour Glenn… les deux dernières, il les enterra avec Rodrigue, les enfouissant vers eux. Enfin, le benjamin des Fraldarius prit une dernière fibule pour aller au bord du lac, là il avait l’habitude d’aller nager avec son père et son oncle, ainsi que son frère quand il était encore là.
« Pourquoi tu lui rends celle-là ? Lui demanda Alix en le rejoignant avec son frère.
– À chaque fois que je vois Fraldarius, même si sa fibule ne ressemble pas à ça, il a un collier avec quatre plaques en forme de main… on ne voit que ça… je trouvais que les bouts ressemblaient à des doigts serrés…
– Ça se tient… je suis sûr que ça lui fait plaisir, sourit son oncle, alors que Rodrigue posait sa main sur l’épaule de son fils en lui demandant.
– Comment te sens-tu ?
– Ça fait toujours mal mais, moins… … … … dans mon rêve, Glenn m’a dit qu’on se reverrait… qu’on sera à nouveau tous ensemble… tu penses que ça arrivera ?
– Je l’espère… de tout mon cœur… souffla son père, s’ancrant un peu à lui à son tour. On sera à nouveau réuni, d’une manière ou d’une autre… »
Ils restèrent tous les trois, pensant encore une fois à leur famille, alors que Félix lançait la fibule dans le lac avec un dernier adieu, accompagné de ce vœu…
« Faites qu’on puisse tous se revoir et vivre ensemble la prochaine fois… »
*
Quelques semaines plus tard, Dimitri ressortit du palais impérial, laissant le corps d’Eldegard derrière lui. Après Gronder, ils avaient bien rencontré l’Impératrice et son bras droit avec Byleth mais, à part confirmé qu’ils ne s’arrêteraient pas avant d’avoir écrasé tout Fodlan, jurant que tous ces morts étaient faits au nom d’un futur qu’elle n’arrivait même pas à décrire, crachant sur ses victimes en disant qu’elles ne méritaient que la mort car, ils étaient faibles et leurs assassins forts. Elle ne prenait même pas cette rencontre au sérieux… le jeune homme ne savait pas lui-même ce qui lui avait pris quand il lui avait rendu la dague qu’il lui avait offert, bien des années auparavant avant une autre séparation… peut-être faire ressortir la El qu’il avait connu… peut-être… c’était un bel échec sur toute la ligne en tout cas…
Puis, avec l’armée royale renforcée par les chevaliers de Seiros, les forces leicesters et les mouvements de révoltes armées adrestians, ils avaient envahi Enbarr et vaincu Hubert. Confiant la sécurité de la ville à Ferdinand et ses camarades, ils avaient foncé vers le palais où Eldegard s’était retiré avec ces derniers fidèles. Les enbarriens avaient été utilisés comme des boucliers vivants par leur impératrice et étaient encore sous le choc de l’attaque, la présence d’un autre adrestien devrait plus les rassurer que celle d’un étranger. Ils tombèrent sur d’autres personnes à la peau grise comme celle des imposteurs cachés sous des peaux mais, ils s’étaient enfuis assez vite après que leur chef ai trouvé la mort. Il faudrait régler cette histoire après la guerre…
Quand les forces royales pénétrèrent dans la salle du trône, ils se crurent tous en plein cauchemar… Eldegard était là, immense, semblant sortir tout droit d’un cauchemar… elle était faite de la même matière que les bêtes démoniaques, sensible aux mêmes attaques qu’elles… sa silhouette restait vaguement humanoïde et seul son visage n’était pas cerné de cette matière noir qui la constituait mais, des plaques osseuses recouvraient ses joues, ses yeux étaient devenus noirs et brillaient d’une lueur de sang… ce n’était même pas comparable à l’apparence des Braves… pour leur ancêtre, cela semblait naturel, des éléments de leur apparence apparus au fil du temps et surement de leurs expériences de « sorcellerie » comme l’avait dit Loquax. Là, cela se voyait que c’était fabriqué par l’homme, une sorte de réaction à il ne savait quel maléfice…
« Imbéciles… grinça la créature en les voyant arriver. Les imbéciles qui refusent de sacrifier quiconque… et incapables d’en mesure les conséquences… je vous voie… misérables insectes… écraserai… je vous écraserai ! Je dois enterrer le passé et avancer vers un avenir radieux ! C’est le seul chemin qui rendra à Adrestia sa grandeur d’avant ce traitre doublé d’un bâtard Loog et ses comparses ! Cet avenir, je le bâtirai de mes propres mains et l’arroserai de votre sang !
– Alors… tu en es arrivé-là… soupira Dimitri. Voilà où te mènent tes idéaux où le fort doit tout détruire sur son passage…
Alors, elle était allée jusque-là… jusqu’à devenir elle-même un monstre littéral pour ne pas perdre… Dimitri s’autorisa à fermer les yeux une fraction de seconde… il n’y avait donc plus aucune chance de la faire changer d’avis… El ne reviendrait jamais… malgré tout, il avait espéré…
« Arrête de t’accrocher à ce qui s’est passé alors que tu ne peux plus rien changer, le gronda le souvenir de Félix au fond de sa tête à la place de Glenn, très silencieux ses derniers temps, même si les fantômes chuchotaient toujours à son oreille. C’est fait maintenant, accepte-le. »
– C’est vrai… Ainsi soit-il, reconnut-il, puisant de la force dans l’écaille de son ami, placé sur son cœur comme porte-bonheur pour lui donner la détermination de Pertinax.Si c’est le chemin que tu as choisi, je te combattrai, même si c’est au prix de ma vie, comme Simplex et Loog avant moi ! Je défendrai le présent, c’est tout ce que nous avons ! Si votre futur doit être construit sur des os et le sang, alors vous ne méritez aucune pitié ni compassion ! Vous ne faites que renforcer le cycle dans lequel nous vivons ! »
Il s’était alors élancé, Areadbhar en avant, entouré par son énergie glaciale. Eldegard les bombardait de flammes et de cristaux, criant encore et encore qu’elle sacrifierait tout pour construire un avenir radieux, sans se rende compte qu’elle se faisait un trône de cadavres et de souffrance mais, au bout d’un long combat, elle poussa son dernier cri et tomba au sol.
Comme un cauchemar au petit matin, elle se décomposa à l’instar de toutes les autres bêtes démoniaques, ne laissant que le corps humain au milieu d’une bouillie infâme de sang et de chair putride. Prudemment, sa lance en avant, Dimitri s’approcha afin de vérifier si elle était bien morte. Toutes les personnes ayant servi de matériaux pour être transformé en bête démoniaque étaient mortes une fois vaincues, il n’y avait pas vraiment de raison pour qu’Eldegard fasse exception… mais mieux valait être prudent, peut-être que le processus était différent, elle avait pu garder un soupçon de conscience, et il avait promis aux Fraldarius de ne pas péché par excès de confiance. Le jeune homme levait son visage du bout de sa lance pour vérifier son regard quand, vicieuse comme une vipère, Eldegard se redressa d’un coup et lança un couteau vers lui. Par chance, il put l’esquiver, l’arme se plantant là où son armure était abimée sans trop pénétrer, cela lui fit même pas mal, et Dimitri enfonça lui-même sa lance dans la poitrine d’Eldegard.
« Jamais… cracha-t-elle en lui jetant un dernier regard. Jamais je ne perdrais face à un faible ayant besoin des autres pour tenir debout… jamais…
 Au moins, elle suivait sa philosophie jusqu’au bout…
Dimitri retira sa lance du corps de son ennemie qui s’effondra au sol, puis tira assez facilement le poignard de son armure sans douleur… la lame n’était même pas tâchée de sang… étonné, Dimitri fouilla sous son armure, ressortit la grande écaille de Félix de sa cachette. Elle était brisée en plein milieu, comme si on y avait planté quelque chose…
– Tu te trompes Eldegard… souffla-t-il en serrant le porte-bonheur dans sa main, veillant à ne pas le briser, même si son ennemie ne pouvait plus l’entendre. Cette faiblesse est ce qui nous rend tous aussi forts. »
Il laissa alors tomber la relique d’un temps révolu au sol… elle était morte… elle était morte depuis longtemps…
La petite main du professeur attrapa alors la sienne. Il la regarda, son visage se fermant tristement alors qu’elle le tirait doucement dehors.
« C’est fini. Elle ne reviendra pas. Mais ceux qui vous aiment réellement vous attendent. »
Ses quelques mots finirent de le convaincre. Dimitri sortit alors du palais impérial et arriva sur la place principale d’Enbarr, inondé par la lumière du Soleil. Des rugissements de victoire l’entourèrent de toute part, des félicitations et des ovations, les casques, les chapeaux et les étoles volant dans les airs.
« Hourra ! Hourra pour le Lion Sauveur ! Vive le roi Dimitri ! »
Leurs mots le touchèrent droit au cœur, ce dernier s’envolant enfin de joie quand il vit tous ses amis allés bien. Le jeune homme prit Ingrid et Sylvain dans ses bras, ne les ayant pas enlacés ainsi depuis ce qui semblait être des siècles, tous pleurant de soulagement devant cette victoire.
« Mes vrais amis d’enfance sont là… songea-t-il en serrant Ingrid contre sa poitrine, alors que Sylvain ébouriffait ses cheveux en souriant. Il ne manque que Félix et nous serons tous ensemble… on le retrouvera bientôt tous les trois… »
Byleth pleura à son tour de joie en retrouvant Rhéa, tout comme Seteth et Flayn. Elle était blessée, presque agonisante, la Déesse seule sachant ce qu’elle avait enduré dans ce cachot humide à la merci d’Eldegard et Hubert mais, il sentait qu’avec l’aide de ses proches, elle s’en sortirait. Dimitri était bien placé pour comprendre l’importance de leur aide afin de guérir.
L’armée des coalisés resta bien six mois à Garreg Mach afin de faire le point sur la situation et établir la marche à suivre. Apparemment, Pan aurait une idée d’où pourrait se cacher la secte qui avait remplacé tant de personnes et aider Eldegard mais, il avait encore besoin de temps pour analyser les documents retrouvés à Enbarr et en Arundel, ainsi que les notes de Cornélia. Mieux valait lui laisser du temps au lieu de se précipiter. Il confia la reconstruction de l’Empire à Ferdinand après avoir consulté des représentant des villes, ainsi que celle de l’Alliance à Judith et Lorenz, puis put enfin rentrer chez lui avec ses amis après presque un an d’absence.
Comme toujours, Dimitri fit une escale à Fort Egua avant de retourner à Fhirdiad, où il devait se faire couronner au plus vite, si possible en la présence de la famille ducale. En arrivant devant les portes du palais, il vit Félix négocier avec des marchands, leur serrant la main alors qu’ils devaient avoir trouvé un accord, une grande broche tenant la sarcelle de sa famille en place sur ses épaules. Leur ami se tenait debout sans trembler, l’œil vif, les ouïes sur sa gorge palpitant un peu à l’air libre mais, il semblait avoir retrouvé toute son énergie et sa hargne. Ils l’appelèrent, l’épéiste se tournant vers eux en grognant amicalement, un sourire entendu aux lèvres.
« Vous en avez mis du temps. Vous me devez tous un duel je vous rappelle. »
Dimitri, Ingrid et Sylvain sautèrent de leur cheval pour l’enlacer, heureux de le retrouver en pleine santé et à l’air libre.
*
Épilogue :
« Tout le monde est prêt ?! Faut qu’on y aille maintenant !
– On arrive ! Répondit Amorgen en entendant l’appel de son père Gwilim. On retrouve le doudou de Dil et on arrive !
– Il l’avait quand pour la dernière fois ? Lui demanda sa mère Ornora.
– Hier soir ! S’écria sa femme Slaine, cherchant dans la chambre de leur petit. Il l’avait quand je l’ai couché !
– Mais il l’avait ce matin quand il s’est levé ! Rétorqua son frère Ryann. Il l’avait quand on a mangé !
– On a déjà cherché dans la salle à manger ! Lui rappela Gwilim.
Amorgen cherchait dans son bureau au cas où, Dil venait souvent le voir pendant qu’il travaillait sur des préparations alors, il avait pu laisser son doudou ici, quand il sentit son petit dernier attraper son pantalon, visiblement désolé.
– Pardon papa… je mets tout le monde en retard pour Fraldu…
Heureusement, son grand frère Réamann arriva à la rescousse et le rassura.
– T’en fais pas Dil ! On va vite le retrouver ! Il est juste allé se promener ! Il doit être nerveux que l’Archevêque de Fodlan vienne alors, il s’est caché !
– Mais il est très courageux Fraldu ! Rétorqua son cadet. Et c’est grand-père qui me l’a donné ! Il est très fort !
– Ça arrive à tout le monde d’avoir peur, même Fraldu et je suis sûr que Grand-Père aussi a peur parfois. C’est lui qui dit que le vrai courage, c’est de continuer à persévérer malgré sa peur !
Amorgen remercia d’une pensée son ainé d’être aussi doué pour rassurer leur petit dernier, alors qu’il cherchait entre les flacons, les mortiers et les boites de différentes herbes médicinales. Le père poussa un grand soupir de soulagement en trouvant le doudou en forme de loup tout doux, bien recousu, mâchonné de partout quand Dil avait fait ses dents. Leur Grand-Père lui donné ce cadeau à sa naissance, il ne s’en séparait jamais, sauf quand il le perdait en l’oubliant quelque part. Cette fois, il était sous sa table de travail, son petit avait dû le faire tomber quand il était venu le chercher pour se rendre au port.
– Je l’ai ! Prévient-il le reste de la maison en le rendant à son fils. Tiens, il est revenu, il voulait juste encore dormir un peu.
– Fraldu ! Il lui fit un gros câlin en retrouvant son doudou. Merci papa !
– C’est normal… allez, venez tous les deux, c’est l’heure d’y aller…
Le père guida ses garçons vers la sortie de leur maison, où s’était déjà rassemblée toute leur famille, finissant de se préparer. Slaine attrapa les manteaux de leurs fils, Amorgen l’aidant à leur mettre, pendant que Ryann vérifiait que leurs chats étaient bien là et avaient ce qu’il fallait pour la journée, Gwilim et Ornora vérifiant que tout était bien fermé. Une fois sûr qu’ils étaient tous prêt à partir et que Dil avait bien son doudou, ils sortirent enfin pour aller voir l’arrivée de l’Archevêque de Fodlan en ville. Elle était en visite officielle dans la confédération et devaient rencontrer les Onze Bienfaiteurs, en commençant par celui de leur ville. Elle était entourée de tellement de légende à son sujet que tout le monde voulait la voir, Dil et Réamann les premiers.
Quand ils arrivèrent sur le port, il était déjà noir de monde mais, aidé par leur petite taille familiale, ils arrivèrent à se faufiler tous les sept jusqu’à la barrière qui les séparait des quais. Dil trouva assez vite une place dans les bras de son père pour mieux voir, alors que Réamann demandait.
« Elle est où l’archevêque ?
– Hum… Ryann regarda de partout, étant le plus grand de leur famille avec son frère. Je ne voie pas de navire fodlan, elle ne doit pas être encore arrivée…
– Elle arrive bientôt ? Poursuivit Dil.
– Surement, il faut simplement encore attendre, répondit Amorgen.
– – Mais c’est trop long ! On veut la voir !
– Ça va vite passé, elle doit arriver à dix heures, c’est bientôt l’heure, leur rappela leur mère en leur montrant l’horloge, indiquant neuf heures trente.
– Et si pour vous faire patienter, on vous racontait une histoire ? Proposa Gwilim.
– Oh oui ! Une histoire ! Accepta tout de suite l’ainé de ses petits-enfants.
– Raconte nous l’histoire de Grand-Père et de ses amis ! S’il te plait papi !!!
– Celle de Grand-père et des autres Bienfaiteurs Dil ? Mais vous la connaissez par cœur ! Ria-t-il en les faisant mijoter un peu.
– – S’il te plaaaaiiiit ! Le supplièrent ses petits-fils.
– Bon ! Bon ! Que puis-je faire devant de telles suppliques ? Bon, au commencement, alors que le monde venait de naitre et que les hommes étaient répartis à sa surface, ceux qui arrivèrent sur nos terres furent très malchanceux. Au Nord du Nord, elle n’était que taïgas stériles, vents, neiges et tempêtes, les éléments s’écrasant sur les surfaces rocheuses et abruptes. Presque rien ne poussait alors, les Tous Premiers partirent pour le sud, à la recherche de terres meilleurs, qu’ils trouvèrent en les futurs Sreng et Fodlan.
– Cependant, continua Ornora, alors que le soleil semblait toujours briller sur Fodlan, un jour se leva un monstre, un Démon parmi les Démons du nom de Némésis. Aidé par les forces maléfiques de notre monde, il tua une Déesse Créatrice et se mit à ravager Fodlan du nord au sud, de l’est à l’ouest, sur terre comme sur les côtes, avant que de Courageux Saints, enfants de cette Déesse Écorchée, et leurs fidèles lieutenants n’émerge du dernier recoin de lumière brillant encore sur Fodlan, et le vainquirent ensemble, repoussant les ténèbres sous terre où ils furent scellés avec leur bras armée. Mais avant leur arrivée, une partie des fodlans partirent, terrifiés par Némésis et les forces du mal, et ils trouvèrent refuge de l’autre côté des montagnes et de l’océan. Dans leur fuite, certains trouvèrent nos terres gelées et s’y installèrent, persuadés que Némésis ne viendrait jamais les piller ici. Ce fut le Premier Peuplement, suivant le Premier Exode de Fodlan.
– Des siècles passèrent, nos terres restèrent toujours aussi gelées et hostiles mais, suffisante pour le peu d’habitants qu’elles nourrissaient, reprit Slaine. Il fallait se serrer les coudes, ne jamais abandonner qui que ce soit pour que la communauté survive. Chaque vie était précieuse, des bras en plus pour cultiver nos terres stériles, un sourire pour réchauffé les cœurs au bord du désespoir. Ainsi, elle devient ainsi sa terre, celle où vivaient ceux n’ayant nulle part pour se réfugier, dont les habitants compensaient l’hostilité par leur fraternité et leur courage. Mais, les enfants du Premier Exode gardaient toujours avec eux une prophétie qui leur donnait du courage : « Si un jour, les ténèbres ressurgissent et engendraient un Nouveau Némésis, la Déesse Écorchée reviendra à la vie par son Cœur et, après avoir sauver le Barde de la Déesse, il fera tomber le Nouveau Némésis avec l’aide du Cœur de la Déesse, avant de s’unir avec le Barde et de vaincre ensemble Némésis et les ténèbres pour de bon. Ce jour-là, à l’Aube Nouvelle, le monde entier entrera dans une ère de prospérité et de bonheur. »
– Malheureusement, au fils des siècles, le sceau retenant les forces du mal se fragilisa, laissant sortir des brides de ses miasmes qui corrompaient le cœur des hommes et semaient le trouble en Fodlan. Il y a maintenant six siècles, lors d’une Lune de Sang, le sceau tomba en poussière. Les ténèbres en sortirent, se précipitant hors de leur cage et donnèrent alors naissant à Eldegard la Sanguinaire, fille par le sang de l’Empereur Vampire Ionius, et fille par l’esprit du Démon parmi les Démons Némésis. À la tête de l’Empire d’Adrestia, elle se mit à ravager tout Fodlan pour reprendre contrôle du continent, et continuer à semer le chaos comme les Ténèbres le voulaient, ravageant encore et encore toutes créations sur son passage. Elle fit tomber la Maison de la Déesse Garreg Mach, captura la Voix de la Déesse Rhéa qui avait essayé d’accomplir la Prophétie, disparaitre le Cœur de la Déesse revenu à la vie en la personne de Byleth, la préceptrice de l’Élu, le Prince Dimitri de Faerghus, puis le chassa, le poussant au plus profond des ténèbres pour qu’il se perde et n’accomplisse jamais son destin, sachant que c’était lui, l’élu du Cœur de la Déesse, qui la ferait tomber un jour. Beaucoup fuir, plusieurs trouvèrent refuge sur nos terres, et ce fut le Second Exode, fuyant ce continent à feux et à sang. Alors, Fodlan plongea dans les ténèbres, à la merci d’Eldegard la Sanguinaire, des forces du mal et de leurs sbires… raconta sombrement Ryann avec une voix basse, effrayant même son plus petit neveu qui se cacha dans le manteau de son père.
Amorgen l’en sortit en continuant à raconter, les deux garçons pendus à ses lèvres alors qu’ils arrivaient à leur partie préférée de l’histoire.
– Cependant, tout espoir n’était pas perdu. Malgré la perte de leur prince, son peuple continua toujours le combat, se battant avec tellement de force qu’Eldegard la Sanguinaire ne put jamais faire tomber le dernier de la Prophétie, le Grand-Duc Claude de Leicester, le Barde de la Déesse qui, comme tout Barde se le doit afin de raconter le passé, apprenait encore et encore les secrets de Fodlan tout en résistant aux forces du mal. Puis un jour de pleine lune bleue, le Cœur de la Déesse sortit de l’eau et revient à la vie, partant à la recherche de l’Élu avec tous ses compagnons qu’il avait réuni avant sa chute. Ils le retrouvèrent plongé au plus profond des Ténèbres mais, après avoir failli perdre deux des êtres les plus chers à son cœur, avec l’aide de ses amis et de sa propre volonté inflexible, il arriva à les vaincre, revenant à son tour à la vie. Il partit alors libérer son Royaume des sbires des Ténèbres qui le contrôlait, puis alla sauver le Barde de la Déesse comme le voulait la prophétie.
– Puis, ils ont battu la méchante Eldegard ! S’écria Dil en serrant son doudou dans ses bras.
– Oui. Accompagné du Cœur alors que le Barde partit afin de trouver ses dernières réponses et apaisé les conflits avec le continent voisin d’Almyra, l’Élu Dimitri partit pour Enbarr, ancien dernier bastion de la lumière qui était devenu la place forte des Ténèbres. Le combat fut rude mais, épaulé par tous ses courageux compagnons, protégez par leur amitié et la foi que le peuple de Fodlan plaçait en lui, l’Élu vainquit Eldegard la Sanguinaire, arrêtant toutes ses ambitions de réduire Fodlan en cendres. Puis, quand la Voix de la Déesse fut libre et avec les découvertes du Barde de la Déesse, ils vainquirent les Ténèbres pour de bon. D’un trait du Barde, la flèche détourna l’attention de Némésis, revenu à la vie par les Ténèbres, laissant le temps à l’Élu de l’achever une fois pour toute, alors que le Cœur utilisait son pouvoir divin pour anéantir les forces du mal. Par ce miracle, ils libérèrent tous les bienfaits qu’ils avaient volé. Ces Bénédictions parcoururent alors le monde, apportant la paix et la prospérité partout sur leur passage.
– Quand les Ténèbres et leurs Héraults furent vaincus pour de bon, beaucoup de personnes venant du Second Exode rentrèrent en Fodlan afin de retrouver la terre de leur ancêtre à présent protéger par l’Elu de la Déesse, le Roi Sauveur Dimitri qui régénéra le continent tout entier et le fit entrer dans une ère de paix qui continue encore aujourd’hui. Ils crurent aussi que les Bienfaits avaient oublié la Contrée des Désespérés, toujours aussi hostiles à la vie, reprit Gwilim. Cependant, les Dieux ne nous ont pas oublié mais, nous donnèrent des bienfaits particuliers, ceux de la Connaissance.
– Et c’est les Onze Bienfaiteurs qui les ont récupérés ! Continua Réamann avant de réciter. Car ce sont les seuls avec une âme et un esprit assez sincères et dévoués à notre peuple pour ne pas l’utiliser pour eux seuls !
– Oui, et avec leurs bienfaits, chacun développa un talent particulier. La Première développa celui du corps et de l’esprit, sa force hors du commun s’alliant à sa lucidité capable de déchiffrer l’esprit des êtres vivants.
– La Seconde apprit tout de l’Organisme, autant comment la soigner que la détruire, devenant complémentaire à la Première. Puis le Troisième arriva, maitre des nuages et de l’orage, capable de maitriser la météo afin d’abreuver nos terres d’eau et de Soleil selon leurs besoins, poursuivit Ornora avant de laisser la parole à sa belle-fille.
– La Quatrième fut celle du feu et de la chaleur, réchauffant nos maisons et arrêtant les incendies qui nous menaçaient. En coordination avec le Cinquième, maniant la terre qu’il rendait fertile et le métal, ils construisirent ensemble des outils pour les habitants de nos terres.
– La Sixième connaissait le Vent et les Cieux, les faisant souffler et les rendant clair pour mener les navires à bon port. Le Septième parlait à tout être vivant, animal, insecte, oiseau, poisson ou humain, et pouvait toujours trouver un accord entre deux partis, raconta à son tour Ryann après Slaine.
– Et pour les trois suivants, il y a… commença Amorgen en laissant sa phrase en suspend pour que les petits répondent.
– Je sais ! C’est les Trois Inséparables ! S’exclama Réamann, son impatience complètement oublié depuis longtemps. Après, il y a le Huitième qui maitrise le froid et la neige, pour nous protéger de l’hiver ! Il s’appelle Goll car il a les yeux de deux couleurs différentes ! Et il est amoureux de Grand-Père et il considère la Dixième comme leur sœur !
– Et Grand-Père Eil Ton, c’est le Neuvième ! Lui, il est ami avec les eaux, et il arrive à jouer avec et à les rendre toutes propres ! Continua en babillant Dil. Comme ça, on a pas mal au ventre quand on la boit ! Et c’est lui qui a fait Fraldu car c’est notre Grand-Père ! Il aime aussi beaucoup, beaucoup, beaucoup le Septième Grand-Oncle Goll et Grande-Tante Plur na mBan !
– Oui, et avec eux est toujours la Dixième, notre Grande-Tante Plur na mBan, elle qui contrôle les plantes de toutes sortes, autant un brin d’herbe que le plus ancien des arbres, leur donnant la santé en échange de leur fidélité. Ensemble, ce sont les trois grands amis toujours ensemble et inséparable.
– Enfin, la dernière est la Onzième, maniant l’ombre et la lumière, allant aussi vite qu’elle et sautant de l’une à l’autre. Ils mirent leurs bienfaits en commun et ensemble, ils transformèrent la Contrée des Désespérés en un véritable paradis sur Terre. La vie restait dure pour ne pas trop chambouler les lois de la Nature décidé par les Dieux eux-mêmes mais, elle devient bien plus facile et prospère. Elle changea alors de nom pour prendre le nom de la Confédération de Tir na nOg, afin de souligner que c’est le travail de tous les Bienfaiteurs ensemble qui a rendu nos terres aussi resplendissantes que celle de l’éternelle jeunesse. Depuis lors, les Onze, doté d’une longue vie grâce à leur Bienfait, continuent de veiller sur nous, tout en formant des successeurs afin d’entretenir la force de leur Bienfait, même quand les dieux les appelleront finalement parmi eux…
– Comme mamie et papa ! S’écria Dil. Et moi aussi ! Je serais aussi fort que grand-père quand je serais grand !
– J’en suis sûr, quand tu seras un grand garçon, lui sourit son père en appuyant doucement sur son nez par taquinerie, ce qui fit rire son cadet.
– Allez ! Encore une histoire !
– Tu es insatiable ! Ria son grand-père, avant de se faire couper par des sonneries de trompette. Mais ce sera pour plus tard, on dirait que le navire de l’archevêque est arrivé.
– Elle ne devrait pas tarder à sortir… ajouta Ornora.
– Oui ! Elle est là ! S’exclama Slaine en montrant une femme aux cheveux verts interminables descendre sur le ponton, toute habillée de bleu, d’or et de fleur de lys.
– C’est elle ! C’est l’archevêque ! Pépia avec enthousiasme Réamann, à peine tenu par sa mère.
– C’est le Cœur de la Déesse ! Eeeehhho ! Cria Dil avant que son père l’arrête. Archevêque Byleth !
Byleth ne put s’empêcher de tourner la tête vers la foule en entendant cette appel, perçant derrière les acclamations de bienvenus. La voix était bien plus aigüe, comme celle d’un tout petit enfant mais, ses oreilles ne pouvaient que la reconnaitre. Elle vit alors une petite famille, composé des grands-parents, des parents, de l’oncle qui devait être le vrai jumeau du père, et les deux petits-fils. Une hypothèse toute douce s’installa dans son cœur, pleine d’espoir. Après tout, ce n’était pas la première fois que la Nabatéenne faisait ce genre de rencontre, lui réchauffant toujours le cœur. Elle en aurait bientôt le cœur net…
Reprenant son sérieux, l’Archevêque salua solennellement le Bienfaiteur de l’Eau, le Neuvième, du nom d’Eil Ton. C’était un homme de taille moyenne, fin et souple, tout semblable à son élément, aux longs cheveux noirs et bouclés attachés dans un chignon tressé. Tout son corps était recouvert de symboles, des dessins et des tatouages ainsi que de quelques éléments étranges, semblables aux contrecoups des miracles que les Braves faisaient, avant qu’ils ne puissent enfin reposer en paix avec les nabatéens ayant servi à fabriquer les Reliques. Ils avaient beau avoir le même âge tous les deux, c’était la première fois qu’ils se rencontraient alors, Byleth devait avouer qu’elle était un peu étonnée. Il faudrait qu’elle voie avec les autres Bienfaiteurs mais, elle avait une théorie sur leur ancienne identité. Elle lui rendit son salut comme à un égal, c’était un chef d’État et les pouvoirs de cet homme se rapprochait du divin par leur puissance après tout.
Eil Ton la mena vers la ville, Byleth en profitant pour saluer la foule comme il était coutume de le faire, avant de s’arrêter au niveau de la petite famille, une excuse toute trouvée.
« Ils vous ressemblent beaucoup, sourit-elle au Bienfaiteur. Ils font partie de votre famille ?
– Oui, il s’agit du clan O’Faol, ce sont les descendants de ma sœur de sang. Même si je n’ai pas d’enfant moi-même, je les considère comme les miens. Je vous présente Gwilim et sa femme Ornora, leurs jumeaux Amorgen et Ryann, la femme d’Amorgen Slaine, et leurs deux fils, l’ainé Réamann et le petit dernier Dil.
– Je m’en doutais, vous vous ressemblez beaucoup, ronronna-t-elle en devinant juste. Je suis ravi de vous rencontrer.
Il fallait dire, Gwilim, les jumeaux et les deux petits-fils avaient les mêmes yeux de chat bleu comme de l’eau qu’Eil Ton, ainsi que ses cheveux noirs et bouclés et une peau assez pale, même si ceux de Gwilim étaient majoritairement devenu gris et le benjamin avait des mèches lisses et les iris ambrés de sa mère, bien qu’elle avait aussi une chevelure de nuit. Ornora se démarquait d’ailleurs beaucoup avec ses quelques mèches encore blondes avec des reflets roux au milieu du blanc et ses yeux verts.
Ils s’inclinèrent tous comme ils purent dans la foule, et avec son fils cadet dans les bras pour Amorgen, la saluant avec respect.
– Recevez tous nos hommages et tout notre respect Votre Sainteté Byleth, déclara solennellement le grand-père.
– Tout l’honneur est pour moi, répondit-elle avec un grand sourire, comprenant tout.
– Dites Dame Byleth ! C’est vrai que vous avez le Cœur de la Déesse ? Demanda Dil avec enthousiasme, les yeux brillants. Dans les histoires, vous êtes le Cœur de la Déesse Créatrice ! Celle qui a élu le Roi Sauveur Dimitri l’Élu de la Déesse contre Eldegard la Sanguinaire ! Et que Claude était aussi le Barde de la Déesse et même que tous les deux, ils ont vaincu Némésis !
Byleth sourit à ses questions, toujours curieuse de voir à quelle histoires leurs actions avaient donné naissance.
– On peut dire ça, même si Dimitri a pu aller aussi loin grâce à sa propre force, mais aussi l’aide de tous ses amis, lui assura-t-elle. Ils l’aidaient, le soutenaient, et ils s’entraidaient et combattaient tous ensemble. Tu connais surement ça avec tes propres amis. On est toujours plus fort ensemble.
– Oh oui ! Répondit-il avec enthousiasme en serrant son doudou en forme de loup – un autre indice – dans ses bras. Quand le peuple du Septième Bienheureux Nemed, je joue toujours avec mon super copain Cillin et on arrive toujours à être aussi fort que Réamann au ballon !
– Vraiment ? Lui sourit-elle, heureuse. Et bien, chéris bien tous les liens que tu as construits au fil du temps, autant avec tes amis qu’avec ta famille, c’est ce qu’il y a de plus précieux au monde.
– Bien sûr ! S’exclama-t-il en s’accrochant encore plus à son père. Je ne me séparerais jamais de mon papa, ma maman, mon grand frère, oncle Ryann, papi et mamie ! Jamais ! Et je serais un grand magicien ! Comme Grand-Père !
Byleth fondit devant sa réponse, osant passer sa main sur sa tête en lui souhaitant.
– Que tu sois exaucé… j’ai été heureuse de vous rencontrer. »
Elle se détourna en voyant Amorgen câliner son fils, Réamann pépiant à côté de son frère avec un sourire, les mains de sa mère sur ses épaules.
Byleth ne put s’empêcher de repenser à tous ses moments où elle savait qu’elle les revoyaient… d’une certaine manière… quatre cents ans auparavant, lors d’une tournée en Faerghus pour rencontrer encore les nouveaux habitants du Royaume, elle était arrivé dans un village le jour d’un mariage et avait officié comme prêtresse, reconnaissant sans peine l’immense homme blond et sa fiancée aux tresses bleues, tous les deux radieux d’échanger leurs vœux devant leurs parents bien vivants, ignorant que c’était leur second mariage. Il y avait à peine deux siècles, pendant un voyage en Almyra pour rendre visite au nouveau shah et fleurir la tombe de Claude, elle avait croisé un groupe de nomade à cheval, où vivait un frère taquin comme un renard et une sœur droite et stricte. Le premier marié à une des femmes les plus douces du monde qui lui avait donné des friandises, même si elle faisait peur quand elle racontait des histoires d’horreur autour d’Eldegard la Sanguinaire, et sa sœur s’était également mariée avec un rayon de soleil fait d’homme, positif et altruiste, aidant chaque personne dans le besoin. Ils vivaient tous ensembles, libres comme l’air avec leur monture, même si la vie était dure, restant soudés quoi qu’ils puissent leur arrivée. Byleth avait cru fondre en larme la première fois qu’elle avait fait ce genre de rencontre, retrouvant les traits de deux chevalières inséparables dans ceux de deux commerçantes d’Albinéa, Rhéa le faisant discrètement, heureuse de les voir de nouveau ensemble… la même passion créative dans ce duo Dagdan que chez les deux grands artistes de sa classe que Flayn avait ramené au monastère pour montrer leurs œuvres à Seteth…
Pendant tous ces siècles, Byleth avait parfois rencontré des membres de cette famille mais, ils étaient toujours séparés. Mais là, ils étaient tous réunis et heureux ensemble… le souvenir du vœu qu’il avait fait à la mort de son père et de son oncle…
« J’aimerais qu’on puisse vivre tous ensemble la prochaine fois… et sans vivre autant de Tragédie, si ce n’est pas trop demandé… »
« Finalement, ce n’était pas trop demander, sourit Byleth pour elle-même en continuant son chemin, gravant la famille enfin réunie dans sa tête. Puissiez-vous vivre heureux tous ensemble le plus longtemps possible, surtout après autant de temps d’attente… cette fois, tout ira bien… »
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Scène coupée :
Bon ! Je vous explique. Cette partie a été écrite avant que je fasse la partie où Félix finissent son deuil de Glenn avec sa famille. Je l'ai coupé car, je trouvais que ça faisait "ils ont le beurre, l'argent du beurre et la crémière" pour eux et que ça ruinait les thématiques, et j'hésitais à le mettre mais, après une discussion avec Ladyniniane, je le met quand même comme scène coupé. Si cela ne vous gêne pas, vous pouvez le considérer comme canon avec le reste de l'OS mais personnellement, je le considère comme une scène coupée qui n'a pas d'importance sur l'histoire. Le déroulement des évènements ne changent pas avec ou sans de toute façon alors, c'est comme vous le sentez !) Bonne lecture !
Félix avança prudemment avec son père dans les allées de la ville étrange. Pan avait finalement craché le morceau sur pourquoi il en savait autant sur cette « secte », tout comme Rhéa sur les Reliques et Némésis. Déesse ! Il n’aurait jamais cru que la Relique qui l’avait protégé aussi souvent était en fait l’os d’un dragon, et que son emblème était son sang que Némésis et ses alliés, les agarthans, avaient forcé son ancêtre à boire une fois vaincu à la déloyale ! Oui, les Reliques avaient un aspect assez dérangeant mais, tous pensaient que c’était pour effrayer l’ennemi et un signe qu’elles venaient d’un autre monde ! Même Moralta était une épée volée à son vrai propriétaire !
« Si les Reliques sont aussi… prévenantes faute d’un meilleur mot, c’est surement parce qu’à leur mort, l’âme des Braves qui ont été forcé de boire le sang de nabatéen a été aspiré à l’intérieur, avait expliqué Rhéa. Quand vous êtes inconscient et que vous utilisez leur pouvoir pour vous soigner, vous voyez votre ancêtre, n’est-ce pas ? C’est que son âme est bloquée dans la Relique, tout comme celle du nabatéen qui a servi à la fabriqué.
– Ces armes ont été créé pour faire souffrir, avait poursuivi Pan, ayant avoué entre temps qu’il était agarthan lui-même, avant de trahir et s’enfuir quand Loog et ses compagnons lui avaient ouverts les yeux sur ce que faisaient son peuple. Je n’étais pas présent à ce moment-là, j’étais encore qu’une larve n’ayant pas encore fini sa croissance mais, je me souviens que les scientifiques disaient qu’ils fabriquaient les armes ultimes pour se venger de Sothis. L’âme est piégée à l’intérieur du cœur, et elle est consciente de tout ce que fait son porteur. C’est pour cela que vos Reliques réagissent à vos actions et que leur énergie change, vos ancêtres et les nabatéens à l’intérieur tentent de communiquer avec vous. Ils doivent penser que quitte à être enfermé dedans, autant conseiller leurs descendants comme ils peuvent… »
Apparemment, l’agarthan qui avait remplacé Arundel, Thalès, était leur chef, ses seconds étant Solon et un autre homme du nom de Myson, également tombé pendant la bataille d’Enbarr. D’après Pan, la majeure partie des têtes pensantes de leur cité, étaient mortes.
« Nous ne sommes pas tous d’accord avec cette vengeance. C’est normal car, nous sommes tous élevé dans la haine de Sothis mais, nous ne voulons pas tous la mort de l’entièreté du continent. La plupart d’entre nous sommes des petites mains qui permettent à la cité de vivre, et ces familles veulent surtout vivre en paix. Une bonne partie d’entre elles ont fui à ma suite d’ailleurs, même s’ils ont quitté Fodlan de peur de représailles pour se cacher dans le désert de Morfis. Moi-même, j’ai vécu des siècles en me cachant, même si je n’ai pas fui pour tenir une promesse que j’ai faite à Loog et tous nos compagnons de l’époque. Je leur ai promis que tant que je serais en vie, Thalès et ses sbires ne brûleraient pas le continent et leur peuple qu’ils aimaient tous tant. Maintenant, nous avons une opportunité de prendre Shambhala et de mettre fin à ce cycle de vengeance insensé. Elle doit être complètement désorganisée et les seconds couteaux doivent être en train de s’entretuer pour savoir qui succédera à Thalès. C’est le moment de frapper. »
Dimitri l’avait écouté, ainsi que Rhéa et Seteth qui s’étaient révélés être des nabatéens, et même les Saints Seiros et Cichol, Flayn étant Cethleann. Ils furent tous les deux d’accord avec ce plan d’action, surtout maintenant que le continent et l’armée s’étaient remis de la guerre.
Félix était bien sûr aux côtés de ses amis, ainsi que Rodrigue, tous les deux complètement guéris. Il ne supportait plus de rester plus d’une semaine sans s’immerger complètement dans l’eau pendant des heures mais, il pouvait toujours dormir au fond de la rivière. Pas question de laisser Dimitri et les autres seuls après ne pas avoir pu combattre avec eux dans l’Empire, surtout qu’après enquête, il s’était avéré que les agarthans étaient aussi liés à Duscur. La Tragédie avait eu lieu sous l’impulsion d’Ionius, ce dernier voulant affaiblir le Royaume pour que l’Empire reprenne de l’importance par mise hors-jeu de son ennemi de toujours mais, les agarthans avaient également été présents. Ils avaient surement récupéré les corps des disparus afin d’avoir des matériaux pour leurs expériences tordues… c’était fou et idiot mais, dans un coin de leur tête, le père et le fils espéraient retrouvé quelque chose de Glenn… un habit, son sachet, la fiole d’eau du lac qu’il avait emporté, n’importe quoi… au moins quelque chose pour savoir ce qui était arrivé à son corps… au moins ça pour enfin pouvoir l’enterrer complètement…
Comme l’avait prévu Pan, un chaos sans nom régnait dans la ville. Différentes factions s’affrontaient dans la rue, laissant les corps pourrir par terre alors qu’ils se disputaient la tête de la cité. Les civils n’auraient pas été au milieu, se prenant des sorts perdus à tout bout de champ, l’armée royale n’aurait eu qu’à attendre pour finir le travail. Même là, il n’avait fait qu’achever les survivants des luttes intestines qui duraient depuis des mois.
Une fois le calme revenu et les civils mise au courant de ce qui se passait, ils partirent explorer la ville, au cas où Thalès et ses sbires avaient laissé des pièges derrières eux. Pan avait appris à plusieurs de ses collègues à parler la langue agarthan, afin qu’ils puissent l’aider à décrypter les notes codées de ses anciens alliés, ce fut très utile pour communiquer avec les habitants de Shambhala. Les Fraldarius suivirent le scientifique, ce dernier inspectant le bâtiment des chercheurs où devaient se trouver les restes des cobayes.
« Hum… je pensais ce projet à l’arrêt… marmonna l’agarthan en regardant un alignement de grandes boites semblables à des cercueils. Thalès voulait vraiment accomplir l’impossible… cela ne m’étonne pas de lui…
– Qu’est-ce que c’est ? Demanda Félix en fronçant le nez.
– Le corps de Némésis, ainsi que celui des enfants des Braves qui ont rejoint nos rangs après que leurs parents aient été assassinés. Ils étaient dévorés par l’envie de vengeance et se joindre à Némésis semblait être une bonne option. Après tout, même si leurs parents étaient malades à cause du sang qu’il leur avait fait boire, il avait donné le choix entre leur soumission personnelle et celle de leur ville. Cela semblait plus raisonnable que d’arriver dans la région, tuer le protecteur d’un peuple à cause d’un crime qu’il n’a pas commis, forcer le dit peuple à se soumettre à la volonté impériale et d’une déesse inconnue toujours pour laver leurs péchés, et tenter d’effacer plusieurs pans de leur culture car, les envahisseurs ne les comprenaient pas. Enfin, ça c’est ce qu’on m’a raconté quand j’étais encore une larve alors, c’est surement biaisé… Le projet, c’était de garder leur corps afin de tenter de les faire revivre à l’occasion, même s’ils étaient tous morts…
– Et il comptait faire ça comment ? Rien ne peut vaincre la mort ! Répliqua Félix.
– Effectivement, à part un sorcier suffisamment puissant, d’une certaine manière… il peut voir son âme lui survivre à travers la magie qu’il laisse derrière lui, ils sont surtout faits de magie à partir d’un certain stade. Sans notre intervention, vos ancêtres auraient surement fini par se mêler à leur environnement à leur mort. Je suis sûr que Thalès s’en est inspiré… il pensait qu’en leur injectant du sang avec leur emblème, ils reviendraient à la vie. Une de mes missions pendant la guerre du Lion et de l’Aigle était d’ailleurs de leur envoyer les corps des porteurs d’emblème morts pour extraction… je ne l’ai jamais fait, j’étais déjà passé dans le camp de Loog à ce moment-là mais, c’est pour ça que vous brûlez les corps à Faerghus et Leicester, par peur qu’on les vole… j’avais dit que des forces maléfiques venant de l’Empire les convoitaient… à l’époque, ça pouvait passer comme justification, les forces du mal étaient quelque chose en quoi les gens croyaient… dans le fond, ils n’avaient pas torts… Thalès aimait se prendre pour un dieu… marmonna-t-il en déplaçant des cristaux sur une sorte de grand plan de travail et en coupant des veines d’énergie. Enfin, comme ça, ça devrait couper ce qui maintient leur corps en état et finirent de les tuer avec… passez-moi le sac que j’ai apporté s’il vous plait… faites attention de ne pas vous en mettre sur les doigts…
Félix et Rodrigue lui donnèrent le gros sac, bien trop lourd pour lui mais qu’il avait insisté pour emporter, d’où il tira une boite qu’il manipula avec précaution. Il tâta alors les tuyaux qui reliaient tous les cercueils entre eux, ouvrit une trappe donnant sur un liquide bleuâtre, puis fit tomber toute la poudre de sa boite dedans, la couleur et sa précaution suffisant à leur faire comprendre qu’elle était surement toxique.
– Voilà qui devrait les achever pour de bon… souffla-t-il en refermant la trappe. Laissons-les mariner quelques jours dans le poison, et nous pourrons les sortir… et les brûler, ce sera plus prudent. Je ne sais pas ce qu’Odesse a pu leur faire… c’est ironique dans un sens… des guerriers dévorés par l’envie de vengeance des plus puissants de leur époque, tués par un simple poison qui dévore les cellules… c’est assez ironique qu’il soit battu par une simple réaction chimique naturelle… songea l’érudit pour lui-même en se relevant. Bon, maintenant, au tour des sujets de test. Commençons par les cobayes gardés vivants, chaque minute compte pour eux. »
Rodrigue et Félix hochèrent la tête sans s’en étonner. Pan leur en avait parlé, et même si un minuscule espoir était apparu dans leur poitrine, ils l’avaient tout de suite étouffé. Personne ne méritait de vivre une telle horreur et c’était impossible…
La salle des cobayes vivants était en fait un immense entrepôt où était conservé des corps dans d’immenses tubes transparents, entouré d’une échelle pour récupérer ce qui se trouvait à l’intérieur, rempli d’un liquide étrange. Les personnes à l’intérieur étaient nues, enroulées sur elles-mêmes, comme en enfant dans le ventre de sa mère, un masque sur le visage, plusieurs tuyaux les reliant en haut ou en bas du tube pour les tenir en vie. C’était horrible… plusieurs avaient des membres en plus ou en moins ou modifiés, des sortes de prothèses ratées sur le corps, surtout dans les premières rangées.
« On garde les tests en cours près de l’entrée pour y accéder plus rapidement » avait dit Pan en entrant mais, tout ceci restait morbide et macabre. Quel être humain digne de ce nom pouvait infligé une telle horreur à d’autres êtres vivants ?! Leur empathie était aussi moribonde que cela ?!
« Malheureusement, oui… » se souvient Rodrigue en se rappelant d’une discussion avec Seteth, quelques jours après qu’ils aient tout raconté avec Rhéa. « Déesse… par pitié, faites que Glenn n’ait pas eu à subir ça ! C’est un sort pire que la mort ! »
Au regard de Félix, il souhaitait la même chose.
Pan lisait la description écrite sur le tube à voix haute, regardait la victime dans son tube, et soit mettait une croix rouge sur le verre, indiquant que la personne à l’intérieur ne pourrait pas survivre hors du tube, soit disait qu’on pouvait tenter de le sortir. Ses chances de survie dépendaient du temps passé à l’intérieur de la solution et de son état alors, ils tentaient toujours.
« Sujet 158153, troisième jour du huitième mois de l’année 20159. Soldate capturée à l’occasion de la bataille de Gronder, camp allié, sans emblème. Test d’implantation de membres supplémentaires, échec mais, bonne résistance à la douleur, à garder. Elle ne survivra pas. »
« Sujet B40C56 à 66, vingtième jour du deuxième mois de l’année 20157. Dix paysans récupérés dans le duché de Faerghus, comté de Rowe, au motif d’impossibilité de payer ses impôts, envoyés par Périandre. Test de résistance à un sérum augmentant la force sur un échantillon d’humain inférieur. Échec pour neuf d’entre eux qui ont été détruits, un survivant gardé en attente d’autres tests, le sujet B40C61. Il a des chances de survivre, sortez-le de là. »
« Sujet L23-4873, vingt-huitième jour du sixième mois, année 20154. Habitant du village-test Remire. Test de bête démoniaque humanoïde. Échec mais, bonne résistance. À garder pour des expériences ultérieures. Il est mort. »
Au fur et à mesure qu’ils avançaient dans les allées, ils remontaient aussi dans le temps, les étiquettes lues laconiquement par Pan retraçant chaque bataille et méfaits de l’Empire avec les agarthans, racontaient l’histoire d’une victime. Les mots étaient froids mais, cela ne rendait leur réalité qu’encore plus épouvantable… Félix s’insurgea. Eldegard se vantait vraiment de construire un avenir radieux avec… ça ?! Elle ne faisait que les aider à jouer aux dieux et à causer encore plus de morts !
« Sujet 28PR43, dixième jour du deuxième moi, année 20150… on arrive dans les victimes récupérées pendant Duscur… c’est l’écriture et les codes de Myson, il devait avoir supervisé la « récolte de cobaye » et leur « exploitation ». Le connaissant, il a récupéré toutes les personnes à peu près entières qu’il a pu et les a gardés ici. Il ne jetait jamais rien… encore moins ses expériences, il les garde toujours pour les disséquer et voir ce qui n’a pas marché plus tard… Enfin, ce sera simple de savoir si elles sont en vie ou non.
Félix jeta un regard à son père, son visage aussi incertain que le sien. C’était impossible… il se le répéta encore et encore… ils ne devaient pas se faire de faux espoirs. À l’état de son armure et aux descriptions de Dimitri, Glenn était mort, point final. Surtout vu ce qui l’attendait ici…
Ils reconnurent beaucoup des personnes flottant dans les tubes de cette rangée… des soldats bien connus, des collègues de travails, des administratifs croisés au hasard, des amis… une partie était expérimentée et morte, d’autres en attente d’expérimentation, soit vivante, soit morte… ils ne savaient pas laquelle des deux options étaient la pire…
Les Fraldarius aidaient deux soldats à sortir un de leurs camarades de sa cuve, quand Pan les appela. Ils le rejoignirent et crurent que leur cœur allait s’arrêter en voyant le tube devant lequel était le scientifique. Les longues mèches noires et bouclées s’étaient échappées de leur tresse habituelle, flottant tout autour de sa tête, son visage caché par le masque et entre ses genoux qu’il tenait contre sa poitrine, sa peau si pale semblant bleutée dans le liquide. Mais… mais ils ne purent que le reconnaitre…
« Glenn… » murmura Félix avant de répéter, appelant son frère en se précipitant à côté du tube, plaquant ses mains dessus alors que ses doigts se roulaient en poings. « Glenn ! Glenn ! Tu m’entends ?! Réponds-moi ! Glenn !
– Ne frappez surtout pas dessus, le tube est fragile, lui recommanda Pan. Vous le tuerez si vous le sortez trop brutalement de là.
– Glenn… » souffla Rodrigue en posant sa main sur le verre froid, comme pour tenter de le toucher. Déesse, son petit devait mourir de froid à l’intérieur ! « Mon fils… pendant tout ce temps… » il se tourna vers l’agarthan, les yeux exorbités, dévoré par la peur et l’horreur. « Est-ce… est-ce qu’il… qu’est-ce qu’ils lui ont fait ?
– D’après la fiche, ils l’ont reconnu comme un descendant du Brave de Fraldarius alors, ils ont fait un test pour savoir s’il avait un emblème. Il s’est révélé négatif mais, aux vues des résultats, Myson s’est demandé s’il pourrait faire ressortir l’emblème de votre famille dormant en lui, au cas où ils n’arrivaient pas à trouver un porteur naturel pour lui voler son sang.
– Tu veux dire que ce salaud a…
– Non, Pan coupa tout de suite Félix, ce n’était pas prioritaire. Il le note lui-même comme une chose à faire sur son temps libre. Myson était en charge des expériences visant à donner deux emblèmes à quelqu’un, puis était sur les bêtes démoniaques, et il s’est réservé votre frère. Il a dû le garder en réserve pour quand il aurait du temps. De plus, il y avait déjà un porteur d’emblème majeur naturel en vie et en bonne santé alors, la priorité était plutôt de le récupérer lui, cela ferait moins de travail avec des résultats beaucoup moins incertains, déclara-t-il en regardant le jeune homme. Aux yeux de Myson, votre sang est bien plus précieux que celui de votre frère. Rien que celui des jumeaux est également plus facile d’accès et fiable, même si leur emblème est mineur. Le connaissant, il aurait été ravi de faire des expériences sur de vrais jumeaux et voir les différences de résultats. Cela l’a surement sauvé pendant un temps. Myson l’a juste mis dans un tube pour le conserver et voir pour plus tard.
– D’accord mais, est-ce… est-ce qu’il est encore vivant ? Demanda le cadet de la famille avec appréhension.
– Ils l’ont maintenu en vie mais, il est en stase depuis dix ans, leur rappela Pan. Il n’a rien subit à par des tests sanguins mais, comprenez que cela est très long alors, je vous conseille de vous préparer au pire quand il sera sorti du tube. Il peut être en vie mais, il a aussi des chances de ne plus l’être.
– B… bien… merci de nous prévenir…
Sous leurs regards insistants, Pan les aida à ouvrir le tube. Il déplaça les cristaux sur le plan de travail, provoquant un petit bruit mécanique. Rodrigue et Félix montèrent en haut de l’échelle, jusqu’ à la plateforme qui permettait d’ouvrir le couvercle étrange avec une grosse languette, le sommet du tube s’ouvrant comme l’iris d’un œil. L’agarthan déplaça d’autres cristaux, libérant du mou pour les tubes et permettant à Glenn de remonter à la surface. Suivant la procédure comme pour les autres, le père et le fils tirèrent sa tête hors du liquide, le débarrassèrent de son masque et lui firent cracher la solution qui s’infiltrait en lui, autant par sa peau que par le masque, chassant la potion de son corps pour qu’il puisse de nouveau respirer à l’air libre. Une fois sûrs que sa respiration était régulière, ils enlevèrent les tuyaux dans un ordre bien précis. Ils y croyaient à peine… ce n’était pas possible… c’était impossible… et pourtant… pourtant…
Une fois libéré des tuyaux qui l’attachaient au tube, Félix et Rodrigue redescendirent aussi prudemment que possible Glenn, l’allongèrent sur une natte apportée pour les survivants, y croyant toujours à peine eux-mêmes, même maintenant qu’il était dans leurs mains. Ils le recouvrirent aussi de leur cape pour le protéger du froid et préserver sa pudeur, puis firent circuler de la magie dans son corps, aidant ses organes à refonctionner dans l’air et plus dans du liquide. Pan leur remontra avant de partir, disant que Félix en savait plus que lui sur le fait de respirer de l’eau puis de l’air. Le jeune homme avait des doutes là-dessus mais, il indiqua à son père où se concentrer, sachant qu’il fallait se débarrasser de l’eau présente dans le fond des poumons pour respirer à nouveau de l’air correctement.
En travaillant, ils ne purent s’empêcher de regarder son visage, y croyant toujours à peine alors que c’était la réalité… Glenn… c’était Glenn… il avait de nouvelles cicatrices, recousu par ses bourreaux afin de ne pas perdre un « cobaye », avait une énorme trace d’impact du sort qui avait failli le tuer, avait perdu toutes ses forces après toutes ces années prisonnier de ce tube, avait également vieilli de dix ans mais, c’était toujours lui… il ressemblait toujours autant à Rodrigue… il était là… c’était Glenn… leur Glenn… pendant tout ce temps… par quel… et si la Déesse le voulait bien…
« Arf… Kof ! Kof ! Arf…
Glenn cracha du liquide bleu, remua faiblement la tête. Rodrigue vient tout de suite lui maintenir d’une main, comme à un nouveau-né… il devait être aussi fragile qu’à ce moment de sa vie… voir plus… il était né si fort… il avait toujours été plein de vie…
– Fait attention Glenn…
– P… papa…
La voix enrouée après des années d’inutilisation résonna, les frappant en pleine poitrine alors qu’il rouvrait enfin les yeux, le bleu d’eau rencontrant celui tout identique des prunelles de leur père. Glenn répéta, s’accrochant à la vision de leur père comme si lui aussi n’y croyait pas.
– Papa… papa… c’est toi ?
– Oui, je suis là, arriva-t-il à dire Rodrigue en reposant doucement sa main sur sa tête, caressant ses cheveux dans un geste apaisant. Félix aussi… nous sommes là… ne t’en fais pas… plus rien ne t’arrivera…
– Fé… Félix… Félix… louveteau… où… hacha-t-il essayant de tourner la tête, jusqu’à ce que son petit frère aille aux côtés de son père pour épargner son cou.
– Je suis là Glenn mais, fait attention, tu es très faible… Tu… il retient ses larmes de couler, trop d’émotion remuant dans sa poitrine. Tu n’as pas intérêt à mourir maintenant… pas après… pas après tout ce temps… si… si tu savais… ça… dix ans… si tu savais tout ce qui…
Félix se tut en voyant un sourire naitre sur le visage de son frère alors qu’il réalisait, la joie débordant de lui.
– Tu as tellement grandi… tu… tu es un jeune homme… tu as l’air si fort… maintenant… c’est sûr… tu me bats… je… j’étais tellement inquiet… avoua-t-il, sa peine se peignant sur son visage. Ce… c’était un cauchemar… ça ne se finissait pas… je t’entendais crier… papa et Alix aussi… tout le monde… j’en… j’entendais les corbeaux croasser qu’ils… qu’ils voulaient notre emblème… l’emblème de tout le monde… ce… c’était un vrai cauchemar… je… je voulais me réveiller mais… je n’y arrivais pas… la… la seule chose qui… c’était que… vous n’étiez pas là et… tes chansons papa… et ton sourire louveteau… j’y pensais… tout le temps… pour tenir… mais… mais tu es là… papa aussi… vous allez bien… vous allez bien… vous allez bien… répéta-t-il, comme une formule magique, avant de frémir, puis de lever faiblement sa main vers eux. J’ai… j’ai eu… tellement peur… j’ai cru que…
– Chut… ça va aller… ça va aller… » répéta Rodrigue en l’attrapant pour épargner ses forces et le rassurer, même s’il tremblait encore de tous ses membres en entendant l’horreur qu’avait subi son ainé, devinant qu’il avait tout entendu pendant sa stase. Son corps était si grêle… que de la peau et des os… plus rien d’autre… c’était un exploit qu’il arrive encore à bouger et à parler… il lui faudrait énormément de soin et de temps pour guérir… mais pour l’instant… le plus important était que…
« C’est fini, ce cauchemar est fini… lui souffla son père. Ça va aller… on s’est retrouvé… on t’a retrouvé… ça va aller à présent… on s’occupera bien de toi… ça va aller…
Rodrigue ne put empêcher ses larmes de couler, dégringolant sur ses joues alors qu’il serrait la main de Glenn dans la sienne. Il était là… il était là… son fils était là et vivant… il était revenu… il n’osait imaginer tout ce qu’il avait pu entendre mais… mais… mais il était si heureux de le revoir… il était là… ce serait surement très long avant qu’il ne se rétablisse complètement, et il y aurait beaucoup de chose à régler mais, pour l’instant, le plus important, c’était que Glenn soit là… que Félix soit là aussi… qu’ils soient tous les trois à nouveau…
« Félicia… c’est toi qui lui as porté chance, n’est-ce pas ? Après tout, tu es « celle qui a bonne chance »… merci de l’avoir protégé… »
Il embrassa ses fils, heureux de voir sa famille à nouveau réunie…
*
Dimitri zigzaguait entre les demandes et la foule avec Sylvain et Ingrid. S’ils avaient bien compris ce que les habitants avaient dit, tout Shambhala était rempli de piège et d’explosif, prêt à sauter sur l’ordre de Thalès si quelqu’un prenait leur ville, préférant mourir plutôt que d’accepter de se faire battre par des « bêtes » ou des « insectes » alors, le roi avait ordonné qu’on évacue la ville avant qu’elle ne saute. C’était plus prudent. Les civils agarthans faisaient donc leurs affaires, emportant le peu qu’ils avaient avec eux, baissant les yeux dès qu’ils croisaient quelqu’un qui semblait important. Un grand-père s’était même jeté devant Ashe en suppliant de l’épargner quand il lui était rentré dedans par inadvertance… la tyrannie de Thalès et ses sbires avait fait beaucoup de mal, il faudrait du temps à ses gens pour se reconstruire… en tout cas, il ferait tout son possible pour qu’ils puissent vivre en paix, que ce soit en Fodlan pour ceux qui voulaient rester, ou à Morfis pour ceux qui voulaient rejoindre leurs frères et sœurs de l’autre côté de la mer…
Tout en continuant d’aiguiller tout le monde, les trois amis cherchaient Félix et Rodrigue, ne les ayant pas vu depuis la fin de la bataille. Glenn recommençait à s’agiter, marmonnant à Dimitri qu’il n’aurait pas dû les laisser seuls et qu’ils étaient encore à l’intérieur et qu’ils allaient sauter d’un instant à l’autre. Le jeune homme souffla, se concentrant sur l’instant présent et ce qu’il savait être réel, ignorant la voix plus forte de Glenn au milieu des murmures constants qu’il percevait à présent. C’était juste son inquiétude pour les Fraldarius… cela lui faisait le coup à chaque fois… quand Glenn apparaissait, c’était toujours lorsqu’il s’inquiétait pour eux… pour toutes les autres apparitions, c’était aléatoire mais, pour lui, il y avait une logique, ce qui l’aidait à combattre l’hallucination. Et même s’il perdait pied, Sylvain et Ingrid étaient à ses côtés, cela irait…
« Là ! Je les vois ! »
L’homme blond regarda dans la direction que leur indiquait Sylvain, trouvant enfin Rodrigue sortir de la gueule de la ville avec Félix, portant un blessé entouré de leur cape dans ses bras. Ils avaient aidé Pan à sortir les cobayes vivants, cela devait être un rescapé…
Ils se faufilèrent dans la foule vers eux, le père et le fils ne les ayant pas vu, n’ayant d’yeux que pour la personne qu’ils sortaient de cet enfer, un peu à l’écart de la cohue.
« Espérons qu’il ne soit pas trop blessé… » pria Dimitri.
– Rodrigue ! Félix ! Les appela Ingrid en arrivant à les rejoindre malgré la foule. Vous allez bien ?!
– Oui… souffla le père, même s’il releva à peine la tête. Mieux qu’on aurait pu l’imaginer ou même le croire…
Le trio ne comprit pas jusqu’à ce qu’il soit à côté d’eux, voyant enfin le visage de la personne qu’il portait dépassé de son cocon de cape et de couverture, lové contre l’épaule de Rodrigue, endormi. Non… ce… ce n’était pas…
– Je te l’avais dit que Glenn ne te hanterait jamais, le piqua Félix, même si sa voix n’avait aucun tranchant, même lui étant incapable d’être piquant tellement il était soulagé. Il est vivant…
Ils en perdirent leur voix, encore plus en voyant que oui… c’était lui… il était complètement décharné, avait surement perdu toutes ses forces mais… mais c’était bien lui… c’était…
– Glenn… c’est… est-ce que c’est bien… Ingrid avança sa main vers lui, avant de la retirer en sentant son souffle endormi, ayant peur de le réveiller, ne pouvant empêcher tout son corps de trembler. Si… est-ce que…
– Il lui faudra beaucoup de temps et de soin pour se remettre, s’il se remet complètement un jour, leur indiqua Rodrigue en le serrant un peu contre lui. Mais il arrivait à bouger tout à l’heure et à parler avant de se rendormir alors, c’est bon signe.
– D’a… d’accord… c’est le principal… commença Dimitri, complètement perdu dans son visage, presque incapable de croire que le seul visage déformé par la souffrance dont il se souvenait était de nouveau là, apaisé, dormant dans les bras de son père. Ça… ça fait tellement de choses…
– On lui parlera des choses négatives et lourdes plus tard, leur conseilla Sylvain, bien que tout aussi incrédule qu’eux. Le principal, c’est qu’il soit en vie.
– O… oui, tu as raison… concéda Dimitri.
Rodrigue et Félix restèrent silencieux, personne n’osant vraiment parler de peur de le réveiller. Glenn… il était vivant… vivant…
Il y aurait surement beaucoup de chose à se dire, notamment avec Ingrid… et il faudrait lui dire que son petit frère était un triton maintenant… et pour les hallucinations où il était… mais, ce n’était pas le plus important pour l’instant… au cœur de Dimitri, le plus important, c’était les mots de Rodrigue et Félix quand ils partirent.
« On rentre à la maison. »
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lilias42 · 1 year
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Ma voie dorée sur AM en OS ! ... un OS en deux parties ! Je sais, moi aussi, désolé...
Bon ! J'avais envie de changer d'ambiance avec CF où je savais que pour la majorité des persos vont mal finir parce que CF, même quand leur développement était positif (j'essaye de toujours avoir des développements positifs pour les persos du bon côté de la barrière - soit contre Delagarde) alors, je voulais changer d'air. Donc, voici ma voie dorée toute dorée où tout le monde de gentils survit ! (et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde mais, ce sera pour la seconde partie) Et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde. C'est complètement craqué avec quelques libertés du côté de mes propres règles selon les interprétations aussi mais bon, c'est pas vraiment canon alors, ça marche quand même. En plus, j'ai essayé de garder les choses un peu ambigüe, même si je ne sais pas si c'est réussi. C'est juste un peu un mélange de choses que j'aime et pour me faire plaisir donc, ça part dans tous les sens.
Pour poser les choses histoires de mieux comprendre :
-On est sur la route AM vu que c'est déjà la voie dorée du jeu. Quand on commence, tout s'est déroulé comme dans le jeu. C'est au début de l'OS en deux parties où les choses commencent à changer.
-La toile de fond par contre, c'est celui que j'ai développé pour CF. Logiquement, avec ce que j'ai mis sur mon blog devrait suffire pour comprendre, et je rappelle certains éléments pour que ce soit compréhensible... enfin j'espère donc, n'hésitez pas à demander s'il y a un point obscure.
-C'est aussi ma version des choses ainsi que des Braves
-Les liens familiaux sont également toujours les mêmes, et l'interprétation des personnages aussi. La seule personne qui change, c'est Byleth qui a des neurones dans cette histoire (car personne du côté de Delagarde en a).
-Je reprend aussi des phrases et des éléments du canon à ma sauce donc, c'est normal si des mots sonnent comme du déjà vu, c'est que c'est repris du jeu mais, dans des contextes / avec des personnes différentes.
Je crois que j'ai tout dit sinon, s'il y a des questions, je vous répondrait sans problème.
Dans cette première partie, on commence à Gronder jusqu'à avant la prise de Fhirdiad (en gros, la moitié / deux tiers de l'OS en deux parties), le reste de la route en accélérée sera pour la seconde partie (encore pardon pour ce "petit OS" qui a fini par faire plus de cent pages).
@ladyniniane voilà ce dont je t'avais parlé !
Félix sentit la sueur perlée sur son front à cause de l'effort, ses mains se fripées comme après un trop long séjour dans l'eau alors que la magie coulait d'elles, se déversant dans la plaie béante et sale pour la nettoyer et la refermer. Merde ! Cette maudite gosse avait utilisé un couteau rouillé ! Et la Déesse seule savait ce qu'elle avait pu mettre dessus ! Qu'elle l'aurait empoisonné pour être sûre de réussir son coup que ça ne l'étonnerait même pas !
« Va en enfer ! »
Sous ses mains, il sentait le sang de Rodrigue lutter contre lui pour tenter de s’échapper, ses côtes bougeant trop peu sous ses respirations devenues silencieuses mais, Félix sentait encore son pouls, il le sentait d'ici. Le sanglier ne le lâcherait pas ou ne le bougerait pas – et il le faisait, l'épéiste jurait qu'il allait l'envoyer lui-même s'expliquer avec son vieux ! – donc, il n'avait pas à s'inquiéter pour ça, sa main ne bougerait pas d'Aegis. Même si tout était flou, Félix se souvenait de quand il avait été grièvement brûlé, de la terreur qu'il avait ressentie dès qu'on l'éloignait du contact rassurant de leur Relique, des chants de Fraldarius restés gravés à l'intérieur. Sans lui, les eaux du lac ne l'auraient jamais sauvé, il le savait alors, peut-être…
« Allez Fraldarius ! On a besoin d'un autre de tes miracles ! Alors, lac ou pas, tu vas le faire et le sauver ! »
La peau sous ses mains devenait froide, vide de sang. Non ! Juste tout mais pas ça ! Le vieux n'était quand même pas si faible à la mort que ça ! Il avait déjà survécu à pire ! Il n'allait pas les lâcher maintenant !
C'est à ce moment qu'un souvenir remonta à la surface, tout doux malgré la situation, allant dans ses mains et sur sa langue alors que les notes résonnaient à nouveau dans son esprit.
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
« ça va aller louveteau... ça va aller... tu vas guérir... tu es très fort, je le sais... reste avec nous... ne pars pas... protège-le Félicia... je t'en supplie... ça va aller... ça va aller... je te protégerais... »
De ses souvenirs, la berceuse guérisseuse de Rodrigue passa dans ses mains, coula de ses propres lèvres malgré les fausses notes, alors que la marque de leur ancêtre réagissait aussi, son énergie l'aidant enfin à faire un meilleur soin. D'autres chants lui revinrent en mémoire, il les récita aussi avec autant d'efforts pour que ça marche aussi bien que sur lui.
« Félix… il ne prit même pas le temps de reconnaitre à qui appartenait cette voix. Il faut que tu t’arrêtes… Tu saignes toi aussi…
– La ferme ! Tu me déconcentres ! Dégage ! »
Plus personne ne vient le déranger.
Et celui qui tentait de l’arrêter ou d’utiliser le sort « silence » signait son arrêt de mort.
Félix n'avait aucune idée de combien de temps il s'était acharné ainsi, ni si cela servait à quoi que ce soit, ou s'il rêvait les respirations sous ses doigts. Il n'en avait aucune idée et il s’en moquait, refusant d'arrêter tant qu'il ne s'effondrait pas, et personne ne pourrait l'en empêcher ! Le vieux n'allait pas mourir comme ça ! Jamais ! Faudrait le tuer d'abord !
« Ne laisse pas Alix tout seul ! Il va claquer aussi sans toi ! Vous êtes de tellement de vrais jumeaux que ça vous fait mal quand vous êtes trop loin l’un de l’autre ! Tu ne vas pas lui faire ça ! Tu ne vas pas me laisser comme ça ! »
« Je t’interdis de crever… tu m’entends ? Je t’interdis de crever comme ça…
– Félix…
Il s’arrêta en entendant son nom murmurer dans un souffle. Relevant les yeux de sa tâche, il rencontra ceux mi-ouverts de Rodrigue, le fixant comme s’il n’était pas lui-même en train de se vider de son sang après s’être jeté sous un couteau pour protéger Dimitri. Pourtant, même si ce dernier le tenait et qu’il aurait été plus facile pour lui de le regarder, il ne semblait le voir que lui, que Félix alors que sa main se levait, son doigt tremblant se posant sur sa joue, essuyant une larme dont le jeune homme aurait pu jurer qu’elle n’existait pas.
– Ne pleure pas louveteau… ça va aller…
– La ferme… » grogna-t-il en récupérant sa main, pour la porter à la place de cet idiot qui gaspillait ce qui lui restait de force pour un geste aussi ridicule, sans prendre la peine à relever ce surnom puéril et ridicule qui lui réchauffait pourtant le cœur. « Occupe-toi de toi pour une fois.
Les yeux de son père se refermèrent mais, le sang ne coulait plus de la plaie, et ses respirations étaient plus régulières que tout à l’heure, son air plus serein. Félix sentit alors les mains douces de Mercedes se poser sur ses épaules, le tirant légèrement en arrière pour l’empêcher de recommencer alors qu’elle lui assurait avec sa voix calme.
– Il est hors de danger Félix. Tu l’as sauvé. »
Ces mots étaient tout ce qu’il voulait entendre. Le vieux était en vie, c’était le principal. Il sentit alors sa propre douleur et épuisement le foudroyer, son corps protestant qu’il l’ait vidé de ses forces alors qu’il sentait le sang couler de sa marque dans son dos. Le monde se mit à tourner, et il sombra lui-même dans les ténèbres du sommeil, s’accrochant à la magie qu’il sentait dans la main qu’il tenait, alors que sa tête tombait sur les genoux de son père.
« Louveteau… » un bisou tout doux sur ses cheveux, une voix rassurante, une étreinte toute chaude… « Ça va aller… il est parti le vilain cauchemar… tu es en sécurité ici… nous sommes tous là… »
« Papa ? Papa… »
Il enfouit son visage dans la chaleur de son père qui s’était mis à fredonner une berceuse apaisante, à nouveau tout petit, assez pour se rouler en boule sur ses genoux et se presser contre sa poitrine, bien au chaud dans ses bras et sa cape… Rodrigue était si rassurant…
Félix sentait Alix poser une couverture sur ses épaules, puis se joindre à son frère, l’accompagnant de sa voix toute identique à celle de son jumeau. Glenn était là aussi, à côté de lui, chantant avec eux… comme quand il était encore enfant, et que toute leur famille se réunissait autour du feu lors des longues soirées d’hiver pour passer le temps ensemble… le benjamin s’assoupissait tout le temps avant tout le monde et quand il faisait un cauchemar, il se réfugiait toujours dans les bras de Rodrigue qui se mettait à chanter avec Alix et Glenn, leurs belles voix éloignant tous les mauvais rêves du monde et le faisant dormir jusqu’au matin…
Comme à l’époque, il s’endormit dans son étreinte sans craindre le danger ou les cauchemars, protégé par tout l’amour de sa famille et de son père.
*
Comme un éclair de réel, le poids du corps du jeune loup noir tomba sur ses genoux, rejoignant le poids blessé de son père dont il tenait la patte. Il était froid… ils étaient froids… ils étaient si froid… comme de l’eau lentement piégé par le gel et transformé en glace jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de liquide vif, juste un bloc inerte… comme…
« Félix… Rodrigue… je t’en supplie Mercedes ! Sauve-les ! Sauve-les de la mort ! »
*
Ingrid et Sylvain attendaient nerveusement devant la tente de Mercedes, veillant sur Rodrigue alors que Flayn s’occupait de lui, profondément endormi malgré un sommeil très agité. Leur guérisseuse et Manuela essayaient de maintenir Félix en vie. La surcharge de magie avait provoqué une grave hémorragie interne, une partie de ses veines avait explosé sous la pression et l’effort alors, c’était à son tour de se balancer entre la vie et la mort.
« Pourquoi c’est aussi long ? Marmonna Ingrid, l’inquiétude lui faisant perdre toute sa patience pourtant légendaire. Elles devraient déjà avoir fini !
– Il a donné énormément d’énergie à Rodrigue pour lui sauver la vie. Mieux vaut qu’elle prenne le temps qu’il faut pour être sûr qu’il n’y a plus rien, lui rappela Sylvain, même si ses yeux fixaient le rabat de tissu servant de porte à la salle d’opération improvisée sans dévier, comme s’il voulait voir à travers.
– En plus, je suis sûre qu’il va s’en sortir ! Ajouta Flayn avec son optimisme habituel. Félix ne se laissera pas mourir comme ça, et Mercedes et Manuela sont toutes les deux d’excellentes guérisseuses ! Tout va bien se passer !
– On espère… répondirent-ils tous les deux.
– Après tout… il vient d’accomplir un véritable miracle… le seigneur Rodrigue est hors de danger à présent mais, la lame était empoisonnée et elle a perforé plusieurs organes vitaux… Félix serait arrivé une seconde plus tard et il n’aurait pas eu Aegis pour ralentir l’hémorragie, j’ai bien peur que… Flayn se tut, tous étant trop conscients de ce qui avait failli se produire. C’est un vrai miracle… tout comme le fait qu’elle ne soit pas arrivée à tuer Dimitri sur le coup… heureusement que son armure l’a protégé et a dévié la lame… elle l’a blessé à cause d’un endroit cassé mais au final, plus de peur que de mal, même s’il devra surement rester aussi en convalescence. Elle aurait frappé juste…
– Dimitri l’aurait laissée le tuer… c’était un suicide, pas un assassinat… souffla Sylvain, à peine audible. Cette gosse ne savait surement pas mais, il a profité de la première occasion qu’on lui offrait de se faire tuer, surtout qu’elle voulait aussi se venger… c’était presque d’une ironie sans nom qu’il soit tué par quelqu’un qui voulait se venger de lui, alors que lui-même a surement tué le frère de cette gamine pour se venger… la boucle est bouclée…
– Hum… je déteste le reconnaitre mais, tu n’as pas tort… je me dis presque qu’on a eu de la chance qu’il ne prenne pas sa lance pour le faire lui-même avant… je crois que c’est à cause des voix qu’il entend qu’il ne l’a pas fait… pour une fois, elles ont servi, même si elles l’enfoncent en lui disant de le venger, alors qu’ils ne lui demanderaient jamais ça. Glenn ne dirait jamais de choses aussi cruels à Dimitri… il était très critique envers Lambert et je crois même qu’il le méprisait, reconnut-elle avant d’ajouter, mais pas Dimitri. Il l’adorait et voulait le servir lui car, il méritait son dévouement. Jamais il ne lui dirait des choses pareils.
– Et s'il arrive quoi que ce soit à Félix ou Rodrigue… même avec les mots de Rodrigue, sa maladie risque de les lui montrer rejoindre les rangs de ses hallucinations… marmonna le cavalier.
– Je n’espère pas, même si avec ce genre de mal, il est dur de prédire comment cela évoluera, confirma Flayn, même si elle ajouta avec plus d’optimisme. Par contre, Dimitri a supplié qu’on les sauve, et il s’est rendu compte tout de suite de ce qui était vrai ou non. Il a su tout de suite que ce qui se passait devant ses yeux étaient matériels et ce qu’il fallait prioriser. Ses hallucinations sont aussi réelles pour Dimitri mais, il a su ne pas les écouter pour se concentrer sur ce qui était devant lui alors qu’à l’instant d’avant, elles lui hurlaient de poursuivre Eldegard pour la tuer. Il a pourtant rencontré des difficultés à savoir si la Professeure et Dedue étaient réels ou non mais là, il a tout de suite su que l’épuisement de Félix était réel et il a agi en conséquence. Je pense que c’est un bon signe, sourit-elle.
Les deux cavaliers hochèrent un peu la tête, prenant un peu de sa positivité pour eux.
– Fraldarius lui a sauvé la vie mais, il a survécu pendant deux mois à des brûlures magiques avant que l’eau du lac ne les fasse disparaitre, déclara le rouquin, une vieille écaille sarcelle entre ses doigts. Il survivra encore.
– Oui. S’il doit avoir une seule chose qui définit Félix, c’est qu’il est horriblement têtu et obstiné, il ne va pas se laisser mourir comme ça. Il rendrait la Mort folle en tentant de revenir dans son corps par tous les moyens, arriva à sourire un peu Ingrid malgré tout.
Flayn sourit aussi alors qu’elle finissait d’ausculter la blessure de Rodrigue, avant de s’en aller quand on l’appela pour soigner le coup de masse à la jambe d’Hapi. Les deux cavaliers n’étaient pas trop blessés et ils avaient déjà aidé à soigner les éclopés qu’ils pouvaient alors, ils restèrent devant la tente à attendre la fin de l’opération.
Quand la pluie commença à tomber, ils prirent cela comme une sorte de soulagement. La magie de Fraldarius était liée à l’eau, une atmosphère humide renforcerait peut-être ce qui en restait pour ses miracles… ils attendirent encore, enfoncés sous une couverture et serrant leur propre Relique contre leur poitrine, cherchant l’énergie rassurante de leur ancêtre à l’intérieur malgré tout.
Aucun des deux ne savait depuis combien de temps ils attendaient que ce foutu rabat se soulève, quand ils virent une ombre bleu et noir surmonté de blond glisser sous les gouttes en direction de la porte du camp. Devinant qui s’était sans problème, Ingrid laissa Sylvain continuer à attendre les nouvelles pour le suivre, lui criant quand elle le rejoignit à la sortie du camp.
« Eh ! Dimitri !
Son ami s’arrêta, pivota la tête, son œil unique la regardant sans la voir. Il ressemblait encore plus à un fantôme à cheval entre deux mondes maintenant. Avec la pluie qui collait tout au corps, on ne pouvait que voir que Dimitri était décharné, fait que de muscle, de peau et d’os. Il mangeait à peine et ses amis d'enfance étaient sûrs qu'ils se nourrirait encore moins, s'il n'en avait pas besoin pour survivre. Il était un véritable squelette, ne prenait pas soin de lui au point qu’il devait être infesté de vermine, refusant de s’occuper de lui-même en prétendant qu’il n’en avait pas besoin et n’était pas digne de tels soins, ce n’était pas nécessaire à sa mission.
Quand il la reconnut, Dimitri se tourna complètement vers elle, la regarda avec son œil vide, bougeant mécaniquement, le visage perdu dans l’ombre et les illusions. Elle n’osait même pas imaginer quelles horreurs pouvaient se jouer devant son regard et quelles demandes odieuses il entendait…
– Que veux-tu ? Demanda-t-il de sa voix caverneuse, dépourvu de toute la vie qu’il avait pu y avoir autrefois.
– Où est-ce que tu vas comme ça ? Alla droit au but Ingrid, ne voulant pas perdre de temps pour savoir ce qu'il avait en tête.
– Cela ne te regarde pas, rétorqua-t-il.
– Si. Ça te concerne donc, ça nous regarde tous. En plus, tu es blessé, tu ne devrais même pas bouger, répliqua-t-elle immédiatement d’un ton sévère. Où tu vas Dimitri ? Et réponds cette fois !
Bon, finalement, ce serait elle qui tuerait le blond pour être toujours aussi horriblement têtu quand il avait une idée en tête. Ils partageaient ce même défaut tous les quatre mais là, c’était particulièrement insupportable !
– Tu vas à Embarr, n’est-ce pas ? Devina la chevalière devant son silence. C’est pour ça que tu t’es faufilé comme ça hors du camp sans qu’on te voie ? Tu voulais y aller tout seul sans que personne ne te suive ? Et bien, c’est hors de question ! D’un, t’es blessé quand même ! C’est moins grave que ça aurait pu l’être mais, tu t’es pris un couteau empoisonné je te rappelle ! De deux, tu vas te faire tuer si tu y vas tout seul et ça, c’est hors de question ! Et tu n’y vas pas car de trois, personne n’est en état de suivre ! Surtout pas Rodrigue et Félix ! Félix se bat encore pour sa vie et Rodrigue en a réchapper de peu ! Tu crois que c’est ce qu’ils voudraient ? Que tu jettes ta vie alors que Rodrigue a tout fait pour te sauver, puis Félix a tout fait pour sauver son père quitte à s’en mettre en danger lui-même ? Et ce que voudrait vraiment Glenn ? Il adorait sa famille plus que tout, il ne voudrait jamais ça ! Est-ce que tu crois que c’est ce que veulent vraiment les morts ?! S’énerva-t-elle. Je ne pense pas moi ! Personne ne veut ça ! Autant les morts que les vivants !
– Silence ! » S’écria-t-il, visiblement furieux que ce soit elle qui ait invoqué les morts cette fois mais bon, Ingrid ne le craignait pas. Même dans cet état, Dimitri ne leur ferait jamais aucun mal et il le savait autant qu’eux tous. « Tu ne sais pas de quoi tu parles Ingrid…
– Bien sûr que si ! Lui renvoya-t-elle dans la figure sans le laisser finir, les plumes autour de son œil et de son oreille droite s’hérissant de frustration. C’est toi qui t’es mis martel en tête et qui ne veut pas changer d’avis ! Et pourquoi tu veux tant aller à Embarr ? Ce serait du suicide et tu le sais ! Si je ne sais pas de quoi je parle, d’accord mais, explique-moi pour que je comprenne un peu !
– La mort est la fin… commença-t-il d’une voix caverneuse, lui parlant sans vraiment lui parler, regardant par-dessus son épaule où devait se trouver des morts. Qu’importent tous nos regrets, nous sommes impuissants une fois morts. Incapables de souhaiter la moindre vengeance, et encore moins de l’assouvir. La haine. Les regrets. Il revient aux vivants d’hériter de la volonté des morts. Je dois poursuivre dans cette voie. Je vous l’ai déjà dit. Il est trop tard pour revenir en arrière.
– Pas forcément, et tu crois vraiment que c’est ce que les morts voudraient ? Les personnes qu’on a connues ? Vraiment ? D’accord, une fois mort, tu ne peux plus rien faire et les vivants doivent parfois poursuivre ce qu’ils voulaient faire sans avoir le temps de les achever eux-mêmes, on est d’accord mais, tu crois qu’il demande tous vengeance ? Qu’ils te demandent tous vengeance ? Ce n’est pas ce que Lambert voudrait pour toi, ni Glenn, ni Nicola, ni Patricia, ni Frédérique… ni personne. Et tu peux revenir en arrière mais, il faut que tu acceptes de le faire en premier lieu… je… je sais que c’est difficile, quand on a pris une mauvaise voie de revenir en arrière et de comprendre qu’on s’est trompé, admit Ingrid, repensant à toutes ses années après Duscur et aux horreurs qu’elle avait dites et pensées envers ce pays et ses habitants en croyant pleurer ses morts et avoir sa vengeance, autant pour son grand frère Frédérique que pour Glenn. Mais tu peux toujours faire marche arrière…
– N’essaye même pas de me dire que je dois vivre en allant de l’avant pour honorer leur mémoire ou quelque ineptie de ce goût, rétorqua-t-il avec un sourire, ayant presque pitié d'elle en entendant ses mots qu’il devait trouver trop naïf. Ce ne sont que de belles paroles, la logique des vivants. Ceux qui sont morts pleins de regrets… ne me laisseront aucun repos.
– Vraiment ? J’ai des doutes les connaissant ! Et pour Félix et Rodrigue ? Leurs avis et leurs actions, ça ne compte pas ? Car eux, ce qu’ils veulent, c’est clair et net ! Et ils ne veulent pas te voir ou voir quelqu’un d’autre mort ! Rodrigue ne veut pas ta mort et Félix a enfin assumé qu’il aime son père et ne veut pas le perdre ! Et ça, on l’a tous vu ! Même toi tu le sais ! Qu’est-ce que tu en fais d’eux ? Leurs avis ne comptent pas car ils sont vivants ? Tu sais bien que Félix ne se le pardonnera jamais si tu meures et Rodrigue aussi ! Encore plus après avoir mis leur vie en jeu pour éviter un mort de plus ! ça, ça leur ressemble vraiment ! Pas comme ton Glenn qui veut juste tuer tout le monde alors qu’il n’était jamais comme ça de son vivant ! Qu’est-ce que tu vas leur dire quand tu te seras à nouveau fait trouer la peau ? Que c’était ce que demandait Glenn ? Ils ne comprendraient surement rien à raison !
– Ne les implique pas là-dedans ! Refusa Dimitri. Tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles ! Il faut que…
– Oh que si ! Le coupa Ingrid. Je sais de quoi je parle ! Alors, tu vas me faire le plaisir de me suivre, de te reposer car t’as rien à faire debout, de veiller à ce que Rodrigue n’ait besoin de rien avec nous, et d’attendre avec nous que Félix sorte vivant de cette foutue tente ! Ordonna-t-elle. Et il n’y a pas de mais qui tienne ! T’attend avec Sylvain et moi ! Ne me force pas à te trainer par les pieds jusqu’à là-bas ! Je l’ai fait avant, je recommencerais en appelant des renforts s’il le faut !
– Arrête de parler de ça ! Nous ne sommes plus des enfants ! C’est…
– Alors ne te comporte pas comme un qui fait une fixation sur ce qu’il veut ! Lui hurla-t-elle presque dessus. Donc, tu me suis ou je te traine, tu choisis ! Et moi aussi, je suis pressée car, Mercedes et Manuela vont bientôt sortir !
Elle ne sut pas trop par quel miracle quand après une longue minute d’attente tendue, Dimitri accepta de la suivre, glissant avec elle dans le camp pour retourner aux côtés de Sylvain, qui leur dit que les deux guérisseuses travaillaient encore. Rodrigue dormait toujours et heureusement, son état semblait stable, Flayn ayant fini aussi par retourner à sa tente avec Seteth qui dormait également, se remettant d’une flèche prise dans sa jambe. Ils se posèrent tous les trois sur des caisses sous le rabat tendu de la tente, s’enroulèrent à nouveau dans une couverture pour se protéger du froid, les deux cavaliers en passant un pan de la leur sur les épaules du blond quand il refusa d’en mettre une malgré le froid. Enfin, ils attendirent en silence le verdict des guérisseuses.
Au bout d’un moment, alors que la pleine lune se levait en chassant les nuages dans le ciel, le pan de tissu finit enfin par se soulever, révélant Manuala ainsi que Mercedes qui rangeait leur tente d’opération. Elle semblait épuisée, son teint était cireux et des cernes creusaient ses yeux mais, un grand sourire illuminait son visage quand elle leur annonça, radieuse.
« Nous avons réussi à stopper l’hémorragie. Sa vie n’est plus en danger. Il lui faudra énormément de repos et une longue convalescence mais, il va s’en sortir. »
Ingrid et Sylvain sourirent de soulagement et de bonheur à cette nouvelle, se retenant d’hurler de joie tellement ils étaient heureux et soulagés. Félix allait vivre ! Il allait vivre ! Par réflexe, Ingrid se tourna vers Rodrigue toujours endormi, lui annonçant encore la bonne nouvelle de peur qu’il n’ait pas entendu, Dimitri la suivant de son unique œil.
« Félix vit Seigneur Rodrigue, il vit ! Il vit ! »
Elle sentit l’ombre immobile du blond frémir en voyant un petit sourire soulagé se dessiner sur les lèvres du père. Il semblait toujours entendre quand il était inconscient, comme ses fils. Dimitri se tourna alors vers la médecin, son filet de voix faible ressemblant plus à une supplique qu’à un ordre ou une demande.
– Peut-on le voir ?
– Bien sûr mais, restez silencieux et ne le bouger surtout pas, il a besoin d’énormément de repos et cela risque de rouvrir ses plaies s’il bouge.
Sans un mot, Dimitri se leva, dépassa le rossignol, et avança en silence dans la pièce de tissu. Le loup dormait sur le ventre, son dos sans chemise recouvert de bandage, même si la marque d’écaille flétri dépassait toujours, scintillant faiblement à la lumière du sort de feu. Il était immobile, comme inerte.
– Il ne bouge pas… fit-il remarquer.
– C’est normal, il a besoin de repos, lui assura Mercedes, avant d’ajouter après avoir réfléchit une seconde. Peux-tu me confier ta main Dimitri ? Promis, je ne ferais rien d’extraordinaire avec, ronronna-t-elle.
Après une seconde d’hésitation, il lui confia. Elle le fit tendre le bras jusqu’à la gorge pale, posant délicatement ses doigts sur le pouls de son patient.
Il battait. Vite, très vite même mais, il battait.
Même s’il était complètement inerte et avait frôlé la mort, vidé de ses forces, son pouls était encore là.
– Son cœur continue toujours de battre. Félix continue toujours à se battre. Il est encore en vie, jura-t-elle en le relâchant, même si Dimitri ne bougea pas, incapable de se détacher de ce rythme si régulier.
Elle finit de nettoyer et de ranger leur matériel avant de lui assurer, un sourire sur son museau de chat tout doux et moelleux quand elle le vit regarder fixement Félix sans un mot.
– Il est hors de danger et il va vivre, ne t’en fais pas Dimitri. Si tu veux lui dire un mot… je suis sûre qu’il sera très content de t’entendre.
Comme si la réalisation le frappait enfin, le monstre ne put s’empêcher de de soupirer de soulagement, ses épaules se relâchant pour la première fois depuis qu’il avait retrouvé l’armée du Royaume, une seule pensée en tête.
– Ne recommence pas.
À la porte de la tente, Ingrid et Sylvain prirent cette phrase comme une immense victoire.
*
Le retour à Garreg Mach fut un peu périlleux mais, les grands blessés survivraient sans trop de problème. La Déesse soit louée, Dimitri avait ordonné avec Byleth de retourner au monastère plutôt que de poursuivre Eldegard, surement parce qu’il ne voulait pas risquer la vie des Fraldarius dans la manœuvre. Mercedes devait avouer que cela la soulageait beaucoup. Grâce à Félix, la blessure du Seigneur Rodrigue s’était refermée correctement mais, il avait tout de même perdu beaucoup de sang et le poison sur la lame pouvait être resté dans son organisme alors, mieux valait rester prudent, surtout que plusieurs organes avaient été touchés. De plus, le système digestif était très fragile, ils ne devaient pas relâcher leur vigilance. De même, son fils était complètement vidé de ses forces à cause de l’effort de soigner son père. Il était un magicien doué, et la guérisseuse sentait qu’il avait dû beaucoup la pratiqué à un moment donné à cause de toute la magie dans son corps mais, il avait perdu l’habitude d’en utiliser autant d’un coup, et n’importe qui se serait effondré après un tel tour de force. Sans l’intervention d’Aegis et du Seigneur Fraldarius, il y aurait des chances pour que…
« Mieux vaut ne pas y penser… songea-t-elle. Le principal, c’est que tant qu’on s’occupe d’eux, leur vie est hors de danger… »
Elle terminait de s’occuper du duc avec Annette et partait rejoindre Ingrid et Sylvain qui restaient au chevet de Félix pour s’assurer qu’il se reposait, quand elle entendit le bruit de quelque chose qui tombait par terre. Elles se retournèrent et virent le duc à moitié découché, le haut de son corps pendant depuis son matelas alors qu’il cherchait difficilement un appui pour tenter de se lever. Elles se précipitèrent pour le recoucher, le blessé devant le moins bouger possible.
