Tumgik
verdi-alain · 12 days
Text
Corse: Mafia or not Mafia, tous les articles sur Mediapart
L'ensemble des articles sur les mafias, publiés sur mon blog sur le site Mediapart, son lisibles sur ce blog de tumblr "E pericoloso sporgersi".
En un clic, vous pouvez accéder au sommaire de ces articles sur mon blog de Mediapart.
Bonne lecture
N’hésitez pas à réagir à ces articles, sur l'un des deux blogs
Alain VERDI
0 notes
verdi-alain · 2 months
Text
Paradis fiscaux: et la Corse ?
Au moment où les médias parlent, un peu vite, de la « disparition des paradis fiscaux »,  se discute pour la Corse un statut fiscal dérogatoire ». Il y a-t-il contradiction ?
Cet article, consacré aux paradis fiscaux, devait intégrer la (longue) série d’articles que je me propose de publier… bientôt, sur le thème Corse mafia or not mafia ? Devant l’accélération de l’actualité insulaire et internationale, je devance l’appel.
Une fois de plus, n’attendez pas de scoop. J’essaye de rester fidèle à ma formule : décoder pour comprendre.
.Au niveau insulaire,  les enquêteurs semblent penser que les opérations de blanchiment de la bande dite « du petit bar » passent par des paradis fiscaux.
Dans un chapitre moins grave, au niveau judiciaire, une enquête de plusieurs journaux nous rappelle que la « Corsica Ferries » a son holding situé en Suisse, après avoir été logé au Luxembourg et que cette compagnie maritime pratique une forme d’optimisation fiscale.
.Au niveau international, le 5 Juin dernier, le «G7 finance » confirme à Londres, ce que j’écrivais dès le 29 Avril sur ce même blog : il existe une volonté de créer un « impôt mondial minimum ».  De là à penser que  cet accord, s’il a lieu, sera le début de la « fin des paradis fiscaux », il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
Un groupement de 16 médias internationaux avaient déjà préparé les esprits à cette volonté de réforme de la fiscalité internationale, en publiant (Février 2021) une enquête connue en France sous un nom parlant : « OPENLUX », LUX comme Luxembourg.
Enfin, nous nous remémorerons que certaines personnes rêvent ou ont rêvé de faire de la Corse un paradis fiscal.
Tumblr media
L’argent sale passe par des « paradis »
Combien existe-il de paradis fiscaux à travers la planète ? Les réponses sont variées et dépendent des organismes qui en dressent la liste. Les États et les groupements d’États (Union Européenne) établissent des listes par couleur. La plus redoutée est la « liste noire ». Mais apparemment les autorités étatiques et interétatiques ne font pas preuve d’une grande agressivité.  
  La majorité des opérations douteuses finissent par passer par des paradis fiscaux. Sur certains dossiers de criminalité, liées à la Corse, les enquêteurs essayent de démonter et de démontrer comment l’argent sale peut être « blanchi » en passant par ces paradis fiscaux. La dernière affaire de ce genre date de Janvier 2021. Une vingtaine de personnes est interpellée. Parmi-eux : des membres de la bande dite du « Petit bar », un entrepreneur, un homme d’affaire « d’origine corse »… Selon la JIRS de Marseille, il s’agit d’un dossier de blanchiment, lié à une « bande criminelle ». « Selon le parquet, ces faits auraient été commis en France, mais aussi,"par lien d'indivisibilité", à Hong Kong, Singapour, en Suisse, au Luxembourg et à Panama » (La Provence/AFP – 7 Avril 2021).  
 En attendant les suites judiciaires de cette affaire, il faut noter que le blanchiment est une des étapes incontournables de toute activité criminelle d’envergure. Cette opération qui consiste à transformer de l’argent sale (issu d’opérations criminelles) en argent propre,  peut passer par un paradis fiscal et même par des pays qui n’ont pas cette réputation. Par exemple, en Février 2021, cinq personnes sont mises en examen à Marseille dans une affaire de « blanchiment en bande organisée » (AFP). L’affaire porte sur plus de 8 millions d’euros et concerne « des personnalités du narco-banditisme et du grand banditisme corso-marseillais ». Ce dossier est géré par la JIRS, il implique également des sociétés du BTP d’Aix en Provence et se déroule entre la France et le Maghreb.
En attendant les évolutions de ces enquêtes, nous pouvons essayer de comprendre comment fonctionne un de ces paradis fiscaux.
« OPENLUX », un des paradis européens
Le  13 Février 2021, le journal Le Monde publie une longue enquête sur le Luxembourg, intitulée Radioscopie d’un paradis fiscal. Le quotidien français et seize médias internationaux participent à un travail de vérification des registres financiers du Grand Duché. L’enquête, nommée « OPENLUX » tend à démontrer que les sociétés offshore continuent à y prospérer et que le Luxembourg est bien un paradis fiscal, en débit des dénégations des autorités luxembourgeoises et de certains organismes internationaux.  
Cette enquête journalistique s’appuie sur le Registre des bénéficiaires effectifs (RBE) qui compte plus de 140 000 sociétés ou entités actives (au 31 Décembre 2020).
Tumblr media
La plupart des ces sociétés ont un siège au Luxembourg pour des raisons « d’optimisation fiscale » (légale) ou de dissimulation fiscale (fraude illégale). La nuance entre le légal/immoral et l’illégal est à apprécier.
La majorité des sociétés qui passent par les paradis fiscaux, possède une activité réelle … dans un autre pays. Mais l’on trouve aussi de l’argent placé par la grande criminalité, mafias ou autres. L’enquête « OPENLUX » identifie, notamment, des traces de la ‘ndrangheta. Plusieurs sociétés, crées sur place, par la mafia calabraise n’ont pas d’activité réelles. Impossible de connaitre le montant exacte des (faibles) montants déclarés, car elles n’ont pas de commissaires aux comptes, malgré l’obligation faite par la loi luxembourgeoise.  C’est là une des failles du système, dans laquelle s’engouffrent ceux qui ont quelque chose à cacher. La loi oblige à présenter des comptes certifiés, mais le pays ne s’est pas donné les moyens d’appliquer la loi. Le registre du commerce ne compte que  « 59 salariés pour faire respecter l’obligation légale de déclaration des bénéficiaires » (Le monde).
 C’est ainsi que, durant des années, la Corsica Ferries France (CFF), était chapeautée par un holding (Tourship Group SA)) situé au Luxembourg.
Tumblr media
*France : que faire, si pertes de la moitié du capital.
** WINCH : le nouveau holding suisse de « Corsica Ferries ».
Le Luxembourg, un paradis parmi d’autres
Pour de nombreuses entités (individus, sociétés…) le Luxembourg n’est qu’un des maillons d’une énorme chaîne financière mondiale sophistiquée. Une entreprise (ou un individu) peut passer par une structure aux Bermudes, une autre à Hongkong et une autre encore aux îles Caïmans.  L’existence de places off shore dans différents pays permet de faire circuler les liquidités plus vite que les enquêtes. Jean-François Gayrau pose la question : « le trading haute fréquence est-il une vaste fraude ? ».  Ce haut fonctionnaire de la Police Nationale parle du rôle des banques dans ce « circuit financier » à haute fréquence, comme  des « croupiers d’un casino géant ». In Le nouveau capitalisme criminel. Ed. Odile Jacob.
Ce « circuit » est visible sur la carte, ci-dessous. Si certaines données ont changé, l’idée générale d’une toile mondiale demeure.
Tumblr media
En Europe, de nombreux pays possèdent « leur » paradis fiscal. Ils ne sont pas forcement en concurrence, ils peuvent se compléter. Quand un magistrat enquête sur un dossier qui passe par un de ces pays, le temps qu’il obtienne une bribe d’information et l’argent identifié a changé de « paradis ».  Le juge Renaud Van Ruymbeke montre bien comment, dans ses enquêtes, il a vu passer de Suisse à Singapour, en passant par Dubaï. In Mémoires d’un juge trop indépendant. Tallandier.
Cette dimension financière, dans les dossiers criminels est également signalée par le juge Guillaume Cotelle : « La Suisse demeure une valeur sure pour asseoir cette dissimulation bancaire. Elle est systématiquement sollicitée pour les montage financiers ». In Juges en Corse. Robert Laffont.
Mais cet état de faits n’est pas une fatalité, c’est un choix politique. Les obstacles rencontrés par les enquêteurs sur le chemin des circuits financiers ne se lèvent pas tout seul. R. Van Ruymbeke pose la question : « Ce constat m’a conduit à m’interroger sur le laxisme, voire la complicité des États (…) ».  Les grandes puissances veulent-elles vraiment la disparition des paradis fiscaux ? En s’appuyant sur l’enquête « OPENLUX » et en observant certaines réactions, une stratégie de gestion des paradis fiscaux semble se dessiner.
 Le « plan » d’une harmonisation fiscale
La publication de l’enquête « OPENLUX » semble tomber à pic. En plein crise économico-sanitaire, les pays se doivent de réagir. Comment ? Une partie de la réponse nous est donnée par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).
Le 25 Juin 2019 (bien avant la publication « OPENLUX), le magazine économique et financier luxembourgeois, en ligne, PAPERJAM, publie un entretien avec Pascal Saint-Amans, Directeur fiscal de l’OCDE. Ce dernier est formel : « Aujourd’hui les lois luxembourgeoises et la pratique font qu’il na plus de caractéristiques d’un paradis fiscal ». Six mois après cette interview que l’on peut lire en ligne, « OPENLUX » démontre le contraire. Notamment sur « les lois » et sur « la pratique ».  Plusieurs faits viennent contredire ces propos optimistes : « près de la moitié des sociétés, fonds et fondations (du registre NDLR) immatriculés aux Luxembourg n’ont pas de bénéficiaires identifiables ». Et : « Une majorité d’entreprises ne possèdent ni bureau, ni salariés, ni objectif économique ». Cerise sur le gâteau de ces extraits d’ «OPENLUX », ces propos de l’économiste Anne-Laure Delatte (université Paris-Dauphine) : « Le Luxembourg caracole en tête des plus gros paradis fiscaux dans le monde, entre la première et la deuxième place ». Il s’agirait de savoir…
En fait, derrière cette défense du Luxembourg, l’OCDE affiche l’objectif. Dans ce même entretien, P. Saint-Amans poursuit en citant un « impôt minimum ». Son explication, très technique, doit être lue : « Il ne consiste pas à demander à chaque pays un certain impôt minimum, mais à protéger leur base taxable via l’idée que si leurs entreprises paient à l’étranger un impôt, en dessous de leur impôt minimum, le pays concerné pourra percevoir la différence ». 
Tumblr media
Le 10 Février 2021, P. Saint-Amans est interviewé, cette fois sur France-Culture. Le Monde a déjà débuté la publication, en ligne, de son enquête. A une question sur le Luxembourg paradis fiscal, Le « Monsieur fiscalité » de l’OCDE  persiste : « je ne veux pas défendre le Luxembourg (…) le Luxembourg a mis en place un registre des sociétés, c’est un des premier pays à l’avoir fait (…) il est pris à son jeu de la transparence, il est regrettable qu’il soit victime d’avoir progressé dans le sens de la transparence (…) ». France Culture émission La question du jour. Apparemment, l’interviewé et l’interviewer n’ont pas lu le chapitre de « OPENLUX » : « près de 68 000 entités n’ont (dans le registre NDLR) aucun propriétaire identifiable » et « parmi elles, quelque 26 000 sociétés ont tout simplement failli à leurs obligations de déclaration ».  Mais surtout, sur France Culture, P. Saint-Amans revient sur le projet  d’un « impôt minimum »…minimorum : « On a espoir de mettre en place un impôt minimum mondial. C’est ce qu’on essaye de mettre en place avec l’OCDE. On reprend les négociations avec l’administration Biden (…). On a bon espoir d’aboutir à une solution en Juillet prochain au G20 ». Le sommet se tiendra à Rome, non pas en Juillet, mais les 30 et 31 Octobre 2021.
Ce projet d’un hypothétique « impôt minimum mondial » doit être décodé, je m’y essaye.
Demander moins pour toucher plus
Quand on analyse la situation, la disparition -par la contrainte- des paradis fiscaux parait impossible. Reste l’idée d’une « harmonisation fiscale ». Elle semble proposée par l’OCDE. C’est une idée qui séduit l’économiste français, Gabriel Zucman, enseignant à l’université de Berkeley (Californie), il le dit dans un entretien riche en information, dans Le Monde du 13 Février 2021 : « il faut que ce projet soit adopté sans tarder et que ce taux minimum ne soit pas trop bas ». En baissant les taux et en essayant de les harmoniser, les initiateurs du projet semblent espérer faire démarrer un cercle vertueux :
En faisant baisser le niveau moyen d’imposition, on coupe l’herbe sous les pieds des paradis fiscaux et de leurs « clients ». En résumé, l’impôt baisse, mais plus de personnes le payent dans les pays concernés, qui les avaient vues fuir vers des paradis fiscaux. Globalement, cela ferait rentrer plus d’argent et réparti de façon plus équitable. L’idée est alléchante, mais c’est un pari risqué.
Harmoniser les impôts pour les faire rentrer…
La baisse de la pression fiscale, dans certains endroits, contre la promesse d’un « rapatriement » de rentrées fiscales, venant des « paradis », vers les États d’origine, est un pari risqué. Cela sous-entend que les « évadés » accepteraient de payer leurs impôts dans leur pays d’origine, s’ils baissent de manière significative. Cette hypothèse, prise séparément, est trop risquée. Il faut donc qu’elle soit « mondiale ».