« Non… bafouilla-t-il, à moitié inconscient. Mon fils… il pleure… je dois… m’en occuper…
Les deux jeunes femmes échangèrent un regard, avant que Mercedes ne lui assure avec sa voix toute douce, posant sa main sur ses yeux avec un sort pour le rendormir.
– Il va bien, ne vous en faites pas, nous nous occupons de lui.
– Oui ! Il est ressorti de la bataille presque sans blessure ! Il faut juste qu’il se repose ! Ajouta Annette avec plus d’énergie et d’enthousiasme, même si elle mentait par omission, ne voulant pas l’inquiéter.
– … prenez soin de mon louveteau… souffla l’homme avant de sombrer à nouveau dans le sommeil.
– C’est promis Seigneur Rodrigue, c’est promis, souffla-t-elle en le remettant correctement le drap autour de lui.
– Salut vous deux, livraison de repas ! Annonça Caspar en ouvrant la porte sans s’annoncer, comme toujours, deux bols de soupe et deux miches de pain noir sur son plateau. Vous devez avoir faim en plus ! Vous avez pas fait de pause depuis qu’on est rentrés non ?
– Oui ! Merci Caspar ! On mangera tout ça après qu’on se soit occupées de Félix ! Répondit Annette en se lavant les mains.
– Merci beaucoup Caspar, c’est très gentil, sourit Mercedes en le débarrassant. Comment va ton épaule ?
– Bien, t’inquiète, c’est tout bon ! Linhardt l’avait soigné et recousu en deux temps trois mouvements. Au fait, j’ai croisé Marianne, elle a fini de s’occuper de Dimitri et elle va aider les autres guérisseurs. Elle a dit qu’il était très calme mais, il ne bougeait pratiquement pas à part si on lui ordonnait. Il parlait aussi de mots ou quelque chose comme ça. Enfin, il suit les instructions de Marianne et se repose, Dedue est avec lui.
– Hum… d’accord, il est toujours assez doux avec elle, et même s’il a tendance à être surprotecteur, il l’écoutera surement, surtout si Dedue lui dit aussi », soupira un peu de soulagement Mercedes. Même si elle faisait des renforts envoyés par Claude en signe d’amitié et de bonne volonté, et malgré le fait qu’Hubert avait tenté de semer la zizanie entre eux à Gronder, la présence de Marianne à leur côté était une bénédiction quand le prince était blessé, tout comme celle de Dedue depuis son retour. Il s’était aussi mis à écouter Ingrid et Sylvain quand ils s’agissaient des Fraldarius ou de lui-même alors, elle prenait aussi ça comme un signe de victoire contre sa maladie. « Bien, trouvons quelqu’un pour le surveiller au-cas où il tenterait de se relever et ensuite, allons-nous occuper de Félix, d’accord Annie ?
– Oui, ce sera plus prudent ! Dis Caspar ? Tu peux… commença la magicienne avant de se reprendre tristement. Enfin, je ne suis pas sûr que Son Altesse accepte de laisser un adrestien veiller sur le Seigneur Rodrigue…
– Je crois pas qu’il m’ait à la bonne non plus… marmonna-t-il. Il est même méfiant avec Linhardt pour dire alors, quelqu’un comme moi… désolé les filles mais, il va falloir trouvé quelqu’un d’autre…
– Oui… Dedue veille sur Dimitri, Ashe est blessé à la jambe… peut-être que Raphaël pourrait, il s’entendait bien avec Son Altesse à l’académie…
La porte s’ouvrit sur ses mots, dévoilant Ingrid, suivit de Sylvain qui portait Félix dans ses bras, ce dernier serrant Aegis contre sa poitrine. La lumière du bouclier était bien plus faible que d’habitude quand c’était l’épéiste qui le maniait, en reflet à sa perte colossale d’énergie mais, il restait toujours une lueur de vie dans ses mains, semblable à une onde fraiche et vive.
– Excusez-nous de le déplacer comme ça mais, on pense qu’il sera mieux ici avec Rodrigue, déclara la chevalière alors que Sylvain couchait leur ami d’enfance dans le deuxième lit. Il n’arrête pas de bouger et de parler dans son sommeil alors, on se demande s’il ne s’inquiète pas pour son père.
– Vraiment ? Je croyais qu’il ne pouvait pas le saquer ? Fit remarquer Caspar, étonné. Bon, il l’a sauvé mais, c’est pas son genre de laisser les gens mourir je crois donc, je pensais qu’il ne l’aimait pas beaucoup.
– Il fait bien semblant mais, si tu le connais, tu voies qu’il tient encore beaucoup à lui, même s’ils se sont disputés, assura Sylvain avec sérieux. Quand on était petits, il était toujours collé à Rodrigue et même quand il rejetait sa famille en bloc, c’était écrit sur sa figure qu’il l’aimait encore. Juste… il n’assumait plus qu’il tenait à son père pour faire simple.
– Oui, faut juste parler le Félix pour comprendre et depuis le temps, on sait décoder ce qu’il raconte, ajouta Ingrid. Enfin, il n’assume pas après s’être épuisé à ce point pour le sauver, il va m’entendre ! Et de toute façon, personne ne le croira donc, il va falloir qu’il se regarde en face et arrête de se mentir au bout d’un moment.
Sylvain ne put s’empêcher de rire devant ses affirmations, avant de laisser Mercedes ausculter l’épéiste pour vérifier que ses blessures ne s’étaient pas rouvertes, notamment sa grande marque d’écailles dans son dos. Heureusement que Manuela et Mercedes étaient avec eux, elles l’avaient surement arraché de peu à la mort, mais sa marque semblait plus enfoncée dans son dos, ancrée plus profondément et légèrement flétrie, comme si on avait absorbé quelque chose de l’intérieur d’elle. Enfin bon, c’était le signe de la bénédiction de Fraldarius, cela ne devait pas être quelque chose de très rationnel.
– Hum… elle semble toujours asséchée… ou plutôt vide, commenta la guérisseuse en allant chercher de quoi tenter de l’hydrater.
– Fraldarius est lié à l’eau, et il a surement utilisé une partie de l’énergie qu’il lui a donné pour sauver Rodrigue alors, c’est peut-être pour ça ? Proposa Sylvain.
– Vous avez des trucs bizarres qui apparaissent sur votre corps quand vos ancêtres vous sauvent la vie, c’est ça ? Leur demanda Caspar, un peu moins au courant de tout ça que les guérisseuses. Comme avec les plumes qui sont apparues sur ton visage et ton oreille après la bataille d'Ailell Ingrid ?
– Oui, tu as saisi l’idée, déclara-t-elle en passant sa main sur la petite aigrette de plumes tout autour de son oreille droite et qui descendait jusqu’autour de son œil, son lobe aussi étant partiellement emplumé après un mauvais coup d’épée à la tête, il s’en était fallu de peu d’arriver sur les terres de Daphnel à temps. Pour Félix, c’est beaucoup plus vieux, on était encore enfants alors, peut-être qu’il y avait moins d’énergie en lui ? En plus, normalement, il faut être sur les terres du Braves en plus de sa Relique pour que ça marche donc, il a surement dû utiliser plus de son énergie à lui que de celle de Fraldarius.
– Peut-être, même si la présence résiduelle de son ancêtre pourrait expliquer pourquoi ses veines ont aussi bien tenus le choc, bien qu’elles aient fini par exploser sous la pression de sa magie. Celle de Fraldarius qui reste dans Aegis a dû aider aussi, analysa Annette. Même pour un guérisseur expérimenté avec une relique ou l’emblème de Lamine ou de Sainte Cetheleann, c’est très compliqué et dangereux de mobiliser autant d’énergie d’un coup.
– Dangereux comment ? Comme… quoi ? Il n’aurait pas eu l’aide de Fraldarius ou sa marque ou sa Relique ou un mélange de tout ça, il se serait passé quoi s’il s’était acharné comme ça pour sauver le seigneur Rodrigue ? Demanda le combattant en mêlée.
Un silence très lourd de sens s’installa dans la petite pièce, personne n’osant répondre. Seule Mercedes eut le courage de le faire une fois qu’elle eut fini d’ausculter l’épéiste et de lui donner à boire pour qu’il ne se déshydrate pas.
– Ils seraient sans doute morts tous les deux… la blessure du Seigneur Rodrigue était mortelle même avec de la magie, sauf à être Lamine en personne et l’effort aurait été trop important pour le corps de Félix. Ce ne serait pas une première qu’un guérisseur meure à s’être trop entêté. Même maintenant, sa convalescence va être longue avant qu’il puisse juste retrouver assez de force pour bouger seul, et il risque de ne plus pouvoir utiliser la magie de sa vie… espérons que nous pourrons faire escale à Fraldarius, nous pourrons les confier au Seigneur Alix, il doit s’inquiéter pour eux. On dit que l’eau du lac est curative, elle pourrait leur faire du bien.
– Elle l’ait, elle est même miraculeuse cette eau, encore plus pour la famille du Brave donc, il faut qu’on y passe ! S’exclama Ingrid. Dimitri devrait accepter ! Surtout pour eux !
– Oui, par contre, faudrait peut-être attendre un peu avant de lui dire, ajouta Sylvain avec un regard indéchiffrable à part pour son amie d’enfance.
– Hum… tu n’as pas tort… mieux vaut attendre un peu… de toute façon, je crois qu’il en est déjà trop conscient… soupira-t-elle.
Félix frissonna dans son sommeil, marmonnant des syllabes qui n’allaient pas ensemble en s’agitant comme il put. Les deux cavaliers le rejoignirent alors en murmurant quelques choses que les autres ne comprirent pas mais, le blessé se calma un peu, replongeant dans les limbes.
*
Dimitri déambulait dans les couloirs de Garreg Mach, la lumière de la demi-lune ne frappant que son côté aveugle, qu’importait comment il tournait. Il avait mal mais, il ne fit pas attention. Il avait pratiquement toujours mal, mal au corps ou mal à la tête, ce n’était pas grave, qu’une partie des suppliques des morts réclamant vengeance en creusant sa peau de leurs ongles et phalanges… il devait accomplir son office. Seul. Sinon, les autres se mettraient encore en travers de son chemin, que ce soit pour venger leurs morts à tous, ou quand la Mort venait enfin le punir pour avoir survécu et être un monstre qui ne méritait que d’être frappé par ce couteau.
Mais… Rodrigue avait refusé que cette juste punition le frappe… il l’avait pris à sa place… alors que cet homme méritait seulement d’enfin vivre en paix après avoir perdu toute sa famille à cause de lui… il n’était pas aveugle… Rodrigue n’avait pas perdu que Glenn à Duscur… il avait aussi perdu Félix, et il avait perdu Alix… obligé de vivre séparé de son propre jumeau alors qu’il était inséparable, tellement inquiet que cela en faisait mal… mais qu’il ne rejoignait pas afin de s’occuper du Royaume à leur place, sauf quand Rufus le chassait avant de le rappeler, bien incapable de faire un dixième de son travail… obligé d’entendre les beuveries et les insultes constantes de Rufus, les menaces constantes sur sa vie, celle de son frère puis celle de Félix quand il se rapprochait de la majorité… mais Rodrigue restait à Fhirdiad pour le Royaume autant que pour lui… Dimitri l’avait déjà bien assez abusé de lui… il n’aurait jamais dû prendre en plus ce poignard à sa place comme tant de membres de sa famille l’avait fait avant lui… les Blaiddyd n’avaient survécu que parce les Fraldarius leur avait donné jusqu’à tout leur sang… que ce soit les précédents Alix et Rodrigue, les grands-parents des jumeaux tué dans les innombrables guerres de Clovis le Sanglant, leur propre père Guillaume qui s’était sacrifié pour son grand-père le roi Ludovic, Glenn qui avait donné sa vie pour lui à Duscur, ou Rodrigue aujourd’hui… il aurait dû mourir à cause de ce coup de poignard…
Mais non, Félix avait refusé de le laisser se faire faucher et l’avait sauvé, mais il avait payé le prix fort… il aurait pu en mourir… il aurait dû en mourir… pour avoir arraché la vie de son père du chemin de la faux de la Mort, il aurait dû donner la sienne à la place… Fraldarius n’aurait pas été là… ou quiconque… sans ce miracle, les deux seraient morts… les deux seraient morts… mort et mort… mort pour lui… alors que…
« Tu aurais sacrifié mon père et mon petit frère à ta place, et mon oncle n’aurait pas survécu longtemps sans notre famille ou son frère, gronda Glenn en creusant sa gorge, ses larmes de sang coulant le long de la tempe du monstre, impuissant à lui faire vraiment du mal. Vous aimez le gout de notre sang c’est ça ? Vampire que vous êtes… vampire que tu es… tu n’as pas le droit de les arracher à Alix ! Tu n’as pas le droit de pulvériser encore plus notre famille ! Ne les approches plus ! Plus jamais !
– Je sais Glenn, je sais. Je ne les approcherais plus, plus personne… au moins, Rodrigue et Félix pourront…
– Leurs avis et leurs actions, ça ne compte pas ?
– Tais-toi Ingrid… se remémora Dimitri, les mots de la chevalière sonnant dans ses oreilles. Tu ne comprends pas…
– Oh que si ! Le coupa-t-elle à nouveau dans sa tête. Je sais de quoi je parle !
– C’est plus compliqué… si tu pouvais les voir… si tu voyais Glenn… si tu l’avais vu… il faut que…
Le souvenir de dispute se fit couper quand il entendit des notes… non, un chant… un doux chant semblable à un ruisseau coulant entre les rochers… comme il en avait des milliers à Fraldarius… une berceuse… une douce mélopée qui sonnait vaguement familier à ses oreilles sensibles, encore plus depuis qu’il avait perdu un œil… comme le chant des sirènes…
Dimitri le suivit, et s’il devait se faire dévorer par un autre monstre, tant pis, il l’aurait de toute façon bien mérité.
Étrangement, au lieu de le mener à l’étang, la mélopée l’emmena à l’infirmerie, devant laquelle veillait Raphaël, sa masse à la ceinture, sa hache dégainée et ses protections de poings enserrant ses doigts… ça pouvait aller, même s’il semblait complètement indifférent au chant… au moins, il était concentré sur sa mission… mais c’était tout de même étrange… ce n’était pas la voix de Manuela, ni celle de Flayn, de Mercedes ou d’Annette, c’était une voix d’homme… ce n’était surement pas la voix de Linhardt, hors de question qu’il s’occupe des deux loups… Ashe pouvait aider à l’infirmerie mais, ce n’était pas lui, ni Ignatz… non… s’il devait donner un nom à cette voix, c’était… Glenn… ou au moins, cette voix ressemblait beaucoup à la sienne en plus douce, un peu comme celle de Rodrigue et Alix mais pas vraiment… Il passa devant Raphaël et entra, voulant en avoir le cœur net.
Dimitri découvrit alors un homme, penché sur Félix alors qu’il lui caressait les cheveux, la berceuse coulant de ses lèvres dans une langue que Dimitri ne comprenait pas. Il était tout petit, vraiment minuscule et maigre mais, il voyait la force dans tous ses mouvements, même les plus doux, comme la surface d’un lac dissimulant tous les courants fougueux au regard de l’imprudent. Ces joues étaient recouvertes d’écailles blanches, surement de la même couleur que sa peau d’origine, bien que son cou lacéré de branchies prenne une couleur sarcelle qui devait entièrement le recouvrir. Ces ouvertures ne semblaient cependant pas le gêner pour porter son collier, composé de quatre plaques en forme de mains ouvertes, couvertes d’une toute petite écriture dans différents alphabets. Sa propre main était palmée et ses doigts griffus, son chant révélait des crocs dans sa bouche, comme celle d’une créature lacustre sortie de l’eau. Quand il se redressa pour diriger son chant vers le père de Félix, ses yeux de chat bleu comme l’eau du lac s’accrochèrent à son œil unique, les mêmes que ceux de Rodrigue et Glenn… les yeux en amande des Fraldarius… les yeux de Fraldarius, l’Épéiste de l’Onde… Brave de l’eau et premier receveur de l’emblème confié par la Déesse avant de la trahir… il était là en personne…
La surprise passa dans ses prunelles, puis un côté blasé alors qu’il lui demandait quelque chose dans sa langue. C’était fou comme ses expressions étaient celles de Félix.
« Je ne parle pas latin, déclara froidement Dimitri.
– Ego loquor tua lingua, rétorqua-t-il visiblement (peut-être que lui comprenait le fodlan), avec la voix de Rodrigue en beaucoup plus cinglant, comme le ton d’Alix, ainsi que plus grave que la voix des jumeaux.
Il continua à parler en appuyant ce qu’il disait avec ses mains, montrant Dimitri, puis faisant un geste de quelqu’un qui marchait avant de montrer le sol de la pièce.
– Je t’ai entendu chanter, comprit-il. Je me demandais à qui appartenait cette voix. Je m’en vais.
– Dicendi finem jacere », déclara-t-il sèchement en s’approchant de lui. Comment pouvait-il être aussi petit ? Cet homme arrivait à peine à sa poitrine… il devait être à peine plus grand qu’Annette… il n’avait pas dû manger à sa faim souvent… « Ubi is ? Is urbi adversariis ?
– Je te l’ai déjà dit, je ne parle pas ta langue… lui rappela-t-il, même s’il dû répondre sur les mots transparents. Je vais à Embarr tuer Eldegard, tu ne m’arrêteras pas.
Fraldarius cribla Dimitri du regard, furieux. Tant pis, ce n’était pas lui directement qu’il devait venger, il devait tous les venger… dont les descendants de l’homme devant lui…
– C’est que tu ne comprends pas sa langue… il te dit d’y aller, vas-y… souffla Glenn à son oreille, Dimitri se détournant pour le regarder alors qu'il lui assurait avec un grand sourire entendu. Va nous venger… tous autant que nous sommes avant de les mettre à nouveau en danger…
Une gifle aqueuse le força à regarder Fraldarius, ce dernier le fixant impérieusement avec son regard d’eau trop semblable à celui des jumeaux et de Glenn. Il montra ses yeux, puis l’œil de Dimitri, avant de recommencer dans le sens inverse, des mots difficilement articulé sortant de sa bouche.
– Er…couvté… moi… sole… soli… sol. Ri… rien d’otr.
Il continua sans un mot, parlant avec ses mains et ses expressions. Il lui montra Rodrigue et Félix, profondément endormi, désigna leurs blessures et bandages, fit des gestes traduisant aussi bien que possible ce qu’il voulait dire. Il fit un signe d’attente, banda des membres blessés, nourrit quelqu’un alors qu’il faisait entre chaque geste un arc de cercle, comme pour mimer le passage du soleil et de la lune. Il montra à nouveau ses descendants mais, il ajouta aussi Dimitri à son énumération, puis désigna alors le sol où il se trouvait avec un signe de s’endormir.
– Je ne peux pas dormir ou me reposer, je dois les venger… et je ne peux pas rester. Je les mettrais encore plus en danger.
– Es contineri, et nominor Pertinax, marmonna-t-il avant de lui demander en montrant ses descendants. Tu aliquid respuo ? Mei filii filiorum elegerunt. Et tu eligis aliquid respuere delectuum ? Delectus no gravia sunt ?
– Arrête… je t’ai déjà dit que je ne comprends pas un traitre mot de ce que tu racontes, marmonna Dimitri en se frottant la tête, incapable de le regarder dans les yeux, ou mêmes ses enfants, n’entendant que les autres morts lui hurler de partir, de laisser Fraldarius là et d’aller les venger. Je dois venger les morts… c’est ce qu’ils me demandent sans cesse. Je dois…
Il sentit alors des doigts plus doux lui faire relever le menton jusqu’à ce qu’il regarde à nouveau le Brave dans les yeux, bien que toujours autoritaire. Félix était vraiment son portrait craché…
– Puer.
Il montra l’œil restant de Dimitri, puis les morts autour de lui avant de faire un signe de croix en déclarant.
– No gravia sunt.
Il désigna ensuite à nouveau son œil, puis là où devait être son cœur dans sa poitrine.
– Est. Anima gravissima est.
Le brave se détourna alors de lui, attrapant les mains qu’il portait en pendentif pour les tenir entre ses doigts, comme le faisait Rodrigue avec son chapelet, avant que des notes coulent à nouveau de ses lèvres. Il ne regardait plus Dimitri, ne s’occupait plus de lui, tournant plutôt toute son attention vers Félix et Rodrigue à qui cette berceuse était destinée, le vengeur aurait pu partir accomplir son devoir sans problème. Mais il resta sur place, ne pouvant se détourner de ce chant… la voix de Fraldarius était vraiment magnifique… certaines légendes disaient que le mythe des sirènes venait en fait de lui… en l’entendant, Dimitri voulait bien y croire… ce chant était si beau qu’il pourrait faire tout oublier… emporté n’importe qui… comme un bout de bois à la surface de l’eau du lac, balloté par les vagues… l’emporter lui-même…
La seconde d’après, Dimitri se retrouva dans son lit, seul et en silence. Il ignorait complètement s’il dormait ou non, il ne faisait plus la différence à présent entre les deux. Sa blessure lui faisait toujours aussi mal mais, les appels des morts semblaient plus faibles comparé à la douleur, cette dernière lui ordonnant encore plus fort de rester couché.
Il se laissa dériver à nouveau, comme si son esprit cherchait à réentendre la voix de la sirène, jusqu’à ce qu’il soit tiré à nouveau vers son lit par le bruit d’une petite dispute. Il ouvrit son œil et vit Manuela entrer, accompagné d’Hanneman, Dedue sur les talons étant donné qu’il le veillait.
« …et moi je te dis que tu n’as rien à dire sur mon ménage car… ah ! Bonjour Votre Altesse, je suis heureuse de vous voir réveiller ! Gazouilla Manuela. Je viens vérifier votre blessure si vous me le permettez. Excusez-nous que ce ne soit pas Mercedes, Flayn ou Marianne mais, elles sont de gardes.
Dimitri hocha la tête, la laissant faire en demandant.
– Félix et Rodrigue ?
– Ils dorment toujours mais, leur état est stable. Ils ont besoin de temps pour se remettre.
– Bien… … … . . . Professeur Hanneman ? Finit-il par demander avant que l’érudit s’en aille, ayant posé les bandages de Manuela sur le bureau de Dimitri.
– Oui Votre Altesse ?
– Parlez-vous latin ? Lui demanda le blessé, des mots tournant dans sa tête.
– Oui, évidemment, cela a été la langue de l’administration et de la science pendant longtemps au nord, lui assura le lérot. Pourquoi donc ?
– Pouvez-vous traduire « puer », « no gravia sunt » et « esse. Anima gravissima est » ? Dit par quelqu’un qui le parle tous les jours.
– Bien sûr ! C’est du latin un peu commun, ce n’est pas de la grande littérature mais, puer est un mot commun qui peut autant se traduire par « enfant » que « jeune esclave » selon le contexte. À l’époque où on parlait le latin comme langue vivante, on ne faisait pas la différence entre un enfant qui n’est pas le sien et un jeune esclave et la traduction dépend du contexte. Cela nous permet d’avoir des informations sur la manière dont l’enfance et le début de la vie était considéré à l’époque, ainsi que des indices sur la condition des enfants à ce… enfin, je m’égare. Pour « no gravia sunt », cela peut vouloir dire « ce n’est pas lourd » ou « ce n’est pas important » selon le contexte. Et pour « Esse. Anima gravissima est », cela veut dire « l’âme est la plus importante », lui expliqua en détail Hanneman, le regard brillant de plaisir de partager ses connaissances. Puis-je vous demander d’où vient cette demande ?
– Quelqu’un me l’a dit… cette nuit.
– Cette nuit ? Vous n’avez pas bougé de votre lit pourtant, s’étonna Dedue.
Dimitri se mura un peu dans le silence, pensif avant de marmonner, la lumière d’Areadbhar brillant à côté de son lit, protectrice. D’habitude, il dormait carrément avec elle quand il avait vraiment besoin de se reposer, la Relique couvrait les suppliques des morts avec la mélodie d’une flute…
– J’ai juste entendu une sirène chanter… nous restons tous ici tant que nous avons des blessés, finit-t-il par ordonner.
Ses mots durent un peu étonné s’il se fiait au silence général des morts et des vivants mais, Manuela assura avant que son père ne le reprenne.
– C’est une très sage décision, nous avons tous besoin de repos.
– Je vais immédiatement prévenir le capitaine Eisner, ajouta Hanneman avec un sourire sous sa grosse moustache. Avez-vous autre chose à lui transmettre Votre Altesse ?
– … non, à part de faire attention à tous les blessés.
– Bien sûr, cela va de soi, assura-t-il en partant, sa longue queue de lérot volant derrière lui sous son imposant manteau.
Manuela gazouilla en inspectant sa blessure, passant prudemment un onguent avec ses ailes.
– Bien, la blessure se referme correctement, vous êtes très résistant ! Dans quelques semaines, vous pourrez rebouger normalement !
– Et Rodrigue et Félix ? Répéta-t-il, voulant au moins autant de précision que pour lui.
– Hum… ses plumes se resserrèrent autour d’elle alors qu’elle avouait plus doucement, tirant de la bande pour changer son pansement. C’est plus dur à dire… leur blessure est plus profonde et grave, et ils ont tous les deux perdus énormément de sang et d’énergie… il leur faudra beaucoup de temps pour se remettre, s’ils le font complètement, Félix risque de garder des séquelles… nous saurons avec le temps, finit-elle en coupant la bande avant de reprendre. Cependant, je pense que l’on peut être optimiste. Ils ont tous les deux de bonnes raisons de s’en remettre. Cela ne fait pas tout, évidemment mais, si le patient veut survivre et s’en sortir, cela simplifie la tâche du médecin car, il n’a pas à lutter contre son propre patient pour le maintenir en vie. La force de la volonté peut faire énormément de chose parfois.
Dimitri resta silencieux, la laissant changer son bandage en songeant à ses mots.
Une fois qu’elle eut fini, il tenta de se relever mais, Dedue l’en empêcha, posant sa grosse patte d’ours sur son épaule.
– Vous devriez continuer à vous reposer Votre Altesse, vos blessures sont encore ouvertes.
– Je suis d’accord, vous devez à tout prix éviter de bouger, le soutint Manuela.
– Je n’en ai que pour quelques minutes.
Dimitri se releva malgré leurs protestations, attrapa Areadbhar puis descendit en s’appuyant sur elle. Il traversa toute la cour sans prêter attention aux regards qui le suivaient, mélangeant sans doute de la crainte et de l’étonnement mais, il les ignora, luttant déjà assez contre les réprimandes de son père et de sa belle-mère, ainsi que les railleries de Glenn lui disant qu’Eldegard se trouvait de l’autre côté. Il se força à ne pas les écouter, avançant en s’appuyant sur sa Relique afin de se déplacer plus facilement malgré ses blessures.
Le jeune homme se traina autant qu’il put jusqu’à la pièce où dormait les Fraldarius. Balthus le laissa passer sans discuter, alors que Mercedes et Marianne changeaient les bandages de Félix avec l’aide d’Ignatz, l’une empêchant les hémorragies de reprendre avec sa magie, pendant que l’autre changeait les bandages, l’artiste tenant aussi délicatement que possible le corps de l’épéiste. Sans perdre son objectif de vue, Dimitri s’avança jusqu’au fond de la pièce, là où se trouvait Aegis. Félix pouvait tenir sans lui apparemment, tant mieux. Délicatement, il posa Areadbhar à côté du bouclier, leurs deux gemmes de sang scintillant à l’unisson.
« Comme ça, vous jouerez à nouveau en duo… le chanteur et le flutiste non ? Il ne manque plus que Dominic mais bon, ça ferait trop de bruit si elle dansait dans la pièce. »
Leur lueur étrange sembla changer un peu mais, il ne prit pas la peine de décoder. Il se tourna à nouveau dans l’autre sens pour partir.
« Merci beaucoup pour l’attention, ronronna Mercedes, faisant signe à Ignatz de reposer Félix alors qu’elle venait de finir ses bandages.
L’épéiste dormait profondément, le visage neutre n’exprimant aucune émotion, pas même de la douleur, comme celui d’un mort paisiblement dans son sommeil. Il semblait encore plus petit comme ça… il était musclé mais, Félix semblait frêle ainsi, le torse entouré de bandage, le teint encore plus blafard à cause de la perte de sang, renforcé par l’encre de ses cheveux… Rodrigue aussi… on aurait deux poupées de verres sur le point de se briser…
– Ils vivent encore ? Demanda-t-il.
– Oui, bien sûr. Il leur faut beaucoup de soin mais, ils vivent toujours et vivront encore, lui assura la chatte crème. Leur cœur bat toujours.
Dimitri hocha la tête, avant de demander.
– Personne n’est rentré ici cette nuit ?
– Non, à part nous pour nos gardes, répondit Marianne, avant que la brebis ne note. Par contre, il y avait une sorte de magie dans la pièce… une sorte de présence mais, elle n’était pas agressive… elle semblait baigner la pièce pour la protéger…
Le jeune homme jeta son œil vers Aegis, brillant toujours faiblement mais, ayant repris de la force quand Areadbhar fut à côté de lui. Il marmonna, ne sachant même pas comment l’expliquer de toute façon.
– C’était juste Fraldarius. Je l’ai entendu chanter…
Il vit Glenn se décoller du chevet de son petit frère et de son père pour se tourner vers lui, visiblement furieux qu’il dévoile que leur ancêtre était apparu hier soir, voulant peut-être le garder pour eux… mais Ignatz le coupa, le gorgebleue gazouillant avec bonne humeur.
– Je suis sûr que l’Épéiste de l’Onde est toujours à leurs côtés pour les protéger ! J’ai lu plusieurs légendes où il apparait pour veiller sur eux sa famille, et il vient d’intervenir pour les sauver tous les deux. Si… si vous voulez, je peux peindre une icône de lui pour les protéger ? Nous faisons souvent ça à Leicester, nous gardons des petites icones des Braves sur nous pour nous accompagner dans nos tâches quotidiennes, selon leur spécialité. Ou au moins attiré la chance mais, c’est comme vous le désirez Votre Altesse, proposa-t-il plus timidement, hésitant. Mais je comprendrais si vous refusiez…
Dimitri ne savait même pas lui-même pourquoi il accepta d’un signe de tête, sans un mot, ni même prendre en compte le refus catégorique de Glenn, ainsi que celui de son père et de sa belle-mère. Mais ils disparurent quand le gazouillement joyeux d’Ignatz qui lui promit de faire de son mieux résonna dans la pièce.
Arrivée entre temps, Dedue et Manuela le ramenèrent dans son lit afin qu’il se repose et que ses blessures se referment correctement. De toute façon, après Gronder, tous les belligérants devaient reprendre des forces avant de se réaffronter. Eldegard avait été grièvement blessée alors, elle s’était retirée du côté d’Embarr. Si Ignatz avait bien tout compris, ceux qui s’en était les mieux sortis, c’était l’armée de l’Alliance, Claude ayant vite fait reculer leurs troupes quand il comprit que l’Impératrice tentait de faire s’affronter Faerghus et Leicester pour n’avoir qu’à finir le travail. Heureusement, en voyant Dimitri et avec les signes de ses camarades, le grand-duc avait fait reculer leurs troupes, déjà très peu nombreuses. Claude ne voulait pas affronter Dimitri et avait déjà envoyé tous les cerfs d’or mise à part Hilda à ses côtés en signe de bonne volonté dès la reprise du grand pont de Myrddin, ainsi que Lorenz qui jouait encore les agents doubles auprès d’Eldegard. C'était lui qui les avait prévenus des attentions de l'Impératrice. La Déesse soit louée, Dimitri ne les avait pas attaqués une fois la confusion écartée, le brouillard de magie noire levée, et les « troupes spéciales » d’Hubert rayées de la carte. Le bras droit d’Eldegard avait eu l’idée d’habiller deux de ses bataillons avec un équipement très proche de celui de l’Alliance et du Royaume, puis de les lancer contre les vraies factions alliées et royales, ce qui n’avait en rien aidé à améliorer la situation, surtout après la mort des messagers du Royaume dans l’Alliance… même eux ne savaient pas qui blâmer pour ça… les impériaux, Gloucester, des bandits, la malchance... trop de possibilité... encore heureux, ils étaient arrivés à écraser rapidement les troupes déguisées… sans ça, peut-être que… enfin, le principal était qu’une grande partie d’entre eux s’en était sortie vivant…
Quand Marianne et Mercedes n’eurent plus besoin de lui, Ignatz se précipita aux écuries, où il savait qu’il trouverait Ingrid en train de s’occuper de sa monture. Sylvain n’était pas avec elle pour une fois, partit en infiltration. Pendant les cinq ans, il s’était plusieurs fois rendu à Sreng avec sa mère pour s’assurer que les traités de paix avec sa tante, la reine Thorgil, tenaient toujours et en avait profité pour se faire tatouer un de leurs sorts dans le dos, lui permettant de se transformer en renard alors, il était un de leurs meilleurs éléments pour l’infiltration. Shamir l’avait chargé de vérifier si aucun soldat impérial ne rôdait autour du monastère discrètement, il ne devrait pas revenir avant plusieurs jours. Il lui raconta ce qui venait d’arriver à l’infirmerie, ainsi que les mots de Dimitri et son attitude. La chevalière eut un sourire victorieux.
« Il continue sur la bonne voie ! »
*
Le soir suivant, Dimitri se retrouva à déambuler à nouveau dans le monastère malgré ses blessures. Il entendait toujours le fredonnement de Fraldarius venir bercer ses oreilles mais, il se retient de le suivre, il refusait de déranger encore plus cette famille… Glenn lui en voulait assez de retarder sa vengeance…
Il sortit donc dans la cour, le vengeur bien décidé à enfin donner aux morts ce qu’ils réclamaient depuis des années, avant de recommencer à se trouver des excuses pour ne pas le faire… il devait se rendre à l’évidence et arrêter ses enfantillages à vouloir rester à leurs côtés à tous… c’était trop dangereux pour eux…
Dimitri traversa la cour devant le réfectoire, puis contourna l’étang pour sortir, quand il vit une silhouette colorée lui bloquer le passage, entouré des chats et des chiens habitants le monastère.  Ses cheveux roux prenaient une teinte plus douce sous la lumière tamisée de la lune, retenus autour de son front par un bandeau décoré de clochettes, sa tresse entourant ses épaules jusqu’à tomber au sol, habillé de feutre et de cuir colorés et brodés, avec une grande veste croisée sur sa poitrine, d’un pantalon épais et de bottes remontant jusqu’à ses genoux, un habit idéal pour un cavalier. Une longue canne reposait aussi sur son épaule, également agrémenté d’une clochette teintant dans la brise de la nuit. Une longue queue de renard dépassait de sa tunique, sa face était couverte de poils aussi roux que ses cheveux, ses ongles semblaient plus durs de loin…
L’homme coloré semblait bavarder avec les animaux tout autour de lui, mais il redressa la tête dès que Dimitri s’approcha, demandant dans une sorte de latin avant de répéter en fodlan avec un très fort accent.
« Qui est là ? Je sens qu’il y a quelqu’un… il prit appui sur sa canne pour se relever, demandant encore. Il y a quelqu’un… ne vous en faites pas, je jure devant les dieux que mes attentions sont pacifiques… il tourna la tête vers Dimitri, même s’il ne répondait toujours rien. Je crois que vous êtes là… je sens votre odeur dans ce sens-là…
Ses yeux étaient ouverts mais, ils ne voyaient rien. Ses yeux et sa cornée étaient opaques, recouverts d’un voile brun teinté de rouge… cet homme était complètement aveugle… et s’il se fiait à sa dernière rencontre nocturne ressemblant à quelqu’un qu’il connaissait, Dimitri devinait sans trop de problème à qui il avait à faire.
– Tu es Gautier, n’est-ce pas ? Que veux-tu ? Et comment peux-tu parler notre langue ? Tu es mort depuis des siècles…
– Tiens, ta voix ressemble beaucoup à celle de Simplex mais, on dirait que tu n’as rien mangé depuis des jours… elle sonne creuse… ou tu es beaucoup plus vieux… enfin, je me comprends pour le coup… et oui, c’est bien le nom de ma famille, je m’appelle Atta Gautier Loquax et ne te gênes pas, tu peux m’appeler Loquax. C’est peut-être parce que je suis doué pour apprendre d’autres langages et que j’aime discuter si j’arrive à parler ta langue, même si l’histoire durerait toute la nuit je pense… enfin, je ne suis que de passage. Après tout, nos pas nous mènent n’importe où et peuvent nous faire croiser n’importe qui.
– Alors, que me veux-tu ? Tu es comme Fraldarius ? Vas-tu me faire la leçon aussi ? Si tel est le cas, tu ne comprends pas, je dois le faire.
– Non, je ne le ferais pas, savoir ce que tu dois faire à ta place alors que je ne te connais pas serait présomptueux de ma part. Mmmhhnn… peut-être que je cherche tout de même un peu mon chemin… un chat m’a dit qu’ici, il y avait un lieu béni par une déesse. Si cela ne l’offense pas, je serais curieux de m’y rendre mais, j’ai du mal à m’orienter, cet endroit est construit étrangement… puis-je te demander de m’accompagner ? Je te laisserais vaquer à tes occupations après, je te le promets. J’ai juste besoin d’un bras et d’yeux qui me guident.
Son père lui hurlait de le laisser se débrouiller, qu’il n’avait pas à l’aider et qu’il devrait savoir se débrouiller tout seul avec sa cécité… il le hurlait si fort, voulait tellement qu’il…
« Tu crois que c’est ce qu’ils voudraient ? »
La voix impérieuse d’Ingrid résonna dans ses oreilles, sûre d’elle et autoritaire, ses plumes de pégases et autour de son œil se hérissant de colère en le voyant tenter de partir accomplir son devoir, dont envers son fiancé… mais d’un autre côté… Lambert ne dirait jamais ça dans son état normal… mais il n’était pas dans son état normal… il était mort… mort assassiné… sa tête n’était plus sur ses épaules mais sous son bras… il était mort horriblement alors, c’était normal que même lui soit dévoré par la haine… c’était normal qu’il soit dévoré par la haine… c’était normal pour tous… c’était normal que…
– Je te sens troublé, reprit Loquax, sa voix toute douce comme pouvait parfois l’être celle de Sylvain quand il s’inquiétait. Si tu es occupé ou que ma demande te gêne, je comprendrais et ne t’en fais pas, je me débrouillerais… ce village ne doit pas être construit si différemment de la ville de la reine…
– Non, ne put s’empêcher de dire Dimitri en le voyant se détourner, ne voulant pas qu’il parte tout de suite sans trop savoir pourquoi. Je t’accompagne… ce ne sera pas long, la cathédrale est à cinq minutes de marche, dix s’il marche vraiment lentement… je pourrais vite accomplir mon office.
Loquax sourit, soulagé d’avoir un peu d’aide. Il tendit sa main en cherchant le bras de Dimitri mais, ce dernier la mit directement sur son coude pour lui éviter de chercher dans le vide. De la fourrure rousse les recouvrait, et des griffes remplaçaient ses ongles mais, il fit tout pour que seule la partie tendre le touche, lui épargnant les pointes dures. Déesse, comment quelqu’un qui semblait être aussi doux pouvait-il être le Protecteur Sauvage, le guerrier féroce qui broyait tous ceux qui s’approchait trop près de son peuple ? Cet homme semblait être tout l’inverse des légendes autour de lui…
– Tu es donc très maigre, même si tu as aussi beaucoup de force, ce n’était pas l’âge… déclara-t-il en sentant les os sous les muscles de son bras, un air triste se gravant sur ses traits expressifs sous la fourrure. Les temps sont durs… j’ai un peu de nourriture dans mon sac, je peux partager si tu veux, je mangerais l’herbe que je sens autour de nous.
– Ce n’est pas la peine, se serait gaspiller de la nourriture de me la donner, je n’en ai pas besoin, rétorqua Dimitri. Garde-la pour toi.
– Tout être vivant a pourtant besoin de manger, tu risques de tomber malade ou de mourir si tu manges mal… je suis sûr que beaucoup de monde serait triste s’il te perdait… et ne t’en fais pas pour moi, à force de me transformer en cheval ou en cerf, j’arrive à digérer l’herbe et les feuilles des arbres, je peux me passer de la nourriture normale.
– Je ne mourrai pas avant d’avoir accompli ma mission. Ce n’est pas important pour l’instant. Attention aux marches, le prévient-il, voulant couper la conversation avant que Gautier n’aille trop loin.
Loquax fit buter sa canne contre les marches de l’escalier, tapa un peu dessus et autour pour voir ce que c’était puis, suivit le rythme lent de Dimitri pour grimper, attentif à ce qui l’entourait, ses oreilles n’arrêtant pas de bouger dans tous les sens sur le côté de son crâne.
– Hum… tu as donc une mission, souffla-t-il en avançant prudemment. Elle doit être très importante si c’est ta raison pour continuer à manger. Est-ce que cela veut dire que tu arrêteras de manger une fois qu’elle sera accomplie ?
– Tu n’arrêtes donc jamais de parler, grogna-t-il, ne voulant pas répondre à cette question, ça ne le regardait pas.
– Ah ! Ah ! Rit-il de bon cœur, et c’était encore le rire de Sylvain. Effectivement, je suis une véritable pie ! Je parle tout le temps ! C’est pour ça qu’on m’a surnommé Loquax, je suis horriblement bavard et je n’arrête pas de poser des questions. Le seul moment où je ne parlais pas, c’est quand j’ai perdu la vue jusqu’à ce que Régina ne me sorte de mon mutisme.
– Régina ? Et tu as perdu la vue ? Comment tu t’es débrouillé pour ne plus rien y voir ? Je croyais que c'était de naissance, tes yeux n'ont pas l'air si endommagé que ça.
– C’est ma meilleure amie, et mon épouse. C’est une femme extraordinaire avec une volonté de fer, elle m’a beaucoup aidé quand j’en avais le plus besoin. C’est avec elle que j’ai réappris à me déplacer même sans mes yeux par exemple, elle allait jusqu’à se bander les yeux pour voir comment je percevais les choses et mieux comprendre, ronronna-t-il comme un chat. Et oui, j’ai perdu la vue… j’étais encore brulant de fièvre à cause de mes entrainements de sorcellerie, j’ai essayé de découper un de nos moutons pour cuisiner, sauf que je tremblais trop… j’ai échappé mon couteau qui est parti se ficher dans mon œil… on a tenté de le soigner mais, la plaie s’est infecté et a fini par contaminé mon autre œil… les dieux soient loués, et surement merci à ma sorcellerie, j’ai survécu à l’infection mais depuis, je ne vois plus rien… je voyais surement autant que toi avant… même si on dirait que tu as une faiblesse du côté droit, fit-il remarquer. Tu prends toujours plus de temps quand il faut tourner dans cette direction… tu voies mal de ce côté-là ? Si ce n’est pas trop impoli ou indiscret, se corrigea-t-il.
– Au point où on en est… Je n’ai plus d’œil à droite. Un coup de lance au visage, j’ai arraché l’œil avant de finir comme toi quand il a commencé à noircir, j’ai trouvé de quoi soigner l’infection trop tard.
– D’accord, cela a dû être douloureux… tu devrais essayer de boire beaucoup de lait. J’ai entendu dire que quelqu’un qui ne mangeait rien d’autre que de l’avoine avait perdu la vue et plusieurs autres sens. Raison de plus pour manger un peu.
– N’insiste pas, rétorqua-t-il.
– Je peux toujours tenter, souligna Loquax. Et je comprends mieux pourquoi tu marches ainsi. Est-ce à cause de cela que tu manges si peu à part pour ta mission ?
– Comment ça ? Cela n’a rien à voir. À part si c’est une punition pour avoir tant tarder à accomplir la vengeance des morts…
– D’accord. C’est peut-être moi qui pense à ta place pour le coup. Je me sentais tellement inutile quand j’ai perdu mes yeux… aveugle, comment pouvais-je aider mon groupe ? Je pouvais à peine monter à cheval, je ne pouvais plus sculpter, je m’inquiétais de ne plus pouvoir garder les moutons ou les tondre, encore moins les chevaux… j’étais persuadé que je ne pouvais plus que baratter le lait, ce qui est un devoir important mais, je ne voyais vraiment pas comment être utile aux miens ainsi… même si je détestais déjà la violence, je pensais même que je n’étais pas utile car je ne pouvais plus me battre ou chasser… Ce n’est que quand j’ai réappris à me déplacer normalement que j’ai pu retrouver ma place en faisant ce que je savais le mieux faire, parler avec tout, humain comme animaux. » Un grondement amusé sortit de sa poitrine alors qu’ils arrivaient sur le pont de la cathédrale. « J’avais tellement la tête dans le sable de ma tristesse que je ne pensais même plus à ce que je préférais faire…
– Tu avais quel âge ?
Dimitri n’aurait pas dû poser cette question. Loquax semblait prêt à enfin se taire et à marcher en silence, ils étaient pratiquement arrivés à la cathédrale en plus mais, sans vraiment savoir pourquoi, il voulait encore l’entendre. Peut-être parce que la voix du Brave couvrait celles des morts, balayant leurs suppliques et leurs ordres avec ses intonations douces et calmes, peut-être aussi parce que ça faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé aussi longtemps à quelqu’un qui ne lui ordonnait pas de ramener la tête d’Eldegard… c’était… agréable… même s’il ne méritait pas autant d’attention…
– J’avais « vu » seize étés. J’étais encore plus frustré de me dire que je perdais la vue et toute utilité avant même d’être adulte… heureusement que Régina m’a tiré la tête de tout ça et m’a bien aidé, ronronna-t-il encore.
Loquax semblait un peu amusé, comme une sorte de souvenir tendre… il lui racontait pourtant qu’il s’était cru complètement inutile et que jamais, il ne retrouverait ce qui aurait pu le rendre à nouveau utile à son peuple… qu’il vivrait à jamais dans le noir sans aucun espoir de retrouver ses yeux… ils étaient complètement morts… pourtant, ils se plissaient dans une expression joyeuse… son visage restait expressif et toujours doux… comme un vieux renard qui écoutaient les autres avec la nostalgie d’une vie bien remplie…
– Toi aussi, tu ne fais pas ton âge, souffla Dimitri en le faisant pénétrer dans la cathédrale. Nous sommes arrivés.
– On me le dit souvent. Merci beaucoup de m’avoir emmené ici… c’est vrai que l’atmosphère est différente ici… on a l’impression d’être dedans et dehors à la fois… cela ressemble bien à un endroit aimé d’une déesse…
Il le lâcha, avançant avec prudence en esquivant les gravats que rencontraient sa canne de marche, avant de trouver un relief qu’il inspecta du bout des doigts.
« C’est bon ? Tu as assez paressé comme ça ? Laisse-le et va nous venger à présent ! Mon assassine de fille s’éloigne de plus en plus de nous de seconde en seconde ! » S’écria sa belle-mère, sa robe de cendre semblant brûler encore et encore.
« Oui… j’y vais… il n’a plus besoin de moi… songea Dimitri avant de demander, étonné en le voyant se baisser et fouiller dans sa besace. Qu’est-ce que tu fais ?
– Je fais réchauffer ma nourriture, afin de partager mon repas avec la divinité ici présente comme il est de tradition de le faire. J’avoue qu’en plus, je commence à avoir faim. Enfin, si c’est interdit de cuisiner dans sa maison, je comprendrais…
– … non… je reste encore un peu, juste au cas où il aurait un problème. »
Le jeune homme s’avança vers Loquax, ayant sorti une sorte de purée de légumes et de fèves, ainsi qu’une gourde et les bols qui se trouvaient dans son grand sac. Il alluma du feu et plaça un plat de fer dessus, faisant à nouveau cuire ses aliments. Même si la langue de Dimitri était complètement morte, son nez pouvait encore dire que la nourriture sentait bon… un peu étrange mais bon… tout du long, Loquax discuta encore et encore avec lui, lui expliquant sa recette, la manière dont ils avaient troqué les pois et les plantes cultivés avec le village d’un certain Pertinax, en passant par la manière dont on trayait les juments chez lui.
« Que la fumée de notre cuisine rejoigne la Déesse qui habite en ce lieu, et que nous puissions partager ce repas avec elle, afin qu’elle protège notre route… pria-t-il en sortant deux gobelets qu’il remplit du contenu de sa gourde, que Dimitri reconnut comme étant du lait. Vu que tu ne veux manger, laisse-moi au moins partager avec toi un verre de lait. Je l’ai récupéré ce matin, il est encore tout frais, je te le jure.
Le blond comprit à peine lui-même pourquoi il leva la main pour prendre le verre. Les morts levèrent les yeux au ciel, mais Dimitri préféra voir le sourire de Loquax quand il accepta le verre. Il prit alors le sien et le leva en lui souhaitant.
– A notre route à tous les deux et qu’elles soient toujours tranquilles. »
Dimitri se réveilla en sentant encore l’odeur du repas et du lait dans son nez. Encore un rêve étrange… après Fraldarius, Gautier… il perdait tellement de temps… c’était déjà l’après-midi.
« Je devrais y aller… »
« Dimitri ? Tu es réveillé ? Sylvain entra dans la pièce, un grand plateau bloqué sur sa hanche pour libérer son autre main, son apparence de renard laissant place à son visage humain depuis longtemps. Ah ! Tant mieux ! Mercedes a dit que tu t’es réveillé ce matin avant de resombrer direct ! Enfin, c’est mieux vu qu’il faut que tu te reposes.
– Tu es déjà rentré ? Lui demanda-t-il, se souvenant qu’il ne devait revenir que demain.
– Oui, j’ai parcouru ma zone de recherche un peu plus vite qu’on ne le pensait. Être sur quatre pattes, même si elles ne sont pas bien longues, et pouvoir passer sous les buissons sans faire de détour, ça aide, lui assura-t-il. Dans tous les cas, livraison de repas ! Bouillon de la mer au fromage avec du poisson séché façon sreng par nos seigneurs et maitres en cuisine Dedue et Ashe ! Tu as mangé quelque chose ce matin ?
– Non…
Sylvain soupira un peu, son masque joyeux tombant un peu en dévoilant l’inquiétude. Il le reprit vite avant de déclarer.
– Je sais que tu ne veux pas manger plus que nécessaire ou que tu n’as pas faim mais, il faut que tu manges plus… tu as la peau sur les os… déjà que pour l’hygiène, c’est aussi le minimum du minimum, tu vas finir par tomber malade si tu continues… … avale au moins un peu de bouillon histoire de te caler un peu, d’accord ? Même deux ou trois cuillères et une bouchée de poisson, ce serait déjà bien, c’est une recette très nourrissante d’après ma cousine Hlif et mes tantes…
– … d’accord… mais tu peux rester ici ? S’il te plait… lui demanda-t-il.
Le rouquin ne cacha pas sa surprise mais, finit par sourire en acceptant avec joie. Il avait le même sourire que Loquax…
– D’accord, si tu veux ! Tu me laisses juste cinq minutes pour aller récupérer mon repas dans ma chambre ? J’avais prévu d’étudier un peu les rapports des autres éclaireurs mais, ça me semble une bien meilleure option ! Je reviens tout de suite !
… et sa langue bien pendue aussi. Mais Dimitri ne voulait pas que ça s’arrête… rien que quand il se retrouva à nouveau seul dans le silence, les morts recommençaient à grommeler et à marmonner dans ses oreilles… et il avait juste envie d’encore parler à quelqu’un de physique…
Il revient assez vite avec son repas après que Dimitri ait hoché la tête, composé d’un vrai ragout de viande et pas seulement d’un bouillon comme lui. En voyant son œil posé sur son bol, Sylvain le reprit avec amusement, sur le ton de la taquinerie qu’il utilisait depuis toujours, même s’il semblait faire attention à son dos.
– Désolé, faut que tu te contentes du bouillon, c’est pas bon de trop manger d’un coup après une grosse disette et en étant aussi maigre que toi. Faut que tu réhabitues ton corps petit à petit avec des plats qui ne te pèseront pas trop sur l’estomac. T’inquiète, ma mère nous a envoyé un livre de recette de chez elle qu’elle tient d’Arnina, la cuisine sreng est passé maitre dans ce genre de plat. Et ma tante Huld m’a bien dit de manger plus de viande quand je me transforme… et d’expérience, c’est mieux aussi quand je passe ma journée en renard. Déjà que j’ai le dos brûlant… enfin, une petite tête dans l’étang et ça allait mieux. Dans tous les cas, bon appétit ! Je meurs de faim !
– Merci… même si ton dos te fait encore mal. Tu le bouges à peine. La magie sreng semble douloureuse… et comment vont Rodrigue et Félix ?
– Hum… un peu, c’est une grosse question d’habitude. J’ai mis cinq ans avant de pouvoir me transformer et il fallait y aller doucement. Au départ, je ne tenais même pas deux minutes avec juste les capacités d’un renard, alors une transformation entière… ! Enfin, les transformations, une fois que t’es habitué, c’est ce qui fait le moins mal vu que ton corps encaisse pas mal de magie pour te transformer. C’est les autres sorts en dehors du rappel de l’arme qui sont vraiment difficiles à supporter sans être habitué. Tu verrais ma tante Huld et Hlif ! Elles sont couvertes de tatouages des pieds à la tête ! Et Hlif a autant galéré que moi avec ses sorts ! Enfin, le principal, c’est que maintenant, elles peuvent tenir longtemps, même si elles piquent toutes les deux une tête dans l’eau glaciale après. Hlif voulait me rejoindre ici même si là, elle aide Gautier à contrer les assauts de Cornélia. Elle déteste mon paternel et le trouve indigne de ma mère mais, elle veut aussi protéger Fregn et c’est un devoir d’aider les proches chez les srengs, surtout quand les temps sont durs. Pour Rodrigue, il se remet tranquillement, même s’il dort encore mais, c’est normal. Il a épuisé toutes ses forces après tout. Pour Félix, de ce que j’ai compris en revenant, il s’est un peu agité cette nuit mais, Mercie, Marianne et Flayn se relaient pour bien les surveiller au cas où. Pour le moment, l’hémorragie n’a pas repris alors, c’est déjà un bon point. Il faut surtout faire attention à ce qu’il boive beaucoup vu qu’il semble être un peu déshydraté.
– Tant mieux. Hlif… C’est une de tes cousines de mémoire… tu nous as déjà parlé d’elle avant. Tu en as beaucoup…
– Ouaip, c’est la fille de ma première tante Arnina ! On a le même âge tous les deux, et elle adore s’occuper des valravens alors, ça fait des sujets de conversation. Quand j’allais à Sreng avec ma mère, je passais beaucoup de temps avec elle. Tu la verrais sur un valraven, elle est impressionnante ! C’est pourquoi on l’appelle la Hrafn, le corbeau, elle est très douée dans les airs ! C’est vraiment quelqu’un de sympa, et elle voudrait vous rencontrer. J’ai aussi un petit cousin qui a failli me suivre, le petit Hveiti, il est très curieux de Fodlan à force d’en entendre parler mais, il est trop petit pour partir. Tu le verrais, c’est pratiquement un mini-toi ! C’est un tout petit gosse tout blond avec des yeux bien bleu qui colle pratiquement tout ! À chaque fois, il tentait de se planquer dans les bagages pour aller en Fodlan ! C’était son défi à lui ! Il rendait Thorgil folle ! Et beaucoup… oui et non, les srengs ont pas la même définition de la famille. On peut appeler cousin quelqu’un si on se souvient qu’on a un lien de sang avec lui, même si ce lien remonte à dix générations. C’est une expression pour marquer un lien ou de l’affection, même si ça n’est pas forcément de la parenté. Genre, pour un sreng, tu peux appeler Claude cousin vu que vous êtes parents éloignés et que vous le savez. Pour Hlif et Hveiti… il avala un morceau de viande de son ragout avant de reprendre. Enfin… Ludwig dit Hveiti, on l’appelle juste tous par son surnom parce que ça lui va juste comme un gant de s’appeler « blé », il est aussi blond qu’eux, c’est des cousins au sens fodlan du terme… et content de voir que tu manges un peu aussi ! Sourit-il avec joie et soulagement.
Dimitri constata alors qu’effectivement, il avait pratiquement vidé son assiette en écoutant Sylvain bavarder… il s’en était à peine rendu compte, enchainant les coups de cuillères dans le bouillon au fil de la conversation… tout était silencieux aussi. Cela faisait du bien…
– Tu ressembles beaucoup à Gautier tu sais… lâcha-t-il.
– Hum ? C’est-à-dire ? Lui demanda le rouquin.
Dimitri entendit la voix de Glenn revenir, se moquant de lui d’avoir dit ça, qu’il ne le croirait jamais… mais personne ne l’avait vraiment remis en question quand il avait avoué avoir entendu Fraldarius… et Sylvain l’avait souvent cru… pratiquement toujours même… il avait été un des premiers à le croire sur le fait que les duscuriens n’étaient pas responsables de la Tragédie… et lui aussi avait vu Gautier qui lui avait sauvé la vie après que Miklan l’ait abandonné dans la forêt enneigé, en témoignait les petits crocs qui remplaçaient ses canines à présent… peut-être que…
Le blond marmonna alors, devenant aussi bavard que Sylvain et Loquax.
– J’ai vu Gautier pendant mon sommeil… il te ressemblait vraiment beaucoup… et était tout le contraire des légendes…
– Vraiment ? Différent comment ? Le questionna-t-il à son tour.
– Très doux, très gentil et surtout, très bavard… il n’arrêtait pas de parler… il disait lui-même qu’il était une vraie pie… tu lui ressemblais vraiment… mais je suis sûr que c’était lui… même si je ne sais pas comment je l’ai vu…
– Hum… la Lance de la Destruction est appuyée contre le mur qui sépare nos chambres, ça aide peut-être ? En tout cas, je te crois.
– Tu ne me prends pas pour un fou ? S'étonna-t-il tout de même un peu.
– … honnêtement, je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, à part que pour toi, c’est réel, même si ce n’est pas cohérent. Tu as fait des choses vraiment horribles que je ne suis pas sûr de te pardonner… nous mettre en danger comme ça pour ta vengeance par exemple. Mais d’un autre côté, je sais aussi que pour toi, ce que tu voies est réel alors, tu ne mentiras pas là-dessus, et je ne vais pas t’en vouloir de me dire ce que tu vois en étant honnête. Je t’ai toujours cru, je vais pas arrêter maintenant. J’aurais plutôt préféré que tu nous dises avant que t’étais hanté par des fantômes qui te hurlaient de les venger avant, on aurait pu t’aider plus tôt.
– Donc, tu me crois quand je dis que j’ai vu ton ancêtre ? Sans toucher ta Relique ? Et qu’il était totalement différent des légendes sur lui ?
– Oui, je te crois. Je te fais confiance depuis toujours, on est amis tous les quatre depuis qu’on est tout petit, et j’ai pas envie de m’arrêter maintenant. De toute façon, je te suivrai jusqu’au bout, lui assura-t-il avec un peu de désinvolture dans sa voix mais, elle disparut vite sous le sérieux. Déjà, je me dis que c’est une bonne chose si tu avoues ce que tu vois. Pour moi, si tu affrontes ce que tu vois et que tu vas de l’avant, ça me va, ça me donne envie de te donner une seconde chance.
– Hum. Qui te dit que j’abandonnerais ma vengeance ? Elle devra bien être accomplie un jour ou l’autre, les morts doivent bien finir par reposer en paix ! S’exclama-t-il, presque autant pour se l’affirmer à lui-même et s’en reconvaincre tout seul.
– Si tu repars direct sur ça aussi… enfin, et si pour commencer, tu relevais un défi ? Lui proposa le rouquin en levant un doigt.
– Un défi… marmonna Dimitri, méfiant de ce qu’il allait dire, le regard dérivant vers Glenn qui lui montrait la porte et tapait dessus pour couvrir leur conversation.
– Par ici Dimitri, je suis là, le rappela tout de suite Sylvain. Il n’y a personne à la porte… en plus, s’il y a quelqu’un que je ne vois pas, il peut aussi entendre que ça te rendra service et que ça ne t’empêchera pas d’accomplir ta vengeance qu’ils désirent tous absolument, lui assura-t-il. C’est juste la manière sreng de faire. Ils font souvent comme ça que quand ils ont des objectifs à réaliser, ils se lancent un défi ou plusieurs pour se motiver.
– Ce serait quoi ?
– Le défi, c’est que tu continues à manger aussi bien que maintenant jusqu’à… hum… disons jusqu’à ce que Félix et Rodrigue se réveillent. Ça leur fera plaisir de te voir un peu mieux nourri alors, ça vaut encore plus le coup que tu acceptes. Qu’en dis-tu ?
– … … … d’accord… si on discute encore.
– Pas de souci, je suis sûr que les autres seraient aussi content de manger avec toi en bavardant ! Lui assura-t-il en souriant.
Les fantômes faisaient toujours du bruit, ils hurlaient toujours leurs suppliques mais, elles semblaient un peu moins fortes… c’était juste un petit temps d’attente supplémentaire et juste pour rassurer Félix et Rodrigue en mangeant un peu plus… Glenn n’aimerait pas les inquiéter tous les deux… il ne devrait pas trop lui en vouloir même s’il le faisait encore attendre… son père aussi… Rodrigue était son ami, tout comme Alix… l’un des jumeaux mourrait, l’autre le suivrait surement de près dans la tombe, encore plus s’il perdait aussi son neveu… cela devrait les calmer s’il voyait les choses comme ça…
*
Tout était noir, sombre… mais aussi calme… comme s’il flottait dans l’eau… son ventre lui faisait mal mais, il le sentait presque plus… la plaie se soignait petit à petit, autant sa peau que ses organes… l’eau faisait du bien…
Il entendait un petit râle.
C’était tout faible, presque inexistant… mais il ne pouvait que l’entendre…
« Mon louveteau… »
Rodrigue entrouvrit les yeux, voyant la forme lointaine de Félix… sa respiration aussi sifflante…
La dernière fois qu’il avait entendu ses râles, c’était quand il était brûlé par ce monstre d’Arundel… ils avaient eu si peur… toutes ses brûlures atroces… il avait failli… heureusement que Fraldarius avait… mais pour ça…
Aucune lumière dorée n’était près de son fils…
Aegis n’était pas avec lui…
Non…
Non… non… il devait…
Aegis devrait être avec lui…
Il l’avait toujours… protégé… même du pire…
Fraldarius tenait à sa famille même par-delà la mort…
Rodrigue se redressa comme il put, se tenant à tout en cherchant où était leur Relique qu’il entrevit près du mur… juste à côté d’une autre Relique mais, elle n’avait pas d’importance… juste…
En boitant de fatigue, il le rejoignit et attrapa le bouclier malgré son poids et le tira comme il put contre lui. Ses jambes tremblaient, comme ses bras, sa poitrine, ses mains, ses os… mais il ne pouvait pas tomber… il devait amener leur Relique à son fils… il en avait besoin.
Le père s’effondra quand il se retrouva à son chevet, mais ce n’était pas grave, il était arrivé… il tira le bouclier sur le lit, puis sous le bras de son petit qui le serra un peu contre lui par réflexe, comme toujours…
« Ça va aller… ça va aller… souffla Rodrigue malgré ses yeux de plus en plus flous, le souvenir de sa propre mère leur disant que ça irait pour les rassurer avec Alix. Tu as toujours été très fort… tu t’es toujours battu… toujours… je t’en supplie, reste encore… il arriva à attraper sa main, sourit en sentant ses doigts se serrer autour. Mon petit louveteau… Félicia… Glenn… veillez bien sur lui… merci pour tout Fraldarius…
– Mais qu’est-ce que… seigneur Rodrigue !
Il entendit la voix du jeune Ashe entrer et ses pas se précipiter vers eux, après la sonnerie d’une cloche.
– Ce n’est rien… souffla-t-il alors que les bras de l’archer l’entouraient. Sa respiration sifflait… il a besoin d’Aegis… il faut lui laisser…
– Euh… d’accord, nous le ferons. Ne vous en faites, on s’occupe bien de vous deux.
– Faites attention à Félix…
Il resombra dans ce sommeil aqueux, sentant toujours la main de son fils dans la sienne.
*
Mercedes se réveilla en sursaut en entendant la cloche d’urgence sonner dans ses oreilles. Elle se mit tout de suite sur ses pieds, encore habillée pour sa garde, prit sa sacoche d’urgence, puis fila en vitesse vers la chambre des Fraldarius. Elle trouva Ashe en train de tenter de tirer Rodrigue sur ses épaules, aidé par sa force d’archer, alors qu’il était accoudé au chevet de son fils.
« Ah ! Mercedes, tu es déjà là ! Souffla-t-il à mi-voix.
– Je suis venue dès que j’ai entendu la cloche. Qu’est-ce qui s’est passé ? Demanda-t-elle en prenant tout de suite le pouls du blessé.
– J’ai entendu du bruit alors, je suis entré et je l’ai trouvé à côté de Félix avec Aegis… il a dit qu’il a entendu que sa respiration était sifflante alors, qu’il fallait qu’il lui donne…
– Une respiration sifflante… répéta-t-elle, pensive.
Elle l’aida à remettre Rodrigue dans son lit, puis retourna auprès de Félix. Mercedes se pencha à côté de lui et écouta son souffle, posa doucement son doigt sur sa gorge pour prendre son pouls. Son cœur battait à toute vitesse, cognant avec force dans sa poitrine mais, cela restait stable avec son état.
Le regard de la guérisseuse se posa alors sur Aegis. Félix le tenait contre sa poitrine comme si c’était sa propre vie, la lueur jaunâtre semblant le protéger. Étant donné qu’il semblait tenir sans, les guérisseurs avaient tenté d’enlever sa Relique pour observer ce qu’il allait se passer. Elle tira alors la couverture, découvrant son dos bandé : sa marque d’énergie brillait légèrement, de l’énergie circulant à l’intérieur, comme si la magie remplaçait le sang… quand elle le frôla, elle avait l’impression de plonger ses doigts dans de l’eau, alors que la peau était très sèche à cet endroit. Félix buvait beaucoup mais, sa peau restait sèche, même s’il n’y avait pas d’autre symptôme de déshydratation. Peut-être que…
Prudente, Mercedes souffla, même si elle ne savait pas si le blessé l’entendrait mais, elle devait tenter. Sylvain et Ingrid lui avait dit qu’il entendait toujours tout quand il était inconscient, et elle avait malheureusement pu le vérifier par elle-même auparavant, même si le doute persistait. Ce serait surement trop brutal si elle ne le faisait pas, ou alors leur ami ne le lâcherait pas.
– Félix… il faut que tu me laisses te prendre Aegis. Je te jure que je te le rendrai presque tout de suite mais, il faut que je vérifie ta respiration. Rodrigue dit qu’elle est sifflante alors, je dois t’ausculter sans ta Relique, surtout qu’elle semble agir sur ton organisme encore plus qu’auparavant. Ce ne sera pas long, c’est promis…
La Déesse soit louée, la guérisseuse arriva à retirer le bouclier des mains de son patient sans trop de difficulté, remerciant aussi l’arme de ne pas l’attaquer. Félix les entendait d’une certaine manière, ce qui était une bonne nouvelle, et même si c’était étrange qu’un bouclier l’écoute, il s’agissait un don de la Déesse, ce n’était pas une arme ordinaire.
Dès que la protection physique de son ancêtre s’éloigna, la lumière dans son dos disparut, la magie dans ses veines semblant se dissiper avec elle et comme Rodrigue l’avait dit, sa respiration devient sifflante, comme s’il était essoufflé. C’était très faible, presque inaudible mais, le râle était bien là…
– Il a bien entendu. On dirait qu’il a du mal à respirer… vu qu’il a perdu beaucoup de sang à cause de l’hémorragie, il doit avoir du mal à en refaire. Il faudra qu’il mange des plats à base de foie et de rognon, c’est très bon pour le sang.
– D’accord, je lui cuisinerai tout ça. Mais comment le Seigneur Rodrigue a-t-il pu l’entendre de son lit ? On l’entend à peine en étant à côté de lui pourtant…
Mercedes fredonna avec un sourire, touchée. Il aimait vraiment son fils de tout son cœur…
– L’instinct paternel je dirais.
*
À nouveau, Dimitri se retrouva à déambuler dans le monastère pendant la nuit mais, il arriva un peu mieux à comprendre que c’était un rêve cette fois. Juste un rêve… peut-être… les morts continuaient à le supplier d’accomplir son devoir de toute façon…
« Juste le temps qu’ils se réveillent tous les deux… jura-t-il. Comme pour les repas et le défi de Sylvain… Rodrigue s’est réveillé la nuit dernière, même s’il s’est tout de suite rendormi… cela ne devrait plus être très long… »
Il déambula sans vraiment d’autres buts que de passer le temps, qu’il soit éveillé ou endormi, quand il entendit un petit fredonnement. Il crut au départ que c’était la voix de Fraldarius, avant de se rendre compte que c’était une voix de femme avec un timbre bien différent du sien. Elle était bien plus légère et semblait un peu se répéter, comme certains danseurs le faisaient pour s’accompagner en absence de musicien.
Arrivant à deviner qui il allait rencontré, Dimitri suivit la voix, et trouva une femme minuscule en train de virevolter entre les grands plans de lin trempés qu’elle étendait, dansant tout en travaillant avec un air joyeux. Elle était minuscule avec de très longues et innombrables tresses rousses qui drapaient chacun de ses mouvements, tout comme son collier où se côtoyaient quatre mains de fer en pendentif où un petit texte était écrit, très semblable à celui de Fraldarius. Sous ses châles à carreaux se dessinaient les contours d’une sorte de squelette extérieur, semblant fait de bois et de racine, l’entourant complètement, rendant sa silhouette à première vue frêle plus solide et forte, bien qu’elle semblât être une danseuse très expérimentée et musclée. Quand il la vit de face, il vit que ses pupilles étaient blanches au milieu des iris viridines mais, il sut assez vite qu’elle le voyait quand elle le fixa et le salua. C’était fou ce qu’elle ressemblait à Annette…
« Dominic j’imagine…
– Suis. Annia Dominica Laeta, se présenta-t-elle surement. Et tu ? Quo nomine es ?
Elle était encore plus dur à comprendre que Fraldarius… son accent était assez différent du sien même s’ils parlaient tous les deux latin normalement, surtout qu’elle s'exprimait très vite. Enfin, s’il était logique, il avait dû lui demander son nom.
– Dimitri…
– No nomen ? Es servus ?
– Je ne parle le latin, et tu es dure à comprendre… je ne comprends à peine ce que tu dis.
Elle fit une petite moue, avant de s’avancer vers lui. Une fois à côté de lui, elle traça des lettres au sol, puis se montra.
– Annia Dominica Laeta, arriva à lire le blond, ce qui la fit sourire qu’il arrive à se comprendre ainsi.
Même si la graphie des lettres avait changé, elle écrivait en majuscule ce qui la rendait plus facile à lire. Elle sourit avant de faire partir un trait de son nom qui se divisa en deux. D’un côté, elle écrivit un nom qui semblait féminin « Livia Justinia Fusca », puis un autre de l’autre côté « Annius Dominicus Messorinus ». De ce nom, elle fit remonter un autre trait avec un autre nom « Dominicus », puis un autre, puis un autre, puis un autre.
Elle pointa alors ce nom en répétant.
– Nomen.
– Tu parles des noms de familles ? … Blaiddyd. Je m’appelle Dimitri Alexandre Blaiddyd.
Elle eut l’air un peu étonnée, puis eut un sourire.
– Sicut Simplex. Nominorat Blaiddyd Simplex. Es…
Elle commenta quelque chose mais, elle parlait trop vite avec un accent trop fort pour qu’il comprenne quoi que ce soit… mais il la laissa faire, sa voix était apaisante et chassait un peu les fantômes.
Dominica… ou plutôt Laeta si son nom fonctionnait comme celui de Loquax, finit par fixer sa tête, l’inspectant de la tête au pied, avant de grimacer et de dire quelque chose qu’encore une fois, il ne comprit pas. Elle dut s’en rendre compte car, elle répéta mais, en faisant mine de se gratter de partout, avec des poux qui sautait sur ses bras et ses cheveux.
– Ce n’est pas important. Ce serait gaspillé du savon de l’utiliser pour moi.
Elle ajouta autre chose en faisant un signe de cercle avec son doigt, mimant une puce sauter sur son autre main et la gratter à son tour. Laeta sortit alors un grand peigne de sa ceinture, mima de l’utiliser sur elle puis le pointa lui. Elle mima autre chose qui devait être le fait de se savonner vu le contexte mais, il était bien incapable d’en être sûr…
« Après manger autant, tu veux qu’on te pomponne ? Tu ne mérites pas, arrête de lambiner et va nous venger. »
Le sermon des morts résonnait dans ses oreilles, répétant encore et encore la même chose. Ils avaient raison, il ne méritait aucun soin et gaspillait assez le temps et la nourriture des autres. Il devrait envoyer à Némésis le défi de Sylvain et repartir les venger immédiatement…
Mais Laeta le regardait avec une telle insistance, son peigne en bois dans les mains…
Elle ressemblait tellement à Annette quand elle voulait quelque chose et qu’il était impossible de lui dire non…
C’était de famille visiblement…
– Bon, céda-t-il. D’accord, je veux bien que tu me peignes…
Elle sourit en lui faisant signe de se baisser, étant beaucoup plus petite que lui. Elle devait faire la même taille qu’Annette… elle avait la même énergie et bonne humeur qu’elle en tout cas.
S’asseyant en tailleur à côté d’elle, Laeta passa dans son dos pour le peigner plus facilement. C’était presque comme à Gronder… après le premier coup, il était à genoux… c’était mérité… cette fille n’avait fait que réclamer justice pour son frère… il méritait toute sa fureur… et il s’était agenouillé, prêt à recevoir sa juste punition… un deuxième coup de poignard qu’il savait mérité… c’était son juste sort… jusqu’à ce que l’ombre de Rodrigue se…
Le léger tirement du peigne dans ses cheveux l’arracha à ses ruminations, entrecouper parfois de doigts qui farfouillait entre ses mèches pour l’épouiller ou ce qui ressemblait à une petite pince pour tirer des tiques, accompagné du bavardage de Laeta. Cela faisait longtemps que personne ne l’avait peigné… il l’avait fait lui-même depuis toujours, même si sa nourrice ou ses parents le coiffaient parfois pour les occasions importantes où il devait être apprêté. Un souvenir aqueux sortit de ses mèches, son père qui rit un peu d’une bêtise qu’il avait faite à Fhirdiad avec Félix et qui les avaient complètement ébouriffés… peut-être qu’il avait essayé d’utiliser la magie de vent ? Félix était autant un magicien qu’un épéiste avant la mort de Glenn, imitant Rodrigue pour manier aussi bien la magie que lui alors, ils avaient pu essayer de faire de l’aéromancie… il revoyait Rodrigue prendre Félix sur ses genoux, passant doucement un peigne dans ses cheveux après une petite leçon, tout comme Lambert le faisait aussi avec lui… le mouvement régulier du peigne dans ses mèches pour enlever les nœuds… c’était apaisant.
Laeta parlait tout du long qu’elle passait les petites dents souples dans les cheveux de Dimitri, comme si elle n’aimait pas le silence comme Loquax. Son ton était assez joyeux mais à un moment, il devient plus sombre, nostalgique mais lourd, comme si elle remuait des souvenirs durs.
– Je ne comprends toujours rien de ce que tu dis mais, tu as l’air de parler d’une mauvaise période de ta vie… je suis désolé pour ce qui t’es arrivé…
Dimitri ne savait même pas pourquoi il avait dit ça… il ne comprenait rien, elle aurait pu parler des pires idioties du monde qu’il n’aurait pas fait la différence, et ça ne le regardait pas, il devrait penser à sa vengeance uniquement et pas se soucier de ceux qui le ralentissait… mais il n’avait pu s’en empêcher, sentant que c’était quelque chose d’important pour Laeta.
Il sentit son sourire en demi-teinte derrière sa tête, avant qu’elle reprenne. Le ton était sérieux mais, plus elle avançait, plus ses mots semblaient gorger d’espoir avant de finir sur une joie qui ressemblait à une délivrance…
Elle finit par retourner à ses côtés, faisant onduler les dents de son peigne pour nettoyer les restes de vermines. Dimitri passa ses doigts dans ses cheveux… ils étaient de nouveau plutôt doux et en ordre, autant qu’il était possible… on lui avait toujours dit qu’il avait la crinière d’un lion, comme sa mère biologique, Héléna… ça grattait moins… c’était agréable…
Laeta déclara quelque chose qu’il ne comprenait pas mais, à son visage, cela semblait être un bon souvenir. Elle fit alors un geste de peigner quelqu’un dans le vide, ainsi que le fait que quelqu’un d’autre la peigne, son visage exprimant toute l’affection pour les personnes qu’elle mimait, des mots remplis de douceur quittant ses lèvres, ses mains finissant sur son cœur, attrapant ses mains en pendentif avec affection.
« Je crois que j’ai compris ce que tu dis… » souffla Dimitri en se réveillant dans son lit.
Il se redressa, sa blessure lui permettant de plus en plus de mouvements, bien qu’ils restaient douloureux. Se mettant sur ses pieds, il se dirigea vers son bureau, chercha dans les chiffons dont il se servait pour entretenir ses armes et ses cuirs, ainsi que son matériel de pansage, où il trouva un peigne pour la crinière des chevaux. Il enleva le crin qui se trouvait encore entre les dents, avant de les faire onduler afin de faire tomber la poussière dessus, travaillant méticuleusement afin de ne pas casser les petites tiges de bois toutes fines.
Il finissait de le nettoyer quand Annette entra avec Ashe, lui apportant tous les deux son repas avec le leur. Comme tout le monde depuis quelques jours, il les voyait comme des humains et plus comme des animaux… il ne savait pas trop pourquoi ou s’il fallait remercier Loquax pour cela…
« Ah ! Bonjour Votre Altesse ! Vous êtes déjà réveillé ? On vous apporte le petit déjeuner ! Et on peut rester pour discuter si vous voulez, lui proposa Ashe, plus timidement que Sylvain et Ingrid qui venaient toujours sans hésiter manger avec lui.
– Oui, merci.
– C’est normal ! Sourit la magicienne en entrant un peu plus. Vous avez ressorti un peigne ? Demanda-t-elle en le voyant avec le petit instrument à la main.
– Oui… hum… pour mettre de l’ordre sur… enfin, pour mettre de l’ordre pour faire simple… marmonna-t-il. Les rivières ne sont… peut-être pas les meilleurs endroits pour se laver…
S’il voulait bien dire ce qu’il voyait en rêve à Sylvain ou à Ingrid si l’occasion se présentait, il n’était pas prêt à le faire avec Annette et Ashe. C’était juste… pas le moment.
– D’accord ! Il faut dire, ça doit être bien emmêlé ! S’exclama-t-elle, toute contente de le voir accepter de prendre soin de lui. Par contre, il vous faudra un peu d’aide pour vous nettoyer correctement après tout ce temps… En plus, vous êtes encore faible et très maigre, il faut faire attention, ajouta-t-elle plus doucement.
– Je demanderais à Sylvain ou à Dedue s’ils peuvent vous aider mais, je suis sûre qu’ils seront d’accord ! Assura Ashe. Vous devriez être plus à l’aise avec eux.
– Je peux aussi vous peignez si vous voulez en attendant, proposa à son tour Annette. Ça permettra de dégrossir un peu !
– D’accord, accepta Dimitri sans trop de souci, l’enthousiasme de ses deux cadets couvrant les soupirs de consternation des fantômes.
Ils s’installèrent tous les trois pour manger, Ashe et Annette bavardant des dernières nouvelles du monastère et de leur armée. La nourriture disparut toute seule au fil de leur voix, avec aucun bruit de fond qui les gênait.
Quand ils eurent fini, Ashe repartit avec les plateaux vides chercher Sylvain ou Dedue. Annette l’emmena alors devant sa chambre, le faisant asseoir dehors, devant sa porte, pour éviter de mettre des parasites à l’intérieur, puis prit une minute pour aller récupérer un peigne en meilleur état dans sa chambre, ainsi qu’une petite pince et un petit récipient pour mettre les lentes. Elle inspecta le cuir chevelu pour enlever les tiques qui s’y accrochait, avant de passer le peigne tout doucement en fredonnant un air connu à Faerghus. C’était apaisant…
« Annette… finit-il par murmurer.
– Oui Votre Altesse ?
– Je voulais te demander pardon… pour avoir été aussi froid et négligeant avec toi… avec vous tous… j’ai été odieux et méprisable… tu avais raison quand tu disais que nous devions nous soutenir… j’ai dû te faire beaucoup de peine… je le regrette… je comprendrais si tu ne me pardonne pas… je l’aurais mérité…
– Hum… c’est vrai que ça a fait mal quand vous l’avez dit, avoua-t-elle, la voix sombre et lourde comme celle de son ancêtre. Mais si vous regrettez, je veux bien vous donner une autre chance ! J’ai envie de plus vous connaitre, et de vraiment vous connaitre ! Alors, je suis heureuse de vous voir aller mieux et de pouvoir bavarder avec vous ! Lui assura-t-elle avec son ton joyeux et gai.
Les fantômes levaient tous les yeux au ciel, semblaient lui hurler quelque chose, réclamant surement encore et encore leur vengeance mais ainsi, avec Annette à ses côtés… avec tout le monde à ses côtés… ils semblaient moins insistants… cela pouvait continuer encore un peu… au moins jusqu’à la fin de son défi et quand le seigneur Rodrigue et Félix seront complètement rétabli… c’était une bonne échéance…
Annette avait presque fini d’enlever le plus gros des nœuds, lorsqu’Ashe arriva avec Sylvain qui l’accompagna jusqu’aux bains et l’aida à se nettoyer. Cela ne le gênait pas trop, ils se connaissaient depuis trop longtemps pour être vraiment incommodé et ils s'étaient déjà baignés ensemble en été… la seule chose qui le gênait à présent, c’était de montrer à quel point il était squelettique mais, le rouquin ne fit aucune remarque, ni aucun commentaire. Il l’aida juste à enlever la crasse et les parasites sur lui sans rien dire de plus, à part lui demander s’il ne lui faisait pas mal.
Quand ils ressortirent, Dimitri avait des habits en bien meilleur état que ceux qu’il se bornait à mettre d’habitude, et il ne portait pas d’armure. C’était des vêtements de rechange de Sylvain, Ashe avait prit tout son linge pour aller le désinfecter et éradiquer tous les parasites qui pouvaient s’y trouver.
« Fais respirer un peu ta peau et ton corps ! C’est pas bon d’être tout le temps enfermé dans une cage en métal ! Tu vas choper des affections en plus si tu continues ! » Lui avait pratiquement ordonné Sylvain, et décidemment Ingrid déteignait sur lui pour ça…
Le bain et la vapeur l’avaient épuisé, pompé ses forces mais, il se sentait bien mieux maintenant qu’il était propre… moins démangé par les parasites… plus léger mais… mais ce qui gênait le plus Dimitri, c’était l’impression d’être presque nu sans son armure… sans cette protection… c’était plus simple d’être complètement enfermé et dissimulé sous l’acier et la toile de sa cape… il se drapa dans son manteau pour se cacher dedans, tout en se tenant un peu à Sylvain pour marcher correctement.
Ils allèrent tous les deux vers l’infirmerie clopin-clopant pour que Mercedes vérifie si sa blessure se refermait bien correctement, quand ils entendirent quelques notes volées. C’était tout faible mais, ils ne purent que reconnaitre ce timbre et d’où il venait.
Échangeant un regard, ils accélérèrent le pas comme ils purent pour monter à l’infirmerie, Sylvain portant même un peu Dimitri afin de gagner du temps et ne pas risquer qu’il tombe dans les escaliers. Quand ils y arrivèrent, ils virent Mercedes, Marianne, Flayn, Manuela et Ignatz dont c’était le tour de garde, attroupés devant la porte avec Ingrid, écoutant attentivement le chant dont les paroles étaient pratiquement toutes claires à présent.
Quand elle les vit, la chevalière leur fit signe d’approcher en silence, puis leur laissa un peu de place pour qu’ils puissent observer à l’intérieur de la pièce.
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Rodrigue était assis à côté de son fils, passant sa main dans ses cheveux, sa voix claire et douce s’élevant sans difficulté dans les airs, chantant les paroles de la berceuse de guérison sans trembler malgré les frissons de faiblesse qui parcourait son corps. Il semblait toujours aussi fatigué mais, il s’était enfin réveillé… enfin…
Quant à Félix, il semblait toujours aussi frêle et fragile, enveloppé dans sa couverture et ses bandages, comme un poisson forcé de rester hors de l’eau trop longtemps… cependant, son visage d’habitude neutre semblait plus calme, comme apaisé par la voix de son père, sa tête serré contre sa hanche, plus proche de lui à l’instant que pendant ses neuf dernières années… il tenait toujours leur Relique contre son cœur, Aegis les baignant de sa lueur protectrice… comme si toute la famille était réunie… il ne manquait plus qu’Alix…
Sylvain et Ingrid jetèrent un regard à Dimitri… cela faisait une éternité qu’il ne l’avait plus vu sourire ainsi…
*
Dimitri n’avait aucune idée du temps qu’il était resté à la porte sans osé entrer. Il avait réglé ce qu’il devait faire avec Gilbert, à part une chose, ce dernier lui ayant demandé qu’est-ce qu’il voulait faire à présent… Dimitri devait avouer qu’il ne savait pas lui-même… les morts lui hurlaient de foncer vers Embarr mais, petit à petit et à sa grande honte, il commençait à se dire qu’il devrait éviter pour le moment, que c’était trop dangereux… il croyait pourtant que c’était ce qu’il voulait aussi… mais maintenant, alors que leurs troupes retrouvaient petit à petit des forces… il ne savait plus… il avait remis ça à plus tard et l’avait aidé avec l’approvisionnement ainsi que la mise en défense du monastère comme il put, aiguillé par Byleth. Elle était souvent passée voir comment il allait mais, elle restait silencieuse la plupart du temps et quand il lui avait demandé pourquoi, elle avait juste répondu.
« Vos camarades vous disent bien mieux que moi ce que je pense. »
Encore une réponse cryptique… au moins, c’était en fodlan…
Enfin, depuis qu’il avait fini son travail avec Gilbert, le jeune homme était là, coincé devant cette porte… ne sachant pas quoi faire ou même dire ou autre chose… Rodrigue s’était enfin réveillé et apparemment, il n’avait pas trop de séquelle, même si sa convalescence serait très longue et que la douleur de la blessure restera toujours, comme un fantôme… est-ce qu’il avait juste le droit de le voir ? Après tout, c’était de sa faute si lui et son fils… lui et ses fils… en étaient là… et que son frère avait été à deux doigts de perdre son jumeau…
« Non… je n’ai pas le droit d’être ici… » songea-t-il en partant.
Cependant, il dut faire du bruit car, la voix usée de fatigue mais douce de Rodrigue s’éleva, demandant.
« Qui est là ? Mercedes ? Marianne ? C’est vous ?
Repéré, Dimitri ne put que se résoudre à entrer, saluant bien bas l’homme.
– Bonjour. Excusez-moi de vous déranger.
Il était assis au chevet de Félix, toujours profondément endormi, Aegis contre lui. Même quatre jours après son éveil, le père était encore fatigué et très pale, chaudement enveloppé dans sa couverture sur sa chaise mais, ses prunelles se posèrent doucement sur lui malgré tout et il lui sourit… des yeux de chat bleu comme de l’eau… exactement les mêmes que ceux de Fraldarius…
– Tu ne déranges pas, lui assura-t-il. Entre donc, cela ne doit pas être bon pour toi de rester debout trop longtemps… tu dois aussi te reposer. Il y a une autre chaise là.
Timidement, le jeune homme prit le siège qu’il lui désignait et s’installa à ses côtés, même s’il resta à une distance respectueuse, ne voulant pas s’imposer, encore moins à cet homme dont il n’avait jamais mérité le sacrifice. Glenn recommençait à s’agiter, furieux qu’il approche de sa famille, crachant ce qui lui restait de sang sur lui… Dimitri pouvait presque sentir les gouttes sur ses mains… cependant, le mort se tut quand son père demanda.
– Comment te sens-tu ? Tes blessures se referment bien ? Je n’ai pas pu te parler depuis mon réveil…
– Oui, elles se referment bien, je ne devrais pas avoir de séquelles à part une légère douleur chronique. Je serais prêt à retourner me battre dans quelques jours.
– Voilà une excellente nouvelle, même si faites attention à ne pas repartir trop tôt. Cela risquerait de les aggraver, lui recommanda-t-il avec prévenance.
– … d’accord. Et… et vous Rodrigue ?
– Je vais mieux. Je suis encore en convalescence pendant un moment mais, je devrais guérir, aussi à part quelques douleurs fantômes. Il faudra aussi que je fasse attention à ce que je mange pendant un temps, l’arme a surtout touché mon estomac mais, heureusement, mes poumons sont intacts. Je ne devrais pas non plus avoir de marque qui apparaissent comme pour Félix, Sylvain, Ingrid ou toi, étant donné que c’est la magie de Félix aidé par Fraldarius qui m’a soigné.
– D’accord, tant mieux… » souffla Dimitri, rassuré pour Rodrigue que ses poumons soient épargnés. Il aimait beaucoup chanté alors, une plaie aux poumons aurait pu entravé sa capacité à le faire. Puis il demanda, plus timide qu’il ne l’aurait voulu. « Et Félix ? … comment va-t-il ?
– L’état de Félix semble stable tant qu’on lui laisse Aegis. Cela a toujours été ainsi quand il était gravement blessé, notre Relique l’a toujours protégé… il est encore très faible mais, guérit et retrouve un peu plus de force chaque jour pour guérir… il est trop attaché à la vie pour la laisser filer ainsi, déclara-t-il, confiant envers son fils. C’est un battant qui ne laisse jamais rien tombé, je sais qu’il n’abandonnera pas aujourd’hui aussi… un sourire nostalgique fleurit sur le visage de Rodrigue, comme s’il glissait dans des souvenirs. Il est vraiment le portrait de Félicia… elle s’accrochait toujours et ne laissait jamais rien tombé, même si son cœur lui interdisait beaucoup de choses… elle ne supportait pas de ne pas aider les autres quand elle pouvait agir, même si cela impliquait de se mettre en danger elle-même à cause de sa santé fragile… Félix est aussi têtu et déterminé qu’elle.
Dimitri voyait à peu près ce que Rodrigue voulait dire. Il se souvenait du tableau de l’épouse de Rodrigue, Félicia… pas de son vrai visage, il ne l’avait jamais connu. Elle était morte en couches après avoir donné le jour à Félix, elle était de constitution très fragile… malgré tout, on leur avait beaucoup parlé de cette femme, les jumeaux les premiers. On la décrivait comme quelqu’un de très joyeux et vif, souvent au mépris de sa propre santé, mais qui n’oubliait jamais d’aider les autres. C’était ce qui revenait le plus sur sa personnalité, un rayon de soleil très inconscient, sauf quand on parlait commerce où elle était très habile et prudente. S’il se souvenait bien de la peinture qui la représentait, Félix était le portrait vivant de sa mère…
– Tant mieux… j’espère qu’il se remettra vite…
– J’en suis sûr. Et toi aussi, tu as l’air d’aller beaucoup mieux.
– Oui, mes blessures se referment bien.
– Je ne parle pas de cela, le corrigea-t-il doucement. Tes joues sont un peu moins creuses et on voie que tu t’es lavé correctement il y a peu de temps. Cela me rassure de te voir prendre soin de toi-même.
– Je ne mérite pas tant d’attention… marmonna-t-il, tous les fantômes hurlant dans ses oreilles, lui rappelant encore et encore sa mission malgré tout, alors que tant d’autres vivants tentaient de la lui faire oublier. Surtout pour la nourriture… si je n’avais pas relevé le défi de Sylvain… ils me le disent bien… tous… ce n’est que de la futilité et du gaspillage de temps et de ressources…
Un air triste apparut sur le visage de Rodrigue, au grand mécontentement de Glenn qui lui reprochait déjà de faire de la peine à son père. Dimitri aurait dû l’écouter et ne jamais venir ici…
– Dimitri… pourquoi serait-ce une perte de temps ? Tu risques de tomber malade à cause des carences ou des vermines si tu ne manges pas plus et que tu ne prends pas soin de toi-même…
– J’ai survécu ainsi pendant cinq ans…
– Et nous t’avons retrouvé comme l’ombre de toi-même, rétorqua l’homme plus âgé. Nous avons déjà eu si peur de t’avoir perdu ou de ce qui aurait pu t’arriver… et quand… Rodrigue secoua la tête. Personne ne veut te perdre, nous tenons tous à toi… il n’aimerait surement pas que je te le raconte mais, malgré tout ce qu’il te disait, Félix aussi était fou de chagrin pendant tout ce temps, même s’il n’a jamais accepté que tu étais mort… il t’a toujours cherché aussi…
– Je ne vous apporte pourtant que des problèmes… la preuve, vous avez tous les deux failli mourir par ma faute… Glenn le dit bien… je ne devrais pas vous approchez… je ne fais que vous mettre tous en danger… tous autant que vous êtes…
– Glenn te dirait donc ça… marmonna Rodrigue avant de le questionner, attentif. Dimitri, et si tu m’expliquais clairement ce que tu vois ? Tu n’en avais jamais parlé avant que nous nous te retrouvions, j’aimerais comprendre plus exactement ce qui t’arrive, si tu veux bien m’en parler.