Une rentrée d’impôt est prévisible, « un rapatriement » est incertain par principe et n’est pas garanti une année sur l’autre. « L’évadé » s’est habitué à un taux bas, il ne rentrera pas pour se contenter d’un taux intermédiaire dans son pays d’origine.  Sauf si, mondialement, cette « harmonisation » raye les paradis fiscaux de la carte.
Une solution pourrait allier baisse et répression internationale. Nous savons que, pour l’instant,  ce dernier point est loin de faire l’unanimité.
Les États doivent donc bien faire leur calcul. Baisser la pression fiscale, sans être sure, que la baisse soit, au moins compensée par des rapatriements, représente un risque énorme.
Pourtant il faut casser cette spirale de la baisse des rentrées fiscales dans les pays. Gabriel Zucman  fait un constat terrible : « Sous l’effet de la mondialisation, toutes les nations sont en train de devenir des nains économiques à l’échelle de la planète et dans ce contexte, beaucoup sont tentées de se muer en paradis fiscaux ». Il poursuit : « En quarante ans, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés, à l’échelle mondiale,  a été divisé par deux ». Avec des taxes trop faibles, les individus se « transformeront en société pour être moins taxés ». Ce cercle vicieux ne peut être qu’un facteur aggravant des inégalités sociales et porteur de crise grave, à venir.
 L’idée d’un cercle vertueux (Harmonisation) est alléchante, mais le risque d’une « harmonisation de la baisse » est réel. L’exemple britannique est là pour nous illustrer ce risque.
Depuis 2008, la Grande Bretagne (GB) effectue des baisses continues de l’impôt sur les sociétés. Ces taxes, qui étaient de 30% en 2016, sont passées à 17% en 2020. Pour bien situer les choses, le taux d’imposition, sur les sociétés, en Irlande (considéré comme une espèce de paradis fiscal) est de 12, 5%. La GB se rapproche de l’Irlande et cela ressemble à une course à l’optimisation fiscale.
Cette fois, il ne s’agit plus d’un petit pays (Luxembourg, Malte, Chypre…) ou d’une région de Grande Bretagne (Jersey, Guernesey…), mais d’une grande nation toute entière. En Septembre 2018, L’Obs pose la question : Le Royaume Uni, post Brexit va-t-il devenir le plus grand paradis fiscal du monde ? Le journaliste Marc Roche estime que : « le pays va sortir du Brexit différent et très dangereux pour l'Europe, parce que plus offshore, plus inégalitaire (…) ».  Où est le risque ? En baissant encore ses taxes sur les sociétés, la GB pourrait entrainer l’Union Européenne (UE) dans une course « à la baisse ». L’UE pourra, de moins en moins, financer son « modèle social », avec toutes les conséquences imaginables sur le risque d’accentuer la crise actuelle.
 En attendant, la pression fiscale s’exerce sur une assiette restreinte et les conséquences économiques et sociales demeurent lourdes pour les États. Vue la situation économique et sociale, l’heure des choix approche.  Il sera très intéressant d’observer les résolutions du G20, qui doit se tenir en Italie (30-31 Octobre).
La situation ne peut perdurer, car tout immobilisme entrainera, de fait, une aggravation.  OXFAM* réagit, suite à « OPENLUX » :
« Il faut aussi mettre un terme à l’infernal nivellement vers le bas des impôts des plus riches et des multinationales auquel s’adonnent la majorité des pays dans le monde, à commencer par la France qui a supprimé l’ISF et continué à baisser l’impôt sur les sociétés.  Alors que les inégalités s’accroissent en France et dans le monde, il est urgent et nécessaire de mieux collecter l’impôt, et de façon plus juste. Il faut taxer ceux qui se sont enrichis pendant la crise et rétablir à long terme une fiscalité plus juste en taxant davantage les hauts revenus, les grandes fortunes et les transmissions d’héritage des multimillionnaires » (8 Fév. 2021).
Nous verrons plus loin qu’une réponse internationale (G20) se précise.
Tumblr media Tumblr media
En attendant le G20 de Rome (30/31 Octobre 2021), nos voyons déjà des réactions face à cet « impôt mondial » :
.Du coté de certains paradis fiscaux, ça renâcle. A l’instar de l’Irlande qui n’apprécie pas d’avoir à augmenter son taux actuel d’impôt sur les sociétés et de le faire passer de 12,5% à 15%.
.Alors que du coté des opposants aux paradis fiscaux, on fait remarquer que ce taux de 15% (proposé par  l’OCDE et piloté par les USA) est vraiment trop bas.
Nous n’avons pas entendu, pour l’instant, une position officielle des milieux financiers. Il faut rappeler que « les cinq grandes banques françaises ont un tiers de leurs filiales dans les paradis fiscaux » (Mediapart 15 Novembre 2014).
Les coûts financiers et moraux de la fraude fiscale
Le coût moral…
En Mai 2018, Jérôme Cahuzac est condamné, en appel, à deux ans de prison ferme (la peine est aménageable), 300 000 euros d’amende et à 5 ans d’inéligibilité. Il était poursuivi pour blanchiment d’argent de fraude fiscale.
Jérôme Cahuzac n’est pas un gangster, c’est un chirurgien esthétique. Les cas comme le sien, ne sont pas rares. Mais, il est, au début de l’affaire, Ministre délégué chargé du… budget. C’est, sans doute, cela sa plus grosse faute. Quand un Ministre, chargé par les temps qui courent de faire passer l’idée de restrictions budgétaires auprès des populations, ment devant les caméras à l’Assemblée Nationale : « je n’ai jamais eu de compte en Suisse », il faut se poser une question : comment peut-on demander des efforts au petites gens ? Ironie de l’histoire, J. Cahuzac purge sa peine, sous bracelet électronique, dans sa résidence de Pianottoli-Caldarello où il exerce en qualité de généraliste.
 Sur la technique de blanchiment, ce cas Cahuzac est révélateur des méthodes employées. C’est le Juge Renaud Van Ruymbeke qui nous résume le parcours : « (…) l’argent a quitté la Suisse et pris le chemin de Singapour (…) ». Le magistrat poursuit : « au moment où la Suisse signait des conventions fiscales avec l’Europe (…) » l’argent transféré «(…) continuait à être géré par le banquier suisse (…) ». Et l’on apprend que ce même banquier « (…) disposait d’un relais à Dubaï (…) ». In Mémoires d’un juge trop indépendant, déjà cité.
Voila donc un Ministre en charge du budget de la nation qui utilise le circuit classique de la fraude fiscale (voir la carte, plus-haut). Pourtant, ce même Ministre ne peut ignorer le coût pour le monde, en général et pour la France, en particulier, de la multiplication (voir l’appétence des français pour le Luxembourg, dans l’enquête « OPENLUX ») des cas d’optimisation et de fraude fiscale.
…le coût financier
Combien la fraude et l’optimisation fiscale coûtent-elles à la France ? Les réponses varient selon les interlocuteurs, mais le montant est toujours élevé.
.«(…) entre 60 et 80 milliards d'euros de recettes fiscales sont perdues chaque année en France, du fait de la fraude fiscale, et 40 à 60 du fait de l'optimisation fiscale ». Ce montant, énorme, est avancé (2018) dans un rapport du syndicat national Solidaire Finances Publiques.
.Le manque à gagner, pour la France, serait de « 20 milliards par an » selon le professeur d’économie Gabriel Zucman. Le Monde du 7 Novembre 2017.
Pour fixer les idées, il faut rappeler que le déficit public 2019 (avant la crise COVID) s’élevait (avant corrections) à 72,8 milliards d’euros (source : INSEE).
Le déficit public, c’est le solde négatif annuel (les dépenses restant supérieures aux rentrées budgétaires). Sont concerné : l’État, les différentes collectivités territoriales (communes, départements, régions…) et tous les organismes de protection sociale.
Si une partie importante de la fraude et de l’optimisation fiscale était récupérée, cela ferait baisser considérablement la dette publique du pays. La dette s’élève à 2 674, 3 milliards d’€, montant publié fin Décembre 2020.
La dette publique est l’ensemble des emprunts qui ont été contractés par les administrations publiques citées, plus-haut. Elles empruntent pour couvrir leur déficit public annuel et pour la dette arrivant à échéance.
 Avec les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire (COVID) les montants sont à la hausse. Gabriel Zucman rappelle que le système de baisse des taxes, notamment des impôts sur les sociétés, sont des choix politiques qui « tuent le cœur du dispositif fiscal des pays développés ». Le Monde (13 Février 2021). Pour l’enseignant d’économie, « (…) au lieu de corriger les inégalités engendrées par la mondialisation, la fiscalité les renforce. Il y a urgence à sortir de cette logique ».
En ces temps de crises, sanitaire,  économique et sociale, des mesures sont réclamées par l’association   L’Alliance Globale pour la Justice Fiscale  dans un document intitulé « Justice fiscale : état des lieux » Novembre 2020.
Face à cette avalanche de chiffres, il faut comprendre une chose : moins les États percevront de rentrées fiscales, plus ils auront de difficultés à faire fonctionner les pays qu’ils gèrent. Un seul exemple peut nous éclairer : à la fin de la crise sanitaire actuelle, le creusement des déficits devrait mener à la détérioration des systèmes de santé publique. Sans parler, bien-sur, des autres domaines économiques et sociaux.
Tumblr media
La Corse en « Paradis » ?
Le journaliste d’investigation, Pierre Péan (1938-2019), nous rappelait que plusieurs individus  -dans la mouvance du réseau dit de la « France Afrique »-  ont rêvé et rêvent toujours, de « faire de l’île de beauté un « nouveau Tanger ».  In : Compromission – La république et la mafia corse. Ed. Fayard-2015.
La ville marocaine de Tanger est un paradis fiscal, siège de sociétés offshore et lieu d’une abondante littérature, avec ses parts de vérités et de phantasmes sur une ville qui serait, de longue date, le lieu de tous les trafics.
Il existe aussi une volonté politique exprimé par les nationalistes, mais pas seulement, de création d’un pavillon maritime corse. Cette idée peut être lue de deux façons : un pavillon corse, dans une île indépendante et/ou un pavillon second registre, moins taxé (comme dans des paradis fiscaux (Madère, Malte, Jersey…). Les deux lectures ne sont pas exclusives l’une de l’autre.
Dans quasiment tous les mouvements politiques insulaires, à l’exception du Parti Communiste, semble se dégager une volonté de voir la Corse posséder une « statut fiscal dérogatoire ».  Les gouvernements successifs « dérogent », depuis des années, mais on ignore encore à quoi pourrait ressembler un tel statut.
Le principe d’un “impôt mondial” sur les sociétés adopté
Finalement le G20 a entériné, le 30 Octobre 2021, le principe d’un impôt minimal d’au moins 15% pour les entreprises multinationales les plus grosses.
Les chefs d’États et de gouvernements, réunis à Rome, ont suivi les propositions de l’OCDE. Cet « impôt mondial » n’a pu être instauré que parce que les USA en ont accepté le principe. Le niveau du taux plancher/plafond était du reste une proposition du Trésor américain.
Selon certaines estimations, cette taxation des grosses sociétés devraient rapporter « au moins 7 milliards d’Euros » au Trésor français.
  Est-ce suffisant pour renflouer les caisses des États, de plus en plus confrontés à des difficultés budgétaires ?  Pour répondre, il faudra attendre la mise en place de cette réforme et observer les retombées. Mais déjà, des voix s’élèvent pour dénoncer un marché de dupes, ou du moins des retombées limitées par rapport aux besoins. A l’exemple de l’économiste Thomas Piketty qui parle d’un « véritable permis de frauder pour les acteurs les plus puissants ».
Tumblr media
Quelles seront les conséquences pour les entreprises (grosses et petites) et pour leurs employés ? Là aussi il faudra observer la suite des événements. Cependant, cet « impôt mondial » n’est pas sorti du chapeau. Il a été réfléchi, étudié, notamment par les spécialistes de la Finance. Pour ceux que la question intéresse, des modélisations théoriques ont déjà été menées. On peut se référer, notamment, au travail effectué par deux chercheurs, Laurent Simula et Alain Trannoy, intitulé « Incidence de l’impôt sur les sociétés ». Le chapitre sur « l’incidence fiscale de l’impôt » (Page 25 de la version PDF)  est particulièrement intéressant.
 Taxes et impôts, pas de remise en question profonde
Une chose est sure, cette décision du G20 ne remet nullement en question le système d’imposition dans les différents pays. Pour plus d’un observateur, les systèmes fiscaux demeurent particulièrement inégalitaires.
Oubliée (enterrée ?) le principe d’une Taxe mondiale sur les transactions financières, pourtant proposée par plusieurs économistes à travers le monde, écartée l’idée de la « Taxe Tobin », il reste aujourd’hui à observer les retombées de ce nouvel « impôt mondial »…
Demeure la question des paradis fiscaux, la décision du G20 est elle le premier pas vers leur disparition ?  Il reste du chemin à parcourir.
 Alain VERDI 11 Juin 2021, complété le 2 Novembre 2021  
Bibliographie
Les paradis fiscaux - Enquête sur les ravages de la finance néolibérale. Nicolas Shaxson. Ed. André Versaille
L'impunité fiscale - Quand l’État brade sa souveraineté. Alexis Spire-Katia Weidenfeld. Ed. La Découverte
Les paradis fiscaux. Christian Chavagneux – Ronen P. Palan. Ed. La découverte
En ligne
Paradis fiscal : définition et liste des pays. OXFAM France (2020)
 Les paradis fiscaux. Thierry Cretin. SER « Études » Tome 411
MISSION D'INFORMATION COMMUNE SUR LES OBSTACLES AU CONTRÔLE ET À LA RÉPRESSION DE LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE ET DU BLANCHIMENT DES CAPITAUX EN EUROPE.