« N’ose même pas raconter ce que tu voies, il te prendrait pour un encore plus gros taré que tu ne l’es déjà, » lui commanda Patricia mais, malgré tout, les mots coulèrent de ses lèvres.
– Je vois les morts de ce jour-là… partout… tout le temps… tel qu’il était le jour de la Tragédie… mon père décapité qui doit porter sa propre tête… ma belle-mère qui est complètement calcinée pour avoir disparu ainsi… Glenn qui regrette d’être venu à Duscur et de ne plus jamais vous revoir, toi, Félix et Alix… Nicola qui se brise en mille morceaux pour protéger Glenn… Myrina et Kimon qui se font massacrer alors qu’ils tentaient de se protéger l’un l’autre… Frédérique qui tente de fuir avec d’autres membres de l’intendance et appelle ses parents quand des flèches lui traversent le dos… Jacques qui est déchiqueté par la magie… tous les soldats de ce jour… tous leurs visages déformé par la souffrance… tous… tous… tous me réclament vengeance… leur sort a été si horrible… personne ne peut comprendre quelle horreur ils ont vécu… dans quelle horreur ils sont morts… à part moi… je suis le seul à avoir survécu alors… alors que bien plus aurait mille fois plus mérité de survivre… c’est mon devoir de les venger… c’est mon devoir à accomplir après avoir survécu… raconta-t-il en détournant de plus en plus le regard de Rodrigue, n’osant plus le regarder bien qu’il soit incapable de s’arrêter, même si les morts souriaient, ivres de joie constater qu’il n’avait pas oublié son devoir. C’est pour ça que j’ai survécu… c’est pour ça que je dois accomplir la mission qu’ils m’ont donné… qu’ils me rappellent à chaque instant… même maintenant… je ne peux pas les abandonner moi aussi… sinon… sinon… ils… ils ne pourront jamais…
– Tu connais la légende des feux follets Dimitri ?
La question fit taire le blond, ne s’attendant vraiment pas à ça. Il pensait que Rodrigue allait le disputer, le gronder, avoir peur de lui, ou pire ne rien dire du tout, être juste impénétrable comme quand il se disputait avec Lambert… mais non, c’était une question presque au hasard, poser au milieu de sa tirade en toute confiance. Ne pouvant pas faire vraiment autre chose, il répondit, un peu hésitant de ce qu’il allait suivre :
– Bien sûr. Ce sont des feux magiques qui attirent les voyageurs perdus pour les entrainer vers la mort… certains disent que c’est l’âme des morts dans les marécages ou l’eau trouble, et d’autres que ce sont des esprits malins qui s’amusent de la mort…
– Oui, c’est bien ce que dit la légende à leur sujet… … … moi aussi, j’ai perdu mon père de manière violente, il a pris un coup de poignard à la place de Sa Majesté Ludovic pour le protéger… même si j’étais bien plus petit que toi, j’étais encore un enfant qui ne comprenait pas la mort avec Alix. On ne comprenait même pas que la « boite » où il « dormait » était son cercueil, on pensait qu’il dormait dedans quand il est arrivé à la maison… raconta-t-il, un peu perdu dans ses pensées, Dimitri n’osant pas le couper. On ne comprenait pas pourquoi il n’était plus là, pourquoi on n’avait plus notre père, pourquoi des gens s’en prenait à notre mère, on était triste et on faisait tout pour qu’il revienne… même si notre « oncle » Ludovic nous avait dit qu’il était mort comme un vrai chevalier, on voulait juste le revoir une dernière fois…
– Comme un vrai chevalier ? Hoqueta Dimitri en entendant cela, reliant les points entre eux. Et Ludovic… est-ce que…
– Oui, c’était ton grand-père, Alix et moi le surnommions « Oncle Ludovic » quand nous étions petits. On le considérait ainsi, surtout qu’il était très proche de Guillaume, il considérait notre père comme son grand frère… c’est lui qui nous a annoncé sa mort… et nous expliquait ce que s’était en même temps, c’était la première fois qu’on la rencontrait… comme on ne comprenait pas, il a utilisé l’image du chevalier des histoires qu’on lisait, pour qu’on arrive à comprendre ce qui était arrivé à votre père… même si on a mis longtemps à comprendre réellement qu’il ne reviendrait pas… on voulait tellement le revoir… au moins une fois… alors un jour, alors qu’on était tous les deux sur le bord du lac en pensant à lui, on a cru voir sa silhouette au-dessus de l’eau… on était persuadé que c’était Guillaume qui nous disait de le rejoindre… on ne pensait même pas aux feux follets… on pensait que c’était vraiment papa…
– Alors, vous êtes entrés dans l’eau, devina Dimitri.
– Oui, on a avancé jusqu’à en avoir jusqu’à la taille et si notre mère n’était pas intervenue, on serait surement allé plus loin avec Alix… on était persuadé que c’était Guillaume… et quand on s’est débattus pour tenter de le rejoindre en pensant qu’elle ne le voyait pas, elle nous a dit que c’était des feux follets et elle nous a aussi posés une question…
– Et quelle était-elle ? Demanda-t-il.
– « Quel père digne de ce nom mettrait en danger ses enfants ? ». Notre père avait toujours fait passer sa famille avant tout, il ne nous aurait jamais mis en danger ainsi, même si notre envie de le revoir nous l’avait fait oublier… il posa doucement son regard dans le sien, lui demandant avec calme. Qu’en penses-tu ?
Dimitri détourna les yeux, incapable de le fixer. Devant son silence, Rodrigue insista, posant sa main sur sa joue pour le forcer à au moins voir dans sa direction.
– Dimitri, regarde-moi. Penses-tu vraiment que Lambert voudrait que tu coures ainsi à ta mort pour le venger ? Penses-tu que Glenn voudrait que tu meures pour lui ainsi ? Penses-tu que ta tante Myrina et ton oncle Kimon voudrait voir le fils unique de leur sœur Héléna mourir ainsi ? Penses-tu que Nicola voudrait que tu suives un chemin ensanglanté, alors qu’il a aidé Ludovic à détrôner Clovis le Sanglant ? Penses-tu que tous les morts voudraient voir encore plus de cadavres s’empiler ? Que tu risques ainsi ta vie pour eux ? Ce n’est que mon avis mais, je ne pense pas que Glenn souhaiterait un tel sort à qui que ce soit, même à l’être qu’il méprisait le plus au monde. Il t’aimait et te respectait énormément, il n’aurait jamais voulu te faire subir un sort aussi horrible et poser sur tes épaules autant de responsabilités si tôt. Nicola aussi, il n’aurait jamais voulu ça. À la mort de Guillaume, il n’a jamais réclamé une vengeance aveugle, il a toujours voulu la justice juste et réfléchie, pas un bain de sang. Lambert aussi, même si je le trouvais parfois très négligeant sur certains points, ne voudrait jamais que son fils et l’enfant qu’Héléna voulait et aimait tant ne risque sa vie pour le venger…
– Mais… mais c’est ce que je vois ! C’est ce que je vois et j’entends ! Je… je ne peux pas m’en empêcher ! Ils me disent ça ! Paniqua-t-il encore en s’échappant de sa main. Je ne peux que les voir et les entendre encore et encore ! Jamais ils ne me laisseront en paix avant que…
– Je le sais, le coupa à nouveau Rodrigue, son ton calme apaisant un peu Dimitri en voyant que l’homme le croyait. Je sais que tu ne mens pas et que c’est ce que tu vois. Je sais que ces fantômes sont bien réels pour toi, je ne le nie pas non plus. Je te demande juste de réfléchir à ce qu’ils te disent, et de te demander si cela leur ressemblerait vraiment.
– Si ça… je sais que… mais… mais ils insistent tant… Dimitri passa sa main sur son visage, couvrant son œil restant avec ses doigts. Je ne sais même pas par quoi commencer ou comment faire…
– Cela viendra… lui assura Rodrigue en posant sa main sur son bras, faisant un peu glisser sa main de son œil, permettant à Dimitri de voir son sourire et la confiance qui irradiait de lui. Pour cela, tu dois trouver la réponse non pas dans ce qu’ils te disent eux… déclara-t-il en montrant l’espace autour de la tête de Dimitri, avant de continuer en montrant sa tête puis sa poitrine, …mais là, et là. C’est là que trouvera la réponse qui te satisfera le plus.
Le jeune homme posa sa main sur son cœur, regardant Rodrigue, puis Félix qui dormait toujours, puis encore Aegis contre lui, luisant toujours, même si Dimitri y voyait à présent le même éclat que dans les yeux de ses descendants.
« Anima gravissima est… il faut croire que c’est de famille… »
*
La nuit était tombée quand Dimitri se réveilla. Il entendait la musique toute douce d’une flute… s’il se fiait aux précédentes nuits où il s’était réveillé ainsi, alors… alors…
Se levant avec le cœur à la fois rempli d’espoir et d’appréhension, le jeune homme descendit des dortoirs et rejoignit la cour au bord de l'étang où il vit une silhouette toute semblable à la sienne. Le flutiste y plongeait ses jambes, ses braies relevées dévoilant des cristaux de glace qui recouvraient également ses joues, sa gorge et tout le tour de sa tête, comme s’il portait une couronne sous ses très longs cheveux blonds comme les siens. Sa chevelure ressemblait à une rivière d’or interminable, liée dans un chignon qui tombait comme une tresse jusqu’à sa hanche. Mais ce qui l’étonna le plus à part qu’ils se ressemblaient énormément, c’était que c’était impossible de nier qu’un Brave était duscurien… sa peau était aussi noire que celle de Dedue… si la plupart des seigneurs et faerghiens savaient que le Flutiste des Glaces était duscurien, beaucoup le nieraient et diraient que c’était une erreur mais... il sentait son emblème réagir à ses côté… il le sentait jusque dans son sang... et cette mélodie...
L’air se finit sur une note toute douce et tendre, pleine d’affection, puis l’homme le regarda… ses yeux étaient vairons, le gauche azur d’eau entouré de quelques écailles semblables à celle de Fraldarius, le droit bleu faerghien comme les siens et ceux de son père… c’était fou comme ils se ressemblaient tous les deux… Dimitri avait presque l’impression de se voir dans un miroir…
Blaiddyd… » souffla Dimitri sans croire qu’il voyait son ancêtre à son tour et ses propres yeux... ils se ressemblaient tellement…
Il lui sourit en le saluant mais, il avait un accent encore plus fort que Laeta, ressemblant à une sorte de mélange entre le latin et le duscurien, ce qui faisait qu’il ne comprenait vraiment rien du tout à ce qu’il racontait.
Blaiddyd dut comprendre car, il répéta plus lentement, même s’il avait beaucoup de difficulté.
« P… pardonne… parle très mal tes mots… comprendre, oui… parler este difficile… bon jour faste… nom à moi este Blaiddyd Simplex. Ete tu ?
– B… bonjour à toi. Je m’appelle Dimitri Alexandre Blaiddyd… et tu parles plutôt bien ma langue, lui assura-t-il, même si le jeune homme se doutait qu’il aurait plus de mal s’il ne maitrisait pas le duscurien, son ancêtre parlant avec un accent très prononcé proche de ce langage.
Simplex sourit et lui fit signe de s’asseoir à côté de lui, commentant quand il le vit ramener ses jambes sous lui plutôt que les plonger dans l’eau.
– Eau froide… este bon après travail… moutons marchent beaucoup… pieds font mal à la nuit. Eau froide oublie douleur, et rappelle bons souvenirs.
– Tu es berger ? Et des bons souvenirs ? Que veux-tu dire ?
– Oui. Depuis toujours… mais maintenant… berger pour moi… pas pour maitre… et oui… avec… avec personnes très importantes pour moi, Laeta ete Pertinax », déclara-t-il en prenant son pendentif, un peu enfoui sous son grand châle mais, qui était le même que ceux des ancêtres de Félix et Annette : un fil avec quatre plaques en forme de main ouvertes, ainsi que des phrases gravées dessus dans deux alphabets différents. Ils avaient donc bien les mêmes car ils étaient amis. « Après journée dure, toujours dedans la rivière pieds mettaient…
« C’est vrai que selon les légendes, il est né esclave avant de se libérer avec Fraldarius et Dominic… songea-t-il au mot de son ancêtre. Il s’appelle Simplex on dirait… Loquax le connait donc aussi… si ce n’est pas un nom courant… il faut dire, leurs peuples sont voisins, ils ont dû se croiser… »
– Este comme musique, continua-t-il en posant sa flute sur ses genoux. Bons souvenirs ensembles… un commun amour pour musique… Pertinax a très beau chant… Laeta este meilleure danseuse… ete moi joue… … … …
Il hésita en lui montrant son instrument, visiblement hésitant et ne sachant pas quel était le bon mot. Il ne devait pas l’entendre souvent.
– Une « flute » ?
– Esse ! Une flute ! Flute aide à… enlever problème du cœur et… le ranger pour réfléchir… ete es une passion libre cum… aouec eux. Ete tu ? Commente te sense tu ?
Le jeune homme hésita, ne voulant pas répondre au début, avant de se rendre au regard attentif de Simplex. Après tout, parler avec tous les autres braves l’avaient aidé jusque-là…
– … je ne sais plus où j’en suis… avoua-t-il. Mais… mais à chaque fois que rencontre l’un d’entre vous… vous… vous semblez détenir toutes les réponses… alors… est-ce… est-ce que je peux t’en parler ?
– Toutes les réponses personne ne les a, même tous les dieux… mais veu bien t’aider… autant que moi pe… lui assura-t-il, attentif, posant sa flute à côté de lui pour mettre ses mains sur ses genoux.
– Je… je n’arrête pas de les entendre… les morts me réclament tous leurs vengeances, de combler leurs regrets en les vengeant tous pour leurs morts affreuses… ils me le répètent encore et encore…
– Tu voie toi comme ministre morts ?
– Le ministre ? Que veux-tu dire ?
– Oui ? Ministre, personne qui sert autres personnes, expliqua-t-il, Dimitri comprenant que son ancêtre s’était surement fait avoir par un faux ami pour « serviteur ». Ou arme morts ?
– Hum… si on veut pour les deux… après tout, ils ne peuvent plus rien faire d’eux-mêmes, ils ne peuvent pas plus assouvir la vengeance qu’ils me réclament tous tant… je l’ai dit à Ingrid et elle ne l’a pas compris mais, il revient aux vivants d’hériter de la volonté des morts… et il me revient comme seul survivant de ce massacre de les venger…
– Hum… mon sens m… mêh ? Mais ? Mai, sens de tes mots à mèh… mèh… aures, se rendit-il en montrant son oreille. Sens de tes mots a mèh aures comme esclaves des morts tu te considères toi… considères comme esclave de maitres morts…
– Leur esclave ? Que veux-tu dire ? Se redressa un peu Dimitri pour le regarder quand il entendit sa voix triste.
– Esclave este bétail… esclave este objet… humain sans être humain… vie esclave este au maitre, pas à esclave… esclave parfait este objet sin… sans âme ete esprit… raconta-t-il avec ses mots hachés et hésitants mais, le jeune homme pouvait voir toute la peine et le vécu à l’intérieur, Simplex parlant de quelque chose qu’il connaissait que trop bien. Toi et tu mots di… dicez obéir à ordres morts… mais mon sens de tu mots este obéir sans penser… armes sont objets… si lance tu esse, objet esse tu ?
– Cela ressemble un peu à ce que disait Rodrigue… à ce moment, si c’est ce qu’il faut pour les venger, je l’accepterais de l’être… … … enfin, c’est ce que je pensais… mais depuis que… depuis Gronder… je doute… je pensais que tous ces gens étaient morts pour moi et m’imposaient alors de survivre pour les venger mais, Rodrigue s’est sacrifié pour me sauver en disant qu’il le faisait pour ce en quoi il croyait et que ma vie m’appartenait… pas à quelqu’un d’autre… puis Félix a mis sa propre vie en jeu pour sauver celle de Rodrigue, même si cela le faisait souffrir et qu’il risquait sa propre vie…
– Ami Félix este pareil Pertinax, sourit Blaiddyd, faisant danser un peu ses mains jointes sur son cœur pour mieux se faire comprendre. Aime son paire ete famiye.
– Oui… il a toujours aimé sa famille plus que tout au monde… même si Glenn me hurle de ne plus les approcher car je les mets en danger, je ne peux pas m’en empêcher… tant de personnes m’ont également dit de vivre et tous leurs mots disent le contraire que ceux des morts… Ingrid, Pertinax, Loquax et Sylvain, Laeta, Annette et Ashe, Rodrigue quand il s’est réveillé, maintenant toi et tant d’autres personnes… tous me disent de vivre…
– Personne n’aime voir ami mourir… même a… après longue vie… amis t’aiment beaucou… lui assura-t-il.
– Je sais… mais… mais malgré tout ça… les morts sont encore là, réclament toujours encore et encore… alors… alors, toi qui es un Brave… dit-moi comment faire ? Comment puis-je mettre fin à leurs lamentations ? Comment puis-je… Comment puis-je les sauver ? Depuis ce jour, il y a neuf ans... je n’ai vécu que pour les venger. Même les journées passées à l’Académie des officiers avaient pour but d'accomplir ma vengeance et de les libérer de leurs regrets. C’est la seule raison pour laquelle j'ai continué à vivre… La seule raison qui me poussait à continuer…
– Morts sont mort. Mort ne rend rien. Maintenant, aouec autres morts ete dieux à eux. Mort à eux pas ta faute. Dans mon peuple, aide mort en mangeant aouec ete les oubliant pas sous souvenirs ete tristesse… souvient bons moments, souvient mauvais moments autant… mort este viouant avant, viouant este difficile à expliquer avec bon ete mauvais face… este comme neige… neige repose sols en hiver mais, tue aussi vivants avec froid… tu esse comme neige. Aouec bons et mauvais faces. Morts que tu aimes comme neige, aouec bons et mauvais faces. Ta vouie este comme neige… beaucoup de mauvais jour mais, aussi bons, avant mais, demain este jour faste…
Il posa sa main sur une de ses jambes, le tira un peu pour qu’il la déplie et la plonge dans l’eau, puis l’encouragea à mettre l’autre. L’eau était gelée et ses jambes de pantalon trempées mais, en même temps, c’était agréable… comme si la douleur était trop lourde et tombait au fond… il comprenait pourquoi après une longue journée de travail, surement affamés, maltraités, considérés avec autant d’attention que le bétail qu’ils gardaient, son ancêtre et ses amis allaient plonger leurs pieds dans l’eau…
– Ta journée atroce este longue comme annés mais, journée atroce peut s’arrêter… assez souffert tu as… ete te pardonner en ce jour… droit at repos ete paix…
– Me pardonner ? Le repos et la paix ? Répéta-t-il sans y croire, encore plus quand Simplex hocha la tête en souriant pour confirmer. Mais… mais alors… qu’est-ce que…
Dimitri se maudit lui-même en se réveillant en sursaut dans son lit. Il se réveillait toujours d’un coup après ces rêves étranges avec les Braves mais, c’était la première fois que c’était aussi brutal. Il devait y avoir une raison mais, quant à savoir laquelle…
Il regarda par la fenêtre, vit le soleil matinal s’élever doucement dans le ciel. C’était aussi l’heure pour lui.
Le jeune homme descendit pour manger avec Ingrid et Sylvain, ses deux-là le poussant à aller jusqu’au réfectoire pour manger, ce qu’il faisait sans trop de souci à présent, même si le regard lourd de ses hommes était impossible à ignorer. Ils n’avaient pas tort après tout… il n’était qu’un monstre sanguinaire qui méritait leur crainte… c’était une autre forme de juste punition…
Une fois leur ventre à tous les trois pleins, ils allèrent débuter leurs taches de la journée. Dimitri rejoignit Byleth et Gilbert dans la salle du conseil pour discuter de l’approvisionnement et de la marche à suivre.
« Le Seigneur Alix nous fournit toujours des vivres, tout comme la fratrie Charon qui sont arrivés à rassembler assez d’équipements pour nous les envoyer, déclara Gilbert. Ils nous ont aussi envoyer un grand nombre de lettres. Si une partie est pour Catherine afin d’avoir des nouvelles d’elles, l’autre est pour vous, et Lachésis aimerait que vous donniez votre avis vous-mêmes sur la situation dont sa fratrie et elle vous informent.
– Bien, j’y répondrais, répondit-il en prenant le tas de lettres. Pourrais-je aussi avoir votre avis sur la question ?
– Bien sûr, lui répondit simplement Byleth, son air assez indescriptible, comme toujours.
– Je vous aiderai Votre Altesse. Cependant, une des questions principales est celle de la reprise de Fhirdiad et du Royaume de Faerghus. Alix n’en parle pas mais, c’est la principale question de Lachésis Charon.
Dimitri se rétracta un peu à la question. C’était toujours aussi confus dans sa tête. Il penchait de plus en plus vers la reprise de Fhirdiad mais, il liait plus cela au fait qu’il devenait de moins en moins attentif à ce que réclamait les morts… après tout Fhirdiad avait besoin d’eux, ses sujets vivants souffraient du règne tyrannique de Cornélia et seuls Alix et Gautier avec l’aide de quelques royaumes srengs arrivaient à arrêter l’expansion du Duché… et encore, il arrivait quoi que ce soit à la mère de Sylvain et à Sylvain lui-même, sa tante Thorgil risquait de retirer ses troupes, et il y avait toujours le risque qu’elle se fasse renverser… les coups d’État pour renverser un souverain jugé incompétent était monnaie courante en Sreng… non, il devait libérer la capitale au plus vite… mais à côté de cela, les morts maintenaient leur objectif de gagner Embarr pour être vengé… les vivants voulaient et voudraient tous libérer Fhirdiad… les morts voulaient la tête d’Eldegard… choisir l’un ou l’autre lui donnait l’impression de trahir le camp mis de côté…
– Je pense que nous pouvons encore patienter avant de répondre, intervient Byleth. Nous devons encore reconstituer certains pans de notre armée, notamment nos fournitures de guerres et une partie de nos hommes sont encore blessés. Après tout, le combat a été rude et cela ne fait même pas une lune que nous avons remporté la victoire.
– Je comprends mais, nous ne pouvons pas repousser éternellement cette décision, lui rappela Gilbert. Il faudrait au mieux savoir quelle route nous suivrons à la fin de la lune du Grand Arbre ou au tout début de la lune des Chapelets au plus tard. Chaque jour qui passe est un jour de plus pour que nos ennemis pansent leurs plaies et reprennent des forces.
– J’en conviens mais, prendre une décision de manière précipitée ne ferait que nous achever. Comme vous l’avez dit, notre ennemi doit aussi reprendre des forces, surtout que nous avons détruit deux de ses principaux bataillons qui s’étaient grimé en nos troupes ou en celles de l’Alliance pour nous pousser à nous entretuer. Nous devons aussi finir de nous assurer que le Grand-Duc Claude est toujours notre allié malgré tout. Seteth s’attelle à cette tâche et notre alliance ne semble pas menacer mais, un mouvement trop brusque pourrait inquiéter Claude et ses proches, surtout que nous devons passer par les terres alliées pour nous rendre à Embarr au plus vite. Prudence et patience sont mères de sureté, le reprit-elle, avant de tourner son regard complètement neutre vers Dimitri. Vous pouvez encore réfléchir, et ainsi prendre une décision en laquelle vous avez vous-même foi et confiance.
– Merci professeure, la remercia Dimitri, comprenant en partie où elle voulait en venir.
Byleth hocha la tête avec un sourire discret, avant qu’ils ne reprennent le travail.
Ils discutaient de l’approvisionnement en blé de Garreg Mach quand un cri de douleur résonna dans tout l’étage, Dimitri reconnaissant tout de suite la voix. Sans réfléchir, il sauta hors de la salle du conseil, courut à toute vitesse à travers les couloirs et se précipita dans l’infirmerie. Il trouva le lit de Rodrigue vide, et Félix se tordant de fièvre dans le sien alors que Mercedes et Manuela lui rendaient Aegis, toutes les deux à cran.
« Qu’est-ce qui se passe ? Demanda-t-il, l’appréhension montant de plus en plus dans sa gorge alors qu’il s’approchait du lit. Où est Rodrigue ?
– Oh ! Dimitri ! Ne t’en fais pas pour Rodrigue, il se repose au soleil sur la terrasse de l’Archevêque, le grand air lui fera du bien. C’est plus l’état de Félix qui nous inquiète… avoua sa camarade de classe, alors que le blessé serrait à nouveau sa Relique contre sa poitrine par instinct.
– Cela fait une heure qu’il s’est mis à haleter plus fort qu’avant et à avoir de la fièvre, lui expliqua Manuela. Nous l’avons ausculté mais, aucune hémorragie ne s’est déclarée et il n’a reçu aucun choc physique ou magique… on a tenté de voir si on trouvait quelque chose sans Aegis mais, il s’est mis à hurler comme si on lui avait pris sa vie…
– Il ne résiste plus sans Aegis… marmonna Dimitri, s’imaginant déjà le pire, alors que Glenn arrêtait de lui hurler de s’éloigner de sa famille pour aller trancher la tête d’Eldegard, afin de rejoindre au chevet de son petit frère.
Félix se mit à se tordre autour de sa Relique, la serrant de plus en plus contre lui, semblant souffrir comme s’il était jeté sur des braises. Des paroles faibles coulèrent de ses lèvres, suppliant comme il ne l’avait jamais fait à part brûler vif.
– De l’eau… par pitié… de l’eau…
– De l’eau ? Répéta la médecin avant d’ordonner. Mercedes ! Va vite chercher le pichet ! Peut-être qu’il est plus déshydraté qu’on ne le pensait !
– Non, il n’a pas besoin d’eau comme ça, comprit Dimitri.
Sans hésiter, il prit Félix dans ses bras en faisant tout pour épargner son dos, tout en le laissant serrer son bouclier, même s’il dut redoubler de vigilance quand il le porta afin que le blessé ne tombe pas. Il descendit aussi prudemment et vite qu’il put les escaliers, avant de traverser tout le monastère en ignorant le regard des soldats et membres de l’intendance, éberlués de voir leur prince monstrueux porter l’épéiste qui le défiait si souvent comme un bébé, à moitié courbé en arrière non pas à cause de son poids mais, pour épargner à son dos des pressions inutiles et pour éviter qu’il tombe.
Quand il arriva à l’étang de pêche, Dimitri fit glisser Félix dans l’eau avec toute la douceur qu’il avait encore en lui, priant pour ne pas se tromper et avoir vu juste.
« Normalement, il te faudrait le lac Egua… c’est le lac de Fraldarius… enfin de Pertinax qui contient encore son pouvoir et fait des miracles… espérons que la Relique suffira pour l’instant… »
Le soulagement fit exploser son cœur quand il vit la marque dans le dos de son ami luire, à l’unisson avec le joyau d’Aegis, le blessé se calmant au contact avec le liquide clair. Lâchant un soupir, Dimitri resta à côté de Félix, le tenant par les épaules dans l’eau, son visage du côté du ciel pour éviter qu’il se noie. Félix avait toujours été un excellent nageur qui flottait facilement, et sa Relique semblait aussi l’aider à rester à la surface mais, c’était trop dangereux de le lâcher. Le jeune homme décida donc d’attendre que son dos s’arrête de briller, cela voudrait surement dire qu’il allait mieux et sinon, il aviserait à ce moment-là.
Le jeune homme regarda autour de lui. Simplex était là la nuit dernière, jouant cet air tout doux et affectueux avec sa double flute… le son qu’il en tirait n’était pas habituel mais, restait très agréable…
« Tu sais Félix, j’ai vu mon ancêtre ici hier soir, après avoir vu le tien, celui de Sylvain et celui d’Annette… Blaiddyd Simplex était là… juste là avec les pieds dans l’eau… lui raconta-t-il, s’était moins effrayant de parler à quelqu’un qui ne répondrait pas, pas immédiatement en tout cas. Je lui ai raconté ce qui s’est passé… ce que me demandent les morts… ce que demandent les vivants… et quand je lui ai demandé quoi faire, il m’a dit que j’avais assez souffert et de me pardonner à moi-même… je… je dois avouer que je ne sais pas si je peux… après tout ce temps où j’ai vécu seulement pour me venger et libérer les morts de leurs souffrances, est-ce que je peux… et si oui, pour qui… pour quoi devrais-je vivre ?
– Alors, tu vivras pour ce que tu crois toi pour une putain de fois.
Dimitri sursauta à la réponse, et se rendit alors compte que les yeux de Félix étaient à présent grands ouverts, l’ambre planté dans son œil restant et dans son orbite vide. Il bégaya, ne s’y attendant pas du tout, resserrant sa prise autour de ses épaules pour ne pas l’échapper dans l’eau.
– Tu… Félix ! Tu es enfin réveillé ! Mais… mais depuis…
– Depuis que tu m’as enfin mis dans l’eau… bordel, je ne rêvais que de ça mais, je n’avais même plus assez de force pour le dire jusqu’à ce que j’en puisse plus… j’avais l’impression de sécher sur place à part quand il… il ravala ce qu’il allait ajouter avant de lui rappeler. De toutes façons, j’entends toujours tout quand je suis inconscient, et c’est pas le plus important. Arrête de vivre pour des morts qui ne voudraient jamais ça, et vis pour toi pour une fois. Glenn ne voudrait jamais te faire ça et tu le sais ! Encore plus si ça te pousse à te laisser poignarder par une gosse ! Déesse ! Ne nous refais jamais un coup pareil ! Mon père recommencera à tenter de le prendre à ta place et même si je ne pourrais surement pas recommencer, j’essaierais quand même de le soigner car, refuser de laisser les autres mourir quand on peut faire quelque à s’en faire mal soi-même, décidemment, c’est de famille ! Même quand ça va jusqu’à la connerie car, ça va nous tuer comme Félicia avec son cœur troué, grogna-t-il, avec trop de pétulance pour quelqu’un qui se réveillait à peine d’un coma de plusieurs semaines, même si cela lui ressemblait bien. Alors, arrête de te jeter à la mort ou je te ressuscite pour te tuer après pour ta connerie !
– Félix… murmura Dimitri, heureux de le voir toujours être égal lui-même malgré tout, même si les mots lui manquaient. Ce en quoi je crois… tu parles comme ton père… tu lui ressembles tellement…
– Je ressemble à ma mère, même toi tu le sais et le vieux n’arrête pas de le répéter. En plus, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est que tu arrêtes de croire que tu dois venger tous les morts de ce jour, mon grand frère le premier car, t’as toujours pas compris que Glenn ne voudrait jamais ça, et que tu commences à accepter de juste vivre ta vie pour ce que toi tu veux et pas les autres.
– Cela a l’air simple dit comme ça…
– Car ça l’est, piqua-t-il. Faut juste que tu l’accepte et ça, on ne peut pas le faire à ta place.
– Mais pourrais-je vraiment Félix… tu es le premier à le dire… le premier à l’avoir vu… je ne suis qu’un phacochère… mes mains sont tachées de sang… pourrais-je ne serait-ce qu’espérer vivre ma vie ainsi ? Moi qui suis le seul survivant de ce jour tragique, ai-je… ai-je le droit de vivre pour moi-même… ?
– Pas la moindre idée à part que tu réfléchis trop pour un phacochère. Tu ne le sauras jamais si tu n’essayes pas alors, arrête de tourner autour du pot et décides-toi. Histoire que mon père ne se soit pas pris un coup de couteau dans le ventre et que je ne sois pas dans cet état pour rien…
– Si tu savais comme je regrette pour cela… souffla-t-il, les remords dévorant encore plus fort son cœur à sa remarque. Je n’ai rien d’autre que des mots pour l’exprimer mais…
– Non, tu peux aussi arrêter de marmonner et agir, rétorqua-t-il.
Le blond se tut quelques secondes, faisant le point sur tout ce qui s’était passé, tout ce qu’il avait vu, toutes les personnes avec qui il avait parlé et échangé, le poids de Félix sur ses mains qu’il ne devait surtout pas lâcher l’empêchant de dériver trop loin.
– J’ai enfin compris… souffla-t-il, un fardeau semblant tomber de son cœur alors qu’il prenait sa décision en sachant que c’était la sienne. Nous allons libérer Fhirdiad.
– Et bien enfin. T’en as mis du temps à te décider Dimitri. T’as intérêt à reprendre la capitale et à bouter Cornélia et les impériaux hors de Faerghus.
– Je te le promets…
– Et bien, on avance… conclut-il avant de se reblottir contre sa Relique en fermant les yeux et de se laisser simplement flotter dans l’eau, ayant surement fini de dire ce qu’il voulait.
Dimitri sourit un peu de le voir se détendre autant en sa présence, et le laissa tranquille. Ils s’étaient déjà tout dit de toutes façons…
– Félix !
Les iris d’ambre s’ouvrirent à nouveau d’un coup, en entendant la voix toute faible et essoufflée de Rodrigue l’appeler. Dimitri se tourna pour voir l’homme arrivée, Alois l’aidant à se déplacer avec Marianne. Reprenant difficilement son souffle après autant d’effort malgré sa blessure, le père demanda, mort d’inquiétude.
– Dimitri… j’ai entendu F… pfff… Félix crier… il n’était pas à l’infirmerie… Manuela et Mercedes m’ont… arf… m’ont dit que vous… que vous l’aviez emmené… est-ce que…
– Il avait besoin d’eau, il m’a expliqué qu’il avait l’impression de se dessécher, lui expliqua Dimitri avant de le rassurer. Il va mieux maintenant.
– Il te l’a expliqué… alors… devina-t-il, les yeux brillants d’espoir.
– Je suis réveillé… père… marmonna Félix, le visage à moitié caché par Aegis.
Rodrigue s’approcha encore puis se détacha comme il put d’Alois pour se baisser au plus près de son fils, même si l’autre père l’aida à se baisser pour qu’il ne parte pas la tête en avant. Des larmes de soulagement bordaient ses yeux quand ils rencontrèrent l’ambre de ceux de son fils.
– Félix… la Déesse soit louée… j’ai… j’ai eu si peur…
– Toi aussi, tu… tu as été… à… tu es… les mots de Félix se bousculèrent maladroitement dans sa bouche, avant que les plus justes arrivaient finalement à s’échapper, même si l’épéiste baissait les yeux pour fuir le contact visuel, à moitié caché par Aegis. Moi aussi, j’ai eu peur… tu m’as fait peur… ne me refais plus jamais ça. Alix dépérirait sans toi… t’es la dernière personne qu’il veut perdre…
Rodrigue sourit, Dimitri entendant aussi la phrase qui n’était pas prononcé mais, que les yeux et l’attitude de Félix hurlaient : « je ne veux pas te perdre ».
– C’est promis… lui jura-t-il en tendant timidement la main vers lui.
Après une seconde d’hésitation gênée, Félix leva également la sienne de la même manière, attrapant les doigts de son père.
– Je crois qu’il faut qu’on parle… marmonna le jeune homme, jetant un regard furtif à son père avant de se détourner immédiatement.
– Je pense aussi… confirma Rodrigue en serrant la petite main de fils dans la sienne légèrement plus grande. Mais en attendant, repose-toi… tu as encore besoin de repos louveteau…
Dimitri sourit à son tour quand il vit Félix s’endormir à nouveau mais, en tenant toujours la main de son père…
« Cela fait des années que tu n’as plus laissé personne t’appeler louveteau… la famille du loup… cela vous va bien… »
*
Deux semaines plus tard, l’armée prit la direction Fhirdiad. Tous les régiments étaient en ordre pour combattre Cornélia, les soldats guéris et bien équipés avançant à un rythme soutenu, leur désir de chasser les impériaux de la capitale et de Faerghus. Dimitri les regarda le suivre, sans hésitation malgré leur doute à son encontre, la peur qu’il avait pu leur inspirer quand il ne pensait qu’à la vengeance… il ne le méritait pas… pas quand les fantômes lui hurlaient encore et encore de faire demi-tour et de foncer vers Embarr pour couper la tête d’Eldegard pour leur offrir… il était forcé de regarder ses amis pour se rappeler ce qu’il devait faire pour les vivants et pas pour les morts… le jeune homme avait encore besoin de cette béquille et de cette ancre pour ne pas perdre de vue ce qu’il devait faire… enfin, il devait tenir, toute son armée comptait sur lui. Il devait être à la hauteur de leurs attentes et faire cesser la tyrannie de Cornélia sur son Royaume.
Pour se rendre à Fhirdiad, la route la plus directe et praticable pour une armée comme la leur passait par Fraldarius. Il ferait escale par leur ville Fort Egua puis partirait par la Grand’Route jusqu’à la capitale directement, qui était moins protégé de ce côté-ci à cause des liens entre les familles royales et ducales, à part un réseau de fortification côté Fraldarius datant de l’époque de Kyphon et Clothilde, puis restauré sous les parents des jumeaux, Guillaume et Aliénor. Ils en profiteraient pour confier Rodrigue et Félix, allongés dans une charrette en dormant la plupart du temps, à Alix, ils pourraient mieux s’occuper d’eux et l’épéiste serait près du Lac Egua. Il avait besoin d’aller régulièrement dans l’eau sinon, il avait l’impression de se dessécher et c’était presque qu’à cette condition que ses blessures se soignaient réellement. Le lac toujours pur de Pertinax lui ferait le plus grand bien… en plus, Alix devait être mort d’inquiétude pour eux.
Quand ils traversèrent les terres des Fraldarius, ils virent des habitants travailler dans les champs, une tâche rude et rigoureuse dans les terres gorgées d’eau de la famille ducale, les champs demandant à être régulièrement drainées afin d’être exploitable et pour chasser des maladies comme le paludisme. Si Dimitri se fiait à l’aspect des champs, les jumeaux avaient réussi à conserver assez de ressources pour entretenir leurs terres… la nourriture que leur avait apporté Rodrigue venait certainement d’ici. Quand les paysans virent l’étendard royal et celui de l’Ordre de Seiros marcher côte à côte, ils s’arrêtèrent dans leurs travaux agricoles pour se précipiter vers eux, acclamant l’armée royale, les encourageant et demandant où était leurs seigneurs. « Où sont le loup calme et le louveteau ? » était la question sur toutes les lèvres.
« On a entendu dire que le loup avait pris un coup pour vous Altesse, puis que le louveteau a pratiquement donné sa vie pour le sauver, déclara une femme à la peau brûlée par le soleil. Comment vont-ils ?
– Ils vont bien ? Demanda un homme. Vu que pour les ducs, c’est des vrais jumeaux, le loup vif risque de très mal le vivre de ne plus être avec son frère… déjà que d’après les rumeurs, c’était très dur d’être séparé ces dernières années…
– Vous nous les ramenez en entier ? Demanda un autre.
– J’espère ! S’exclama une vieille femme. Ils ont déjà vécu plus longtemps que leur père pour les jumeaux mais, qu’ils ne perdent pas la vie si vite ! Tout comme le louveteau ! C’est un jeune loup à présent mais, il est bien trop jeune pour y rester ! C’était l’âge où la duchesse Alix et son mari Rodrigue sont morts pour Clovis le Sanglant ! Et on a vu ce que ça a donné !
– Je comprends votre inquiétude, surtout que ces rumeurs sont vraies. Par la grâce de l’Épéiste de l’Onde et leur force de vie, ils vont bien tous les deux, même s’ils devront beaucoup se reposer pour guérir complètement. Nous les ramenons aussi au Seigneur Alix afin qu’ils se reposent plus loin des lignes de front, une fois la capitale reprise.
– C’est vrai ?! Ils sont là et vous allez reprendre la capitale ?!
– La Déesse et Fraldarius soient loués !
– Ils sont en vie !
– L’un des bons ducs et son fils sont sauvés et vivants !
– Vive le roi et les ducs !
– Hourra ! Hourra !
– Reprenez vite Fhirdiad de cette démone envoyée de l’Impératrice !
– Tout le monde vous attend !
– Il y a quelque chose que nous puissions faire pour vous Votre Altesse ?
– On peut aussi se battre à vos côtés !
– C’est vrai ! On a nos fléaux et nos fourches !
– Restez en sécurité et faites attention à vous, les calma un peu Dimitri avant de leur assurer. Vous êtes déjà une force centrale de notre armée : c’est le blé que vous cultivez qui nous nourrit. Sans votre travail acharné, nous ne pourrions pas combattre. Vous avez toute notre reconnaissance.
– On bossera encore plus fort alors ! S’écrièrent-ils alors avant de scander à nouveau. Pour le roi ! Pour les ducs ! Pour Faerghus !
– Faites juste dégager Cornélia de votre trône et on sera là pour nourrir tout le monde derrière !
Le soutien du peuple de Fraldarius toucha Dimitri en plein cœur. S’il savait ce qui étaient arrivé à Rodrigue et Félix, ils étaient surement aussi au courant de l’état où il était avant… ou au moins avait des échos de sa mauvaise gestion de leur armée à l’origine… les soldats avaient surement envoyé des lettres à leurs familles et fait passer les nouvelles, surtout dans un duché où tout le monde savait lire et écrire… ils devaient savoir… mais ils continuaient à lui faire confiance… ses sujets continuaient à lui faire confiance…
Le prince s’inclina alors autant qu’il put depuis son cheval en jurant, la main sur son cœur, les fantômes plus silencieux que jamais.
– Je ne vous décevrai pas. »
*
Leur route se passa relativement bien, leur chemin étant encore assez éloigné des lignes de front mais, d’après leurs informations, Fort Egua était encore assiégée par l’armée de Cornélia.
« Pendant les cinq ans, ils ont été très souvent en état de siège mais, la ville n’a jamais cédé, même avec des troupes bien supérieures en nombre, apprit Ashe à Dimitri.
– Effectivement, cette forteresse est pratiquement imprenable par un siège, sauf s’il y a un traitre qui ouvre les portes, lui expliqua-t-il. Les murailles sont non seulement très épaisses mais, les douves sont très larges et très profondes, ce qui empêche les tours de sièges de s’approcher. De plus, même s’il y a beaucoup d’habitants à l’intérieur, la ville borde le lac alors, ils peuvent se ravitailler en passant par-là. Le principal enjeu, c’est de garder le contrôle du Lac Egua afin de pouvoir continuer à se fournir en vivre ou venir harceler l’ennemi sur ses flancs. Cela les rend plus vulnérables à d’excellents navigateurs comme les srengs mais, une armée de terre aura énormément de mal à les assaillir.
– Oui, mêmes s’ils ont aussi une faiblesse aux unités volantes, fit remarquer Gilbert. Pour le moment, Alix et Rodrigue arrivaient à les repousser, notamment en trompant l’ennemi sur qui dirigeait la cité, et donc quel type de troupe serait le plus présent à l’intérieur mais là, ils savent que c’est le seigneur Alix. Ils ont donc surement adapté leur stratégie pour affronter un chevalier archer qui emploie surtout des troupes équipées d’armes blanches. De plus, leurs vassaux frontaliers ont pour consigne d’avant tout protéger la frontière avec le duché alors, sauf appel à l’aide de leur part, ils ne viendront pas défendre Egua. Les villages environnant sont également en sécurité dans les divers forts et villes fortifiés alors, les pillages sont très limités. L'armée impériale se retourne, ils se font attaquer par un fortin ou les eguanais qui les attaquent depuis le lac.
– C’est vrai… rejoignons-le au plus vite et prêtons-lui main forte, décida Dimitri, sûr de lui. Nous avons quelles informations sur les assiégeants ?
– D’après nos éclaireurs, c’est une armée spécialisée dans la prise d’une forteresse avec surtout des architectes pour construire les engins de sièges, ainsi que des armateurs et des vaisseaux. Cependant, ils ont presque tous été coulés par l’armée ducale, le renseigna Byleth. Ils ont un corps défensif mais, le gros de leurs forces est tourné vers Fort Egua. Si nous frappons assez vite et fort, ils n’auront pas le temps de s’organiser pour se défendre, et nous devrions avoir le dessus rapidement.
Dimitri hocha la tête, réfléchissant un peu avant de se décider. La stratégie de Byleth pourrait marcher et il ne fallait pas que le verrou de Fort Egua tombe, cela exposerait trop les paysans de Fraldarius aux pillages de Cornélia.
– Bien… si cela vous convient à tous, nous ferons cela si cette proposition est acceptée par tous. Il faudra cependant faire attention car, la ville est entourée de plaine. Nous ne pourrons pas partir d’une hauteur pour prendre de la vitesse. Nous devrions peut-être les contourner légèrement pour qu’ils se retrouvent coincer entre le lac et nous ? Proposa-t-il.
– Ce serait une bonne idée, confirma-t-elle.
Après concertation, le plan d’attaque fut adopté par tout le monde, surtout que cela leur prendrait à peine plus de temps.
« Enfin, la moindre minute peut être décisive dans un siège… connaissant les jumeaux, leur ville est saine et derrière eux mais, il faut penser à toutes les éventualités… »
Il voyait du coin de l’œil Glenn le fixer, son regard suivant sa nuque à chacun de ses mouvements, le criblant encore et encore, les mots silencieux étant encore pire que tout ce qu’il avait pu dire ses dernières années… Dimitri imaginait trop bien ce que ses yeux hurler les pires reproches…
« Tu as failli tuer mon père et mon petit frère… et maintenant, tu vas tuer mon oncle rien qu’en l’approchant… tu vas le tuer… il va mourir… mon père aussi… mon petit frère aussi… tous vont mourir… et ce sera de ta faute… »
Dimitri dut garder son regard et toute son attention sur Byleth, puis sur Sylvain qui reprenait forme humaine après avoir discrètement espionner l’armée assiégeante. Elle était bien inférieure en nombre à la leur et disposait au final d’assez peu de combattants en dehors des bataillons aériens, mais ils étaient lourdement équipés et il faudrait aussi faire attention de ne pas recevoir les tirs défensifs des assiégés à leur place. Alerte, Annette proposa de disposer leurs archers et magiciens derrières les guerriers en armures lourdes, afin qu’elles les protègent des attaques par la terre. Cela permettrait aux unités attaquant à distance d’inonder le ciel de flèches et de magies. Pendant ce temps, la cavalerie et infanterie légères iraient harceler l’ennemi sur son flanc, afin de le forcer à se replier du côté du lac afin de les prendre en tenaille. Étant donné la composition de l’armée, ils se rendraient surement, ce n’était pas des combattants. Convaincus par ses arguments, le corps des généraux accepta sa proposition.
« Massacre-les… souffla un chœur de voix dans sa tête alors que le blond acceptait la stratégie de la magicienne. Massacre-les tous… massacre-les tous et offre-nous leur tête… tue-les… leur tête, leur corps, leur membre, leur être… donne les nous tout entier… »
Dimitri se força à ne pas les écouter, resserrant sa prise sur Areadbhar, l’énergie gelée lui rappelant l’attention et l’écoute de Simplex. Il ne devait pas les écouter, il ne devait pas se laisser emporter, il devait être digne de la confiance de ses hommes… il devait être calme comme de la glace… sa Relique lui répondit avec une énergie douce et apaisante…
Une fois leur stratégie mise au point et leurs soldats prêts, leur armée contourna les troupes ennemies, puis une fois leur camp en vue, ils sonnèrent l’attaque, chargeant dans leur arrière-garde. La bataille fut très brève, l’ennemi n’étant clairement pas préparé à subir un assaut frontal. Heureusement pour l’armée royale, les ingénieurs se rendirent très vite devant l’offensive, se réfugiant dans leurs tours de sièges ce qui les rendit facile à appréhender et en voyant cela, une partie des conscrits impériaux se ligua pour éliminer eux-mêmes leurs généraux. Au final, les soldats faerghiens n’eurent à combattre que le tiers des forces ennemis présentes qui furent très vite écrasés, surtout une fois leurs chefs éliminer et après que les mutins se soient mis à les attaquer.
Dimitri s’accrocha encore plus fort à son arme, se tenant de toutes ses forces à la hampe d’Areadbhar même une fois les combats terminés. Quand il était descendu de son cheval, quand il avait commencé à combattre, quand il avait empêché un soldat impériaux de viser le dos d’un de ses épéistes, quand l’ennemi se rendit finalement, quand ils décidèrent de leur sort de prisonniers de guerre et ce qu’ils feront des mutins et des ingénieurs avec Gilbert et Byleth… tout le long de la bataille et encore après, les morts lui hurlaient de massacrer ses adversaires, d’écraser leurs os, de remplacer son œil manquant avec les leurs, d’arracher leur peau, d’éviscérer leurs entrailles, d’arracher leurs crâne… tout… toutes les pires horreurs possibles et inimaginables, ils lui demandaient tous cela et plus d’une fois, il crut une seconde qu’il allait craquer. Qu’il allait recommencer et sombrer à nouveau.
« Ceux que je connais ne demanderaient jamais une chose pareille… ceux que je connais ne demanderaient jamais une telle horreur… ceux que je connais ne demanderaient jamais un massacre et un bain de sang… ce n’est pas eux… ce n’est pas eux… ce ne sont pas leurs fantômes… »
Tel était les maximes qui tournaient dans sa tête encore et encore, sa poigne fermement vissée sur Areadbhar afin de s’accrocher à la réalité et ne pas les écouter… la serrant presque contre son cœur pour garder l’énergie de Simplex au plus près de lui…
« Eh ! Dimitri ! Il vit le Sylvain trotter vers lui avec Ingrid, celle-ci ayant combattu au sol pour ne pas prendre un sort ou une flèche perdue. Tout va bien ?
– Tu n’es pas blessé ? Lui demanda la chevalière. Tu trembles de partout !
– Ou… oui… une seconde… il faut juste que… qu’ils…
Comprenant où il voulait en venir, ses amis lui tendirent leur main qu’il attrapa pour tenter de se calmer plus facilement, s’accrochant de toutes ses forces à leur chaleur. Dimitri se maudit de sa propre faiblesse, ayant encore besoin d’aide pour chasser les fantômes… il était le seul à les voir mais, on aurait dit que les morts ne fuyaient que quand il s’accrochait à quelque chose, même la plus banale des conversations ou quelque chose d’idiot…
– Votre Altesse ! Votre Altesse ! Ah ! Vous êtes là ! S’exclama Alois en les rejoignant aussi vite qu’il pouvait avec son armure lourde, un bandage superficiel à l’épaule. Je vous cherchais, le seigneur Alix doit… ah ! Je vois, comprit-il assez vite en le voyant s’accrocher ainsi à ses amis. Oh, vous en faites pas, on a un peu de temps avant de prendre l’eau, surtout qu’on ne s’est pas pris une douche froide et que le plan n’est pas tombé à l’eau ! Alix peut être sec mais, il mettra toujours de l’eau dans son vin et ça ne devrait pas faire déborder le vase !
Si Sylvain et Ingrid restèrent de marbre devant les jeux de mots d’Alois, Dimitri ne put s’empêcher de pouffer, repoussant encore un peu plus les fantômes et leurs demandes obscènes. L’humour du chevalier de Seiros était toujours aussi mauvais mais, c’était le genre de blagues qui le faisaient rire à chaque fois.
– Oui, il devrait être patient, même si je préférerais ne pas trop le faire attendre. Il doit surement avoir hâte de retrouver Rodrigue et Félix.
– C’est sûr ! J’étais tout jeune quand ils étaient eux-mêmes étudiants à l’académie mais, ils étaient toujours collés ! Jeralt pouvait me passer un savon car, il me disait d’apporter quelque chose au premier ou au deuxième jumeau Fraldarius sans préciser lequel alors, je me trompais une fois sur deux. Simple curiosité, ils se ressemblent toujours autant tous les deux ? Souvent, plus les vrais jumeaux vieillissent, moins ils se ressemblent. Même si bon, pour pouvoir se faire passer l’un pour l’autre en cas de besoin, ils doivent encore être comme deux gouttes d’eau ou pas loin.
– Pour eux, la question serait plutôt « est-ce qu’ils se différencieront un jour ? », rétorqua Ingrid. Ils sont toujours complètement identiques.
– Comme quoi, il y a des choses qui ne changent pas !
– Vous verrez quand Alix arrivera… je suis curieux de voir la tête d’Ashe ! Il m’a dit qu’il savait que les vrais jumeaux existaient mais, qu’il n’en avait jamais rencontré, sourit à pleines dents Sylvain.
– Ne te moque pas trop, nous aussi, on pourrait se tromper s’ils ne se différenciaient pas. Le seul qui ne se trompe jamais, c’est Félix, lui rappela Dimitri, les fantômes redevenant enfin qu’un grondement au fond de sa tête. Allons le retrouver à présent, nous l’avons fait suffisamment attendre. »
Ils suivirent Alois jusqu’aux portes de la cité, s’éloignant précautionneusement du pont-levis qu’on abaissait doucement afin d’enjamber les douves immenses. Les portes grincèrent un peu sur leurs gonds quand elles furent ouvertes, découvrant Alix, entouré de ses généraux de confiance comme Estelle et son second Bernard, ainsi que de ses soldats. Dimitri entendit Ashe hoqueter un peu de surprise en découvrant le frère de Rodrigue. Il fallait dire que c’était comme voir le reflet de Rodrigue habillé d’un uniforme d’archer, en vert et avec une queue de cheval derrière la tête, là où son frère portait toujours du bleu et les cheveux détachés. C’était une nécessité qu’ils aient chacun un code couleur particulier sinon, il serait encore impossible de les différencier sans les connaitre ou avant qu’il ne parle.
« Salutation Votre Altesse. Ravi de vous revoir en entier et dans votre Royaume. Merci pour votre aide pour repousser l’armée du duché de nos murailles et fortifications. Vous avez écourté le siège de notre cité de quelques semaines et le calvaire de tout à chacun.
– Nous ne pouvions vous laisser ainsi. J’espère que vous n’avez pas subi trop de perte parmi les votres pendant le siège.
– Comme toujours dans ce genre de situation : l’ennemi se casse les dents sur les remparts ou boit la tasse dans les douves, pendant que nous ont attend tous à l’intérieur avec nos vivres qu’ils s’en aillent, en leur envoyant des pierres dessus. Ils sont têtus en plus. On leur trouait la peau qu’ils ne foutaient toujours pas le camp. Dans tous les cas, les troupes de Cornélia n’ont clairement pas le pied marin, ils sont arrivés à couler ou échouer tous leurs navires avant même d’arriver ici, et ils n’ont toujours pas compris que nous assiéger ne sert à rien tant qu’on a un accès au lac ces cons. Enfin, ça résume la politique de Cornélia, une suite constante de conneries, même si elle semble surtout vouloir détruire Faerghus en nous tuant tous avec ses impôts.
Ce n’était pas sérieux de sa part mais, pour le coup, Dimitri aurait rêvé voir la tête de ses camarades qui rencontraient Alix pour la première fois. Quand il était petit, ça le faisait toujours rire à quel point cela pouvait étonner les gens qui rencontraient les jumeaux de voir à quel point ils avaient des caractères différents, tout en étant pourtant identiques physiquement. Cela créait un décalage qui étonnait facilement, et les deux frères savaient parfaitement en jouer pour tromper leurs ennemis, et quand la situation était moins grave taquiner un peu leur entourage.
– Vous me voyez rassurer que les fortifications de Fort Egua soient toujours aussi solides, et je vous remercie pour toute la ténacité que vous avez su mettre en œuvre. Ces informations nous seront précieuses pour renverser Cornélia. Connaissez-vous la situation à Fhirdiad ?
– Entre deux sièges, on a réussi à obtenir des informations de nos hommes infiltrés là-bas. Le meilleur agent de tout le nord est également là-bas donc, nous avons également des informations très précises, même si je les tairais ici. D’après leurs derniers rapports, la révolte gronde à la capitale et des groupes de résistants se sont formés d’après nos informations. Visiblement, apprendre que vous étiez encore en vie à donner du courage à beaucoup de nos compatriotes pour se rassembler et résister ensemble. Un médecin et inventeur qui se fait appeler Omnes aurait pris la tête du mouvement, même si j’ai très peu d’information sur lui, à part que Cornélia veut sa peau et qu’apparemment, il crée des armes et des dispositifs médicaux révolutionnaires. Sinon, rien n’est connu sur son apparence ou son origine. La moindre chose à son sujet qui se répand, c’est signer son arrêt de mort pour lui alors, il se fait discret.
– D’accord. Il faudra que nous arrivions à nous coordonner avec eux si cela est possible, même si notre priorité est de faire en sorte que les civils ne soient pas pris dans les combats.
– C’est très clairement la priorité de tout le monde. Gautier vous envoie un régiment de soldat avec quelques troupes de la reine Thorgil, qui a décidé de nous venir en aide de manière plus active. Et de votre côté, comment vont les troupes ? Vous m’avez dit qu’au final, il y avait assez peu de perte, le ravitaillement qu’on vous a envoyés a suffi ? Rodrigue et Félix sont là ? Finit-il par demander, la question lui brulant clairement les lèvres depuis le début. Comment vont-ils ? Le voyage n’a pas été trop rude pour eux ?
– Oui, les pertes ont été moins importantes qu’elles auraient pu l’être, grâce à nos alliés de Leicester qui ont su prévenir Claude et leurs compatriotes de l’embuscade d’Hubert, et inversement de leur côté. Le ravitaillement envoyé est suffisant pour le moment, même si nous cherchons aussi à trouver d’autres endroits pour nous fournir pour ne pas imposer une trop grosse pression frumentaire à Fraldarius. Quant à Rodrigue et Félix, ils se remettent petit à petit de leurs blessures, même si Félix a besoin d’eau et d’Aegis pour que les siennes se referment plus vite. Ils nous suivent dans une charrette de l’intendance, et ils ont bien endurés le voyage.
– Ouf… les Braves et la Déesse soient loués pour tout, soupira-t-il de soulagement, ses épaules se détendant enfin. Puis-je les voir ? S’ils sont assez en forme pour supporter une visite bien sûr.
Dimitri jeta un regard à Mercedes qui hocha la tête, puis répondit avec un sourire à Alix.
– Bien sûr. Ils ont aussi hâte de te voir. »
Il le guida alors lui-même jusqu’à la charrette où était sa famille, endormie. Le jeune homme pouvait presque entendre le cœur du jumeau de Rodrigue battre dans sa poitrine, le soulagement et le bonheur de les revoir gravés sur son visage.
Doucement, le cœur surement prêt à exploser de les retrouver en vie, Alix grimpa à l’intérieur, passa la main sur la tête de son neveu, puis prit la main de son frère.
« Je l’ai senti quand il a pris le coup… murmura-t-il presque tout seul, s’encrant complètement à la main de son jumeau. Je courrais de partout à cause d’impériaux qui avaient encore tenté de prendre le fort de Robien et les douanes alors, j’étais allé aider Loréa à les repousser. Puis, j’ai senti une douleur en plein ventre et je savais que c’était Rodrigue. Ça allait mieux assez vite après mais, je savais qu’il s’était passé quelque chose… toujours… il est moi et je suis lui… ça a toujours été comme ça entre nous…
– Vous êtes très fusionnels tous les deux… je me souviens que lorsque Rodrigue était à la capitale pendant deux ans, il avait fait une crise de colère en même temps que toi alors que tu étais à Fort Egua, souffla Dimitri.
– Ah oui, je m’en souviens de celle-là. Des connards de profiteurs ont tenté de nous forcer à aller massacrer les duscuriens, tout en nous traitant de parents indignes même pas capable de venger leur enfant. Là, on avoue, on a pété une rêne et envoyé tout ce qu’on avait sur le cœur, marmonna Alix. Des vengeurs et des saintes lames allant purifier des terres maudites… tu parles, que des profiteurs qui voulaient des mines pour se remplir les poches tout en massacrant les gens mais, qui n’avait pas l’argent pour le faire… et ses petits roquets pensaient qu’on allait leur faire l’aumône… il eut un sourire noir, une dent dépassant un peu dans un air menaçant. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre… je leur ai donné une engueulade de première, un coup de croc et un coup de pied au cul, j’étais déjà généreux avec eux. Ils sont tous passé à Cornélia d’ailleurs, leur colère vengeresse arrive de manière très variable selon leurs intérêts du moment, évidemment… ils sont partis la queue entre les jambes et quand Rod est revenu ici, il m’a raconté que Rufus aussi a dû avoir peur pour sa peau vu qu’il l’a chassé direct.
– Les chiens errants n’ont aucune chance face à des loups, c’est comme ça que vous dites dans la famille de mémoire… se souvient le jeune homme.
– De notre mère et de notre père… et ils n’avaient pas tort, c’est des crétins les chiens, répliqua Alix.
– Tu es toujours aussi direct, arriva à rire un peu Dimitri devant son ton et sa manière de le dire, avant de chuchoter, devant le dire à l’homme devant lui. Alix… je… je suis désolé qu’il soit dans cet état… c’est… c’est entièrement ma faute… si je n’avais pas…
– Hum ? Il le regarda vraiment dans les yeux en redressant la tête. Vous êtes encore vivants tous les trois ?
– Euh… oui, même s’ils vont avoir une longue convalescence tous les deux, alors que moi…
– Tu ne penses plus à juste couper la tête d’Eldegard quitte à tuer tout le monde et toi le premier ? Le coupa-t-il d’un ton un peu blasé.
– Non ! Évidemment ! Mais ça n’empêche pas…
– Tu vas reprendre Fhirdiad et nous débarrasser de cette démone de Cornélia que même une fosse à latrine ne voudrait pas ? Le coupa-t-il encore avec plus d’insistance.
– Bien sûr aussi, mais…
– Et tu vas continuer en écoutant les autres et pas juste ta soif de vengeance ou que toi-même ? C’est ça le plan ?
– Aussi, mais…
– Alors, ne te met pas martel en tête. Rod est en vie, Félix est en vie, tu es en vie, tu as repris tes esprits, tu vas bouter de l’impérial hors de chez nous, et tu ne vas pas te comporter en connard en faisant juste ce que tu veux sans écouter personnes alors, ça me va. Je laisse à un autre moi qui n’existe pas la peine de penser à ma réaction si quelque chose leur était arrivé alors, laisse cette réflexion à l’autre toi de ce monde aussi. En plus, tu te mets à nouveau à n’écouter personne, si c’est pas Félix qui te colle une baffe, c’est moi qui le fait pour te ramener à la réalité… ce que j’aurais dû faire plus souvent à d’autres tiens…
– Je… je comprends ton point de vue mais… déclara Dimitri avant d’hésiter, avant d’avouer. Mais je ne suis pas digne de cette confiance…
– Et pourquoi donc ? Lui demanda Alix, plantant ses yeux dans les siens, comme pour l’accrocher ici et l’empêcher de partir.
– J’ai… j’ai encore besoin d’aide… avec les fantômes… ils comptent tous sur moi mais, je suis obligé de m’accrocher à ceux en qui j’ai confiance pour que les fantômes s’en aillent et arrêtent de m’ordonner de ramener la tête d’Eldegard… je n’arrête pas de les repousser, encore et encore mais, il revienne toujours et je finis toujours par avoir besoin d’aide… j’ai failli craquer plusieurs fois pendant le combat… si je n’avais pas eu Areadbhar qui me calmait…
– Oui, et y a à peine deux mois en arrière, tu les écoutais tout le temps sans écouter les vivants, ce qui mettait en danger les autres. Tu es toujours à ce stade ?
– Non… je refuse de leur faire du mal… ce n’est pas ce que je veux… je veux juste… juste que tout le monde se sorte de cette guerre vivant… même si c’est surement un objectif modeste. Mais je ne sais pas si j’en serais capable… je m’appuie sur tant de monde…
– Donc, tu es en progrès alors, tu es sur la bonne voie, c’est le principal. Tu arrives à leur résister donc, c’est déjà un pas dans la bonne direction. Même deux vu que tu suis ce que toi tu veux plutôt que ce que veulent les morts ou je ne sais quoi qui te tourmente, lui fit remarquer Alix. C’est normal d’avoir besoin d’aide, et quand tu es tout seul avec tes illusions, tu finis au fond du trou. En plus, c’est pas possible de tout faire tout seul. Celui qui fait tout, tout seul ou avec des personnes qui pensent comme lui, il fait juste que des erreurs car personne ne vient lui dire que c’est mal fait. A ton avis, pourquoi la devise de notre père, c’était « c’est mon boulot de t’empêcher de faire des conneries » ? C’est que quand c’était Clovis, personne n’osait ouvrir la bouche devant lui, jusqu’à ce que Ludovic fasse son coup d’état pour virer son père. Alors, évidemment que ses proches ont toujours été là pour le limiter s’il allait trop loin, lui le premier. Et pour quelque chose de plus proche, tu crois qu’ils discutent Ionius et Eldegard ? Non, ils ne font que s’écouter parler ou l’écho de leur voix car, ils sont seuls dans le palais et qu’ils sont persuadés d’avoir la vérité ultime, alors que c’est juste la version des faits qui les arrange. C’est pas Hubert qui va dire à son impératrice qu’elle fait de la merde, il vénère plutôt sa merde en disant que c’est un miracle de la Déesse car, son Impératrice est sa Déesse à lui, et ça ose se prétendre athée au passage.
– Oui mais, si un jour je rechute et que je me remets à écouter les morts ? Qu’est-ce qui se passera le jour où même cette béquille ne m’empêchera pas de faire le pire ?
– Ce jour-là, on sera à tes côtés, en sachant ce que tu as alors, on pourra t’aider plus efficacement, répondit-il sans hésiter une seule seconde. Personne ne fait les choses bien en étant toujours tout seul, surtout dans ta position. Tu ne pourras jamais tout maitriser à la perfection, tu auras toujours des faiblesses que d’autres combleront et toi-même, tu combleras les faiblesses de tes compagnons. Je sais que ça vient de quelqu’un qui fait toujours tout à deux ou il se sent mal d’être séparé de son double car, quarante-huit années de vie et neuf mois de grossesse, ça rapproche un peu mais, je travaille toujours mieux avec Rodrigue et avec d’autres personnes de notre fief pour nos conseiller. Le roi Loog lui-même était très entouré pour combler ses lacunes. Les vieilles carnes d’Adrestia se plaignaient même que Loog n’était pas capable de lire le latin pendant longtemps et qu’il avait besoin d’aide pour le décrypter, et ça ne l’a pas empêché de faire de grandes choses. Être isolé ou n’écouter que des personnes qui vont dans ton sens ou celui de leurs intérêts à elles ne t’aidera pas Dimitri. Tu en apprendras bien plus en étant entourés de personnes avec des opinions très différentes les unes des autres, et surtout des tiennes. En plus, ton état s’améliore, tu arrives mieux à résister aux demandes que tu entends, tu le dis toi-même. Donc, tu t’es beaucoup amélioré en très peu de temps. Tu peux en être fier. Et je suis sûr que Rodrigue et Félix sont d’accord avec moi, assura-t-il en les montrant tous les deux avec un sourire.
– Oui… ils le sont, lui répondit Dimitri en lui rendant son sourire, un peu rassuré par les mots d’Alix.
Rodrigue se mit à remuer un petit peu, ouvrant à nouveau les yeux après avoir dormi une bonne partie de la journée. Même dans le flou, son visage s’illumina en voyant son frère, arrivant à hacher malgré le reste pâteux de sommeil sur sa langue.
– Alix… tu es là…
– Oui, content de te revoir aussi… il serra un peu plus sa main dans la sienne. Ne me refais jamais un coup pareil, d’accord ?
– Je suis désolé de t’avoir fait peur… c’est promis, je n’ai plus envie de te quitter… Tu restes aussi ?
– Bien sûr, on ne se séparera plus jamais ! Jura-t-il à son tour.
– Comme on se l’était dit…
– Hum… Félix trembla à son tour sous sa couverture, et entrouvrit ses yeux d’ambre vers les jumeaux. Qu’est-ce…
– Bon retour à la maison, lui souhaita son oncle.
– C’était ça le bruit… marmonna le plus jeune en émergeant.
– Moi aussi, je suis ravi de te voir rentrer en entier, rétorqua Alix en souriant avec son frère, avant de passer sa main dans ses cheveux. Toi aussi, tu ne me fais plus jamais peur louveteau.
Ils prirent tous le grognement qu’il marmonna comme un oui, Dimitri sentant sa poitrine s’alléger en voyant la meute enfin réunie.
*
Rodrigue somnolait dans le lac, de l’eau jusqu’à la poitrine, sentant la magie de leur ancêtre fuser autour d’eux et dans sa blessure. Même s’il était pratiquement guéri, leur médecin avait ordonné qu’il reste dans l’onde toujours pure jusqu’à ce que la plaie ne lui fasse plus mal, surtout qu’il était encore très fatigué.
« Je vous interdis de reprendre votre travail, jusqu’à ce que nous soyons absolument sûrs que cette blessure ne se rouvrira pas ! Vous avez interdiction de bouger ou d’utiliser la magie jusqu’à nouvel ordre ! S’était écrié Pierrick en le voyant tenter d’aller aider Alix, surtout maintenant que leur principale seconde, la capitaine Estelle Duchesne et son adjudant Bernard Parjean, suivaient l’armée royale pour mener les troupes fraldariennes aller récupérer la capitale. Au nom de la Déesse et de ses Braves, reposez-vous ! »
Il s’y était alors plié, passant une bonne partie de son temps à dormir. En tout cas, l’eau du lac lui faisait vraiment du bien… quand il était dedans, c’était comme s’il n’avait jamais reçu aucun coup… c’était frustrant de ne pas pouvoir aider Alix d’ici mais, Pierrick ne le laisserait jamais faire. Au moins, il pouvait rester un peu avec Félix.
Son fils aussi était confiné au lac, dormant la plupart du temps tout comme lui. Ses veines luisaient de magie, tout comme sa marque d’écailles dans son dos, même s’il était toujours très fatigué. Au moins, il ne souffrait pas ici, même hors du flot pur, c’était le principal… Fraldarius même le protégeait… tout comme l’eau… Félix avait toujours été un véritable poisson, nageant très jeune, toujours dans le lac et capable de rester en apnée plus que n’importe qui. Son cadet était si fier de lui quand il remontait de ses profondeurs avec un artéfact ancien… mais c’était avant que la Tragédie ne lui fasse rejeter aussi son passe-temps favori pour se tourner uniquement vers l’entrainement… encore plus après la rébellion qu’il avait maté avec Dimitri… il ne retournait alors dans l’eau que pour conserver son souffle exceptionnel…
Quand il ne dormait pas, Félix était dans une sorte de demi-conscience, marmonnant des mots dépareillés les uns avec les autres… souvent, il parlait de Glenn… dans ses moments-là, Rodrigue chantait toujours pour l’apaiser, comme quand son cadet était petit, regrettant d’autant dormir alors que son louveteau devait faire des cauchemars quand lui-même sommeillait.
« Ça va aller… C’est fini mon louveteau… se souvient-il d’un soir au coin du feu tous ensemble, alors que son cadet s’était réveillé en sursaut à cause d’un mauvais rêve, le père l’enlaçant pour le consoler comme il n’aurait surement plus le droit de le faire à présent. Le Cheval Mallet ne te fera jamais de mal… je te protégerai… la meute te protégera… c’est promis… un cheval, aussi maléfique soit-il, ne peut rien faire contre une meute de loup tant qu’elle reste unie… »
Il y pensait quand Félix se remit à s’agiter dans son sommeil, se tordant un peu sur lui-même en babillant. Passant sa main dans ses cheveux par instinct, Rodrigue recommença alors à fredonner, la dernière chanson de son père lui venant à l’esprit et coulant de ses lèvres. Même si Guillaume n’avait pas tenu parole, c’était un des derniers souvenirs qu’il avait de lui, il tenait beaucoup à cette chanson, ce chant de l’armée pour apaiser des pleurs avant l’angoisse de la séparation…
*
Félix luttait de toutes ses forces pour se réveiller… ou au moins arrêter de rêver de ce moment-là… il avait tout fait pour l’oublier, ne voulant pas se souvenir de ses deux mois horribles qui avaient fini sur Glenn partant en Duscur avec Nicola… dès qu’il s’en souvenait, il se sentait mal et était en colère contre quelqu’un qui ne pouvait plus répondre de ses conneries… et il devait admettre qu’il ne devrait pas être en colère contre d’autres… il avait pourtant tout fait pour oublier…
Mais non, le jeune homme n’avait rien oublié… au contraire, il se souvenait de tout presque dans les moindres détails… l’annonce au dernier moment de Lambert qu’il se rendrait à Duscur pour négocier la paix avec Dimitri… personne n’était au courant… personne… pas même son père et son oncle… à quel point cela faisait mal… tout le monde qui se précipitait… tout le monde en colère… tout le monde effrayé… sa famille épuisée de devoir rattraper tout ce que Lambert avait mal fait… les insultes des diplomates qui fusaient quand aucun des fidèles du roi n’était là mais, que les oreilles des enfants entendaient toujours… à quel point son travail était un travail de tâcheron et ce voyage une folie… le dédain de Nicola pour le roi, marmonnant à quel point il faisait honte à son père le roi Ludovic… Glenn qui cachait à peine tout le mépris qu’il avait pour le roi en privé, un roi qui les emmenait dans une mission aussi dangereuse sans demander son avis à personne, ou prendre la moindre précaution alors que son propre enfant était du voyage… son oncle à deux doigts d’égorger le roi et son grand frère lui-même à cause de ses mauvaises décisions, Lambert n’écoutant que ceux qui allaient dans son sens, même les ennemis de la veille, et Rufus l’encourageant dans cette folie… personne ne voulait de ce voyage… Rodrigue de plus en plus épuisé et désespéré de trouver une solution pour empêcher ce voyage jusqu’à ce que le jour fatidique arrive, en charge de tous les aspects techniques et matériel du voyage, ainsi que le côté humain…
Mais plus que tout, il avait voulu effacé de sa mémoire un souvenir… il dormait dans leur chambre, rattrapant sa nuit où il aidait sa famille en leur apportant de quoi manger ou en prenant soin d’eux, les adultes n’ayant plus le temps pour le faire eux-mêmes, quand il entendit quelqu’un entrer. Il alla à la porte, observa par la serrure et vit Alix pratiquement tirer son père, tremblant et livide, les yeux exorbités, s’accrochant à son jumeau comme à sa vie… quand il vit son oncle regarder que personne n’était là, le petit garçon alla se cacher dans son coffre, ayant encore oublié de le ranger. Sous le bazar, personne ne le verrait et Alix n’avait pas fait exception. Après un peu de temps, il en ressortit pour observer dans l’entrebâillement de la porte la discussion des jumeaux…  son père avait tellement de mal à juste parler… il avait du mal à trouver ses mots et à enchainer deux phrases, se répétait beaucoup et tremblait tellement, n’arrivant à se calmer que parce qu’il était avec Alix… les jumeaux avaient toujours été fusionnels… il parlait de Lambert, Rodrigue avait encore tenté de le convaincre de ne pas emmené Dimitri à Duscur car c’était trop dangereux mais, en réponse, il lui avait vomi des mots horribles :
« Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable »
Félix se souvenait d’avoir bouillonné de rage en entendant cela, tout comme Alix. Comment Lambert pouvait prétendre être leur ami pour leur cracher à la figure comme ça ?! Il avait oublié que Rodrigue et Alix étaient eux-mêmes orphelins ou quoi ?! Eux, ils savaient ce que c’était de perdre son père et de devoir survivre à une régence, pas Lambert ! Après un mois et demi à tout mettre sur le dos des jumeaux et des Charon en plus ! Lambert avait eu de la chance de ne pas se faire lâcher par toute la noblesse de l’est ! Personne n’en voulait de ce voyage, les roturiers et ceux qui réfléchissaient plus de deux secondes les premiers ! Et il lui avait même fait promettre de faire son travail de père à sa place s’il se faisait tuer par sa connerie en plus ! Et sans se rendre compte d’à quel point il l’avait blessé avec ça ! Est-ce qu’il y avait un esprit dans ce corps à la fin ?! Le petit garçon se souvenait d’avoir entendu quelque fois Glenn appeler Lambert un « chien idiot » mais là, il passait dans la catégorie des chiens errants ! Ce n’était qu’un idiot qui faisait du mal à sa famille ! Il n’avait pas le droit de faire du mal à son père !
Rodrigue finit par éclater en pleurs en avouant que Lambert lui faisait peur… pas étonnant après tout ce qu’il lui avait envoyé en pleine figure en continue pendant plus d’un mois, tout le monde suant sang et eau pour que ce voyage ne soit pas la catastrophe qu’il devait être… même maintenant, Félix était obligé d’admettre que ça faisait trop pour un seul homme… même pour un loup…
Il était alors sorti de sa cachette et avait consolé son père, se jetant contre lui en disant que ce n’était pas sa faute mais celle de Lambert. C’était lui qui les jetait tous dans la gueule du lion ! Pas son père ! Il n’avait rien fait de mal ! Félix se souvenait de ses bras qui l’entouraient, la présence de son père, à quel point il était rassuré d’être avec lui, tout comme Rodrigue, se calmant enfin vraiment avec lui…
Tout s’enchainait très vite après ça dans son rêve mais, la sensation de désespoir restait, le dégout fort de faire ce que tout le monde savait être une erreur sauf celui ayant le pouvoir de la stopper… Alix avait été à deux doigts de frapper Lambert… Félix l’avait fait dans une crise de fureur de voir sa famille aussi mal… Glenn avait promis d’être chevalier à la maison et plus à la capitale… le convoi de départ qui ressemblait à un cortège funèbre tellement tout le monde était triste et inquiet, l’air lourd et les larmes proches d’exploser chez tous…puis le messager qui s’écroula à leur porte, son père et lui qui partaient immédiatement pour Fhirdiad, ne retrouvant de Glenn qu’une épée et un plastron brisé… le choc d’apprendre qu’il ne reviendrait pas, que personne ne reviendrait, que seul Dimitri était revenu… le chaos qui s’installa dans tous le Royaume… allant même jusqu’à attenter à la vie du prince jusque dans le palais…
Félix se souvient de sa dispute avec son père, partie du fait que Rodrigue ne pouvait pas rentrer avec lui et devait rester à la capitale pour tenir le Royaume, Rufus ne faisant que jeter plus d’huile sur le feu et rallumer les braises. Avec le recul, il se sentait tellement stupide… évidemment que c’était plus important d’empêcher Faerghus de brûler que de rentrer… en s’en souvenant vraiment, il ne pouvait plus que voir à quel point son père voulait aussi rentrer à la maison, à quel point il voulait le suivre et retourner faire son deuil dans leur famille… le jeune homme se sentit encore plus stupide en sachant maintenant d’où venait cette phrase qui l’avait fait détester son père… le fuyant sans lui laisser le temps de s’expliquer, en rentrant seul dès le lendemain matin sans lui dire au revoir… refusant de même admettre à quel point Rodrigue lui manquait et à quel point Félix voulait se réconcilier avec lui… à quel point ça lui faisait mal de ne plus être avec lui, même s’il le niait, enfermant tous ses sentiments et ses émotions dans une boite aussi profonde qu’il le pouvait et lui-même dans l’entrainement…
Cependant, la suite de son rêve ne fut pas ses souvenirs… il se transforma en véritable cauchemar ! Des hommes avec les armes de Rufus cousues sur leur poitrine arrivèrent en trombe chez eux, arrêtèrent tout le monde, son oncle le premier et leurs principaux soutiens encore en vie, l’attrapèrent et le jetèrent à part comme un objet. Il reconnut à travers les barreaux le chemin de la capitale, puis on l’envoya dans une famille qu’il ne connaissait même pas, qui le forcèrent à écrire des ordres d’arrestation envers des personnes qu’il aimait et à servir de serviteur. Félix réclama son père et son oncle, demandant où ils étaient et ce qui se passait mais, il ne reçut en réponse que des coups et des repas en moins… son père ne l’avait jamais traité aussi mal, il avait toujours été doux, gentil et juste avec lui, même quand il faisait des bêtises… apparemment, il était chez eux en attente pour l’envoyer ailleurs quand il serait assez vieux… et ils se plaignaient aussi qu’il vomisse toujours son repas sans jamais tomber… Rufus devait vouloir se débarrasser de lui discrètement… Déesse, qu’est-ce qu’il allait faire à son père et son oncle ?! Où est-ce qu’ils étaient ?!
Il avait été forcé d’écrire que Fregn était maintenant accusée d’être une ennemie de l’intérieur car, elle était sreng et avait repris Lambert sur son inconscience qui serait très mal vue par les siens, disant tout haut ce que tout le monde pensait tout bas de ce voyage… Rufus voulait sa tête pour ce « crime » de s’être opposé au roi. Elle avait fui in extremis en Sreng en emmenant Sylvain avec elle, lui aussi accusé de complicité avec sa mère et d’être un mauvais faerghien à cause de son métissage et du fait qu’il ne pensait pas les duscuriens coupables de la Tragédie.
Ingrid et sa famille durent renoncer à leurs terres et travailler comme serviteurs pour Rufus, ce dernier leur donnant les tâches les plus ingrates et dangereuses car, son père Francis avait conseillé à Lambert de prendre plus de temps et avait mal fait son travail…
Alors que son état s’améliorait quand il était parti, Dimitri faisait une rechute et était cloué au lit… la famille qui s’occupait de lui disait que le prince s’était mutilé après avoir vu le corps de Dedue déchiqueté par des proches de Rufus, tous appelant à la vengeance et à brûler Duscur tout entier, pendant que Dimitri hurlait que les duscuriens étaient innocents et délirait à propos de corbeaux humanoïdes… des rumeurs disaient que son oncle l’avait fait attaché par les bras et les jambes aux montants de son lit, pour l’empêcher de se faire du mal tout seul et d’arrêter la folie de Rufus…
Quand on le laissa enfin sortir pour voir sa vraie famille, le jeune garçon pataugea dans le sang… toutes les rues de Fhirdiad étaient écarlates, les bas des robes et des pantalons couverts de tâches rouges et noirs, des rats nageant à l’intérieur en grignotant la chair en putréfaction qui y flottait… des chats étaient pendus par le cou aux maisons, les gens disaient que c’était parce que les ducs de Fraldarius les adoraient, leur forteresse en étant toujours pleine… toutes les personnes qu’il croisait étaient malades à cause de ça et du manque de nourriture, tout l’argent partant dans la traque aux traitres et aux duscuriens, tous chasser bien plus que les rats par Rufus… cela rappela à Félix les histoires de Nicola sur Clovis le Sanglant… le roi sanguinaire qui massacrait son propre peuple dans des guerres interminables, jetant ses opposants sous la hache du bourreau ou les flammes du bucher, éliminant n’importe qui se mettait sur son chemin jusqu’à ce que le roi Ludovic n’arrête la folie meurtrière de son père en le détrônant par la force…
Félix se crut dans ces histoires quand il arriva à la place principale de Fhidiad… c’était un véritable charnier… les corps s’entassaient, laissés à pourrir là comme sous Clovis, le roi cruel n’autorisant pas qu’on enterre ses ennemis afin de les mettre plus bas que terre… la plaque commémorative en leur mémoire faite par Ludovic était brisée, basculée au sol et servait maintenant d’estrade pour les exécutions… son cœur s’arrêta en voyant le corps d’Alix tomber dans le charnier, trainé par Ingrid et ses frères dont les membres étaient couverts d’infections à cause du sang et des cadavres, sa tête rejoignant d’autres alignés sur des piques avec celles d’Estelle et de Bernard, même celle de Nicola qu’on avait déterré pour être exécuté avec sa fille et son gendre, ses petites-filles pleurant leur famille dont les corps pourrissaient à l’air libre… elles étaient si petites ! Puis… les démons servant Rufus trainèrent son père sur l’échafaud… le forcèrent à poser la tête sur le billot, le bourreau attrapant Moralta volé chez eux pour l’exécuter avec leur propre héritage familial, alors que ses assistants tailladaient ses cheveux pour ne pas gêner le passage de la lame.
« Non ! Non ! Papa ! Arrêtez ! Mon père n’a rien fait de mal ! Papa ! »
Il ne put s’empêcher d’hurler devant cette injustice, alors que ses tortionnaires le poussaient tout devant, aux premières loges pour voir son père se faire couper la tête. Rodrigue n’était pas coupable ! C’était Lambert qui avait décidé de les emmener à Duscur ! C’était lui qui avait tout organisé sans en parler à personne ! C’était lui qui s’était précipité partout et les avait emmenés dans ce piège à rat ! Son père avait tout fait pour l’en empêcher mais, le chien errant qui leur servait de roi n’avait rien écouté ! Il n’avait écouté que Rufus qui le poussait dans ses pires décisions et défauts ! C’était lui qu’on devrait exécuter ! Pas ceux qui avaient tout fait pour empêcher ce désastre d’arriver ! Papa !
Rodrigue l’entendit, sa tête se relevant d’un coup du billot. Ses yeux s’exorbitèrent en le voyant, l’inquiétude et la peur se mélangeant à l’intérieur alors qu’il lui hurlait, les assistants du bourreau essayant tant bien que mal de lui remettre la tête sur le billot.
« Félix ! Fuit ! »
Non ! Pas sans lui ! Pas sans toi ! Tout mais pas être sans toi comme ça ! Tout mais pas être sans eux ! Tout mais pas être seul sans sa famille ! Il ne voulait pas que son père meure ! Pas quand les assistants du bourreau le forçaient à remettre la tête sur le billot pour se faire exécuter ! Pas quand l’assassin encagoulé levait… papa !
Le bourreau abaissa Moralta quand d’un coup, un vague emporta tout, balayant tout ce qui l’entourait, autant les gens, les corps, le sang que la mort. Félix sentit alors quelque chose l’entourer de sa chaleur, doux avec lui… c’était agréable… il s’y sentait bien… cela lui rappelait de bons souvenirs… des instants tout doux après un cauchemar, où son père le prenait dans ses bras et sa cape pour le rassurer… il le nierait aujourd’hui mais, Glenn le taquinait souvent sur le fait qu’il était collé à leur père, surtout quand il était petit… Alix aurait même dit qu’il allait finir coller à l’épaule de Rodrigue, tellement il aimait faire la sieste dans ses bras quand il était bébé…
Comme quand il était petit, des notes le bercèrent, tout douces, leur fil tissant une chanson que les jumeaux fredonnaient tout le temps, venue de leur père…
« Je pars ce matin avec les chants des laudes,
Mes pieds vont d’un côté,
Mais mon cœur reste figé
Il reste ici dans vos petites mains chaudes
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je pars à reculons, je pars sans jamais vous oublier
Je pars en ce jour en pensant toujours à vous,
À chaque pas sur ce long chemin, je l’avoue,
Je vous voie derrière moi et souhaite m’en retourner.
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je vous promets de revenir un soir,
Je reviendrais à vous un jour,
Cette promesse de velours
Je ne la laisserais jamais choir,
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Et quand nous nous serons retrouvés
Ce sera pour ne plus jamais se lâcher. »
Comme à l’époque, le chant le tira loin du cauchemar, rassuré par la présence de son père à ses côtés… comme avant que la Tragédie ne fiche tout en l’air… comme toujours s’il était honnête… ça faisait du bien…
Rodrigue tint la dernière note aussi longtemps qu’il put, la laissant former un fil assez long pour lier la personne qui partait à ceux à qui il promettait de revenir. Guillaume n’était pas revenu mais, il restait avec eux malgré tout d’une certaine manière, dans le peu de souvenir que les jumeaux avaient de lui, tout comme dans ceux de tous ceux qu’ils avaient perdu… ils les entendaient presque dès que les loups hurlaient à la lune…
Félix se calma au fil des notes, son visage devenant plus serein, recroquevillé dans l’eau claire, sa main sur Aegis entre eux. Ses yeux d’ambre s’entrouvrirent, flottant entre la conscience et l’inconscience. Il n’avait pas eu la chance de connaitre Félicia et de le constater par lui-même mais, Félix avait vraiment les yeux de sa mère… à part la forme de ses derniers, en amande, semblable à ceux des chats et aux siens, il avait tout hérité d’elle…
« Ça va aller… c’est passé…
– Hum… C’est frustrant… marmonna-t-il en se réveillant, se rattrapant avant d’être vraiment honnête avec son père. D’être bloqué ici…
– Il faut que tu te remettes, et le lac semble être le meilleur remède. Aucun de nous deux est en état pour se battre de toute façon…
– Mouais… il fit une grimace alors qu’il tentait de bouger. C’est trop lent quand même.
– Fait attention à toi… lui conseilla Rodrigue en le stabilisant d’une main. Et tu seras bientôt sur pied, ton organisme semble se régénérer bien plus vite dans le lac que quand nous étions à Garreg Mach.
– Hum… »
Félix ne dit rien de plus, détournant le regard. Rodrigue n’insista pas, ne voulant pas trop le pousser de peur que son fils retourne tout de suite dans sa carapace couverte d’épines. Ils s’étaient dit qu’ils se parleraient mais, cela ne s’était toujours pas fait, tout deux trop fatigués pour le faire, surtout autour de… tout ça… le père se rappuya alors sur la pierre, laissant l’eau bénie par leur ancêtre faire son effet, savourant sa caresse chassant la douleur… s’il pouvait au moins rester avec son enfant et pouvoir lui parler un peu, cela lui irait…
« J’entendais tout… quand je dormais… finit par dire Félix, regardant au loin pour être sûr de ne pas rencontrer les yeux de son père.
Le jeune homme ne sut pas pourquoi il avait parlé… son père se taisait et le silence lui allait très bien… mais en même temps, les mots que Rodrigue avait dit à Dimitri tournaient encore dans sa tête… des mots flous mais, qu’il n’avait pas pu nier… et c’était dur de nier ce qu’il avait tout fait étouffé pendant des années maintenant… pas après avoir été si près de donner sa vie pour sauver celle de son père…
Rodrigue le regarda, attentif, comme s’il s’était préparé à ce qu’il lui dise cela ce qui était surement le cas, trop patient comme toujours.
– Tu as toujours tout entendu quand tu étais inconscient.
– Hum… ce que tu as dit Dimitri… à propos de Guillaume et du roi Ludovic, c’était vrai ou juste pour le consoler ?
Félix détourna encore plus le regard, une pointe de remord poignardant son cœur. Évidemment, il savait que son père ne mentirait pas sur un sujet pareil, encore moins sur Guillaume…
– Oui, tout était vrai, je ne lui ai pas menti, répondit-il sans se fâcher, et il était encore une fois beaucoup trop calme.
Sans trop savoir pourquoi, Félix voulait presque qu’il s’énerve… il n’en avait pas envie, il n’avait pas l’énergie pour se disputer et  il voulait savoir mais, ce serait plus simple s’ils se disputaient vraiment… juste des mots qui font mal des deux côtés et le silence après… ce serait tellement plus simple… mais bon, maintenant qu’il avait commencé, il ne pouvait plus reculer… et dans le fond, il voulait arriver à comprendre… à comprendre ce qui s’était passé dans la tête de Rodrigue ce jour-là…
– Tu n’en avais jamais parlé avant… Alix aussi… et Nicola encore moins…
– Ce n’est pas le souvenir que j’aime le plus raconter. C’est le plus clair que j’ai à propos de mon père mais, c’est aussi celui qui me fait le plus mal alors, je préfère me concentrer sur les bons. Ils sont bien plus flous et la plupart sont des histoires qu’on nous a racontées après mais, ils sont bien plus réconfortants… ce sont des souvenirs où Guillaume est vivant, pas dans une boite… les bons souvenirs se perdent facilement alors que les mauvais sont les plus difficiles à oublier, même si on le veut… alors je préfère ne pas en parler, comme Alix…
Rodrigue tenta de le regarder dans les yeux quand il parlait mais, Félix fuit son regard… il savait déjà trop bien à quel point ce qu’il racontait était vrai… et il n’était pas sûr de pouvoir se défendre ou mordre s’il le regardait dans les yeux… il verrait trop toutes les émotions de son père à nu…
– Alors tu as gobé ce qu’on t’a dit et tu ne l’as jamais remis en question… pourquoi tu es obsédé par la chevalerie alors qu’elle a tué ton père avant même de tuer Glenn ?!
– J’avais six ans à ce moment-là Félix, et on n’avait que ça pour expliquer et comprendre pourquoi notre père était parti avec Alix, lui rappela-t-il d’un ton un peu plus sévère mais, toujours calme. Je ne savais même pas ce qu’était d’affronter la mort et à quel point elle faisait mal… quand on a grandi, on a mieux compris pourquoi il a fait ça, ce qui s’était passé ce jour-là et pourquoi Ludovic avait dit ça… et voir comment se comportaient certains chevaliers pendant notre enfance nous a aussi bien ramenés à la réalité. On a rencontré bien plus de chevaliers de titre prêts à tout pour épouser la veuve et tuer l’orphelin afin de récupérer leurs terres, qu’à les défendre, mais cela restait toujours un idéal à atteindre d’aider les autres, c’était même des qualités qu’on retrouvait plus chez des personnes qui ne l’étaient pas. Tu n’as jamais connu ta grand-mère Aliénor mais, c’était une véritable louve et une duchesse exceptionnelle, et Nicola aussi était un véritable chevalier alors qu’il a toujours refusé d’être adoubé, il ne voulait pas servir le roi après ce qui s’était passé avec Clovis, il a toujours été l’ami de Guillaume et de notre famille… même si on était toujours tristes et qu’on aurait préféré mille fois avoir un père, on a gardé cette phrase avec nous Alix et moi car, elle résumait l’acte de Guillaume, même si on sait que ses derniers mots étaient qu’il ne voulait pas mourir, et après autant de temps à s’accrocher à elle comme à une canne pour continuer à marcher malgré la peine, elle fait partie de nous. On ne pourra surement jamais s’en débarrasser tellement elle est ancrée.
– C’est pour ça que tu l’as dit pour Glenn ? Devina Félix, bien obligé de le reconnaitre.