Auditions et réunions de Juin 1999 à Avril 2002
TOME II La lutte contre le blanchiment des capitaux en France : un combat à poursuivre
30 Mars 2000
Volume 1 - Rapport et annexes
    Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire, cliquer sur l’onglet « archives »
Mafia blanchiment Suisse paradis fiscaux Corse Corsica Ferries
0 notes
verdi-alain · 3 months
Text
A quoi ressemble une organisation de « type mafieux » ?
Alain VERDI 27 Avril 2023, complété le 15 et 16 Avril 2024
Une organisation mafieuse n’est pas seulement constituée de voyous, utilisant la violence physique. Une organisation de « type mafieux » est généralement pérenne. Elle est installée, de longue date, dans la société. Elle regroupe quatre domaines : banditisme, monde de l’entreprise, professionnels du droit et des administrations et des « référents » dans le monde politique, à tous les niveaux.
Pour comprendre les nombreux articles qui suivent, il faut s’imprégner d'une réalité: une organisation mafieuse n'est pas seulement un groupe criminel, constitué de bandits. Il s'agit d'un objet politique, au sens premier du terme. Les membres de ce type d'organisation se répartissent dans de nombreux domaines de la société.
Les quatre domaines, décrits ci-dessous, sont une constante de l’organisation « de type mafieux ». Organisation que l'on retrouve dans des mafias reconnues et nommées comme telle, ou bien dans des organisations criminelles dites "ordinaires".
La principale différence entre Mafia et bande « ordinaire » est la pérennité. Le système mafieux traverse le temps et une bande « ordinaire », quelle que soit sa puissance, est vouée à disparaitre. Cette précision apportée, nous étudions ici la méthode criminelle, plus que les groupes qui l’utilisent. Pour comprendre ce qu’est une Mafia et un  système mafieux, nous pouvons nous référer aux définitions du terme Mafia.
Tumblr media
La mise en relation de ces quatre « pôles » procède d’une « méthode mafieuse ». Le groupe criminel, ainsi constitué, peut avoir une duré de vie limitée (quelques années) ou bien fonctionner de manière pérenne. La dimension pérenne peut constituer une Mafia, mais la reconnaissance d’une Mafia n’est pas un acte  juridiquement mécanique, découlant automatiquement de la « méthode mafieuse »*. Elle est le résultat d’un choix politique du législateur. Le seul pays européen possédant des mafias dans son corpus Iuris, ou corpus juridique  (normes actées par la législation), est l’Italie. Ce pays connait, aussi, des groupes criminels utilisant des « méthodes mafieuses », sans être des mafias. Le législateur s’est laissé une marge d’appréciation. Les différentes lois « anti mafieuses » ne désignent, ni ne décrivent les mafias. Ce qui est décrit, dans le code pénal, ce sont les modus operandi qui font que tel ou tel délit tombe sous le coup d’une Association mafieuse (Article 416 bis), ou bien ne sont de des actes criminels « ordinaires » (Article 416).
La DIA (Direzione  Investigativa Antimafia) identifie quatre mafias, en Italie **, mais la Justice italienne ne poursuit pas directement les membres de telle ou telle mafia, elle regarde la nature du délit et comment est organisé le groupe criminel qui le commet, pour poursuivre sous le chef d’inculpation Association mafieuse ou criminalité « ordinaire ».
 La France peut posséder des groupes procédant par « méthode mafieuse », sans être des mafias, car la législation française ne connait pas cette particularité juridique. Nous retiendrons que toutes les Mafias et certains groupes utilisant des « méthodes mafieuses » sont, globalement, constitués avec ces quatre « pôles ».
Italie, un système horizontal ou circulaire, plus que vertical
La grande erreur consiste à confondre le « volet banditisme », du système décrit ci-dessus, avec la Mafia en son entier. Qui commande ? C’est une question qui revient souvent et un débat non tranché à ce jour. Plusieurs protagonistes estiment que « personne ne donne d’ordre à la Mafia ». En l’occurrence nous parlons ici de la Cosa Nostra sicilienne. C’était l’avis du juge Giovanni Falcone et aussi de plusieurs « repentis », dont notamment Tommaso Buscetta et Antonino Calderone. Lors du « maxi procès de Palerme et de l’instruction qui l’a précédé, les liens avec le monde politique n’avaient pas été abordés. Le juge Falcone estimait  qu’il y avait un risque « de diluer le débat ». Il ne niait pas  le rôle des politiques, il avançait doucement. Son assassinat ralentira la compréhension de la  "jonction".  Je le répète ici, les assassinats des juges Falcone et Borsellino  (1992) ne sont pas seulement des vengeances de Cosa Nostra. Le "système" avait compris qu'en s'attaquant d'abord au bras armé, les magistrats finiraient par établir la nature des liens du "volet bandits" avec l'ensemble des pouvoirs.
Pour le « repenti », Antonino Calderone «  il n’y a personne au dessus de Cosa Nostra (…) qui nous donnerait des ordres. Ce sont les mafieux, tout au plus, qui donnent des ordres aux hommes politiques, même indirectement (…) ». In Les hommes du déshonneur***.
En aucun cas, les liens entre des hommes politiques et des voyous ne sont niés par des magistrats, ni des « repentis ». L'exemple d'Antonio d'Ali, ancien sénateur de Forza Italia et de ses rapports avec des boss de Cosa Nostra est édifiant.
Ce qui est souvent rejeté, c’est l’idée qu’il puisse exister un « niveau supérieur », politique, qui donnerait des ordres à Cosa Nostra. Ce raisonnement, fait de la mafia sicilienne et des autres mafias, des groupements autonomes, qui dominent les autres sphères de la société (politiques et économiques). Pourtant, rien n’est moins sur. Tachons de voir pourquoi.
L’après Riina n’est-il pas la preuve que le politique a repris la main, qu’il avait toujours eu ? En s’attaquant, violemment, à l’État et à des hommes politiques, Riina avait atteint l’hubris. Comment expliquer la démesure du chef des « corléanais ». Toto Riina a, sans doute, vraiment cru que les voyous avaient tout pouvoir sur la politique et ses rouages. Les propos d’Antonino Calderone relèvent, soit de l’ignorance (il n’était pas un gros boss de Cosa Nostra), soit d’une autoprotection (jouer le jeu qui consiste à laisser croire qu’il « n’y a personne qui donne des ordres à Cosa Nostra »). Jouer le jeu, c’est laisser à penser qu’il existe un rapport de verticalité : une Mafia toute puissante, qui donne des ordres aux politiques, aux fonctionnaires et au monde économique. En quelque sorte, elle donne des ordres à l’État.