– Oui… avoua-t-il, Félix voyant son père chercher son chapelet sur son bras mais, qu’il n’avait pas pour une fois, de peur que l’eau n’endommage le bois déjà presque aussi vieux que lui. Ça… ça faisait si mal… j’avais l’impression que c’était la mort de Guillaume qui recommençait mais en bien pire… Glenn… Glenn n’était plus là… il était mort là-bas alors qu’aucun d’entre nous ne voulait de ce voyage… hein… je ne sais pas si tu t’en souviens mais à ce moment-là, Glenn en était arrivé à détester Lambert… il lui en voulait d’en faire qu’à sa tête sans demander l’avis de personne, de s’obstiner dans l’erreur alors que tout Faerghus lui hurlait que c’était une mauvaise idée sauf les futurs complices de Cornélia et de l’Empire, et il lui en voulait encore pour Arundel… il ne lui a jamais pardonné d’avoir laissé ce monstre entrer à la cour sans surveillance pour… pour une raison un peu trop longue à expliquer maintenant… et d’avoir mis autant de temps à le chasser alors qu’il a failli te tuer avec ses brûlures maudites… mais il a insisté pour y aller… à cause du Kyphonis Corpus, un membre de notre famille était obligé de suivre le roi pour le protéger sinon, on aurait été accusé de haute trahison… j’y serais allé à sa place, et Alix aussi s’était proposé mais, il n’a jamais voulu nous laisser sa place… ça aurait été étrange que ce ne soit pas lui qui protégeait le roi alors qu’il était majeur, et que nous devions gérer le Royaume en l’absence de Lambert avec Rufus…
– A sa place… » le corrigea Félix, sachant à quel point Rufus avait abusé de sa position pour que Rodrigue fasse tout son travail à sa place, pendant qu’il allait boire et courir les jupons en hurlant que les jumeaux mériteraient de se faire exécuter.
« C’est la version officielle qu’on devait régner avec lui. Glenn se doutait que cela serait difficile, et que le voyage était très dangereux alors, il a refusé qu’on se sépare… il savait que nous fonctionnions toujours mieux ensemble… et cela aurait pu nous retomber dessus si quelque chose arrivait à Lambert et pas à nous… alors on a cédé… et quand il n’est pas revenu… c’était un de mes pires cauchemars qui recommençait… je… sa voix se brisa en mille morceaux, autant de mauvais souvenirs remontant à la surface. Je ne pensais pas que j’enterrerais mon propre enfant un jour… et que je n’aurais rien à enterrer… je… je n’arrivais pas à m’enlever tout ce qui avait pu arriver à son corps de la tête …
Sans savoir trop pourquoi à part qu’il détestait le voir aussi brisé, Félix tira sa main hors de la distance qu’il gardait toujours avec Rodrigue depuis leur dispute, et attrapa son manteau du bout des doigts… Déesse, depuis combien de temps il n’avait pas fait ça ? Il se comportait à nouveau comme un enfant qui se cachait dans la cape de son père ! Mais ça semblait tellement calmer Rodrigue… un simple contact… il était déjà foutu après tout ça à ce sujet alors, un peu plus ou un peu moins…
– Les seules choses qui arrivaient à repousser tout cela, c’était la surcharge de travail qui m’empêchait de penser à autre chose… le chaos était de partout et Rufus criait déjà qu’il fallait venger nos morts en exterminant les duscuriens, je devais tout faire pour l’arrêter et faire en sorte que le Royaume tourne encore, même si une grande partie de sa tête était morte… cette phrase pour me convaincre moi-même que Glenn n’était pas mort pour rien… elle m’avait déjà tenu entier à l’époque, je m’y suis accroché à nouveau… ça faisait moins mal que de penser aux charognards des montagnes, et que Glenn devait regretter d’être mort pour un homme qu’il méprisait de tout son être… et surtout, il y avait toi…
– Moi… ?
Son père arriva à sourire dans une expression mélancolique.
– Bien sûr… tu étais là, avec moi, et ça me donnait de la force pour continuer à me lever tous les jours sans m’écrouler, alors que j’avais l’impression que le monde s'effondrait encore une fois… tu as toujours été aussi tenace que ta mère, qui a toujours été beaucoup plus acharnée que moi », de l’affection déborda de son visage quand il évoqua Félicia. « Je ne pense pas que j’aurais eu la force comme elle de dire à mon cœur malade de la boucler car, elle n’avait pas le temps de faire une crise cardiaque alors que des personnes avec une longue vie devant eux étaient en danger. Elle était si résiliente, même si c’était aussi très imprudent de sa part, reconnut-il. Mais oui, j’arrivais à me lever car, tu étais là et que tu avais besoin de moi… Rufus aurait été seul, on aurait fini avec un encore plus gros bain de sang que celui qui a vraiment eu lieu… j’étais mort de peur à l’idée que le Royaume s’effondre et que tu n’es plus nulle part où aller, que tu sois en danger… et dans le fond de la tête, j’avais peur que le règne de Clovis le Sanglant recommence… je ne voulais pas que tu vives le même cauchemar éveillé que tes grands-parents qui ont dû survivre à son règne… mon père a déjà failli mourir des dizaines de fois à cause d’ambitieux qui voulaient nos terres, dont plusieurs étaient envoyés par le roi… je savais que certains « vengeurs » projetaient de t’enlever pour me forcer à accepter de les aider à faire encore plus de morts inutiles… je ne faisais confiance à personne à la capitale, sauf à des fidèles de toujours quand il s’agissait de toi… et quand ce comploteur a essayé de tuer Dimitri et que tu as failli prendre le coup à sa place…
Il ravala ses mots, n’arrivant pas à les prononcer, et secoua la tête pour en chasser la scène de ce jour. Félix serra un peu plus son manteau dans ses mains, Rodrigue le remerciant d’un regard avant de continuer.
– Le monde s’effondrait encore… j’ai cru que j’allais devenir fou tellement j’ai eu peur de te perdre aussi ! Je ne pensais plus qu’à t’éloigner de Fhirdiad qui s’était transformé en coupe-gorge, et de te renvoyer à la maison pour que tu sois en sécurité, pour qu’Alix te protège mieux que je ne le faisais ici. J’aurais pu, j’aurais aussi envoyé Dimitri à Egua mais, sa seule présence permettait de garder un semblant de calme à la capitale… mais j’étais tellement pressé de te mettre en sécurité que je n’ai même pas pris le temps de t’expliquer correctement… ni pourquoi je ne pouvais pas rentrer avec toi pour enterrer Glenn… je le voulais et je sentais que tu l’avais deviné mais, je ne pouvais pas quitter la capitale alors que la Tragédie avait tout laissé dans le chaos… je ne voulais pas te dire cette phrase mais, j’étais tellement fatigué et inquiet… je n’ai pas fait exprès… et j’ai encore plus tout foutu en l’air après en niant… et je n’ai même pas pu prendre le temps de te rejoindre pour m’expliquer quand tu es parti, tous les problèmes à régler à la capitale me tombait dessus les uns après les autres… et après, j’avais l’impression de tout ruiner encore plus si j’en reparlais quand je te voyais… je ne voulais pas te bousculer… et Alix a essayé mais, il se doutait que rajouter un troisième parti ne ferait qu’empirer les choses, et je ne voulais pas ruiner en plus ta relation avec lui…
– … faut dire… je ne t’ai pas rendu la vie facile non plus… finit par admettre Félix. Je te fuyais tout le temps… et tu n’es pas le seul à devoir t’excuser… je…
Le jeune homme se tut, détournant encore plus le regard de son père… pourquoi s’était aussi simple pour Rodrigue et aussi dur pour lui ?! ça aussi, il le tenait de Félicia ?! Même pas en plus ! Elle, elle était honnête tout le temps ! C’était tellement frustrant !
Il resserra un peu son étreinte sur le bout de tissu qu’il tenait, cherchant peut-être un peu de son courage, puis finit par relever la tête pour enfin le regarder dans les yeux. Il n’y vit que de la patience et de l’espoir alors, il continua, bien que trop timidement à son gout.
– Je… je n’aurais pas… c’était mal… j’ai… il avala une pique pour lui-même avant de finir par y arriver. Je suis désolé de t’avoir frappé… c’était mal et je n’aurais pas dû… je suis aussi désolé de t’avoir ignoré… j’ai dû te faire beaucoup de mal…
– C’est vrai que ce coup était le plus douloureux que j’ai reçu de ma vie entière, admit-il avant d’ajouter, même si sur l’instant, je m’inquiétais surtout de savoir si ce n’était pas les os de tes doigts qui avaient craqué, je n’avais pas pu vérifier moi-même vu que tu t’étais enfui. J’ai même envoyé une lettre à Alix exprès pour lui demander si ta main allait bien, même si je savais que c’était ma joue qui avait craqué à ce moment-là.
– Car tu t’en fais toujours pour les autres et pas pour toi ! Mordit un peu Félix. Tu es incurable ! Tu pourrais être mort, tant que c’est toi et pas les autres, ça te va ! ça doit être dur pour Alix ! C’est toujours pareil avec toi ! On peut te faire le pire, tu finis presque toujours par pardonner… sauf quand l’autre dépasse vraiment les bornes… comme si je ne l’avais pas fait en te frappant et en t’ignorant tout ce temps…
– Tu serais surement étonné de savoir à qui j’en veux le plus… glissa-t-il, les yeux dans le vague avant de le regarder à nouveau. Et à t’entendre, on dirait que tu préférerais que je sois en colère, lui fit remarquer Rodrigue, encore trop patient malgré tout ce qu’il venait de lui dire.
– Hum… un peu… ce serait plus simple si tu étais en colère… admit-il à moitié. Même si… grrr… pourquoi c’est aussi dur à dire…
– Si tu as besoin de temps…
– Encore ce que je te disais ! Tu es trop patient ! Même si je n’ai pas envie de me disputer avec toi ! ça te va ça ? De toutes façons, c’est grillé vu à quel point je me suis acharné pour ne pas te perdre… marmonna le jeune homme du bout des lèvres, ne regardant plus son père.
Il sentit alors une main timide caressé ses cheveux, alors que la voix de Rodrigue lui assurait.
– Moi non plus, je n’ai pas envie de me disputer avec toi… je n’en ai jamais eu envie, et c’est surement pour cela que je te pardonne aussi vite… tu m’as tellement manqué pendant toutes ses années… je ne veux plus te perdes, encore moins après une peur pareille… je sais que rien ne sera plus jamais comme avant mais, j’aimerais vraiment pouvoir te reparler, si tu veux bien me faire entrer à nouveau dans ta vie, bien sûr…
– Hum… toi aussi, tu m’as manqué… ne te jette plus jamais sous un poignard alors… ne me fait plus jamais peur comme ça…
– Je te le promet… et merci… lui sourit à nouveau son père, lisant entre les lignes.
Félix ne sut pas vraiment pourquoi ou peut-être le niait-il encore malgré tout, trop embourbé dans son habitude de le faire mais, il se sentit plus léger d’un coup… bien plus qu’il ne l’avait été pendant des années… comme si le lac venait d’arracher un poids qui s’accrochait à son cœur, pour l’emmener très loin et l’enfouir dans la vase… ça faisait du bien…
Alors qu’il se rendormait encore, le jeune homme sentit un peu mieux la magie de son ancêtre en lui, colmatant toutes les veines qui avaient explosé sous l’effort… elles changeaient un peu… comme quand sa marque d’écaille était apparue dans son dos… surement le contrecoup de la magie de Fraldarius… les miracles marquaient toujours ceux qui les recevaient… il sentait une énergie très forte en lui, parcourant ses jambes et ses poumons de toutes part mais, il n’avait pas peur… il n’avait plus peur de Fraldarius depuis des années… et même si quelque chose se passait, Rodrigue veillait sur lui, comme il n’avait jamais arrêté de le faire… il ne lui arriverait rien…
(suite)
#attention SPOILER dans les tags !#écriture de curieuse#fe3h#route cf + divergente canon#plus ou moins#là c'est la voie dorée de cette univers#pour les Braves qui apparaissent dans ce chapitre ils ne parlent pas tous français de la même manière...#je suis plutôt du genre à me dire qu'ils apprennent à parler la langue de l'époque en écoutant ce qui se passe autour d'eux#histoire de comprendre ce qui se passe à cette époque#donc pour la compréhension orale c'est parfait mais pour le parler eux-mêmes c'est une autre histoire (pas beaucoup d'aide pour discuter)#alors leur maitrise du parler est aléatoire -gros spoiler en approche ! - :#Loquax est celui qui parle le mieux car c'est sa spécialité de parler aux autres et de se faire comprendre de tous qu'importe l'espèce#Simplex est le deuxième qui parle le mieux même si c'est difficile. J'ai essayé de calquer la manière de parler d'un latin...#et penser à ce qui pourrait les bloquer en parlant français vu que la construction des phrases est différentes#le latin est une langue faite pour l'oral alors c'est l'oral qui est calqué sur l'écrit- là où en français c'est le contraire#d'où le fait que ses phrases soient hachés et certaines expressions sont des calques latins -comme 'mon sens' 'j'ai l'impression'#*pour 'j'ai l'impression' des mots de latin qui reviennent et les sonorités -comme le V qui est confondu avec le U a ce moment-là#Pertinax et Laeta comprennent sans parler d'où le fait qu'ils disent presque rien en français ou très mal#et ils parlent plus par expressions faciales#sauf quand ils doivent vraiment se faire comprendre comme avec Pertinax#et c'est aussi peut-être un peu plus classe vu que je lui fait dire que Dimitri crache sur ce qu'ont fait ses descendants#vive les dicos de latin ça sert toujours ! -par contre je sais pas si ça passe à google trad je sais pas ce que ça vaut ce truc en latin-#petite vérif'... mouais pas fameux... au moins vous êtes dans le même état que Dimitri pour comprendre ce qu'ils disent...#j'espère juste que j'ai pas massacré le latin vu que je traduis un peu du latin vers le français mais presque jamais l'inverse#en tout cas j'espère que ça vous aura plu ! merci encore !
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lilias42 · 2 years
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De nouveau CF avec le pré-Duscur mais, développé cette fois !
Et voilà ! J'ai enfin fini de développer et de relire les chapitres avant Duscur ! J'espère que ça te plaira @ladyniniane !
Pour ceux qui viennent d'arriver, j'avais publié il y a quelques temps une sorte de brouillon sur les évènements d'avant Duscur tel que je les imagine dans ma version de CF car, je ne savais pas si je le développerais ou non, même si j'ai fini par le faire. Pour les détails et plus de contexte, je vous renvoie à ce billet d'ailleurs, vu que celui-ci est déjà assez long vu que bon... de quatre pages, je suis passé à trois puis quatre chapitre car l'un d'entre eux était trop long et que je l'ai coupé. Normalement, tout est dans le prélude du brouillon alors, je vais juste ajouter des rappel sur les personnages qui apparaissent ici et pas avant :
Jacques = roturier, le soldat qui était chargé de surveiller les enfants quand Arundel a brûlé Félix. Il n'était pas là car, l'ordre de sa mission était de surveiller Dimitri mais, étant donné qu'il était seul pour le faire et que le groupe d'ami s'est séparé, il a dû le suivre et laisser Félix seul avec Arundel; même s'il se méfiait de lui (comme tout le monde d'ailleurs). Il s'en ai voulu terriblement alors, il a demandé à Rodrigue et Alix de le prendre à leur service pour réparer sa faute, notamment en se mettant à genoux devant eux alors qu'ils ne sont "que" duc et pas roi. Il éprouve un immense respect envers les jumeaux, mais il respecte aussi Lambert en tant qu'homme.
=>Je pense ajouter un chapitre où on verrait les conséquences de l'affaire de "l'Adrestien brûleur d'enfant" où les jumeaux deviennent plus indépendant mais très respecté par les roturiers de tous le royaume et pas seulement de leur fief, pour montrer que Félix guérit avec ses amis et sa famille, l'évolution de l'état d'esprit de Glenn qui reste méfiant envers Lambert même s'il a fini par faire ce qu'il devait faire et que leur fief est vraiment sain et uni derrière eux mais, à côté de ça, cela ferait beaucoup d'ambitieux et d'envieux qui voudrait en profiter pour les faire tomber car, ils prennent trop de pouvoir (plus une discussion avec Patricia qui leur en veut aussi à mort d'avoir déclenché l'exil de son frère dans sa tête, vu que les trois ne se supportent pas)
Estelle Duchesne = roturière, capitaine d'un régiment de troupe fraldarienne et proche des jumeaux. Elle est très opposé à Lambert et considère que le roi cause plus de problème qu'autre chose à Fraldarius car, ils sont quasi autonome et qu'elle voie bien où est la raison dans le groupe des dirigeants (soit pas chez Lambert). Elle est d'une fidélité sans faille à ses ducs et à son fief
Bernard Parjean = roturier, adjudant d'Estelle, ils sont toujours en équipe pendant leur travail et en-dehors, même s'il n'y a rien de romantique entre eux. C'est juste des compagnons d'armes qui ont beaucoup d'estime l'un pour l'autre. Il est moins vocal qu'Estelle sur son opposition au roi et la freine souvent pour qu'elle n'ai pas d'ennui mais, il voie également Lambert d'un mauvais oeil, bien qu'il respecte Dimitri
Nicola Terrail = roturier, meilleur ami de Guillaume, le père des jumeaux, et son plus fidèle soutien avec Aliénor, puis le plus proche conseiller d'Aliénor quand son mari est assassiné. Fils de domestique qui a accédé à la noblesse grâce à tous les loyaux services qu'il a rendu au couple ducal, il est également le compère de Rodrigue et Alix (l'équivalent d'un parrain au sens médiéval du terme ; il arrive quelque chose aux parents, c'est les parrains et les marraines d'un enfant qui s'en occupent). Il est d'une fidélité sans faille envers les jumeaux et considèrent les Fraldarius comme faisant partie de sa propre famille, au même titre que sa fille, son gendre et ses petites-filles surnommé les lapines (car elles adorent les lapins et que la plus âgé en a adopté un). Il commence à être très âgé pour un tel voyage et devrait bientôt être à la retraite si les circonstances ne l'obligeaient pas à reprendre la route pour protéger son petits-fils de coeur Glenn et surveiller Lambert. A une très mauvaise opinion de ce dernier, même s'il tient le roi Ludovic en haute estime
Ludovic III Blaiddyd = noble, le père de Lambert et Rufus. Tenant plus que tout au Royaume, il a commencé à comploter vers quatorze, quinze ans pour renverser son père, a réuni toutes les oppositions (dont les Fraldarius et les Charon) et a fait un coup d'Etat pour mettre fin au règne sanglant de Clovis qui faisait guerre sur guerre l'année de ses dix-huit ans. C'était un homme très froid et assez inexpressif, même s'il montrait plus d'émotion quand il a une confiance absolu envers son interlocuteur. Il considère Guillaume comme son grand frère et Aliénor comme sa belle-soeur étant donné que le couple ducal lui a tout appris en politique (et encore heureux pour le Royaume), et il a une tendresse certaine pour les jumeaux, surtout qu'il se sent responsable de la mort de Guillaume et qu'il les trouve très doué comme dirigeants. Même si Rufus prétend le contraire, il aime aussi ses fils de sang mais, reste lucide sur leurs capacités. Il a travaillé toute sa vie pour instaurer une monarchie héréditaire afin que le règne de Clovis ne se répète pas, et d'être plus sûr qu'une personne compétente s'occupe de Faerghus mais, Rufus a volé le testament de son père et ses travaux pour éviter que la couronne échappe à son petit frère qu'il considère comme digne du poste. Il est mort de la tuberculose, ce qui fait que beaucoup de gens mette son idée de la monarchie élective sur une folie de sa maladie, même s'il avait publiquement ce projet en tête depuis son accession au trône. Il reste tout de même respecté et craint de tous même hors des frontières
Héléna Charon = noble, première épouse de Lambert, mère de Dimitri et sixième enfant Charon. Elle est une juriste accomplie et une prêtresse guerrière qui combat avec des gantelets (même si je trouve le nom "clerc de guerre" plus classe, je vais essayer de respecter la terminologie du jeu), ce qui résume assez bien sa personnalité. Elle était également une fine politicienne et c'est une des raisons pour laquelle son mariage a été arrangée avec Lambert, afin qu'il y ait une personne capable de le gérer au quotidien en plus des jumeaux si Ludovic échouait à mettre en place la monarchie élective. Dimitri ne l'a jamais connue car elle est morte de la peste quand il n'avait que quelques mois mais, il lui ressemble beaucoup dans le caractère. Il s'en est rendu compte trop tard mais, Lambert était très amoureux d'elle et a mis un peu de temps à faire son deuil d'elle, même si elle reste une des femmes les plus importante de sa vie.
Clovis IV Blaiddyd = noble, grand-père de Lambert et Rufus. Il a mené énormément de guerre au mépris de son propre peuple, au point que même Areadbhar le rejetait et que Ludovic a dû faire un coup d'Etat pour arrêter le massacre. C'est l'exemple-type du mauvais souverain en Faerghus et c'est toujours une critique quand quelqu'un est comparé à lui.
Rufus = évidemment grand frère de Lambert, mais le mien ne ressemble pas du tout à celui de Nopes. Il est très content d'avoir échappé à la responsabilité du trône et considère son petit frère comme apte à ce poste, surtout qu'il l'adore et il le soutient toujours. Sa relation avec Ludovic est par contre bien plus compliqué et il accuse notamment son père de faire du favoritisme pour les Fraldarius car, il tenait en trop haute estime Guillaume et Aliénor. Il le trouve notamment trop dur envers Lambert, Ludovic ne cachant absolument pas que même s'il aime son fils et trouve que c'est un homme bien, il trouve qu'il ne ferait pas du tout un bon roi. Rufus vole le testament de son père pour empêcher que la monarchie élective se mette en place par amour et confiance envers son petit frère. C'est la seule personne qui peut faire changer d'avis Lambert quand il s'obstine et n'écoute personne.
Fregn dite l'Ombre chez elle = mère de Sylvain et Miklan, c'est une sreng et la soeur de leur reine la plus importante de leurs territoires depuis son élection. Elle était éclaireuse (donc, grosso modo une espionne, on ne va pas se mentir) pour les srengs donc, c'est une femme avec une grande capacité d'adaptation et qui sait attendre son heure mais, sa patience a ses limites. Elle a un système de valeur sreng donc, elle s'oppose très vite et facilement aux personnes qu'elle estime indignes de respect. Elle a par exemple beaucoup de mal avec le système héréditaire de Fodlan qu'elle trouve dénué de sens contrairement à Sreng où on est sur un système électif. Plus j'y pense, plus je me dis que Ludovic aurait pu faire exprès de choisir l'espionne dans la fratrie de quatre soeurs, afin d'avoir un élément plus imprévisible qui viendrait s'opposer à Lambert si son projet de monarchie élective échouait ou s'il mourrait avant de réussir à le mettre en place. Comme le vouvoiement n'existe pas dans la langue sreng, elle utilise des surnoms pour parler des personnes qu'elle estime (par exemple "Loups Inséparables" pour parler des jumeaux) mais tutoie les personnes qu'elle méprise en utilisant leur prénom, ce qui ne se fait que dans ce contexte ou par familiarité chez les srengs
Lachésis, Thècle, Myrina et Kimon Charon = nobles, frère et soeurs de la reine Héléna, membre de la grande fratrie de douze enfants des Charon, enfants de la matriarche Catherine. Ils occupent tous des postes importants dans l'administration du Royaume, notamment dans la justice, sauf Myrina qui est la seigneuresse de leur fief, même si ce n'est pas l'ainé et la plus disposée à tout ce qui touche au combat. C'est la mère de Cassandra (future Catherine qui a pris le nom de sa grand-mère par respect envers elle étant donné qu'elle a participé au coup d'Etat contre Clovis).
Félicia = noble, la mère de Félix et de Glenn, ainsi que la femme de Rodrigue. Fille d'un comte de Leicester, elle était une femme d'une grande joie de vivre mais, qui souffrait de très gros problèmes cardiaques qui la condamnaient à mourir jeune (c'est à peu près sûr qu'elle ne passera pas les trente ans) alors, elle a pris le parti de vivre à fond avant la date fatidique de sa mort, même si c'était dangereux pour elle. Sa gentillesse, sa capacité à prendre soin des autres, le bon placement géographique de son fief (l'ile où transite toutes les marchandises du nord, notamment celle qui passe par Fraldarius), ses excellente relations avec énormément de marchands, son don pour le négoce, et le fait que son coeur défaillant vienne surement d'une malformation et non d'une maladie héréditaire ont convaincu Aliénor d'accepter le mariage d'amour entre elle et Rodrigue malgré sa maladie et son côté inconscient. Elle est morte de septicémie en mettant Félix au monde deux mois trop tôt car, son corps la lâchait (pas forcément à cause de la grossesse, même si c'était un facteur aggravant), d'où le fait que Félix porte son nom, surtout que ça correspond à son voeu que ses fils soient heureux (Félix = "celui qui a bonne chance" en latin). Rodrigue l'aimait profondément et ne se remariera jamais par amour pour elle, faisant même le voeu pieux envers la Déesse de tenir sa promesse envers elle et de lui rester fidèle. Félix ressemble beaucoup à sa mère, même s'il tient ses yeux de chat de son père.
"Grand-père" dit par Félix = il s'agit de Fraldarius (de son nom complet Lucius Fraldarius Pertinax), là où il appelle plus Guillaume et Nicola "papi". Il le surnomme ainsi depuis qu'il l'a sauvé des brûlures infligées par Arundel / Thalès. Il est attaché à son ancêtre, même s'il le rejettera après Duscur et sa dispute avec Rodrigue, justement à cause de son rejet en bloc de sa famille, l'énergie de Pertinax qu'il ressent parfois lui faisant trop penser à Rodrigue entre autre.
Maintenant que tout le monde est là et que les relations sont posés, bonne lecture à tous !
(suite sous la coupe, comme toujours !)
Chapitre 29
« Merci d’être tous venu aussi vite. Comme vous le savez, l’heure est grave, nous sommes au bord de la guerre avec Duscur…
Lambert posa directement l’ordre du jour dès le début du conseil, réuni peu de temps après le nouvel an. Tous ses membres étaient présents ou représentés par des proches de confiance. Le benjamin de la fratrie Charon et le chargé de la diplomatie et des relations avec les autres états, Kimon, se leva et résuma la situation, afin d’être sûr que tout le monde avait les mêmes informations et commencer sur de bonnes bases, deux scribes prenant en note la séance pour en garder une trace.
– Il y a de cela trois mois, un chatelain de Mateus se trouvant sur la frontière avec Duscur s’est mis à attaquer nos voisins sans raison préalable. Il s’agit du sieur Kleimain, un vassal des comtes de Mateus. Apparemment et après la première enquête dirigée par les missi dominici, il n’attaquerait pas pour se défendre mais, pour agrandir sa châtellenie en rognant sur la frontière et essayerait de prendre une de leurs mines afin d’augmenter ses revenus. Visiblement, son fief est trop petit pour lui. Il va s’en dire que le conseil de chef de Duscur est furieux et a immédiatement envoyé des plaintes en demandant à ce que les agressions sur son territoire cessent.
– Vous m’apprenez que c’était pour des raisons aussi matérielles que Kleiman a agis, déclara vaguement Mateus. Il a prétendu devant mon ban et le plaid de mon comté n’avoir envoyé que des prédicateurs, afin d’emmener les païens de Duscur à vénérer correctement la Très-Haute, plutôt que de l’abaisser à côtoyer plusieurs fausses divinités et démons, mais que devant l’hostilité des agneaux à ramener dans Son grand troupeau, il avait été forcé de les faire escorter par des frères d’une congrégation militaire. Je l’aurais su, je l’aurais sévèrement réprimandé.
– Même sans cela, il aurait fallu agir dès le départ, » rétorqua Rodrigue, Alix lui laissant le soin de répondre. C’était le plus crédible des deux pour parler de religion. « Il a tout de même envoyé des hommes sous son commandement prétendre dans leur pays que leurs divinités sont fausses et qu’ils honorent mal l’une d’entre eux, encore plus quand il les a faits escorter par des hommes d’armes, ayant prononcé des vœux ou non. Après tout, il n’y a rien dans les Écritures ou les Cinq Commandements de Seiros contre le polythéisme ou le fait d’intégrer la Déesse au sein d’un autre panthéon, que ce soit la version originale en latin ou la version traduite officielle. Leur manière de lui rendre un culte respecte également les Écritures tout en l’adaptant à leurs pratiques, comme le fait chaque pays de Fodlan. Il n’y avait donc aucune raison d’envoyer des prédicateurs dans un pays étranger, un pays ami de surcroit.
– Il est vrai que cela était… un peu maladroit et malavisé de sa part, et je lui ferais les remontrances qu’il mérite. Cependant, il est clair que si on suit ses dires à la lettre, il n’avait pas pour objectif d’envenimer nos relations avec Duscur, seulement de les guider vers le chemin de la Seule et Unique Vraie Foi, nuança faussement Mateus. Cependant, il est clair qu’en poursuivant des objectifs aussi terrestre et vils, il n’a rien fait pour la Déesse et n’a agi que pour lui-même.
– C’est clair que c’est la meilleure manière de détruire nos relations avec Duscur. Il y a peu de risque que cela dégénère en guerre, ce serait suicidaire pour les duscuriens vu qu’ils ne sont pas nombreux et moins bien équipés que notre armée mais, même s’ils tentent toujours de rester pacifistes, ils se défendront car bon, honnêtement, qui ne défend pas ses gosses quand on les attaque pour voler leurs terres et leurs ressources ?! Et tu parles de prédicateurs ! Ils ont quand même eu le temps de tué une vingtaine de personnes ! Et c’est le chiffre connu ! Congrégation ou pas, ils ont oublié qu’il y a écrit en toutes lettres « tu ne tueras point » dans les Écritures ! Ajouta Alix avec plus de virulence. Cela risque aussi d’envenimer nos relations commerciales avec eux, et ils sont nos premiers pourvoyeurs de métaux rares. On se débrouille plus ou moins pour le fer mais, ce serait compliqué de trouver d’autres fournisseurs, surtout à ses prix.
– Il est vrai que leurs prix sont extrêmement raisonnable grâce à la paix entre nos deux pays, permises par l’action de la Dame du Vent Lucine Dominic qui était elle-même duscurienne par moitié, ajouta Gustave, représentant son frère ainé qui n’avait pas pu se déplacer à cause de tension entre deux de ses villes qu’il devait régler. Ils respectent encore les traitées datant du Roi Loog le Lion et nous de même. Les attaquer risquent de briser les accords et de commencer une ère de méfiance, et cela se ressentira sur les prix, surtout que nous ne sommes pas leurs seuls clients. Albinéa et les srengs font également beaucoup d’affaire avec eux. Les duscuriens tiennent à leurs terres qui est un don de leur dieu de la Terre et veulent qu’on les respecte, comme toute personne vivante. Ne pas respecter cette terre sacrée risque de nous attirer les foudres du dieu du ciel selon leurs croyances…
– Oui, je suis bien d’accord, ajouta Lambert. Nous avons déjà envoyé un avertissement à Kleiman. Nous devons aussi nous rendre dans son fief afin d’effectuer des contrôles et voir si tout est en ordre avec le concours de Thècle Charon qui est en charges des affaires fiscales, comme nous l’avions convenu dès que l’enquête préliminaire a pris fin, déclara-t-il en regardant sa belle-sœur ainée. Il semblerait qu’il y ait de graves irrégularités dans ses comptes donc, cela permettra de fouiller dans tous ses documents ainsi que son courrier.
– Oui, nous avons commencé à mettre en place notre conseil d’enquête ainsi que notre méthode et notre plan d’action une fois dans la châtellenie de Kleiman, afin d’être le plus efficace possible dans nos recherches. Elles pourront commencer dès le quinze de cette lune, déclara-t-elle en posant sa main devant son cœur pour prêter serment. L’ensemble des contrôleurs royaux jure solennellement d’effectuer ses investigations avec la plus grande rigueur possible dans le bien de notre Royaume. Si nous découvrons la moindre irrégularité qu’il soit, nous jurons d’en informer Sa Majesté ainsi qu’à la Justice, elle qui était si chère au Flutiste des Glaces Blaiddyd.
– Merci pour toute votre dévotion Thècle, sourit Lambert. Je sais que je peux vous faire confiance, autant à vous qu’à Lachésis.
– Merci Votre Majesté, le remercièrent les deux sœurs.
– Bien. Maintenant, nous sommes au clair sur la marche à suivre avec Kleiman. Une fois que les scribes auront fini de retranscrire nos dires et fait une pause, nous pourrons débattre de la manière dont nous pouvons résoudre les tensions avec Duscur, déclara Rodrigue en regardant le duo noter aussi vite que possible tout ce qui s’était dire, le remerciant d’un regard de leur laisser un instant pour reposer leur main et boire un peu.
– Oui, prenez votre temps, continua Lambert alors que les rapporteurs posaient leur plume pour nouer la première partie du procès-verbal, ainsi que plonger leur main dans l’eau. Même si je ne pense pas que cela soit bien long, j’ai déjà commencé à parlementer avec eux et ils sont d’accord pour une rencontre diplomatique entre nos deux pays.
Un silence très lourd tomba dans le conseil, tous se regardant avec étonnement, les jumeaux les premiers. Ils n’avaient jamais entendu parler de ça ! Même les rapporteurs en posèrent leur verre d’étonnement, alors que c’était ceux qui rédigeaient tous les procès-verbaux du conseil royal. Si même eux n’étaient pas au courant, cela voulait dire que personne ne l’était ou presque.
– Que… que dites-vous ? Lui demanda Rodrigue, priant de toutes ses forces pour avoir mal entendu ou compris.
– Une rencontre diplomatique est prévue entre Duscur et Faerghus, répéta Lambert. Je leur ai écrit dans ce sens.
– Tu… Vous leur avez écrit Votre Majesté ? Se corrigea l’ainé des jumeaux dans son effarement. Vous ne l’aviez jamais mentionné auparavant… quand cela a été fait ? Et avec quel représentant des duscuriens ?
– Dès que j’ai eu vent de ces attaques. J’ai échangé plusieurs lettres avec le conseil des chefs, ainsi que la famille Zaindari, chargée d’entretenir la Grande Maison des Dieux étant donné qu’ils sont chargés de représenter leur pays.
– Je ne suis pas non plus au courant ! Ajouta Kimon, furieux d’aussi l’apprendre que maintenant. La chancellerie ne m’a rien transmis de tel ! Ils sont pourtant chargés de tous les documents officiels de la couronne ! J’aurais dû être prévenu si une telle correspondance avait eu lieu ! Ne me dites pas que vous êtes passé par des messagers privés pour une affaire aussi importante ?!
– Et bien… oui, confirma-t-il avant de se justifier. Cela allait beaucoup plus vite que de passer par l’administration et la chancellerie.
– Il est vrai que cela peut être un peu long mais, cela permet de contrôler que rien ne risque de blesser le destinataire, surtout dans un moment aussi tendu que celui-là, lui rappela Francis Galatéa, essayant de garder son calme tant bien que mal.
– Oui, surtout que lorsqu’elle était encore parmi nous, vous faisiez relire toutes vos lettres officielles et vos ordres à notre chère petite sœur Héléna, ajouta Lachésis, contenant mieux sa colère que son benjamin. Comment cela se fait-il que vous soyez passé de plusieurs relectures, même à titre privé, à l’envoie direct de missive à caractère officiel à des pays étrangers sans relecture ?
– Je vous rassure, je faisais très attention à ce que je disais et je m’exprimais en duscurien pour montrer ma bonne volonté de trouver un compromis, ainsi que la paix entre nos peuples. De plus, comme nous venons de le dire, nous nous entendons bien depuis toujours avec Duscur. Une des fondatrices du Royaume, Lucine Dominic, était elle-même à moitié duscurienne du côté de sa mère.
– Ouais, des accords de plus de quatre cents ans suffisent à assurer le fait que tout ira bien, ironisa Alix avant d’exploser. Sérieusement Lambert ?! T’as pris un risque pareil pour ça ?! On est déjà sur le point de s’entretuer sur la frontière ou au moins de perdre nos principaux fournisseurs de métaux ! Le moindre mot de travers peut ruiner des siècles d’entente ! Il a fallu que quelques attaques par un type qui avait la mauvaise idée d’avoir une garde armée pour qu’elle se fracture ! Tu devrais le savoir, on te traite encore de complice de brûleur d’enfants vu que tu as mis trois plombes à agir contre ce monstre ! Être diplomate ne s’improvise pas ! Et t’as toujours été nulle en la matière sans te faire plumer !
– Bien sûr que non Alix ! Répondit-il, un peu étonné de sa fureur. J’ai aussi pensé à ce que tu as avancé toi-même : Duscur possède un territoire beaucoup plus petit que le nôtre, ils sont moins nombreux, moins bien équipé et ils sont pacifistes. À part ce différent à la frontière, tout s’est toujours bien passé entre nous. Ils n’ont pas intérêt à nous attaquer, argumenta-t-il. Et nous nous sommes plutôt bien sortis pendant les négociations avec Sreng après la guerre ou Adrestia.
– Ouais, car t’as eu une chance de cocu, avec les révoltes qui ont éclaté de partout dans l’Empire et t’ont arrangé le coup, lui renvoya le cadet des jumeaux en pleine figure. On ne va pas aller bien loin si tu comptes juste sur ta chatte pour t’en sortir à chaque fois.
– J’ajouterais que les traités de paix avec les différents territoires srengs ne tiennent pas grâce à toi Lambert mais, surtout grâce aux Loups Inséparables qui ont su se montrer dignes de notre respect et de bons adversaires, en particulier pour le Kænn, intervient Fregn avec froideur, représentant son mari toujours posté à la frontière. Ne t’en enorgueillit pas à leur place, ce serait du vol. On peut voler, il n’y a rien d’immoral à le faire si cela est fait avec talent ou pour nourrir sa famille mais, il ne faut pas se faire prendre, et on ne vole pas un ami. De plus, ne rêve pas, avec le coup de poignard dans le dos que tu viens de donner à tes propres alliés, personne ne respectera quelqu’un comme toi alors, cela se sait, tous les srengs jetterons les traités à la mer et si on ne le fait pas, ce ne sera pas pour toi mais, seulement pour tes conseiller. On pariera aussi tous sur quand ils vont te renverser.
– Vous êtes surement un peu pessimiste Dame Fregn. Votre peuple et votre sœur les ont toujours respectés à la lettre depuis plus de sept ans, pourquoi ne le feraient-ils plus d’un coup à cause d’une tension avec Duscur ? La questionna Gustave avant de la rappeler à l’ordre. De plus, vous vous devez de respecter Sa Majesté, comme vous l’avez toujours fait.
– Respecter des personnes irrespectables revient à s’insulter soi-même. Cela signifie que vous considérez comme égale ou supérieure une personne inférieure à vous. Je refuse de me rabaisser car, il a une couronne dans les veines », rétorqua-t-elle en faisant ressortir son accent dur et en relevant ses manches pour exposer ses tatouages de runes, un signe d’hostilité chez les srengs, que les gardes ne loupèrent pas non plus, un ou deux mettant leur main sur leur épée. Même si la plupart des runes avaient été barrées et modifiées pour qu’elles soient inutilisables, elle pouvait toujours rappeler son poignard avec celles sur ses mains. « Je vous parle honnêtement, et je ne dirais rien de ce camouflet qu’il vient de vous faire à part à mon mari, pas même à mon fils cadet alors qu’il commencera bientôt à entrer dans les affaires politiques. Je ne veux pas que mes enfants soient menacés par mes propres camarades, le Royaume a déjà assez de problème. Mais rappelez-vous bien la Pierre Stoïque que pour nous, seules les personnes qui nous ont offerts un bon défi pendant les négociations sont dignes de respect, ce qui n’a pas été le cas de Lambert. On a accepté de signer en tant que peuple avec un autre peuple uniquement pour cela, cela reste de personnes à personnes dans notre esprit. Il est respecté en tant que guerrier mais, un roi doit être plus que cela, il ne peut pas se contenter d’avoir un corps fort, son esprit doit l’être aussi. Ma réaction serait celle qu’aurait n’importe quel sreng se respectant lui-même un minimum en apprenant tout ceci. Je tenais juste à tous vous mettre en garde, et pas par respect ou sympathie, juste parce que le pays où je vis avec mes enfants dépends de ce que cet homme fait et que je ne veux pas que mes fils soient en danger… et j’espère pour vous que les duscuriens sont moins regardants que nous à ce sujet. Pour nous, ce serait appeler du pied des raids sur Fhirdiad pour récupérer toutes ses richesses et tenter de le tuer. On n’attaquera pas la terre des loups car, ils ont notre respect et celle des goupils étant donné que mes fils et moi-même y vivons mais, on ne se gênera pas pour celle des lions. Tuer un homme avec la force d’un troll est un exploit qui vous fait entrer dans la légende et les sagas. La plupart de nos guerriers les plus respectés ont un emblème de Blaiddyd parmi leurs trophées.
– Dame Fregn… » hoqueta Lambert avant d’ajouter, essayant de faire redescendre l’hostilité dans l’air d’un cran. « Je comprends votre appréhension et vos doutes mais, je vous jure que je ne voulais pas manquer de respect au conseil, ni à qui que ce soit. Il me semblait simplement plus pertinent d’agir au plus vite et directement, et cela ne me semblait pas dangereux pour le Royaume. Comme nous l’avons déjà dit, les duscuriens sont pacifiques et personne ne veut la guerre. Nous devons simplement faire en sorte que Kleiman comprenne qu’il n'a pas à attaquer les duscuriens, et agir en conséquence s’il s’obstine. Il va déjà surement passer devant la justice si on se fie à l’enquête préliminaire, c’est un bon début et étant donné qu’ils ont eu vent de cela grâce à la proximité, cela a mis les chefs duscuriens en confiance. De plus, si cela peut vous rassurer, je peux vous montrer mes brouillons, je les ai tous gardés.
– Y a intérêt, histoire de savoir ce que tu nous as réservés, mordit Alix. Espérons que ce ne sera pas à vomir d’amateurisme…
Rodrigue roula les perles de son chapelet dans ses doigts, très mal à l’aise et anxieux. Pourquoi Lambert avait fait une chose pareille ? Il savait pourtant que c’était des affaires délicates et que le moindre faux pas aurait d’énormes conséquences pour le Royaume ! Son optimisme sans borne empirait avec l’âge mais, cela n’avait jamais été à ce point, et la dernière fois qu’il avait pris une décision aussi dangereuse dans leur dos, c’était…
« Non ! Non ! Allez-vous en ! Papa ! Glenn ! Alix ! Pitié ! Ça fait mal ! »
Chassant les mauvais souvenirs couverts de brûlures maudites, le duc fit tout ce qu’il put pour garder le contrôle de lui-même et demanda, priant de toutes ses forces pour que sa voix ne tremble pas.
– Est-ce que vous avez décidé d’autres choses sans nous en parler ? Nous devons tous nous adapter en vitesse pour que maintenant, tout se passe bien et dans les règles. Nous devons tous tout savoir.
– Oui, nous avons également décidé de la date de l’entrevue, ajouta-t-il et visiblement, il essayait de ne pas trop le bousculer. Ce sera pour leur nouvel an qui tombe le quatre de la lune des Guirlandes cette année.
– Le quatre de la lune des Guirlandes… ?! Kimon devient livide une seconde, puis s’empourpra à nouveau de colère. Vous avez perdu la tête ?! C’est dans deux mois ! Les ambassadeurs n’auront jamais le temps de bien préparer le dossier ! C’est des mois de travail ce genre de choses ! Vous allez bien trop vite !
– Nous aussi, nous n’aurons jamais fini notre enquête ! Ajouta Thècle, tout aussi véhémente que son petit frère. Vous allez vous pointer chez les duscuriens et leur parler de choses qui vont se faire ?! On ne sait même pas ce qu’on va trouver ! Oui, ce n’est pas net mais, ça peut être des manœuvres de comptes pour en donner le moins possible à la couronne ! Pas très moral mais, cela joue sur la fine limite de l’illégalité et la légalité ! C’est aussi très long à détricoter ! Enfer ! Je pensais en avoir pour un an d’enquête ! Et on va devoir tout faire en même pas deux mois ?! C’est à peine le temps de rassembler et organiser tous les documents ! C’est impossible ! Il faut qu’on la finisse pour que le procès complet se tienne ! On ne peut pas faire une parodie de justice avec une enquête à moitié cuite ! Même le pire des avocats de Faerghus pourra le tirer de là en argumentant que rien de tangible n’est dans le dossier et que donc, les autres preuves qu’on a de son comportement violent ne sont pas recevables !
– Mais ne vous en faites pas pour les ambassadeurs, je compte me charger de ces négociations moi-même, leur indiqua Lambert. C’est pour cela que je me rendrais moi-même en Duscur afin de rencontrer l’assemblée des chefs, ainsi que la famille Zaindari. La nouvelle année est un moment extrêmement important en Duscur, qui marque le renouveau et le début d’une nouvelle air. C’est également un grand moment religieux où les dieux sortiraient rendre visite aux humains et se mêleraient aux festivités. À l’issue des négociations et pour sceller la paix, nous les aiderons dans les rituels en lien avec la Déesse afin de marquer la bonne entente entre nos peuples. Le rituel veut que le premier enfant Zaindari fasse une offrande et un vœu de paix avec un autre enfant mais, originaire de Fodlan. Dimitri l’accompagnera donc pour effectuer cette cérémonie et marqué le renouveau de la paix entre Duscur et Faerghus en plus de la nouvelle année.
Cette fois, Rodrigue se crut en plein cauchemar ! Ce n’était pas possible ! Cela devait en être un ! Il allait se réveiller ! Lambert voulait se rendre en personne en Duscur ? Avec Dimitri en plus ?! Le roi lui-même et l’unique héritier de la couronne en territoire étranger et pendant une période de tension ?! C’était de la folie ! Une folie éveillée ! Ce n’était pas possible ! Et il semblait être parfaitement confiant vis-à-vis de cette décision ! Non… il ne pouvait pas être aussi… aussi…
« …Idiot… ce n’est qu’un chien idiot qui ne sait que remuer la queue et s’aplatir devant tout le monde. »
Les mots de sa mère résonnaient dans sa tête, toutes les mises en garde et les fois où elle répétait qu’heureusement, Ludovic voulait en finir avec la succession héréditaire car sinon, le Royaume allait hériter d’un imbécile fini comme roi… il ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose qu’elle ne soit plus là…
– Votre Majesté… ces négociations pourraient très bien mal tournées, vous en êtes conscient ? Reprit-il en priant de toutes ses forces pour que Lambert l’écoute. Après tout, c’est un seigneur du Royaume qui a débuté les hostilités et qui a tué des duscuriens. Le conseil des chefs et la famille Zaindari doivent être sur leurs gardes. Ils craignent surement que cela soit qu’une manière de leur assurer que tout va bien sans rien faire de plus mais, si Kleiman s’approche à nouveau de la frontière avant votre arrivée, ils vont tout de suite penser que nous ne tenons pas nos engagements. Ils sont également garants de la sécurité de leur peuple, ils vous réclameront forcément des comptes pour les villageois assassinés… de plus, ce temple se trouve en plein cœur des montagnes duscuriennes. Il sera difficile pour votre garde d’avancer facilement sans être à découvert, ou de pouvoir réagir rapidement à la moindre attaque. Nous connaissons peu ce terrain et il est parfait pour une embuscade. Cela arrive, les renforts auront beaucoup de mal à arriver pour vous aider et d’un autre côté, nous ne pouvons pas nous permettre aussi d’envoyer trop de troupes avec vous, pour ne pas donner l’impression d’envahir Duscur, surtout pendant une fête religieuse. Vous allez emmener votre fils en plein dans les montagnes duscurienne, sous escorté, et pendant une période de crise. Êtes-vous conscient d’à quel point cela est dangereux ? À la moindre erreur, les négociations ont de très grandes chances de mal finir, vous vous en rendez compte ?
– Bien évidemment, c’est une possibilité mais, je suis sûr qu’il n’y aura aucun problème, lui assura Lambert, ses mots glaçant le sang de Rodrigue, trop conscient de tout ce qui pourrait mal tourné. Nous voulons tous la paix, il n’y a pas de raison que les uns ou les autres envenimions la situation. Je suis sûr que nous trouverons une solution qui satisfera tout le monde…
– Ouais, comme la dernière fois où ta solution qui devait contenter tout le monde a brûlé à mort notre louveteau », le coupa Alix, le criblant du regard. Tout le monde autour de cette table connaissait une grande majorité de l’histoire, mis à part le fait qu’Arundel était son beau-frère, surtout pour éviter que les Charon deviennent fous de rage en apprenant qui avait remplacé leur sœur et servait de belle-mère à leur neveu. Dans une situation pareille, les jumeaux se diraient presque que ce serait limite mieux qu’ils pètent une amarre, rien que pour obstruer les actions royales grâce à leur contrôle de l’administration et de la justice. « Tu fais des folies Lambert, et tu es surement sur le point de ruiner nos relations avec Duscur ! Félicitation ! Tout le monde est fier que tu te sois débrouillé tout seul comme un grand pour tous nous foutre dans la merde jusqu’au cou ! On ne peut même pas déplacer la date ou le lieu de l’entrevue à cause de toute cette symbolique à la con avec la nouvelle année et le reste ! On ne peut même pas tirer Dimitri de ce merdier à cause de ça ! Donc bon, tu finis de nous vomir à la figure toutes tes conneries, donnes-nous tes putains de brouillons, toutes les réponses que tu as reçues et si tu as prévu quelque chose de plus que ton baluchon pour aller à pied à Duscur, et nous, on va passer derrière toi pour tout nettoyer comme d’habitude ! Lui ordonna-t-il en montrant les crocs, hors de lui. Et magnes-toi ! À ta différence, on n’a pas tout le temps du monde pour tout organiser ! »
Alix semblait être sur le point de lui sauter à la gorge, furieux, et Rodrigue n’avait pas assez d’énergie pour le calmer. Il avait l’impression d’avoir un énorme creux dans la poitrine, un mélange d’appréhension et de terreur poisseuse en coulant pour le remplir entièrement. Et l’expression de Lambert… il ne s’attendait surement pas à des réactions aussi extrêmes… il venait de tous les poignarder dans le dos et il s’attendait à ce qu’ils ne se plaignent pas ?! Par pitié… c’était un vrai cauchemar ! Et tout ça avec deux lunes pour limiter la casse ! Deux lunes… deux lunes pour préparer tout l’arsenal des négociations, rassembler les anciens traités et compiler tout ce qui avait été déjà fait, les arguments, contre-arguments, une défense, les gages de bonne foi, les éventuelles menaces voilées… ainsi que tout le convoi royal qui l’accompagnerait soit l’intendance, les chevaux, les palefreniers, la domesticité, les cuisiniers, les médecins, les fournisseurs de nourriture, les gardes chargés de la sécurité du convoi, le corps expérimenté des Lions pour protéger le roi, la garde rapprochée pour compléter et protéger le prince…
La garde rapprochée… la garde royale ! Elle allait forcément faire partie du convoi qui irait en Duscur ! Glenn en ferait forcément partie ! Encore plus vu qu’il était affecté à la garde rapprochée de Dimitri ! Il y serait ! Il serait dans cette mascarade complètement folle que Lambert leur imposait ! Lambert allait le trainer en Duscur sans préparation sérieuse !
« Non ! Non ! N’emmène pas mon fils là-dedans ! C’est trop dangereux ! »
L’horreur de Rodrigue fut coupée par Lambert qui retrouva de la voix pour présenter ses premiers préparatifs, bien incomplet et qu’ils devraient aussi revoir… ça, ce serait un de ses boulots à lui… en plus de superviser tout le reste… il attrapa la main de son jumeau pour garder pied, tant pis pour leur stature, personne ne volait bien haut dans le conseil de toute façon après avoir entendu des choses pareils… les réactions allaient de l’horreur à la colère mais, personne n’était satisfait de tout ce qu’ils venaient de se prendre en pleine figure… heureusement, Alix comprit très vite ce qui se passait dans sa tête et resserra l’étreinte de ses doigts autour des siens, tentant de lui donner de sa force et de sa rage pour tenir. Déesse… merci de les avoir faits jumeaux…
À la fin, Lambert leur donna ses brouillons qu’il avait pensé à apporter au conseil. Alix lui arracha des mains, puis les posa sur la table du conseil en grognant qu’ils feraient mieux de tout recopier, car c’était un peu leur seule base de travail pour le moment. Ils prirent du papier et de l’encre sur la table des rapporteurs qui en allèrent chercher plus de matériel d’écriture pour eux tous rapidement, puis les conseillers se mirent au travail, demandant souvent au roi d’éclaircir plusieurs points pour mieux comprendre. Heureusement que les chefs duscuriens et les Zaindari avaient eu l’amabilité de continuer à écrire leurs missives dans les deux langues, leur faisant gagner un temps précieux. C’était d’usage depuis la fondation du Royaume mais, ils auraient pu arrêter afin de marquer leur hostilité après ce qui s’était passé… Rodrigue prit à peine le temps de comprendre ce qu’il écrivait, il recopiait juste aussi vite et bien que possible et réfléchirait après… il se sentait si fatigué d’un coup… comme vidé de ses forces…
Une fois tout recopié correctement, le conseil prit fin pour que chacun puisse commencer à réfléchir et travailler de son côté. Ils devaient tout faire en catastrophe, ce serait difficile de travailler tous ensemble. Les jumeaux entendirent Kimon marmonner à ses sœurs que les diplomates allaient très mal prendre la décision de Lambert de les exclure, et que ce serait bien sûr lui qui allait se prendre leur mécontentement en pleine figure, pas Lambert. La plupart d’entre eux avaient travaillé toute leur vie sur Duscur et d’un coup, le roi décidait qu’il serait mieux qu’il négocie lui-même sans passer par eux, les laissant de côté… évidemment, ce serait pris comme une insulte à leur labeur… et la chancellerie aussi allait être en colère de ne pas avoir été consultée pour ces échanges diplomatiques… ça sentait le souffre cette histoire…
« Vos Grâces… Nicola les rejoignit vite à la sortie du conseil, il avait dû s’occuper de leurs soldats présents à Fhirdiad pour voir si tout se passait bien, visiblement inquiet en les voyant. Vous êtes livides… Déesse, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
– On va t’expliquer… c’est promis… mais tu peux demander à Glenn de venir s’il te plait ? Lui demanda Rodrigue, trop conscient de sa voix minuscule d’épuisement et d’abattement. Lui aussi est concerné…
– …Bien. Je vous raccompagne à vos chambres et je vais le chercher, répondit-il en comprenant qu’il aurait vite tout l’histoire.
– Merci beaucoup… par contre, tu peux éviter que Félix te suive pour le moment ? On ne veut pas l’inquiéter et on préférerait qu’il reste en dehors de ça…
– Je comprends. »
Leur compère les suivit jusqu’à leur chambre où il les laissa tomber sur une chaise avec une tasse de thé fait en vitesse pour se calmer un peu, même si les jumeaux ni touchèrent pas, faisant le point dans leur tête. Ils ne se réveillaient toujours pas de ce cauchemar… c’était trop horrible pour que cela en soit un… ils essayèrent de mettre tout dans l’ordre ensemble, relisant leurs notes et copies des documents que leur avait donné Lambert… leur tête traitait trop d’information en trop peu de temps… et ils devraient le faire en vitesse… leurs papiers seraient difficiles à utiliser, ils étaient allés vite et avaient abrégé beaucoup de choses. Rodrigue avait même écrit à l’envers pour éviter d’étaler l’encre dans sa précipitation, il faudrait un miroir pour le relire… il faudrait surement tout recopier au propre et dans l’ordre… ça allait demander du temps… et c’était tout ce qu’ils n’avaient pas…
La porte grinça un peu sur ses gonds, laissant entrer la voix de Glenn.
« Papa ? Alix ? Nicola m’a dit qu’il y a urgence et que vous n’alliez pas bien… eh ! Il se précipita vers eux en les voyant, n’ayant surement pas regagner des couleurs entre temps. Par les Braves ! Qu’est-ce qui vous est arrivé ?! On dirait que vous êtes blessés !
– Ce n’est rien, on t’assure, tenta de le rassurer un peu son père avant de bégayer, totalement perdu dans le fil de ses pensées. C’est juste… Déesse… trop d’informations… trop peu de temps… on n’aura jamais assez de temps… c’est trop dangereux… beaucoup trop…
– En plus, faut qu’on vous explique tout efficacement… grrrr… ce con nous laisse deux lunes pour tout organiser… et on ne sait même pas par où commencer pour vous raconter ce bordel… grogna Alix en passant sa main sur son visage.
– Pour l’instant, le plus important est que vous vous reposiez une seconde pour vous calmer et retrouver quelques forces, intervient Nicola qui ajouta, conscient de ce qu’ils allaient dire ensuite. Vous mangez un peu et vous restez au calme quelques minutes, et il n’y a pas de mais qui tienne. Qui veut voyager loin ménage sa monture, vous n’arriverez à rien si vous êtes épuisés. Vous êtes déjà maigres de constitution, ne forcez pas trop sur vos forces.
– Il a raison, ajouta plus doucement Glenn en prenant une de leurs mains chacun pour les ancrer un peu plus, même s’il s’inquiétait. Vous avez besoin de reprendre des forces…
– M… hein… vous avez raison, souffla Rodrigue, reconnaissant. Merci beaucoup… et pardonnez-nous de nous comporter comme des enfants pressés…
– C’est normal de s’occuper des gens qui en ont besoin, rétorqua son fils. En plus, vous ressortez d’un conseil avec le chien idiot de Faerghus, c’est normal d’être épuisé.
Aucun des deux n’avait l’énergie ou l’envie de rectifier le surnom.
Nicola partit aux cuisines pour récupérer de quoi les requinquer, laissant le temps aux jumeaux le temps de se vider un peu l’esprit alors que Glenn décryptait leurs pattes de mouches. Au vu de son expression, il comprenait tout ce qui se passait… ça allait être compliqué…
Le vieux chevalier revient assez vite avec un plateau et un panier, rapportant un bouillon fumant, du pain noir, du fromage et quelques pommes. Tout ce qui fallait pour les remettre d’aplomb. Le conseil s’était arrêté après midi et ils n’avaient pas pensé à manger. Heureusement que Félix dinait avec ses amis à midi, il avait surement pu se restaurer sereinement. Les jumeaux remercièrent leur compère avec reconnaissance, puis se mirent à manger leur repas en se concentrant dessus, savourant comme ils purent la nourriture. La chaleur du bouillon et de la mie fraichement sortie du four faisait un bien fou… Rodrigue croquait dans une pomme bien acide quand Alix lui montra une tranche d’emmental très troué, tenant plus d’air que de fromage, les mots silencieux sur son visage, ce à quoi il répondit de la même manière, avant que son frère ne morde dedans après une autre déclaration faite d’expression après l’avoir un peu fixé, la discussion se poursuivant avec un hochement de tête de l’ainé.
« Ça ne te rappelle pas quelqu’un ?
– Oui, c’est son portrait craché pour le coup.
– Ce serait bien si on pouvait gérer ça aussi facilement que ça.
– On est bien d’accord…
– …Surtout qu’il est tout aussi con », conclut-il en finissant de l’avaler.
Comme Nicola l’avait prévu, le simple fait de manger et se poser quelques minutes leurs fit un bien fou, les idées s’ordonnant un peu dans leur esprit alors qu’ils pensaient à autre chose, et Glenn et lui avaient eu le temps de lire eux-mêmes leurs notes. Une fois sûr d’avoir tout compris eux-mêmes, ils leur résumèrent le conseil d’aujourd’hui, essayant de rester le plus neutre possible pour ne pas les influencer, bien que leurs avis transparaissaient toujours et qu’ils savaient pertinemment quelle serait leur réaction. À la fin de leur récit, Glenn ne put s’empêcher de taper son poing sur la table de frustration, Rodrigue devinant aisément qu’il aimerait le mettre dans la figure de Lambert.
« Crétin ! C’est ça ce qu’on se tape comme roi ?! Il discute au calme avec les duscuriens, fixe un rendez-vous et n’en parle à personne ?! On n’est même pas au courant dans la garde ! Alors qu’on devrait s’entrainer à se battre en pleine montagne ! Et j’ai entendu personne dans le corps des diplomates dire qu’ils étaient au courant !
– Car personne ne l’était, toutes ces tractations ont été faites par Lambert seul, lui rappela son père.
– Et ça se voie vu à quel point il s’écrase facilement face aux demandes des chefs duscuriens et des Zaindari. Heureusement qu’elles étaient raisonnables… je n’ose même pas imaginer si on avait eu Ionius en face… je préfère même pas tenter en fait, marmonna Alix. En plus de dix ans de règne, c’est à pleurer qu’il ne sache toujours pas négocier.
– Voir même à son âge… Ludovic négociait mieux que lui à une quinzaine d’année… il lui donne entièrement raison quand il disait qu’il ferait tout pour que ses fils ne portent jamais la couronne… Déesse… si seulement… grommela Nicola avant de se reprendre. Enfin, ça ne sert à rien de marmonner sur cela. Heureusement que les duscuriens ont été modestes et ne demandent que la fin des hostilités, mais ils demandent aussi une renégociation des prix d’amis qu’ils nous accordent sur leurs métaux… c’est leur manière de dire « on ne vous fait moins confiance », c’est évident.
– …Et il a pas compris visiblement… il a juste compris que ce serait mieux qu’il se charge un des plus gros dossiers diplomatiques avec eux, alors qu’il est nul en négociation et en diplomatie, grogna Glenn. Et pour les préparatifs ? Ça ne se fait pas comme ça un tel voyage… il a commencé ?
– – Néant absolu, répondirent en chœur les jumeaux.
– Il a juste fait la liste des choses à faire, et à nous de nous débrouiller avec… en deux putain de lunes… marmonna Alix. Il veut notre mort à tous…
– Et encore, nous, on peut se débrouiller pour que cela tienne, même si c’est de bric et de broc. L’enquête de Thècle va devoir bâcler ses premières conclusions car, elle n’aura jamais le temps de tout finir avant l’échéance… ajouta tristement Rodrigue. Il va devoir annoncer le sort de Kleiman aux duscuriens avant la fin de l’enquête…
– Il est plus pressé avec Kleiman qu’avec son putain de beau-frère… pesta pour lui-même Glenn, serrant son sachet entre ses doigts pour tenter de se calmer un peu.
– Il ne peut pas se permettre de ne pas leur donner de réponse, alors que c’est lui qui a débuté les hostilités et qu’il a déjà tué plusieurs duscuriens… le conseil des chefs demande même son extradition entre les lignes pour le juger eux-mêmes, ajouta Nicola en relisant les lettres.
– Car tu crois que ce chien idiot sait lire entre les lignes ? Répliqua le jeune loup. Il voie « nous aimerons beaucoup pouvoir mettre fin à cette affaire par nous-mêmes donc, pouvez-vous faire venir le responsable dans notre pays afin qu’il s’explique devant nous », il va juste amener Kleiman comme invité et dire qu’on peut tous discuter en chantant gaiement tous ensemble ! Il en serait capable à ce stade !
– Par pitié, ne le dit jamais devant lui… lâcha son père à bout de force et de patience.
– …Ne lui donne surtout pas de mauvaise idée… continua son oncle.
– Promis, je ne veux pas votre mort d’épuisement à sa différence. Grumhf… en plus, on est bloqué, pensa tout haut le jeune homme en se mettant à tourner en rond, incapable de rester immobile dans une situation pareille. On ne peut pas changer la date ou l’emplacement car, c’est symbolique, et ça entraine aussi Dimitri dans cette histoire alors que ça le met en danger et que ça peint une autre cible sur le convoi. Lambert connait tout le dossier et pas les diplomates donc, il est malheureusement le plus calé dessus car, ils n’auront jamais le temps de bien tout préparer en si peu de temps, comme tout le monde. On peut à peine leur livrer Kleiman car il ne sera pas jugé de notre côté… et même niveau organisation, ça va être un gâchis complet. Il nous a mis dans une de ces merdes…
– Ajoute à cela que d’après Fregn, ce genre de décision se sait, les srengs ne le respecteront plus car, il n’est pas un roi complet selon eux et donc, les traités de la dernière guerre ne tiendront que par les personnes qu’ils estiment encore. Elle nous a prévenus que si l’inconscience de Lambert se savait, il y aurait sans doute des raids sur Fhirdiad car, ils ne le considéreraient plus comme dangereux mais, comme un défi à celui qui le tuera le premier car, il a une force surnaturelle…
– Il ne manquait plus qu’eux… ou pas… s’ils décident de s’ajouter à ce bordel, ça ferait une excuse pour ne pas aller là-bas… on doit balayer leurs attaques alors, on ne peut pas se rendre au rendez-vous et pour le prochain, c’est vous qui décider, grommela Glenn. Enfin bon, c’est toujours un problème d’avoir des raids donc, je l’espère pas… mais comment on peut limiter les dégâts ?
– A part tout faire pour tout préparer à temps afin de limiter les risques, tout en essayant de mobiliser un maximum d’opposition pour qu’il renonce devant la pression, on ne sait pas… avoua son père. Il faut qu’on prépare sérieusement le convoi et la rencontre sinon, on ne fera que rendre tout cela plus dangereux pour tout le monde, même si on est formellement contre. Ce n’est pas que la sécurité de Lambert et Dimitri qui est en jeu, c’est celle de toute personne qui va les suivre…
– Et on va devoir en même temps essayer de tout faire pour convaincre un maximum de monde qu’il ne faut pas l’encourager, et tout faire pour le dissuader d’y aller. Il faut qu’on arrive à mettre Rufus de notre côté en lui faisant voir à quel point c’est dangereux pour son frère et son neveu. S’il est contre et intervient, Lambert l’écoutera forcément, comme il l’a fait avec Arundel, ajouta Alix. On va devoir être au four, au moulin et au pressoir en même temps mais, on ne voie pas d’autres solutions. À part que vraiment, Fregn en ait marre de sa tête pleine de vide et décide d’écrire à ses sœurs pour leur dire que respecter Lambert, ça revient à s’insulter soi-même et qu’elles prennent ça comme une porte ouverte pour attaquer, une révolte ou une opposition générale, ou un coup d’État car quelqu’un veut arrêter les conneries deux secondes, on ne voie pas vraiment comment s’en sortir… vu comment il s’obstinait et la situation dans laquelle il nous a foutus, on est fait comme des rats…
– Le tout en trouvant un moyen de te sortir de là, même si tu fais partie de la garde rapprochée de Dimitri, ajouta Rodrigue en regardant Glenn. C’est beaucoup trop dangereux, il est hors de question qu’il te traine dans sa folie. J’irais à ta place étant donné qu’un d’entre nous devra être présent, cela entre dans les clauses du Kyphonis Corpus. Nos deux familles doivent toujours se soutenir, et s’il lui arrive quoi que ce soit alors que nous ne sommes pas là pour remplir notre rôle de bouclier, cela aura de très lourdes conséquences sur notre famille. Nous pourrions être accusé de haute trahison.
– Ou j’irais plutôt, intervient Alix. Que ce soit toi ou moi, ce sera exactement la même chose, sauf que ce ne sera pas le duc en titre qui viendra vu que c’est toi, et ça permettra aux louveteaux d’encore avoir un père et qu’ils ne se retrouvent pas sans parents. Surtout Félix, il est trop jeune pour être duc et il est toujours collé à toi, il ne supportera surement pas de te perdre, que ce soit toi ou Glenn.
– Et ni l’un ni l’autre ne supportera de perdre son frère, rétorqua le Jeune Loup. Le Royaume a besoin de personnes qui réfléchissent, et vous êtes ces personnes avec les Charon pour le moment, tout en ayant suffisamment de marge de manœuvre pour agir efficacement grâce au Kyphonis Corpus, même si c’est à double tranchant. En plus, on ne peut pas ne pas l’accompagner. Comme tu l’as dit, on doit toujours se soutenir et être les boucliers du roi. Si on ne l’ait pas et qu’il y a le problème qui doit arriver car vous avez du tout faire en deux lunes au lieu d’un an, ça nous retombera forcément dessus car, on n’aura pas rempli notre rôle et à cause des liens de notre famille avec les Blaiddyd. On pourrait tous finir exécuter pour haute trahison, surtout s’il arrive quoi que ce soit à Lambert ou Dimitri. Le seul épargner sera Félix mais ça, ce serait parce qu’il est mineur. En plus, je suis majeur dans notre fief maintenant, on ne peut plus se cacher derrière ça pour me tirer des pétrins où nous jette Lambert. Ce serait encore plus suspect si ce n’est pas moi qui y vais alors que je fais partie de la garde de Dimitri, pour que vous y alliez à ma place. Il arrive quelque chose à ce chien idiot, ou Dimitri, ou on se fait vraiment prendre dans une embuscade où l’un ou l’autre ou les deux y restent mais pas nous, ce sera suspect, nos ennemis pourraient dire qu’on a trempé dedans et que c’est pour ça que le bouclier a survécu à son porteur au lieu du contraire. Dans tous les cas, on est coincé entre la peste et le choléra alors…
– Pour le domaine royal et les duscuriens, tu l’es encore, la majorité est à vingt-et-un ans pour eux… répliqua son père avec le filet de voix qui lui restait, avant de se rendre à l’évidence, ne pouvant pas se permettre de l’ignorer contrairement à Lambert. Cependant, tu as malheureusement raison, on est complètement coincé entre deux maux… et nous devons penser au bien du Royaume avant nos propres désirs personnels… c’est notre devoir envers lui… Rodrigue se leva pour prendre ses mains en le suppliant, déjà inquiet comme si Glenn partait demain matin avec juste une chemise et une canne en bois pour se défendre. Fait attention, je t’en prie… rentre à la maison entier… je ne veux pas que tu ailles là-bas, et je veux encore moins que tu y restes… fait très attention à toi, je t’en supplie…
– Je te le promet papa… il posa son front contre le sien malgré la différence de taille, essayant de le rassurer avec le contact. Je suis toujours rentré et vous m’avez tous bien formé, je reviendrais. Je protégerais Dimitri de toutes mes forces, et je me ferais violence pour protéger Lambert aussi, même s’il mériterait de se prendre une conséquence dans la gueule pour tout ce qu’il fait. Le petit a la tête sur les épaules, ça motive à tout donner pour le protéger, et un peu pour protéger le chien idiot vu qu’il ne veut surement pas perdre son père et que ça lui ferait beaucoup de mal si cela arrive, même si le père en question a confiance en des brûleurs d’enfants. J’irais et je reviendrais, rien que pour protéger Dimitri de son père et de ses comparses.
– J’irais également pour protéger le Jeune Loup et surveiller de plus près les agissements politiques de Lambert, ajouta Nicola en argumentant. Étant donné la situation et le peu de temps accordé à la préparation de ce voyage, personne ne voudra y aller sans y être forcé alors, cela permet d’avoir une personne en plus pour lui, et des yeux pour le surveiller à votre place pour nous. Mes mots auront également plus de poids étant donné que je suis plus âgé et expérimenté que lui.
– Même si tu es dans les personnes qu’on ne veut pas voir aller là-bas, tu n’as pas tort… marmonna Alix avec dépit. Les Charon aussi seront là-bas, au moins Kimon vu que normalement, c’est son boulot les relations internationales, et Myrina pour le défendre étant donné que c’est une de leurs meilleures combattantes. Ils ne vont surement pas envoyer Cassandra vu son âge. Mais dans tous les cas, faut quelqu’un pour le surveiller et être sûr qu’il ne nous refasse pas un autre coup dans le dos… on a pas envie de t’envoyer mais bon, tu es le plus qualifié pour ça… mais c’est comme pour Glenn, tu dois revenir Nicola. Revient vite toi aussi et en entier…
– Je vous jure de faire tout mon possible pour protéger votre louveteau et revenir vivant avec lui. J’ai bien l’intention de mourir de vieillesse au lieu d’avant l’heure, encore moins pour ce chien idiot et incompétent.
Rodrigue essaya de sourire un peu à la tentative de Nicola de les rassurer mais, son visage ne faisait que se tordre de manière difforme. Tout sauf les voir tous les deux là-bas… tout sauf qu’ils partent aussi en Duscur… tout sauf ça… il serait si loin… loin du lac et de la protection de Fraldarius… Glenn ne pourra même pas prendre Aegis ou Moralta… emmenez une Relique serait vu comme un signe d’agression et il n’avait pas d’emblème pour la manier… leur ancêtre ne pourrait pas lui venir en aide directement, que ce soit par l’eau du lac ou son bouclier… et Nicola vieillissait bien et était toujours aussi fort mais, il avait tout de même soixante-cinq ans, comme Guillaume et Aliénor s’ils avaient vécu ou survécu plus longtemps… il mériterait de juste laisser son marteau de guerre dans son armoire, ne plus reprendre la route dans ses conditions, et plutôt passer du temps avec ses petits-enfants…
« Déesse… Déesse de pitié et de miséricorde… je t’en supplie, fais en sorte qu’ils soient préservés de la folie de Lambert… je ne veux plus voir de boite sortir de la voiture plutôt que la personne vivante… par pitié, protège-les tous les deux… protège les tous… »
Ils se mirent à discuter de leur organisation pour les semaines à suivre, tout en décidant d’un mot d’ordre : pas un mot de tout cela et de leur opposition à Lambert à Félix. Il était trop jeune pour être mêlé à tout cela, ils devaient tous le protéger de l’agitation politique ambiante et lui éviter de se retrouver dans ils ne savaient quelle querelle. Félix était le futur duc, mais ses ainés feraient tout pour lui permettre de rester un enfant un peu plus longtemps qu’eux. En plus, il avait encore du mal avec Lambert après qu’il n’ait pas chassé Arundel dès le départ, alors qu’il aurait aussi pu s’en prendre à Dimitri. Mieux valait ne pas aggraver sa méfiance, même s’ils savaient que le louveteau sentirait que quelque chose n’allait pas, il était assez perspicace pour le voir. Au moins qu’il puisse lui épargner le plus grave…
Les seigneurs étaient en train de planifier ce qu’ils devaient organiser au plus vite pour le convoi, quand la porte s’ouvrit sur Félix, suivit des chats de Glenn qui devaient le chercher pour avoir à manger. Ils n’avaient pas vu le temps passé tellement ils avaient de choses à faire, la nuit était déjà tombée. Une journée de moins pour tout préparer… ils ne pourraient pas se permettre d’en gaspiller une seule… le louveteau se figea une seconde, puis pris un air résolu au visage en s’avançant dans la pièce alors qu’il déclarait.
« Vous êtes épuisé, ça se voie et vous travailler trop. Vous êtes comme tout le monde dans le palais qui courre partout. Y en a un qui est tombé dans les escaliers car il courrait dedans avec deux tonnes de papiers dans les mains.
– Il va bien ? Le questionna Rodrigue avant de lui expliquer, espérant que ces justifications vagues lui suffiraient et ne l’inquiéterait pas aussi. C’est que nous allons avoir beaucoup de travail pour les prochaines semaines alors, tout le monde doit déjà courir pour être dans les temps. Ce sera difficile de tenir les délais. Déesse, il y a déjà des personnes qui se blessent en essayant d’aller trop vite !
– Oui, le papier a amorti sa chute. Mais vous, vous allez vous reposer ! Je ne veux pas que ça vous arrive ! Humf !
Il attrapa les petits de Fleurette et les posa sur leurs genoux, espérant surement les ancrer sur leur chaise sous leur poids ou le manque d’envie de déranger les chats, puis partit en courant lui aussi en leur recommandant encore de ne pas bouger. Après une seconde, un petit éclat de rire allégea un peu l’atmosphère tendue, touché par l’intention de leur cadet. Il revient assez vite des cuisines avec leur repas, aidé par Estelle et Bernard pour tout porter. Ces deux derniers restèrent manger avec eux, bavardant des dernières nouvelles entendues dans le palais et la capitale. Visiblement, la nouvelle de leur départ pour Duscur dans deux mois ne s’était pas encore répandue… tant mieux, moins de personnes savaient, moins il y avait de risque que cela tombe dans les mauvaises oreilles, que ce soit celle d’ennemi du roi à l’intérieur du Royaume, des srengs, ou pire encore de l’Empire… cette situation était vraiment un vrai champ rempli de pied-de-corbeau…
Cependant, Rodrigue essaya de ne pas trop y penser et plutôt de profiter de son repas. Ce serait surement sa dernière soirée où il aurait de l’énergie jusqu’à ce que cette histoire se finisse, il voulait en profiter un peu… simplement écouter Félix lui raconter sa journée avec Sylvain, Ingrid et Dimitri alors qu’ils s’entrainaient en disant qu’ils seraient aussi forts que leurs ainés et leurs ancêtres, lui expliquant comment il arrivait à entourer sa lame avec ses éclairs à présent. Il pouvait encore profiter de l’enthousiasme de son cadet sans avoir l’esprit embrumé par la fatigue.
Il l’embrassa avant qu’il aille se coucher, faisant encore une prière à la Déesse pour le préserver encore un peu de tout cela et de la bêtise de Lambert.
« Qu’il puisse encore un peu rester un louveteau… »
*
« Tout le monde n’arrête pas de courir en ce moment… je me demande ce qui se passe… mon père et mon oncle sont toujours fatigués depuis qu’on est arrivés… Glenn aussi s’entraine et les aide beaucoup plus que d’habitude …
Félix arrêta, regardant les personnes de l’administration et les gardes courir de partout dans le couloir, ce qui était le quotidien à l’intérieur du palais depuis deux semaines. Ingrid fit de même en posant sa lance, pensive.
– Mon père et mon grand frère aussi… j’ai essayé de leur demander ce qui se passe mais, ils n’ont pas voulu me répondre et m’ont juste dit qu’ils avaient tous beaucoup de travail… j’ai aussi essayé avec Glenn mais, il n’a rien dit non plus… il a l’air très énervé en ce moment…
– Oui, il grogne souvent, même s’il essaye de le cacher, ajouta le magicien. Tout le monde a l’air vraiment mal et angoissé… les jumeaux dorment à peine et ils sont encore fatigués quand ils se réveillent…
– Oui, ma mère aussi est bien remontée, ajouta Sylvain. Elle sait le cacher et elle doit garder la plupart des choses qu’elle pense pour elle mais, ça se voie qu’elle est furieuse. Elle s’est mise à appeler Lambert par son prénom, même si elle ne le fait que quand on discute en sreng et seuls.
– Elle le tutoies ? ça veut dire qu’elle ne le respecte pas, c’est ça ? Lui demanda Dimitri pour être sûr.
– Oui, soit ça, soit de la familiarité mais, c’est clairement pas ce cas de figure à sa tête et à sa manière de parler. Je suis sûr que ça a un lien avec l’agitation et ces « moins de deux lunes » qu’on entend partout.
– Mmmmhhhhnnn… je pense, mon père aussi travaille beaucoup avec les diplomates en ce moment, même si Kimon a l’air sur le point de l’étrangler dès qu’il lui parle. Hum… Dimitri hésita un peu avant d’ajouter, passant au sreng, ce qui confirma à ses amis qu’il n’était pas sensé en parler, il ne devait pas vouloir que les gardes de Blaiddyd et de Fraldarius comprennent ces dires. Je crois que cela à avoir avec le voyage qui se prépare. On doit se rendre en Duscur pour leur nouvel an, c’est le quatre de la lune des Guirlandes cette année. On doit aller dans leur ville sainte pour la visite diplomatique et effectuer un rituel qui marque le renouveau et l’entente, pour signer la fin des tensions.
– Vraiment ?! Tu ne nous l’avais pas dit ! S’exclama Félix dans la même langue.
– C’est ce que tu travailles les après-midis ? Ajouta Ingrid.
– Oui, mon père m’a dit d’éviter d’en parler car, ça pourrait tomber dans les mauvaises oreilles. C’est pour ça que je le dis en sreng, vu que peu de personne le parle.
– C’est clair que c’est risqué… marmonna Sylvain, pensif. Normalement, on évite d’envoyer le roi et son seul héritier à l’étranger. En plus, si j’ai bien compris, on est sur le point de s’entretuer avec eux, vu qu’un seigneur les a attaqués pour agrandir son territoire sur la frontière, et qu’il a tué des leurs.
– Pourtant, on est ami avec Duscur grâce à Lucine Dominic, lui rappela Ingrid. Il n’avait aucune raison de les attaquer ! C’est indigne d’un chevalier !
– D’après mon père, ça devrait aller justement parce qu’on est amis avec Duscur. Et il va aussi régler les problèmes avec Kleiman d’après lui. Ma tante Thècle travaille beaucoup dessus en ce moment pour faire en sorte qu’il ne fasse plus de mal à personne.
– Oui mais, son enquête a commencé il n’y a pas longtemps non ? Lui demanda le rouquin, l’air de plus en plus inquiet. C’est comme pour ce voyage, tu sais depuis combien de temps ils travaillent dessus ?
– Il y travaille depuis des mois avec le conseil de chef et la famille Zaindari, mais la chancellerie et les diplomates n’étaient pas au courant. Il a tout fait lui-même pour réduire les délais et qu’on trouve plus vite un terrain d’entente. Pour ce qui est du convoi, je crois que les préparatifs ont vraiment débuté que quand il l’a annoncé au conseil, même s’il avait aussi commencé à travailler dessus de son côté.
– Et bien… honnêtement, je sais qu’on s’entend avec Duscur mais bon, ça me semble vraiment rapide… il a fallu des mois de préparation avant que les rois srengs et Lambert se rencontrent, et c’était chez nous… ma mère m’a aussi raconté qu’il avait mis trois ans avant que mes grands-parents et le roi Ludovic tombent d’accord sur le contrat de mariage entre mes parents, raconta Sylvain. Ça m’a l’air assez précipité comme histoire…
– Mon père m’a dit le soir où est arrivé qu’ils allaient tous avoir beaucoup de travail dans les prochaines semaines, et qu’ils auraient des délais très courts et difficile à tenir… ma main au feu que c’était pour ce voyage à Duscur vu que c’est dans deux lunes… grogna Félix, le nez froncé, sentant l’énergie de la marque irradier dans son dos pour le rassurer. Rassure-moi, Lambert ne fait pas une autre connerie…
– Ta langue Félix ! Le rappela à l’ordre la blonde avec sévérité.
– T’appelle le sale coup avec Arundel comment ? Rétorqua-t-il, se souvenant de la morsure des brûlures dévorant sa peau et son cœur. Après les deux lunes que j’ai mis pour guérir, il ne l’avait toujours pas chassé loin de Dimitri ! Je ne veux pas qu’il risque encore la sécurité de Dimitri, de Glenn ou des autres ! Mon père et mon oncle aussi étaient mal ! Et plus personne n’a confiance en lui en Fraldarius à cause de ça ! Estelle est loin d’être la seule à dire qu’on serait mieux sans roi ! Faut qu’il fasse gaffe ! Rodrigue et Alix s’épuisent avec tout ça ! Nicola aussi !
– Moi aussi, j’ai de sérieux doutes, admit à son tour Sylvain. Je connais mieux les manières de négocier et de discuter avec les srengs, et leurs réactions sont forcément différentes de celle des duscuriens vu que leurs cultures sont différentes mais, ça me semble beaucoup trop rapide pour des négociations aussi importantes. Si je me fie à ce que tu dis, les préparatifs du convoi ont commencé il y a à peine deux semaines pour partir à la fin du mois prochain, c’est vraiment court, surtout si personne n’était au courant. Je comprends pourquoi ma mère était comme ça d’un coup… c’est la première fois que je la voie exprimer aussi sincèrement ce qu’elle pense, sans prendre deux tonnes de précautions pour que cela ne retombe pas sur Sreng… pour un sreng, voir quelqu’un qui ne parle à personne de ce qu’il va faire pour quelque chose d’aussi important et qui concerne tout le territoire, avant de les mettre au pied du mur où ils ne peuvent plus objecter sans créer d’autres problèmes, ce n’est pas très responsable, et encore moins respectable alors, elle ne le respecte pas en retour. Le faire, ce serait comme si elle s’insultait elle-même en se mettant à son niveau.
– Hum… elle n’a pas tort dans un sens, je n’aimerais pas non plus qu’on me dise du jour au lendemain quelque chose d’aussi important, surtout que tout le conseil doit aussi travailler dessus… admit Ingrid. Mon père aussi est épuisés… Frédérique a également beaucoup de travail alors que c’est encore qu’un scribe de la chancellerie… je comprends mieux… et je comprends mieux qu’il n’ait rien dit avant, il ne savait pas… tu es sûr que ça ira Dimitri ? Car honnêtement, ça me semble bizarre tout ça… je veux dire… quand on part pour Fhirdiad, on doit se préparer, et les préparatifs de la campagne de Sreng ont été beaucoup plus long alors, ça m’étonne que ce soit aussi court pour se rendre en visite diplomatique, surtout qu’un convoi royal mobilise beaucoup de monde…
– Hum… mon père assure que tout ira bien et que tout était normal quand je lui ai demandé alors, je pense… Cornélia ne donne pas vraiment son avis dessus et Patricia aussi… Cornélia dit que c’est parce qu’elles sont de l’Empire alors, elles ne peuvent pas trop donner leur avis sur les affaires faerghiennes. Je crois aussi qu’elle veut éviter d’énerver mon père car, il l’a beaucoup aidé et qu’elle lui en ait reconnaissante… j’ai aussi demandé à Rufus et il m’a dit de ne pas m’en faire, et que je devais faire confiance à mon père car, il faisait toujours tout pour que tout le monde soit satisfait…
– Ouais mais là, il fatigue tout le monde surtout, grogna Félix, le souvenir de ce jour au fond de la tête, accompagné par le visage fatigué de son père et de son oncle. J’espère pour lui qu’il ne recommence pas comme avec Volkhard sinon, je vais m’énerver s’il fait encore mal à papa et Alix ! Comme Glenn !
À la fin de leur entrainement, quand ils se séparèrent pour retourner dans leurs appartements respectifs, Félix le trouva vide, comme presque tous les jours depuis deux semaines. Glenn aidait les jumeaux et Nicola aujourd’hui, ils rentreraient tous tard. Il n’y avait que les chats qui déambulaient à gauche à droite, entrant et sortant par la petite trappe dans la porte. Aux vues du soleil, il ne rentrerait pas avant la nuit, et surement sans rien avaler ou pas grand-chose… il n'y aurait plus personne en cuisine quand ils finiraient… et en général, ils sautaient simplement leur repas, ce n’était pas des gros mangeurs dans la famille… ils lui avaient même dit de ne pas les attendre pour souper, même s’ils faisaient tout pour manger le matin avec lui, pour avoir au moins quelques instants en famille…
« Ils ne m’en ont pas parlé alors, ils ne doivent pas vouloir que je m’en mêle… mais au moins… »
Il ressortit tout de suite de leurs appartements, une idée en tête.
Le soir, alors qu’ils rentraient bien après la sonnerie des vêpres, Rodrigue, Alix, Glenn et Nicola trouvèrent leur repas sur la grande table, tous les plats fermés avec couvercle pour éviter qu’un des chats ne mettent son nez dedans, avec une théière pleine à l’odeur, gardée au chaud dans une grosse écharpe. Félix était allongé sur le banc encore assez large pour qu’il y tienne sans difficulté, ayant aussi hérité de la petite taille de Félicia, endormi dans ses vêtements du soir. La seule assiette sale était près de lui, Lunaire lapant encore la surface, même si elle fila quand ils rentrèrent, prises sur le fait.
Malgré la fatigue, l’inquiétude et la tension dû au travail, ils arrivèrent tous à sourire, touché par l’intention. Rodrigue s’approcha de son cadet, lui embrassant la tempe pour le réveiller doucement. Félix frissonna un peu, puis ouvrit ses grands yeux d’ambre, avant d’assurer en les voyant, ce qui fit sourire son père.
« Je viens juste de m’endormir, je jure…
– Ne t’en fais pas, on comprend, lui assura Alix avec la même expression que son jumeau. On devrait tous être au lit depuis longtemps… tu es allé chercher tout ça ?
– Hum… oui, vous rentrez toujours trop tard pour qu’il y ait encore quelqu’un et soit vous ne mangez pas, soit vous mangez à peine alors, je suis allé chercher votre souper…
– C’est très gentil petit frère, lui assura Glenn. Surtout que tout ça ouvre l’appétit, je meure de faim maintenant !
– Alors, oublie pas de manger… rétorqua-t-il en rassemblant ses forces pour se redresser et s’asseoir correctement.
– On va essayer. Merci beaucoup pour nous avoir amené notre souper, le remercia à son tour son père. J’espère qu’on ne t’a pas trop fait attendre.
– Non… j’ai juste eu le temps d’avoir un peu faim alors, j’ai mangé, c’est tout. J’ai même pas eu le temps de ranger mon coffre… je le ferais demain, promis… marmonna-t-il, même s’il savait tous que son coffre resterait un bazar soigneusement organisé et ignoré tant qu’il s’y retrouvait. Vous êtes tous tout le temps fatigué ces derniers temps, je voulais aider.
– C’est vrai que nous sommes débordés, admit Rodrigue, un peu gêné. Pardonne-nous de t’inquiéter… on préférerait ne pas t’impliquer là-dedans…
– Raison de plus pour que je m’occupe de monter le souper. Vous avez assez de travail comme ça.
Nicola arriva à rire un peu, touché et nostalgique.
– Cela me rappelle d’autres petits loups qui voulaient toujours aider leur mère débordée… merci beaucoup louveteau.
Les adultes s’assirent autour de la table et dévorèrent leur repas après l’avoir fait réchauffer avec un sort de feu, n’en laissant aucune miette tellement la journée les avait affamés. Ils n’avaient pratiquement pas touché terre depuis ce matin… entre les réunions, les ordres à faire, les commandes, l’établissement de l’itinéraire le plus sûr, les préparatifs purement politique et diplomatiques, les arguments, les discours… le tout en essayant de convaincre un maximum de monde de faire barrage à cette folie, ils avaient à peine le temps de respirer… trouver un repas frais leur mettait du baume au cœur…
Félix luttait vaillamment contre le sommeil afin de rester un peu plus avec eux mais, c’était évident qu’il allait s’endormir dès qu’il serait dans son lit, comme eux tous. Personne ne fit attendre sa couverture, trop fatigués pour ça.
Félix se glissa sous ses draps, soufflant à son père et son frère juste à côté de lui.
« Dimitri nous a dits… il nous a dits qu’il partirait pour Duscur à la fin du mois prochain… et que ça faisait même pas deux semaines que vous étiez au courant… c’est pour ça que vous travaillez autant ?
Rodrigue eut du mal à cacher sa gêne, ne voulant pas impliquer son cadet, pas encore plus mais, c’était trop tard maintenant… il savait l’essentiel après tout…
– Oui, admit-il. C’est sur ça qu’on travaille, même si c’est tenu au secret normalement…
– Hum… c’est trop court pour tout faire, non ? D’après Sylvain, pour les négociations avec Sreng, les préparatifs étaient beaucoup plus longs… pas juste deux lunes alors que là, c’est notre faute si des gens sont morts… pourquoi vous n’avez pas plus de temps ? Vous ne pouvez pas déplacer ?
– Non, la date est trop chargée symboliquement pour qu’on la déplace alors, nous n’avons pas d’autres choix que de faire en sorte que tout soit prêt pour le départ…
– Et Dimitri doit forcément y aller ? C’est dangereux… et tu vas aussi y aller Glenn ?
– Oui, encore à cause d’un symbole pour dire que l’amitié entre Duscur et Faerghus revit ou quelque chose comme ça. Et oui, je vais aussi y aller, confirma Glenn avant de lui expliquer. Un d’entre nous doit être présent et je fais partie de la garde rapprochée de Dimitri après tout. Nicola aussi vient.
– Tu ne peux pas rester ici ou à la maison ? Nicola aussi ? Ça a vraiment l’air de sentir mauvais… d’après Dimitri, Rufus dit qu’il faut faire confiance à Lambert mais bon, il est pas malin et Lambert, j’ai pas envie de lui faire confiance… pas après Volkhard… et s’il tombait sur un autre type comme lui ?
– C’est justement pour ça que j’y vais aussi, pour protéger Dimitri des types du genre d’Arundel. En plus, ça lui ferait de la peine s’il arrivait quelque chose à son père alors, je le protégerais au passage. Nicola sera aussi là pour le rappeler à l’ordre et l’empêcher de faire de trop grosses conneries à l’heure. Avec Kimon et Myrina Charon, on devrait réussir à le garder sous contrôle, lui assura son grand frère avec autant d’aplomb que possible.
Félix hocha un peu la tête, vaincu par le sommeil alors qu’il s’endormait en marmonnant.
– D’accord… mais tu reviens… et tu t’entraineras encore avec moi…
– Bien sûr petit frère… souffla-t-il en remontant la couverture sur ses épaules, le protégeant de la fraicheur du printemps.
Glenn resta immobile un instant, regardant son frère déjà profondément endormir, un léger ronron sortant de sa poitrine.
– Il a encore un visage d’enfant… souffla-t-il à voix basse, grave. Il a les joues toutes rondes et une voix aigüe… il est aussi si petit…
– Oui, la puberté arrive souvent assez tard dans notre famille, tu n’as fait la tienne que quand tu avais pratiquement quatorze ans… peut-être pour cette année… après tout, il n’a treize ans que depuis deux mois, et normalement, il devrait les avoir ce mois-ci s’il était né à l’heure, lui rappela Rodrigue. Même si pour la taille, c’est surement parce que vous tenez de Félicia, elle était toute menue…
– Oui… je me souviens un peu que quand elle était encore là, tu pouvais la porter sans soucis à travers toute la forteresse si elle se sentait mal… dire qu’il va avoir quatorze ans à la fin de l’année… je m’entrainais pour entrer dans la garde royale à ce moment-là… s’il ne devait pas être le prochain duc, je suis sûr que lui aussi serait en train de s’entrainer pour y entrer, il progresse à une vitesse folle en magie… je m’arrête une seconde de m’entrainer et il va me battre à plat de couture tellement il travaille… sourit-il avec fierté avant d’ajouter, plus sombre. Mais, j’ai l’impression qu’il grandit trop vite… il est encore tout petit… c’est encore un louveteau…
– Vous grandissez tous à votre rythme, même si vous semblez aussi avancer toujours trop vite. Tu as toujours été pressé, et Félix aussi… même si on préférerait tous qu’il reste encore un peu un louveteau, admit leur père.
Le regard de Glenn se perdit un peu dans l’obscurité, la faible lueur de la chandelle luisant dans ses yeux bleus mais, elle ne suffisait pas pour cacher l’inquiétude qui troublait ses prunelles d’eau.
– Dire que dans quatre ans, il va aller à Garreg Mach, puis il t’aidera avec le fief puis, il sera déjà adulte chez nous et pourra devenir duc… ça semble être pour demain… encore plus en ce moment… on courre tellement que le temps semble aller plus vite…
– C’est vrai… même s’il deviendra surement duc quand il sera plus vieux, j’ai encore quelques années devant moi… on ne vit pas très vieux dans la famille mais… pas pour des raisons de santé… je prie la Déesse pour qu’il vive sa jeunesse aussi tranquillement qu’il le pourra…
– J’espère… souffla-t-il en passant sa main dans les cheveux nattés de son frère. Même si… hein…
Il se tut, les yeux à nouveau dans le vague. Rodrigue pouvait presque l’entendre réfléchir à toute vitesse d’ici.
– Qu’est-ce qu’il y a Glenn ? Quelque chose te tracasse, je le voie bien, lui demanda-t-il, attentif et inquiet. Qu’est-ce qui t’arrive ?
– C’est juste… hum… son ainé se renfrogna un peu. Ça ne va pas te plaire…
– Te voir dans cet état me plait encore moins. Tu peux tout me dire, toujours. Même si cela me déplait, je t’écouterais et j’essayerais de t’aider autant que possible, que ce soit pour te conseiller de persévérer ou pour t’en dissuader.
Son fils ainé hésita encore une seconde avant de lâcher, regardant un peu de côté avant de le fixer dans les yeux.
– Je me disais que lui aussi, il devra servir Lambert et subir ses caprices. Ce chien idiot a une santé de fer, et les idiots ne tombent jamais malades, c’est à ça qu’on les reconnait avec le fait qu’il ne change jamais d’avis… et si la santé tient, les Blaiddyd vivent vieux à notre différence… Félix va devoir le subir lui aussi… sa main se resserra en poing sur son genou. Je ne veux pas qu’il mette mon petit frère en danger ou dans une situation pareille… Félix sera aussi au service de Dimitri mais, si on est sous ses ordres à lui, on est forcément sous ceux du roi dont les ordres prime sur ceux du prince… dans tous les cas, si on sert Dimitri, on sert aussi Lambert… … … Félix mérite mieux que de servir un chien idiot pareil, finit-il par lâcher après avoir pesé ses mots, regardant à nouveau son petit frère, en train de dormir tranquillement. Il est emporté, borné et s’inquiète facilement pour ceux qu’il aime mais, il est perspicace, déterminé, travailleur, dévoué à la tâche et à ses amis, tenace même face à la mort, et il n’hésite pas à appeler un chien un chien. Je ne veux pas que ses nerfs craquent car, il est obligé de servir un roi comme Lambert… cet idiot vous fait déjà assez de mal à vous deux en ne vous écoutant jamais, et il a fait assez de mal à Félix en défendant Arundel… les loups ne devraient pas servir un chien errant qui sait juste donner la patte à tout le monde… il ne vous mérite ni vous deux, ni lui… vous êtes trop compétents pour lui…
– Je n’ai pas l’intention de le laisser faire ce qu’il veut de Félix. Jamais.
Glenn releva les yeux vers son père. Il avait répondu sans attendre, sans une once d’hésitation. Son regard était comme sa voix, rempli de détermination, le calme dissimulant soigneusement les crocs prêts à être utilisés, prêts à mordre la moindre menace envers leur famille, l’attitude droite et inflexible tourné vers quelqu’un qui n’était pas là, protectrice avec eux. La dernière fois que Glenn avait vu son père comme ça, c’était quand ce maudit Arundel avait tenté de tuer Félix, toute personne essayant de les « calmer » avait été accueilli de cette manière, mélangeant cette froideur calme et l’attitude inflexible d’un loup défendant sa meute et sa tanière. Il ne se souvenait pas de sa grand-mère Aliénor et n’avait jamais connu Guillaume mais, d’après Nicola, Rodrigue ressemblait beaucoup à ses parents, surtout dans des moments comme celui-là.
« Les gens trouvent que c’est surtout Alix le loup de la famille et que Rodrigue est plus apprivoisé… s’ils savaient à quel point il se trompe, ils le sont tous les deux… papa est juste plus discret quand il commence à s’énerver… et il est comme Félix, quand il mord, il ne lâche pas… »
– Même si nous sommes toujours tous sous les ordres du roi, Félix ne rentrera pas dans la garde royale étant donné qu’il est mon héritier, continua-t-il, aucun de ses mots ne semblant hésitant. Il pourra rester plus facilement à Egua sans que nous ayons à nous justifier ou en appeler au Kyphonis Corpus. En tant que futur duc, il restera à mes côtés pour m’aider à m’occuper du fief tout en continuant sa formation. De plus, même s’il sera surement appelé par Dimitri en cas de besoin ou pour des occasions comme celle-ci, il sera surement plus âgé et il aura la force nécessaire pour refuser l’inacceptable avec notre soutien à tous, surtout que ce n’est pas dans les habitudes de Dimitri de faire quelque chose d’aussi important dans le dos des autres… » Il tourna ses yeux vers lui, les plantant dans les siens. « Et dans tous les cas, il sera bien plus difficile pour Lambert de forcer Félix à le suivre dans ses folies. Je ne le laisserais jamais faire, et lui apprendre une leçon en le laissant se débrouiller seul a déjà réussi une fois, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas à nouveau. La situation ne serait pas aussi grave, Alix et moi l’aurions déjà fait avec les Charon mais, cela reviendrait à abandonner le Royaume et à le trahir. Néanmoins, je ne compte pas le laisser faire ce qu’il veut de notre famille. Pas avant que Lambert ne se reprenne pas et arrête d’agir ainsi au mépris des conséquences…
Cette dernière phrase fut la seule tremblante, toutes les autres étant claires et sûres, déterminées. Et encore, Glenn sentait bien que son hésitation venait surtout du fait qu’il était triste d’en arriver là. Après tout, malgré ce qui était arrivé avec Arundel, Lambert restait leur ami de toujours et les jumeaux étaient très attachés à lui, même si le fait qu’il n’ait pas agi contre ce brûleur d’enfant les ait légitimement éloignés les uns des autres. Glenn sentait que c’était dur pour eux de savoir comment agir avec Lambert, et Alix avait perdu presque toute patience avec lui.
« Quand il lui disait qu’il ne voulait pas gérer une autre affaire « de l’asdrestien brûleur d’enfant », il ne plaisantait pas mais, ce chien idiot ne l’a évidemment pas compris… »
Pour son père, c’était plus difficile à cerner. Il était toujours très patient avec lui mais, c’était dans la nature de Rodrigue de l’être. À part avec Arundel et dans le bordel actuel, Glenn ne l’avait pratiquement jamais vu perdre son calme. Cependant, il ne laissait plus Félix ou Sylvain seuls avec des soldats de Lambert ou chargé de la surveillance de Dimitri, il y avait toujours un de leur fidèle pour veiller sur eux. Les gardes de Fhirdiad l’avaient pris assez mal pour les plus hauts-gradés ou ceux issus de la noblesse mais, les roturiers et les petites mains comprenaient parfaitement le mouvement après ce qui s’était passé, Jacques le premier. Pour les nobles, leur famille devait être constitués de gentils toutous, tout juste bon à remuer la queue devant le roi sans réfléchir, obéissant à ses moindres désirs en attendant une caresse ou une petite récompense… ils oubliaient que l’animal sur leur blason était un loup bien avant la naissance de Guillaume, depuis Kyphon qui était très protecteur avec sa fille unique Clothilde, et que leur famille restait quand même la deuxième plus puissante du Royaume, avec un fief grand et sain, de plus en plus proches de la famille royale… il y aurait même eu des rumeurs selon laquelle le roi Ludovic espérait que ce soit l’un des jumeaux qui soient élus pour lui succéder… la famille du loup n’avait de compte à rendre qu’à son fief et à ses ancêtres au final. Ils pouvaient être dévoués mais, c’était un dévouement qui se gagnaient à la sueur du front royal. Ludovic l’avait eu de Guillaume et Aliénor, et Lambert l’avaient eu des jumeaux pendant un temps mais, il fallait qu’il reste à la hauteur pour le mériter.
– Tant mieux, finit-il par déclarer. Il sera en sécurité comme ça, et il est déjà un louveteau qui réfléchit bien, quand il ne fonce pas pour aider ses amis ou quand on le provoque. On n’est pas des chiens dans la famille, mais la meute s’entraide toujours.
– C’est le portrait de Félicia jusqu’au bout, arriva à sourire Rodrigue, passant ses doigts sur son alliance en les regardant tous les deux avec tendresse. Elle pouvait foncer sans réfléchir à sa propre sécurité ou à son cœur pour aider les autres, tant qu’elle était la seule à se mettre en danger. Je suis sûre que Félix et elle se seraient très bien entendu s’ils avaient pu se rencontrer…
– De ce dont je me souviens, ça ressemble bien à maman… lui rendit Glenn.
« Mmmmmhhhhnnn… Félix remua dans son sommeil, s’étalant comme un chaton dans son lit en ronronnant. Glenn… vient jouer… papa… Alix… aussi… »
Ses ainés rirent à ses mots, fondant encore et encore pour leur cadet. Glenn se redressa et l’embrassa en soufflant, passant sa main sur sa tête.
– Promis, on jouera tous ensemble dès que cet enfer sera fini…
Rodrigue le reborda, remontant la couverture jusqu’à ses épaules pour le protéger de la fraicheur du début du printemps, tout en priant pour lui.
– Que la Déesse et Félicia veillent sur toi jusque dans tes rêves, et puisses-tu encore rester un louveteau au sommeil tranquille pendant quelques années de plus.
Il posa à son tour un baiser sur son front, espérant encore et encore que bientôt, plus rien ne perturberait leur sommeil à tous et n’inquiète son louveteau.
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Chapitre 30
Même si les jours s’allongeaient à cette période de l’année, les journées semblaient désespérément courtes pour les Fraldarius mais, d’un autre côté, elles devenaient de plus en plus éreintantes alors que la date fatidique se rapprochait. Encore trois semaines avaient cavalé à toute vitesse… eux aussi… tout le monde… ils avaient tous tellement de travail qu’ils en dormaient à peine la nuit…
Rodrigue et Alix faisaient ce qu’ils pouvaient pour tout organiser, même si leur répugnance à le faire, à juste l’idée que cette rencontre ait lieu, d’envoyer Glenn, Nicola et leurs fidèles ayant accepté de se sacrifier à la cause dans une rencontre aussi dangereuse les ralentissait, rendait leur travail plus bâclé encore que la course perpétuelle qu’ils courraient depuis plus d’un mois. Ils cavalaient de partout pour essayer de tout faire correctement, afin que le convoi soit le plus sûr et le mieux préparer possible, le tout en essayant de convaincre un maximum de monde de faire barrage. Cependant, plus ils se rapprochaient de la fin du mois, plus il serait difficile et risqué de refuser d’aller en Duscur. Ils en étaient au stade d’au moins empêcher que Dimitri parte mais, Lambert refusait d’écouter en disant que sa présence était nécessaire pour le rituel, alors qu’il serait si simple de le prétendre malade… ils soupçonnaient même certains Charon d’hésiter à glisser un peu de poison dans la nourriture de leur neveu, afin qu’il ne puisse pas se rendre en Duscur mais, c’était bien trop dangereux. La nourriture de la famille royale était goûtée avant qu’ils ne la mangent et même s’ils arrivaient à le faire, ils risquaient leur tête s’ils se faisaient prendre, et la faute de dosage n’était jamais loin. C’était bien trop dangereux pour eux, même si ça aurait pu fonctionner.
Nicola les aidait autant qu’il pouvait mais, il fatiguait également, surtout à son âge, et Glenn était soit avec eux pour les assister, soit au terrain d’entrainement pour s’exercer et entrainer les personnes de leur fief qui avaient accepté d’être dans le convoi ou avaient été désignés. Tout était tellement fait en catastrophe et au dernier moment que personne ne voulait y aller, il avait fallu tirer les malheureux au sort… leur fief devait envoyer beaucoup de soldats et d’aide dans ce convoi en vertu de la réciprocité du Kyphonis Corpus, même s’il n’était pas le seul dans ce cas. Dans certaines petites baronnies ou comtés pauvres, les seigneurs rechignaient tellement à envoyer une partie des quelques gens qu’ils avaient à leur service, qu’ils étaient allés chercher dans leurs prisons des criminels en attente de la corde ou des travaux forcés pour les envoyer là-bas. Même les mercenaires ne voulaient pas y aller, bien que le salaire soit intéressant, mais les Fraldarius comprenaient. Même pour tout l’or du monde, ils ne seraient pas allés en Duscur s’ils avaient eu le choix…
Rodrigue faisait ce qu’il pouvait pour tenir entre deux entretiens avec des fournisseurs, des envoyés des différents fiefs, vérifier le travail des autres, le sien, celui de Lambert… il était exténué… dormait très mal quand il pouvait… ni lui ni aucun d’entre eux ne savaient comme ils faisaient pour tenir… l’inquiétude et la prière que tout se passe aussi bien que possible surement… mais il fallait bien continuer et tout faire pour que tout se passe bien.
En plus, Félix était maintenant impliqué dans cette maudite histoire… pas en tant que personne qui décidait – la Déesse le préserve d’une telle responsabilité ! – mais, il s’occupait beaucoup d’eux, allant consciencieusement chercher leur repas, voir leur apportant dans leur étude quand ils travaillaient trop tard et que les domestiques étaient rentrés chez eux, mettaient les habits de nuit sur leur oreiller pour qu’ils n’oublient pas de se changer en se couchant, courraient de salle en salle pour leur apporter un peu de thé ou du pain pour leur redonner de l’énergie, voir poser la couverture qu’ils laissaient dans leur étude sur leur épaule quand ils s’endormaient dans leurs parchemins… son cadet dormait même plus en journée que pendant la nuit, la passant souvent à courir de partout pour leur apporter ce dont ils pourraient avoir besoin… Rodrigue avait eu beau lui dire qu’il n’avait pas à travailler ainsi, qu’il devrait retourner jouer ou s’entrainer avec ses amis, son louveteau n’en faisait qu’à sa tête… les Galatéa, Fregn et les Charon avaient les mêmes problèmes avec leurs plus jeunes qui s’impliquaient bien trop dans cette histoire, courant de partout pour aider leurs parents. Le seul qui écoutait son père qui lui disait qu’il n’avait pas à travailler là-dessus, c’était Dimitri mais bon, comme le dirait Alix : « Lambert est le seul qui pense que c’est une bonne idée et qui est content de travailler sur cette rencontre alors, c’est le seul à dormir sur ses deux oreilles. ».
Fregn faisait tout ce qu’elle pouvait pour les aider mais, elle était dans la même position que Cornélia en pire, c’était trop risqué qu’elle prenne part aux préparatifs. Elle pouvait perdre patience et prévenir ses sœurs si les choses tournaient encore plus mal, ce qui était déjà le cas en ce moment, même si elle gardait du mieux qu’elle pouvait son calme après sa mise en garde lors du premier conseil sur Duscur. Cornélia les aidait aussi dans la mesure du possible mais, elle ne pouvait guère donner son avis ni trop s’impliqué à cause de ses origines adrestiennes.
En fait, les pires à gérer en plus de tout le reste, c’était Lambert et Rufus. Le premier à cause de son optimisme démesuré qui le faisait croire que tout se passerait bien, même si tous les roturiers qui feraient partie du convoi et les seigneurs de l’Est étaient vent debout contre ce voyage, et le second pour soutenir mordicus son frère alors que si lui intervenait, son cadet se remettrait surement en question et arrêtait de s’obstiner… en attendant, il fallait tout faire pour que ce convoi soit le plus sûr possible…
Rodrigue ressortit d’entrevue avec les fournisseurs de vivres du convoi en compagnie d’Alix. Il se massa l’arête du nez, ses yeux le piquant de fatigue. La déesse soit louée, elle avait duré moins longtemps que prévu… peut-être que les marchands les avaient pris en pitié à cause de leur tête à faire peur. S’ils avaient dormi à eux tous plus de deux heures cette nuit et celles d’avant, cela tiendrait du miracle… ils marchaient tous les deux à peine droit…
« On a dix minutes de battement… Lambert aussi doit avoir fini sa propre entrevue avec les diplomates… je vais aller le voir…
– S’ils ne l’ont pas encore tué à coup de plumes d’oie… ils l’ont accueilli avec des chiffons imbibés d’encre quand ils ont su pour ses tractations avec Duscur, tellement sa « correspondance diplomatique » était un travail de tâcheron… lui rappela Alix avant d’ajouter. Tu veux tenter de lui parler ?
– Oui, je crois encore aux miracles… il nous a déjà écouté dans le passé, peut-être qu’il recommencera… j’espère surtout le convaincre de laisser Dimitri ici. Lambert, je me doute qu’il sera du voyage vu que c’est lui qui a tout orchestré mais, j’espère lui faire entendre raison sur Dimitri… c’est beaucoup trop dangereux que le roi et son unique héritier se rendent en territoire étranger, surtout dans une période pareille…
– Espérons-le…
– Vos Grâces ! Estelle les appela, accompagnée de Bernard, Jacques devant s’entrainer avec les autres soldats désignés pour accompagner le convoi, même si lui était volontaire. On a une délégation d’un comte de l’Est qui vient pour dire qu’ils seront trois à aller en Duscur au lieu de trente. Apparemment, leur seigneur « n’aurait pas assez d’homme à sacrifier dans cette balade stupide en Duscur ».
– Ce qu’on l’envie de pouvoir se permettre dire ça… on pourrait envoyer personne, on le ferait… grogna le cadet des jumeaux avant d’ajouter. Bon, je m’en charge, Lambert t’écoute souvent plus que moi et je suis plutôt doué pour ce genre de situation.
– D’accord, fait attention à ne pas trop les mordre, lui souhaita Rodrigue, alors que Bernard guidait Alix vers la délégation.
Lui-même prit le chemin inverse mais, son pas tremblant fit qu’Estelle le rattrapa un peu avant de demander, inquiète.
– Vous vous sentez bien ?
– Oui, ne vous en faites pas Estelle… je suis juste un peu fatigué…
– Juste un peu ? Vraiment ? On est tous sur le pont, même le louveteau mais, vous quatre avec le seigneur Alix, le Jeune Loup et le sieur Terrail, c’est nuit et jour. Vous devriez vous reposer un peu.
– Nous ne sommes pas les seuls à travailler autant, nous pouvons tenir. Vous faites également beaucoup d’effort, alors que vous êtes aussi contre ce voyage. Vous-même, vous ne faites rien pour alléger votre peine, alors que vous êtes la première à critiquer Lambert et son idée de se rendre en Duscur.
– Nous, on dort la nuit à votre différence, rétorqua-t-elle. Et c’est vrai, je déteste ce mec à ce stade. Il fait que mettre son propre peuple en danger pour faire ce qu’il veut. Je sais que c’est lui qui a fait les grands travaux d’assainissement, qu’il essaye de prendre parti pour les communes et les parlements bourgeois contre les seigneurs mais, il essaye toujours d’arranger tout le monde pour ces derniers, et je vais pas me faire aveugler par une mesure pour dire « ouais, le roi a toujours raison ». Depuis l’affaire du brûleur d’enfant, il enchaine les pires idées les unes après les autres, et la Déesse seule sait à quoi ressemblerait le Royaume si vous n’étiez pas là pour le contenir. Il pourrait crever, si ce n’est pas Rufus qui le remplace, très honnêtement, ça ne pourrait pas être pire à mon avis. Je lui obéis car vous le faites mais, le jour où vous arrêtez, j’hurle « à bas le roi » la première. Je vous respecte bien plus que lui, et je vous considère comme mes seuls seigneurs. C’est pour cela que je m’inquiète pour vous et votre santé, je n’ai pas envie qu’ils vous arrivent quoi que ce soit.
– Estelle… souffla Rodrigue, ne sachant pas trop quoi répondre à ses mots.
Qu’elle détestât Lambert n’était plus un secret pour personne dans leurs rangs à ce stade, tout comme le fait qu’elle pensait que leur duché serait bien mieux sans le roi mais, l’admettre aussi ouvertement était autre chose. Cela se savait, elle pourrait se faire attaquer et poursuivre pour rébellion et haute-trahison, et les jumeaux ne pourraient pas faire grand-chose pour la défendre, de peur que cela retombe sur eux et leur fief, ce dont elle était aussi parfaitement consciente. Qu’elle ose le dire avec autant de force et d’assurance devant lui était une marque de confiance. Vu la situation et le fait qu’ils n’arrivaient pas à faire changer d’avis Lambert, il n’était bien sûr de la mériter mais, même si ce n’était pas le cas, il continuerait à travailler de toute ses forces pour faire en sorte d’en être digne.
– Merci beaucoup pour votre sollicitude capitaine Duchesne. Je vais de nouveau tenter de faire entendre raison à Sa Majesté, afin qu’elle laisse Son Altesse à la capitale au lieu de l’emmener dans ce voyage périlleux. Prions pour qu’il accepte au moins de faire cette concession à l’opposition.
– Que la Déesse soit avec vous Votre Grâce, lui souhaita-t-elle en le laissant partir.
Rodrigue lui fit un signe de tête avant de se détourner, allant vers l’étude consacré aux relations étrangères d’où sortait Lambert. Encore heureux, il n’aurait pas à lui courir après dans le palais… et visiblement, l’entrevue s’était aussi bien déroulé que les autres, il en ressortait avec une joue maculée d’encre et quelques tâches sur ses habits, qu’il tentait d’essuyer avec son mouchoir, sans encore plus étalé le liquide noir coupé avec de la sève pour le rendre plus collant. Les diplomates avaient dû recommencer à lui envoyer des chiffons imbibés de leur outil de travail principal en le traitant de tâcheron… bref, comme quasiment à chaque fois que Lambert venait travailler avec eux, quand ils n’avaient pas passé une autre nuit blanche à tenter de rattraper toutes les erreurs que le roi avait faite dans sa correspondance… même alité pour cause de surmenage, Kimon continuait à travailler pour réparer les dégâts… Déesse… les Charon les lâchaient, toute l’administration du nord et de l’est lâchait Lambert au passage tellement tous étaient exténués… mais personne ne voulait laisser tomber les pauvres désignés forcés d’aller en Duscur… lâchez le voyage serait une haute-trahison envers le roi et le devoir des seigneurs de protéger les plus faibles et ceux dépendants d’eux… ils étaient tous comme des mouches piégés dans une toile d’araignée, soigneusement construite par Lambert à ce stade…
« Ah ! Rodrigue ! Le salua ce dernier en tentant de sourire, malgré le fait qu’il bataillait encore à enlever l’encre. Il y a un problème ? C’est rare que tu ne sois pas avec Alix depuis le mois dernier…
– En ce moment, tous les jours. Et justement, je voudrais te parler de ce voyage et de… de son Altesse », se corrigea-t-il. Même si la discussion était informelle, cela restait au sujet d’un voyage officiel, il devait rester proche de l’étiquette même s’ils se tutoyaient…
Lambert fit un peu la moue, l’air profondément ennuyé qu’il revienne à la charge pour encore tenter de le raisonner mais, Rodrigue refusait de laisser tomber. Pas si cela pouvait protéger plus de personne de cette folie et mettre Dimitri et toute sa suite avec lui en sécurité. Glenn, Nicola et la plupart de ses hommes seraient aussi en sécurité si le prince n’était pas du convoi… qu’aucun d’entre eux ne soit en danger… que ce jour ne se répète pas… qu’aucun d’entre eux ne rentre à la maison avant l’heure… qu’aucun d’eux ne rentre en dormant dans une « boite »…
– Rien de ce que tu pourras dire ne me fera changer d’avis, lui rappela-t-il dans un soupir, alors qu’il allait dans une petite cour à part pour discuter tranquillement. Tu le sais pourtant.
– Rien ne m’empêche d’essayer et de prier pour que mes mots te fassent entendre raison. La situation est trop grave pour que je n’essaye pas.
– Vraiment, tu te fais toujours beaucoup de trop de souci mon ami… rétorqua-t-il, essayant d’être apaisant même si son impatience se sentait toujours dans sa voix. Nous nous sommes toujours bien entendus avec Duscur, non ?
Rodrigue pouvait presque l’entendre penser « Ce n’est pas comme avec Albinéa. Cela ne se passera pas comme ce jour-là. » Évidemment, ce n’était pas historiquement comme avec Albinéa mais, les tensions d’aujourd’hui étaient toujours très fortes, autant que plus de trente ans auparavant. Il avait besoin de plus que des paroles creuses, dont il savait pertinemment qu’elles n’étaient suivies de rien de solide… beaucoup plus… surtout quand son propre fils était parmi les condamnés à y aller… Il fallait toujours bien se préparer dans les réunions diplomatiques, encore plus pendant les rencontres entre deux souverains, tout préparer au grain près, penser à tout et anticiper la moindre action possible des opposants, mêmes les plus inoffensifs et les plus fous… il fallait vraiment penser à tout, comme Ludovic, Guillaume et Aliénor l’avaient fait trente ans auparavant. Ils avaient pensé à tout… mais ça n’avait pas empêché Guillaume de revenir chez eux dans une boite… une zone d’ombre existait toujours… et à cause d’elle, son père était…
Le duc essaya de s’extirper de ses souvenirs, repoussant encore et encore le souvenir trop précis de la cour et le visage de Ludovic qui leur annonçait le pire, rester parfaitement net malgré les années alors que la voix de Guillaume avait été emporté comme du sable par les vagues du temps… évidemment que ce n’était pas les souvenirs heureux qui étaient impérissable… évidemment que c’était les pires, même quand on essayait de les enfermer dans une « boite »… et le voilà qui dérivait à nouveau… essayant de reprendre autant que possible son calme malgré tout, autant malgré sa fatigue que sa peur, Rodrigue ne cacha pas son scepticisme, Lambert continuant avec l’évidence et les chaines auxquels il les avait tous attachés.
– Tu es le mieux placé pour comprendre l’importance de ces négociations.
– Bien évidemment, mais… », admit-il malgré tout en tentant de contrôler au mieux sa voix, de garder son calme, de rester aussi maitre de ses émotions qu’Aliénor ou Ludovic. Déesse… si oncle Lud… si Sa Majesté Ludovic voyait dans quelle situation les avait mis son fils… il ne saurait imaginer sa réaction, mais il savait que Lambert aurait eu des chances de ne pas s’en ressortir en entier. « … que le roi en personne se déplace… comprend bien que c’est dangereux, lui rappela-t-il avant d’enchainer sur ce qui le comptait le plus aujourd’hui. De plus, Son Altesse est encore jeune. Si le pire devait arriver…
« …Il risque d’être blessé ou pire. Il risque de te perdre aussi. Dimitri est bien trop jeune pour être exposé à de tel danger, pour régner, et encore plus pour perdre son père et le voir lui aussi dans une boite… il a déjà perdu Héléna, il n’a jamais pu connaitre la femme et la reine brillante qu’était sa mère, ne le prive pas de son père et ne le force pas à subir une régence… … … Héléna ne voudrait pas que tu fasses cela… elle aurait été contre ce voyage en Duscur… elle aurait travaillé avec l’ensemble des diplomates nuit et jour s’il le fallait mais, elle aurait fait autrement, et tu le sais… elle aurait tout fait pour prendre le moins de risque possible… et surtout, si elle savait que tu emmenais votre fils unique que vous avez eu tant de mal à concevoir et qu’elle aimait tant droit dans le danger, elle se serait opposé à toi de toute ses forces… quitte à se battre à mains nues pour protéger son lionceau… »
Cependant, Lambert ne le laissa pas continuer, le coupant avant qu’il puisse dire tout cela, tout ce qu’il avait à lui dire avant que ce ne soit trop tard. Il déclara alors avec une assurance indécente, comme une évidence qu’il devrait connaitre alors que tous deux savaient que ce n’étaient jamais aussi simple.
– Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable.
Rodrigue ne sut pas vraiment ce qui lui arrivait, tout défilant dans son esprit d’un coup, les mots de son ami se répétant encore et encore dans sa tête en l’espace d’une poignée de seconde. Lambert aurait pu le poignarder à mort, le tuer encore et encore avec un percemaille semblable à un harpon, finir ce que ce sreng avait commencé et échoué à faire grâce à sa propre intervention miraculeuse, et brûlé ce qui restait de lui, que Rodrigue se serait senti mieux. Tout se mélangeait, la fatigue amalgamant autant ses réactions et les souvenirs de ce jour maudit…
« Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable. » Que… comment… comment pouvait-il dire une chose pareille ?! Il était roi ! Il ne pouvait pas parler ainsi ! Quel homme respectable pouvait seulement formulé des mots aussi atroces ?! Quel ami dirait cela à son ami d’enfance qu’il savait orphelin de père ?! Quel père pouvait parler ainsi de l’avenir de son enfant ?! Qui pouvait penser cela à part un chien idiot ou un chien errant qui se fichait de tout ?!
Le bruit du convoi sous les remparts, la joie de penser que papa reviendrait plus vite que prévu… qu’il arrivait avec la fin des ancolies au lieu du début des capucines… inconscient qu’ils ne trouveraient qu’une boite froide et silencieuse au lieu de sa chaleur et sa voix mélodieuse…
Même si le pire devait arriver… mais Lambert les jetait tous dans le danger ! Il courrait à toute vitesse dans le pire ! Il courrait sans réfléchir dans un territoire hostile ! Sans préparation ! Sans prévenir personne ! Sans demander à personne ! En se faisant presque haïr de tous ceux qui réfléchissaient un peu ! Il se jetait dans le danger et il emmenait tout le monde avec lui marcher sur des pieds-de-corbeaux chauffés au rouge ! Il emmenait toute une suite ! Il emmenait toute une escorte ! Il emmenait son propre fils unique ! Il emmenait son ainé à lui ! Lambert emmenait Glenn ! Il emmenait Nicola qui protégeait Glenn ! Il emmenait le fils ainé et le compère de l’orphelin dans cette folie ! Il n’y allait pas tout seul ! Et il agissait avec autant d’inconscience ?!
Cavaler dans les couloirs, descendre plus prudemment les escaliers trop hauts pour leurs petites jambes, se mettre d’accord sur leur plan pour mettre des fleurs dans sa longue natte toute douce, changer les fleurs qui la décorerait vraiment cette fois… inconscient qu’ils ne reverraient jamais les longues mèches noirs identiques aux leurs, enfermé pour toujours dans la boite…
C’était un garçon intelligent… mais… mais… d’où tout cela avait un rapport avec l’intelligence ?! D’où cela aidait quand on t’arrachait une des personnes à qui tu tenais le plus au monde ?! La personne que tu aimais de tout ton cœur et qui t’aimait avec le même amour démesuré, comme un loup avec sa portée, prêt à tout pour défendre la meute ?! La personne que tu aimais et admirait le plus avec sa compagne ?! Depuis quand l’intelligence… ce n’était même pas une question d’intelligence ! C’était une question de ne pas comprendre quand une boite arrivait à la place de son père ! Que son père soit dans une boite ! D’avoir l’impression d’être seul au monde en étant toujours deux ou trois ! Et Dimitri était tout seul ! Rufus serait détruit sans son petit frère ! Et ce n’était pas Patricia non plus qui pourrait remplacer Lambert ! Pas après qu’elle le repousse autant en lui interdisant de la voir sans Cornélia comme entremetteuse ! Pas dans ces conditions ! Jamais ! Dans aucune ! C’était juste se retrouver au milieu de chiens errants et de vautours voulant profiter de l’occasion trop belle pour s’engraisser ! Seule une louve avec des crocs et des griffes pouvaient faire face ! Pas une petite chienne incapable de comprendre avec quoi elle s’était aussi mariée en épousant Lambert, et ce à quoi elle avait consenti à renoncer en se mariant au roi du pays ennemi de son ancien époux ! Qu’est-ce que Lambert croyait ?! Que lors d’une régence, on ne voyait pas sa mère être sur le point de se faire enlever pour être marié de force afin de récupérer la tutelle de ses enfants et de leur fortune ?! Que des enfants ne voulaient pas aider à tout prix leur mère pour préserver l’héritage de leur père ? Quitte à agir comme des adultes alors qu’ils jouaient encore avec des chevaux en bois et que le chat était le cheval Mallet ? Que ce n’était pas vivre dans la peur de perdre quelqu’un d’autre ? Déesse ! Qu’est-ce que Lambert croyait ?!
La douleur de Ludovic… toutes ses difficultés à leur dire que leur papa ne sortirait pas de la boite… ne sortirait pas et ne souriait plus… ne chanterait plus… ne serait plus avec eux… que leur père ne reviendrait pas… qu’il resterait dans la boite… ne pas comprendre ses mots si vagues et abstraits, croire que leur papa dormait dans la boite et allait se réveiller… eux qui ne comprennent que quand Oncle Ludovic leur dit vraiment qu’il était mort… que Guillaume est mort comme un vrai chevalier… ils ne comprennent que la vérité et la réalité brute tellement ils voulaient que leur père soit là…
Même si Dimitri perdait son père, Lambert savait qu’il deviendrait un homme bon et respectable… mais il le serait aussi avec son père ! Sans connaitre la douleur de ne plus l’avoir à ses côtés ! Il lui arrivait quelque chose pendant le voyage, Dimitri risquait de le voir en plus ! Il risquait de voir son père être blessé ou pire ! C’était pourtant déjà une torture de le perdre sans le voir ! De n’avoir pas d’autres espoirs à part qu’il était auprès de la Déesse et veillait sur eux de loin ! Le désespoir de se dire qu’il ne veillerait plus sur eux en étant tout près, assez pour lui prendre la main et vivre avec lui ! À quel point cette réalité était difficile à accepter et à vivre !
Leurs petits poings se serrent, tapent contre la grande poitrine d’Oncle Ludovic, le traitant de menteur, qu’ils allaient le dire à papa, que papa arriverait pour le disputer, que papa sortirait de la boite pour le faire… niant qu’il ne ment jamais, toute sa peine de leur dire cela, de leur annoncer que Guillaume resterait dans la boite… le couvercle de la boite qui reste désespérément immobile et leur père silencieux pour la première fois de leur existence si longue à leurs yeux d’enfant… l’année qu’ils ont mis à comprendre tout cela… ces maudits feux follets qui les trompent en jouant sur leur vœu le plus cher de revoir leur papa encore une fois… au moins une dernière fois… s’accrocher aux mots de Ludovic pour que l’absence de papa ait un sens… que Guillaume est mort comme un vrai chevalier… pas loin pour rien… qu’ils feraient tout pour le rendre fier d’eux, autant lui que maman… que lui et Alix seraient d’aussi grands duc qu’eux…
Toute sa tête tournait si vite, s’enchainait dans son esprit en quelques fractions de secondes. Comme un moulin à aube dont les roues étaient entrainées dans un courant trop fort, brûlant la précieuse farine à l’intérieur, ne gardant que les pires parties sous les meules avec des cendres… la poussière prête à exploser à la moindre étincelle de trop…
Comment Lambert pouvait-il dire des choses aussi horribles ?
Comment pouvait-il nier le danger qu’il revienne dans une boite ?
Comment pouvait-il se moquer que son fils le voie dans une boite ?
Comment pouvait-il mettre en danger son fils à ce point ?
Comment pouvait-il lui dire cela avec autant d’assurance ?
Comment pouvait-il lui dire alors que Lambert savait que son propre père avait fini dans une boite ainsi ?
Comment pouvait-il lui dire alors qu’il avait eu ses deux parents jusqu’à l’âge adulte ? Qu’il n’avait jamais subi le deuil en étant enfant ? Qu’il n’avait jamais eu à subir une régence ?
Comment pouvait-il…
Et d’un coup, tout s’arrêta. Comme le meunier qui mettait la calle dans la dérivation pour bloquer l’eau en trop et stopper les roues, avant que les étincelles ne fassent exploser la poussière de farine. Rodrigue avait l’impression que son esprit était vidé, ses pensées trop saturées étant évacué d’un coup avec tout le reste. Il ne se souvenait même plus comment bouger… tout son corps refusait de le faire… comme enfermer dans une boite à sa taille… comme le ferait Glenn et Nicola si eux aussi ils finissaient dans une boite… comme le ferait Dimitri… comme le ferait tout le monde… Rodrigue avait l’impression de suffoquer tellement il n’avait plus de souffle ni de volonté, tout son esprit étant seulement tourné à faire fonctionner à nouveau ses poumons et son cœur malgré tout, malgré tous les coups de poignards donnés par Lambert et ses propres souvenirs qui le trahissaient. La seule chose qu’il avait encore en tête était une phrase, qu’il n’eut même pas la force de dire jusqu’au bout.
– Lambert… tu me fais peur…
Mais celui qu’il appelait pourtant encore son ami d’enfance malgré tout, malgré le temps, les difficultés, les brûlures et les Arundel… celui qu’il considérait comme son ami le plus proche après son propre frère jumeau… celui-là même qui lui avait sauvé la vie ne semblait pas remarqué son trouble, continuant comme si de rien n’était… comme si les pensées de Rodrigue ne venait pas de le lâcher, son corps avec… comme s’il n’était pas sur le point de se mettre à trembler de terreur en imaginant le moindre de ses mots et quelles nouvelles horreurs il allait lui vomir dessus…
– Toutefois… S’il devait un jour s’écarter du droit chemin et que je n’étais pas là pour le sermonner, promets-moi de t’en charger à ma place.
Rodrigue arriva à peine à traiter sa question… sermonner Dimitri à sa place… si Lambert ne le pouvait pas… si Lambert ne le pouvait plus… il savait lui-même que c’était dangereux… il ne lui demanderait pas ça sinon… il ne lui demanderait pas de prendre son rôle auprès de son fils s’il était si sûr de revenir vivant… pourquoi lui demander s’il était persuadé du contraire ? Il se sentait trembler de partout… tout se disloquait… l’orphelin crut qu’il allait s’effondrer… tomber aussi profondément qu’était la boite où dormait les os de son propre père assassiné… remplacer ses traits de peinture se substituant à ceux de chair perdus dans l’oubli et le temps par la blancheur de ses os et de son crâne, par ses côtes tailladé par la dague de ce fanatique, cassé et coupé à la place de celles du roi… Rodrigue était incapable de s’enlever cette image de la tête…
Ses frissons de terreur durent ressembler à un hochement de tête, une soumission silencieuse à sa volonté… un soulagement ignoble apparut sur le visage de Lambert, glaçant encore plus l’orphelin de l’intérieur, avant qu’il ne parte en le saluant d’un ton trop léger quand on l’appela pour régler une affaire. Surement une autre de ses conneries qu’il devait expliquer… en tout cas, il partit, le laissant seul…
Rodrigue n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé là, presque immobile dans cette cour, l’esprit vide et le cœur poignardé… il finit par arriver à tenir ses bras tout contre lui, les serrant contre son corps avec ses mains pour tenter d’arrêter les tremblements de plus en plus forts… ce ne fut guère concluant… c’était même pire qu’avant…
Ces pieds finirent par accepter de bouger, retroussant chemin et avançant mécaniquement dans les couloirs du palais, heureusement vide… il n’arriva même pas à penser que c’était parce que tout le monde s’épuisait pour rendre la folie de Lambert moins dangereuse… avec le ballotement de ses pas incertains, une pensée arriva à émerger de l’abysse de son esprit… Alix… il devait trouver Alix… il devait absolument le trouver, il avait besoin de lui… et ne surtout pas tomber sur Félix ou Glenn… il refusait que ses louveteaux le voient dans cet état… il refusait de les inquiéter… il avait juste besoin de son jumeau… seulement lui… Déesse merci de lui avoir donné le trésor d’avoir un frère comme lui… il le retrouverait vite… il le retrouvait toujours… comme s’ils se tenaient encore par la main…
Il déambulait quand il entendit la voix d’Alix l’appeler, puis vit son frère courir vers lui… Nicola aussi… mais il ne voyait que son jumeau… Déesse, il se sentait déjà un tout petit mieux peu mieux rien qu’en le voyant venir vers lui.
« Rodrigue ! Par les Braves ! Tu es blafard ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Le questionna-t-il en le prenant par les épaules pour le soutenir. Je te cherchais de partout ! Je sentais que quelque chose n’allait pas ! Tu mettais tellement de temps !
Comme réponse, son frère s’accrocha à lui, s’encrant à lui comme un navire en pleine tempête, ne pouvant faillir quand il était avec lui…
– Parler… arriva-t-il à formuler, incapable de penser des phrases complètes. Juste toi… important… il a… Félix… Glenn… pas… surtout…
Il se tut, sentant le sel lui monter dans la bouche et sur la langue malgré la présence d’Alix, se débattant pour que tout ne déborde pas après cet enfer d’un mois pas encore terminé. Heureusement, son jumeau comprit, comme toujours et traduisit en le tirant avec lui vers leurs appartements.
– Dites qu’on est malade, on ne l’a pas encore fait et on doit parler tous les deux. C’est grave et ça concerne Lambert. Et s’il te plait Nicola, fait en sorte que Félix et Glenn ne viennent pas nous voir, pas avant qu’on se soit bien parler en tout cas.
– Bien sûr, répondit leur compère sans hésitation.
Rodrigue tenta de le remercier mais, aucun son ne sortit de sa bouche. Pas avant qu’Alix les ait ramenés, ait vérifier qu’ils étaient seuls et fermé la porte à clé, alors que son ainé s’accrochait toujours à lui comme quand ils étaient petits, puis qu’ils se soient assis tous les deux sur le banc. Rodrigue avait cru sentir un regard venant de leur chambre, mais elle était vide, Félix n’y rattrapait pas sa nuit… Déesse… son louveteau devait rattraper ses nuits à cause de la folie de Lambert… quel père horrible il faisait pour que cela arrive…
Alix passa sa main dans son dos, dans un geste simple vraiment apaisant, restant silencieux jusqu’à ce que les tremblements cessent enfin. Les pensées de Rodrigue arrêtèrent enfin de s’entrechoquer à cause d’eux, s’ordonnant légèrement pour que la discussion d’à l’instant redevienne claire… Déesse, ça faisait encore si mal, même en souvenir… après qu’il soit arrivé à lui faire boire un peu d’eau, Alix lui demanda, comme un écho de sa propre voix dans ses pensées… même s’ils entendaient des différences quand ils parlaient, les jumeaux savaient que leur voix était la même, c’était dur de savoir qui parlait s’ils disaient la même chose… toujours… toujours identique jusqu’au plus petit morceau d’eux-mêmes…
– Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Raconte-moi… Qu’est-ce que Lambert t’a dit pour te mettre dans cet état ?
– Je… je lui ai parlé de Duscur… comme je te l’avais dit… j’ai essayé de lui dire de ne pas emmener Dimitri… que c’était dangereux… encore… mais il m’a dit… que je m’en faisais trop… et surtout, il m’a dit… il m’a dit… Déesse… comment a-t-il pu dire une chose pareille… il… que…
Rodrigue se tut, sa langue refusant de prononcer de tels mots… il s’accrocha à Alix, trouvant du courage dans ses yeux, la force de les prononcer dans ses doigts liés aux siens depuis qu’ils dormaient dans le ventre de leur mère… avant de les vomir vite, comme si tout cela le rendait malade.
– « Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable »… … … sans hésiter ou douter une seule seconde…
Alix en devient aussi muet que lui, son visage passant de l’effarement, au blanc livide, avant de passer au rouge écarlate de la colère mélanger à la pâleur de l’inquiétude alors qu’il lui demandait, nouant ses mains avec les siennes.
– Il t’a dit ça ? À toi ?
Incapable de parler de peur de perdre encore plus ses moyens, son ainé hocha la tête, confirmation silencieuse de tout.
– Il te l’a dit alors qu’il sait qu’on est orphelin de père ? Et que lui ne l’est pas justement car, papa a donné sa vie pour protéger le sien ?
Un autre hochement de tête, les tremblements revenant sournoisement dans son dos, le piquant encore et encore en remontant le long de son échine.
– Et il ne voyait pas le problème ? Il ne se rendait pas compte qu’il venait de te vomir une horreur pareille dessus ?
– Non… arriva-t-il à articuler. Et… et il m’a demandé de remettre Dimitri dans le droit chemin s’il ne pouvait pas le faire lui-même…
– Ce qu’on peut traduire « si je finis tuer par ma connerie, fait mon boulot de père à ma place » ! Il a osé dire ça ?! Après t’avoir vomi que ce n’était pas grave de perdre son père ?! Alors qu’on a perdu Guillaume ?! Il se fout de notre gueule ! Et il prétend être notre ami ?! Ô Déesse… je comprends pourquoi tu es dans cet état… ajouta-t-il plus doucement, compréhensif comme jamais. Personne ne devrait entendre des horreurs pareilles…
– Je… je n’ai rien pu dire contre ça… j’avais l’impression que… que j’étais paralysé… je crois qu’il a pris mes tremblements pour une acceptation de le faire… évidemment, je le ferais s’il lui arrivait quelque chose et que Dimitri a besoin de moi mais… mais… mais ça fait tellement mal… je n’aurais jamais cru que…
Sa voix se brisa alors que les larmes le vainquirent et envahir ses joues, l’impression pitoyable d’être complètement impuissant contre elles et le roi le terrassant alors que Rodrigue s’affaissait, cachant son visage misérable dans ses mains.
– Lambert me fait peur…
Alix l’entoura de ses bras, formant un bouclier avec sa chaleur et son soutien. L’ainé s’attacha de toute ses forces à lui, cherchant cette protection toute simple et si forte contre son cadet en laissant toutes ses émotions, son anxiété, son inquiétude et sa fatigue avoir raison de lui et couler hors de son corps en nageant sur ses pleurs. Heureusement qu’il était là…
Aucun des deux ne savaient combien de temps cela avait duré mais, les jumeaux se figèrent à nouveau en entendant la dernière voix qu’il voulait entendre ici et maintenant, toute petite.
– Papa…
Rodrigue essaya d’essuyer ses larmes en vitesse avant de se retourner vers la porte de la chambre. Félix se tenait dans l’entrebâillement, visiblement peiné, ses propres larmes retenues de toutes ses forces… Déesse, il n’avait jamais voulu que son louveteau le voie dans cet état et angoisse encore plus !
– Félix… mais…
– Je… je venais de me réveiller quand vous êtes revenus… tu n’allais pas bien alors, je m’inquiétais pour toi… mais, Alix allait me faire sortir alors, je me suis caché dans mon coffre… il y a assez de bazar pour qu’on ne me voie pas dessous…
– Faut vraiment que tu le ranges celui-là… tu as donc tout entendu, soupira Alix.
– Je pense… et vue… mais c’est vrai ? Lambert t’a vraiment dit tout ça ? Il t’a dit tout ça alors que papi est mort quand vous étiez petit pour protéger le roi Ludovic ? Alors que tu lui disais de ne pas emmener Dimitri ?
– Oui… hein… je suis désolé… je n’aurais pas dû perdre mon sang-froid comme ça… je dois surement beaucoup t’inquièt…
– Non ! C’est pas à toi de t’excuser ! C’est Lambert qui agit mal ! Pas toi ! S’écria-t-il en le coupant. Et inquiète-toi pour toi ! C’est toi qui es blessé !
Son fils se précipita de la porte jusque dans ses bras, l’enlaçant de toutes ses forces… comme pour lui en donner un peu… lui qui en avait toujours eu tellement, même quand il était au plus mal… Rodrigue devrait prendre plus exemple sur sa ténacité… il lui répondit en lui rendant son geste, tentant de l’apaiser comme il pouvait et de le rassurer un peu…
Le père sentit un courant doux et apaisant le traverser, l’onde claire et fraiche lavant ses angoisses, délogeant les pensées sombres de son cœur et de son esprit par sa présence et son mouvement, lui rappelant son enfance à respirer l’air sain mêlé à l’eau toujours pure… la magie de guérison de Félix… plus il grandissait, plus elle ressemblait au lac et à leur ancêtre… sa magie était si forte… nul doute qu’il serait un des meilleurs magiciens de sa génération et un des plus fins bretteurs… son corps était aussi fort que lui…
– T’en veux pas papa… souffla-t-il en se serrant encore plus contre lui, la voix étouffée par la veste de son père. Tu fais tout correctement, c’est Lambert qui fait tout de travers et trop vite… tu es le meilleur papa… tu te débrouilles bien mieux que lui… pleure pas… je n’aime pas quand tu as mal…
Les mots de son louveteau lui mirent du baume au cœur, pansant un peu toutes les plaies que lui avait fait Lambert avec ces mots et sa présence… même si cela devrait plutôt être lui qui disait à son fils que ça irait, cela lui donnait des forces qu’il soit à ses côtés…
– Merci Félix… merci d’être là… souffla-t-il en lui rendant son étreinte, retrouvant un peu de calme en le serrant contre son cœur. Merci d’être là mon louveteau… merci pour tout…
Rodrigue garda Félix contre lui, se calmant petit à petit à ses côtés. S’il ne pouvait empêcher cette folie, il devait tout faire pour tenir, que tout se passe bien et que tout le monde ait le plus de chance de revenir en entier de ce voyage… que son louveteau n’ait plus jamais à s’inquiéter comme ça…
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     Chapitre 1
Lambert arriva à trouver quelques minutes pour discuter avec Patricia entre deux entrevues pour le voyage, heureux de pouvoir simplement parler avec elle seul à seul, sans qu’elle n’impose Cornélia entre eux. Elle semblait heureuse, plus souriante que jamais depuis qu’Arundel avait été exilé de Faerghus et avait ramené Edelgard dans l’Empire avec lui. Peut-être que tout s’améliorerait après le voyage… ils discutaient tranquillement, s’étant à peine vue ces dernières semaines quand soudain, on se mit à tambouriner à sa porte, les coups de poings faisant crier de douleur le bois avant que ses protestations ne soient couvertes par la voix d’Alix.
« Lambert ! Ouvre cette porte ! Je sais que t’es là ! T’as des choses à expliquer ! Ouvre-moi tout de suite !
– Oui ! J’arrive ! Répondit-il en se dirigeant vers la porte. Arrête de tambouriner comme ça ! Tu vas la casser !
– C’est ton nez que je vais casser oui ! On a beaucoup de choses à se dire !
Bon, au moins, ça confirmait qu’il était dans une colère noire… surement à cause du voyage diplomatique. Si Rodrigue arrivait à garder son calme, Alix était très souvent énervé contre lui en le traitant d’inconscient, même s’il ne l’avait jamais vu entrer dans une telle fureur pour quoi que ce soit, à part à cause d’Arundel. Cela devait vraiment être très grave…
Alix en était presque méconnaissable. Dès qu’il le vit, son visage se ferma, contenant à peine sa rage, ses yeux se plissèrent, focalisé sur lui comme ceux d’un loup sur sa proie, prêt à la courser pendant des jours et des nuits jusqu’à ce qu’elle tombe d’épuisement. C’était très grave et ça allait être très compliqué…
« Nicola serait là, je suis sûr qu’il dirait que tu ressembles à Guillaume comme deux gouttes d’eau… »
La voix d’Alix était basse, presque un grondement quand il déclara, froid comme un lac gelé alors que la fureur bouillonnait sous la surface.
– Faut qu’on parle. » Son regard coula dans toute la pièce, même si son corps restait complètement immobile, avant de se fixer sur Patricia, toujours assise dans son fauteuil. « Toi, tu sors, Cornélia aussi si elle te chaperonne encore, ordonna-t-il en entrant finalement, le pas sûr et silencieux, s’imposant dans la pièce sans se gêner. Je dois dire deux mots à ce qui nous sert de roi… seul. À ta différence, je lave mon linge sale avec juste la personne concernée sans ajouté un troisième parti.
Sa voix ne tolérait aucune réponse. Déesse, celle de Ludovic n’aurait rien eu à envier à une telle froideur !
Évidemment, Patricia obéit sans protester, filant vite avant de se prendre un autre coup de croc gratuitement. L’homme aux cheveux noirs la regarda s’exécuter en silence avant d’ajouter quand la porte dissimulée claqua, sans cacher une once de son mépris.
– Prends du bon temps ? Quelle chance. Tu t’en autorises un peu alors que de notre côté, on est tellement débordé qu’on ne dort plus la nuit et que même le louveteau rattrape les siennes. C’est bon ? J’espère que je n’interromps rien de plus important que de s’assurer que tout le monde revienne en entier de ta connerie…
– Ne commence pas comme ça Alix… soupira Lambert devant son attitude déplorable et ses insinuations calomnieuses. Je travaille aussi beaucoup sur la rencontre diplomatique avec Duscur et je fais tout mon possible pour que tout se passe bien. Je ne veux pas non plus que vous vous épuisiez tous ainsi. Je vous ai déjà dit mille fois à tous de prendre du repos.
– Oh… quelle gentillesse et grandes attentions de ta part, se moqua-t-il. Nous devrions tous dormir tranquillement sur nos deux oreilles comme tu le fais. C’est vrai, il ne nous reste plus que trois semaines pour faire… quoi ? L’équivalent de six mois à un an de travail ? Minimum ? Nous avons effectivement tout le temps du monde devant nous. Quelle prévenance…
– Car vous êtes tous persuadés que cette rencontre va tourner au fiasco…
– D’après les diplomates et Kimon, le désastre diplomatique est déjà acté. Tu es toujours aussi nul pour négocier et tu as fait montre de tes talents. Je sais que Félicia et Ivy sont de très bonnes négociatrices et marchandes mais, Félicia te plumait sans problème en étant très gentille avec toi, et Ivy, laisse tomber, elle te rachèterait le Royaume pour dix pièces d’or en deux minutes, et pour une noix en plus, elle se paye ta chemise en prime tellement elle te roulait dans la farine quand on s’entrainait à négocier à Garreg Mach. Son perroquet lui donne plus de fil à retordre que toi ! Héléna te tordrait le cou devant une incompétence pareille, encore plus si elle savait que tu emmènes son fils dans une embuscade gratuite pour tous nos ennemis. Ludovic aussi. Tu mets tout son royaume en danger pour rien.
– A force de le répéter, ça va vraiment arriver, surtout que vous êtes bien durs avec ceux qui sont historiquement nos alliés commerciaux et nos amis.
– On parle normalement. T’as pas d’amis en politique, t’as juste des alliés et des chiens errants qui veulent ta peau. Faut bien qu’on ramasse ta merde que t’as bien étalé de partout…
– C’est bon ? Tu as fini ? Le coupa-t-il, perdant déjà patience devant ses yeux méprisant et son venin. J’ai compris, t’es encore en colère à cause de ce voyage à Duscur. Dis-moi ce qui cloche que…
– Ce qui cloche ? Tout Ta Majesté.
– Tu vas me laisser finir ? De quoi tu veux me parler précisément ?
– De quoi je veux te parler précisément ? Répéta-t-il, de plus en plus furieux avant de le dire à nouveau. De quoi je veux te parler précisément ?! Car c’est pas évident ?! T’es encore plus stupide que je ne le pensais ma parole !
– Alix… marmonna-t-il en essayant de garder au mieux son calme devant son attitude. Non, je ne voie pas ce dont tu veux parler… Je ne lis pas dans les pensées, je ne suis pas ton vrai jumeau qui peut deviner ce à quoi tu penses car, vous êtes toujours collé et si tu n’as pas remarqué, tu ne me fais que des reproches ces derniers temps !
– Car tu le mérites pour nous avoir mis dans un merdier pareil et d’y entrainer tout le monde ! Je viens à cause de ce que tu as osé vomir sur Rodrigue ! Rugit Alix, tout croc dehors.
– Ce que j’ai… mais on a parlé normalement ! S’étonna-t-il.
– Oh ? Vraiment ? C’est pas ce que j’ai constaté ! Je l’ai retrouvé en état de choc ! Tu l’as complètement tétanisé !
– Quoi ?! Mais… mais non ! Je n’ai rien dit de si terrible ! Je t’assure ! Lui jura Lambert sans comprendre, et en essayant de se souvenir plus précisément de leur conversation de tout à l’heure. Il s’inquiétait pour Dimitri mais, je lui ai rappelé que même s’il y avait un problème, il s’en sortirait toujours et que…
– Justement, gronda-t-il.
– Justement quoi ?
– Rappelle-toi ce que tu as dit… fouille dans ta tête pleine de vide et rappelle-toi ce que tu as osé vomir sur mon frère…
Lambert ne voyait pas vraiment pourquoi ces mots avaient autant d’importance mais, devant le regard acéré d’Alix, il essaya de se souvenir de ce qu’il avait dit en début d’après-midi. Hérissé comme son ami l’était, il lui arracherait surement une main s’il voyait qu’il ne faisait pas d’effort pour se souvenir correctement de cette conversation.
– Hummm… il s’inquiétait pour Dimitri si le pire arrivait pendant le voyage. Vous le faites beaucoup tous les deux, surtout dans ce genre de situation alors, je lui ai rappelé que même si le pire arrivait, Dimitri s’en sortirait toujours, il a l’esprit vif d’Héléna. Je crois que je lui ai dit… « Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable »… ou quelque chose comme ça. Puis je lui ai demandé de veiller sur Dimitri et de le sermonner à ma place si je ne peux pas, ce qu’il a accepté d’un hochement de tête. Il n’y a aucune raison que cela se passe mal mais, comme vous le dites tout le temps, on ne sait jamais alors, je lui ai demandé de me rendre ce service. Je ne voie pas ce qui aurait pu le mettre en état de choc au point de le tétaniser…
– Car tu es un chien stupide. Putain… ! Tu ne voies vraiment pas ?! Y a rien qui te choque ?!
– Pas vraiment, je veux juste dire que Dimitri…
– Tu viens de dire que tu t’en fiches si Dimitri devient orphelin ! Que même s’il vit quelque chose d’aussi horrible que de perdre son père, il va s’en sortir ! Et tu oses dire ça à Rodrigue ! Tu le dis à nous alors qu’on l’est aussi !
– Mais… mais non ! Alix ! Là, c’est vous deux qui extrapoler et ramener tout à la mort de Guillaume ! Je voulais juste dire que j’avais confiance en Dimitri ! Je sais que même s’il me perd, il…
– Tu penses ça car toi, tu as la chance d’avoir perdu tes parents quand t’étais adulte ! Et les deux de maladies ! Aucun n’est mort assassiné… oh attend ! Ludovic n’a pas été assassiné car c’est notre père qui a pris le coup de poignard à sa place ! Lors d’une réunion diplomatique pour signer un traité de paix ! Aucune ressemblance avec la situation actuelle ! Et pas quand on avait vingt-cinq ans ! Nous, on en avait six et on s’est bouffé une régence dans la gueule ! C’est pas une question d’intelligence ou de sensiblerie ! C’est une question que c’est la pire chose au monde d’avoir pour seul souvenir clair de son père une boite de sapin !
– C’est parce que vous étiez petits, et vous vous en êtes très bien sorti. Regarde-toi et Rodrigue, vous êtes d’excellents ducs, des hommes respectables et aimé de tout votre fief et de Faerghus. Vous vous en êtes sorti malgré tout, tenta-t-il de le calmer malgré tout. Même si le pire devait arriver, Dimitri arriverait à se souvenir de moi autrement que dans un cercueil.
– Tu parles, c’est surtout qu’on avait la meilleure mère du monde et un excellent compère, ainsi que des personnes de confiance, même si on s’en est bouffé des chiens errants d’entrée de jeu ! Ça forge le caractère de faire son premier plaid à huit piges pour que ton fief ne se fasse pas dépecer car, t’es plus légitime que ta mère qui n’a pas le sang de son mari et du Brave dans les veines et que t’as une horde de chiens errants qui veulent son veuvage pour te voler ta tutelle, ton héritage et tes terres, voir ta vie en prime pour mettre leurs gosses à ta place ! Notre père a vécu la même chose en pire car lui, il était seul avec sa nourrice, les roturiers de notre fief, un tuteur jamais là, un Clovis assoiffé de sang qui aurait surement adoré que notre fief se retrouve sans duc pour le récupérer et il vivait chez les habitants d’Egua pour tenter de survivre aux voleurs de terres et aux profiteurs ! Bizarrement, ça lui a forgé le caractère de survivre comme ça ! Et c’est ça que tu veux pour ton fils ?! Tu veux lui infliger de vivre dans la peur constante de se faire assassiner ou voler en permanence ? Il arrive quelque chose pendant le voyage, Dimitri va le voir en plus ! Il t’arrive quelque chose, ton fils le verra ! Allez, dis-le juste que tu veux qu’il te voie te faire trouer la peau, ce sera plus honnête ! À ce stade, je serais presque tenté d’y croire !
– Alix ! Ça suffit ! S’exclama-t-il, outré par ses paroles. Tu dépasses les bornes !
– Je me met juste à ton niveau ! Tu as osé dire à mon frère que c’était pas grave d’être orphelin ! Qu’on peut s’en sortir aussi bien sans un de ses parents, voir sans les deux pour Dimitri car, si tu ne l’as remarqué, Héléna est morte depuis des années ! Alors que tu sais à quel point ça nous a faits souffrir quand Guillaume est mort ! T’étais aux premières loges ! T’étais aux premières loges pour voir à quel point c’était dur et que même avec la meilleure mère du monde, on est obligé de grandir à toute vitesse pour empêcher de se faire dévorer par des chiens errants ! Même un chien idiot comme toi devrait le comprendre ! Tes mots ont fait tellement de mal à Rodrigue que ça l’a ramener au jour où Ludovic a ramené la boite chez nous pour l’enterrer ! Tout s’est rejoué dans sa tête Tu l’as tétanisé ! C’est pas Rodrigue qui te disais « oui, je vais ENCORE faire ton travail à ta place quand tu te seras jeté dans la mort » ! C’est toi qui étais tellement égoïste et inconscient que tu ne l’as pas remarqué et a juste vu ce que tu voulais voir ! Lui, il tremblait de tous ses os tellement tu l’horrifiais et que tu lui faisais peur ! On a mis des heures à le calmer jusqu’au bout ! Félix l’a vu dans cet état en plus ! Il s’en fait déjà assez pour nous, on ne voulait pas en rajouter une couche ! Et t’as réussi à rendre Glenn encore plus furieux contre toi qu’il ne l’ait de base depuis qu’Arundel a tenté de tuer notre louveteau !
– Je sais, je sais que ça a été dur, et je te jure que je ne voulais pas lui faire mal à ce point, je te le promets Alix, et à Rodrigue aussi », lui assura plus doucement Lambert en essayant de poser ses mains sur ses épaules pour le calmer, comprenant un peu que ses mots avaient eu plus d’impact qu’il ne le pensait, ce n’était que des mots après tout… « Je ne m’en étais pas rendu compte… il était plus pale que d’habitude mais, il n’avait pas l’air de trembler à ce point… je ne voulais pas… et je suis désolé que Félix ait dû voir Rodrigue dans cet état… je te promet que je ne voulais pas que…
– C’est toujours la même chose et la même excuse avec toi, gronda-t-il en le repoussant sans hésiter, les bras croisés devant sa poitrine en signe de fermeture. « Je ne voulais pas », « je ne pensais pas », « je ne m’en suis pas rendu compte », « je ne recommencerais plus », « je vous écouterais la prochaine fois »… et à chaque fois, tu refais les mêmes conneries qu’on doit balayer derrière. C’est notre boulot de t’empêcher de faire des conneries dans la famille mais, c’est aussi le tien d’apprendre de tes erreurs pour ne plus les répéter au lieu de les refaire encore et encore en te disant que ça va encore passer par chance ! Et c’est pas qu’avec nous ! Tout le monde dit que ce voyage, c’est la pire idée du siècle ! Tout le monde est unanime à ce sujet et toi, au lieu de lâcher l’affaire car bon, après avoir lu ta correspondance, c’est bon, on va forcément les énerver quand on va dire que non, finalement, on ne peut pas tout leur céder et encore heureux, les duscuriens n’ont pas demandé notre chemise, tu t’obstines alors que tu vas jeter tout le convoi dans le danger, ton propre fils, Nicola et Glenn les premiers ! T’es pas tout seul à partir ! T’aurais pu partir tout seul avec juste ton baluchon, honnêtement, à ce stade, je ne t’en aurais pas empêcher histoire que tu te bouffes le mur une bonne fois pour toute mais, ça ne marche pas comme ça ! Tu vas avoir des gens avec toi ! Des gens qui ne veulent pas y aller mais qui se dévoue quand même car, faut le faire et que t’es le roi ! On ne peut pas te laisser partir tout seul ! Trouve-moi une personne – juste une personne ! – dans tout le Royaume qui veut de bonne foi que tu partes en Duscur, au lieu de juste enfin jeter Kleiman au cachot et de parlementer avec les duscuriens une fois que les enquêteurs lui auront fait un sort ?! Un ordre d’arrestation de ta part, il finit sous les barreaux avec ses hommes de mains, Thècle et ses collègues peuvent faire leur boulot correctement avec tout le temps qu’il leur faut au lieu de bâcler, on a une idée claire de tout ce qu’il a fait, on le juge et ensuite, là on va voir les duscuriens ! Voir on leur envoie vu que bon, le mec a quand même le sang de vingt-et-un de leurs frères et sœurs sur les mains, tu m’étonnes qu’ils doivent vouloir sa tête ! Voilà ! Simple, efficace et t’emmène personne dans un territoire qu’on connait mal et parfait pour une embuscade en période de tension !
– Les ordres d’arrestations avant une enquête et un procès, c’était la manière de faire de Ludovic, pas la mienne…
– …Qui avait bien raison de ne pas vouloir te laisser la couronne, il avait senti que t’allais être un putain d’incapable inconscient et égoïste ! Il avait bien raison de vouloir une monarchie élective ! Si je tenais le voleur de son testament et de ses travaux ! On les aurait eus, on ne serait pas dans cette situation pareille ! Tu n’emmènerais pas Glenn et Nicola à l’abattoir car, personne n’aurait été assez con pour t’élire roi !
– …Et, continua Lambert sans prendre compte de l’insulte, il y a des seigneurs de l’Ouest qui sont d’accord…
– Oui, les girouettes de l’Ouest qui te crachait dessus y a pas deux mois pour ne pas brûler de l’hérétique et d’en être un, d’un coup, ils sont d’accord avec ce voyage pacifique chez les polythéistes honorant le ciel et la terre de Duscur, et de participer à une fête religieuse à eux très loin des croyances intégristes de l’Église Occidentale. C’est pas du tout suspect ça. Ils n’auront surement rien à gagner là-dedans quand les négociations auront échoué et que le ton montrera encore. Je suis sûr qu’ils ont plein de très gentils bons bergers heureux de partir en mission pastorale, et qui vont se faire une joie d’aller expliquer le sens de la vie et de la paix de Seiros à coup de crosse aux païens duscuriens, comme Kleiman était censé le faire au lieu d’attaquer la frontière pour agrandir sa châtellenie selon Mateus. C’est d’excellents alliés, on est au niveau d’Arundel là ! Là où nous, on se prend des tombereaux d’insultes et de menace à peine voilées de leur part car soi-disant, on est des mauvais fils de Fraldarius vu qu’on ne te mange pas dans la main ! Comme si une maison comme la nôtre devait être au pied de qui que ce soit sans raison ! Comme si c’était dans les habitudes de notre famille d’être des chiens !
– Patricia aussi est d’accord pour dire que c’est une bonne idée. Elle est tellement enthousiaste à cette idée qu’elle va même nous accompagner, en tant que nourrice de Dimitri, je te rassure. Elle dit aussi que ce sera l’occasion de prendre un nouveau départ avec la nouvelle année.
– Attends… quoi ?!
Un instant de silence passa, avant qu’Alix ne se redresse d’un coup alors qu’il réalisait, hors de lui comme s’il venait de lui envoyer du poison en pleine figure. Tous ses muscles étaient tendus, comme prêt à lui bondir dessus pour l’égorger à mains nues, le foudroyant du regard avec un mélange de mépris, de colère et de détestation, les yeux plissés, les crocs découverts… un vrai loup fou de rage sur le point de lui arracher la gorge…
« Tu n’as pas les épaules pour être un roi ! Tu n’es pas fait pour ça ! Jamais je ne laisserais le Royaume entre les mains d’un inconscient comme toi ! Jamais ! »
– Non mais je rêve ! Dis-moi que j’ai mal entendu ou que je fais un cauchemar ! Tu as fait quoi là ?! Tu vas faire une réunion diplomatique pour sauver nos relations avec Duscur ou c’est un rendez-vous galant pour sauver ton couple ?! Tu vas emmener Glenn et Nicola en territoire hostile et dangereux car tu veux… rah !
Il leva d’un coup le poing dans sa direction mais, au lieu de le frapper comme Lambert sentait que le loup voulait le faire, il se contenta de le rabattre sur la table, la lumière de son emblème sortant de lui alors que le bois craquait en mille morceaux sous le poids de sa fureur. Son poing était rouge de son propre sang, blessé par les échardes mais, Alix ne lui laissa pas le droit de s’inquiéter, hachant avec une froideur mortelle.
– Je ne te l’ai pas mis dans la gueule juste parce que tu es le roi, car tu as eu l’excellente idée de céder aux traditionnalistes « pour que tout le monde soit satisfait » et a remis le crime de lèse-majesté en même temps que tu donnais plus de droit aux communes car bon, la cohérence dans ta politique, ça fait longtemps qu’on ne la cherche plus, alors que Ludovic l’avait aboli à la fin de sa vie car à ta différence, il allait au bout de ses idées. On a déjà assez d’ennemi qui persiffle qu’on est trop indépendant avec Rodrigue, alors qu’on ne fait notre devoir de duc envers notre peuple et qu’on te dit quand tu fais de la merde. Je tiens à ma tête et à ma famille. Je ne suis pas comme toi, je ne ferais rien qui pourrait la menacer.
– Alix… tenta-t-il encore. Ce n’est pas ce que tu crois… oui, Patricia vient mais, elle ne me l’a demandé qu’une fois qu’elle a su que cette réunion allait avoir lieu. Elle l’a su un peu avant vous mais, pas tant que ça, un mois ou à peine plus, grand maximum. Je te jure que…
– Tait-toi, on l’aurait su un mois avant, on aurait pu annuler plus facilement, gronda-t-il, le défiant du regard de le couper. Je ne veux plus rien entendre de ta part. Je vais sauver ce qui me reste d’estime pour toi et croire que tu profites juste de l’occasion, que tu ne l’as pas créé de toute pièce pour faire ce que voulait une femme qui défend un brûleur d’enfant, quitte à entrainer tout le monde dans ta folie… mais tu ne m’ôteras pas de l’idée que tu t’obstines à y aller justement parce que tu veux juste faire plaisir à ta chienne qui agit vraiment bizarrement car bon, y a pas deux mois, tu te lamentais encore que tu ne pouvais plus la voir sans Cornélia. Grrr… Héléna doit se retourner dans sa tombe ! Même au-delà de la réincarnation ! Elle s’est fait remplacer par une chienne irresponsable qui te pousse à mettre tout le monde en danger ! Votre fils compris ! Elle doit rêver de l’expulser de sa place et très loin de son fils de là où elle est, et de te refaire le portrait par la même occasion ! C’était pas une sœur guerrière et la descendante de la Flamme Passionnée pour rien ! Et Ludovic… Déesse, que tu fais honte à Ludovic ! Il a toujours fait passer le Royaume avant tout, même ce que lui voulait ! Il a toujours été un roi consciencieux et prudent, qui ne prenait jamais de risque inconsidéré et malgré tout, il a quand même perdu l’homme qu’il admirait le plus au monde et ça l’a tourmenté toute sa vie ! Il était même prêt à détrôner son propre père pour arrêter ses carnages, et à changer tout le système de succession pour ne plus avoir de roi comme Clovis ou toi sur le trône ! La tuberculose ne l’aurait pas vaincu avant, on serait dans une monarchie élective et tu ne serais surement pas roi à l’heure qui l’est ! On ne serait pas dans une situation pareille où quoi qu’on fasse, on fout en l’air quelque chose ! Tu lui fais honte alors qu’il n’est surement pas mort tranquille de base ! Tu m’étonnes qu’il se soit accroché à ce point alors qu’il souffrait le martyr… et maintenant, le royaume à qui il a tout donné est gouverné par… hum ! On est dans une farce grotesque ! Cracha-t-il en se détournant.
– Alix… tenta de le rattraper Lambert mais, le regard de loup qu’il lui lança de derrière son épaule le figea sur place, laissant une trainée écarlate derrière lui.
– Ne m’approche pas, lui ordonna-t-il. Tu ne serais pas roi, je ne perdrais plus mon temps avec un chien idiot comme toi. Je vais faire mon devoir car, faut bien que quelqu’un réfléchisse un peu dans ce foutu Royaume, même si tu mériterais qu’on te laisse finir de ruiner ton règne tout seul et de battre le cadavre de ton père à coup de pied. Rodrigue le fera aussi le connaissant car il est dévoué à la tâche, malgré le fait que tu viens de le poignarder avec un harpon et de cracher sur les os de notre père en te foutant des conséquences de tes actes sur tout le monde, que ce soit ceux sur ton peuple, tes amis, et même ton propre fils, mais ne t’attend à rien de plus de ma part que du professionnalisme et du mépris. Tu ne mérites rien de plus. »
Alix partit en claquant la porte sans attendre de répondre, laissant Lambert réfléchir à ses actes s’il en était capable, et il ne voulait pas respirer le même air que ce type plus longtemps. Entre ça, Arundel et le reste, il avait déjà été trop patient avec lui.
Il trouva Rodrigue avec Nicola et Glenn, ainsi que Félix qui somnolait sur ses genoux, afin de le forcer à ne pas bouger et de se reposer un peu. Quand leur compère était arrivé un peu plus tard dans l’après-midi avec le jeune loup après avoir échoué à le laisser en dehors de tout ça, et dès qu’il avait su ce qui s’était passé, il leur avait recommandé de rester un peu au calme cette après-midi, ce que les jumeaux avaient accepté. Ils ne l’avaient pas fait depuis le début de cet enfer et ils n’étaient pas en état pour prendre des décisions aussi importantes… ils avaient toujours été fusionnels, l’état émotionnel de l’un avait toujours un impact sur l’autre. L’un était vraiment l’autre, et l’autre était l’un…
Les yeux de son jumeau s’écarquillèrent en voyant son humeur et encore plus d’inquiétude en remarquant l’écarlate sur sa main. Alix lui assura tout de suite pour ne pas l’angoisser encore plus… enfin pas au sujet de la mauvaise chose.
« Mon poing a fini dans une table. Je voulais le mettre dans la gueule de ce connard mais, je me suis retenu, je tiens à ma tête et à notre famille, à sa différence, cracha-t-il.
– Je vais te soigner », dit-il tout de suite, s’agitant autant qu’il pouvait avec la tête de son cadet calé contre lui. Déesse, ce n’était qu’un louveteau… il était trop petit pour devoir se coller à son père afin qu’il se repose… mais au moins, il avait la chance d’en avoir un qui se souciait des conséquences de son comportement sur lui… déjà qu’il allait s’inquiéter à nouveau… il semblait trop épuisé par sa journée pour réagir mais, Alix voyait encore l’éclat de l’ambre dans ses yeux entrouverts, il avait forcément tout entendu… il faudrait attendre que la fatigue ait raison de lui pour s’expliquer, il en avait déjà trop dit en sa présence…
« Bouge pas, j’arrive. »
Après avoir dérangé un peu Glaïeul qui alla continuer sa sieste sur le dos d’Écharpe, il s’assit à côté de son frère et lui tendit son poing gauche. Rodrigue nettoya la plaie avec un peu d’eau qu’avait apporté Glenn, puis fit circuler sa magie de guérison dans sa chair. Même si c’était rarement une bonne nouvelle d’en avoir besoin, Alix avait toujours aimé la sensation de ses soins. Il avait l’impression qu’elle mêlait la fraicheur du lac et la chaleur humaine qui émanait de son frère, ça lui faisait penser à tous les bons moments avec lui… c’était apaisant…
Une fois l’os réparé et remis en place, son jumeau ne le lâcha pas, lui demandant en essayant de ne pas trembler après toutes les émotions de la journée, et avoir bien vérifié que le louveteau dormait vraiment sans faire semblant. C’était devenu sa spécialité ces dernières semaines quand il voulait savoir ce qui se passait pour mieux les aider.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Alix soupira en résumant l’échange qu’il venait d’avoir avec ce qui leur servait de roi, contenant au mieux qu’il pouvait sa rage et gardant sa voix basse. Félix dormait profondément à présent, ronronnant un peu sur les genoux de son père, il ne voulait pas risquer de le réveiller en parlant trop fort ou en le déplaçant et l’inquiéter encore plus pour eux à cause de des deniers évènements avec Lambert.
« … il me dégoute encore plus… cracha-t-il à la fin de son récit. Sa chienne savait pour cette catastrophe un mois avant nous, et il l’emmène pour renouer avec elle… il dit que ce n’était pas elle qui l’a poussé à y aller mais, je suis persuadé que le fait qu’elle veuille être du voyage le motive encore plus à y aller. Il n’a toujours pas compris que la situation de Patricia ne serait pas un tel bordel, elle l’aurait surement quitté après qu’il ait exilé à vie Arundel de Faerghus. Il ne veut pas l’admettre et il s’accroche à l’espoir que ça aille mieux alors que bon, le fait qu’elle refuse de lui parler seul à seul, c’est un énorme signal pour dire que leur couple est quasi mort, même si je ne suis pas spécialiste à ce sujet.
– C’est vrai que même s’ils se sont surement aimés, cela s’est détérioré entre eux au fil des années, surtout après qu’il ait exilé Arundel, ce qui a emmené sa fille loin d’elle. D’un côté, je ne peux que la comprendre, je n’aurais jamais pu supporter de vivre sans mes louveteaux, encore plus quand Félicia est morte, concéda Rodrigue en regardant ses fils, les bras de son cadet enroulé autour de sa taille. Cela doit être très dur pour elle de vivre loin de sa fille et de ne pas la voir grandir. Elle a frôlé l’espoir de pouvoir vivre à nouveau avec elle avant qu’elle ne lui soit arrachée à nouveau, je ne peux que comprendre sa colère… mais d’un autre, Edelgard ne pouvait pas rester, ce n’était qu’une autre excuse vivante pour Ionius d’attaquer, c’était beaucoup trop dangereux. Et les fhirdiadiens étaient déjà sur le point de se révolter car, Lambert avait mis trop de temps à décider du sort d’Arundel. Les deux devaient partir, et elle peut s’estimer heureuse que les habitants de la capitale n’aient pas fait justice eux-mêmes en allant chercher son frère chez lui pour le pendre. C’est normal qu’elle soit en colère d’avoir à nouveau perdu sa fille mais, elle a épousé le roi du pays ennemi au sien, elle savait que le Royaume allait passer avant ces désirs personnels. Elle a épousé deux souverains, elle devrait savoir que la raison d’État doit toujours primer sur les intérêts personnels, tout comme Lambert devrait aussi le savoir.
– Surtout qu’il a eu l’exemple de Sa Majesté Ludovic pour apprendre cette réalité, ajouta Nicola. Le Royaume comptait plus que tout pour son père, il est allé jusqu’à renverser le sien pour le protéger. C’était très risqué pour lui et ses soutiens qui comptaient tout de même Guillaume et Aliénor mais, il l’a fait car, il fallait que ce bain de sang s’arrête. Mais lui, il a plus souvent payé les conséquences de ses actes au lieu d’avoir une chance insolente…
– Là où Lambert fait tout l’inverse de son père, souligna le cadet des jumeaux. Quand je lui ai parlé de la solution qu’il enferme Kleiman avec un ordre d’arrestation pour que tout le monde travail plus facilement et avec plus de temps, il m’a dit que c’était les méthodes de son père, pas les siennes.
– Il oublie que si Sa Majesté Ludovic agissait ainsi, c’était qu’il avait de bonnes raisons, et surtout une politique claire qui ne déviait pas tous les jours selon qui lui faisait les yeux doux, marmonna leur compère.
– Donc, c’est aussi ça Duscur… on va tous partir dans ces montagnes, tous perdre du temps, de l’argent, de l’énergie, être loin de nos familles, risquer notre peau, être sur le qui-vive pendant des semaines… et on va aller là-bas, juste parce que le roi veut conter fleurette à sa femme ? Femme qui met tout le Royaume en danger si son ex sait qu’elle est là et veut la récupérer pour nous envahir ? Tout ça car, pour une fois, le roi a agi en roi responsable en chassant un criminel qui a failli tuer un gamin sur un coup de tête mais, ça a pas plu à sa chienne car l’exilé était son frère ? Il va mettre en danger tout le monde, dont son propre fils unique qu’il a eu avec une autre femme qu’il a aimé aussi, juste pour sauver son couple ? Il se fout de notre gueule ! Il se fout de la gueule de tout le Royaume ! C’est pas un roi ! C’est juste un chien idiot et le toutou de sa femme ! Autant dire tout de suite que c’est Patricia qui décide tout dans le Royaume ! À ce stade, ça ne m’étonnerait plus ! Fulmina Glenn en gardant sa voix aussi basse que possible, Félix remuant un peu sur les genoux de leur père.
Rodrigue passa sa main dans les cheveux de son cadet, espérant l’apaiser et attendit qu’il soit de nouveau profondément endormi pour prendre la parole. Il était très fatigué en ce moment, il ne mettait pas beaucoup de temps à sombrer à nouveau. Il s’angoissait trop pour eux… et bien trop pour un enfant…
– Pas qu’elle décide tout mais, elle a un pouvoir d’influence certain, le corrigea-t-il. Il l’écoute beaucoup donc, ses mots peuvent facilement le convaincre ou le faire changer d’avis.
– Déjà que c’est simple… marmonna son fils ainé. Je m’écouterais, je lui renverrais mon épée en pleine figure… j’ai juré de servir le Royaume, pas les caprices d’un chien idiot et de sa maitresse irresponsable, et la Déesse seule sait si elle ne reçoit pas des conseils de son cher et tendre frère qui s’amuse à brûler des gosses. Mais bon, le faire maintenant, ce serait comme demander à ce qu’on me coupe la tête pour haute trahison, je vais éviter. Je ne suis pas comme lui à me dire qu’un deuil ou la mort, c’est pas grave.
– Je comprends que le servir puisse vous dégouter à présent Jeune Loup mais, nous devons encore tenir, au moins jusqu’à la fin de ce cauchemar, lui conseilla Nicola. Pour le moment, la situation est trop délicate pour que l’on puisse s’autoriser des mouvements trop brusques et inconsidérés, surtout seuls. Il faudrait que d’autres grandes maisons nous suivent pour pouvoir tenter de jouer ce coup de dé, et nous ne pouvons guère compter sur la chance… pas sans préparation en tout cas. Les Charon pourraient être nos alliés tout comme Fregn peut être un atout imprévisible mais, nous sommes trop désorganisés pour pouvoir être efficace et le temps joue encore contre nous. C’est un coup de cartes bien trop risqué pour nous tous.
– Nicola a raison, le soutient Rodrigue. Nous marchons sur des œufs, il faut que nous restions prudents pour qu’ils ne nous arrivent rien, autant à notre famille qu’à notre fief. Nos ennemis sont nombreux à envier nos privilèges et notre place près du roi. Ce serait l’occasion rêvée pour nous détrousser. De plus et surtout, nous risquons beaucoup si nous nous opposons au roi dans une situation critique comme celle-ci. On pourrait nous accuser de ne pas respecter le Kyphonis Corpus et de haute-trahison, ce qui nous vaudrait à tous une condamnation à mort, autant notre famille que nos plus proches conseillers, lui rappela-t-il. Le seul épargné serait Félix car, il est mineur mais, la Déesse sait ce qui lui arriverait… il risquerait d’être envoyé dans une « bonne famille » afin de « l’éduquer correctement » ou laissez à son sort en portant le sceau des traitres à cause de nous… Nous devons au moins attendre que cet enfer passe pour commencer à nous concentrer sur cette question.
– Il n’a pas tort, chaque chose en son temps. En plus, Patricia nous déteste et c’est réciproque donc, elle sautera sur l’occasion pour se débarrasser de nous, il l’écoutera surement à ce stade si elle dit que nous sommes dangereux pour le Royaume. Il arrive quelque chose à notre famille, la couronne pourra récupérer nos terres pour les intégrer au domaine royal, et avoir un meilleur contrôle de point stratégique comme la côte du côté de l’Alliance. Nous sommes presque complètement autonomes de la couronne à ce stade, et nous pouvons être un contre-pouvoir sérieux alors, la disparition de notre famille et de notre fief pour le transformer en élément du domaine royal, se serait s’enlever une potentiel très grosse épine du pied pour les Blaiddyd. Je ne sais pas si Lambert voudra le faire mais, si on applique la loi, c’est ce qui arrivera, et il ne pourra pas trop abuser de son véto ou de sa capacité à gracier les condamnés sinon, il risquerait de se prendre des représailles de ses nouveaux alliés en pleine gueule… Même si bon, je suis sûr que nos sujets seront ravis d’avoir un ami de brûleurs d’enfants comme seigneur et que ça ne provoquera pas du tout des révoltes internes, rien que pour se tirer très loin de lui… cela pourrait provoquer le chaos et un état de guerre civile si cela arrivait alors, nos ennemis et ceux qui veulent notre perte doivent surement être aussi prudent que nous alors, ça nous laisse un peu de marge de manœuvre, même si nous devons aussi redoublé de vigilance. Tout Fraldarius veut mettre une mandale à Lambert mais, on le fera une fois le fiasco finit… marmonna Alix.
– Ce sera plus sage, confirma Nicola.
– Hum… bien, je vais serrer les dents, concéda Glenn. Je ne veux pas vous mettre en danger.
Rodrigue hocha la tête, avant de passer la main dans les cheveux de Félix qui se blottissait contre lui dans son sommeil. Un vrai petit chaton… son tout petit louveteau trop jeune pour connaitre un tel enfer… comme Glenn… il était adulte mais, il ne devrait pas avoir à subir une telle situation… personne…
– Il faut qu’on vous mette en sécurité dès que cela sera possible… murmura le père en passant ses bras autour de son petit pour le protéger de tout ce qui pourrait le menacer.
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       Chapitre 32
Lambert ouvrit les yeux devant un grand miroir, ne se reconnut pas. Un lion remplaçait son reflet, alors que des souris et des mulots s’affairaient derrière lui.
« J’ai l’impression d’être dans le roman de Renart… songea-t-il en fermant sa chemise pour continuer son rêve. C’est surement à cause de la fatigue et de la dispute… »
Il avala sa bile et ses regrets, se jurant encore d’aller s’expliquer dès que possible avec les jumeaux demain matin… s’ils acceptaient de vouloir l’écouter… pour Alix, c’était mal parti et pareil pour Rodrigue s’il avait été si choqué de ça par ses propos… il ne pensait vraiment pas que…
Enfin, son rêve ne le laissa penser plus loin, ses pieds bougeant tous seuls pour gagner le couloir. Il vit un ours qu’il reconnut comme étant Gustave qui l’attendait, déclarant d’entrée de jeu.
« Nos troupes ont été contraintes de reculer Votre Majesté.
– Nos troupes ? Répéta-t-il sans comprendre. Mais pour…
– Elles se sont fait piéger par une ruse de Nicola le Blaireau. Il s’est servi d’une sombre superstition pour effrayer nos hommes et les repousser alors qu’il faisait le siège de son fortin. Les loups Fraldarius étaient également en embuscade prêt à nous sauter à la gorge dès que nous avons perdu du terrain. Les pertes sont assez faibles mais, c’est surtout à cause du fait que beaucoup de nos hommes sont passés à l’ennemi.
– De… de quoi ?! Gustave ! Excusez-moi mais, je ne comprends rien ! Les Fraldarius ont toujours été à nos côtés ! On s’est disputé mais jamais…
– Vous êtes mal réveillé Votre Majesté, soupira-t-il. Après ce qui s’est passé à Duscur, ils se sont rebellés et ont décidé de faire sécession du Royaume.
– Ce qui… mais…
– Comme vous le savez, continua Gustave sans l’entendre. Le convoi a été attaqué, et si Son Altesse et vous-mêmes vous en êtes sorti, la grande majorité des nôtres a été décimé. Glenn et Nicola s’en sont sortis de peu et encore, le blaireau a perdu un bras et le jeune loup l’usage de ses jambes. Seul Fraldarius a réussi à le faire remarcher grâce au don de sang de son petit frère, même si cela l’a énormément affaibli, il est encore en convalescence d’après nos renseignements. Les Charon aussi ont pris leur suite et ont décidé de rejoindre leur félonie, le tout en entrainant Galatéa qui est bloqué entre leurs deux fiefs. Ils ont également emporté Son Altesse avec eux.
– Ils ont Dimitri ?! Ils m’ont pris mon fils ?! Mais comment !
– Oui, même s’ils ont obtenu légalement sa garde exclusive en tant que membre de sa famille maternelle. Ils prétendaient que vous le mettiez en danger inutilement et que vous étiez aussi irresponsable qu’inconscient et donc, inapte à l’élever. Cela n’aurait pas dû brouiller l’ordre de succession mais, les martres ont décidé de rejoindre la rébellion des Fraldarius alors, cela pose d’autant plus problème… avec ceci, l’hermine Fregn a décidé de divorcer et de rentrer chez elle avec Sylvain mais, devant le refus d’Isidore de mettre fin à leur mariage, elle a décidé de divorcer à la sreng. Ses sœurs sont descendues de leurs fjords et ont mis à sac la capitale des Gautier. Elle en a profité pour filer avec son fils pour rentrer chez elles. Les raids srengs menacent à présent tout le nord de Faerghus, surtout que ce sont des alliés des loups et des martres à présents… nous devons être extrêmement prudents.
Lambert ne comprenait plus rien… pourquoi son esprit lui faisait croire une chose pareille ?! Ce n’était pas possible ! ça n’arriverait jamais ! Les Fraldarius et les Charon ne pourraient…
« Es-tu satisfait ? »
Lambert se retourna et vit son père, le teint gris et les joues creusés, du sang tout autour de la bouche comme s’il venait de tousser à s’en arracher les poumons, son regard terne rempli d’inquiétude et de regret, tel qu’il était avant de mourir… non… il y avait autre chose… de la colère… de la déception… du mépris… dès que le lion l’avait réalisé, en un instant, Ludovic se métamorphosa. Il n’était plus courbé sous le poids de la tuberculose, mais droit et vaillant, le regard rempli de détermination et de morgue, portant l’habit traditionnel de Fhirdiad, Areadbhar à la main, la couronne de Loog ceignant ses cheveux d’or, à nouveau un jeune premier que la maladie n’avait pas encore miné de l’intérieur pour le faucher avant qu’il ne sorte de la force de l’âge… à nouveau, son père avait dix-huit ans, brandissait la Relique de leur famille qui semblait revivre entre ses doigts et hurlait, la voix forte et ferme, déterminé, sa froideur devenant un instant une flamme gelée et mortelle dans ses yeux, alors qu’il le défiait du regard après des années à recouvrir patiemment de glace froide à en brûler la peau sa colère et sa détermination, puis de les unir à celles d’autres afin accomplir ce qu’il estimait être son devoir de prince et de futur roi.
« Je suis prêt à tout pour le Royaume ! Je ferais n’importe quoi pour lui ! S’il faut que je marche sur le palais pour stopper le bain de sang de tes guerres, je le ferais sans hésiter pour le bien de mes sujets Père ! »
Il lui fonça dessus, s’élançant avec Areadbhar pour le transpercer comme cela avait failli arriver lors du coup d’État, une lueur meurtrière dans son regard, mélangeant détermination et désespoir que cette guerre perpétuelle s’achève enfin. Mais contrairement à son père, Lambert ne put que fermer les yeux en attendant le coup, incapable de s’opposer ainsi à Ludovic, encore plus de lui faire du mal. Ils se disputaient beaucoup et leurs personnalités étaient diamétralement opposées mais, malgré tout, il aimait son père et refusait de lever la main sur lui, même pour se défendre alors qu’il le prenait pour Clovis, même dans un cauchemar.
Cependant, aucune lance ou douleur ne le transperça, le sang ne coula pas. Quand le lion rouvrir les yeux, il n’était plus dans le palais en compagnie de Gustave, il était aux abords d’Egua, près du lac et du ponton de pierre où Félix emmenait souvent ses amis jouer et où il nageait tout le temps. Le petit, maintenant vrai louveteau, était là, en compagnie de Dimitri semblable à un lionceau, d’Ingrid l’oiselle et de Sylvain le goupil, ainsi que de Glenn, également devenu loup avec l’emblème de Fraldarius sur sa patte gauche. Ce dernier marchait difficilement dans l’eau, soutenu par sa fiancée et le rouquin, ce dernier étant habillé à la sreng mettant en valeur sa pelisse rousse, pendant que Dimitri tenait Félix immergé dans l’eau alors qu’il somnolait dans ses bras. Il ne semblait pas avoir assez d’énergie pour bouger seul, encore plus pale que d’habitude. S’il avait vraiment donner du sang à son frère pour que leur ancêtre sauve ses jambes, cela expliquait surement cette pâleur… il n’avait pas dû donner deux gouttes pour qu’un tel miracle ait lieu…
Lambert allait s’approcher pour tenter de leur parler et de comprendre ce qui se passait dans son rêve mais, un grondement l’en empêcha.