Selon moi, le lien n’est pas vertical, mais circulaire et/ou croisé. En réalité les quatre composantes du tableau, ci-dessus, ont une relation quasi permanente et quasiment structurelle. C’est l’ensemble de ce système qui forme une organisation mafieuse. Dit comme cela, on comprend mieux que « le système » a tout intérêt à laisser croire que les voyous incarnent, à eux seuls, la Mafia.
« La Mafia, c’est le système. Il n’y a pas la politique d’un coté et la corruption de l’autre. C’est le même corps avec ses organes et ses membres et tout se meut par la volonté d’un seul cerveau ».
In Les nouveaux monstres 1978-2014. Simonetta Greggio****.
« L’épisode » des corléanais (1983-1993), avec Toto Riina, n’est qu’un passage qui a, un temps, déséquilibré « le système » global.
Quand j’écris que le Politique a « repris la main », je ne veux pas dire qu’il a repris la tête et le monopole du pouvoir, au sein du « système ». En réalité personne ne reprend la tête, car il n’y a pas vraiment de tête. Le pouvoir mafieux ressemble à une hydre. Le terme me parait parfaitement approprié*****.
Je me répète et je résume : une Mafia, ce n’est pas seulement la force armée (les familles de voyous),   c’est l’ensemble du système décrit dans le tableau présenté au début de cet article. Une discipline intellectuelle s’impose : une association mafieuse est constituée de l’ensemble des quatre éléments, sus-cités.
 Il faut noter que cet article a été rédigé après que mon travail et ma réflexion sur le phénomène mafieux aient particulièrement progressé. Entre le premier article (Mars 2022) et une trentaine d’articles plus loin, j’ai progressé sur la question : Corse : mafia or not mafia ?
Une constante domine :
Ce qu’il faut rechercher, c’est moins l’existence (ou non) d’une Mafia, que la présence d’un « système » tel que celui décrit dans cet article. Quel que soit le nom, nous parlons d’une organisation politiquement intégrée. Cette intégration du système mafieux,  dans la société humaine est, à la fois, une réalité indéniable et une perversion.
J’espère que les éléments recueillis, au cours de ce travail, permettent une meilleure réflexion sur les causes et les conséquences de la grande criminalité, quel que soit son nom.  Ce travail n’est jamais fini. Il doit, tout le temps être régénéré, comme l’hydre…
Alain VERDI
    Article complétée le 14 et 15 Avril 2024
    *Plutôt que Mafia, il faudrait désormais employer le terme "méthode mafieuse". Les tribunaux italiens ont déjà condamné plusieurs groupes criminels, employant des méthodes mafieuses, sous l'inculpation "d'association mafieuse" prévu par l'article 416 bis du code pénal italien. Cela démontre qu'il n'est nul besoin d'appartenir à une des quatre grandes mafias italiennes pour être poursuivi et condamné pour "association mafieuse". A ce propos nous pouvons lire L'ancrage local d'une mafia.Réflexion à partir du cas romain. De Tommaso Giurati, dans Déviance et société 2022/2 (Vol.46)
**Les quatre mafias transalpines, reconnues par les autorités italiennes sont les suivantes :
Cosa Nostra (Sicile)
Camorra (Campanie)
‘Ndrangheta (Calabre)
Sacra Corona Unita (Pouilles)  aussi nommée Societa Fogianna ou bien Mafia Fogianna (Foggia est une ville et une province, du même nom, dans la région des Pouilles).
Pour plus de détails, sur les 4 mafias voir le lien ici.
*** Entretien du sociologue Pino Arlacchi avec Antonino Calderone. Éd. Albin Michel
**** Éditions. Stock
***** La définition de l’hydre laisse songeur, quand on pense à une Mafia : c’est un organisme pluricellulaire complexe. Des généticiens les considèrent comme « immortelles », grâce à « leurs capacités régénératrices ». Toute ressemblance avec une Mafia ne serait que pure…
Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire des articles sur Tumblr, cliquer sur l’onglet « archives »
Article publié sur le blog du site Mediapart
0 notes
verdi-alain · 7 months
Text
Corse: Mafia or not Mafia? Un sommaire des articles déjà publiés
Le 07 Avril 2023
En Mars 2022, j’ai débuté la publication d’une série d’une trentaine d’articles, pour tenter de répondre à une question : existe-t-il une Mafia corse ? La somme de ce travail entend, en partie, fournir un maximum d’éléments de réflexion autour du thème des mafias. Nous retrouvons, ici, un sommaire avec des liens menant à ces articles. D’autres articles pourraient suivre.
Autant l’écrire, tout de suite, la réponse à une question aussi délicate est loin d’être évidente. Après des années de réflexion et d’enquête, une seule certitude s’impose : décider de l’existence d’une Mafia, n’est pas le résultat  d’une simple réflexion intellectuelle et/ou juridique.  L’exemple de l’Italie est là pour illustrer, de jure,  le long travail mené par plusieurs instances de la société italienne.
Le mot Mafia, apparait dès la seconde moitié du 19ème siècle. Pourtant, des lois s’insérant dans un corpus législatif cohérent, ne seront votées qu’au début des années 1980. Il s’agit d’un choix politique. C’est logique, puisque les mafias sont des objets politiques. C’est ce que nous verrons, tout au long de mes articles.
En d’autres termes, cela veut dire qu’une Mafia peut exister  -in vivo-  sans être désignée comme un danger à abattre pour protéger la société. C’est exactement ce qui c’est passé, en Italie, durant un siècle.
Cela étant dit, la reconnaissance  -de jure- d’une Mafia et l’application de lois répressives, à son encontre, n’a pas à ce jour débouché sur son éradication. Le phénomène mafieux est profondément inscrit dans certaines sociétés, ce qui rend la séparation entre Légal et Illégale particulièrement difficile. L’exemple de la Mafia japonaise (yakuza), que j’aborde dans un des articles, est une illustration presque caricaturale de l’intégration d’une Mafia dans une société humaine.  
De plus, l’évolution des sociétés et le tri, compliqué, entre la légalité et l’illégalité, ont accentué le développement de « zones grises ».  D’où une très grande confusion.
Nous pouvons dire, aujourd’hui, que les méthodes mafieuses semblent se généraliser. Nous observons ainsi une « mafiosisation » sans Mafias.
A moins que cela ait été toujours le cas et que les moyens contemporains de communication et l’échange d’informations nous rendent l’importance de cette « mafiosisation » plus visible.
 Le contenu des articles, déjà mis en ligne, peuvent être complétés en fonction de nouveaux articles et/ou de nouvelles informations que je pourrai découvrir, au fur et à mesure de ma réflexion.  
   Voir, ci-dessous, les liens vers tous les articles                                                   ____________________________________________________
 Autonomie de la Corse : les réalités cachées et les intentions non exprimées
20 mars 2022
Qu’est-ce qui déclenche l’ouverture de discussions politiques sur le principe d’un statut d’autonomie de la Corse ? En apparence, ce sont les émeutes, dans l’île, consécutives à l’agression (2 Mars 2022) contre Yvan Colonna, l’assassin du préfet Claude Erignac. Il reste à donner un contenu au mot « autonomie ». Les partenaires ont eu des dizaines d’années pour y réfléchir, et pourtant…
 L' AUTONOMIE DE LA CORSE : REALITES CACHÉES ET INTENTIONS NON EXPRIMÉES-SUITES
25 mars 2022
Dans mon article du 20 Mars, j’ai négligé quelques points. Notamment la répartition des rôles entre les politiques insulaires nationalistes et la classe dite « traditionnelle ». De plus, un constat apparait : le débat se focalise sur un statut « plus particulier » au moment où la société corse ressemble le plus au « modèle français » rejeté par certains. Les contradictions ne sont qu’apparentes.
 Corse: quelle économie pour une autonomie?
5 avril 2022
Quelle est la situation économique et sociale de la Corse ? Répondre à cette question peut aider à ouvrir des pistes pour un statut d’autonomie. Une autonomie aide-t-elle une région à se développer ? Pour se faire une idée, j’ai essayé de comparer certaines données économiques et sociales de plusieurs régions autonomes méridionales. Il n’y a pas de réponse tranchée. Chaque île doit s’adapter.
  Corse : un si long dimanche de fiançailles
8 avril 2022
Après trois articles longs et difficiles à digérer, il faut laisser l’esprit se reposer. En attendant, des articles, également longs et aussi difficiles, je vous propose un conte sur le thème : La valse hésitations dans les rapports entre le gouvernement et la Collectivité De Corse. Pour plagier Marivaux, il pourrait s’appeler « De la double inconstance ».
 La « 6ème République » sans changer la constitution Essai sur l’impuissance politique
23 avril 2022
Le 1er tour des présidentielles confirme une série d’évolutions: Pour la 3ème fois en vingt ans, l’extrême droite remplace la droite républicaine. Les partis « de gouvernement » explosent et se dirigent vers une « refondation ». Face au libéralisme triomphant, les idéologies sont toujours présentes. Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-ce un « tournant » ou un habillage ?
Corse: mafia or not mafia? Décoder pour comprendre
10 août 2022
Une session de l’Assemblée de Corse, consacrée au « phénomène mafieux dans l’île» devrait se tenir en Octobre 2022 (finalement, elle se tiendra le  18 Novembre). Voir article, plus loin.  Ce débat est réclamé par une partie de la société civile et du monde politique. Avant la tenue de ce débat, je vais publier une série d’articles sur le phénomène mafieux. Ils sont issus d’un travail que je mène depuis plusieurs années sur le thème : Corse, mafia or not mafia ?
 Une Mafia corse ? D’abord, définir le terme
13 août 2022
Corse, Mafia or not Mafia? Le premier article d’une longue série consacrée à ce thème, porte sur la définition d’une Mafia. Principal constat : sa pérennité. En France, l’idée qui prédomine est que ce serait une « super criminalité organisée en bandes… éphémères. En Italie, le droit reconnaît deux types de criminalité, le droit français un seul. L’ambigüité commence là.
Efficacité des lois anti-mafia et indépendance des magistrats, France-Italie
14 août 2022
L’Italie est le seul pays de l’UE à posséder un arsenal judiciaire « anti-mafia ». Ce dispositif montre une certaine efficacité, mais rencontre une opposition du monde politique. En France, les Procureurs n’ont pas le niveau d’indépendance statutaire des Italiens. Les deux pays manquent de moyens, mais la Justice italienne reste efficace contre les mafias, avec des limites et jusqu’à quand ?
  Mafias et affaires criminelles : juger avec ou sans jury ?
18 août 2022
Les jurys populaires sont-il compétents pour juger des affaires de grande criminalité ? Des magistrats français demandent leur remplacement par des cours composées de juges professionnels. Cela fait suite à une série d’acquittements dans des procès, notamment sur des « dossiers corses ». Ces échecs ne viennent-ils pas, aussi, de la faiblesse de l’appareil juridique français? Le débat est ouvert.
 Confiscation des biens mafieux : intérêt et limites
19 août 2022
A l’exemple de l’Italie, la France saisit les avoirs de la grande criminalité. Ces organisations se voient touchées « au portefeuille ». Les mafias sont affaiblies par ces confiscations, mais la gestion des biens saisis par les Justices n’est pas aisée. Seule une petite partie des immenses valeurs est utilisée. Les mafias trouvent des solutions pour limiter les conséquences des confiscations. 
Italie, un régime de « prison dure » pour les mafieux
21 août 2022
L’Italie possède un régime spécial d’incarcération pour les mafieux et les terroristes. C’est l’article 41bis du code carcéral. Les détenus sont placés en isolement sévère. L’État italien a fait construire plusieurs prisons équipées en ce sens, elles comptent plusieurs centaines de détenus. Plusieurs fois saisie, la justice européenne ne condamne pas, entièrement, ce « régime dur ».
Étude comparée des statuts des « repentis »
22 août 2022
Cet article porte sur les limites de la protection des collaborateurs de Justice, en France et compare les lois françaises à celles des pays qui possèdent un statut plus développé : Italie, USA, Canada. Article publié en 2017, j’ai tenté de l’actualiser. Le droit français continue à contenir des lacunes dans les moyens juridiques accordés. Une certaine frilosité politique semble dominer.
Criminalités comparées, Corse-mafias, suite du programme
3 sept. 2022
Après la description juridique des mafias italiennes et l’analyse des systèmes judiciaires français et italiens, voici venu le temps de faire connaissance avec certaines mafias (Italie, Japon…). En attendant d’observer le « cas corse », nous regarderons les conséquences politiques économiques et sociales des criminalités mafieuses et non mafieuses dans plusieurs régions du monde.
‘Ndrangheta, la puissance d’une mafia
4 sept. 2022
Avec cet article sur la ‘Ndrangheta, débute une série de descriptions de différentes mafias. L’organisation calabraise est de plus en plus citée. La comparaison avec la criminalité corse a ses limites. Nous allons tâcher de voir si nous pouvons extraire des éléments de la situation en Calabre, pour mieux comprendre le « cas corse ».
Yakuza, la Mafia du Pouvoir japonais
11 sept. 2022
Les yakuzas sont connus, car leurs activités criminelles sont quasi « officielles ». Les observateurs parlent de « liens organiques » avec les Pouvoirs politiques et économiques. Les yakuzas font la synthèse entre gangstérisme, nationalisme, extrême droite et gouvernements. Plusieurs clans avaient leurs bureaux, connus de tous. Les temps changent, mais le poids ce cette puissante Mafia demeure.