Les jumeaux venaient d’apparaître sous la forme de grands loups noirs, encore plus semblables qu’à l’ordinaire, une expression de fureur et de rage sur le museau. Lambert venait de trouver leur nid et leurs petits, et ils allaient lui faire payer pour cet affront en l’égorgeant en punition.
« Rodrigue… Alix… je vous jure, je peux vous expliquer…
– Toujours pareil… gronda Alix, reconnaissable à son habit vert, ses crocs et ses griffes brillants comme l’acier de ses flèches. On ne veut rien entendre ! On ne veut rien entendre ! On ne veut rien entendre !!! Pas de ta part ! Pas de la part d’un connard égoïste ! Tu as osé t’approcher de nos petits ! Tu nous le paieras ! »
Il se jeta sur lui et le mordit, lui arracha chair et os, faisant couler le sang sur le sol de la forêt. Le lion avait beau tenté de le repousser, il n’arrivait qu’à frapper dans le vide, incapable de contrer la fureur du loup noir qui le déchiquetait en mille morceaux. À nouveau, Lambert était incapable de se défendre, refusant de le faire. Un seul de ses coups de poings mal placé pouvait tuer un homme, rompre une nuque aussi facilement qu’on cassait une tige de fleur, il refusait de risquer d’arracher le crâne à Alix par mégarde ! Il leur avait fait assez de mal à tous les deux pour le restant du siècle hier !
Le grand loup noir finit par disparaitre, laissant Lambert étendu au sol, le corps entier à vif…
« Es-tu satisfait ? »
Cette fois, ce n’était pas la voix de Ludovic mais, celle de Rodrigue qui résonna autour du rêveur, lui posant la même question que le précédent roi. Il se redressa et le vit face à lui, à nouveau humain mais à présent, une couronne d’or ornait sa tête à la place de l’anneau ducal en argent, contrastant avec ses cheveux noirs, droit, calme comme toujours, le visage complètement neutre comme pouvait l’être celui du précédent roi… ce que son père aurait souhaité comme successeur… il ne faisait pas trop de mystère à ce sujet et il comprenait ce souhait… un roi calme et réfléchi, prudent, avisé, qui savait prendre des décisions difficiles et trancher les problèmes épineux, ayant une ligne politique claire proche de la sienne : le bien du plus grand nombre presque à tout prix… tout le contraire de ce qu’était Lambert… il ne voulait pas laisser le calcul et la froideur le guider comme pour Ludovic, même si cela le rendait plus erratique… il savait que son père avait régné d’une main de maitre et que son tempérament l’avait beaucoup aidé mais, il savait aussi que ce n’était pas la seule manière de faire… qu’il y avait d’autres moyens d’être un bon roi… une voie où il pouvait s’en sortir en arrangeant tout le monde autant de fois que cela était possible, et en écoutant toujours son cœur et ses émotions plutôt qu’une logique froide et implacable, comme une main de fer dans un gant de velours… Rodrigue était bien plus chaleureux que Ludovic, et de très loin mais, il savait aussi n’écouter que sa raison sans se faire distraire par ses émotions, tout comme Alix même si leur manière de l’exprimer différait…
S’approchant de lui, Lambert posa doucement ses mains redevenues humaines sur ses épaules en lui soufflant, sincère avec lui… il faudrait tellement qu’il lui dise quand il se réveillerait…
« Je suis désolé de t’avoir dit des choses aussi horribles et de ne pas m’être rendu compte que je te faisais aussi mal… ce n’était pas mon intention… tout ce que j’essayais de te dire, c’était que j’avais confiance en Dimitri, même si je m’y suis pris de la pire des manières possibles… je ne voulais pas te faire de la peine ou te rappeler la mort de Guillaume, je te le jure… je suis vraiment désolé de t’avoir ramené à ce jour-là… juste… juste… je veux juste te demander de me faire encore un peu confiance, d’accord ?
Rodrigue le repoussa, appuyant sa main sur sa poitrine pour le faire reculer, l’autre sur son propre cœur, le sachet de Félicia entre les doigts. Lambert obéit, ne voulant pas lui faire encore plus de mal.
Des larmes naquirent dans ses yeux, roulant sur ses joues alors qu’il lui demandait, le visage rempli de tristesse et de déception.
– Est-tu satisfait de mettre à nouveau en danger ma famille ?
Cela brisa le cœur de l’homme blond. Il détestait le voir pleurer, il détestait voir ses amis pleurer et être mal, surtout quand c’était de sa faute. Il n’avait jamais voulu leur faire autant de mal !
– Non ! Non ! S’il te plait Rodrigue ! Ne pleure pas ! Je ne voulais pas…
Il essaya de l’étreindre pour tenter de le consoler mais, ces bras ne trouvèrent que du vide, Rodrigue se dissolvant tout autour de lui dans un nuage de brume salée, le laissant seul dans un espace vide.
Des pas se fit entendre derrière lui, résonnant dans le noir… il se retourna et vit la silhouette éthérée d’Héléna avancer vers lui, sa longue crinière de boucles blondes auréolant sa tête, portant son armure de sœur guerrière frappé aux armes des Charon, comme son ancêtre Sybilles Charon lors de la guerre du Lion et de l’Aigle, comme aurait combattu Charon elle-même, à main nue et sans armure à part ses habits tissés avec ces propres cheveux, ses flammes faisant fondre tout ce qui entrait en contact avec elle. Ses protections métalliques couvraient tout son corps ferme et tonique, musclé par la pratique du corps-à-corps, celles de ses jambes dissimulées par sa robe de juge, les pièces d’aciers suffisamment articulées pour lui permettre de se battre à mains nues, ses poings entourés des gantelets qu’il lui avait offert pour leur mariage, mêlant l’emblème de leur deux familles, son visage complètement neutre et fermé, surement elle aussi remplie de reproche, droite et digne, le pas d’une reine, ces yeux bleus azur comme des aigues-marines lisant en lui comme dans un livre…
Lambert sentit son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, enflammé par des souvenirs vieux et tendres, quand il n’avait pas réalisé assez vite à quel point elle était chère à son cœur… à nouveau, ils étaient tantôt à Garreg Mach, s’entrainant tous les deux au combat aux gantelets, Héléna menant sur le plan technique, lui la complétant avec sa puissance brute… tantôt en train de travailler côte à côte à Fhirdiad, la patience d’Héléna quand elle lui expliquait des notions de droits et de diplomatie complexes qu’elle arrivait à rendre simple à comprendre… elle n’aurait pas été reine, elle aurait fait des merveilles comme professeure… tantôt en train de déjeuner tous les deux, elle dévorant un plat de fromage, appréciant la texture coulante des différentes spécialités de Faerghus, Lambert ne pouvant s’empêcher de sourire en voyant le contraste entre son attitude toujours très droite et digne, et sa joie simple de racler de la meule la raclette ayant fondu sous l’action d’une flamme pour l’étaler sur du pain, comme on le faisait souvent dans les piémonts de Charon… Dimitri tenait son gout pour eux de sa mère, il adorait à peu près tous les types de fromages… elle aurait survécu, l’homme était sûr qu’ils se seraient très bien entendu… Dimitri avait beau lui ressembler comme deux gouttes d’eau, à l’intérieur, il tenait de sa mère… ils se ressemblaient tellement…
Il ne pourrait jamais oublier son soulagement quand elle fut sûre d’être « enfin » enceinte, sa peur de rêver pendant les premiers mois, de juste trop vouloir l’être et que son corps lui jouait un tour cruel, demandant tous les matins si ce petit être en elle était bien là, jusqu’à ces coups de nourrisson, se sentant légèrement plus tôt grâce à son emblème, ne balaye tous ses doutes, même si la peur de la fausse couche restait toujours dans son esprit… dans ces moments-là, Lambert la prenait dans ses bras et restait avec elle en lui assurant que oui, qu’ils avaient réussi, qu’ils allaient vraiment avoir un enfant et que ce bébé serait aussi formidable que sa mère… il la revoyait sourire, son fredonnement qui sonnait comme un rire alors qu’elle n’avait pas l’amusement facile… ces moments tout doux qui commençaient à lui faire réaliser qu’elle avait une place si particulière pour lui… même s’il avait compris bien trop tard…
La revoir maintenant, même après les années, le deuil et le temps qui avait passé, c’était comme approcher son doigt d’une bougie… on se rapprochait pour mieux y voir, avoir plus chaud et être rassuré par sa lueur mais, à trop s’en approcher, on s’y brûlait à cause de vieux sentiments gelés par le temps mais, qui semblait revenir à la vie à sa lumière… il se maudit à moitié en sentant son cœur retomber à nouveau amoureux de sa première épouse, malgré ses sentiments pour Patricia toujours vifs… la chercher à nouveau… cette douce chaleur qu’il pouvait suivre les yeux fermés, sachant qu’elle le guiderait toujours à bon port en temps et en heure, même si elle le brûlait parfois… tout le contraire de Patricia alors qu’elles se ressemblaient comme deux jumelles, mise à part qu’Héléna était blonde comme les blés et Patricia brune comme certaines feuilles d’automne… elles ne s’entendraient surement même pas toutes les deux…
À son arrivée, Rodrigue lui avait demandé s’il voyait Héléna ou Patricia en regardant la seconde… c’était pourtant impossible de les confondre… si Héléna était une bougie, Patricia était un feu de forêt une fois la gêne et la peur du début évaporer, toujours vif, toujours fort, enrageant de plus belle dès qu’on négligeait de le contenir ou de l’entretenir, sachant parfaitement dans quel sens il voulait progresser… impossible à ignorer, il ne pouvait y résister… Lambert aimait les deux femmes, aimait Patricia et ne voulait pas que leur histoire s’arrête, avait accepté de faire son deuil d’Héléna mais à l’instant, dans ce rêve… son cœur voulait juste se souvenir de cette flamme qui lui réchauffait doucement les mains… même si Patricia pouvait être jalouse, comme cela arrivait parfois quand il parlait de sa mère à Dimitri, qu’il mentionnait à quelqu’un que son fils avait toutes les qualités d’Héléna… Lambert osait à peine fermer les yeux de peur que la bise autour d’eux ne la souffle à nouveau et qu’il la perde encore à jamais…
Cependant, après avoir longtemps lutté, il fut obligé à un moment de battre des paupières… cela ne dura qu’un instant mais, Héléna fut remplacer par Patricia, en grande robe adrestienne, alors que le rêveur maudissait son cœur de pleurer la perte de la première… mais il eut à peine le temps de le faire.
Sa deuxième épouse se déforma, se changeant en énorme chien de chasse, un sourire aux babines alors qu’elle se jetait sur lui, lui arracha la gorge en riant, se moquant de lui… la douleur le foudroyait sur place mais, contrairement avec Alix où il n’avait pas voulu contre-attaquer de peur de le blesser, il sentit sa main se serrer en poing, puis se lever pour la frapper en pleine tête selon une technique d’Héléna, sûr de la tuer sur le coup à cause de la force de son emblème… la tête de Patricia qui replonge pour…
« Tu n’as pas les épaules pour être un roi ! Tu n’es pas fait pour ça ! Jamais je ne laisserais le Royaume entre les mains d’un inconscient comme toi ! Jamais ! »
Lambert se réveilla en sursaut, haletant et couvert de sueur. Déesse ! Quel cauchemar ! Il n’en avait jamais fait des comme ça ! Qu’est-ce que cela voulait dire ?!
« C’est à cause de la dispute… songea-t-il en passant ses mains sur son visage. Il faut que j’aille m’excuser… »
Il but à grandes gorgées et se passa de l’eau sur la figure pour bien se réveiller et enlever le gout de cendre de son rêve de son être, puis se leva, ayant beaucoup à faire aujourd’hui.
L’homme vit Areadbhar luire sur son présentoir, comme certains minéraux luisant dans le noir, droite et fière, entouré de son aura gelée… elle semblait un peu différente aujourd’hui, son froid ne ressemblait plus à la neige comme quand il la maniait mais, aux glaciers trônant silencieusement au-dessus des montagnes, comme son père en était encore le porteur… il s’en occuperait plus tard, il allait avoir une journée chargée…
En sortant, Lambert rejoint Gustave pour s’occuper de ses obligations du début de journée, gérant autant qu’il pouvait les colères des diplomates et de la chancellerie, semblant découvrir de nouvelles erreurs chaque jour dans sa correspondance, ainsi que gérer les vassaux du Royaume. Encore quatre délégations de petits fiefs qui annonçaient que leurs seigneurs ne pourraient envoyer personnes à Duscur, manquant eux-mêmes de bras dans la vie de tous les jours, mais ils voulaient bien envoyés ceux qui croupissaient dans un cachot pour compléter le convoi si nécessaire… ils étaient nombreux dans ce cas…
Vers midi, après avoir avalé son déjeuner en deux bouchées, Lambert trouva cinq minutes pour tenter d’aller voir les jumeaux, autant pour s’excuser que pour le travail. Ils étaient chargés de la coordination entre les différents corps de métier présents dans le convoi, de l’organisation, fixait l’approvisionnement… le roi devait vérifier que tout se passe bien. En plus, ils étaient débordés, et comme l’avait fait remarqué Alix hier, ça passerait mal s’il s’interrompait dans son travail pour quelque chose qui pourrait sembler trivial, et le leur par la même occasion…
Il laissa passer un messager qui sortait en courant de leur étude, puis entra. Lambert les entendait discuter à toute vitesse entre eux, se comprenant malgré les mots mâchés ou oublié pour aller plus vite, sachant que l’autre arriverait à traduire. Au moins, personne ne pouvait espérer grapiller des informations en les écoutant, c’était trop incompréhensible pour être espionné… même s’ils lui rétorqueraient surement que quelqu’un de motiver à grapiller des informations ferait tous les efforts du monde pour les comprendre. Nicola leur faisait face, notant en silence les résultats de ses comptes tout en maniant avec habilité et habitude son abaque.
« Les jumeaux ? Demanda l’homme blond en entrant, s’annonçant avec un léger coup à la porte. Est-ce que je peux…
Leur échange s’interrompit brutalement quand il entra, leurs visages se fermant complètement, devenant lisse comme de l’eau, même si l’expression de colère restait sur celui d’Alix. Comme toujours, celui de Rodrigue était plus neutre, impossible à lire mais, il ne pouvait cacher ce que reflétait ses yeux : de la tristesse, de la déception, et à sa grande honte, un peu de peur… Lambert ne voulait vraiment pas lui faire mal à ce point ! Nicola ne disait rien, relevant à peine les yeux de son travail avant de retourner à ses calculs, bien que le roi sache qu’il écoutait toujours attentivement et ne laisserait pas passer la moindre faute.
– Qu’est-ce que tu veux ? Lui demanda le cadet avec froideur. Si c’est pour le ravitaillement du convoi, on est allé racler de partout pour que les marchands arrivent à tout fournir pour le jour du départ mais bon, ça a un prix la précipitation.
– D’accord, je l’ai aussi vu, et Maxine Sully m’en a parlé, les agents du trésor se chargeront de cela avec elle, tout en évitant d’acheter à crédit le plus possible pour ne pas avoir d’intérêt à payer plus tard…
– Tiens ? Un soupçon de bon sens dans cette farce, ça change, rétorqua-t-il, le silence de son ainé toujours aussi lourd de sens.
– Alix… Lambert mordit un peu son envie de répliquer, ne voulant pas encore plus foutre en l’air leur amitié qu’il ne l’avait déjà fait en moins de vingt-quatre heure, avant de tenter de commencer. Rodrigue, Alix, écoutez… je voulais vous dire pour hier que je suis vraiment…
– Vos Grâces ! Un soldat de la troupe ordinaire rentra en trombe dans l’étude, visiblement paniqué alors qu’il hurlait. Venez vite ! C’est les troupes des Blaiddyd et celles de Fraldarius ! Elles sont en train de se battre dans la cour d’entrainement principale ! Le Jeune Loup a été pris dans la bagarre quand il a essayé de les séparer !
– Quoi ?! Hoquetèrent les jumeaux.
Sans hésiter, ils sautèrent de leur siège et se précipitèrent sans attendre là-bas avec leur compère, Lambert les suivant sans hésiter. Les choses ne faisaient qu’empirer si leurs troupes se battaient entre elles ! C’était pas le moment d’être divisé à ce point !
La cour d’entrainement ressemblait à un champ de bataille, les soldats en sarcelle et ceux en bleu roi se battaient sans retenir leurs coups sur le sable, même heureusement, la Déesse soit louée, il ne semblait pas avoir pris leurs armes de bois ou utiliser la magie, ça ferait moins de dégâts.
« Assez ! »
La voix de Rodrigue retentit comme un coup de tonnerre dans la cour, soutenu par un éclair lancé vers le ciel pour figer tout le monde. Les soldats retrouvant leur calme après s’être fait prendre, ils se séparèrent de chaque côté des sables, même s’ils se foudroyaient tous du regard, des insultes marmonnés dans les deux troupes. Bernard tirait une Estelle hors d’elle en arrière, le sang coulant de son nez cassé, alors que Glenn aidait Jacques à se retirer, ce dernier ayant le visage tuméfié et ayant du mal à marcher comme s’il avait été roué de coups.
Lambert s’avança pour essayer de savoir ce qui s’était passé mais, Nicola le retient d’un bras, soufflant simplement des mots froids.
« Restez en arrière, regardez et apprenez lionceau. »
Les jumeaux se redressèrent, droit et calme, même si leur mécontentement était impossible à ignorer, le regard sévère. Ils s’avancèrent au milieu du terrain d’entrainement, Alix questionnant les deux côtés du conflit pendant que Rodrigue soignait Jacques, le plus blessé de tous.
« Qu’est-ce qui se passe ici pour que vous vous battiez comme des ivrognes dans une taverne ? Vous faites honte à votre fonction !
– Cette bande de… Estelle se retient d’être grossière en voyant le regard de loup sur elle, devenant plus mesurée. On s’entrainait chacun de son côté à la base, puis Jacques est allé voir d’anciens compagnons d’armes, mais des co… des nobles lui sont tombés dessus et ils se sont mis à le rouer de coups ! On est venu pour les séparer mais, d’autres sont arrivés et oui, on s’est mis à se battre ! Mais bon, entre ça et cette folie furieuse d’aller en Duscur, au bout d’un moment, faut pas pousser les gens à bout !
– Qu’est-ce que vous vous êtes dit exactement Jacques ? Demanda l’ainé des jumeaux en finissant de remettre son nez droit, même s’il garderait probablement une bosse dessus, le visage et la voix toujours aussi lisse que la surface du lac.
– Merci Votre Grâce… je leur parlais de mon travail à votre service, et je disais que j’en étais très content car, je comprenais mieux la logique des ordres et de vos actions… que c’était plus cohérent donc, je savais mieux qui je protégeais… j’ai aussi dit que même si j’avais accepté d’aller en Duscur, c’était plus pour remplacer une personne désignée car, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, expliqua-t-il, honteux de les avoir mis dans une situation pareille. J’en parlais à des amis roturiers quand des soldats de la noblesse de l’Ouest sont venus pour me dire que vous étiez trop remuant pour des Fraldarius… … … que vous vous comportiez presque en roi dans votre fief car, vous appeliez Sa Majesté sur ses erreurs et vous vous opposiez souvent à lui ces dernières années, que ce soit dans l’affaire de l’Adrestien brûleur d’enfant ou pour cette rencontre diplomatique à Duscur… et que je n’avais pas à m’agenouillez devant vous quand je vous ai demandé de me prendre à votre service pour payer ma faute car, on ne pose les deux genoux à terre que devant le roi ou les prêtres… même si je l’ai plus fait en signe de repentance que de soumission… ils voyaient cela comme un signe de rébellion et d’arrogance de votre part… j’ai un peu haussé le ton pour leur dire que c’était faux mais, je me suis retrouvé à voir des étoiles à cause d’un coup de poing en pleine figure… je vous demande humblement pardon pour vous causez autant de tort… je ne pensais pas que cela tournerait aussi mal… je n’aurais pas dû parler ainsi… le Jeune Loup et la Capitaine Duchesne ont voulu nous séparé quand ils ont vu qu’ils m’avaient frappé mais, ils se sont pris des coups aussi alors, ils les ont rendus, puis d’autres des deux côtés sont venus soutenir les premiers… ce n’est pas leur faute Vos Grâces, je le jure… tout est de mon entière responsabilité, j’aurais dû mieux me tenir… tout le monde est à cran ces dernières semaines à cause du voyage qui se prépare, je n’ai fait qu’attiser inutilement les tensions entre les différentes factions. Je suis prêt à en assumer toutes les conséquences.
– Hun ! Vous avez tous un problème de comportement chez les Fraldarius ! Vous vous comportez avec vos ducs comme si c’était les rois alors que quand Sa Majesté vous ordonne quelque chose, vous devez obéir ! Mais non ! Il faut que vos chers ducs répètent l’ordre pour que vous le fassiez ! S’exclama un des soldats en bleu roi, un fils de seigneur mineur de l’Ouest s’il ne se trompait pas.
– C’est vrai ! Et quand vous recevez le roi, tout votre fief est froid à en geler l’air avec lui ! Ajouta une autre, également une petite-fille d’un châtelain de l’Ouest. On sait, vous lui en voulez pour ce qui s’est passé y a quatre ans mais, passer à autre chose ! Surtout que vous avez eu ce que vous vouliez ! Il est chassé à vie votre dangereux assassin de gosse ! Vous pouvez réobéir aux ordres maintenant ?! Et on sait que Loog a été très généreux avec son conseiller Kyphon et sa famille mais tout de même ! N’oubliez pas qui est le roi dans ce Royaume !
– Votre Majesté ! L’appela une autre soldate d’origine noble, apparenté aux Rowe s’il ne se trompait pas. Vous devriez vous méfier d’eux ! Sérieusement ! Leurs terres sont immenses, leur duché riche, ils tiennent la côte est, et leurs sujets leur obéissent sans discuter ou réfléchir ! Vous devriez vous méfier qu’ils ne tentent rien contre vous ! Après tout, ils sont quasi indépendants grâce aux Kyphonis Corpus !
– Qu’on leur mette un chien à la place de leur loup sur leurs armoiries ! Ils comprendraient surement mieux quel est leur vrai rôle ! Cracha un autre.
Lambert vit les soldats de Fraldarius se raidirent, se retenant de leurs renvoyer leur venin en pleine figure mais, un regard et un signe de tête de leurs ducs suffit à les empêcher de répondre.
– Nous respectons toujours le principe fondamental du Kyphonis Corpus, nos deux familles se soutiennent et s’entraident en toute réciprocité avec interdiction de prendre les armes l’une contre l’autre, ainsi que celle de protection familiale, qui nous donne le droit de nous retirer si un membre de notre famille est menacé par l’autre, rétorqua Rodrigue, imperturbable. « Que nos deux familles se prêtent un appui mutuel et s’aident réciproquement suivant les occasions contre les ennemis du Royaume, de son peuple et de la Sainte-Église de Seiros. ». « Que personne n’ose, pour un quelconque sentiment de cupidité, ruiner ce traité de paix dans l’un quelconque de leurs domaines : que si quelqu’un l’ose faire, qu’il encoure le châtiment commun de tous les deux. », tels sont les mots rédigés par Sa Majesté Loog le Lion lui-même à la faveur de son plus fidèle ami, alors qu’il n’était encore qu’un bâtard ayant passé sa vie à errer dans le nord pour nourrir sa fille Clothilde. La protection de la famille à tout prix est un des fondements de notre lignée, remontant même jusqu’à Fraldarius lui-même. Le Brave de la persévérance a toujours travaillé d’arrache-pied pour protéger son peuple qu’il nommait lui-même la « maison de son père », est toujours rentré chez lui afin d’accomplir sa tâche, même après plus de quinze ans d’esclavage, et aujourd’hui encore, il protège son sang des maux qui le menace.
– De plus, même si nous sommes fidèles à la couronne, fidélité ne signifie pas fanatisme, ajouta Alix, la voix plus dure que celle de son frère. Nous avons notre propre ligne politique, nos propres opinions, nos propres pensées, nos propres devoirs en dehors de la couronne… il est normal et même sain que nous nous opposions à ce que nous trouvons dangereux pour le bien commun. Nous sommes contre ce voyage en Duscur, cela n’est un secret pour personne, mais nous continuons à remplir au mieux nos devoirs envers toutes les personnes faisant partie du convoi royal, afin que tout se passe du mieux possible, soit ce que nous devons tous faire, conclut-il en regardant tous les partis présents sur le champ d’entrainement.
Il eut un instant de silence d’acceptation, avant que Rodrigue ne le rompe en tapant dans ses mains, regardant à nouveau Lambert avant de déclarer.
– Bien. Maintenant que nous savons ce qui s’est passé, nous devrions parler de tout cela chacun de notre côté pour mettre les choses au clair, afin que ce genre de situation ne se répète pas. Comme l’a très justement fait remarquer Jacques, la situation est tendue, nos relations avec Duscur dépendent de ce voyage alors, nous devons éviter de nous diviser, même si les circonstances rendent cela très difficile.
Nicola laissa alors Lambert partir, marmonnant dans sa barbe en rejoignant ses seigneurs pour sermonner leurs hommes et Glenn. Le roi fit de même avec sa garde, leur assurant que les Fraldarius lui étaient bien fidèles et qu’ils ne faisaient rien contre la loi, leur rappelant aussi qu’ils ne feraient rien qui mettrait en péril la sécurité de leur famille, ce qu’une trahison ferait étant donné qu’à cause des immenses privilèges des dix lois du Kyphonis Corpus, ils avaient des peines plus lourdes s’ils manquaient à leurs obligations, tout comme la famille royale, même si on ne pouvait plus les condamner à mort contrairement à leurs conseillers, même si c’était des ajouts plus tardifs au texte de Loog. Heureusement, les roturiers comprirent assez vite mais, les soldats d’origine nobles n’avaient pas l’air convaincu, surtout ceux de l’Ouest. Malgré les contreparties, les privilèges accordés à Kyphon par Loog faisaient énormément d’envieux, tout comme leur position…
Une fois les esprits un peu apaisés, Lambert retourna dans son étude pour se remettre au travail, ayant encore des courriers à envoyer et des actes à lire, ainsi que des demandes d’appel à traiter… bref, il allait bien être occupé… et il ne s’était toujours pas excusé… pour demain… une fois que tous les esprits se seraient refroidis…
Il travailla jusqu’à tard avec Gustave, avant de finir quand les cloches de l’église sonnèrent les vêpres. Posant sa plume et refermant son encrier en veillant à ne pas les casser dans sa fatigue, il se leva en gardant juste encore quelques dossiers à traiter avec lui, il s’en occuperait après avoir mangé avec Dimitri, il se réservait toujours du temps pour passer au moins dix minutes avec lui tous les soirs, même s’il devait rogner sur sa nuit et travailler dans sa chambre. Le roi, accompagné de son maitre d’arme, se rendit donc dans l’aile du palais où son fils et lui dormaient mais, au lieu d’être tout seul comme souvent en ce moment, Dimitri l’attendait avec Félix, ce dernier ayant le nez et les sourcils froncés de colère alors qu’il marmonnait.
« …et moi je te dis qu’il dépasse les bornes ! Il agit vraiment très mal avec eux en ce moment !
– Mais non ! Je te jure que mon père ne pense pas à… ah ! Papa ! S’écria son fils en le voyant. Félix voudrait te dire quelque chose !
– J’entends ça, répondit-il, devinant un peu ce qu’allait dire le louveteau. Qu’est-ce qu…
Félix le coupa brutalement en lui donnant un coup de pied dans les jambes, son emblème majeur brillant autour de lui. Elle s’activait déjà très souvent mais, elle intervenait presque à chacun de ses coups sérieux depuis que Fraldarius l’avait sauvé. C’était peut-être à cause de sa marque dans son dos… Le louveteau s’écria, furieux.
– T’es méchant ! Pourquoi tu fais du mal à mon père, à mon oncle, à mon frère et à Nicola ?! Ma famille ne t’a rien fait ! C’est toi qui nous as fait mal le premier avec Volkhard ! Pourquoi tu continues à être aussi mauvais avec nous ?!
– Mais enfin Félix ! Pourquoi il serait méchant avec eux ? Ils sont amis ! Les amis ne sont pas méchants et ne se font pas de mal les uns les autres ! S’exclama Dimitri sans comprendre, Lambert se rappelant douloureusement ce qu’Alix lui avait dit, que son neveu avait vu son père après qu’il se soit tétanisé à cause de leur discussion.
– Alors, c’est le pire des amis ! Feula-t-il en le regardant. Il a dit des choses horribles à mon père et l’a fait pleurer ! Mon oncle était furieux après avoir parlé avec lui ! J’appelle pas ça un ami !
– Félix… hum… Gustave ? Tu peux emmener Dimitri à la salle où on a dressé la table ? Lui demanda-t-il. Je vous rejoints très vite pour souper, c’est promis. Tu veux bien Dimitri ? Je parle un peu avec Félix de ce qui se passe, je ne devrais pas en avoir pour très longtemps, d’accord ?
– Hum… d’accord… » répondit son fils en suivant Gustave, même si tout cela l’étonnait et qu’il s’inquiétait déjà. Il devait également se demander ce qui se passait. Il avait l’esprit vif d’Héléna après tout…
Une fois qu’il fut hors de portée d’audition, Lambert se baissa à la hauteur de Félix en soufflant, espérant se faire comprendre du louveteau.
« Je te promet que je ne voulais pas les blesser Félix. Je n’y ai juste… pas pensé, même si j’en ai honte maintenant. Je n’ai pas du tout pensé à Guillaume quand je l’ai dit. C’était extrêmement maladroit de ma part mais, je voulais juste dire que j’avais confiance en Dimitri et en l’avenir, surtout que je pense que tout se passera bien. Personne n’a d’intérêt à ce qu’une guerre se déclenche, même si je comprends pourquoi ça les angoisse autant. Je te promets que ce n’était pas volontaire et que je ne voulais pas leur faire du mal. Je n’ai pas pu le faire aujourd’hui mais, je vais aller m’excuser et m’expliquer avec eux.
– Même ! Tu aurais dû y penser avant ! Nous, on fait attention quand on parle ! Personne ne dira à Sylvain que c’est bien que les frères se battent, à Ingrid que ça endurcit de vivre dans un fief pauvre, ou à Dimitri ou moi que ce n’est pas grave de ne pas avoir de mère ! Pourquoi t’as dit que c’était pas grave si tu mourrais ?! Dimitri t’adore ! Tu ne vas pas lui faire ça ?! Comment tu as pu leur dire ça alors que leur père est mort quand ils étaient petits ! Tu as fait pleurer mon père à cause de tout ça car lui, il n’est pas un idiot insensible comme toi ! T’es juste trop bête pour ne pas y avoir pensé ! Tu fais rien à la bonne vitesse en plus ! Tout le monde dit que tout va trop vite pour aller à Duscur mais quand c’est pour ton copain Volkhard, là, tu vas lentement alors qu’il aurait pu brûler Dimitri aussi ! T’es vraiment stupide ! Tu connais mon père et mon oncle depuis que t’es né non ? Comme nous quatre ?! Pourquoi tu les écoutes pas alors qu’ils ont toujours été avec toi ?!
– Félix… c’est plus compliqué que ça… je sais que j’ai fait une énorme erreur en disant cela, je n’aurais jamais dû le dire devant eux… je te promet que je vais aller m’excuser mais, ce n’est vraiment pas pour ça que…
– Tu le penses alors, c’est pareil, rétorqua-t-il. En plus, tu leurs fais peur en forçant tout le monde à aller à Duscur alors que personne n’a envie d’y aller ! T’emmène Glenn et Papi Nicola ! T’as intérêt à les ramener entier sinon… sinon… sinon je serais pas content et je te tape encore !
Comme pour souligner qu’il le ferait, il lui donna un autre coup de pied, puis fila après lui avoir hurlé sans cacher son inquiétude.
– Ne fait plus de mal à ma famille ! »
Lambert ne le rattrapa pas, sachant à peine quoi dire au louveteau et sachant que quoi qu’il dise, Félix s’obstinerait et ne l’écouterait pas… il ne put que marmonner, passant sa main sur son visage.
« Vous êtes vraiment une meute… il faut que tu arrêtes de dire qu’il ressemble à Félicia Rodrigue… c’est ton portrait craché… c’est un loup aussi… vous tenez autant à votre famille l’un que l’autre…
– Qu’est-ce qui t’arrive frangin ?
Il tourna la tête et vit Rufus s’approcher, les mains dans ses poches, visiblement un peu étonné de le trouver comme ça.
– Ce… ce n’est rien… Félix m’a disputé à cause de ce qui s’est passé avec les jumeaux hier… faut dire, j’aurais jamais dû dire ça à Rodrigue… c’était évident qu’il allait faire le lien avec la mort de Guillaume… j’ai vraiment merdé pour le coup… j’ai même pas eu le temps de m’excuser aujourd’hui…
– Mon petit frère qui devient grossier, c’est rare. Et c’est un fifils à son papa le gamin, il est capricieux, rétorqua Rufus. C’est normal qu’il vienne te pourrir car, t’as légèrement froissé l’égo de ces deux-là. Ils en ont beaucoup trop depuis qu’Arundel a été exilé à vie. Bon, c’était la chose à faire mais bon, depuis, ils ne se sentent plus pisser et leur fief aussi. Laissez-les mariner, ils font juste d’une montagne une sourie car, tu ne leurs as pas cédés sur ce voyage. Je suis sûr que tu n’as rien dit de si terrible en plus. C’était ce que tu m’as raconté hier soir ?
– Oui… enfin… ça leur a quand même rappelé la mort de Guillaume…
– Tout leur rappelle la mort de Guillaume. Le vieux Ludovic avait bien tort en pensant qu’il aurait pu avoir les épaules pour tenir le Royaume à ta place… t’as rien à te rapprocher, je te jure alors, enlève-toi ça de la tête. En plus, on fait attendre Dimitri là. Allons manger, ça te fera du bien.
– J’espère que tu as raison… se rendit Lambert, même si cela lui resta en tête. Et oui, il nous attend. Je pose ses dossiers et j’arrive. »
Il soupira en espérant que tout cela n’impacterait pas l’amitié de Félix avec Dimitri, puis l’homme alla poser sa liasse de document sur son bureau, ayant déjà fait suffisamment attendre son fils comme ça.
Il crut gelé sur place en entrant dans la pièce, l’atmosphère lourde et glaciale comme si le blizzard avait soufflé à l’intérieur et tout recouvert de glace, même si rien n’avait changé depuis ce matin, à part son lit qui avait été refait, sa carafe d’eau reremplie et la table remplacée par une qui n’était pas cassée. Il avait justifié la trace de coup par un moment de fatigue qui l’avait fait tomber un peu trop fort dessus.
« Déesse, il caille ici ! On se croirait en Sreng ! Se plaint Rufus qui l’avait suivi. Mais qu’est-ce qui pourrait prov… »
Areadbhar s’agitait sur son présentoir, semblait grelotter sur sa hampe, brillant dans le noir comme un astre ensanglanté dans un ciel d’encre en hiver.
Ce n’était pas normal. La Lance de la Destruction pouvait bouger, s’agitait même souvent comme si elle voulait s’échapper des mains de son porteur, porteur qu’elle mordait continuellement quand ils n’étaient pas sur le champ de bataille, mais pas Areadbhar. La Lance de la Destruction était liée à Gautier, le Protecteur Sauvage, le Brave des Bêtes, capable de leur parler et de se transformer en l’un des leurs, mais leur Relique était l’arme de Blaiddyd, le Flutiste des Glaces, commandant à la neige et au froid. Elle était toujours immobile, toujours silencieuse, majestueuse malgré son fer trop semblable à une main, surement pour rappeler les doigts agiles de musicien de leur ancêtre, son souffle froid enveloppant son manieur avec à la fois force et douceur. Il ne l’avait jamais vu grelotter comme ça, comme si elle voulait tomber de son présentoir. Déesse, qu’est-ce qui lui arrivait d’un coup ?!
Posant en vitesse ses papiers dans les bras de son frère, Lambert se précipita vers sa Relique pour voir ce qui se passait mais, à peine eut-il frôlé la hampe de métal noir qu’il fut obligé de retirer ses mains.
« Eh ! Lambert ! ça va ?! S’inquiéta Rufus en courant vers lui, les papiers abandonnés sur la table. Qu’est-ce qui t’arrive pour que tu la lâches comme ça… »
Il se tût en découvrant les doigts de son cadet…
Ils étaient couverts d’engelure… comme après avoir encaissé un très puissant sort de glace…
Lambert ne put s’empêcher de fixer ses mains brûlées par le froid, horrifié.
Il se souvient alors d’une bêtise d’enfance avec son frère, alors qu’ils essayaient encore de s’approcher d’Areadbhar. Pas pour l’utiliser, seulement pour la voir alors que leur père ne la sortait jamais de son armoire, n’en ayant pas besoin depuis que son autorité était incontestée et Clovis mort…
« Tu veux essayer de la prendre Rufus ?
– Hum… pourquoi pas… après tout, bénie par la Déesse ou pas, ce n’est qu’une lance très lourde… Aïe !
– Rufus ! Rufus ! ça va ?! Qu’est-ce qu’il y a ?! »
Les doigts de son grand frère étaient couverts d’engelure, presque transformé en glaçon. Lambert le prit sur ses épaules pour le porter, assez fort pour le faire, puis l’emmena en courant chez un médecin de peur qu’il ne perde ses doigts, tant pis s’il devait se faire gronder par leur père après. Il ne voulait pas que Rufus soit blessé à cause de lui !
« Areadbhar ne m’a pourtant rien fait quand je l’ai touché, bégaya-t-il alors que la médecin soignait les brûlures de froid puis bandait les doigts blessés.
– C’est normal, c’est parce que vous avez l’emblème qui correspond à cette Relique contrairement à votre grand frère. Geler les doigts est sa manière de rejeter et de faire reculer les personnes osant la toucher sans avoir la bénédiction de Blaiddyd. »
C’était la manière dont Areadbhar rejetait les personnes qui n’avaient pas l’emblème pour la manier, comme un avertissement avant de faire pire et de les maudire… mais il avait son emblème pourtant ! Il l’avait depuis toujours ! Pourquoi leur Relique le rejetterait maintenant ?
« Je me souviens que quand j’ai arraché notre lance familiale des mains de mon père, elle s’est calmée et semblait soulagée, comme si elle était vivante et que je venais de l’arracher à un cauchemar… lui avait raconté une fois son père. Il faut dire, elle haïssait tellement Clovis qu’elle lui avait gelé les doigts. »
« Areadbhar gèle tous ceux qu’elle rejette… hacha Lambert en réalisant ce qui venait de se passer. Tous… Sans exception… Même ceux avec son emblème… Et elle a couvert mes mains d’engelure malgré mon emblème… ça veut dire qu’elle me… »
« Suffit ! » Avait craché Ludovic lors de leur dernière dispute la veille de sa mort, faisant tout pour éviter que son sang contaminé ne le touche en restant loin de lui, tremblant de tous ses membres alors qu’il se redressait pour lui faire face avec les faibles forces que lui avait laissé la tuberculose, seul son emblème lui permettant de continuer à se tenir debout et à se mouvoir, alors qu’ils se battaient encore sur le sort du plateau de Brionnic à nouveau… Déesse, il ne se serait jamais disputé comme ça avec lui s’il avait su qu’il mourrait le lendemain ! « Tu n’as pas les épaules pour être un roi ! Tu n’es pas fait pour ça ! Jamais je ne laisserais le Royaume entre les mains d’un inconscient comme toi ! Jamais ! »
« Tu t’y mets aussi… hein… vous vous liguez tous contre moi, c’est ça ? » Marmonna-t-il à sa Relique plutôt qu’à son frère, revoyant l’aura majestueuse qui l’entourait toujours quand son père la maniait, semblable aux neiges éternelles trônant en haut des montagnes, attentives à tout ce qui se passaient autour d’elle. Tout le contraire de lui quand il la maniait hors d’un combat, son énergie ressemblant alors à de la neige fraiche facile à manipuler pour jouer avec. « Je ne sais pas ce que tu imagines mais, je suis sûr que ce ne sera pas un tel désastre. Nous nous entendons depuis toujours avec Duscur, cette attaque est l’œuvre d’un seigneur isolé et ils sont pacifiques… et même si je déteste devoir penser à ce cas de figure, le rapport de force militaire est très clairement en notre faveur… il n’y a pas de raison que cela se passe si mal… juste… fais-moi confiance Areadbhar… … … et je perds la boule, soupira-t-il en se massant le front, je parle à une lance maintenant…
– Oui, c’est surement un hasard ou la fatigue si tes mains ont gelé, intervient Rufus. Et même si c’était vraiment c’est Areadbhar qui les a provoquées ces engelures, et alors ? C’est qu’une lance ! C’est juste une arme ! Elle n’y connait rien en politique et elle sait encore moins de choses sur celle de notre époque ! Elle a plus de mille ans ! Tout Fodlan s’est civilisé entre temps ! Il aurait fait quoi Blaiddyd à ta place à ton avis ?
– Je pense qu’il aurait discuté avec tous les partis et aurait tout fait pour trouver une solution pacifique à la situation, répondit-il honnêtement. Après tout, il s’agit du Brave de la Justice. Il a toujours agi quand la situation était injuste, comme lors qu’il a mis fin à l’esclavage, même s’il a dû passer par les armes pour arriver à ses fins… je suis sûr qu’il a tout tenté avant d’en arriver à la révolte générale…
– Tu parles ! S’exclama-t-il avec plus d’énergie que le cadet n’en avait jamais vu de la part de son frère ainé. Il a pris les armes en premier et il a discuté avec les cadavres après ! C’était il y a mille ans ! Ils ne réfléchissaient pas plus loin ou avec autres choses que leurs armes à l’époque ! Fraldarius et Dominic ne devaient pas voler bien plus haut que lui ! C’était peut-être de grands artistes et surement même les plus grands de l’histoire de Faerghus mais, c’était aussi des êtres pas très civilisés comme tout le monde à cette époque ! Ils ont défoncé l’opposition, fait des morts car c’était plus simple et évident, puis ils ont imposé ce qu’ils voulaient ! Oui, bon, c’était pour mettre fin à l’esclavage mais bon, c’était parce qu’ils avaient assez de jugeote pour que la Déesse les estiment digne d’un emblème et d’une de ses armes mais, imagine Blaiddyd aurait eu un objectif moins noble, il aurait juste installé sa tyrannie ! C’est juste ça ! Et je parie qu’ils étaient du genre à dire qu’ils ne font que suivre les ordres de la Déesse ou de leurs dieux avant qu’ils ne se convertissent ces trois-là ! Leur Aube est rempli de références aux dieux et à la nature qu'ils invoquent pour un oui ou pour un non ! Comme si c'était leurs dieux les serviteurs ! Si c’est pas la preuve qu’ils avaient la grosse tête ! Tu n’as pas à écouter un type de plus de mille ans ou ce qui en reste ! Il est forcément à côté de la plaque ! Est-ce que tu penses que cette rencontre en Duscur est la bonne chose et ce qu’il doit être fait pour que la paix perdure ?
– Oui, sincèrement mais…
– Il n’y a pas de « mais » qui tienne ! Le coupa Rufus en lui prenant les épaules. Tu penses que c’est ce qui a de mieux à faire alors, c’est que ça doit l’être ! T’as quand même la tête sur les épaules et qu’importe ce que Ludovic disait ! De toute façon, les jumeaux n’auraient pas autant ressemblé à leur paternel, ça aurait pu être ses gosses tellement il les préférait à nous deux ! Alors, arrête de te mettre Dominic en tête avec ce qu’il t’a dit alors qu’il était rongé de partout par la tuberculose ! Il n’avait plus du tout la capacité de raisonner de manière lucide de toute façon à ce moment-là ! Tu fais très bien ton travail de roi ! C’est juste que Ludovic était complètement paranoïaque pour être aussi prudent ! Faut dire… tu te souviens de sa tête ? Ce mec ne souriait jamais, n’avait aucune expression faciale, encore plus quand Guillaume a eu l’idée très conne de se faire poignarder devant lui alors que bon, il aurait pu s’arranger pour se prendre le poignard dans le bras ou quelque part où ce n’était pas mortel ! Ludovic était carrément morbide après ça ! Et bizarrement, les seuls moments où il dégelait un peu, c’est quand Aliénor venait se pavaner avec les moufflets qu’elle avait eu avec ce loup enragé de Guillaume et là, bizarrement, quand c’est les gamins de son grand frère adoré, tout devient bon et il arrivait à sourire un peu ! C’est juste qu’il avait ses chouchous et nous, on passait après ! Alors, emmerde ce qu’ils pensent tous deux, autant Blaiddyd que Ludovic ! Ils sont juste trop étriqués dans leur manière de pensée ! Tu fais très bien ton travail et tu es un très bon roi ! Arrête de douter de ça car, des types plus coincés et fermés te disent que tu fais catastrophe sur catastrophe ! Regarde ! Ils disaient tous que rien ne serait jamais prêt à temps mais, le convoi se monte bien ! C’est la preuve qu’ils ont tort et qu’ils ne voulaient juste pas se presser ! C’est tout !
Lambert n’était pas forcément d’accord avec tout ce que disait Rufus mais, il évita de trop commenter, surtout les parties sur Ludovic. Il savait que son frère ne portait vraiment pas leur père dans son cœur, surtout depuis sa mort, même s’il n’arrivait pas à brûler leur correspondance qu’il gardait dans sa cassette… leur relation était compliqué, comme souvent avec Ludovic… aucune des tentatives du cadet pour lui parler de leur père avec un peu plus de nuance n’avait réussi alors, il voulait éviter de se disputer avec Rufus aussi… ça ferait trop de tensions d’un coup pour lui et il craignait suffisamment de perdre les jumeaux… Lambert ne voulait pas perdre son grand frère aussi…
– Peut-être... céda-t-il. Ne faisons pas attendre plus longtemps Dimitri… on y réfléchira après… »
Cependant, la désagréable impression d’être épié ne le quitta pas, même quand Lambert ne regardait plus Areadbhar. C’était comme si le joyau à la base du fer jaune le jugeait en le regardant de haut…
Il cacha ses engelures sous des gants et les deux frères allèrent manger avec Dimitri, les attendant toujours. Ils ne lui dirent rien de ce qu��il venait de se passer pour ne pas l’inquiéter. Lambert le laissa parler en faisant tout pour cacher son trouble, ce qu’il arriva heureusement à faire.
Après l’avoir couché et embrassé, le roi et son frère allèrent voir Cornélia pour qu’elle soigne ces engelures étranges, tout lui faisant jurer de ne rien dire à personne, ce qu’elle promit sans contester. Au moins une autre personne en plus de Rufus qui l’aidait un peu…
En revenant dans sa chambre, Areadbhar s’agitait toujours, remuant en exhalant ce froid glacial digne des pires hivers srengs. Il avait l’impression que le Brave lui-même allait finir par débarquer, par sortir de sa lance pour lui hurler des reproches…
« Tu n’as pas les épaules pour être un roi ! Tu n’es pas fait pour ça ! Jamais je ne laisserais le Royaume entre les mains d’un inconscient comme toi ! Jamais ! »
Sans hésiter, les deux frères attrapèrent une couverture, roulèrent la Relique à l’intérieur pour ne pas se brûler à nouveau en la touchant, et l’enfermèrent à double tour dans une armoire malgré ses tremblements de protestation. Même enfermé dans du bois et du tissu, il l'entendait taper contre la paroi... quelle arme étrange...
« Je sens que c'est un signe du Brave... avoua Lambert en posant sa main sur le couvercle dur, vibrant à cause de sa prisonnière enragée. Après tout, c'est un don de la Déesse elle-même... peut-être qu'Elle essaye de communiquer comme elle peut...
- C'est plutôt que c'est l'arme la plus étrange de Fodlan, ou alors la preuve de plus que Blaiddyd n'y connait rien, rétorqua Rufus. Elle n'a jamais agi comme ça mais, c'est pas comme si c'était la seule Relique a bougé toute seule. La Lance de la Destruction aussi se tortille tout le temps et ça ne veut rien dire. Tu te fais des idées. »
Lambert n'était pas sûr mais, il hocha la tête, son ainé n'avait pas forcément tort... il espérait en tout cas...
Quand son cadet eu le dos tourné, Rufus donna un coup de pied dans la prison de bois, maugréant à l’arme cachée à l’intérieur.
« Ne t’en mêle pas. Tu sers juste à éventrer des gens, t’y comprends rien. T’es juste une lance et lui, il se débrouille très bien comme roi. Si c’est Blaiddyd, t’as encore moins de choses à dire, tu ne comprends surement rien à la politique de notre époque. Et si c’est toi Ludovic, ferme-là et apprend de Lambert, il se débrouille mieux que tu ne l’as jamais fait en se salissant moins les mains que toi. Il discute avant de prendre les armes lui au moins. Donc, ferme ta gueule et apprend. »
Il ignora le souffle glacial de désespoir qui exhala du coffre, qu’il fit taire en bouchant la serrure avec un peu de tissu et n’en parla pas à Lambert. Il l’enlaça avant de retourner dans ses appartements, confiant en son petit frère. En voyant la cassette enfermant le testament et les travaux de son père, Rufus l’empoigna de toute sa rage et voulut la lancer dans le feu, histoire d’effacer tous ce que Ludovic avait tenté de faire une bonne fois pour toute. Cependant, comme à chaque fois, il n’y arriva pas, les yeux de son père le fixant en le jugeant et comme lors de leur dernière dispute.
« Ne fait pas ce que toi tu veux. Fait ce dont le Royaume et nos sujets ont besoin.
– Non, c’est toi qui faisait ce que tu voulais et pas ce dont Faerghus avait besoin. Tu te cachais juste derrière pour faire en sorte que ces deux-là soient rois à la place de Lambert alors que la place lui revient de droit car, c’était les fils de ton « grand frère ». C’est de lui dont le Royaume a besoin et personne d’autres… il reposa la cassette dans sa cachette en se disant. Quand Lambert rentrera en ayant réussi à gérer Duscur, je lui montrerais le testament de ce vieux goupil. Rien que pour lui montrer à quel point Ludovic se trompait sur toute la ligne… »
*
Glenn s’exerçait encore avant de dormir, histoire de se calmer un peu de la journée, quand il vit Félix entrer dans la cour d’entrainement. Enfin… « s’exerçait »… si les pauvres passes qu’il faisait étaient dignes d’être appelés comme telles… il était tellement peu motivé que tout son travail était bâclé, comme quand il étudiait la magie tellement ça l’ennuyait… surement le contrecoup de subir un abruti fini doublé d’un connard… et c’était clair et net qu’il n’était pas le seul à le penser… il partageait ce dégout avec toutes leurs troupes, et quand ces imbéciles de l’Ouest avaient osé frappé Jacques juste pour avoir défendu ceux qui étaient maintenant ses ducs… c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase pour beaucoup, profitant de la bagarre pour juste évacuer leur frustration les uns sur les autres… même lui n’avait pas pu s’empêcher de coller une beigne à un con qui lui disait qu’il devrait être un gentil toutou… et le pire, c’était qu’après le sermon public, les jumeaux et Nicola n’avaient même pas été si durs avec qu’eux qu’ils auraient pu – et même dû – l’être. C’était tout au plus un appel à garder son calme et patience, lâchant qu’ils comprenaient leur colère mais, qu’ils devaient tous être prudents pour que le fief ne subisse pas les conséquences de leur impulsivité… argument qui avait mis à peu près tout le monde d’accord quand ils ajoutèrent que chaque chose viendrait en son temps… même eux en avaient plus qu’assez de cette mascarade…
Mais ça, Félix ne devait pas le savoir, pas plus qu’il n’en savait déjà en tout cas. Il était trop petit pour ça et déjà beaucoup trop appliqué dans cette farce grotesque… Déjà qu’il avait la tête basse et semblait furieux…
« Oui Félix ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Son petit frère ne répondit pas tout de suite. Il le rejoignit juste et noua ses bras autour de sa taille, le serrant assez fort pour le retenir, son emblème brillant légèrement sous sa longue tresse courant dans son dos, comme s’il essayait de se coller à lui. Il cacha son visage dans son gambison d’entrainement en ordonnant, même si sa voix était faible.
– Tu ne pars pas.
Il aurait dû parier que ce serait à cause de ce foutu voyage…
– Ça ne marche pas comme ça louveteau, soupira-t-il. Il va falloir que j’y aille, il faut qu’un membre de notre famille soit toujours au côté du roi dans ce genre d’occasion.
– Pas si je te tiens comme ça. Je suis trop petit pour y aller même si Dimitri y va. Si je ne te lâche pas, tu ne pourras pas partir.
– Si ce n’est pas moi, ce sera papa ou Alix… » rétorqua-t-il, même si c’était plus pour la forme et parce qu’il le devait, pas parce qu’il le voulait. Il aurait voulu que ce soit aussi simple que dans les pensées de son petit frère. Il préférerait que la solution de Félix marche et rester ici avec lui.
« Alors je les tiendrais aussi. Nicola aussi. J’ai failli réussir empêcher papa à aller à Sreng comme ça, je vais juste y arriver cette fois. Si Ingrid ou Sylvain tienne Dimitri, il ne devrait pas partir aussi. Personne ne part, point », la prise se resserra alors qu’il crachait, aussi dégouté que lui. « Lambert ne vous mérite pas de toute façon.
– À ce stade, ce n’est pas moi qui vais te dire le contraire, assuma Glenn, mentir ne ferait que lui attirer l’ire de son petit frère, il détestait les menteurs. Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu agisses comme ça d’un coup ?
– Je suis allé voir Lambert pour lui dire que c’était un abruti et qu’il avait fait mal à papa et Alix. Je voulais savoir pourquoi il était aussi méchant avec eux…
– Et il t’a dit quoi ?
– Qu’il était désolé et qu’il ne voulait pas dire ça devant eux… qu’il n’y avait pas pensé et qu’il n’aurait pas dû le dire à papa. Mais bon, il le pense quand même que c’est pas grave quand quelqu’un meurt, c’est pareil… c’est juste un crétin… alors je lui ai dit qu’il avait intérêt à vous ramener entier car sinon, je le frappe encore…
– Car tu l’as frappé ? Quelqu’un t’a vu ? Hoqueta-t-il un peu, ne s’attendant pas à ce que Félix soit allé aussi loin.
– Je lui ai donné un coup de pied dans les jambes quand il est arrivé, avec mon emblème qui s’est activé car, il le mérite. Puis un autre normal avant de partir en lui disant de ne pas faire de mal à notre famille. Il y avait Dimitri et Gustave pour le premier coup mais, Lambert les a fait partir alors, ils n’ont pas vu le deuxième.
Glenn fit tout pour étrangler la satisfaction que Lambert se soit pris la baffe qu’il méritait, revenant très vite à la réalité. Félix pouvait risquer très gros pour le coup. Frapper le roi était une atteinte à la dignité royale et un crime de lèse-majesté, ce geste de colère pouvait être très dangereux pour eux tous si un de leurs ennemis l’avait vu.
– Je comprends que tu ne l’aimes vraiment pas et très honnêtement, je suis d’accord avec toi Félix. Mais il faut que tu fasses très attention. La mauvaise personne t’aurait vu, cela aurait pu couter très cher à notre famille. Tu es mineur alors, il ne t’arrivera rien de trop grave car tu n’es pas encore responsable de tes actes mais, c’est papa qui doit en répondre à ta place, lui expliqua-t-il. Cela pourrait lui causer de gros ennuis.
– Ah non ! S’exclama-t-il, n’y ayant clairement pas pensé, serrant encore plus les poings dans son gambison. Je ne suis pas Lambert ! Je veux qu’il ne lui arrive rien !
– Alors, il faut faire attention jusqu’à la fin de ce voyage et se tenir tranquille, même si ça nous dégoutte… et crois-moi que je sais de quoi je parle… songea-t-il en repensant à cette farce grotesque dans laquelle les avait tous précipités Lambert. Je comprends mieux pourquoi les srengs pensent que respecter quelqu’un d’irrespectable, c’est s’insulter et se rabaisser soi-même… … … … quand je reviendrais, on s’entrainera à nouveau ensemble à la maison, lui jura-t-il en passant sa main dans ses cheveux après un instant de silence.
– Vraiment ? Lui demanda-t-il en relevant enfin la tête, les yeux brillant de joie à cette nouvelle. Mais ça ne te prendra pas trop de temps sur ton travail ici ?
– Oh… tu sais, je ne suis pas sûr de rester dans la garde royale plus longtemps que les cinq ans obligatoire… y a beaucoup à faire à la maison aussi. Papa et Alix ont beaucoup de travail et Nicola a bien mérité de prendre sa retraite alors, ce ne serait pas mal s’ils avaient plus d’aide.
– Mais tu ne veux pas être duc, tu veux être chevalier ! Tu as toujours voulu l’être ! S’exclama-t-il en se décrochant un peu de lui, étonné à son tour.
– Je le serais toujours, t’en fais pas ! je ne vais pas arrêter et enterrer ma vocation comme ça ! Rétorqua-t-il. Un chevalier, un vrai, c’est quelqu’un qui aide les autres et qui fait tout pour que le plus grand nombre de personne s’en sorte, tout en sachant qui aider en premier et remettre les choses en question tout en s’en posant. Je ne vais pas arrêter de le faire, ne t’en fais pas. Je le ferais encore jusqu’à ce que mes genoux soient tellement cailleux que je ne pourrais plus marcher mais, au lieu de le faire à Fhirdiad, je le ferais à la maison, à Egua. Il y a aussi différentes manières d’être un chevalier. On peut se battre pour défendre la veuve et l’orphelin des brigands sur les routes, mais on peut également défendre les gens avec des mots, comme le font les avocats dans un tribunal quand ils défendent les victimes d’une injustice, ou en faisant en sorte que les choses soient plus simples pour les roturiers et ceux qui n’ont pas de privilèges. Papa se bat assez peu au final mais, c’est un vrai chevalier car, il fait tout pour faciliter la vie de nos sujets, en faisant attention à ce que le système d’éducation et de santé de Guillaume tiennent l’épreuve du temps, en modernisant les infrastructures des villes du fief et en veillant à ce que tout le monde mange à sa faim sans se ruiner. Ça, c’est être un chevalier dans l’âme, même si on appelle plutôt ça être un loup dans la famille. Ce n’est pas agité une épée en hurlant, c’est aider et protéger les autres.
– Comme grand-père ?
– Oui, comme grand-père qui a fait en sorte que l’eau du lac soit toujours pure, et qui chante pour éloigner le mal sans se battre. Il aide les autres lui aussi, et même si je ne suis pas sûr que ça existait déjà à son époque la chevalerie, c’est aussi un chevalier et un loup dans l’âme, comme Guillaume, Aliénor, Nicola, Alix et papa. Maman aussi était une chevalière et une louve. C’était une excellente négociatrice et avait des contacts avec tous les marchands de l’Alliance. Elle nous a dégotés du blé à des prix défiant toutes concurrences plus d’une fois. Elle était aussi très gentille et prévenante avec ces amies, comme avec la reine Héléna qu’elle a aidé à se détendre quand elle n’arrivait pas à tomber enceinte à cause de son anxiété. Tu m’étonnes que papa l’aime encore, maman était un vrai rayon de soleil ! Ria-t-il un peu avant d’ajouter en passant sa main sur sa propre tresse noire, nostalgique, les vagues souvenirs de sa mère flottant dans son esprit, les bruissements de sa voix conseillant à Sa Majesté Héléna de se détendre et de boire du jus de grenade, argumentant que plus qu’un fruit bon pour la fertilité, il était surtout très bon pour la santé. Tu lui ressembles vraiment beaucoup tu sais… vous ne l’exprimez pas de la même manière mais, tu es comme maman quand tu t’inquiètes pour les autres. Quand ça arrive, rien ne t’arrête.
– Je te crois… j’aurais bien aimé la connaitre… souffla-t-il. Dès que papa parle d’elle, ça se voie qu’elle lui manque beaucoup et que c’était la meilleure… Ivy aussi quand elle vient… je me demande comment elle était… tu me reparleras encore d’elle quand tu viendras t’entrainer à la maison ?
– Bien sûr, je te répéterais encore mille fois tout ce dont je me souviens. Et comme toujours, le jour où tu arrives à me battre, je me mets à la magie !
– Humf ! Je vais te battre à plat de couture quand tu reviendras Glenn ! S’exclama-t-il avec force, toujours aussi déterminé quand ils s’entrainaient ensemble. Tu verras Glenn ! Je pourrais même te battre maintenant ! Surtout que tes passes étaient nulles aujourd’hui ! Ta tresse en faisant des meilleures !
– C’est vrai que je rouille un peu… On fait un petit duel épée contre éclair pour voir si tu arrives enfin à me faire toucher à la magie ?
– D’accord ! Mais à l’épée ! Je veux te montrer ma technique pour entourer la lame d���éclair ! Je vais te battre ! Tu vas voir ! S’écria-t-il en attrapant en vitesse une lame de bois et en se mettant en position.
Revigoré à l’idée d’affronter son petit frère, Glenn se débrouilla bien mieux que tout à l’heure, trouvant plus de plaisir à contrer chaque coup de son cadet qu’à s’entrainer pour protéger un type comme Lambert, surtout que le combat était serré. Il ne fallait vraiment pas qu’il s’arrête de s’entrainer, même une journée ! Félix le dépasserait en un clin d’œil sinon ! Il progressait tellement vite en magie en plus ! Rien que le fait qu’il soit capable d’enchanter son arme sans qu’elle soit conçue pour était impressionnant ! Il fallait déjà être un excellent magicien pour y arriver !
– Rha ! J’ai encore perdu ! Râla Félix après être tombé sur le sable en haletant de fatigue, Glenn ayant encore réussi à lui faire lâcher son arme.
– Mais tu t’es très bien défendu, le félicita son grand frère. Et tu voies que tu peux y arriver louveteau ! Tu galérais à enchanter ton épée mais, tu y es arrivé finalement !
– Grâce à l’entrainement ! Assura-t-il avec fierté.
– C’est clair que t’es un vrai acharné de l’exercice ! Comme quoi, je ne suis pas le seul à tenir de papa ! Allez ! Il l’aida à se relever en disant. On devrait aller se coucher, la journée va être longue demain, et papa doit se demander où tu es passé… »
Les deux frères retournèrent dans leurs appartements où ils trouvèrent Alix tenter de calmer son frère qui semblait les avoir cherchés de partout, encore plus agité en ne les retrouvant pas. Les deux frères lui expliquèrent ce qui s’était passé, puis Félix annonça à leur père ce que comptait faire son ainé.
« Il va revenir à la maison pour t’aider quand ces cinq ans seront finis ! Il peut aussi être un chevalier à Egua après tout ! Comme toi ! Et il n'aura pas à supporter Lambert !
Glenn devait avouer qu’il redoutait un peu la réaction de son père. Malgré tout ce qui s’était passé et toutes les crasses que leur avait vomi ce chien idiot dessus, Rodrigue restait quelqu’un de fidèle, et il craignait qu’il prenne assez mal qu’il déserte plus ou moins son poste auprès du roi. Bon, il attendait quand même la fin officielle de ses cinq ans de services à la Couronne, heureusement achevées l’année prochaine. Même si techniquement, il ne rompait pas ses vœux et n’enfreignait aucune règle en opérant sur ses terres plutôt qu’à la capitale, c’était attendu qu’un chevalier de la noblesse serve le roi plutôt que son fief, sauf ceux qui manquaient vraiment de bras. Ce n’était pas une règle écrite mais, le contraire était devenu tellement rare que c’était devenue une coutume que tout le monde respectait, même si ce n’était que de l’habitude et du non-dit…
Cependant, son père les embrassa tous les deux et murmura, la voix comme le chuchotement d’un loup lancé à la lune, une main sur leur épaule. Il avait les joues et les yeux creusés, le teint cireux… cela tenait du miracle qu’aucun d’eux ne soit tombé malade dans cette histoire…
– Ce sera la meilleure chose à faire…
Glenn lui répondit en le serrant dans ses bras, voulant lui transmettre de la force. Il savait que Rodrigue avait autant de force qu’un loup mais, n’importe quel être humain était faillible… Lambert arrivait à user le bout de sa patience et de son abnégation… le voir aussi épuisé, anxieux et triste à cause de ce chien idiot le dégoutait, lui donnait envie de provoquer ce connard en duel et de hurler au monde tout ce qu’il osait faire pour ses désirs personnels… cela ne mettrait pas en péril la paix interne du Royaume, Glenn l’aurait déjà fait… il ne se retenait que parce que c’était le roi… il ne supportait plus cette situation…
– Je ne vous quitte plus quand je rentre, ça je le jure… je te protégerais à mon tour papa, toi et toute la meute, je te le promets…
– Moi aussi, ajouta Félix en imitant son ainé, se serrant contre leur père. Je te protégerais de tout ! Alix aussi ! Glenn aussi ! Et Nicola aussi ! Vous pourrez vous reposer comme ça !
– Merci… souffla leur père, arrivant enfin à sourire depuis trop longtemps. Merci pour tout… »
Alix s’ajouta au câlin familial, les quatre loups restant fourrure contre fourrure pour se promettre de se retrouver au plus vite à la maison.
Le soir, en se couchant, Glenn emprunta le chapelet de son père et fit une prière à la Déesse pour qu’elle exauce leur vœu… il ne croyait pas beaucoup mais, il voulait juste qu’elle les entende pour une fois après leur avoir arraché tant des leurs ainsi…
« Déesse d’Amour et de Miséricorde… tu es censé être attentive et bonne non ? Alors, s’il te plait, entend-moi et entend tous les autres pauvres bougres qui vont être trainés de force à Duscur… ramène-nous tous à la maison en entier… je ne veux pas déjà les quitter… je veux retrouver papa et Félix... notre famille est déjà orpheline de bien assez de ses membres... la mort nous a déjà pris Guillaume, Aliénor et maman, c'est bien assez... tu n’as pas souvent entendu les prières de notre famille, vu qu’on a tendance à mourir jeune pour la Couronne alors, vu le chien idiot qu’on se tape, tu peux bien nous faire au moins une fleur pour cette fois… »
*
Quelques semaines plus tard, le convoi était sur le point de partir mais, au lieu de voir une ambassade pour la paix, on aurait pu se croire à un enterrement. Tout le monde avait le teint terne, les yeux creusés, le visage marqué par l’épuisement et l’angoisse… les trop longues semaines de travails sans s’arrêter se ressentaient sur chacun d’entre eux… le ressentiment même… la plupart des organisateurs en étaient venus à détester même ce maudit convoi qui emmenait trop de leurs proches.
Félix, Ingrid et Sylvain allèrent souhaiter un bon voyage à Dimitri, tout en lui recommandant de faire bien attention à lui et de ne pas prendre de risque. Le jeune prince leur promit qu’il reviendrait vite sans une égratignure, tout en assurant que cela ira selon son père, avant que ses trois amis rejoignent leur famille pour leur faire leurs adieux. De son côté, Dimitri retourna auprès de son père, ce dernier attendant encore un peu avant de sonner le départ. Personne n’étant venu le saluer à part Gustave avant de rejoindre les troupes de son grand frère et Rufus qui restait avec lui.
La fratrie Charon et leurs enfants firent ses adieux à Myrina et Kimon ainsi qu’aux ainés des fratries qui partaient avec eux, toute la famille au grand complet étant réunie pour leur donner du courage, foule dans la foule tellement ils étaient nombreux. Cassandra jura à sa mère de protéger leur fief en son absence, reprenant Foudroyante à sa place et de foncer lui apporter si elle en avait besoin. Les reliques et autres armes sacrées avaient été interdites dans le convoi, pour ne pas envoyer un message trop belliqueux aux duscuriens… Une décision qui se comprenait, mais pour des familles inquiètes, cela semblait une autre preuve de déraison et d’inconscience…
Fregn souhaitait bonne chance aux soldats de Gautier étant du voyage avec Sylvain. Ils essayaient de rester neutres mais, ils étaient tous les deux bien assez lucides sur ce voyage, même si le visage de la mère était impossible à lire, digne d’une éclaireuse aussi douée et habile qu’elle. Les srengs admiraient ceux qui prenaient des risques pour atteindre leur objectif mais, risquer ainsi la vie de ses dépendants dans son pari et défi n’était pas digne de respect à leurs yeux, mais plutôt de mépris… ce serait comme se jeter dans le vide sans réfléchir en pensant s’en sortir vivant… les selles et les sacoches de leurs hommes portaient toutes des runes, surement un vœu de protection ou un sort de renforcement, mettant les leurs sous la protection de Sothis et du grand panthéon sreng… la mère et le fils eux-mêmes arboraient une phrase runique sur leur bras gauche, celui plus près du cœur, porteuse de la même supplique à tous les dieux les regardant…
Les Galatéa entourèrent Frédérique en lui faisant leurs dernières recommandations. Ils avaient dépensé une grosse partie de leurs maigres économies pour lui offrir un bon gambison discret et un bouclier de voyageur de bonne qualité à leur fils ainé, histoire qu’il puisse se défendre au cas où. Si ces protections s’avéraient inutiles, ils pourraient récupérer l’argent en les revendant. Ingrid lui offrit même un fer de sa propre monture afin de lui porter chance, en donnant un à ces deux autres frères et gardant le quatrième, les liant avec ce bout de métal. Frédérique promit de revenir vite pour qu’ils soient à nouveau réunis.
Nicola essayait d’apaiser les craintes de sa fille et de son gendre, leur assurant qu’il ne ferait rien de trop extravagant ou risqué pour son âge. Sa dernière petite-fille se pendait à son cou en pleurant et la première-née s’accrochait ses jambes en sanglotant en silence, ne voulant pas que leur grand-père parte aussi loin d’elles.
« Pars pas ! Pars pas chez les dusuriens papi ! Non ! Non !
– Chuuut… mes petites lapines, je reviendrais vite, c’est promis… votre grand-père a encore quelques années devant lui avant d’être complètement sénile et inapte au combat… »
Il pria très fort la Déesse pour qu’Elle ne lui donne pas tort…
Enfin, les Fraldarius s’étreignirent longtemps, silencieux comme ils l’étaient rarement dans leur famille… le silence était souvent chassé par un chant ou des bruits de vie de tous les jours… ici, seul des voix tremblantes l’ébréchèrent, trop faible pour vraiment le rompre…
« Fait bien attention à toi et reviens nous vite… lui recommanda encore Rodrigue.
– On t’attendra tous avec impatience à la maison, ajouta Alix.
– Tu reviens, et t’es assez en entier pour qu’on s’entraine ensemble, poursuivit Félix.
– C’est promis… je reviendrais vite et on sera de nouveau tous les quatre à la maison. Je serais là pour l’anniversaire de maman, vous verrez, jura-t-il, Félicia étant né le trente du mois des Guirlande.
– J’en suis sûr… mais avant que tu partes…
Rodrigue prit la main de son ainé et posa délicatement une toute petite ampoule d’eau claire à l’intérieur… l’eau d’Egua… c’était surement superstitieux de sa part, et très frivole d’avoir demandé à leur intendant de leur en envoyer une petite ampoule dans une de ses lettres alors qu’il avait mille autres choses à faire mais, cela le rassurait… l’eau du lac de leur ancêtre… l’onde bénie par son pouvoir… toujours pure et claire, qui ne rendait jamais malade… l’eau qui avait guéri son plus jeune louveteau de ses brûlures maudites… presque des gouttes du pouvoir de leur ancêtre… cela le rassurait de savoir que Glenn l’aurait sur lui, même si ce n’était ni Aegis, ni Moralta… le Brave serait à ses côtés d’une certaine manière, pourrait le protéger un peu plus… c’était tout ce qui comptait…
Glenn comprit assez vite et glissa la petite fiole à l’intérieur de son armure, tout près du sachet de Félicia qui pendait à son cou.
– Merci papa… d’ailleurs…
Il sortit un petit linge de son sac de voyage qu’il donna à Félix. En l’ouvrant, son petit frère découvrit ses éperons de chevalier, soigneusement ranger à l’intérieur.
– Je dirais que j’ai fait mon tête-en-l’air et que je les ai encore oubliés. Comme ça, je suis obligé de revenir pour les récupérer, lui assura-t-il avec un clin d’œil qu’il espérait rassurant.
– D’accord ! S’exclama Félix en les serrant contre son cœur. Et t’oublie toujours tout ! Cette fois, on ne te les rapporte pas à Fhirdiad ! Tu viens les chercher à la maison !
– Quand on n’a pas de tête, faut des jambes, renchérit Alix en échouant à faire une mine sévère, plus proche du vœu que de la réprimande.
– Ah ! Ah ! Arriva à rire un peu Glenn devant le ton de son frère. Exactement ! Je reviendrais les chercher à la maison !
– Et… et tiens, pour te protéger aussi…
Félix lui tendit une écaille sarcelle, toute semblable à celles dans son dos. Il avait dû la perdre en dormant, elles tombaient parfois.
– C’est grand-père qui les a fait apparaitre, ajouta-t-il en refermant ses doigts dessus, elles doivent contenir un peu de sa force… il sera avec toi comme ça, encore plus avec l’eau du lac.
Glenn lui sourit doucement en le mettant dans son sachet, puis embrassa son petit frère en soufflant.
– Merci beaucoup louveteau… je vais vite revenir, c’est promis…
Ils s’embrassèrent encore tous les quatre, suppliant la sonnerie du départ de s’endormir pour que personne ne parte.
Malheureusement, la corne résonna trop vite, trop forte, trop effrontée, comme si cela l’amusait de leur arracher à tous leurs familles… ce fut dur mais, il fallut se lâcher, s’embrasser une dernière fois, supplier une dernière fois de revenir entier, prier une dernière fois la Déesse ensemble pour que tout se passe bien… une dernière supplique pour qu’un miracle se produise…
Glenn enfourcha sa jument, prit du retard pour embrasser encore une dernière fois son père, son petit frère et son oncle depuis sa selle, puis partit à regret rejoindre sa formation, leur faisant de grands gestes d’au revoir, comme tous ces camarades. Cela ne se faisait pas pour les départs de voyages diplomatiques, on ne se saluait pas aussi désespérément à part pour partir à la guerre avec la peur au ventre… mais personne ne put s’empêcher de le faire… Félix tenta de le suivre mais, Rodrigue le prit doucement contre lui, lui rappelant sans un mot qu’il ne pouvait pas, que c’était trop dangereux et qu’il était bien trop jeune… cela semblait hypocrite… Dimitri était à peine plus âgé que lui et était du voyage mais, il ne devrait jamais être dans ce convoi de base… c’était si dangereux… mais c’était trop tard pour tout changer ou annuler…
Nicola passa près d’eux, puis se pencha autant qu’il put de sa selle pour passer la main sur la tête de Félix en lui assurant, tout comme aux jumeaux dont il tapota les cheveux. De tels expéditions n’étaient plus de son âge…
« Je veillerais sur lui et il ne lui arrivera rien, c’est promis louveteaux.
– Reviens vite aussi papi, lui demanda Félix, à moitié enfoui dans la cape de son père.
– Oui, revient nous vite Nicola… ne meurs pas comme papa… le supplièrent les jumeaux, la peur poisseuse s’accrochant à leurs mots pour les empêcher de sortir nets, tout tremblants sur sous son poids.
– C’est promis, je reviendrais vite à la maison pour mourir de vieillesse comme Aliénor… je dois encore passer un peu de temps avec mes lapines et les louveteaux… » leur assura-t-il malgré sa propre appréhension.
Il les embrassa à son tour et rejoignit le corps des vétérans auquel il était affecté avec un dernier au revoir à toutes ses familles.
Lambert les rejoint, visiblement affecté par la morosité ambiante et s’en voulant un peu, même s’il restait obséder par l’idée que tout allait bien se passer. Comme si toute cette situation n’était pas de son entière responsabilité… Il posa alors l’anneau d’argent de la couronne ducale sur la tête de Rodrigue et sa copie sur celle d’Alix en signe de confiance et de corégence avec Rufus, puis déclara solennellement, comme se devait de le faire le roi quand il partait en voyage.
« Je vous confie le Royaume. Grâce à la confiance entre nos deux familles, à cette amitié remontant à Loog et Kyphon eux-mêmes, je sais que je peux partir l’esprit tranquille car, Faerghus est entre de bonnes mains.
– Nous remplirons au mieux notre tâche de vous remplacer pendant votre absence… Votre Majesté… déclarèrent les jumeaux avec autant de gravité que lui, même si le ton était bien plus froid.
Lambert ne put qu’entendre tous les reproches et inquiétudes qu’ils gardaient au fond de leur cœur, mais qui perçaient la surface par l’eau de leurs yeux. Déesse... il n'avait jamais voulu les inquiéter à ce point… mais ce voyage devait être accompli et de toute façon, ce n’était plus possible de faire marche arrière, sauf si une menace majeure venait mettre en péril l’existence même du Saint-Royaume…
« Je n’ai toujours pas pu trouver le temps de m’excuser… » songea-t-il en serrant ses doigts gantés sur ses rênes, espérant qu’aucune engelure de sa dernière tentative de toucher Areadbhar ne se voie… ce cauchemar qui revenait tout le temps… l’illusion que le fin anneau d’argent ducal était remplacé par une couronne d’or, ornant leurs cheveux noirs… leur allait bien mieux… que la couronne devrait ceindre leur tête s’il se fiait aux mots de Ludovic…
« Tu n’as pas les épaules pour être un roi ! Tu n’es pas fait pour ça ! Jamais je ne laisserais le Royaume entre les mains d’un inconscient comme toi ! Jamais ! »
« Si… ça va aller… tu verras, on peut aussi régner sans être un bloc de glace rejetant ses émotions comme tu l’étais… »
– Il faudra vraiment qu’on se parle tous les trois une fois que tout cela sera fini…
– Quand tu auras ramené tous nos parents et nos enfants en vie, le corrigèrent-ils, Lambert ne loupant pas le regard mauvais que lui lançait Félix depuis la cape de son père.
– Bien sûr… » se résigna-t-il ne baissant la tête.
Il donna alors l’ordre de partir.
Aucune acclamation, aucun cri, aucun appel, aucun murmure n’accompagna le départ. Seul un silence de mort régnait dans les rangs du convoi et dans les familles venues les embrasser avant qu’il ne parte. Seul résonnait le pas lent des chevaux et des lourdes roues des longs chariots où reposaient vivres et équipement, les tentes et les tentures allongés dans de longues boites… le cliquetis des armures quand chaque membre du convoi se retournait pour saluer encore une dernière fois les siens…
Tous restèrent devant la porte de la capitale jusqu’à ce que le cortège silencieux disparaisse au loin, tous muets et immobiles, glacé de l’intérieur en cette fin de printemps…
Rodrigue sentit Félix s’accrocher un peu plus à lui en tournant le dos à l’horizon où avait disparu son frère, même s’il ne pouvait pas non plus détacher son regard de l’endroit où s’étaient fondu Glenn et Nicola.
« Ils sont partis assez longtemps… glapit-il. Ils doivent revenir maintenant… C’est déjà trop long… et Glenn va oublier le chemin… faut qu’il rentre maintenant… sinon, il va encore se perdre… Nicola est trop fatigué donc, il rentre aussi… il est trop vieux papi… c’est déjà trop long pour lui ce voyage… ça dure trop, faut qu’ils rentrent… »
Il cacha complètement son visage dans son manteau, déjà à moitié enveloppé dans la longue cape de son père. Ce dernier ne put que passer sa main dans ses cheveux et son dos, espérant que le geste serait rassurant, assez pour dompter ses angoisses… ils retourneraient à Fort Egua la première semaine pour s’occuper de leur fief, après l’avoir laissé pendant deux mois. Félix pourrait nager dans le lac comme ça, être dans l’eau l’apaisait toujours… même si rien ne pourrait soulager leur inquiétude à part le retour de Glenn et Nicola en bonne santé… silencieusement, Rodrigue souhaitait la même chose que son louveteau : que son fils ainé et son compère reviennent maintenant, qu’ils soient enfin de retour et qu’ils puissent rester tous les quatre à Fort Egua, mettre autant de distance que possible entre eux et Fhirdiad, tous se mettre en sécurité loin des folies de Lambert et de ses caprices…
Rodrigue embrassa son front, une prière coulant de ses lèvres comme une chanson en espérant que cela l’apaiserait à nouveau.
« Au loin, dans le soleil orange, tu pars,
Le vent se lève, murmure à l’oreille un présage,
La poussière qu’il soulève voile notre visage,
Cache les larmes qui à présent le parent.
La lumière du jour est puissante, le soleil nous blesse,
Impérieux et capricieux, il impose sa présence,
Impossible d’ignorer ses ordres et indécences,
Mais jamais il ne se rend compte de sa folle hardiesse,
Mais toujours, nous gardons espoir,
À la lueur de la pleine lune, nous chantons,
Fredonnant le chant des loups, nous prions,
Nos voix s’unissent pour enfin te voir,
Car même si ce Soleil inconscient t’arrache à nous,
Pour toujours et à jamais, nous resterons des loups,
Nos cœurs dans le tien, ce chant que tous on te voue,
Est dans ce rayon de lune qui essuie un peu nos joues.
La peur gèle notre cœur, nous ne pouvons jamais mentir,
Mais tant que nous hurlerons à la lueur de la lune, on le sait,
Notre voix te parviendra, même au plus profond de la forêt,
La suivant dans la nuit, tu pourras toujours revenir, »
« Par pitié… Glenn… Nicola… revenez… par pitié Déesse… Déesse d’Amour… toi qui est Mère, la mère de toute vie, toi qui a une famille, toi dont la famille est tous les êtres de cette Terre… laisse-les tous revenir en vie… donne raison à Lambert et à nous tous tort… je t’en supplie… préserve-les tous de la mort... »
#fe3h#écriture de curieuse#route cf + divergente canon#j'espère que ça vous plait surtout !#c'était long à écrire ! Surtout la conversation entre Glenn et Rodrigue au sujet de l'avenir de Félix où j'ai bien bloqué#j'avais l'idée de ce que je voulais faire en partant au boulot le matin mais le temps de rentrer le soir je l'oubliais à chaque fois#puis j'ai juste emmené mon texte au travail pour l'écrire à la pause midi et s'est passé tout seul#les trucs bizarres de l'écriture#Simplex : par pitié ! Aux noms des dieux ! Ecoute-moi !#Lambert et Rufus (surtout Rufus) : lalala ! J'entend pas ! C'est pas du tout un présage ou un signe du Brave à prendre au sérieux !#j'espère juste que je n'ai pas trop forcé le trait sur Lambert... je trouve toujours que la scène de la promesse est de très mauvais gout..#mais quand même c'est pas censé être le cas et Lambert est censé être un perso positif...#même si là honnêtement je suis avec Alix et Glenn pour le traiter de connard vu comment il se comporte#et qu'encore une fois je pense que Duscur aurait pu être facilement éviter mais bon ça arrive car scénario et nécessité scénaristique !#j'avoue aussi que tout du long j'avais juste envie de faire : et puis zut ! on laisse tombé CF et je fais juste un UA bye!#Ou version Lambert se prend les conséquences de ses actes avant Duscur et se fait dégager !#j'ai même tout le scénar avec Fregn qui en a marre#une petite réunion familiale en mettant à sac Fhirdiad avec une grande partie de Sreng pour piller la nourriture dont ils ont besoin#et le divorce à la sreng où elle tire Sylvain de là même si elle le confie d'abord aux Fraldarius le temps de retrouver ses soeurs#les jumeaux se barrent car Lambert et les autres commencent à trop les prendre pour des paillassons et pour protéger leurs louveteaux#et les Charon aussi car on leur a manqué de respect et en particulier envers Héléna (et Lambert va payer pour mettre en danger leur neveu!)#et le peuple qui en a aussi marre de ses conneries et prend les choses en main#un petit souffle de révolution ? Non juste des révoltes paysannes... même si bon sait-on jamais (au moins changement de dynastie)#pour un OS peut-être... même si je devrais aussi faire celui où Guillaume et Aliénor survivent et gère Arundel comme des rois#en tout cas merci beaucoup d'avoir lu tout ça !
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lilias42 · 2 years
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Retour de CF ! (pour changer des billets où je me plaints) : Chapitre 12 et 13 du canon, la maladie
Et voilà ! J'espère que ça te plaira @ladyniniane !
Petit retour à CF avec un chapitre un peu plus lourd que les précédents : à force de s'épuiser pour tenir le Royaume en un seul morceau, les jumeaux finissent par tomber malade d'épuisement, et Rodrigue est le plus sévèrement touché. Quand il l'apprend, Félix rentre chez lui pour s'occuper d'eux.
Comme toujours, "petit" point de contexte !
=> j'utilise ma version des Braves + 3nopes n'existe pas
=> Lachésis Charon a déjà été mentionné avant. C'est une des grandes soeurs de la mère de Dimitri, Héléna, et une des membres de la grande fratrie Charon qui sont douze (même s'ils ne sont plus que neuf après la mort d'Héléna, et de deux d'entres eux à Duscur). Avec les jumeaux, ce sont eux qui tiennent le Royaume mais, Rufus s'entend très mal avec sa première belle-famille donc, ça finit souvent avec les Charon chassé quelques temps alors, Rodrigue récupère leur travail... alors qu'il fait lui-même son travail, celui du régent, et le côté administratif du métier de chef de la garde (le remplaçant de Gustave est compétent et pas assoiffé de sang de duscurien mais, il a beaucoup de mal avec l'administration alors, il le remplace), ce qui lui met encore plus de boulot sur les bras, d'où ses journées de travail à rallonge qui lui usent la santé.
=>Rufus n'encadre plus non plus les jumeaux, et vu que Rodrigue est juste à côté et peut difficilement lui répondre vu qu'il est le régent, il en profite en le pourrissant tout le temps dans son ivresse. Il lui reproche de ne pas avoir empêché Lambert d'aller à Duscur (alors que Rufus lui-même n'a pas levé le petit doigt) alors, il l'attaque en lui disant qu'il devrait lui faire couper la tête pour incompétence, celle d'Alix pour savoir ce que ça fait de perdre un frère et il menace de plus en plus souvent de couper la tête de Félix quand il sera majeur. Rodrigue utilise souvent Vitalis pour le faire décuver d'un coup et l'endormir mais, il doit techniquement éviter d'utiliser un sort sur le régent alors, il doit subir plusieurs longues minutes d'insulte gratuite.
=>Grigri est introduit avant, c'est le chat que peut garder Rodrigue à Fhiridiad, même si Rufus lui a interdit d'en avoir d'autres sous couvert que sa maitresse ne les aime pas car, ça lui permet de lui enlever quelque chose qu'il aime et qui lui apporte un peu de réconfort. Ce n'est pas un petit de Fleurette (le chat de Félicia) mais, un chat gris minuscule (gabarit d'un singapour) alors, il est discret et Rodrigue peut le garder. C'est d'ailleurs un chat qui vient de Duscur qu'Ivy a ramené d'un de ses voyages.
=>Le fait qu'Alix lui manque énormément a également été introduit avant. Les jumeaux savent se séparer même s'ils sont fusionnels mais, quand c'est contraint et forcé dans ses conditions, ils ne le supportent pas et ça leur fait mal physiquement et surtout psychologiquement d'être séparés.
=>Bon... autant vous dire que c'est très dur pour Rodrigue de rester à Fhirdiad psychologiquement, vu que tout ce qui se passe là-bas lui mine un peu plus le moral et la santé (dans le premier chapitre du canon, il est pratiquement dans un état dépressif tellement il n'en peut plus). Il y reste par devoir, car il tient au Royaume et ne veut pas qu'il s'effondre ou que Dimitri trouve un champ de ruine (enfin, encore plus) en arrivant sur le trône mais, c'est une épreuve pour lui.
=>pour la phrase "comme si l’un ou l’autre des frères leur laissait le temps pour quoi que ce soit en politique", c'est une référence à ce qui s'est passé pour Duscur : en gros, Lambert a discuté de lui-même, tout seul de son côté avec le conseil de chef et la famille de prêtre qui règne sur Duscur sans passer l'administration car, il trouvait que cela irait plus vite et montrerait que le Royaume était de bonne volonté pour arranger les choses (surtout qu'il parle couramment leur langue alors, il n'a pas besoin de traducteur). Sauf que la rencontre de paix est prévu dans - quand il l'annonce au conseil - deux mois afin de coller à une fête religieuse duscurienne qui marque l'entente et le renouveau donc, à part rajouter des problèmes, ils ne peuvent pas déplacer la rencontre à cause de ce côté symbolique. Autant vous dire que c'est beaucoup trop court pour tout le monde et le convoi est préparé dans la précipitation. Personne n'a le temps de souffler, surtout que personne ne veut y aller comme ça en catastrophe (et Lambert s'est mis tout le corps des diplomates et de la chancellerie à dos en ne passant pas par eux, ce qui est pris comme une insulte à leur travail et leur compétence).
=>Toujours avant Duscur, Lambert se disputent assez violemment avec les jumeaux (plus de détail dans ce billet). Félix résume un peu ce qu'il a vu dans le chapitre 13 mais, en gros, Rodrigue est juste tétanisé en entendant son ami lui dire "C'est un garçon intelligent, Rodrigue. Même s'il devait perdre son père, je sais qu'il deviendrait un homme bon et respectable." Pour rappel : dans cette histoire, les jumeaux sont orphelins de père depuis qu'ils ont six ans, Guillaume a reçu un coup de poignard en pleine poitrine à la place du roi Ludovic et est mort à cause de ça, ce qui a été leur première confrontation direct avec la mort (vu que leurs grands-parents paternels sont aussi morts pour la couronne quand Guillaume avait trois ans), la seule image dont ils se souviennent de leur père à part les grandes lignes de sa personnalité est la "boite" où il a été enterré, et ils ont subi une régence, ce qui n'est jamais une partie de plaisir (heureusement qu'Aliénor était là et compétente). Evidemment, ils prennent très mal ce genre de phrase. Cela tétanise Rodrigue qui finit juste par éclater en pleurs car, ça fait des semaines qu'ils travaillent tous à s'en tuer, ils sont sous pression, il ne veut juste pas que cette rencontre ait lieu comme ça car c'est dangereux, et il veut encore moins que son fils soit dans le convoi alors, cette phrase, c'est le coup de grâce. Il se fige sur le coup puis, une fois qu'il a eu le temps de bien la faire tourner dans sa tête et qu'il est avec Alix, il craque (les pleurs sont sa manière d'évacuer, il pleure beaucoup pendant la partie académique du jeu et fait même des crises de larmes à Fhirdiad quand il est seul pour évacuer son mal-être et son stress). Alix est furieux quand il apprend ce qui s'est passé et va engueuler Lambert en lui envoyant dans la figure tout le mal qu'il pense de lui pour le coup et qu'il est un imbécile heureux en pensant que tout se passera toujours bien dans le meilleur des mondes. Il se retient même de le frapper par peur des conséquences sur sa famille, et se contente de taper du poing sur la table avec son emblème qui s'active tellement il est hors de lui.
=>ce n'est pas le premier signe de réconciliation dans cet histoire entre Félix et son père. Il a déjà envoyé une lettre de lui-même quand Rodrigue s'inquiète pour lui lors de son tour à GM, même s'il refuse de lui parler en face (c'est le contenu d'un des sachets de Rodrigue, cette lettre plus l'éclat de verre poli par l'eau qu'il lui a envoyé avec, alors que le deuxième contient une partie de la parure de sa femme Félicia et l'autre éperon de Glenn qu'il avait oublié chez eux avant de partir pour Duscur), et il s'est aussi inquiété pour lui lors de la scène qui rejoue leur paralogue, où Félix aide Rodrigue à soigné son bras brûlé de magie après le combat (chose qu'il fait avec d'autres personnes dont il est proche) et ils recommencent à vraiment s'écrire régulièrement et normalement à ce moment-là (avant, les lettres de Félix était très froide). Ils recommencent donc à se parler et le fait que Félix s'occupe de Rodrigue alors qu'il est malade ne sort pas de nulle part.
=>Pour les blessures des quatre amis, elles datent de la bataille du lion et de l'aigle, tous les cerfs et les lions ont fini au repos complet pendant un mois vu qu'Edelgard, Hubert et Byleth n'ont pas retenu leurs coups.
=>pour Gilbert, les personnes resté après Duscur le détestent pour les avoir laissé tomber. Rodrigue a déjà craqué et bien mordu quand il est allé à Fhirdiad pour prévenir de ce que prévoyait de faire l'Eglise après Lonato. En plus, je triche avec le canon car, au lieu d'un an, Gustave a filé au bout de quelques mois alors, tout le monde lui en veut encore plus.
=>tout ce dont parle Alix a été montré dans des chapitres précédents. Et ses sentiments vis-à-vis de Lambert sont compliqués vu tout ce qui s'est passé, d'où le fait qu'il le charge dans sa tête pendant le chapitre.
=>l'incohérence avec la vraie mort de Glenn dans le cauchemar de Rodrigue est volontaire : il sait qu'il est mort d'un sort en pleine poitrine et de ses blessures, mais dans son cauchemar, il se fait poignarder dans la poitrine avec une lance, à la manière de Guillaume qui est mort d'un coup de poignard (car la mort de Glenn, c'est grosso modo la mort de Guillaume en pire qui recommence dans sa tête). Les choses autour de sa mort ont aussi été instauré avant...
=> ...tout comme les chansons qui ont toute été chanté avant (la quatrième est notamment celle que Rodrigue a chanté pendant qu'il passait l'eau du lac sur les brûlures de Félix afin de le soigner, et il est de tradition que ce soit l'auditoire qui dise le nom de Fraldarius pour montrer qu'ils savent de qui ont parle)
=>pour l'emblème d'écaille dans le dos de Félix, c'est la marque laissé par la magie de son ancêtre Fraldarius quand les eaux du lac l'ont soigné de ses brûlures.
=>après Duscur, Rodrigue pense qu'il fait honte à sa famille pour ne pas avoir réussi à empêcher Lambert de faire une erreur monumental (le "c'est mon boulot de t'empêcher de faire des conneries" est notamment une phrase que disait souvent son père et qui illustre bien le rôle de leur famille pour les jumeaux), d'où ses mots à Félix
=> le "tu es en vie... tu es en vie..." a été dit peu de temps après Duscur. Rodrigue et Félix sont toujours à Fhirdiad en attendant qu'on retrouve le corps de Glenn mais, Dimitri se fait attaquer par un comploteur qui tente de le poignarder, et Félix se met entre lui et l'assassin pour le protéger. Rodrigue ne serait pas arriver pile à temps et ne les aurait pas protéger, Félix aurait été poignardé à mort et il en est conscient alors, il ne peut que répéter ses mots tout en se jurant de protéger son louveteau, notamment en l'éloignant de Fhirdiad qui est un vrai coupe-gorge. C'est quand Félix doit repartir sans Rodrigue (car il est tellement débordé qu'il ne peut même pas aller enterrer Glenn) que la dispute qui va les séparer arrive.. le coup de poing est plus tard par contre, cela arrive après la révolte que Dimitri et Félix ont réprimé deux ans avant l'histoire.
=>le coup de la cape où Rodrigue a l'impression de dormir quand il se calme vient aussi de Guillaume : son père prenait les jumeaux dans sa cape pour les garder près de lui (dans l'introduction de l'histoire, Rodrigue repense au fait qu'il dit souvent à son père qu'il portera les mêmes grandes capes que lui quand il sera grand, ce qui le fait toujours rire, même s'il a oublié entre temps qu'il le disait)
Bon... je crois que j'ai rien oublié... désolé pour les notes de 10km de long, c'est que ces chapitres sont bourrées de références à ce qui s'est passé avant alors, faut bien faire le point ! Si j'en ai oublié une, n'hésitez pas à me demander et je corrigerais ça ! Sur ce, je vous laisse tranquille et bonne lecture !
(évidemment, suite sous la coupe)
**************Chapitre 12**************
Rodrigue était encore plus débordé que d’habitude. Rufus se reposait encore plus sur lui en ce moment, lui envoyant presque directement les textes que le régent devait lire et signer lui-même. Il s’était encore pris le bec avec Lachésis Charon mais cette fois, il avait renvoyé la femme de loi dans son fief avec ses frères et sœurs présents à la capitale, lui ordonnant d’y rester jusqu’à ce qu’il les autorise à revenir alors, il avait récupéré une partie de leur travail, même si les assistants Charon en envoyaient autant que possible à leurs supérieurs…
Bon, ça lui permettait de trier les ordres et d’en « perdre » certains à cause de la surcharge de travail, comme cet ordre d’envoyer des troupes à Kleiman pour réprimer des duscuriens qui se seraient soulever, alors qu’ils tentaient de se réorganiser de manière traditionnelle chez eux. Bon, la demande d’aide s’était tellement perdue dans la montagne de papier qu’il l’avait fait passer avec deux mois de retard – tellement que la nouvelle avait pu passer dans les mains d’Alix puis dans le courrier de Dimitri et Dedue – les mouvements de foules qui avaient pu y avoir s’étaient calmé d’eux-mêmes. Mais ça, le duc ne pouvait pas le faire à chaque fois. Il était un conseiller, pas le régent, il faisait déjà bien plus que ces fonctions ne lui en demandaient, voir l’autorisaient comme pour cette fois-là… Rufus le saurait, il risquait de mettre ses menaces à exécution… il lui rappelait presque toutes les semaines… il était si fatigué… même dormir ne lui semblait pas reposant… il n’avait pas la capacité de travail de ses parents… mais bon, il avait encore du boulot. Pas le temps de se poser.
Ces journées se rythmaient ainsi, en se calant sur les offices des moines pour avoir de bons repères dans la journée : levée un peu avant les laudes, entrainement pour ne pas perdre la main pendant une heure jusqu’à prime, travail jusqu’aux prières de sexte. Puis, après avoir mangé et lu son courrier personnel avec Grigri qui ronronnait sur ses genoux, dévorant les lettres d’Alix et Félix autant de fois qu’il pouvait pour avoir l’impression qu’ils étaient là, il retournait travail jusqu’à après les vêpres, jusqu’à ce que le soleil commence à se coucher pour pouvoir aller prier aux complies avant de dormir puis, il recommençait le lendemain. La routine la plus aléatoire, c’était quand Rufus venait « briser sa routine » pour le traiter d’incompétent, en insultant toute sa famille au passage et dire qu’ils méritaient tous d’être décapité, vite endormi par un Vitalis quand sa patience cédait. Le tout en essayant d’ignorer son dos qui lui faisait mal à force de rester assis dans la même position et ses maux de ventre vu qu’il mangeait assez peu. Il n’avait jamais été un gros mangeur de toute façon mais, il prenait à peine le temps de picorer son repas avant de retourner au travail… il n’avait même pas faim et tout semblait fade de toute façon… son esprit lui rappelant à chaque fois que les aliments retrouveraient leur bon gout à Egua avec Alix mais, ses obligations l’empêchaient de rentrer chez lui et d’enfin revoir son frère. Il évitait d’y penser… à chaque fois qu’il rêvassait de retourner chez lui, il devait se retenir d’hurler qu’il voulait retrouver son jumeau tellement il lui manquait… même si les deux options étaient aussi douloureuses l’une que l’autre… C’était un rythme éreintant et Rodrigue sentait que son organisme se vengeait en étant tout le temps fatigué et douloureux mais, ce n’était pas comme s’il avait d’autre choix que de lui imposer ça.
« Pardonne-moi… il faut que tu tiennes… au moins jusqu’à la fin de l’année… »
Il ne sut même pas comment prendre le soulagement de son corps à l’idée de pouvoir dormir un peu plus quand, en pleine lune du Loup Rouge, il reçut une lettre lui annonçant qu’Alix était malade et alité. Il maudit son propre organisme de se réjouir de cela, prenant même la mauvaise santé de son propre frère comme une occasion de se reposer. Le duc prit les dispositions qu’il pouvait avec Rufus en le tirant d’il ne savait quel bordel (si Oncle Sa Majesté Ludovic le voyait… ou même Lambert… il n’était pas comme ça de leur vivant…), puis rentra chez lui dès que possible avec Grigri, même s’il fut monstrueusement en retard.
Le temps d’arriver, Alix s’était remis un peu, encore heureux. Il put même quitter son lit pour aller s’asseoir au bord du lac, profitant du bon air de leur fief et de la vue familière. Le simple fait de revoir sa surface lisse et calme comme un miroir l’apaisait… et être avec Alix après tout ce temps à ne se voir qu’en coup de vent, c’était comme une libération… l’impression d’épuisement semblant diminuer un peu maintenant qu’il l’avait retrouvé… même si c’était pour trop peu de temps… il avait pu rentrer si tard…
« Je suis désolé de ne pas être arrivé avant… s’excusa l’ainé, son épaule contre la sienne en buvant la brise saine et rassurante survolant l’étendue d’eau.
– T’inquiètes, je sais que tu es surmené aussi. Je veux dire… t’as vu ta tête ? Lui demanda son frère, posant un pan de sa couverture sur son épaule.
– Oui, en te regardant, je voie ma propre tête.
– Alors, je suis encore malade, t’as des cernes de trois cordées de long et les joues creusées, rétorqua-t-il. Faut dire, déjà que t’es toujours débordé, avec les Charon forcés de rester piaffer dans leur fief, ça doit être encore pire… Avec Rufus qui continue de te vomir des horreurs dessus je parie, alors que tu fais tout son travail à sa place histoire que son foutu Royaume tienne encore debout…
– Vu l’endroit où j’ai dû aller le chercher… j’ai bien cru que c’était un bordel… marmonna-t-il. Déesse, j’aurais préféré ne jamais voir une chose pareille.
– Eh bien, je n’ose même pas imaginé… que la Déesse te nettoie les yeux pour ça. Enfin, tu vas pouvoir te poser un peu… et comme dirait maman, il n’y a rien de meilleur que l’air du lac…
– Elle avait bien raison… Hum… » Il prit une grande aspiration, goutant l’odeur fraiche de l’eau scintillante, chargé des parfums des environs, se sentant vraiment bien pour la première fois depuis longtemps en étant aux côtés d’Alix. « Ça fait du bien… ça fait longtemps…
– Trop… » souffla-t-il en posa sa tête sur son épaule, le premier-né calant un peu la sienne contre celle de son frère.
Ils restèrent encore un peu mais, ils durent s’endormirent à un moment ou un autre car, leur médecin vient les secouer pour leur dire de rentrer avant qu’Alix ne retombe malade. L’homme les réprimanda un peu, habitué à le faire depuis qu’ils étaient des jeunes adultes.
« Faites attention vous deux ! Surtout vous Rodrigue ! À chaque fois, c’est la même chose ! Si vous ne tombez pas malade en même temps, l’autre va suivre ! Faites gaffe !
– On fait attention. On va pouvoir dormir un peu en plus, ça devrait aller, lui assura Alix.
– Hun… faites tout de même très attention… vous êtes bien comme votre père tient… d’après mon maitre, les seules fois où Guillaume tombait malade, c’était à cause du surmenage… ce n’est même pas une maladie, c’est juste que votre corps a lâché à cause de la fatigue… faites attention vous deux…
– On fait ce qu’on peut Pierrick, lui assura Rodrigue. On a simplement beaucoup de travail aussi à faire et que nous ne sommes pas aussi endurants à la tâche que lui ou notre mère…
– Les dignes fils de leur père… enfin, dormez et manger bien. Vous êtes bien maigres… »
Les jumeaux essayèrent de le rassurer tout en lui promettant de lever un peu le pied. Rodrigue ne demandait que ça, même s’il devrait rentrer dès demain vu qu’Alix allait mieux, il ne pouvait pas vraiment se permettre de rester loin de Fhirdiad. Rufus pourrait mettre le feu au Royaume à n’importe quel moment dans son ivrognerie… même si ça faisait mal de juste penser à la séparation… les jumeaux restèrent ensemble pour rattraper tous les mois où ils ne se voyaient pas, puis allèrent se coucher.
En se réveillant un peu tard, Rodrigue se maudit en voyant le soleil se lever en même temps que lui, croyant même sur le coup qu’il était midi tellement il brillait fort pour la saison… il devait repartir au plus vite, même s’il aurait préféré rester chez lui. Il lui manquait déjà une main et un bout de cœur avant même de partir. En se mettant sur ses pieds, sa tête tourna un peu, lourde comme du plomb alors qu’il se préparait pour la route. Peut-être qu’il devrait rester plus longtemps… puis le duc se rappela la montagne organisée de travail sur son bureau, ayant encore grossi avec une autre pile de parchemin que Rufus lui avait laissé pile avant son départ pour Fort Egua en lui disant bien de prendre son temps… comme s’il en avait… comme si l’un ou l’autre des frères leur laissait le temps pour quoi que ce soit en politique…
L’homme rangea soigneusement ses sachets dans la poche sur son cœur, retrouva Grigri qui était une de ses seules compagnies en plus de ses hommes à Fhirdiad puis, alla rejoindre en vitesse Alix pour le saluer et lui parler encore un peu avant son départ. Sa tête tournait de plus en plus… il avait l’impression que chaque pas le sortait de son propre corps… il voudrait tellement rester ici…
« Tu es sûr que tout va bien ? Lui demanda son frère à peine levé en le voyant, posant sa main sur son épaule.
– J’ai connu mieux mais, pas vraiment le choix… j’ai mal à la tête…
– T’es brûlant… eh ! Rod ! »
Les jambes de l’ainé des jumeaux cédèrent sous son poids, alors que le monde autour de lui devient de plus en plus flous et tournait de plus en plus vite. Il garda seulement le visage de son frère clair avant de s’évanouir de fatigue, vidé de ses forces…
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Félix reçut une lettre d’Alix le vendredi quatorze de la lune du Loup Rouge lui annonçant que son vieux était alité, et partit le quinze au petit matin avec l’autorisation d’Hanneman et l’aval de Manuela. Enfin, il serait parti quand même avec ou sans de toute façon, sa blessure à la tête ne lui faisait plus mal depuis quelques jours. Ce n’était pas qu’il était vraiment inquiet, Rodrigue était solide mais, quand un des jumeaux était souffrant, fallait toujours surveiller l’autre pour qu’il ne fasse pas de connerie… genre coller son frère contagieux… Visiblement, c’était plus dû à la surcharge de travail et à l’épuisement qu’à une maladie mais, on ne savait jamais.
En plus, l’épéiste n’était pas parti seul. Évidemment, le phacochère avait suivi, tout comme Sylvain et Ingrid, morts d’inquiétude, ainsi que Gilbert qui les chaperonnait sur ordre de Seteth. Le vieux préférerait surement voir le double assoiffé de sang de Dimitri que lui de toute façon alors, quitte à ce qu’ils soient deux sur les routes avec l’ancien chevalier, autant à ce qu’ils y aillent tous les quatre, surtout qu’Hanneman avait été compréhensif. Dedue n’aurait pas pensé qu’il aurait été de trop et n’aurait pas encore deux côtes, une épaule et une jambe en train de cicatriser à cause de la bataille du Lion et de l’Aigle, il aurait aussi pu suivre sans problème.
Le groupe d’ami arriva à Fort Egua le samedi en milieu d’après-midi, et fut accueilli par Pierrick, qui leur expliqua la situation.
« Il est très fatigué avec pas mal de fièvre qui le fait délirer et des douleurs musculaires. Ce sont des syndromes typiques du surmenage, et les deux ont toujours eu du mal à rester lucide quand ils ont de la fièvre. Il n’est pas vraiment malade, il est juste épuisé et son corps l’a lâché. Alix a eu exactement la même chose… quand je leur disais que quand l’un est malade, l’autre suivait… Ce n’est pas les fils du seigneur Guillaume pour rien… leur père faisait souvent des phases de « maladies » comme celle-ci car, il travaillait trop. C’est juste qu’à force de s’épuiser, le corps craque, c’est normal. Ils doivent aussi plus manger, ils sont bien trop maigres, surtout Rodrigue. Je leur avais dit que leur appétit de moineau leur jouerait des tours un jour… avec le stress et séparés, ils devaient encore moins manger…
– Et il va se remettre ? Demanda le phacochère sans cacher à quel point il était inquiet.
– Oui… ! Il est solide. Par contre, repos complet pendant un mois, minimum, il a besoin de dormir et de manger un peu plus pour se remettre. De ce que j’ai compris, Rufus lui laisse tout son travail pour qu’il le fasse à sa place donc, le régent va devoir se faire violence et aller bosser un peu. Ça changera que ce ne soit pas les gens de chez nous qui fassions tout le boulot…
– Pfff… mon père ne sait vraiment pas dire non ou s’occuper de lui… grogna Félix. Je parie qu’Alix est avec lui. Il est dans un meilleur état ?
– Oui, il en sort de son épisode de fièvre alors, ça devrait aller, même s’il était dans un état moins pire que son frère. Ils sont tous les deux dans la chambre de Rodrigue. Étant donné que ce n’est « que » de la fatigue, vous pouvez aller le voir sans risque. Par contre, allez tous prendre un bon bain avant. Vous en avez tous besoin après une telle chevauchée et dans un état de fatigue pareil, on a les défenses naturelles d’un nouveau-né. Il risque d’attraper tout ce qui passe, il faut faire très attention.
Les quatre amis se plièrent aux demandes de Pierrick sans problème, ayant tous besoin de se rincer, surtout que la chevauché avait réveillé la douleur de leurs blessures de la bataille du Lion et de l’Aigle. Ils prirent une grande bassine chacun et se lavèrent dans la salle d’eau. La forteresse était bien aménagée et moderne, tout comme toute la ville afin d’éviter les épidémies, en particulier le paludisme qui faisait des ravages dans les zones humides comme Fraldarius. Il fallait faire très attention à garder les installations en état pour éviter ces fléaux, même si l’eau toujours pure du lac aidait beaucoup à garder la ville propre et saine. En tout cas, ils allaient se désinfecter en vitesse puis, ils iraient voir comment le vieux allait, et si Alix n’était pas sur le point de retomber malade en s’occupant de lui.
« Faut les surveiller comme le lait sur le feu ces deux-là… » songea Félix en plongeant l’éponge dans l’eau clair.
Remettant le linge dans sa bassine d’eau froide, enveloppé dans une couverture bien chaude, Alix veillait sur Rodrigue alors que son frère dormait, assis à côté de lui sur son lit. S’il avait bien entendu et se fiait à l’agitation dehors, Félix devait être arriver, il ne tarderait surement pas à les rejoindre. Il ferait peut-être mieux de filer quand il rentrerait… son neveu n’aimait pas vraiment s’inquiéter en public alors, il ne voulait pas faire de trop… il préférerait qu’on lui coupe une jambe plutôt que de s’éloigner de son jumeau mais, le cadet savait aussi que ce serait mieux pour son frère s’il pouvait rester un peu avec son fils, même inconscient.
Rodrigue se mit à s’agiter dans son sommeil, les lèvres tremblantes alors qu’il hachait, brûlant de fièvre.
« Fe… Félix… Félix… ou… où es-tu…
– Chuuut… ça va aller, lui souffla-t-il en passant un chiffon frais sur son front en feu, en espérant que cela l’apaiserait un peu. Ton petit va vite arriver, ne t’inquiète pas.
– Alix… le reconnut-il à sa voix, même s’il dormait toujours, ou ce qui devait être une sorte de sommeil à cause de la fièvre. Félix… Je… je ne te voie plus… où es-tu… je ne le voie plus… où est-il… Félix… je ne le retrouve plus… je ne voulais pas… il a disparu… où est-il… mon louveteau a disparu… il… non… non… non… les feux follets… les brûlures violettes… les mages noirs… non ! Non ! Félix ! Mon fils a disparu ! Ils me l’ont arraché cette fois ! Ils le brûlent vif ! Félix ! Félix ! Où es-tu ?!
Il se mit à se tordre sous l’effet de la fièvre et du cauchemar, s’agitant comme un possédé qui voulait se lever, récupérer Aegis et Moralta, puis aller chercher son louveteau qui semblait aux mains des mages noirs. Il devait se souvenir de cette nuit-là sauf que dans sa tête, l’intrus avait réussi à enlever Félix, et mélangeaient avec ce diable d’Arundel en prime. Des mages noirs semblable à cet intrus accompagnaient Lonato, et ils semblaient rôder autour de Garreg Mach, Rodrigue avait dû y repenser dernièrement et s’inquiéter pour son louveteau. Dans les lettres qu’il lui avait écrit au moment de la rébellion, il donnait l’impression d’être terrifier à l’idée même que ces mages noirs s’approchent de son fils.
Prit de court, Alix se releva et maintient son frère comme il put en place. Pierrick lui avait dit qu’il n’aurait surement pas assez de force pour se redresser et il devait impérativement rester couché. Hors de question qu’il se blesse encore plus !
– Rod ! Rodrigue ! Calme-toi !
– Lâche-moi ! Ils ont Félix ! Ils vont le brûler à nouveau ! Ils vont le tuer ! Il faut que j’aille le retrouver ! Mon fils est en danger ! Il est loin du lac ! Je refuse de le perdre ! Pas lui aussi ! Je dois…
– Ce n’est qu’un cauchemar ! C’est la fièvre qui te fait délirer ! Du calme… » il prit la tête de son frère contre sa poitrine, la main dans ses cheveux et l’autre dans son dos pour tenter de le garder en place et de l’apaiser un peu, répétant les mots que disait toujours Aliénor pour les calmer, même si son jumeau le griffait pour se libérer de son étreinte et retrouver son fils. « Ça va aller… ça va aller… Félix va bien, j’en suis sûr… il est devenu très fort maintenant, il pourra se défendre… il en fait du chemin le louveteau minuscule pressé d’arriver. Ça va aller… il est aussi avec ses amis, ça va aller… il va s’en sortir… tu le sais… chut… ça va aller… ça va aller…
– Alix… » son frère s’agrippa à lui, des larmes coulant sur ses joues alors qu’il marmonnait. Il n’avait aucune idée s’il était réveillé ou non, ou même à qui il pensait parler… ce n’était pas le plus important. « J’ai tout gâché… j’a… j’avais promis… Félicia… son nom… Glenn… Félix… je devais… mais j’ai tout gâché… Félix… je… je suis désolé… je suis désolé… j’aimerais… j’aurais voulu… je suis désolé…
– Chuuut… tu as encore du temps… il vit encore donc, vous pouvez encore, souffla-t-il, sachant que son frère saurait où il voulait en venir s’il comprenait les mots qu’il lui disait, et pas juste le ton et la voix. T’essaye, c’est déjà plus que beaucoup… ça s’améliore un peu en ce moment… il a encore le temps de bien porter son nom, j’en suis sûr… et Félicia, elle ne pouvait pas deviner que vous alliez finir dans la pire des situations… t’as fait ce que tu as pu… ça aurait pu être mieux mais, personne ne pouvait prévoir que ça allait tourner comme ça quand tu as promis… personne… on a fait tout ce qu’on a pu pour empêcher ce merdier mais, ce n’est pas notre faute si ce chien idiot s’est encore bouché les oreilles en hurlant que ça allait bien se passer, et en nous insultant au passage… et tu peux t’autoriser à pleurer si tu en as besoin… répéta-t-il. Pleure encore si ça te fait du bien… tu ne peux pas tenir tout le temps… si quelqu’un vient te dire quelque chose, je le coupe en tranche… ça, ça ne change pas… aussi sûr que je serais toujours toi, et que tu seras toujours moi… ça va aller… ça va aller…
– Je suis désolé… je suis désolé… Félix…
Le cadet le garda dans ses bras jusqu’à ce que son jumeau se calme et le lâche de lui-même, replongeant dans un sommeil aussi profond que le lac. Il le rallongea dans son lit et remit ses couvertures correctement, soulagé que le délire de fièvre soit passé assez vite. Ce n’était pas la première fois qu’ils en faisaient quand ils étaient malades.
« Enfin, la dernière fois qu’on en a fait des pareils, papa devait avoir quitté ce monde depuis pas longtemps… »
Est-ce que leur père en avait aussi quand il s’épuisait au travail ? Est-ce qu’il avait aussi peur pour eux dans ses cauchemars ? Est-ce qu’il les prenait dans ses bras quand ils en faisaient ? Pour la dernière question, il en était sûr… sûr qu’il venait aussi les calmer quand ils étaient malades… peut-être qu’il chantait… surement… c’était trop flou et perdu dans le flot de leur mémoire pour qu’Alix puisse en être vraiment sûr… ce n’était pas vraiment le plus important pour le moment… ils savaient comment agissait Aliénor et c’était le principal…
Il redressa la tête en entendant la porte grincer sur ses gonds, le mouvement furtif pour essayer de la fermer sans les déranger. Échec cuisant.
Le cadet soupira à l’idée qu’il ait pu voir Rodrigue comme ça, en se levant pour aller à leur rencontre, ils ne le feraient pas d’eux-mêmes.
« Vous êtes là depuis quand ? Demanda-t-il en découvrant bien Félix, Dimitri, Sylvain et Ingrid dans le couloir. Ah, et Gustave – oh pardon, « Gilbert » – aussi… comme s’il avait envie de le subir celui-là…
– On va dire depuis qu’il a dit qu’il avait perdu Félix de vue… répondit Sylvain, un peu gêné.
Le prince déclara, mal à l’aise de ne pas être venu l’aider.
– Pardonne-nous… on est… on est resté figé sur place…
– Pour vous quatre, ce n’est rien, c’est normal d’être tétanisé quand quelqu’un est comme ça, surtout à vos âges. Pour Gust… Gilbert, » se trompa-t-il exprès, n’en ayant juste rien à foutre de griller la vraie identité de ce lâcheur, « je ne suis pas étonné par contre. À force, on connait. Enfin, je ne pense pas que Rodrigue aurait voulu que quelqu’un le voie comme ça. Moi, ça passe mais, c’est parce qu’il est moi et je suis lui. Une vie commune entière et neuf mois de colocation dans le ventre de notre mère, ça aide.
Le déserteur baissa les yeux devant l’insinuation – il devait se souvenir de la colère de Rodrigue et deviné que la sienne serait surement du même acabit – alors qu’Ingrid demandait, surement pour calmer un peu les esprits.
– Vous voulez qu’on revienne plus tard ? Vous devez vouloir rester avec le Seigneur Rodrigue…
– Pas la peine de me vouvoyer et d’être aussi grave Ingrid. On n’est pas à la cour, je vous connais tous depuis que vous étiez des gros poupons tout rouges, et je suis trop fatigué pour être pointilleux sur la politesse… déjà que c’est pas mon fort…
– Ça se voie, tu tiens à peine debout, grommela son neveu. Y en a pas un pour rattraper l’autre. Va te poser avant qu’on ait deux fiévreux sur les bras, je surveillerais le vieux.
– C’est pas de refus… » ne nia-t-il pas, épuisé. Il avait plus dormi ces derniers jours que ces derniers mois – voir ces dernières années – mais, il était encore fatigué et avait du mal à tenir sur ses jambes sans avoir la tête qui tourne au bout de cinq minutes.
Félix se glissa dans la chambre de son père sans un mot ou un regard, mais qu’il y aille sans hésité une seconde fit plaisir à Alix. C’était important à ses yeux… aidé par Dimitri, il arriva à aller jusque dans une pièce à vivre où on leur servit du thé. Épines de pin d’Almyra… ça faisait du bien… il vida une tasse d’une traite en la tenant à deux mains pour se réchauffer un peu avant de déclarer.
« Excusez-moi de ne pas avoir pu venir vous accueillir, pas vraiment en état de le faire. J’espère que le voyage s’est bien passé…
– Oui, nous n’avons eu aucun problème et ce n’est pas grave, lui assura Dimitri, tu dois te ménager. Comment te sens-tu ?
– Fatiguée comme jamais mais, ça va un peu mieux. Je n’ai plus de fièvre, ce qui est pas mal mais, je dois faire attention pendant au moins un mois selon Pierrick. Je travaille trop et ça m’a rattrapé, c’est tout. Ça fait un moment qu’on tire sur la corde avec Rod, fallait que ça nous tombe dessus un jour ou l’autre.
– D’accord. Au moins, vous allez lever un peu le pied tous les deux. Ça vous fera du bien et vous pourrez rester ici tranquille, arriva à sourire un peu Sylvain en le resservant.
– Merci, et il faudra juste qu’on trouve le moyen de s’assurer que personne ne refile la clé des coffres du trésor à Rufus, histoire qu’il ne dilapide pas ce qui reste en alcool et en femme mais ouais, on ne va pas refuser ça… c’est reculer pour mieux sauter après mais, pas vraiment le choix…
– Ne vous tuez pas à la tâche… lui demanda le prince. J’aimerais pouvoir vous aider… si je peux faire quoi que ce soit…
– Merci, mais t’es trop jeune pour ça, et il faut du plomb dans la tête pour être un bon roi. C’est pour ça qu’il y a un âge minimum pour l’être, ça permet d’être à peu près sûr que le gars n’est pas un idiot fini, le coupa-t-il tout de suite, chassant la remarque désagréable sur Lambert qu’il avait sur le bout de la langue, Dimitri n’avait pas besoin d’entendre ça. Normalement. Et ça empêche pas de tomber sur des connards bornés.
– Si je me souviens bien, votre père est devenu duc très jeune pourtant, et il a toujours régné d’une main de maitre, fit remarquer Ingrid.
– Là, c’est un cas un peu particulier. Il n’y avait plus de duchesse depuis douze ans, Guillaume était devenu duc à trois ans avec le roi pour tuteur et les vassaux commençaient à prendre leurs aises, voir à lorgner sur sa place. Clovis n’était pas bien compétent en plus, ça n’aidait pas. Et si on a bien compris ce qu’on nous a raconté, notre père n’était pas le genre de caractère à rester dans son coin à se faire plumer. Alors, il est rentré de Garreg Mach après y être allé à quatorze ans, s’est marié avec notre mère et ils ont calmé tout le monde dans le fief pour rappeler qui était le couple ducal légitime. Faut dire, il a fallu mettre une raclée à plusieurs d’entre eux avant qu’ils ne rentrent dans le rang… Mais, notez qu’il a fait ses études en premier, et d’après Aliénor, il a continué à étudier toute sa vie. Nous aussi, on est techniquement duc depuis qu’on est enfant mais, on a pris le pouvoir officiellement qu’après notre majorité ainsi que nos études. La régence aurait été aussi difficile que celle de Guillaume si Aliénor n’était pas la femme la plus compétente du nord et elle a toujours mis notre éducation en premier. Donc, fait toi une bonne tête avant de te faire une couronne. Ça te sera toujours utile Dimitri. Surtout que tu pars avec une longueur d’avance comparé à ce chien idiot. T’as hérité tes neurones d’Héléna.
– C’est vrai que le seigneur Guillaume était une très forte personnalité. Même la margravine Gautier craignait ses colères, elles étaient légendaires… et il n’hésitait pas non plus à insulter le roi s’il faisait quelque chose de mal… ça a été reproché à Ludovic au début de son règne d’ailleurs », se remémora Gilbert – et heureusement pour lui qu’Alix était trop à plat pour le jeter dehors. Il luttait déjà assez pour rester éveiller et ne pas échapper son opinion de Lambert devant Dimitri… enfin pas plus que tout à l’heure avec Rodrigue. « Plusieurs critiques le trouvaient bien trop effacé par rapport à son conseiller et disait que c’était Guillaume qui faisait la pluie et le beau temps dans le Royaume.
– Encore cette histoire… sa politique n’a pas changé d’un pouce de tout son règne je te signale, dont son idée de faire une monarchie élective qu’il avait dès son accession au trône, t’es mieux placé pour t’en souvenir que nous vu que pendant une bonne partie, on était encore à l’école alors que toi, t’étais écuyer… Et c’est difficile de dire en toute bonne foi que Ludovic était effacé, il a fomenté un quasi coup d’État à quatorze, quinze ans pour chasser son père du pouvoir ! Clovis serait resté plus longtemps, le Royaume aurait sombré bien avant ! Et t’es mieux placé pour le savoir que nous vu qu’à ce moment-là, on était à peine né ! Avec ça, c’est notre boulot d’empêcher le roi de faire des conneries dans la famille. Il n’a jamais quitté le roi Ludovic ! Clovis pouvait bien aller se faire foutre vu que c’était un incapable assoiffé de guerre mais, Ludovic avait su gagné son respect ! Hein… de toute façon, on ne se souvient clairement que de deux choses sur notre père, ce qu’a dit Ludovic pour nous consoler vu qu’on nous l’a répété ad nauseam, et la boite où il est enterré, ainsi que la dernière chanson qu’il a chanté dont Rodrigue s’est souvenu après avoir été blessé, il en a rêvé. Tout le reste, c’est du grand vague… et il était assez différent avec nous qu’avec les gens qu’il n’appréciait pas. Donc bon, à part les mots d’un gamin de six ans qui adorait son père, je n’aurais pas grand-chose à dire sur lui.
– D’accord… mais, est-ce que tu as compris ce que Rodrigue racontait à cause de la fièvre ? Demanda la jeune femme blonde. Il parlait de feu follet et de mages noirs… pour les brûlures, on voie tous de quoi il parle mais, pour le reste… je me doute que c’est la fièvre qui le faisait délirer mais, c’est trop précis pour que ce ne soit que ça.
– Pour les mages noirs, c’est à cause d’un incident qui s’est produit à Fhirdiad quand vous aviez un et quasi quatre ans. Un type avec un poignard et un masque de médecin de la peste est entré on ne sait comment dans le palais. Il a tué quelqu’un et il a enfoncé la porte de Félix. Rodrigue ne l’aurait pas arrêté, il l’aurait surement enlevé. Il y avait eu une tentative d’enlèvement du même genre sur Cassandra Charon l’année précédente alors, on pense qu’il en avait après leur emblème majeur. On n’a jamais su, il est mort trop vite et l’agresseur de Cassandra aussi. Vu que des mages avec des masques semblables sont réapparus depuis Lonato, ça l’a beaucoup inquiété.
– Je ne m’en souviens pas trop mais après, j’étais pas bien vieux… je crois que la seule chose dont je me rappelle, c’est de l’agitation quand on était à Fhirdiad… et pour les feux follets ?
– C’était à cause des histoires qu’on raconte autour du lac pour que les gens ne s’en approche pas de nuit ? Le questionna Ingrid. Comme pour le Cheval Mallet ?
– Ah ! Mais les feux follets existent, on en a vu quand on était petits… souffla-t-il, les paupières lourdes en se remémorant ces maudites boules de feu sur l’eau. Ils étaient sur le lac…
– Je crois que votre fièvre vous reprend Alix, marmonna Gilbert, le piquant au vif. Les feux follets n’ont jamais existé…
– Ferme-là toi ! S’écria le malade avec l’énergie qui lui restait. Je pourrais bouger sans m’évanouir, je t’aurais déjà foutu à la porte ! Je n’ai pas envie de subir quelqu’un qui nous a tous laissé dans la merde jusqu’au cou pour aller se planquer ! T’as fait que déserter le poste après que… rha ! »
Il grogna comme il put malgré sa fatigue, tout en mordant tout ce qu’il rêvait de hurler depuis des années et encore plus depuis qu’il était séparé à ce point de son frère. Une fois sûr et certain qu’il ne vomirait pas tout le mal qu’il pensait de ce chien idiot devant son gamin, il reprit, ayant l’impression d’être sur le point de se rendormir.
« Les feux follets, ça existe, on les a vus avec Rodrigue ! On s’en souvient bien car, on les a pris pour notre père et ils ont failli réussir à nous attirer dans le lac… c’était quelques semaines après sa mort et notre mère devait partir pour le nord sans nous… on devait être des proies faciles… Aliénor ne serait pas arrivé, on serait sans doute mort noyés dans le lac en voulant le rejoindre… on était persuadé que c’était Guillaume, alors… ... ... les feux follets, c’est vraiment les feux de la mort… hein… il s’affaissa un peu plus dans sa couverture et son siège, sentant le sommeil le gagner à nouveau. De belles saloperies ces trucs… et vicieux… on n’avait pas encore compris… qu’il ne reviendrait pas… on voulait juste le revoir… au moins une fois… même si Ludovic a dit qu’il était mort… comme un vrai chevalier…
– Attends… quoi ?! C’est de là que ça vient ?!
– Bein oui… on ne vous l’avait jamais dit ? Enfin bon… vu ce qui s’est passé la dernière fois… mieux vaut pas le redire… ça fait trop mal de le redire… c’est juste une canne… souffla-t-il en sombrant dans le sommeil.
– Non… c’est la première fois que… Alix !
Dimitri se redressa un peu mais, l’homme aux cheveux noirs s’était endormi sur sa chaise à bras, épuisé. Gilbert soupira un peu en voyant cela, même s’il n’avait pas l’air étonné.
– Le digne fils de son père en tout point… Guillaume pouvait dormir n’importe où pour rattraper son sommeil à gauche à droite… Il vaudrait mieux le ramener dans sa chambre avant qu’il ne se fasse mal à dormir assis ainsi… et s’il ressemble encore plus à Guillaume, il sera d’humeur massacrante si ça le réveille pour quelque chose qui n’est pas urgent.
– Gilbert… vous étiez au courant qu’on leur avait dit que leur père était mort comme un vrai chevalier ? Le questionna le prince, éberlué.
– Oui, c’était une phrase qu’on a dû beaucoup leur répéter. Je n’étais pas à l’enterrement mais, on m’a rapporté que c'était dans l'oraison funèbre, et que Sa Majesté Ludovic l’aurait dit pour rendre sa mort moins violente. Il s’était fait un devoir de leur annoncer la mort de leur père, vu qu’il avait pris un coup de poignard à sa place. Il avait pris sur lui la responsabilité d’expliquer à des enfants de six ans la mort alors, il devait trouver une solution pour rendre cela un peu moins… cruel… surtout que les derniers mots de Guillaume, c’était qu’il ne voulait pas mourir et qu’il voulait retrouver sa famille… on le disait aussi pour la mort de leurs grands-parents aussi maintenant que j’y pense… pourquoi ?
– Si Félix ne s’entend plus avec Rodrigue, c’était au départ parce qu’il avait dit que Glenn était mort comme un vrai chevalier, avant que ça n’empire après la rébellion d’il y a deux ans… c’est à cause de ça et du fait qu’il ait nié le penser que Félix l’a rejeté… oh bordel… lâcha Sylvain. C’est encore un plus gros malentendu qu’on ne le pensait…
– Je parie qu’ils n’en ont jamais parlé à personne depuis des années alors, personne n’a pu lui expliquer, surtout une aussi vieille histoire… toutes les personnes adultes qui étaient avec eux à cette époque était soit mortes, soit en phase de l’être de vieillesse, soit n’avait surement pas envie d’en parler comme Nicola, ajouta Ingrid. Et Félix étant Félix, il a surement dû essayer de les repousser s’ils ont essayé de lui expliquer, que ce soit l’un ou l’autre… déjà qu’à sa tête, il ne savait pas comment gérer que Rodrigue s’inquiète plus pour lui que pour Dimitri…
Gilbert ne cacha pas son étonnement, n’étant pas au courant de ce qui s’était passé alors, Sylvain ferma la question avant qu’elle ne soit posée. Ils avaient juste la tête un peu trop pleine pour lui expliquer tout ce qui s’était passé d’une traite.
– On vous expliquera plus tard. C’est trop long pour être résumé en cinq minutes. Là, on n’a pas le temps.
– Par contre, on ferait mieux d’aller le voir pour lui expliquer… souffla Dimitri en resserrant doucement la couverture d’Alix autour de lui, il grelottait un peu de froid.
– Ça n’arrangera rien, il demandera juste pourquoi ils ne leur ont jamais parlés ou alors, comment ils pouvaient encore croire à la chevalerie alors qu’on leur a aussi dit que c’était par devoir chevaleresque que leur père était mort, encore moins si ça vient de toi ou moi Dimitri, le reprit la jeune femme. Sylvain à la rigueur mais, il n’est clairement pas en état de se rappeler que des enfants de six ans ont beaucoup moins de recul sur les choses, surtout si on leur rabâche tout le temps. Plus tard, surement mais là, non. Ça ferait beaucoup trop d’un coup.
– Ramenons Alix dans son lit et, attendons un peu de voir comment Félix gère ce qu’il a entendu tout à l’heure, proposa Sylvain. On avisera à ce moment-là. Si on se précipite et qu’on met les pieds dans le plat, on va juste arriver à empirer les choses et ce n’est vraiment pas le moment.
Dimitri hocha la tête en prenant Alix dans ses bras sans difficulté. Il faisait sa taille après tout à présent et il était tout léger, personne n’était bien épais dans leur famille. Il se rappela de ces mots… « il est mort comme un vrai chevalier »… ils décrivaient d’abord leur père mais, aussi leurs grands-parents… eux aussi étaient morts pour la couronne et Faerghus… ils étaient tous mort pour les Blaiddyd…
« On va finir par en faire une mort naturelle dans la famille… à se demander comment notre lignée survie… »
Dimitri vit Glenn traverser le mur pour voir comment allait son oncle, lui lança un regard mauvais puis, fila à nouveau rejoindre son père et son frère. Il ne les lâchait jamais quand ils n’étaient pas loin…
« Je suis désolé… ça ne devrait pas arriver… je suis désolé… au moins, je pourrais te venger toi… c’est promis… ce n’est pas grand-chose comme dédommagement pour une lignée quasiment sacrifiée pour la nôtre mais, au moins, tu seras vengé… »
En entrant dans la chambre d’Alix, le jeune homme blond regarda le portrait qui y tronait, représentant une femme à la chevelure blonde avec des reflets roux, ainsi qu’un homme aux longs cheveux noirs liés en tresse désordonnée, comme celle de Glenn et de Félix autrefois, les mèches qui s’en échappaient révélant qu’ils étaient bouclés. Aliénor et Guillaume… ce que les jumeaux pouvaient ressembler à leur père…
« Je me demande ce qui se serait passé si vous étiez encore en vie, il y a quatre ans… si vous auriez réussi à empêcher mon père de se rendre directement en Duscur…
– Évidemment, si je ne m’étais pas fait éventrer pour ton grand-père, lui répondit le tableau en fronçant les sourcils, la peinture figée dans une expression de fureur qu’il n’avait jamais vu au visage de ses fils… il était terrifiant ainsi. Que le roi aille se faire décoller la tête des épaules tout seul en Duscur s’il y tient mais, j’aurais au moins sauvé mon petit-fils et mon meilleur ami ! Glenn est mort à cause de vous ! Encore ! Ma mort et celle de mes parents ne vous ont pas suffi ?! Mes fils ont survécu alors, il vous a fallu prendre et mon petit-fils même pas majeur partout, et l’unité de ma famille avec ?! Rends-les-nous ! Et maintenant, ils se tuent à la tâche pour faire ton travail à ta place ! Comment osez-vous exploiter mes louveteaux jusqu’à la mort ?! Ce sont des êtres humains ! Pas des machines ! T’as intérêt à payer pour ça !
– Je suis désolé… je suis désolé surtout que je m’attache encore à eux ou à Félix… je sais que je devrais les repousser pour… mais j’en suis incapable… je ne veux pas les perdre eux aussi… je vengerais au moins Glenn, c’est promis… c’est promis Guillaume… »
************** Chapitre 13 **************
Rodrigue ne savait pas vraiment où il était… il avait si peur… Félix avait disparu ! Il avait eu beau chercher de partout, c’était impossible de le retrouver ! Il avait cherché dans tous les coins, pas une seule trace de son fils ! Aucune ! La seule chose qu’il avait trouvé, c’était du sang, scintillant comme dans le vase d’Aegis, à côté du masque de médecin de la peste de ce voleur d’enfant… rien d’autre… où était-il ? Qu’avait-il fait à son fils ?! Il devait bien être quelque part !
« Rendez-le-moi ! Félix ! »
Le père avait continué à tout retourner autour de lui, chaque pierre sentant de plus en plus le brulé, le fer, le sang et la putréfaction. Non… non… non ! Pas lui ! Pas lui aussi !
Il vit alors de longs cheveux noirs lié dans une tresse ruinée devant lui, une peau pale recouverte d’écarlate, un œil aussi bleu que les siens fixés dans le vide, le visage à moitié picoré, griffé par les serres d’un corbeau qui prenait appui dessus. L’oiseau de malheur avait le deuxième globe dans son énorme bec, après l’avoir retiré de l’orbite de Glenn. Tout son corps était recouvert de charognard en train de lui dévorer les tripes, une grande lance le clouant au sol après lui avoir éclaté la poitrine. Le corbeau eut le temps de l’avaler avant que Rodrigue ne les chasse du corps de son fils. C’était encore pire que dans ses cauchemars !
« Glenn ! Argh !
Une de ses mains lui empoigna la gorge avec les doigts qui lui restaient, une voix semblable à un gargouillis de sang grondant dans ses oreilles.
– Je ne te pardonnerais jamais… tu n’as pas empêché Lambert de faire des conneries… je suis mort par ta faute… c’est ta faute…
– Je… j’ai essayé… Glenn…
– En plus, t’a abandonné Félix et tu lui as fait du mal… grogna-t-il alors que les os s’enfonçaient de plus en plus dans sa gorge. Je te le pardonnerais encore moins…
– Je ne voulais pas… j’ai essayé… j’ai fait une énorme erreur… je sais…
– Non seulement une erreur… des doigts froids s’enroulèrent dans les siens, tirant sur son alliance. Mais tu as aussi trahi ta promesse… tu m’avais promis Rodrigue ! Tu m’avais promis qu’ils seraient aussi heureux que moi ! Tu lui as même donné mon nom pour me le jurer ! Et regardes où ils en sont !
– Félicia ! Je…
– Tu croyais quoi ? Demanda sa propre voix en enlaçant ses épaules. Il n’est même pas capable de tenir celle qu’il se fait à lui-même. Il n’allait pas tenir celle envers les autres. On était censé être toujours ensemble je te signale !
– Al… non… non… c’est un cauchemar… » se força-t-il à réaliser. « C’est un cauchemar… c’est la fièvre… Alix ne dirait jamais ça ! Je le sais ! Félicia et Glenn aussi !
– Tu es sûr d’encore assez nous connaitre pour en être certain ? Demandèrent-ils en chœur, se serrant de plus en plus près de lui, l’étouffant dans leur étreinte.
– J’en suis sûr ! Malgré tout, je pourrais toujours reconnaitre mon propre jumeau ! Même si le monde s’effondrait, ça resterait gravé en nous que nous sommes identiques ! Alix ne… non ! Félix ! Félix !
Son cadet venait de réapparaitre, lui tournant le dos, ses cheveux remontés en chignon dévoilant son dos nu. Sa marque, l’emblème de leur famille, le recouvrait entièrement, gravé à l’intérieur de lui mais au lieu d’écailles sarcelles, elle était faite de brûlures noires et violacées… il marchait au bord du lac, comme il l’avait fait mille fois, les pieds dans l’eau… des petites lumières pourpres et visqueuses glissaient devant lui… lui montraient le chemin vers les profondeurs… Non ! Non ! Ne les suis pas ! …
– …Félix ! Ne les suis surtout pas ! S’écria-t-il en se débattant pour se libérer de leur étreinte. C’est des feux follets ! Les feux de la mort ! Ils vont te noyer ! Félix !
Les flammèches hantées se mirent à se moquer de lui, guidant son fils vers l’eau. Rodrigue savait qu’il était un excellent nageur mais, face à un feu follet, la fascination pouvait faire oublier jusqu’à comment respirer… il ne fallait surtout pas qu’il le suive ! Il fallait qu’il le rejoigne ! Qu’il l’empêche d’avancer ! Le tirer loin de l’eau ! Comme l’avait fait Aliénor ! Il devait le tirer de là !
– Tu n’es jamais arrivé à le suivre ou à le rejoindre à temps… susurra Glenn en enfonçant encore plus ses doigts dévorés dans sa gorge. Qu’est-ce qui te fait croire que t’y arrivera cette fois ?
– Lâchez-moi ! Vous n’êtes pas réel ! Félix ! Félix !
Son fils lui jeta un coup d’œil avant de reprendre sa route, refusant de l’entendre… même là, ils n’y arrivaient pas…
Les ombres grandissaient, s’étalaient de partout à part sur la surface du lac, brillant à la lumière de la Lune et des feux follets qui riaient de plus en plus fort. Des lames sortirent de l’ombre avec des masques, ceux des médecins de la peste, grouillant comme des rats dans l’obscurité, prêt à lui sauter dans le dos. Il fallait absolument qu’il se libère ! Félix ! Il fallait qu’ils le lâchent !
– Félix ! Félix ! Attention ! Derrière toi !
L’emblème brûlé se mit à saigner.
L’écarlate recouvra sa peau si pale, comblant les trous là où elle n’était pas calcinée. Félix allait mourir exsangue si ça continuait ! Félix ! Lâchez-moi ! Il devait le soigner !
– Félix ! S’écria-t-il en réussissant à se débarrasser de l’emprise de celui qui se faisait passer pour son jumeau. Félix !
Rodrigue essaya de le guérir mais, ça ne fonctionna pas, la magie ne venait pas dans ses mains, faisant ricaner tous les cauchemars présents, le sang et les brûlures maudites dévoreuses de cœur.
Une silhouette se forma et s’enroula autour de son fils alors que ses traits se précisait. Ses contours d’eau se précisait, son interminable tresse s’échappant de son chignon pour entourer le benjamin de leur famille à qui il ressemblait tant… encore plus maintenant… ses yeux bleus en amande ancrés sur lui, rempli de reproche, alors qu’il serrait de plus en plus Félix près de lui, ses mains palmées sur sa tête et son dos, les mages noirs se rapprochant de plus en plus, leur masque se tordant pour sourire cruellement.
– Fraldarius !
Par pitié ! Sauve-le !
– Protège-le de ces mages !
Comme tu l’as déjà fait !
– Comme tu l’as toujours fait !
Mieux que je ne le fais !
– Ne les laisses pas tuer Félix aussi !
Ils se rapprochent ! Ils sont armés !
– Félix ! Attention !
Félix ! Prenez mon sang si vous voulez ! Mais pas le sien !
– Ne le touchez pas ! Ne lui faites pas de mal !
Pas Félix ! Pas lui ! Pas lui aussi ! Félix !
– Félix !
« Le petit bateau flotte sur le lac bleu azur…
Son fond est tout plat, sans fioritures…
Tu te demandes s’ils ont des jambes…
Je te réponds alors en riant,
Tu te demandes s’ils ont des jambes…
Ils ne pourraient nager sans. »
Tout se figea alors que des notes maladroites et hésitantes arrivaient… il serait incapable de dire d’où elle venait… elles comme celles qui suivirent…
« Au clair de la lune, le vent chante
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Tout craqua autour de lui, le mauvais rêve se fendillant de toute part, comme un œuf sous les efforts du poussin à l’intérieur voulant connaitre le monde, comme si les toutes petites notes avaient autant de force qu’un géant. À chaque nouveau son, c’était une nouvelle fêlure… à chaque mot, c’était une partie du cauchemar qui tombait en morceau… laissant de plus en plus passer la lumière à travers la coquille…
« Je pars ce matin avec les chants des laudes,
Mes pieds vont d’un côté,
Mais mon cœur reste figé
Il reste ici dans vos petites mains chaudes
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je pars à reculons, je pars sans jamais vous oublier
Je pars en ce jour en pensant toujours à vous,
Je parcours toujours ce chemin mais, je l’avoue,
Je vous voie derrière moi et souhaite m’en retourner.
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je vous promets de revenir un soir,
Je reviendrais à vous un jour,
Cette promesse de velours
Je ne la laisserais jamais choir,
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Et quand nous nous serons retrouvés
Ce sera pour ne plus jamais se lâcher. »
Comme les vagues effaçant les pas dans le sable, le flot du chant maladroit balaya toutes les illusions, le laissant en paix dans un espace flou, alors qu’une bande de tissu frais était posé sur son front et ses yeux. Rodrigue savait qui s’était… il était incapable de reconnaitre sa voix, trop déformé par le cauchemar et le temps mais, c’était forcément lui… un chant de l’armée… quelqu’un qui chantait pour l’apaiser… son dernier chant… ça ne pouvait être que…
« Papa… »
Félix sursauta en entendant la voix de Rodrigue. Il le veillait depuis un moment et à part quelques gémissements où il l’appelait, il n’avait pas eu d’autres crises de spasmes comme tout à l’heure. Enfin… il disait ��a mais, c’était clair qu’il faisait un autre cauchemar et que la seule raison pour laquelle il ne se réveillait pas, c’était que la fatigue était plus forte. La déesse savait ce qu’il voyait…
Même s’il ne l’admettrait jamais à voix haute, le jeune homme s’était mis à l’imiter… faisait la même chose que son père quand Glenn ou lui était malade et qu’ils étaient petits. Il restait autant qu’il pouvait avec eux, les tenaient quand ça faisait trop mal et chantait pour les apaiser. Ça marchait toujours… surtout avec ces maudites brûlures. Les jumeaux avaient toujours eu une belle voix, fluide et claire, qui s’élevait facilement, parfaite pour chanter des hymnes religieux ou des berceuses… celle de Glenn aussi sonnait très juste en plus énergique… celle de Félix par contre était beaucoup plus craquante, sonnait souvent faux et il avait du mal à se synchroniser avec les autres… un héritage tardif de sa grand-mère Aliénor qui chantait très mal, surtout comparée à son mari, connu pour chantonner tout le temps. Enfin, quand il était seul, ça pouvait passer et pour une fois, il n’avait pas fait trop de fausse note… ne sachant pas trop quoi chanter, et n’ayant clairement pas autant d’inspiration qu’Annette ou Rodrigue pour improviser, ou la voix pour le faire, le jeune homme avait repris des chansons qu’il connaissait : une comptine entendue mille fois, un cantique rassurant promettant guérison et protection, une chanson de l’armée, un dernier souvenir de leur père que les jumeaux fredonnaient souvent. Même s’il n’aimait pas ce chant militaire qui était juste un ramassis de mensonge, cela semblait mieux que le silence. Il préférait ce dernier d’habitude, sauf dans ce genre de situation où le bruit était bien moins angoissant.
Mais Félix ne pensait pas que son père comprendrait ce qu’il disait ! Ni qu’il le prendrait pour Guillaume ! Comment il était censé gérer ça ?! Il aurait eu les yeux découverts, Félix aurait accusé sa natte – il n’avait pas pris le temps la peine de les remonter en chignon, et ça tirait moins, son bandage était déjà assez gênant – d’être la responsable de la confusion à cause de sa vue surement trouble. Mais il devait se rendre à l’évidence, Rodrigue l’avait reconnu à la voix, ou plutôt à la chanson. Aucune chance qu’il se souvienne de la voix de son père.
– Papa… gémit encore Rodrigue. Papa… est-ce que c’est toi ? Papa…
Il avait l’air à moitié désespéré, et l’autre moitié soulagé, sa main tremblant dans sa direction… son vieux était toujours incompréhensible pour quelqu’un d’autre qu’Alix ! Il était censé gérer ça comment ?!
– Ne t’agite pas, t’es déjà épuisé, grogna-t-il en appuyant peu plus le chiffon sur sa tête, il en avait besoin pour refroidir un peu avec une fièvre pareille. Que de la fatigue… tu parles ! Qu’il ait choppé une grippe que ça ne m’étonnerait pas ! Faut toujours les surveiller ces deux-là !
– C’est toi… soupira de soulagement son père en l’entendant. Tu m’as manqué…
– Tu m’étonnes… » marmonna-t-il. Au moins, ça confirmait qu’il était réveillé et plus ou moins conscient, c’était déjà ça.
« Je suis désolé de te faire honte…
Félix allait lui dire d’arrêter de s’excuser quand il tiqua. Pourquoi Rodrigue disait qu’il faisait honte à Guillaume ? La fièvre et la fatigue n’aidaient clairement pas mais, ce n’était sans doute pas sorti de nulle part. Il demanda alors, à peu près sûr qu’il n’aurait pas des mensonges en réponses dans l’état où il était.
– Pourquoi tu lui ferais honte ?
– J’ai échoué… j’ai échoué de partout… je ne suis pas arrivé à convaincre Lambert de ne pas aller en Duscur… deux mois pour tout préparer… ce n’était pas suffisant… on n’a pas eu le temps… toi, tu aurais pu l’arrêter… c'est notre boulot de l'empêcher de faire des conneries... c'est toi qui le disait... résultat, ça l’a tué et surtout… ça a tué Glenn… et ça a tué tant de gens… trop… même Nicola… alors qu’il était aussi fort que toi… c’était un vrai bain de sang… j’ai trahi ma promesse envers Félicia… je lui avais promis de les protéger… qu’ils soient heureux… comme elle… et j’ai tout gâché avec Félix… je ne suis pas arrivé à le protéger… je ne lui ai fait que du mal… je ne voulais pas… j’étais triste… j’étais épuisé… j’avais peur… j’avais peur pour sa vie… j’ai lâché les mots de Ludovic… ils me tenaient à peu près entier avec lui mais, je savais que je n’aurais pas dû lui dire… puis j’ai encore plus tout gâché en ne le croyant pas… je savais qu’il était honnête, même si je ne voie toujours pas ce phacochère… je sais qu’il était honnête mais, je n’arrive pas à le croire… j’ai encore plus tout gâché… je ne sais même pas comment faire pour lui dire… j’ai… j’ai si peur de le perdre… c’est arrivé si souvent… je ne veux pas le perdre alors qu’il est encore vivant…
Il gémit encore plus faiblement que le reste, la voix remplie de désespoir malgré la fatigue. Le jeune homme était sûr qu’il était sur le point de pleurer à nouveau…
– Je ne sais plus quoi faire…
Félix était complètement perdu. Il ne savait pas si Rodrigue était conscient de ce qu’il disait en croyant parler à son père, ou s’il délirait à nouveau à cause de la fièvre mais, sans spasme cette fois. Il n’osait même pas enlever le linge sur sa figure, de croiser des yeux aussi lucides qu’ils pouvaient l’être dans la fièvre plutôt que des paupières fermées et juste des mots débités au hasard dans un délire… il n’avait pas envie de savoir… le jeune homme refusait d’admettre qu’il avait peur de savoir…
Il essaya de récapituler ce que son vieux avait dit pour s’y retrouver. Il avait commencé sur le fait qu’il n’était pas arrivé à empêcher Lambert à aller en Duscur… bon, c’était vrai, même s’il avait essayé de le nier après coup…
Son père et son oncle effondrés… Glenn en colère… Nicola affligé… tout le monde qui courre partout pour tout préparer… le nombre de jour avant ce qui semblait être la fin du monde compté avec appréhension… tout le monde de perdu… les « deux mois » et les « pas assez de temps » sur toute les lèvres… son père qui s’effondre en pleurs après une discussion avec Lambert… son oncle qui revient avec un poing en sang et avoue s’être retenu de frapper leur ami qu’il traitait à présent de connard… Estelle, Bernard et une bonne partie de leurs hommes qui ne cachaient plus tout le mépris qu’ils ressentaient à l’égard du roi… Glenn qui le cache devant eux mais l’hostilité qui émanait toujours de lui, les « chien idiot » qui lui échappaient de temps en temps quand il parlait du roi… … … lui-même qui va disputer Lambert pour avoir fait pleurer son père et l’inquiéter à ce point, de pousser les jumeaux jusqu’à l’épuisement… son grand frère qui souffle qu’il rentrera bientôt définitivement à la maison, avouant à mi-mot qu’il abandonnait son rôle de chevalier du roi… son père qui semble plus que soulager à cela… les débats pour savoir qui des trois sera envoyé à Duscur… Glenn qui insiste pour que ce soit lui qui aille protéger Dimitri, afin qu’en cas de problème, Faerghus ait toujours une tête… que lui ait toujours… un père… le visage mortifié de tout le monde quand le convoi part pour l’abattoir… comme si le glas était déjà sonné pour tout le monde avant même que le sifflement des épées ne brise le silence de mort…
Ensuite, il avait parlé de sa promesse envers Félicia de les protéger et qu’ils soient heureux… échec total sur toute la ligne, effectivement… c’était dur d’échouer encore plus… mais une petite voix étranglée et noyée au fond de son esprit lui rappela les mots d’Alix, quelques heures auparavant… « elle ne pouvait pas deviner que vous alliez finir dans la pire des situations », « personne ne pouvait prévoir que ça allait tourner comme ça ». Bon, s’il avait bien compris, pas si imprévisible que ça pour Duscur mais, il était forcé d’admettre que Félicia n’aurait jamais pu imaginer tout ça… c’était une inconsciente de première, avec sa propre maladie en particulier alors, pour les autres, Félix n’osait même pas imaginer… mais ça n’empêchait pas l’échec total pour tenir sa promesse…
« Tu es en vie… tu es en vie… »
Il n’arriva pas à chasser ses mots de sa tête, même en faisant hurler tous ses reproches. Rodrigue venait d’avouer qu’il avait menti, et même s’il avait peur de le perdre, qu’il n’aurait jamais dû parler de Glenn ainsi, dire ce qu’il appelait « les mots de Ludovic » auxquels il penserait après, il s’entêtait quand même à ne pas le croire alors qu’il savait que le jeune homme disait la vérité…
Sa main lui faisait encore mal… brulait… il sentait encore ses ongles rentrés dans sa chair, ses articulations se tendre au maximum pour former un poing serré… la lumière de son emblème enflammant ses veines à cause de sa rage… le bruit de l’os qui craque… pas les siens… malgré la douleur, il n’avait rien…
Il avait frappé son père en plein visage…
Félix n’avait pas réfléchi… crut sur l’instant qu’il se sentirait mieux après… qu’il le méritait…
Il n’en fut rien… il se sentait encore plus mal qu’avant…
Le jeune homme essaya de se persuader qu’il n’avait rien à se reprocher, que son vieux méritait ce coup de poing… il n’arrêtait pas de mentir, il le méritait… il lui mentait même s’il le croyait, tout ça pour ne pas voir que son fils préféré était un phacochère assoiffé de sang… son emblème était intervenu quand il l’avait frappé… c’était un signe non ? Ça voulait dire qu’il avait bien fait ? Il ne croyait pas assez pour savoir…
Sa marque le lançait dans son dos… le picotait de partout en répétant qu’il s’était mal comporté… de faire demi-tour, de retourner voir son vieux et de s’excuser… ça recommençait… dès qu’il disait la vérité en jurant haïr son père, sa marque semblait dire qu’il mentait… c’était la seule interprétation possible de son énergie qui se diffusait ainsi dans son corps… il avait beau tenté de l’ignorer et de la faire taire mais, elle revenait toujours à la charge, son énergie insupportable tellement elle était rassurante et trop semblable à celle du pire menteur de leur famille coulant en lui pour le rappeler à l’ordre… la seule chose qui la faisait taire, c’était quand il acceptait de retourner au lac, de plonger, de récupérer des bibelots dans la vase jusqu’au soir puis, de rentrer à la maison pour en discuter avec son père car, soi-disant, il lui manquait… même cette maudite marque mentait tout le temps… ce qu’il ne donnerait pas pour arracher ses écailles pour qu’elles se taisent enfin ! Pourquoi cette marque était restée dans son dos ?!
Une fois rentrée chez lui, il retrouva Alix et se maudit… il n’avait jamais confondu les deux jumeaux, jamais… pas une fois, ils n’avaient pu le tromper… mais là, en voyant le visage de son oncle identique à celui de son père… il faillit… il se rappela Rodrigue… il se rappela ses cernes dû à l’épuisement à force de travailler sans s’arrêter, il se rappela la marque rouge de son poing sur sa joue… se rappela son visage choqué, son corps figé de stupeur… lui qui avait tout fait pour oublier sur le trajet !
Il esquiva alors son oncle, s’enfuit de lui et de son jumeau. Félix fila sur la berge, trouva l’amas de rocher et le ponton de pierre, courut dessus puis plongea tout habillé dans le lac, restant sous la surface là où personne ne pourrait le voir. L’eau était glacée… quelqu’un le verrait, il lui dirait qu’il allait attraper la mort… jamais… l’eau ne lui avait jamais fait de mal… il avait juste besoin de rester au calme à l’intérieur, habitué à rester longtemps sans respirer… noyer encore et encore ces souvenirs, faire taire cette marque et s’obliger à se rappeler qu’il n’avait plus de père depuis deux ans, comme il n’avait plus de frère ni de meilleur ami…
« Tu peux regretter tout ce que tu veux, tu n’en as que pour Dimitri… »
L’épéiste allait lui dire, il voulait le dire, l’envoyer en pleine figure de Rodrigue, tant pis s’il était cruel. Tant pis s’il croyait que c’était Guillaume qui le sermonnait. Tant pis si une des choses qui revenait le plus à propos de lui, c’était qu’il mordait tout le monde sauf ses fils. Que sa famille fût le plus important à ses yeux, qu’il aurait été prêt à tout pour protéger sa meute et ses louveteaux. Tant pis s’il devait lui briser le cœur…
Mais Félix n’y arriva pas. Les mots s’obstinèrent à rester dans sa gorge et à ne pas à tous sortir… seuls trois acceptèrent de passer ses lèvres…
– Tu as Dimitri…
– Hum… c’est vrai que j’aime beaucoup Dimitri… il avait besoin de moi après Duscur… Rufus lui aurait fait du mal… il ne pouvait pas quitter Fhirdiad… ça aurait provoqué une autre émeute… même si j’aurais préféré… surtout après… j’ai bien cru perdre Félix ce jour-là… il a failli se faire éventrer… comme toi… il avait failli mourir comme toi… et même avec les mots de Ludovic… j’avais l’impression de… de devenir fou… je voulais juste le protéger… je ne voulais pas le quitter… mais le chaos… les émeutes… c’était trop dangereux… je ne pensais pas que… je ne voulais pas que… que mon fils reste dans ce coupe-gorge… j’avais peur… sans lui…
– Sans lui quoi ? Le pressa sans le vouloir le jeune homme, les mots allant aussi vite que les poings.
– Je n’aurais pas tenu… sans lui… sans Glenn… après que Félicia… mais Glenn et Alix étaient là… Félix aussi… il était si fort… j’avais l’impression qu’il me répétait… de toujours me battre aussi… même quand il pleurait… le gémissement fut remplacé par un sourire. Il s’est toujours battu… même aux portes de la mort… tu dois être… fier de ton petit-fils…
Le principal concerné allait mordre qu’il le confondait avec Glenn, ce ne serait pas le premier à le faire… même si ça serait la première fois pour Rodrigue… l’habitude de vivre avec son propre reflet surement… c’était tout ce qu’il acceptait comme explication logique… mais il savait que c’était faux, savait que son père ne confondait toujours pas ses fils. Les portes de la mort… il devait parler de la peste… même si les deux frères l’avaient eu, Glenn s’en était vite remis et lui avait failli mourir, trop prématuré pour pouvoir y résister aussi bien… ou alors, il parlait de ces maudites brûlures qui lui avait rongé le cœur… Félix chassa encore plus fort que le reste une conversation avec son grand frère au sujet de sa peste, ou ses souvenirs sur le moment où il avait enfin pu rouvrir les yeux grâce à ce qui était honnêtement un miracle de leur Ancêtre.
« Tu t’accrochais toujours à… »
« Fraldarius chantait… il ressemblait beaucoup et avait la voix de… »
Lui donnant doucement à boire pour se donner une seconde de plus afin de réfléchir, le jeune homme préféra détourner la conversation sur un point qui l’intriguait, se bouchant surement les oreilles dessus.
– Tu parles des mots du roi Ludovic depuis tout à l’heure… c’est quoi ?
– Tu ne le sais pas… tout le monde nous les disait… mais c’est lui qui nous les a dits le premier… ça nous a fait tenir quand… tu es revenu dans ta boite… souffla-t-il alors que le cœur de Félix commençait à battre à toute vitesse, remplissant le silence de la chambre avec son rythme erratique. Ludovic disait que tu… étais mort… comme un vrai chevalier… pour le protéger…
Le monde entier aurait pu voler en éclat à l’instant que Félix aurait été moins ébranlé. C’était comme se prendre un coup d’Épée du Créateur en pleine tête, il avait l’impression qu’on tentait de le couper en deux ! Même ses jambes tremblaient, tellement qu’il fut obligé de s’affaisser au sol, comme un gosse à qui ont tordait le bras pour lui apprendre à ne pas frapper ses camarades… et il était incapable de dire si ça faisait mal ou non… c’était… impossible à décrire… son esprit était trop vide pour le faire…
« Il est mort comme un vrai chevalier »… le roi Ludovic l’avait dit aux jumeaux quand leur père était mort ?! Bordel ! Il n’était même pas au courant ! Le jeune homme savait juste qu’ils adoraient Guillaume, les rares brides de souvenirs qu’ils avaient et connaissait les histoires que le vieux Nicola racontait avant d’être aussi massacré à Duscur mais, c’était tout ! Ils ne parlaient jamais de sa mort ! Et ils continuaient à être aveuglé par la chevalerie ?! Alix moins mais, Rodrigue y croyait dur comme fer alors que ça avait tué son père ! Ça avait tué son père avant même de tuer son fils ! Il était aussi stupide que ça ?!
Non… ils avaient six ans… Félix était bien obligé de s’en souvenir… ça gobait tout à cet âge… si tout le monde leur disait, c’était facile de leur bourrer le crâne avec…
– Merde… gronda-t-il en croisant les bras sur le matelas pour cacher sa figure au monde entier, sentant une énergie qu’il ne prit pas la peine de décrypter se déverser de sa marque. Comment je gère ça ? Tu ne me l’avais jamais dit…
– Dans ta lettre…
Bon, là au moins, il connaissait. Son père lui avait montré deux boites en bois enterré dans le jardin, sous les fleurs de potentilles, une pour Guillaume et l’autre pour Aliénor… elles contenaient des souvenirs d’eux et une lettre… il lui avait dit qu’il les déterrait peut-être un jour avec Alix, peut-être pas mais, il lui avait demandé de ne jamais les rouvrir à leur place. Au moins, ça faisait un truc dont le jeune homme était au courant….
– Ça me faisait… tenir… tous les deux… tu n’étais pas… parti… sans raison… continua-t-il plus faiblement. Même si je ne sais pas… de moi-même… comment tu… aurais réagi… je ne sais plus… maman disait que… tu serais en… en colère… je voulais… le garder pour moi… je ne voulais pas…
– Tu aurais pu me le dire avant… mordit-il malgré tout. Si tu ne voulais pas me le dire, pourquoi tu ne me l’as jamais expliqué ?! Ça n’aurait pas arrangé ton cas mais, ça aurait eu une logique !
– Je voulais lui dire… mais il y avait… tant de chose à faire… des morts dans tous les coins… Nicola mort… Gustave envolé… tout détruit… hacha-t-il de plus en plus difficilement comme s’il allait à nouveau sombrer dans le sommeil. Je l’ai manqué… puis… pas trouvé… l’occasion sans… encore plus gâcher… quand je pouvais lui parler… le lac… puis jamais… j’ai tout gâché… et je l’ai perdu… alors que… papa…
Le jeune homme leva le nez de ses bras en entendant le froissement faible de la couverture, vit la main de son père s’agiter autant qu’il pouvait, comme s’il cherchait quelque chose… sans trop réfléchir, il la prit dans la sienne, tout aussi perdu que Rodrigue devait l’être dans sa fièvre.
– Comment faire… ? Les doigts se serrèrent dans sa paume. Comment faire pour le retrouver… ?
– Qu’est-ce que j’en sais… murmura-t-il si bas que personne n’aurait pu l’entendre.
La main devient un peu plus molle de sommeil. Il aurait pu la repousser que Rodrigue n’aurait surement rien sentit… il semblait dormir comme une souche… après s’être tué à ce point au travail, pas étonnant…
Félix s’accrocha à la grande main, incapable de la lâcher…
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Rodrigue frémit dans son sommeil, sortant doucement des pans de la cape où il avait l’impression d’être. Pourquoi une cape… et pourquoi il était dedans ? Il ne savait plus… c’était juste une impression familière gravé au fond de sa mémoire… Guillaume ? Peut-être… il avait rêvé de lui après tout, peut-être que cela avait fait ressortir de vieilles brides du passé enfouies tout au fond de sa mémoire… comme pour sa dernière chanson… il ne pouvait plus s’en souvenir vraiment…
En entrouvrant les yeux, il vit une silhouette pale et aux cheveux noirs, calme et immobile dans un coin de la pièce, le bruit du fer qu’on entretenait occupant le silence avec quelques notes maladroites, qu’il reconnut tout de suite. Une chanson qui semblait faite pour les éveiller après un long sommeil…
« Sur le lac, le savais-tu ?
Un être a marché dessus.
Dans le lac, le savais-tu ?
Cet être y a respiré en sus.
Cet être sans peur le parcourt,
Pour protéger tout son peuple et son sang,
Le lac, il parcourt à tout bout de champ,
Tout trajet lui semble court.
Un grand bouclier incassable au bras,
Une douce épée brillante dans sa main,
Il est petit mais c’est un défaut bénin,
Dans le lac, jamais il ne sombrera,
Il est fier et têtu, insaisissable comme l’eau
Il s’entraine sans fin, en fait toujours plus,
Tu connais le nom de cet épéiste, ce héros,
Le nom de ce grand sorcier est…
– Fraldarius… Félix…
Le jeune homme redressa la tête de la côte de maille qu’il graissait, croisant le regard de Rodrigue, bien plus lucide qu’il ne l’avait été ces derniers jours. Au moins, il avait l’impression qu’il le regardait vraiment au lieu de fixer le vide.
– T… ta tête va mieux ?
– J’aurais dû parier… Penses à toi pour une fois, le réprimanda-t-il un peu car, il le méritait. Ça fait quatre jours que tu dors quasi sans t’arrêter.
– Quatre jours… alors on est…
– Lundi, oui. Le phacochère, Sylvain et Ingrid sont repartis hier après-midi.
– Mais tu es resté…
– Évidemment. Sinon, Alix se serait aussi évanoui à force de s’occuper de toi. On n’a pas besoin de deux fiévreux. Pierrick n’aurait pas tenu le coup.
– Alix va bien ? S’inquiéta-t-il à sa voix.
– Oui, il reste couché de son côté car, vous avez oublié de dormir ! Comment tu as fait pour te foutre dans un état pareil ?! S’écria-t-il en se rapprochant de lui. Il m’a donné son explication fumeuse, à toi maintenant ! Que je sache si vous êtes aussi stupide l’un que l’autre ?!
– Levée avant le soleil, puis suivre les heures des prières pour ne pas se perdre sans m’arrêter… ma table aurait craqué sous le poids du travail que me laisse Rufus… hein… on a tous les mêmes défauts dans la famille… souffla-t-il en frémissant un peu, surement pour aller retrouver son jumeau.
– Tu parles. Et n’essaye même pas de te lever ! Pierrick t’interdit de quitter ton lit pendant au moins une semaine ! Et repos complet pendant un mois ! Tu t’es évanoui de fatigue je te rappelle ! Tu restes ici jusqu’à nouvel ordre !
– Il faudra qu’on trouve un moyen pour que personne ne donne la clé des coffres à Rufus… il aurait le temps de ruiner le Royaume en alcool et en femmes…
– Alix a dit exactement la même chose. Il fera son travail lui-même pour une fois, ça le changera. On n’est pas des chiens dans la famille. T’es un bon toutou obéissant au lieu d’un loup mais, faut pas exagéré non plus.
Félix mordait comme qu’il pouvait, essayant de cacher ce qu’il pensait autant que possible sous l’agressivité. Cependant, Rodrigue dut voir à travers car, il arriva à rire un peu malgré la fatigue en ajoutant.
– Le digne petit-fils de Guillaume…
– Tu ne t’en souviens même pas toi-même.
– Peut-être… même si j’ai cru qu’il était là… je crois que je lui ai parlé… avoua-t-il vaguement. Je ne sais plus de quoi… juste d’un cauchemar puis, il était là… même s’il doit être réincarné depuis longtemps…
– Vu l’état où tu t’es mis, tu as du te l’imaginer… t’as pas arrêté de parler samedi.
– J’espère juste que je n’ai rien dit de mal…
– Pas grand-chose de cohérent, mentit Félix, son père n’était pas assez réveillé pour le remarquer de toute façon. Faudra que tu me le dises en étant lucide pour que je te crois vraiment.
C’était ce qu’il avait décidé. Les mots de la fièvre ne comptaient pas, c’était juste la fièvre. Son père pouvait bien dire tout et n’importe quoi à cause de ça. Même si pour « les mots de Ludovic », ils étaient vrais… il s’était bien gardé de leur dire ce qui s’était passé quand Sylvain, Ingrid et le phacochère étaient venus les voir, même si à leur tête, ils allaient le faire passer aux aveux une fois qu’il serait rentré à Garreg Mach. Rodrigue hocha autant que possible la tête, tout en fixant le bandage autour de celle du jeune homme qui marmonna en posant une main dessus.
– Ce n’est rien. Juste pour bien maintenir un peu la pommade. Ça n’a rien tranché, le plat de l’épée m’a seulement enfoncé le crâne.
– Fait attention… les blessures à la tête sont les plus vicieuses… lui souffla son père, visiblement inquiet.
– Je te dis que je n’ai rien ! Ça fait deux semaines, ça a pratiquement fini de cicatriser ! Et Manuela m’a déjà remis l’os correctement ! Hum… j’ai pas le droit de m’entrainer jusqu’à la fin de la lune mais sinon, ça va.
– Tant mieux… l’hôpital se moque surement de la charité mais, respecte bien la consigne… tu risquerais d’avoir des séquelles ou de gros maux de tête.
Félix fuit son regard, ne voulant pas admettre que c’était exactement ce qui s’était passé durant le chemin, même s’il l’avait gardé pour lui. Il détourna plutôt la conversation, ne voulant pas continuer dessus et devant bien lui dire.
– Hum. De toute façon, je reste ici jusqu’à la fin de la semaine, histoire que tu appliques tes propres conseils.
Le jeune homme jeta un coup d’œil à son père. Il s’attendait à une réprimande pour sauter une semaine de cours, qu’il devrait rentrer à Garreg Mach, que ce n’était pas raisonnable, qu’il devrait prendre plus au sérieux le côté intellectuel de sa formation et pas seulement le côté physique, qu’il était le prochain duc et qu’il devait apprendre à gérer son fief ou quelque chose du genre…
Cependant, rien de tout cela ne vient. Félix vit juste un petit sourire qu’il ne décrirait pas se dessiner sur le visage encore endormi de son père. Ce dernier souffla avant de fermer à nouveau les yeux et de replonger dans le sommeil.
– Je suis content que tu sois là…
Félix ne répondit pas, se justifiant à lui-même que cela ne servait à rien, Rodrigue ronflait à nouveau… et personne n’avait à savoir quel sentiment cela lui faisait ressentir malgré lui. Il remonta la couverture jusqu’à ces épaules, juste pour ne pas devoir rester plus longtemps car, le vieux avait attrapé une grippe.
Le jeune homme ne quitta pas beaucoup son père de la semaine, à part quand Alix trouvait assez de force pour venir le voir ou parce qu’il lui manquait trop. La Déesse seule savait comment ils restaient séparer aussi longtemps ces deux-là… et comment ils arrivaient à le vivre… surement pas bien… vivement la fin de l’année qu’ils puissent se retrouver plus souvent, ils s’empêcheraient mutuellement de s’épuiser comme ça. Ils mangèrent aussi tous les trois, les jumeaux semblaient retrouver tous leur appétit quand c’était le cas, et assez d’énergie pour qu’Alix propose d’échanger leurs assiettes quand son neveu se retournait, avec les aliments qu’ils n’aimaient pas. Sur certains points, son oncle ne grandirait jamais. Ça faisait aussi rire Rodrigue quand Félix le disputait comme un gamin. Son esprit stupide lui rappela que cela faisait des années qu’il n’avait plus entendu un rire aussi léger de sa part. Il ne trouva pas l’envie de noyer ses souvenirs… surement la fatigue, rien de plus.
Il resta jusqu’à dimanche midi, puis repartit pour Garreg Mach et effectivement, dès qu’il remit le pied au monastère, les trois pires amis d’enfance de l’Histoire de Fodlan lui firent passer un véritable interrogatoire. Félix ne voulait rien dire mais, en voyant ses mines de chiens battus ou sévère, il leur avoua ce que lui avait dit Rodrigue en croyant parler à Guillaume. L’épéiste ne pouvait même pas passer sur les moments où il parlait du phacochère, ils savaient tous quand il leur cachait quelque chose.
« …Ne vous étonnez pas si je deviens aussi sympathique qu’Alix avec Gilbert, grommela-t-il à la fin, après avoir mentionné qu’avec Gustave qui s’était enfui la queue entre les jambes, ils les avaient laissés à moitié écrasé sous le travail. Je crois que même Rodrigue lui a soufflé dans les bronches si j’ai bien saisi ce qu’ils se racontaient…
– Je crois qu’une bonne partie des personnes de l’administration et des gardes qui étaient contre le massacre sont dans ce cas… marmonna le phacochère, mal à l’aise. Évite simplement de l’être trop ouvertement devant Annette…
– C’est possible d’être énervé quand elle est là maintenant ?
– Enfin, au moins, tu sais pourquoi il a agi ainsi et son état d’esprit. Il le reconnait, il s’en veut, et il ne sait juste plus quoi faire pour tenter de te reparler. Et tu ne me feras pas croire que tu ne veux pas lui reparler aussi, trancha Ingrid.
– À t’écouter, tu lis dans ma tête.
– Que ça te plaise ou non, on n’a juste une quasi-vie ensemble en commun tous les quatre, rétorqua-t-elle. Ça aide un peu pour se lire les uns les autres. En plus, t’étais pas vraiment en bon état après l’avoir entendu.
– Ça, personne ne pourra dire le contraire. T’étais encore plus pale que tu ne l’es et on aurait dit que tu avais vu un fantôme, ajouta Sylvain.
– Hum… c’est la fièvre qui lui a fait dire ça, grogna Félix. Il aurait été lucide, il ne l’aurait jamais dit à voix haute.
– Car tu t’enfuis à chaque fois ? Et tu vas mettre tout ça sur le dos de la fièvre ? S’outragea Ingrid. Pourquoi pas le mensonge pendant que tu y es !
– Il pensait parler à Guillaume, Guillaume qui est mort et réincarné depuis longtemps. Il répondait plus ou moins aux questions mais, il était tout sauf lucide. Rodrigue ne se souvenait même pas de ce qu’il a dit quand il s’est réveillé. Il ne mentait surement pas mais, il ne l’a pas dit volontairement non plus. T’aurais été à ma place, tu ferais la même chose, ait le courage de l’admettre !
Ingrid prit la pique sur elle, puis soupira, visiblement fatiguée.
– Tu es impossible Félix.
– T’es pire. Je ne voie même pas pourquoi vous vous mêlez de ça.
– Car c’était évident que tu n’allais pas bien après l’avoir entendu et qu’on s’inquiète pour toi, déclara Sylvain. Enfin, si tu préfères attendre qu’il te le dise consciemment, ça se comprend. Au moins, tu sais un peu mieux d’où ça vient. Ça ne l’excuse pas mais, au moins, ça explique un peu sa réaction.
L’épéiste garda le silence mais, ne mordit pas non plus. Ça devrait suffire pour qu’ils comprennent, et heureusement, cela suffit. Après encore quelques mots, Ingrid et Sylvain le laissèrent tranquille et le phacochère semblait aussi bien partit pour le faire mais, il resta un peu plus. Il eut un instant de silence bien trop long avant qu’il finisse par hacher, essayant de paraitre timide et prudent comme l’aurait été le vrai Dimitri.
« Je… je sais que j’ai surement une part de responsabilité… Rodrigue ne m’a pas beaucoup lâché après la Tragédie… mais… mais je voudrais te dire que… je crois qu’il pensait tout le temps à toi… il essayait déjà… ou au moins il espérait avoir l’occasion de s’expliquer qui ne casserait pas tout… enfin, pas encore plus…
– Avoue ce à quoi tu penses seulement, qu’on n’y passe pas la nuit.
– Bon. Tu te souviens de notre cachette ? Tu sais, là où on allait tout le temps pour écouter les adultes chantés dans la cathédrale quand on était petit ?
– Ouais… dur à oublier les roustes qu’on se prenait pour aller là-bas. Tout ça pour écouter les grenouilles de bénitiers réciter les prières quand on ne pouvait pas y aller car, on était trop petit et que ce n’était pas notre office. Le rapport ?
– J’y viens. Je m’y rendais encore quand j’étais à Fhirdiad après la Tragédie. Je n’arrivais pas à dormir alors, j’y allais pour essayer de me calmer et trouver le sommeil…
– Je sais, tu nous réveilles à chaque fois avec Sylvain, et c’est toutes les nuits en ce moment. Pour la dernière fois, va voir Manuela ! Ce n’est pas normal de faire autant de cauchemar ! Je critique le vieux mais, t’es pas mieux !
– J’irais la voir mais, écoutes-moi. À chaque fois, j’entendais Rodrigue faire ses prières du soir. Il s’y rendait toujours très tard vu qu’il était débordé en journée. Je l’entendais prier Saint Cichol à chaque fois…
– Rodrigue prie toujours Saint Cichol. Il manipule tellement la breloque qui représente son emblème qu’il faudrait la changer, même s’il ne le fera jamais, ou pas avant qu’elle soit juste tombée toute seule. Où tu veux en venir ?
Les yeux d’ambre de Félix étaient plissés, le défiant de faire le moindre faux pas sous peine de le mordre à la gorge. Il se souvenait encore de la dispute entre leurs pères, quand Arundel l’avait blessé avec cette magie étrange. Il ne s’en rendait pas encore compte car, ils faisaient attention à enterrer la discorde devant eux mais, les nobles à la cour n’arrêtaient pas de dire que finalement, Rodrigue avait les yeux de son père… les yeux d’un loup féroce, toujours prêt à mordre tout ce qui s’approchait trop près de sa meute… et que Guillaume aurait été encore en vie, il ne se serait pas contenté de se retirer dans son fief avec sa famille pour marquer sa fureur… même si la couleur venait de sa mère, la forme était bien celle de toute sa famille paternelle… même si l’épéiste le nierait, c’était un Fraldarius jusqu’au plus profond de son sang… une famille qui avait choisi un loup pour blason…
Dimitri ne devait pas trembler ou faire de faux pas… il n’avait pas peur mais, à la moindre occasion, Félix le chasserait et se refermerait complètement, quitte à lui arracher la gorge pour le repousser. Après tout, les loups pouvaient tuer un sanglier alors, un phacochère, surement aussi…
– Et bien, la plupart du temps, quand il s’adressait au Père, ce n’était pas pour moi qu’il priait, ni pour mon père. Je crois… si je comprenais bien ses prières, je crois qu’il priait pour toi…
– Qu’est-ce que tu en sais ? Rétorqua-t-il. Le vieux est comme Annette avec ses chansons, il brode toujours ses prières. Il reprend la structure mais, il invente les paroles pour que ça colle mieux, et à moins de s’appeler Alix, personne à part la Déesse ne peut savoir ce qu’il avait dans la tête.
– Ce n’est pas faux, surtout qu’elles peuvent être assez cryptique pour toute personne qui n’est pas Alix… mais je suis sûr que c’est de toi dont il parlait. Moi, je n’ai jamais été bien loin, ou il ne parlerait pas d’avoir « perdu » quelqu’un, et pour les prières aux morts, il invoque toujours leurs noms.
– Car c’est comme ça qu’on prie pour les morts, rétorqua-t-il, clairement sur la défensive.
– Oui… mais dans ses prières, il demandait toujours à retrouver quelqu’un… il priait pour retrouver quelqu’un… il demandait à Cichol le Père de l’aider à retrouver quelqu’un et à réparer ses erreurs, car il était dans la même situation que lui…
Félix détourna le regard à ses mots, soit sa manière de nier quelque chose, même quand il savait que c’était vrai… surtout quand il savait que c’était vrai. Dimitri n’oserait plus lui dire en face mais, c’était un tic qu’il avait pris de Rodrigue. Quand son père niait quelque chose qu’il ne pouvait pas accepter, il fermait souvent les yeux ou les détournait pour rompre le contact visuel, comme son fils…
« Tu lui ressembles plus que tu ne le penses… »
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lilias42 · 2 years
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Brouillon de CF : l'avant-Duscur
Voilà @ladyniniane ! C'est ce que je t'avais dis ! J'espère que ça ne sera pas trop trop long pour un brouillon !
Bon, petite remise en contexte : je l'ai dit, je ne voulais pas faire la scène de la promesse entre Lambert et Rodrigue qu'on voie à sa mort dans AM. La scène est belle quand on est du côté de Rodrigue qui garde ce dévouement envers Dimitri, le Royaume et sa promesse tout ce temps mais, je ne fais pas de mystère autour du fait que je trouve que cette scène rend Lambert complètement stupide. Déjà, première raison pour vouloir la faire sauter. Surtout que dans cette histoire, quand c'est des scènes du jeu, je reprend les dialogues directement du jeu, en les adaptant au besoin si le contexte change trop (genre, enlevez tous l'enrobage mielleux de CF pour le tourner pour ce que cette route est : une conquête violente de deux pays voisins car, ils étaient dans un vieil empire qui tombe en décrépitude il y a 400 ans, avec les personnages qui ne font pas de cadeaux à Edelgard et Byleth, surnommant même Byleth "poupée" [au sens objet sans volonté évidemment] plutôt que "professeur" car, c'est leur ennemie et ils la méprisent pour soutenir un tyran génocidaire impérialiste)
La deuxième est que... bah je me suis tirée une balle dans le pied dès le départ pour cette scène avec la mort Guillaume. Si je prend cette scène avec juste cette information en plus (le père de Rodrigue et son frère est mort assassiné, en prenant un coup de poignard à la place du roi quand ils avaient six ans), les mots de Lambert deviennent bien plus horrible : "C'est un garçon intelligent, Rodrigue. Même s'il devait perdre son père, je sais qu'il deviendrait un homme bon et respectable." Dites ça un orphelin de père, je ne pense pas qu'il apprécie, même si vous le dites avec les meilleures attentions du monde, surtout que j'ai montré à plusieurs reprises qu'une régence était tout sauf une partie de plaisir (voir le chapitre du plaid déjà posté sur ce blog où les jumeaux assistent à une réunion seigneurial à huit ans pour aider leur mère à consolider leur position et remplacer leur père mort, ainsi que plusieurs rappels à plusieurs endroits qu'après une très longue régence pour avoir perdu ses parents à la guerre quand il avait trois ans, Guillaume et Aliénor se sont démené dès qu'ils ont eu 15 ans pour empêcher les vassaux de leur voler ce qui leur appartenait de droit). Une régence, c'est un moment dur, où le pouvoir est fragilisé par l'absence de souverain légitime par le sang, et où les ambitieux se sentent pousser des ailes. Il n'y a qu'à regarder les exemples réelles pour le comprendre, comme l'histoire de Louis IX ou Saint-Louis (qui est justement devenu roi à peu près à l'âge de Dimitri et à subit des révoltes de barons où les parisiens eux-mêmes ont dû aller le sauver) ou la Fronde au début du règne de Louis XIV. Bref, les jumeaux savent que la régence et être orphelin, c'est difficile, ils ont commencé à se battre très tôt en politique à cause de ça alors, c'est compliqué de leur faire avaler "Même si le pire devait arriver, tout ira bien." C'est juste pas comme ça que ça marche, ils peuvent en témoigner.
Enfin, il y a également ce que j'ai rajouté à l'histoire dans cette fic... petit détail qui n'en ait pas un : le chapitre précédent, c'est la fin du mini-arc avec Arundel qui a blessé Félix, neuf ans. Pour résumer : tout le Royaume est au courant via les rumeurs et les histoires, et s'il n'y avait pas eu de tensions aux frontières, ça aurait pu vite dégénérer en révolte car, le roi a juste donné l'air de faire passer un adrestien inconnu au bataillon à part qu'il a trahi son pays, avant la sécurité des enfants de deux proches de toujours que les faerghiens connaissent bien. Et si lui peut être blessé, alors leur petit prince risque d'être en danger lui aussi. ça fume pas du tout dans les chaumières et ça ne risque pas du tout de finir en révolte pour rappeler que - comme dirait le roi Ludovic dit "le Prudent", père de Lambert - "On dit souvent que le peuple se doit se servir son roi mais, l’inverse est et doit être vrai aussi. Pour toute la confiance qu’il place en nous, nous nous devons de les servir au mieux afin de combler tous leurs besoins, leur être complètement dévoué et fidèle", fin de citation. Je pense que le surnom de "vendu" a bien dû fleurir à droite à gauche à ce moment-là. Autant vous dire aussi que la confiance envers le roi est complètement morte pour la plupart des fraldariens, qui en ont juste ras-le-bol de ce gars qui semble jouer avec les nerfs des ducs auxquels ils sont très attachés car, ils se plient en quatre pour eux. Bon, il a renvoyé Arundel finalement alors, l'unité du Royaume est sauve pour le moment mais, une confiance brisée ne se répare pas comme ça.
Autre conséquence de cette affaire : Glenn n'a plus du tout confiance en Lambert. Il continue de le servir car, c'est tout de même le roi et il ne veut pas causer d'ennui à sa famille mais, il n'y aurait pas Dimitri qu'il respecte et veut protéger, il aurait sans doute renvoyer son armure en pleine figure à Lambert de rage. C'est toujours un chevalier dévoué à sa tâche mais, ça lui reste en travers de la gorge de servir un roi qu'il considère comme indigne de son dévouement et préférerait être chevalier dans son fief pour rester auprès de sa famille (les Fraldarius sont une meute de loup très unie et fidèle entre eux à ce moment-là) et servir son peuple, même si c'est à un niveau plus restreint pour juste ne pas subir l'imbécilité chronique de Lambert. Il s'en fait déjà assez pour la santé mentale de son père et de son oncle qui arrivent à le supporter pour s'y mettre. Là, il tient surtout en se disant que Dimitri a l'air de savoir réfléchir contrairement à Lambert et il ne veut pas le laisser seul à Fhirdiad, surtout avec une ambiance pareille.
Donc, bref, pas la meilleure des ambiances. Et raisons pour lesquelles tous le pré-Duscur devait être un gros résumé en pensée, quand Félix demande à son père pourquoi il a l'air aussi inquiet.
Cependant, si je fais ça, cela casse complètement le rythme alors, avec les conseils de Ladyniniane qui ont fini de me convaincre, je vais réécrire tout ça en scène qui se déroule vraiment, au lieu d'en faire un énorme flashback de 4 pages. Je poste simplement le brouillon pour savoir si je ne vais pas trop loin dans les conséquences et avoir un avis extérieur (genre, si personne n'est OOC, si même pour le niveau de Lambert, il n'est pas un abruti complet en plus d'un connard avec ces mots, que cela tient debout...)
Donc, pas plus de divagation et, bonne lecture de brouillon !
(suite sous la coupe)
Rodrigue se maudit d’être aussi mauvais pour cacher ce qu’il pensait, ayant laissé échapper son inquiétude devant son cadet. Cette histoire de négociation en Duscur l’inquiétait, tout comme Alix et pas mal de monde à Faerghus. Évidemment, c’était un peuple allié, allié depuis la naissance même du Royaume. Une des plus proches conseillères de Loog, après Kyphon et Pan, la Dame du Vent Lucine, fille bâtarde des Dominic, était elle-même duscurienne par sa mère et avait beaucoup fait pour que les deux peuples s’entendent bien. Bonne entente qui s’était poursuivi tout le long de l’histoire de Faerghus.
Cependant, un tout petit seigneur sur la frontière du nom de Kleiman s’était très mal comporté avec eux, ce qui avait légitimement agacé les duscuriens voisins et leurs chefs. Lambert avait alors décidé de se rendre en Duscur pour négocier la paix, tout en rappelant Kleiman à l’ordre au passage mais, les ducs trouvaient tout cela très mal organisé. Évidemment, il y aurait toute la garde royale, le corps d’armée le plus entrainé de Faerghus dont faisait partie Glenn, et d’excellents chevaliers, un roi ne sortait pas comme ça sans protection… mais, pour aller en territoire étranger, ils trouvaient que cela faisait trop peu, et la décision avait été prise trop vite pour bien se préparer à contrer un problème sérieux sans trop de difficulté. Bon, les duscuriens étaient tout sauf des gens agressifs, ils étaient même très pacifiques tant qu’on les respectait, moins nombreux et moins bien équipé en règle générale. Mais, cela ne l’empêchait pas de s’inquiéter quand même de savoir Lambert, Dimitri et surtout Glenn en plein milieu des montagnes qu’ils ne connaissaient pas, le tout en pleine période de tension entre les deux pays, surtout que c’était de la faute d’un seigneur du Royaume que les choses s’étaient envenimé entre eux. Et Lambert était trop têtu pour seulement accepter de faire la rencontre sur la frontière entre leurs deux pays, un pied en Faerghus et un pied en Duscur, voulant faire preuve de bonne volonté avec leurs voisins pour les apaiser. Sur ce point, il avait empiré avec l’âge… Alix aussi avait tenté de l’en dissuader, avec des arguments lancés de manière plus… persuasive ou agressive selon le point de vue mais, leur ami les avait autant écoutés l’un que l’autre… et Gustave, même combat, même résultat malgré tout le respect que le roi avait pour lui…
Cornélia aurait pu être une alliée mais, elle se taisait sur ce projet stupide, même si c’était assez logique dans un sens… il s’agissait de la politique extérieure du Royaume, une adrestienne aussi respectée et dévouée soit-elle serait sans doute accueilli comme un chien dans un jeu de quille, si elle disait ouvertement son opinion dessus, et elle dépendait encore de Lambert… et Patricia… mieux valait ne pas en parler… déjà que c’était plus ou moins la guerre silencieuse et froide entre eux… elle agissait bizarrement depuis quelques années, était plus froide et distante, sortait très rarement, même pour voir son mari ou Dimitri… par contre, elle avait presque insisté pour aller voir Duscur, se justifiant en disant qu’elle voulait renouer un peu après un passage à vide, justification qui enchanta Lambert, évidemment. Alix n’arrêtait pas de répéter que ça sentait aussi bon que ce voyage… ce n’était pas Rodrigue qui allait le démentir, surtout aux vues de son comportement depuis que Lambert ai chassé Arundel de Faerghus et qu’il avait ramené Edelgard auprès de son père… l’ancienne Anselma refusait de parler à Lambert seul, imposant toujours la présence de Cornélia entre eux pour « équilibrer les choses, étant donné que [sa] voix seule n’avait pas assez de poids pour lui ».
D’un côté, Rodrigue ne pouvait que comprendre qu’elle le prenne extrêmement mal, lui aussi aurait été hors de lui de perdre ses enfants ainsi. Il aurait même sans doute tout fait pour les retrouver, surtout après avoir frôlé de si près l’espoir de pouvoir vivre à nouveau avec eux… Mais d’un autre côté, l’homme d’État ne pouvait pas s’empêcher de se rappeler qu’elle était déjà une excuse vivante pour Ionius d’attaquer, alors leur progéniture… c’était cruel mais, même si ce n’était qu’une enfant, sa simple présence était trop dangereuse pour le Royaume et ses habitants… de plus, le peuple de Fhirdiad était aux bords de la rébellion et il y aurait sans doute eu des révoltes pour les expulser de la capitale une fois la situation à la frontière stabilisée, ce qui aurait été encore plus dangereux, autant pour la paix interne du Royaume que pour la petite. C’était cruel mais, il fallait qu’ils partent tous les deux, même si sa propre rancune envers Arundel faussait surement son jugement. Les jumeaux étaient assez lucides sur elle mais, ils auraient refusé de remettre les pieds à Fhirdiad en tant qu’amis et alliés du roi jusqu’à son renvoi, hors de question de tolérer la présence d'un brûleur d'enfant près des leurs et de Dimitri plus longtemps. Enfin bon, Anselma savait dès le départ qu’elle devrait passer après le Royaume quand elle était devenue Patricia Arnim et avait épousé Lambert, elle aurait dû le savoir dès son mariage avec Ionius, elle devait accepter la raison d’État. Déjà que Faerghus s’en était tiré sans guerre ni trop de blessure par pure chance… et la méfiance envers Lambert après « l’affaire de l’adrestien brûleur d’enfant » restait très forte. Rien que dans leur fief, plusieurs personnes murmuraient qu’ils seraient bien mieux sans le roi, qui leur volait leur duc et qui laissait un étranger brûler leur enfant. Les deux frères faisaient ce qu’ils pouvaient pour éviter les débordements mais, c’était difficile de restaurer une confiance brisée, surtout que Glenn commençait à être sérieusement d’accord avec eux…
Déjà que sa foi en Lambert avait pris un bon coup de hache après ce qu’avait fait Arundel et qu’il ait su pour Patricia, cette décision d’aller à Duscur avait été le coup de grâce. Il se rendait bien compte que c’était beaucoup trop dangereux pour que le roi s’y rende en personne, encore plus quand il avait su que Dimitri suivrait aussi, pour rencontrer le prince duscurien et montrer la confiance en leur voisin, et il avait littéralement explosé quand il avait su que le fait que Patricia voulait en être le confortait dans sa décision. Il n’aurait pas eu le sens du devoir et des responsabilités de la famille, le Jeune Loup aurait sans doute renvoyer son armure en pleine figure du roi, l’aurait défié en duel pour motif de stupidité dangereuse pour le Royaume, tout en révélant cette farce grotesque à toute la cour, rien que pour arrêter les frais. Ça n’aurait pas été beaucoup trop dangereux pour leur famille qui risquait gros pour trahison, Rodrigue n’aurait pas étonné qu’il le fasse… la seule chose qui le retenait à son service, c’était Dimitri, afin de le protéger de tout ce qui pouvait le menacer.
« Rien que pour que le merdier où nous fout son père ne lui fasse pas de mal. Lambert, c’est mort pour que je le crois capable de faire quelque chose de compétent mais Dimitri, il a déjà plus d’esprit que lui. Si Lambert a confiance en des agresseurs d’enfants que seul un miracle peut sauver de la mort, quelqu’un doit bien protéger le sien de ces comparses. »
Son père ne pouvait que respecter son dévouement à leur petit prince, même s’il s’inquiétait… il avait commencé à chercher une solution pour le retenir en Faerghus, qu’il n’aille pas en Duscur… utiliser le fait qu’il soit encore mineur dans le domaine royal et à Duscur, n’ayant que dix-neuf ans, qu’il y aille à sa place, Alix serait toujours là pour les protéger, Alix proposant de le remplacer aussi, pour qu’eux au moins garde leur père si le pire arrivait… mais Glenn avait tout refusé. Il n’était plus un enfant en Fraldarius depuis plusieurs mois, ce serait trop gros, surement suspect si quelque chose tournait effectivement mal, surtout si l’un d’entre eux s’en tirait, et ils ne seraient pas trop de deux seigneurs expérimentés pour gérer Faerghus pendant l’absence de Lambert, avec juste Rufus pour tenir la barre. Nicola aussi le suivait en Duscur, afin de protéger le Jeune Loup et de surveiller le roi avec lui, leur jurant de le protéger de tous les dangers. Deux des personnes que les jumeaux voulaient le moins voir là-bas… loin de la protection de Faerghus et du lac… se jetant dans le gouffre avec le lion qui les poussait à y marcher trop près… les planches en bois massif qu’on descend du chariot, avec un visage tout identique à celui de Ludovic qu’il n'arrivait pas à oublier ce jour-là…
Dans le fond de sa tête, le souvenir de la « boite » n’était pas très loin, la seule chose claire à propos de son père dont il se souvenait clairement, alors qu’il aurait préféré l’oublier… la lourde « boite » de sapin, sombre et massive, presque trop grande pour un petit homme comme Guillaume… il ne voulait pas voir son meilleur ami, son filleul, son compère et son propre fils dans une « boite » toute pareille… mais Lambert lui assurait que tout irait bien et que même s’il arrivait quelque chose, il serait là, ne voyant pas à quel point ses mots et ses paroles le gelaient de l’intérieur, faisant remonter trop de souvenir de sa mère se battant comme une louve pour les protéger lors de leur propre régence. Selon lui, même si lui-même devait mourir dans son entêtement, Rodrigue serait là pour Dimitri… Comme si c’était si simple d’être orphelin et de subir une régence… Heureusement qu’Alix n’était pas là quand il l’avait dit… Déesse heureusement… ou pas… l’explosion de rage du cadet des jumeaux aurait peut-être fait changer d’avis Lambert… ou pas…
« Connard ! T’as toujours eu tes deux parents toi ! T’as jamais eu à te battre pour garder quoi que ce soit ! Ou juste sauver ce qui t’appartient hors du champ de bataille ! Qu’est-ce que t’en sais d’être orphelin et de subir une régence ?! La nôtre t’a pas suffi comme exemple ?! L’histoire de notre père que Ludovic t’a rabâché non plus ?! Toutes les mises en gardes de ton paternel aussi ?! Tout ça parce que ta vipère t’a dit que tout se passerait bien ? Tout ça pour ses yeux doux alors qu’il met déjà le Royaume en danger rien que pour elle ?! On ne va pas se mentir, c’est parce qu’elle lui dit que tout ira bien et que c’est l’occasion de renouer qu’il est aussi insistant ! C’est une réunion diplomatique pour éviter des tensions à la frontière, ou un rendez-vous en amoureux pour sauver son couple ?! C’est plus seulement un imbécile heureux là ! C’est juste un connard égoïste ! »
Rodrigue lui-même ne sut pas comment il avait pu rester calme à ce moment-là… ne pas lui rétorquer qu’il n’était pas tout seul en fait, qu’il y avait aussi d’autres personnes qui le suivaient, dont leur propre fils respectif, qu’il ne voulait pas que Glenn risque de finir dans une « boite » lui aussi, qu’aucun des chevalier qui l’accompagnait ne finisse dans une « boite », comme Guillaume avant eux en défendant le roi, ni Dimitri, il était trop petit pour avoir une « boite » et pour perdre son père, que c’était dur de ne plus avoir de parent, qu’une régence ne serait jamais un moment facile, surtout que Rufus n’était guère compétent pour l’être et qu’il ne restait que le parrain de Dimitri, pas un membre de la famille direct, c’était déjà dur pour les régents père ou mère biologique qui n’était pas de la famille alors, pour un parrain, cela était encore pire… de tels propos l’avaient juste… tétanisé… honte sur lui… il avait été juste glacé de l’intérieur par ces mots, les propres mots de celui qu’il considérait comme son meilleur ami depuis toujours après son propre jumeau… les mots gelés qui passèrent sa gorge ne suffirent pas… encore… encore et encore… toutes les mises en gardes restèrent lettre morte… la seule chose que Lambert écouta, c’était quand il lui jura de remettre Dimitri dans le droit chemin si un jour, il s’en écartait et que son père n’était pas là pour le sermonner, une demande venant du roi… aux vues du comportement de Lambert en ce moment, hors de question de laisser Dimitri seul... il faisait de plus en plus attention à ce que les pires défauts de son père ne déteigne pas sur lui... la Déesse soit loué qu'il ait hérité de l'esprit de sa mère... qu'Héléna serait furieuse que Lambert laisse leur fils exposé à de tel danger, qu'il prenne une décision aussi stupide que celle-là... elle n'aurait pas le sang froid de la défunte matriarche, elle l'aurait sans doute remis à sa place à coup de poing... Ludovic aussi devait être rouge de honte dans sa tombe... lui qui était si prudent... il n'aurait jamais fait une chose pareil ! Qu'il devait vouloir remettre le sablier de son fils à l'endroit ! Et si un tel coup de folie le frappait, Guillaume et Aliénor auraient été là pour l'empêcher de faire des conneries. "C'est mon boulot de t'empêcher de faire des conneries"... les mots de son père... son devoir... à présent le sien... c’était à son tour son boulot d’empêcher le roi de faire des conneries et là, il espérait vraiment de tout son cœur qu’il ne le laissait pas en faire une énorme… il était si fatigué de tout ceci, de cet entêtement… il avait l’impression d’avoir avalé tous les crapauds du lac et toutes les couleuvres de Faerghus… voir de Fodlan… bien moins qu’Alix qui était plus furieux qu’épuisé, bien que ce soit toujours là… mais il devait continuer à tenir, au moins pour le Royaume…
Il se demandait comment aurait réagi Guillaume… surement qu’il l’aurait attrapé par le col, roi ou pas roi, tiré jusqu’à ce qu’il se plie à moitié et lui aurait donné un gros coup de tête pour le ramener à la raison… et il aurait surement eu assez d’expérience et de force pour arriver à l’influencer, voir le forcer à l’écouter… Rodrigue ne savait pas… il était incapable de se souvenir par lui-même de son père… il ne pouvait pas prédire ses actions… même s'il savait qu'Aliénor aurait aussi tout fait pour le convaincre de gré ou de force… quitte à l'éventrer elle-même et se servir de ses tripes pour coudre devant un tel incompétent... devant un tel chien idiot... les jumeaux espéraient vraiment qu’ils ne faisaient pas une énorme erreur…
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lilias42 · 2 years
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Retour à CF ! Chapitre 7 et 8 du canon : l'enlèvement de Flayn et l'après !
et voilà @ladyniniane ! J'espère que cela te plaira !
Bon. Comme il était écrit dans les livres sibyllins, 3nopes est pourrie mais en plus, Claude dans cette version est complètement massacré à coup de hache et de surin (comme pratiquement tout le monde d'ailleurs... sérieux, qui a demandé ça ?!) Donc ! On va rééquilibrer un peu les forces en mettant un chapitre de coopération entre les cerfs et les lions, plus un plus calme où - j'espère - Dimitri et Claude sont plus dans leur vrai caractère ! Voici donc les chapitres qui correspond à la période de l'enlèvement de Flayn, le chapitre 7 et 8 du canon du jeu.
Et comme toujours, un point de contexte !
=> rappel de rigueur : j'utilise ma version des Braves (voir mon billet à leur sujet)
=> étant donné que leur âme est bloqué dans leur Relique avec celle du nabatéen qui a servi à fabriquer l'arme, les Braves peuvent encore utiliser leur pouvoir de manière très limitée et dans des occasions spécifiques. Notamment, ils peuvent sauver d'une mort certaine leurs descendants s'ils ont leur emblème, le tout en laissant une marque de leur passage qui est vu par les personnes du nord et de l'est comme une bénédiction, même si cette petite difformité est vue comme une monstruosité par les adrestians. Plusieurs personnages ont ces difformité :
Félix a une marque d'écaille dans le dos qui a la forme de son emblème, quand Fraldarius a miraculeusement soigné les brûlures infligée par Arundel
Dimitri a une grande cicatrice gelée sur l'épaule droite, et une autre marque gelé sur son poignet (on dirait qu'il est fait de glace) qu'il peut cacher avec des gants. Blaiddyd l'a également sauvé en soignant la blessure sur son épaule et en l'empêchant de "tomber" dans l'abysse de la mort après Duscur
Sylvain a obtenu des petits crocs à la place de ses canines depuis que Gautier l'a empêcher de mourir de froid quand Miklan l'a abandonné dans la forêt
=> 3nopes n'existe pas, évidemment, je respecte les personnages de Fodlan. Bon, je plaisante (un peu) mais, je m'appuie sur les personnages du 3H original donc, dans cette histoire, les cerfs d'or et les lions de saphir s'entendent plutôt très bien. Je voie leurs pays comme étant assez proche (être des gars qui se sont tirés de l'Empire et qui ne veulent surtout pas se faire assimiler à nouveau, ça rapproche) et avec des relations cordiales donc, les élèves discutent facilement entre eux. Dans le chapitre précédent, Dimitri s'inquiète qu'Arundel soit au monastère (il a peur qu'il fasse du mal à quelqu'un d'autre comme avec Félix dans cette histoire, et il se méfie de lui comme dans le jeu de base à cause de Dusucr) et il a le réflexe de proposer aux cerfs et aux lions reste ensemble pour s'entrainer, afin que tout le monde veillent les uns sur les autres par exemple. Je voie aussi leur culture relativement proches, notamment avec les histoires des Braves et les retombées encore visible de leur sorcellerie encore visibles qui ne sont pas présente à Adrestia.
=> pour les aigles de Jais, c'est plus compliqué : l'Empire est assez mal vu par les autres pays étant donné qu'Ionius n'a jamais caché qu'il pense que l'Empire d'Adrestia devrait encore recouvrir tout le continent, ce qu'évidemment, les autres nations n'apprécient guère. Ils ont également une culture assez différente, plus centrée sur les Saints étant donné qu'ils sont liés à leur noblesse, et le nationalisme imprègne toute la société et quasi tout le monde sauf rares exceptions. Les auteurs du nord et de l'est sont par exemple très censuré par le comte Varley (vu qu'il est en charge de l'église, je suppose qu'il est également chargé de contrôler les bonnes moeurs et la censure qui va avec), et complètement réécrit pour correspondre aux "gouts" adrestians. C'est très difficile même pour les nobles de se procurer les originaux tellement le contrôle est strict. Les histoires des Braves sont d'ailleurs complètement tordues pour les transformer en de sauvages barbares juste bon à être civilisés par les Saints, ces derniers étant tous adrestians évidemment (des inspirations du racisme et du colonialisme du XIXe siècle ? Et de Charlemagne qui va porter la bonne parole à ces sauvages de Saxons ? Absolument !). C'est notamment le cas de leurs opéras qui mettent en scène des versions massacrées de ces histoires pour flatter l'égo et le nationalisme ambiants (une troupe adrestian qui se produit hors de l'Empire et joue ces histoires a de grandes chances de finir chasser de la ville, pour avoir osé trainer le Brave du coin dans la boue)
=> Dorothéa est particulièrement touché par le nationalisme, étant donné qu'elle a joué dans énormément d'opéras et elle est très touché par la propagande. Elle est notamment persuadée que les Braves étaient tous des sauvages, incapable de s'occuper d'eux-mêmes et de leur peuple correctement car ce sont des sauvages, que seuls les Saints ont pu dompter, souvent de manière humiliante histoire de bien enfoncer le clou (ex : elle pense que pour "civiliser" Gautier qui avait la capacité de se transformer en animal, il a fallu que Saint Macuil le dresse littéralement comme un chien et en utilisant des sorts éblouissants pour lui faire peur, afin qu'il acquière ce qui deviendra sa vertu qu'est la compréhension [car dans la vraie histoire, Gautier était un aveugle qui savait se transformer en animal mais, ce servait de sa langue bien pendue pour parler avec tout le monde et toute chose afin de trouver des solutions pacifiques à des problèmes, tout le contraire de sa famille actuelle qui suit déjà une histoire très déformée de lui qui a effacé son pacifisme et sa cécité], le tout en le déshumanisant complètement). Ajoutez à cela deux de ses soutiens que je voie vraiment comme du harcèlement (Ingrid et Félix, surtout au début pour ce dernier) et un qui me met assez mal à l'aise (Petra a 15 ans bordel ! Et elle ne comprend pas tout ce que raconte Dorothéa ! Dorothéa qui a 18 ans et de l'expérience dans les relations amoureuses ! Ne te jette pas dessus dès votre premier soutien !) donc, j'ai pas envie d'être gentille avec elle (ne vous étonnez pas si elle finit en méchante dans bye!) alors, elle a plus un rôle de nuisance et de simili-antagoniste dans cette partie avant l'ellipse. Elle va notamment harcelé Félix (car épouser un futur duc, c'est le jackpot pour elle) et Ingrid (car elle la trouve très belle, même si elle est fauchée, et qu'elle lui résiste) mais, elle va arrêté en découvrant la marque d'écaille dans le dos de Félix qui la montre exprès pour qu'elle lui fiche la paix, surtout que pour des personnes qui connaissent vraiment les histoires des Braves, ce n'est pas si étonnant (tous les généraux de la Guerre du Lion et de l'Aigle auraient eu des difformités similaires). Cependant, quand elle le découvre, elle se met à avoir peur des faerghiens et des leicesters car, elle les voie comme des sauvages pour ne pas en avoir peur, alors qu'elle claque des dents de terreur à cette difformité en trouvant que ce sont des barbares à cause de ça. C'est pour ça qu'elle garde une distance de sécurité avec eux lors des recherches avec Flayn.
=> cependant, c'est la seule à penser comme ça dans sa classe (Edelgard et Hubert mise à part qui évidemment, voie toute nation non-adrestienne comme inférieure et barbare au sens XIXe du terme). Petra reste très souvent avec les cerfs car elle s'entend bien avec Claude et Ignatz, Ferdinand squatte les cours d'Hanneman et de Manuela pour compenser la faiblesse des cours théoriques de Byleth qui est une vraie ignare dans cette version ne sachant que se battre (et j'avoue que j'aimerais bien un petit soutien entre Ferdinand et Ingrid qui commence avec leur passion des chevaux et qui finit sur leur responsabilité vis à vis des autres, ça ferait un couple platonique ou amoureux plutôt mignon à mon avis !), Linhardt connait les histoires des Braves car il étudie les emblèmes, et comme il les a racontées à Caspar, aucun des deux n'est choqué en apprenant pour les marques / difformités qu'ils laissent (et Linhardt sèche sans vergogne vu que les cours de Byleth sont truffés de faute et fait les leçons à Caspar et Bernadetta avec Ferdinand => note : trouvé l'occasion de faire un chapitre où on voie les aigles se débrouiller comme ils peuvent pour rattraper les cours malgré tout), et si Bernadetta a peur, elle est tout de même curieuse car, les "vraies" histoires des Braves sont bien meilleur que la version nationaliste. L'ambiance reste donc relativement bonne.
=> dans cette histoire, Félix aime beaucoup l'eau et nager, comme son ancêtre à qui il ressemble beaucoup. Un de ses passe-temps d'enfance était de plonger dans le lac Egua pour récupérer tout ce qu'il trouvait au fond (ce qui va du tesson de poterie au collier de perle en passant par divers objets en métal) et cela lui a permis de devenir un excellent nageur avec une très bonne capacité d'apnée. Cependant, à la mort de Glenn, en plus de rejeter son père pour s'éloigner le plus de lui, il se met à copier son grand frère, même des choses qui rendait Glenn fier de lui car, il veut lui ressembler et le surpasser (ex, même si ça ne dure pas, il essaye de manier ses armes comme un droitier alors qu'il est gaucher et a toujours appris à manier ses armes à gauche). C'est notamment le cas avec son amour de l'eau et de la nage étant donné que Glenn n'aimait pas nager et le faisait assez mal. Même si au fond de lui, il adore toujours l'eau, il voie à présent tout ça comme une perte de temps et ses chasses au trésor comme un jeu d'enfant stupide. ça va lui manquer et il replongera de temps en temps - surtout quand son père lui manque et qu'il cherche inconsciemment une excuse pour lui parler - mais après la rébellion réprimée avec Dimitri, il l'abandonne presque complètement et ne retourne sous l'eau que pour ne pas perdre son souffle.
=> toujours Félix, la dague qu'il garde avec lui pour l'autodéfense est celle de ses objets perdus, et c'est Rodrigue qui lui a offert. Dans cet univers, Félix et les jumeaux sont nés le même jour alors, ils passent toujours leur anniversaire ensemble, même si Félix fuit son père (il reste juste pour son oncle même s'il est aussi plus en froid avec lui qu'avant). Pour la deuxième année après Duscur, Rodrigue lui offre cette dague qui ressemble à une griffe de chat (d'où son nom) après être arriver in extremis à l'heure dès qu'il a pu rentrer chez lui. Félix ne l'avoue pas mais, il attendait aussi que son père rentre à la maison (même s'il prétend que c'est parce qu'il s'en fiche, ce à quoi Alix ne croit pas du tout vu qu'il a passé sa journée posté à la fenêtre d'où on voie arriver les gens de Fhirdiad). C'est un peu un moment d'accalmie qui aurait pu permettre à leur relation de s'améliorer un peu... s'il n'y avait pas eu la rébellion pour tout ficher en l'air évidemment. Félix déteste encore plus son père quand celui-ci nie qu'il sait que Félix dit la vérité quand il déclare avoir vu Dimitri déchiqueté des gens pour en faire des Glenn du camp d'en face - c'est d'ailleurs le moment où il le frappe -, et fait encore plus tout pour se différencier de son père et se rapprocher de Glenn (car il sait que son grand frère envoyait Lambert sur les roses quand il faisait trop d'âneries, le tout en niant que les jumeaux aussi le faisait mais, de manière plus subtil). Cependant, il ne s'est jamais séparé de cette dague et la garde toujours sur lui, même quand il nage car elle ne rouille pas. Il prétend que c'est parce que c'est sa meilleure arme de poing mais, c'est surtout qu'il ne veut pas se séparer d'elle car, c'est aussi un peu la dernière et seule fois depuis la tragédie et qu'il se soit séparé de son père que leur famille était réunie à peu près normalement et qu'il voudrait au fond de lui-même que ce soit à nouveau le cas - même s'il ne se l'avouera pas avant un moment.
=> le fait que Rodrigue et Félix détournent les yeux quand ils nient quelque chose a été instauré avant (Félix a surtout des tics de son père)
Bon ! C'était long (comme toujours) mais, je crois qu'il y a tout ! Sinon, n'hésitez pas à demander si quelque chose est incompréhensible, je le rajouterais à la la liste des éléments de contexte ! Bonne lecture !
(suite sous la coupe)
***************Chapitre 7****************
Les mauvaises nouvelles s’enchainaient cette année… à peine Lonato et Miklan vaincus que Flayn disparaissait à son tour. Dimitri ne pouvait même pas imaginé l’inquiétude de Seteth, l’homme était plus fébrile et inquiet que jamais, imaginant sans peine que le pire devait arriver.
« Nous devons aider à la retrouver, souffla-t-il à ses camarades de classes. Je sais que cette mission a été confié aux Aigles de Jais et que Byleth a refusé notre aide mais, nous ne pouvons pas rester les bras croisés.
– On est bien d’accord chers voisins !
Claude, suivit de tous les cerfs d’or et des loups de cendre, venait d’entrer dans leur salle de classe, des carnets et des crayons dans les mains, ainsi qu’avec un grand rouleau de parchemin sous le bras pour Claude et le tableau de leur classe sur les bras pour Raphaël. S’avançant d’un pas déterminé, il salua avec énergie l’ensemble des faerghiens en ajoutant avec un clin d’œil.
– Vous avez été jetés par Byleth vous aussi ? Bienvenue dans notre guilde ! Nous leur avons aussi proposé nos services mais, ils les ont refusés !
– Donc, vous venez nous interroger pour faire votre enquête de votre côté, devina Sylvain.
– On espère plutôt enquêter avec vous, rétorqua Lysithéa. Opérer chacun dans notre coin serait contre-productif, on va faire que passer les uns après les autres.
– Alors que tout ensemble, on sera beaucoup plus costaud pour retrouver Flayn ! Ajouta Raphaël.
– Ils n’ont pas tort, on sera beaucoup plus efficace en enquêtant tous ensemble, les soutiens Annette.
– Je le pense aussi. Tout le monde est d’accord ? Dimitri continua en voyant aucune protestation. Bien, donc, travaillons ensemble.
– Parfait ! On va pouvoir avancer ! On a déjà une carte du monastère et une liste de personne à interroger ! S’exclama Léonie, alors que le géant blond posait le tableau à côté d’eux, révélant toute une liste de nom, de trait, d’information et de remarque écrite dans tous les sens.
– Personnellement, je pense qu’elle a fait une fugue à cause de Seteth, intervient Hilda, en tirant tout de même le tableau des lions de saphir à côté du leur, afin de pouvoir aussi le noircir au fur et à mesure de leur enquête. Je sais que c’est d’avoir un frère ultra-protecteur et au bout d’un moment, vous voulez juste de l’air, c’est normal.
– Ce n’est pas vraiment le genre de Flayn de faire une fugue, lui fit remarquer Ingrid. Ce n’est pas vraiment son genre de laisser son frère se faire un sang d’encre. Qui avez-vous sur cette liste de personnes ?
– Nous avons listé toutes les personnes vivant ou restant la majorité du temps au monastère, puis nous les avons triées en fonction de leur… disons « curiosité » envers Flayn et leur attitude en général, leur exposa Lorenz en posant également une pile de feuillets, tous ornés d’un portrait réalisé à grand trait par Ignatz, juste assez précis pour reconnaitre la personne à qui il était dédié. Ce ne sont que des ébauches mais, avec votre aide, nous pensons pouvoir arriver à un résultat relativement complet.
– Et bien, vous n’avez pas chômé ! Vous y êtes depuis quand ? Les questionna Ashe en voyant tout ce qu’ils avaient déjà collecté.
– Nous tous ne travaillons dessus que depuis hier mais, Claude a commencé son enquête depuis l’annonce de sa disparition, les informa Ignatz. C’est lui qui a rédigé le brouillon des fiches que nous n’avons eu qu’à compléter. Et les loups de cendre ont déjà fouillés toute l’Abysses et trouver les cartes.
– Dès que nous avons entendu parler de la disparition de Flayn, nous avons passé l’Abysses au peigne fin pour tenter de la retrouver, leur apprit Yuri. C’est un endroit parfait pour se cacher mais, nous n’avons rien trouvé.
– Pendant nos recherches, nous sommes tombés sur des cartes indiquant plusieurs passages secrets, et nous avons rajouté ceux que nous connaissons ou avons creusé nous-même, ajouta Constance en s’appuyant sur l’épaule d’Hapi, épuisée au soleil, son amie continuant.
– C’est Cloclo qui est venu nous trouver pour avoir des informations. Il nous a étonné quand il a dit qu’ils ne nous soupçonnaient pas en premier. D’habitude, c’est sur nous que ça tombe.
– T’as vu ce qui traine dans l’Abysse Hapi ? C’est pas étonnant ! En tout cas, tous les gars du boss quadrillent les souterrains pour trouver des informations ! Et inquiet pour la petite demoiselle monsieur l’héritier Riegan ? Autant qu’Hapi ? Glissa Balthus.
– Elle doit être terrifiée Balthus, c’est pas le moment. Je sais ce que ça fait ce genre de situation. Je veux juste qu’on la retrouve en entier.
– Disons que je trouve tout ceci étrange. Il s’agirait d’un enlèvement classique, nous aurions déjà reçu une demande de rançon. C’est pour cela que je me suis mis à fouiner un peu avant l’ordre officiel. Et pour mettre mes brouillons en ordre et lisible, c’est toi et Marianne qu’il faut féliciter Ignatz. Mais ce n’est pas le sujet. Nous aimerions avoir votre point de vue sur nos fiches. La seule qui est à peu près complète, c’est celle de Tomas à cause de son lien avec la famille de Lysithéa…
Ils leur lurent leurs fiches, apportant des précisions et rectifications à chaque fiche. Ils refirent ensuite la liste des personnes à interroger en premier : Jeritza resta numéro un des personnes à trouver et interroger, tous le trouvant assez suspect et plus nerveux que d’habitude, puis vient Tomas qui posait beaucoup de question sur tout le monde, puis Hanneman, plus parce qu’il s’intéressait à son emblème que vraiment comme suspect… et ainsi de suite jusqu’à Manuela et Alois, qui n’avait aucun intérêt à s’en prendre à Flayn, qui se retrouvèrent en dernières positions. Gilbert aussi termina en bas de cette liste, une fois qu’Annette et Dimitri aient éclaircit les choses au sujet de ce dernier. Ingrid se méfiait de lui à cause de son attitude envers la petite magicienne rousse.
Après avoir bien reconstitué les évènements, ils notèrent tous les cas de figure envisageables, même les plus improbables ou pessimistes. Alors qu’ils établissaient la liste de question à poser, ils rajoutèrent aussi de mentionner l’incident similaire de l’année dernière que leur avait rappelé Ashe, ainsi que des questions sur les rumeurs de Chevalier Macabre. Ils ne devaient écarter aucune piste.
Une fois tout ceci fait, ils étalèrent la carte du monastère sur les bureaux rassemblés et découpèrent des zones où chacun enquêterait.
« Restons toujours deux par deux, proposa Dimitri. Ce sera plus prudent que d’être seul, même si cela réduit notre zone de recherche.
– Je pense que le petit prince a raison, le soutient Yuri. J’ajouterais qu’il faudrait des duos complémentaires. Un combattant à l’arme blanche et un magicien. Ce genre de tandem couvre à peu près toutes les situations.
– Par contre, pour nous quatre, va falloir qu’on reste dans l’Abysses, on la connait mieux que personne ! Ajouta Balthus.
– Et on risque de se faire défoncer à la surface et accuser d’être derrière tout ça, marmonna Hapi.
– Je le pense également. Par contre, les paires devraient être composé d’un cerf d’or et d’un lion de saphir. Vos deux classes ont des approches très différentes, cela permettrait d’avoir deux points de vue divergents sur les réponses collecter.
– Cela semble raisonnable et bonne idée Constance, approuva son chef.
– La professeur Manuela garde toujours une réserve importante de concoctions dans notre classe. Nous avons aussi fait des petites sacoches contenant de quoi appliquer les premiers secours, et ce sans avoir recours à la magie, leur apprit Lorenz.
– Elle ne nous en voudra pas si nous nous servons, ajouta Claude.
– Mieux vaut prendre ces nécessaires aussi, intervient Annette avant d’argumenter. Nous pouvons tomber sur des adeptes de « Silence » ou des monstres qui suppriment la magie. Et il faut souvent ajouter des soins médicaux après avoir appliqué de la magie de foi sur des blessures graves.
– C’est vrai et dans de telles circonstances, ce serait inconscient de ne pas bien se préparer, leur accorda Mercedes.
– Disons deux concoctions par duo, ainsi qu’une sacoche, cela devrait suffire à pallier des blessures légères, proposa Sylvain.
– D’accord mais, si vous tomber sur de trop gros ennui, enfuyez-vous à toutes jambes et aller chercher des renforts. Ne sautez pas à pied joint dans les ennuis et la mort.
– Je n’arrive pas à croire que c’est Claude qui nous dit de ne pas aller au-devant des ennuis, se moqua légèrement Hilda.
– Je suis toujours sérieux dans ce genre d’histoire, rétorqua-t-il.
– Nous devrions prendre des olifants pour sonner l’alarme, au cas où nous rencontrions des ennemis, proposa à son tour Dedue.
– Et des armes bien affutés, et qui permettent de se battre dans des endroits confinés, poursuivit Félix. Ils ne l’ont surement pas enfermée en plein air.
– Bonne idée, déclara Dimitri en hochant la tête. Et un olifant différent par groupe histoire qu’on sache qui a des ennuis. Maintenant, formons les duos et répartissons-nous… »
Ils se répartirent alors ainsi :
Dimitri et Marianne à la cathédrale.
Dedue et Lysithéa aux serres, étang et autour du réfectoire en général.
Ashe et Ignatz au marché.
Claude et Félix aux terrain d’entrainement.
Raphaël et Mercedes aux écuries.
Hilda et Annette à l’étage et à la bibliothèque.
Enfin, Ingrid, Lorenz, Léonie et Sylvain s’occuperaient d’inspecter les pourtours du monastère à cheval. Ils reçurent l’olifant le plus puissant pour être facilement repérer et si un duo les entendait, ils devaient lui-même doublé leur appel par une série de sonnerie brève.
Une fois tout ceci mis en place, il était onze heures et demie alors, ils allèrent manger en vitesse au réfectoire. Tous avalèrent leur repas en quelques minutes pour vite aller enquêter mais, ils prirent juste cinq minutes afin d’aller à la rencontre des Aigles de Jais pour connaitre leurs premières découvertes. Si Byleth, Edelgard et Hubert refusèrent de les informer des résultats de leur enquête, les autres furent bien plus bavard. Linhardt notamment apprit que l’emblème de Flayn était le majeur de Cethleann, un emblème extrêmement rare. Il pourrait intéresser Hanneman, même si Seteth lui interdisait de l’examiner. Cela ajoutait des arguments en faveur de la théorie de l'enlèvement pour son emblème comme mobile, comme des années auparavant... Ils ajoutèrent Shamir à la liste des personnes à interroger rapidement, après que Petra ai fait remarquer qu’elle était plus semblable aux guerriers de Brigid qu’à une chevalière de Seiros. Elle se demandait ce qu’elle avait fait avant d’arriver au monastère alors, elle décida de suivre Ashe et Ignatz au marché pour l’interroger.
« Vous avez bien plus avancé que nous, leur confia Ferdinand en regardant leurs fiches et leur plan d’opération. Nous, nous cherchons de manière bien plus désorganisée… puis-je me joindre à vous ? Je pense que ce serait plus efficace si nous nous regroupons tous et que nous suivons votre plan, même si Byleth n’est pas d’accord.
– Il pourrait rejoindre notre ronde à l’extérieur ? Proposa Léonie. Une paire d’yeux en plus, ça ne serait pas de refus.
– C’est vrai que nous devons être nombreux pour pouvoir tout couvrir, et plus on sera, moins on risque de se faire balayer si on tombe sur les ravisseurs de Flayn, argumenta Sylvain.
– Je me porte garant pour lui, intervient Lorenz. C’est un combattant capable et quelqu’un de très sérieux. Nous avons pu tous le constater lors des entrainements collectifs.
– Bien sûr, on a besoin de bras, d’yeux et de tête dans cette histoire, accepta sans problème Claude, avant de regarder Dimitri qui acquiesça légèrement de la tête, Ferdinand ne lui avait donné aucune raison de se méfier de lui. Bien ! T’es affecté à la patrouille externe alors !
Ferdinand les remercia en leur assurant qu’ils allaient la retrouver, quand Dorothéa entra en s’exclamant, l’air un peu inquiète.
– Personne n’a vu Manuela ?! Je la cherche depuis ce matin…
Elle s’arrêta et fit un pas en arrière en voyant les lions et les cerfs agglutinés autour de la table de sa classe, jetant un regard dégouté à Félix et Sylvain. Ce dernier lui rendit avec un sourire dévoilant un de ses crocs et un clin d’œil provocateur, alors que l’épéiste ne cacha pas sa satisfaction. Sa marque la faisait fuir et c’était tout ce qu’il demandait. Cela la faisait même fuir toute personne de leur classe cette histoire mais… vu comment elle se comportait avec eux, c’était peut-être pour le mieux…
– Manuela ? Répéta Hilda. Huuummm… c’est vrai qu’on ne l’a pas vu aujourd’hui mais bon, vu qu’on est dimanche, elle doit être en train de boire quelque part la connaissant…
– Ne me parle pas… lui interdit-elle, la dévisageant comme si elle allait se changer en être difforme, ou en une personne de son passé comme l’aurait fait la Brave Goneril, avant de souffler. Monstre… vous êtes tous des enfants de monstres…
– Oui, merci, on sait, tu nous l’as dit dix fois chacun, change de chanson, grogna Lysithéa. On a autre chose à faire de plus urgent. D’ailleurs, si Manuela n’est pas là, il faut quelqu’un pour la remplacer. Qui est de garde à l’infirmerie ?
– Moi… whoouuaa… ! Bailla Linhardt. Enfin, je pourrais en profiter pour lire un peu plus sur les emblèmes et sur celle de Flayn si vous voulez.
– Bien sûr ! Toutes les informations sont bonnes à prendre ! S’exclama Annette.
– Je vous aide aussi ! On va aussi fouiller dans le monastère ! Vient Bernadetta ! S’exclama-t-il en se tournant vers sa camarade. Je te prends sur mes épaules comme ça, on verra de plus loin !
– Quoi ?! Tu veux recommencer ?! Je t’ai déjà dit que je n’aimais pas ! S’exclama l’archère à cheval avant d’ajouter. Enfin, je veux bien essayer pour aider à retrouver Flayn…
– Bien ! On part tout de suite ! S’exclama le combattant en mêlée en la prenant tout de suite sur ses épaules pour filer.
– Eh ! Prévient Caspar ! Paniqua-t-elle en s’agitant sur ses épaules mais, son camarade tient bon en ajoutant.
– Pas le temps ! On a Flayn à retrouver et des vauriens à punir ! Ils ne perdent rien pour attendre ! Pardon Dorothéa ! S’excusa-t-il en l’esquivant de peu dans sa course folle.
– Tu veux aidez-nous ? La question Petra, finissant d’avaler son repas pour se joindre à leur enquête.
– Non… moins je m’approche de ces monstres, mieux je me porte ! Je continue à chercher avec Byleth et Edie… souffla-t-elle sans leur épargner un regard dégouté. Ce sera de toute façon toujours plus efficace que de suivre les idées de ces sauvages… »
Elle fila alors vers leur table en gardant une bonne distance de sécurité, ayant presque l’air de vomir si elle s’approchait trop d’eux… c’était peut-être mieux qu’elle ne soit pas venue en fait…
Les lions, les cerfs et les deux aigles retournèrent alors à leur enquête, retournant tout le monastère, avec Caspar et Bernadetta qui servait de messager entre les différents groupes pendant leur ronde rapide. Ils ratissèrent tout Garreg Mach au peigne fin, cherchèrent le moindre indice et interrogèrent tous les élèves, les professeurs, les simples passants… tout le monde et inscrivirent religieusement toutes les réponses et impressions. Ils recueillirent aussi tout ce qui pouvait être un indice, notant encore où et comment ils l’avaient trouvé.
Une fois leur zone passée au peigne fin, chaque groupe retourna dans la salle de classe des faerghiens où toutes leurs notes étaient restées, et les complétèrent avec ce qu’ils venaient d’apprendre. Ils durent même aller piquer le tableau des Aigles de Jais et celui dans l’Abysse pour tout mettre au clair et reconstituer les évènements. Il ne manquait plus que le groupe des cavaliers quand Claude s’exclama sans les attendre, comme prévu. Leur secteur à couvrir était bien plus grand alors, même à cheval et à cinq, ils mettraient plus de temps à revenir.
« Bon ! Résumons toutes nos découvertes ! Histoire de bien tout poser sur la table.
– Je suis d’accord, ce sera plus clair… admit Dimitri en amenant le tableau des aigles dans leur classe, encore relativement vierge. Vous avez pu parler à Jéritza ?
– Introuvable. Catherine était sur le terrain d’entrainement et elle ne l’a pas vu de la journée, marmonna Félix.
– Quand elle a su qu’il sortait toutes les nuits, elle est allée informer les chevaliers de Seiros, ajouta le chef des Cerfs d’Or.
– Pour Tomas, poursuivit Hilda, il a dit que s’il posait beaucoup de questions sur Flayn, c’est qu’en quarante ans de service à Garreg Mach, il n’avait découvert son existence que l’année dernière. C’est pour ça qu’il posait beaucoup de question sur elle.
– C’est vrai que personne ne savait même qu’il avait de la famille celui-là quand j’étais à l’académie avec Holst, intervient Balthus. Je l’ai appris comme tout le monde quand elle a débarqué. Enfin, la collecte d’info, c’est plus le truc de Yuri. Moi, je cogne.
– C’est étrange qu’il n’ait jamais parlé de sa sœur à qui que ce soit à l’Académie alors qu’il est là depuis dix-huit ans, marmonna Annette. Après, Dame Rhéa a l’air de bien la connaitre, elle la considère même comme sa sœur alors, peut-être qu’elle le savait depuis longtemps…
– C’est… c’est possible qu’il n’ait pas parlé d’elle à cause de son emblème justement ? Intervient Marianne.
– Hanneman a dit que son emblème majeur de Sainte Cethealeann est super rare, même si elle n’est pas toute seule à en avoir un, déclara Raphaël.
– Selon lui, celui de Seteth semble plus intéressant car, c’est le seul de l’histoire depuis Saint Cichol lui-même a en avoir un majeur, ajouta Mercedes.
– Il serait possible que les ravisseurs aient enlevé Flayn pour avoir un moyen de pression sur lui, proposa Constance. Sa liberté contre celle de sa sœur, cela semble être un marché intéressant pour un frère prêt à la cacher au monde entier pour la protéger.
– Oui, murmura Ashe avec inquiétude. Avec toutes ses rumeurs de Chevalier Macabre, Seteth doit être mort d’inquiétude pour elle…
– Même dans l’Abysses, il y a des rumeurs de chevalier macabre, compléta Hapi. Ils ont aussi vu quelqu’un qui ressemble à Tomas passé mais, c’est possible que ce soit pour trouver des livres retirés de la bibliothèque il y a un moment.
– Hum… pas faux… à noter, marmonna Claude en blanchissant le tableau à la craie.
– Nous sommes allé voir Shamir aussi, elle tournait au marché, poursuivit Petra, resté avec eux. Si elle semble différente, c’est qu’elle n’est pas à Fodlan mais, à Dagda. C’est pour ça qu’elle est différente des autres et qu’elle me rappelait Brigid. Il y a souvent des bateaux dagdiens là-bas. Elle dit aussi qu’elle n’a rien à voir avec l’enlèvement de Flayn.
–Les commerçants aussi ne l’ont pas vue depuis un moment, même si elle vient souvent au marché. Par contre, ils ont noté qu’il avait vu un drôle d’homme avec un masque rôder dans les parages quand elle était là, leur apprit Ignatz. J’ai pensé au Chevalier Macabre mais, ils ont plutôt décrit Jéritza.
– Vous leur avez montré son portrait ? Le questionna Dimitri.
– Je leur en ai fait un rapidement et oui, c’était bien lui, confirma l’artiste.
– D’ailleurs, intervient Annette, on a croisé le Capitaine Jeralt pendant que nous fouillions l’étage, et il nous a aussi dit qu’il avait croisé Manuela avec le masque de Jéritza dans les mains.
– Encore lui… je crois qu’on a notre suspect numéro un et une témoin de première importance, songea Claude.
– Finissons notre tour de table des suspects et ensuite, on reviendra sur Jéritza et Manuela une fois qu’on aura parlé de tout le monde, proposa Lysithéa. On a vu Alois et il a dit que même si Flayn lui criait dessus, ce n’est pas la seule à le faire car, elle trouvait ses blagues idiotes. C’est vrai que si tous ceux qui lui disait disparaissaient, le monastère serait complètement vide…
– Il nous a aussi informé qu’il la cherchait dans l’étang, déclara Dedue. Elle y va souvent alors, il craignait qu’elle soit tombée, même s’il n’a pas osé l’inspecter. Nous avons vérifié, il n’y avait personne au fond.
– Et de votre côté dans la cathédrale ? Demanda Claude.
– Personne n’a rien vu. Flayn vient souvent mais, ils ne l’ont pas vu depuis quelques jours, répondit Dimitri. Ils n’ont pas vu non plus qui que ce soit la suivre mais, cela pourrait venir du fait que la cathédrale est très fréquentée, c’est facile de se mêler à la foule.
– Elle… elle priait Sothis pour… pour que la paix perdure, ajouta timidement Marianne.
– Ils ont aussi parlé des souterrains du monastère qui pourrait la cacher. Vous avez trouvé quelque chose de nouveau ? Demanda le prince en se tournant vers les Loups de Cendre.
– Rien du tout pour le moment mais, les galeries de l’Abysses sont vastes, nuança Constance. Yuri est resté en bas au cas où de nouvelles informations lui parviendraient…
Elle s’interrompit en entendant la porte s’ouvrir sur Hanneman, des livres sous le bras. Ses yeux s’exorbitèrent en découvrant la foule et le désordre organisé dans sa salle de classe, composé de grands tas de feuilles volantes ou piqué avec tout ce qui leur tombait sous la main, d’objets ramassés et classés ainsi que de tableaux tous complètement recouvert de la petite écriture de Claude, à part celui de récapitulation générale d’avant enquête, écrit par Hilda pour que cela soit plus lisible.
– Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ici ? Vous avez aussi fouillé dans tout Garreg Mach toute la journée ! Dimitri ! Claude ! Pouvez-vous m’expliquer ce que vous faites ?
– Ah ! Professeur ! Vous tombez à pic, on est en plein débat ! S’exclama le chef des cerfs d’or.
– Nous enquêtons aussi sur ce qui est arrivé à Flayn de notre côté, compléta son homologue des Lions de Saphir, nous nous inquiétons beaucoup pour elle. Veuillez nous excuser pour ce désordre, nous rangerons tout quand nous l’aurons retrouvée.
– D’accord, je comprends pourquoi vous avez retourné tout le monastère. J’espère que vous avez eu plus de succès que Byleth et les aigles de Jais, ils sont pratiquement au point mort.
– Et bien, nous avons un suspect principal et surement un témoin de poids… commença Dimitri.
Ils lui résumèrent les résultats de leur enquête, allant au plus important pour ne pas perdre trop de temps, jusqu’à ce que leur professeur finisse par marmonner, pensif.
– En effet, le comportement de Jéritza est extrêmement suspect, et connaissant Manuela, si elle a vu quelque chose, elle a foncé sans réfléchir au danger. Vous êtes allés dans le quartier des enseignants pour voir s’ils étaient là ?
– Non, nous avons besoin de l’autorisation d’un professeur pour nous y rendre, lui rappela Lysithéa.
– Oh professeur ! Il faut que vous nous la donniez ! S’exclama Annette. Chaque minute compte !
– Évidemment, je vous l’écris tout de suite et je vous accompagne !
Ils sortaient avec Hanneman, seul Ashe restant en arrière pour attendre le retour de Sylvain et Léonie, quand Bernadetta arriva en hurlant avec Caspar derrière elle, même si la voix du porteur de hache couvrit la sienne.
« Hé ! Venez vite ! On a entendu un cri de femme qui venait de chez le professeur Jéritza ! »
– Encore lui… dépêchons-nous ! S’exclama Dimitri.
Les trois classes se précipitèrent vers le bâtiment des enseignants, la peur au ventre, rejoint par Catherine et Shamir, attirés par le tapage qu’ils provoquaient. Un cor de chasse très puissant se fit alors entendre, celui d’Ingrid, Ferdinand, Lorenz, Sylvain et Léonie, venant surement de pile sous les remparts de leur position. Ils avaient pris celui-ci pour se faire passer pour des chasseurs et éviter de se faire trop repérer s’il voyait quelque chose de suspect. La sonnerie fut en continue, sans interruption et puissante, comme si elle ne devait surtout pas s’arrêter de se faire entendre. Ils virent alors un pégase s’envoler au-dessus des remparts, faire éclater un peu de magie très voyante, puis fondre à nouveau derrière les hauts murs.
« Ils ont des problèmes, s’inquiéta tout de suite Mercedes. C’est le code pour le cas où ils tomberaient sur des personnes hostiles !
– Bon. Que tous ceux qui ont des montures viennent avec moi ! Ceux en montures aériennes les premiers ! On va les rejoindre par la voie des airs ! Décida Claude, alors qu’Ashe arrivait en courant vers eux, alerté par le cor. On sera plus rapide !
– Bien ! Dimitri, va en renfort avec les Chevaliers de Seiros ! Ordonna Hanneman.
– Je sonne le rassemblement tout de suite ! S’écria Catherine. Qui sait sur quoi ils ont pu tomber !
– D’accord ! Edelgard, nous te confions la suite de l’enquête ! S’exclama le prince en filant en courant.
– Bien. Bonne chance », leur souhaita-t-elle d’un ton qui s’efforçait de rester aussi calme que Byleth.
Le groupe se scinda donc en deux. Claude, Dimitri, Bernadetta, Petra, Ashe, Marianne, Hapi, Constance et Shamir foncèrent vers les écuries. Ils ne prirent même pas le temps de mettre des selles, montant à cru pour aller plus vite, rejoint par Cyril également alerté par la sonnerie des quatre cavaliers roux.
Les troupes montées aériennes filèrent en quatrième vitesse au pied des murailles, guidé par Claude, découvrant Ingrid, Ferdinand, Lorenz, Léonie et Sylvain en train de batailler contre un groupe de mages noirs, leur face recouverte d’un grand masque de médecin de la peste. Le chef des cerfs pensa aux récits de missions que leur avait raconté Petra, du magicien avec un bec d’oiseau aidant Lonato et créant du brouillard… il faudrait qu’ils en attrapent quelques-uns pour les interroger…
Mais ça, se serait pour plus tard.
Pour le moment, l’archer monté attrapa plutôt une de ses flèches et la tira en plein dans le mille sur un des mages qui tentait d’attaquer Léonie dans le dos.
La bataille tourna court quand le reste de leurs camarades et les chevaliers de Seiros arrivèrent, bien assez nombreux pour tous les battre facilement. Ils en capturèrent plusieurs pour les interroger plus tard, les ligotant tous aux arbres de la forêt environnante. Les élèves vérifièrent bien qu’ils n’avaient pas de petits sacs de poison caché dans la bouche, pendant que les chevaliers de Seiros les plus expérimentés s’engouffraient dans la galerie d’où ces hommes en noirs étaient sortis, Alois et Catherine menant la charge.
« Je ne la connaissais pas cette galerie-là, confessa Hapi en finissant de prendre un sachet de poison à un mage noir. Elle a l’air récente. Yuri ne doit pas la connaitre non plus s’il n’a pas cherché là.
– Récente comment ? La questionna Claude.
– Surement avant notre arrivée et la création de l’Abysses, mais pas plus de dix ans à première vue, marmonna Constance, affaiblie par le Soleil, le ciel s’était découvert dans l’après-midi. Peut-être trois quatre ans, peut-être. Si nous avions su…
– Vous ne pouviez pas connaitre tous les recoins de Garreg Mach, lui assura doucement Dimitri en lui tendant sa cape, afin de se couvrir la tête et être un peu épargné par les rayons. Vous avez déjà fait un travail exceptionnel.
– J’espère…
– Attend Coco, je t’attache ça… »
Hapi noua la cape en une sorte de croisement entre un voile de religieuse et une sorte de turban, la protégeant un peu du Soleil le temps qu’elle rentre dans l’Abysse. Elles restèrent toutes les deux à l’ombre des arbres de la forêt avec leur monture, surveillant les alentours en cas d’arrivée de renforts ennemis avec les chevaliers de Seiros, jusqu’à ce qu’Alois ressortent avec Ignatz, Annette et Caspar. La jeune fille s’exclama, folle de joie malgré quelques brûlures de magie sur ses mains.
« On a retrouvé Flayn ! Elle est en vie et d’après Mercie et Linhardt, elle a perdu beaucoup de sang mais, elle va survivre !
– La Déesse soit louée ! S’exclama Ferdinand avec un grand sourire. Mais qu’est-ce qui s’est passé de votre côté ? Vous êtes blessés !
– C’est trois fois rien ! On est juste tombé sur le Chevalier Macabre et d’autres raclures donc, on leur a fait leur fête pour sauver Flayn ! S’exclama Caspar. La prof a même devancé tout le monde pour aller péter la gueule du Chevalier Macabre ! Bon, il est arrivé à s’enfuir avec un type bizarre mais, elle était à deux doigts de le capturer !
– C’est vrai qu’elle a failli l’avoir, même si je trouve ça un peu dangereux qu’elle vous ait laissés en arrière comme ça, marmonna le chevalier de Seiros avant d’affirmer avec plus de confiance. Enfin bon, Jeralt fait la même chose ! Elle a dû prévoir tout ça quand elle est allée l’affronter !
– On a également retrouvé une autre fille dans la crypte, ajouta la petite voix du peintre. D’après Hilda, il s’agit de Monica Von Ochs, elle a disparu l’année dernière mais, tout le monde pensait qu’elle avait fait une fugue…
– Ça fait un an qu’elle est enfermée là-bas ?! Couina Bernadetta. Non pas que l’idée d’être enfermé pendant un an me déplaise mais… mais ça devait être terrifiant d’être tout le temps avec des types pareils !
– Elle va bien ? Demanda Ashe, alors que Marianne finissait de bander sa jambe, elle avait cassé sous l’impact d’un sort lors de la bataille.
– Elle a aussi perdu beaucoup de sang mais, elle va s’en sortir aussi, lui assura Annette avec un sourire. Mercie s’occupe d’elle alors, tout ira bien !
– Tant mieux… en plus, on a quelques prisonniers à interroger », Shamir leur montra les mages ennemis ficelés aux arbres. « Je suis sûr qu’ils ont plein de chose très intéressante à nous dire.
– J’espère aussi car, du côté de la crypte, à part le chevalier macabre et cet empereur de Flamme qui se sont enfuis, ils sont tous morts !
– Dommage, il y aurait pu avoir des personnes qui en savaient plus que les petites mains dans le lot… marmonna Claude. Enfin bon, pas le choix quand il faut survivre…
– Le principal, c’est que tout le monde aille bien et ait survécu, ajouta Dimitri avec un sourire soulagé. Rentrons vite pour nous soigner nous-mêmes et prendre des nouvelles de nos camarades. »
Tous acceptèrent et le suivirent, alors que les chevaliers de Seiros emmenaient les mages noirs ennemis. Leur tenue lui rappelait celle des mages de Duscur… des masques de médecin de la peste… « Venges-nous… »… serait-ce possible… serait-ce possible que… « Venge-moi après avoir donné ma vie pour toi… »… cet empereur de Flammes… « ton châtiment pour avoir survécu »…
« N’essaye même pas Ashe. Tu ne peux même pas marcher avec ta jambe dans cet état alors, monter à cru une wyvern, pas la peine d’y penser.
– Je t’assure que je peux tenir Cyril ! S’exclama le lion, même si on l’entendit étouffer un gémissement de douleur. Tout le monde est tellement fatigué ! Et tu es toi-même blessé en plus ! Ton épaule était en sang avant que Marianne te soigne !
– Toi qui me dit tout le temps que je dois me faire aider, marmonna le jeune garçon en serrant le foulard à l’origine à sa ceinture sur son omoplate, afin d’être bien sûr de stopper l’hémorragie. »
Les voix des deux archers le tirèrent de ses réflexions et des supplications des morts, tous deux bien blessés par la bataille. Ce n’était pas rare quand des cavaliers wyvern affrontaient des mages alors, Dimitri se dirigea vers eux pour les aider à se rendre à l’infirmerie. Claude se mit discrètement sur ses talons et lui souffla tout bas, taquin malgré la situation.
« On ne peut pas les laisser seul cinq secondes ces deux-là. »
Le prince eut un petit sourire entendu et surtout inquiet à la remarque, avant qu’ils ne s’arrangent avec les deux amis pour qu’ils puissent rentrer sans aggraver leurs blessures. Ashe finit sur le dos de Dimitri pour ménager sa jambe, Cyril sur la selle de son cheval Gel et Claude se chargeait de rentrer les wyverns. Raphaël avait tendance à dire que Marianne parlait la langue des oiseaux mais, si tel était le cas, c’était sûr que le chef des Cerfs d’Or parlait celle de ces montures ailées. Il arrivait toujours à bien se faire obéir d’elles.
Heureusement, même s’il était assez joueur, Gel restait docile alors, il n’eut pas trop de mal à les emmener tous les deux à l’infirmerie, même si Cyril protestait qu’il n’en avait pas besoin. Heureusement, il y avait suffisamment de moines pour bien vérifier que tout allait bien, comme pour tous leurs compagnons.
Leur donnant un coup de main comme il pouvait, même s’il ne pouvait pas faire de bandage à cause de sa trop grande force de peur de trop serrer, Dimitri passa le restant de sa journée à aider à l’infirmerie, tout comme Claude et les autres élèves. Les blessures étaient en générales assez légères mais, ils devaient se méfier des infections. Félix était celui qui avait les plus grosses blessures, son bouclier ayant encore craqué à force de parer des coups et d’en donner mais, il s’en sortirait sans trop de problème, c’était juste de très grosses coupures selon les moines. Encore heureux…
Cherchant Edelgard du regard pour savoir si elle allait bien, il la vit arriver un peu après tout le monde, accompagné de Byleth, toutes les deux en un seul morceau.
« Merci Déesse… »
Une bonne partie des félicitations revinrent à Byleth et aux aigles de jais, même si Hanneman ne comprit pas vraiment pourquoi vu que leur enquête piétinait.
« C’est un coup de chance s’ils sont allés là-bas… Manuela n’aurait pas crié, elle aurait pu attendre encore longtemps pour qu’ils y aillent, et toutes les classes ont participé… enfin, l’important, c’est que Flayn soit saine et sauve, Monica retrouvée et que personne n’a été trop blessé…
– Oui, c’est le principal. Byleth a mené la bataille dans la crypte après tout, même si toutes nos classes étaient mélangées, », lui assura le jeune prince, trop heureux de voir Seteth retrouvé sa sœur vivante.
Cette fratrie était encore vivante, et c’était le plus important.
***************Chapitre 8 ****************
Quelques jours plus tard, Dimitri sortit le soir pour aller à la bibliothèque, comme souvent, éclairé par la pleine lune bien brillante dans le ciel. Il avait enfin trouvé les registres des donations et voulait vérifier quelque chose à l’intérieur, même s’il n’avait pas pu le faire avec toute l’agitation dans le monastère. Fallait dire, les évènements prenaient une tournure étrange… tous les mages noirs qu’ils avaient arrêtés lors de l’enlèvement de Flayn tombaient comme des mouches, que ce soit leur cœur qui s’arrêtait d’un coup, leur estomac qui rejetait tout ce qu’on leur donnait à manger ou alors, juste la mort qui les frappe au hasard. Les médecins de Garreg Mach avaient bien tenté de les garder en vie mais, il n’y avait rien à faire, la mort semblait tous les faucher. Non pas qu’il ait une quelconque pitié pour eux mais, c’était étrange, surtout que cela tarissait une potentielle source d’information… comme quand ce ravisseur avait… surtout que… ces masques…
« Meurs ! Mourrez tous !
– N’en laissez aucun s’échapper ! »
– Jeune loup ! Glenn ! Fais attention !
Le dernier cri de Nicola avant que son corps ne s’effondre au sol, dans un craquement atroce d’os.
Un homme immense à la peau rougit de flamme et de sang tout comme ces cheveux et ses yeux vides. Un grand habit de plumes. Une main gantée. Une lumière sombre noire et violette. Un rictus tordu. Le sort noir qui part.
– Je te tiens ! Vermine !
Lui incapable d’hurler, les poumons pleins de fumée, de cendre et de braises ardentes, ne pouvant presque plus bouger à cause de ses blessures et de ses brûlures.
– Dimitri ! Attention !
Le bruit des os et de l’armure qui explosent sous l’impact. Un crachat de sang qui macule ses bras levés devant lui, dans une tentative inutile de se défendre du sort. Le corps de Glenn qui s’effondre comme une poupée en bois, son visage tordu dans un dernier gémissement, un crachat de sang et de désespoir qu’il n’avait jamais entendu de sa part.
– Félix… papa… Alix… non… je veux vous…
La mort emporta la fin de sa phase avec son âme.
Un corbeau humanoïde face à lui riait aux éclats en tirant le corps de Glenn pour l’emporter il ne savait où.
Sans réfléchir, la vue brouillée par les larmes, des mots silencieux à cause de sa gorge en feu, Dimitri attrapa un tison ardent à pleines mains et fonça sur l’oiseau de malheur, enfonçant le bois à moitié calciné dans son bec, révélant que c’était un masque, comme ceux des médecins de la peste.
C’était la première fois qu’il avait ainsi du sang sur les mains.
L’orbite et le visage percé sous le masque, le corps qui tombe.
Lui qui tente de tirer Glenn à l’abri, trouver un médecin, un guérisseur, quelqu’un pour le soigner, n’arrivant pas à réaliser qu’il était déjà trop tard, comme pour Nicola dont le corps comme démembré trainait près de Glenn qu’il avait protégé.
Un autre ennemi qui arrive, une épée crépitant de magie dans les mains.
Son père qui intervient, l’attrape, le pousse derrière lui pour se mettre entre eux et l’épéiste, sa lance lui ouvrant la poitrine.
Son père qui le cache entre des rochers avant de retourner se battre.
Son père qui se jeta autour de lui en voyant un sort arriver sur sa cachette.
Le corps de son père qui sent le cramé tout en tentant de le rassurer.
« Je suis désolé… ça va aller… j’aurais dû les… »
Son père qui ne voie pas un autre ennemi arriver avec une hache grouillant de magie.
La tête de son père qui…
« Eh ! Dimitri ! Qu’est-ce que tu fais là à cette heure ?
La voix enjouée de Claude le tira de ses pensées sombres, se tournant vers lui. Il portait des habits assez décontractés de l’Alliance, un bandeau jaune retenant ses cheveux noirs autour de la tête et emmitouflé dans une cape courte mais épaisse, ils avaient le droit de ne pas mettre d’uniforme à la fin des cours. Il avait aussi un gros sac en bandoulière d’où dépassait une longue-vue. Il devait avoir une idée derrière la tête.
– Je me rendais à la bibliothèque. Je voulais consulter un ouvrage mais, je n’ai pas eu le temps de le faire…
– Tu m’étonnes ! Avec tout ce qui se passe, le monastère est sens dessus dessous ! Faut dire, c’est vraiment étrange toutes ces morts inexpliqués… et ces masques de médecins de la peste… si j’ai bien compris Petra, il y avait aussi dans les rangs de Lonato et de Miklan des mages noirs qui en portaient… c’est courant dans le Royaume ce genre d’accessoire pour les magiciens ?
– Non, pas du tout. Par contre, quand j’en ai parlé au seigneur Rodrigue, il m’a dit de m’en méfier comme de la peste elle-même car, des mages avec le même accoutrement ont déjà tenté d’enlever une des filles Charon et Félix il y a plus de quinze ans mais, ils n’ont plus été revus jusqu’à aujourd’hui. Eux aussi sont morts étrangement et sans vraiment d’explication.
– Hum… intéressant… ils ne sont donc pas à leur coup d’essai… et on sait ce qu’ils leur voulaient ?
– Non, même si on pense que c’était pour leur emblème majeur. Ce sont les seuls de notre génération dans le Royaume a en avoir une, du moins officiellement et chez les nobles. J’en ai parlé à l’archevêque dès que j’ai reçu cette lettre. Ils cherchent aussi de ce côté-là.
– D’accord, c’est toujours ça de pris comme information. Hum… mon grand-père aussi a un emblème majeur mais, il ne m’a jamais parlé de mage avec un masque pareil. Faudra que je lui demande dans ma prochaine lettre si ça lui dit quelque chose.
– Hum… effectivement, il en a peut-être déjà croisé, surtout s’ils cherchent à ce point les emblèmes majeurs… son regard glissa sur le côté où se trouvait les dortoirs, nerveux. J’espère qu’ils ne reviendront pas…
– Nous verrons bien. Enfin, pour le moment, ils seraient suicidaires de revenir, et doublement suicidaire de s’en prendre à nouveau à Félix, même blessé. Si c’était il y a plus de quinze ans, il a appris à se défendre entre temps, lui rappela-t-il avec un clin d’œil. Catherine et Seteth aussi savent rendre les coups, et Flayn est protégé par la prof désormais.
– Tu as raison, et il m’en voudrait surement si je m’inquiétais comme ça pour lui… et je pense aussi que la professeure saura protéger Flayn. C’est une combattante exceptionnelle, surtout avec l’épée du Créateur.
– C’est clair que c’est impressionnant de la voir manier cette Relique. Dans mes lectures, j’avais vu qu’elle serait capable de trancher une montagne, le ciel ou les mers, je serais curieux de la voir en action !
– Peut-être que tu pourras la voir plus tard, même si ça m’étonnerait qu’on l’autorise à participer à la Bataille du Lion et de l’Aigle. Hanneman a été clair qu’il ne voulait pas participer étant donné que Manuela était blessée. Byleth devrait aussi rester sur le côté pour cette fois.
– Huummm… d’après mes informations, ils sont d’accord pour qu’elle participe afin de tous nous voir en action. Elle a un peu protesté mais, nos profs lui ont dit qu’ils nous avaient tous bien fait suer sang et eau et que nous étions prêts à tous les affronter.
– Et bien, voilà qui est peu banal ! Ne put-il s’empêcher d’hoqueter un peu de surprise. Enfin, ne les décevons pas.
– Je suis d’accord ! J’ai hâte de voir la récompense !
– Mais comment tu as su aussi vite qu’elle allait participer malgré tout ? Le questionna Dimitri en s’attendant à tout.
– Cher prince, sachez que j’ai des oreilles dans les murs, et une wyvern me l’a dit, lui assura-t-il d’un ton taquin et avec une révérence malicieuse.
– Bien sûr… répondit-il sans trop entrer dans son jeu, préférant lui demander. Et toi Claude ? Où allais-tu aussi tard ?
– Faire des choses beaucoup moins sérieuses que toi, ne t’en fais pas ! D’ailleurs, ce sera mieux si je te montre, ça vaut le coup d’œil ! S’exclama-t-il en commençant à partir vers les bâtiments des bains. Tu me suis ?! Surtout qu’on les verra bien avec la pleine lune et on risque de ne plus pouvoir les observer d’un jour à l’autre ! Ton livre attendra ! »
Son père, sa belle-mère et Glenn grondaient tout autour de lui qu’il ne devrait pas le suivre, qu’il devait se concentrer sur sa mission, ne pas se lier à un gêneur comme lui qui l’en détournait, qu’il devait suivre sa piste au plus vite… mais la curiosité fut plus forte et il suivit son camarade. En plus, il avait le don pour se mettre dans les ennuis, même s’il s’en tirait toujours, mieux valait ne pas le laisser seul.
Avec une excuse envers Dedue d’arpenter presque seul le monastère la nuit en tête, le jeune homme suivit Claude qui contourna le bâtiment des bains pour aller grimper sur un tas de caisses et de rondins stockés à côté, lui assurant que c’était sans danger avant de se hisser sur le toit. Ça lui rappelait des souvenirs d’aller dans des endroits pas possibles comme ça… le suivant facilement grâce à sa plus grande taille, Dimitri monta aussi sur les tuiles en faisant attention à ne rien casser et le rejoignit là où s’était assis, ajustant sa longue-vue avant de s’exclamer.
« Oui ! Elles sont encore là ! Tient ! Tu sais manier une longue-vue ?
– J’en ai utilisé plusieurs fois, répondit-il en la prenant avec précaution pour ne pas risquer de la casser par accident.
– Tant mieux ! Tu voies la falaise en face de nous ? Celle sans arbre mais, couverte de brun. Regarde bien…
Obéissant autant à Claude qu’à sa curiosité, Dimitri mit un peu de temps avant de trouver l’endroit dont il parlait et effectivement, ça valait le coup de le suivre ! Tout une colonie de wyverns sauvages s’était installée là, mangeant tout ce qu’elles pouvaient trouver avant de partir migrer vers le sud. Il y en avait dans toutes les tailles, de toutes les nuances de bruns et de verts, plusieurs couvertes de rayures de camouflages, les plus grosses arborant d’immenses cicatrices partout sur elles, signe de combat et de survie avec leurs cornes cassées. D’autres, plus petites, se disputaient un peu mais, la plus grosse wyvern de la troupe vient vite les séparer et les gronder, ça devait être la femelle dominante.
– C’est incroyable… je n’avais jamais vu autant de wyverns sauvages rassemblés au même endroit !
– Ouaip ! Je me baladais quand j’ai remarqué que beaucoup d’entres elles allaient dans cette direction alors, je les ai cherchés et trouvés ! Elles vont bientôt partir pour le sud à mon avis, ça aurait été dommage de les manquer ! En règle générale, quand elles ont trouvé une base où se réunir avant de partir, elles n’en bougent pas, sauf si on va les déranger mais bon, je n’ai pas envie de me jeter dans la bouche d’une wyvern en train de faire ses provisions pour l’hiver !
– Tu n’as pas tort. Et tu t’y connais bien en wyvern, lui fit-il remarquer en lui rendant sa longue-vue. Rien que lorsqu’il y a fallu ramener celle d’Ashe et de Cyril en plus de la tienne, tu les dirigeais aussi bien que Marianne avec les chevaux.
– Mon père et un de ses amis s’y connaissent beaucoup alors, ils m’ont appris, lui expliqua-t-il en rangeant l’instrument. Surtout que j’habitais avant dans un endroit qui leur va très bien pour l’été alors, j’en voyais souvent, et une wyvern, ça a beau être majoritairement végétarien, faut faire gaffe à ce qu’elle n’ait pas envie de viande ce jour-là !
– Je comprends… il n’y en a pas dans le royaume, il fait trop froid pour elles mais, on nous disait aussi de faire très attention aux animaux géants et aux bêtes. Il y a beaucoup d’ours qui vivent dans les montages autour de Fhirdiad alors, il fallait faire très attention quand on s’y entraine. Il y a aussi beaucoup de loup à Fraldarius et d’oiseaux géants à Galatéa.
– Effectivement, faut faire gaffe ! Et à Gautier ? Tu connais très bien Sylvain aussi si je me souviens bien.
– Oui, depuis que je suis né ou dans ses eaux-là, comme pour Félix et Ingrid, sourit-il. Mais à Gautier, ça va, les animaux sauvages ne sont pas très agressifs envers les humains ou le bétail. Bien sûr, il ne faut pas empiéter sur leur territoire mais, ils n’attaquent que très rarement. D’après la légende, se serait grâce à son ancêtre, le Brave Gautier.
– Ah oui, j’ai lu sur lui ! Il savait parler et se transformer en bête si j’ai bien compris. Et ce serait grâce à son influence que la cohabitation est plus facile ? Ce serait comme à Derdriu, il n’a jamais de tempête ou de mauvais temps, c’est toujours ce qu’il nous faut car, le Brave Riegan contrôlait la météo et en particulier les éclairs, se remémora-t-il.
– Oui, c’est ça. Toutes leurs régions d’origines sont marquées par l’influence de leur magie extraordinaire. Même à Goneril, plusieurs édifices ou endroits du paysage semblent avoir été bâti par une géante, et se serait l’œuvre de leur Brave qui pouvait changer de taille et d’apparence à volonté. Elle aurait pu passer outre les limitations techniques de son époque et construire des choses encore impossibles à réaliser avec leurs moyens.
– C’est vrai que les constructions de Goneril sont étranges à cause de ça, même si elle a fait dans le solide la Brave. Enfin, ils avaient tous le corps déformé, même si on ignore encore pourquoi… j’avoue, j’aimerais bien savoir comment Riegan a fini avec des ailes d’oiseau dans le dos qui lui permettait de voler ! Dorothéa en avait peur l’autre jour mais, tu imagines si on pouvait s’en faire pousser aussi si c’est vrai ? On pourrait voler par soi-même sans monter sur un pégase ou une wyvern ? Ce serait génial ! S’enthousiasma-t-il d’un coup. Et tout le monde pourrait passer au-dessus de tout ce qui nous sépare pour se rencontrer les uns les autres ! Tout à chacun pourrait franchir une montagne !
– C’est vrai que ce serait extraordinaire, sourit Dimitri, l’entrain de Claude étant très contagieux et l’échange étant bien plus léger que celui d’il y a quelques semaines avec Dorothéa. Si on pouvait rencontrer les gens plus facilement, on verrait que nous ne sommes pas si différents… même s’il y a souvent une source de la détestation, cela peut être une énorme erreur ou immérité. Il faut parler pour se comprendre…
– Nous sommes bien d’accord ! Je crois que je me retrouve avec une paire d’aile, tu ne me revoies presque plus au sol à part pour dormir ! Qui sait, un jour peut-être après une bataille, je vais peut-être me réveiller à Derdriu avec des ailes et je pourrais m’envoler !
Le prince ne put s’empêcher de rire, ayant déjà eu des conversations semblables quand il était plus jeune et insouciant, des histoires qu’ils étaient les Braves quand ils n’étaient pas des chevaliers et avaient tous les attributs de magiciens, des rires et de la mauvaise foi sur qui avait le meilleur ancêtre.
– Tu irais surement aussi dans chaque recoin difficile d’accès du monastère pour les explorer, ajouta-t-il avec un sourire.
– Ça c’est clair ! J’irais parler à tout le monde aussi pour réaliser plus efficacement mon rêve. Et toi ? Qu’est-ce que tu ferais si tu te retrouvais avec des ailes ? Ou avec la capacité à maitriser la glace comme Blaiddyd ?
– Je crois que j’irais voir plus facilement les habitants du Royaume, pour savoir ce qu’ils veulent de manière plus directe. Et si j’avais les pouvoirs de mon ancêtre, je ferais souvent des tournées en hiver pour éviter que les champs gèlent trop…
– T’y penses vraiment toujours on dirait, souffla Claude, toujours impénétrable, même s’il semblait plus ouvert que d’habitude et détendu.
– C’est mon devoir de futur roi, il faut toujours que je pense à mon royaume, déclara-t-il simplement avec sincérité.
– T’en fais pas, je comprends, lui assura-t-il avec un sourire honnête. En plus, si j’ai bien saisi, c’est très courant que vos champs souffrent du froid alors, ce serait très pratique de pouvoir éviter qu’ils gèlent.
– C’est ça, et c’est comme pour Derdriu, le contrôle du temps est très pratique pour protéger le port des tempêtes et avoir des champs bien nourris pour alimenter une ville aussi grande.
– Qui sait ? C’est peut-être pour ça qu’ils ont développé des pouvoirs aussi puissants ? Proposa-t-il. En tout cas, faudrait que je me renseigne plus sur eux. J’aimerais bien comprendre comment ils se sont débrouillés pour être aussi puissant !
– Si tu ne l’as pas encore lu, je te conseille les ouvrages d’Homère Virgile Maro. Ces épopées sont assez romancées, vu qu’il essaye d’articuler toutes les anecdotes existant au sujet des Braves dans une seule histoire mais, il y a à peu près tout à leur sujet, même si ça donne l’impression que certains ont vécu des centaines d’années. Le professeur Hanneman doit aussi avoir de bons livres à te conseiller pour le côté très sérieux.
– Ah ! C’est dans ma liste de lecture ! Je sais ce que je vais lire le soir maintenant ! …
Ils discutèrent tous les deux encore pendant un moment, autant sur les Braves que sur leur pays respectif, jusqu’à ce qu’ils commencent à bien bailler. Claude profita encore un peu de la pleine lune pour observer les wyverns au loin, alors que Dimitri s’excusait à nouveau envers les morts de remettre sa lecture des registres au lendemain, encore et encore alors qu’il retournait aux dortoirs pour tenter de dormir un peu. Il n’avait même pas remarqué qu’il était aussi tard… l’air était légèrement frais mais, ce n’était rien comparé à celui de Faerghus la nuit, il avait l’impression d’être à la fin de l’été et pas en automne, même si Claude claquait presque des dents. Il craignait beaucoup le froid alors que de son côté, il n’avait même pas ressorti de couverture.
« Il doit vraiment faire chaud là où il a grandi… »
Malgré les protestations et les réprimandes des morts, le jeune homme ne pouvait pas s’empêcher d’être content d’avoir suivi son camarade, plutôt que de s’enfermer dans la bibliothèque, la nuit était vraiment magnifique… pas un nuage ne voilait le ciel étincelant d’étoiles, l’Astre Céruléen trônant au milieu de toutes ses compagnes en compagnie de la lune d’argent, la légère brise courant des unes aux autres. On y voyait presque comme en plein jour, l’obscurité couvrant d’un léger voile de mystère tout ce qui entourait ceux qui était encore éveiller. Même les fantômes semblaient plus à leur place dans ce décor… des souvenirs d’histoires et de longues soirées d’hiver tournant dans sa tête… les légendes de créatures bonnes, mauvaises et ambigües sortant des bois et du brouillard pour danser toutes ensemble sous la lune… ce soir ressemblait un peu à cela… il aurait bien aimé montrer cette nuit à Marianne si elle était réveillée…
Quand il arriva près des dortoirs, l’étang scintillait comme un miroir, la lune semblable à une perle géante illuminant la surface. Ça lui rappelait des moments sans cendres, ni fantômes, ni devoir de les venger pour qu’ils puissent enfin reposer en paix…
Une silhouette blanche et noire perça l’eau une seconde avant de retourner à l’intérieur.
Dimitri passa sa main sur ses yeux, croyant qu’un nouveau fantôme venait s’ajouter à la ronde ou qu’il rêvait tout éveillé d’une de ses histoires écoutées, lues, relues et racontées un millier de fois. Après avoir discuté des Braves avec Claude comme ça, ce ne serait pas étonnant… Puis, après quelques pas de plus, la silhouette réapparut, s’approcha du bord et posa un petit artéfact sur le rebord mais, même sans cela, il devinait de qui il s’agissait à présent, Glenn se calmant un peu. Il l’appela, content de le voir reprendre ce passe-temps qu’il avait rejeté pendant longtemps, et devinant aisément pourquoi il plongeait aussi tard.
« Félix ? Qu’est-ce que tu…
Les yeux d’ambre le fixèrent une seconde avant de glisser à nouveau sous l’eau, visiblement irrité de s’être fait prendre. Soupirant un peu en le voyant agir ainsi, l’adolescent blond s’approcha du bord, en faisant attention à ne pas casser le bric-à-brac retrouvé au fond de l’eau par son ami.
– Désolé… je ne voulais pas te déranger. Je t’ai vu remonter pour reprendre ton souffle. Je dois avouer, je t’ai pris pour un ondin dans l’obscurité.
Le silence régna quelques secondes, avant que le visage pale réapparaisse, sa blancheur renforcée par la noirceur de ses cheveux trempés et la lumière tamisé de la lune, même si on ne pouvait manqué ses sourcils froncés.
– Tu voies très mal mais bon, ce n’est pas étonnant de ta part. Qu’est-ce que tu fais encore debout à cette heure ?
– Je voulais rattraper un livre mais, je suis tombé sur Claude qui m’a entrainé pour regarder les wyverns qui se préparent à migrer, lui avoua-t-il, sachant pertinemment que mentir ne ferait que le mettre plus en colère contre lui. C’était très impressionnant tellement il y en avait ! Et toi ? Tu t’entraines ?
– Je vais perdre mon souffle si je ne le fais pas et la nuit, je suis tranquille. Personne ne vient me demander ce que je fais dans l’eau comme Petra. En plus, cela évite que les gens se posent trop de question en voyant mon dos, lui rappela-t-il. Je l’ai montré que pour que Dorothéa me fiche la paix. Personne ne la croit mais, j’ai déjà dû botter le cul à certains qui ont tenté de regarder sous ma chemise.
– C’est vrai… », lui accorda-t-il, son vêtement complètement trempé devait être assez transparente pour montrer sa marque d’écaille. Lui-même ne se séparait jamais de ses gants à Garreg Mach pour ne pas montrer son poignet gelé et évitait les heures de pointes aux bains publics pour les mêmes raisons. « …Surtout que les gens s’inquiéteraient vu tout le temps que tu peux passer sous l’eau sans respirer… en plus, la nuit est claire donc, tu ne dois pas avoir de problème pour voir où tu vas.
– Pour ce qu’il y a… tout le monde jette n’importe quoi dedans. Enfin, ça fait des objectifs à remonter. Certains sont bien enfoncés dans la vase.
– Je comprends », répondit-il discrètement, arrivant à décrypter entre les lignes ce qu’il voulait dire. « Je voie des objets qui m’intriguent au fond de l’eau mais, ne pose pas de question, je ne devrais pas perdre mon temps avec ça ». « Je peux regarder ce que tu as trouvé ? Tu dénichais toujours tout un tas de choses incroyables quand tu plongeais à Fort Egua…
– Hum ! Fait ce que tu veux, ce ne sont que des bibelots sans importance. J’allais les jetés de toute façon.
Le nageur replongea sur ses mots, redevenant une forme blanche et noire sous la surface, le laissant seul dans le silence de la nuit alors qu’il attrapait le plus délicatement possible les petits artéfacts. Même s’il disait s’en ficher, il serait surement furieux contre lui s’il cassait quoi que ce soit. C’était déjà arrivé quand ils étaient plus petits, un collier de perles de verre qu’il avait saisi un peu trop fort sans s’en rendre compte et il avait écrasé les sphères colorées. Félix avait pleuré puis boudé toute l’après-midi… Dimitri mettrait sa main au feu qu’il gardait encore toutes ses trouvailles quelque part à Fort Egua.
Dans le petit tas de découverte, il y avait beaucoup plus d’objet métallique que dans le lac, moins de poterie aussi. Certains étaient complètement ruiné et ne ressemblait plus qu’à une plaque de métal rouillé, dont seul la forme laissait voir le travail d’un forgeron, mais d’autres étaient bien mieux conservés malgré la rouille…
« Ça, c’est sûr, mon ancêtre l’a porté !
– Et pourquoi il a porté cette épingle et pas une autre ? Ça ressemble plus à un oiseau alors, ce serait plus mon ancêtre qui l’a porté !
– Pourtant, Daphnel venait de beaucoup plus loin. Et si c’est un animal, ça peut aussi être Gautier, ou aussi Riegan si c’est un oiseau…
– Alors, ce serait un renard si c’était à Gautier ! Et Daphnel volait alors, elle a pu venir ici super vite !
– Moi, je sais que c’est Fraldarius car, ce n’est pas rouillé ! Sa magie rend l’eau du lac toujours pure alors, il devait savoir empêcher la rouille !
– Ça, ça ressemblerait plus au pouvoir de Gloucester pourtant… il contrôlait la terre et les métaux… et c’est quoi ça ?
– Je sais pas… on dirait un pot brisé avec juste l’ouverture qui est resté en bonne état…
– Oh ! Alors…
Un vif mouvement pour se remettre sur ses pieds, des mains encore trempées qui pose l’objet de terre cuite sur sa tête, les pics vers le haut.
– Alors, c’est la couronne de Blaiddyd quand il venait ici ! Après tout, Blaiddyd, Dominic et Fraldarius se connaissaient assez pour composer la Ballade tous ensemble ! »
« Hum ! Enfin…
Le murmure de satisfaction résonna dans la nuit, entrecoupée de respiration rapide pour remplir à nouveau ses poumons vidés, alors que Félix contemplait sa dernière trouvaille, une épée dans un fourreau de métal très travaillé, même si la rouille ne lui rendait pas honneur. Se hissant sur la berge pour être plus stable sans faire attention à son camarade, il s’assit en prenant juste garde à ne pas écraser la dague toute fine d’autodéfense attachée dans son dos. Il commença par faire couler son regard dessus sous toutes les coutures, de l’artéfact avant de frotter sa chappe pour dégager l’arme à l’intérieur. Elle finit par sortir après un peu d’effort, dévoilant une lame abimée par les eaux, mais qui semblait toujours d’un tranchant sans pareil, la lueur de la lune frappant le fer rendant son éclat presque spectral. Il s’agissait d’une arme exceptionnelle, il n’y avait aucun doute là-dessus !
– Comment une épée d’aussi bonne qualité a pu finir dans l’eau de l’étang ?! S’exclama Dimitri, impressionné par cette lame. Cela fait longtemps qu’elle est là à ton avis ?
– Surement un idiot. Elle était bien enfoncée dans la vase et c’est un très vieux modèle alors, je dirais que ça fait un moment qu’elle est là. Des épées comme ça, on n’en fait plus depuis la Guerre du Lion et de l’Aigle. Ça fait des jours que j’essaye de la dégager mais, je n’arrivais pas à voir ce que je faisais sans la pleine lune.
– C’est vrai qu’il doit faire sombre au fond mais, tu y es arrivée. Ça prouve sa qualité pour qu’elle soit en aussi bon état malgré le temps qu’elle a passé dans l’eau… eh ! Regarde sous le protège-pluie ! C’est l’emblème des Charon non ? Tu imagines si c’était Mercurius ? L’épée de Sybille Charon avant que…
– …Avant qu’elle ne soit reconnue comme étant la fille de son père avec Fulgurante qui ne la brûle pas, je connais aussi. Je l’ai trop bouffée cette histoire, et celle où elle aurait perdu son épée personnelle à la fin de la guerre…
– Oui ! Elle aurait fini ivre lors du banquet avant de lancer son épée dans l’eau en disant que ça ne servait plus à rien maintenant que la guerre était finie ! Ça aurait été la première fois que Pan riait devant sa désinvolture dans l’histoire ! Même si elle se serait faite réprimandé par sa cadette Irène car, c’était son épée à elle après que sa grande sœur ait reçu Fulgurante.
– Hum…  la forme correspond, la lame semble avoir été retravaillée, même s’ils ont gardé la garde et la poignée, y a l’emblème de leur famille… si elle est conçue pour faire circuler l’énergie assez facilement comme les épées de Levin, qui sait, même s’il faudra la faire réparer avant de savoir… enfin, je ne me souviens pas qu’ils aient fait la fête à Garreg Mach mais bon, ce n’est qu’une légende…
– Ce serait incroyable si tu l’avais retrouvée ! Tu peux me laisser l’inspecter aussi ? Le supplia-t-il à moitié d’enthousiasme.
– Tu plaisantes ?! Rétorqua Félix, Dimitri voyant presque les poils s’hérisser, sur la défensive. Tu vas la casser ! J’ai mis plus d’une semaine à la dégager de la vase sans l’abimer, hors de question de te laisser poser tes sales pattes de phacochères dessus ! Encore plus que pour l’épée de Zoltan !
– Mais je t’ai aussi dit que je ferais attention ! En plus, je ne veux pas l’utiliser, juste la regarder. Cette épée a été modifiée pour pouvoir être utilisé par Irène, qui était une magicienne avant d’être une combattante à l’arme blanche. Je me doute bien qu’avec ma force et toute cette rouille, je risque de l’abimer si je l’utilise pour taper sur quelque chose mais, je ne vais pas la tordre juste en la regardant ! Je suis juste curieux ! Je n’ai rien abimé de ce que tu as remonté !
Il eut un instant de silence, les deux se fixant alors que Félix le jaugeait de son regard brûlant, visiblement prêt à juste ressauter à l’eau s’il faisait un mouvement qu’il n’appréciait pas, ou à le mordre, sa dague fine comme une griffe dans son dos prête à être tirée.
Puis, il eut le long bruit d’une lame qu’on dégaine complètement, l’éclat fantomatique de l’acier à la lueur de la lune.
L’épéiste lui tendit l’arme rouillée, gardant le fourreau sur ses genoux, le visage aussi neutre et lisse qu’un lac calme.
Le remerciant d’un signe de tête pour sa confiance, Dimitri prit l’épée avec mille précautions, faisant glisser son regard sur le métal traversé de minuscules veines comme les nervures d’une feuille, rendu plus visible par le relief de la rouille. Pas de doute, elle datait de l’époque de Loog, Kyphon et Pan…
– C’est bien un prototype d’épée de Levin… on voie encore le rhizome pour l’énergie magique de son manieur… si je me souviens bien, Irène savait enchanté toutes ses armes mais, Sybille aurait insisté pour que son épée principale soit faite pour, afin d’éviter les accidents… toi aussi, tu savais faire circuler ta magie dans ton épée avant, même sans rhizome.
– Hum… ça ne servait à rien, marmonna-t-il d’un air indifférent, comme si la remarque l’ennuyait profondément. J’ai toujours une rapière pour les ennemis en armure ou à cheval et un arc pour ceux à distance.
– Oui, mais tu gagnais du temps en n’ayant pas à jongler entre plusieurs armes, lui fit-il observer en espérant ne pas le prendre par le mauvais bout. C’était même ta spécialité la magie quand on était petit.
– Les choses ont changé. Et Hanneman ne s’en serait pas mêlé, je n’en aurais jamais refait…
– Oui, il a bien vu toute la mauvaise volonté que tu y mettais, nota Dimitri en se souvenant de l’air dépité de leur professeur, ayant bien remarqué que Félix ne faisait aucun effort en la matière.
– Et ça ne lui suffit pas pour comprendre que ça ne sert à rien… grogna-t-il. Je lui ai pourtant dit que je ne voulais pas travailler la Raison…
– Il trouve plutôt que tu as pas mal de potentiel, même s’il faudrait que tu acceptes de l’utiliser… en plus, ce ne serait pas en contradiction avec ta maitrise de l’épée. Les fossoyeurs utilisent les épées et la magie, et se sont d’excellents combattants. La magie renforcera même ta pratique de l’épée à mon avis.
Dimitri n’obtient qu’un grognement avec un regard détourné comme réponse, signe qu’il ne devrait pas insister. Ça lui rappelait Rodrigue cette manière de nier les choses, même s’il risquait de se recevoir un coup de croc ardent s’il lui faisait remarquer… mieux valait en rester là, il était déjà content que Félix soit resté et l’ai laissé lui parler ainsi.
Il finit par lui rendre l’épée retrouvée, la nuit étant déjà bien avancée. Son ami la rengaina, puis lui tourna le dos pour emballer ses autres trouvailles du soir dans un linge afin de les porter plus facilement, sa marque d’écaille brillant par transparence sous la lune. Le prince pu alors mieux voir la dague d’autodéfense à sa ceinture, d’habitude caché par son gilet. Il retient un petit sourire en voyant que comme lui avait dit Ingrid, c’était la griffe de chat que son père lui avait offerte, deux ans auparavant.
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