Banditisme, Mafia: la Sardaigne un cas à part ?
16 sept. 2022
La Sardaigne n’a pas de Mafia endogène. Cela n’empêche pas l’Île de posséder SA criminalité « ordinaire » et même une criminalité « typique » dans une des cinq provinces de la région. Cette criminalité peut-elle se transformer en Mafia ? C’est une question que posent les autorités italiennes en charge de la lutte contre les délits mafieux. La Sardaigne est située à 20 Km de la Corse.
Baléares : pas de mafia locale, mais gare à la corruption
20 septembre 2022
Les Baléares, un archipel pauvre devenu riche. Le moteur du développement économique est le tourisme. Les Baléares n’ont pas de Mafia endogène, mais le marché immobilier qui accompagne le développement touristique attire des mafias étrangères qui veulent blanchir leur argent. Ce constat n’est pas sans effet sur le niveau de corruption.
Délits financiers, criminalité : les arrangements avec les États
24 septembre 2022
Les États ont une position ambigüe avec les organisations criminelles. Idem pour les malversations financières, quand des banques sont impliquées. Les amendes pleuvent, mais les condamnations pénales sont rares. Les banquiers profitent de cette zone grise. Le système a besoin de l’argent sale. Protéger les banques, c’est aussi protéger les mafias. Un renvoi d’ascenseur politique et économique.
Deux Italie : extrême droite, division politique et économique Le terreau des mafias
26 septembre 2022
Comment s’étonner du résultat des élections italiennes de ce mois de Septembre 2022 ? La victoire d’une coalition Droite-Extrême Droite est la conséquence d’un pays, de longues dates, divisé en deux : d’abord sur le plan économique et social (Nord-Sud) et par conséquence sur le plan politique. Une division qui favorise la grande criminalité.
État Italien-Mafias : tractations secrètes et liens inavoués
11 octobre 2022
Je poursuis, ici, la série d’articles sur les rapports ambigus entre des organisations criminelles et les Pouvoirs. Cet article aborde des « négociations » inavouées entre l’État italien et des boss mafieux (fin années 80-début 2000). Cette période a particulièrement défrayé la chronique, mais ces liens ambigus semblent consubstantiels à l’Italie, de sa création à nos jours.
Unité des pays européens : l’exemple italien, vraiment hors-normes ?
23 octobre 2022
Au 19è siècle l’Allemagne et l’Italie deviennent des États unifiés. Seule la péninsule héritera de mafias. Motif : « une étatisation manquée ». Ces organisations criminelles sont en « symbiose » avec une partie de la société. Des élites politiques et économiques forment un triangle avec la criminalité. On les retrouve au sein de loges maçonniques « dévoyées », dans une clandestinité… apparente.
Misère en Italie, grande pauvreté en Corse – Criminalité » et pauvreté
2 novembre 2022
Aujourd’hui, la Corse demeure la plus pauvre des régions françaises métropolitaines. Cependant, les indicateurs économiques la situent en meilleure place que certaines régions italiennes. Du 19è siècle à aujourd’hui, plusieurs régions du Mezzogiorno souffrent d’une véritable misère. La présence de mafias conforte cette situation. Nous observerons l’intérêt d’une comparaison et ses limites.
La criminalité en Corse, une illustration de la situation méditerranéenne ?
10 novembre 2022
La criminalité, en Corse, est-elle d’un genre « original » ou bien s’inscrit-elle dans le droit file de ce qui se passe dans les « régions mafieuses » du Mezzogiorno, particulièrement en Sicile ? L’éloignement de l’État, la présence de familles délinquantes, sont des points semblables. Mais le niveau de violence et les conditions socio-économiques sont dissemblables.
Criminalité en Corse. 1è partie : connaître l’Histoire pour comprendre l’actualité
14 novembre 2022
En Corse, selon des médias, l’association voyous, Politiques, entrepreneurs serait « nouvelle ». Un coup d’œil dans le rétro dément cette assertion. Déjà, entre le 19è et 20è siècle, des journaux faisaient souvent des impasses. Le vieux système claniste a-t-il ouvert la voie à un système mafieux, comme en Sicile par exemple ? Le monde change.
Criminalité en Corse. 2è partie : le clanisme, un pas vers la Mafia ?
16 novembre 2022
Le clanisme n’est pas une organisation criminelle. Mais il s’appuie parfois sur la violence. Il ne défend pas, officiellement, une idéologie et s’adapte au Pouvoir du moment. Il peut critiquer un projet national et le récupérer localement. Le système est, à la fois, dans l’Histoire et en marge de celle-ci. Mais le monde change, le clanisme est-il toujours efficient ?
Pas de Mafia corse. A défaut, la CDC reconnait une « dérive mafieuse »
20 novembre 2022
La séance de l’Assemblée de Corse, consacrée à la Mafia, attendue depuis des mois, s’est finalement tenue, fait remarquable, sans heurts majeurs. Comme prévu, il n’y a pas eu de surprises. Les élus se sont exprimés, de manière convenue. La session fut cathartique, les coups furent retenus. L’État en a pris pour son grade, le plus élevé, car lui seul peut réellement régler le problème.
Criminalité en Corse. 3è partie : du 20ème au 21ème siècle
16 décembre 2022
La criminalité corse remplit une fonction. Elle est instrumentalisée et instrumentalise. Ce faisant, l’État donne le mauvais exemple. Après avoir bien servi dans les colonies, le Milieu est rentré vivre et travailler au pays, toujours en partie « protégé ». De la French Connection au « Petit Bar », le principe semble, presque, le même.
Corse : Rapport du SIRASCO, Mafia ou « méthodes mafieuses » ?
20 décembre 2022
Un rapport « confidentiel » du SIRASCO (Service d'Information, de Renseignement et d'Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée) a « fuité » dans les médias. Les enquêteurs parlent de « 25 équipes criminelles » qui sévissent en Corse. Cet ensemble représente-t-il une Mafia, ou bien s’agit-il d’une criminalité atomisée ? Finalement, cette nuance est-elle si importante ?
Criminalité en Corse. 4è partie : nationalisme, violence et banditisme
23 décembre 2022
La violence politique en Corse est souvent associée à la grande criminalité, qu’en est-il ? Les autorités ont longtemps combattu la violence politique et minimisé, voir « protégé » le Milieu. Des « nationalistes » ont alimenté la confusion. Que veut l’État ? Les autonomistes sont au pouvoir régional, d’éventuelles négociations divisent le mouvement « nationaliste ». Est-ce l’heure des choix ?
Entretien avec Gilles Simeoni Président de l’Exécutif de Corse
23 décembre 2022
Mafia et violence politiques sont-ils des obstacles à des négociations entre le gouvernement et les dirigeants de l’Assemblée de Corse ? Quid d’une « Mafia » et quels sont les freins à un statut d’autonomie, suggéré par le ministre de l’Intérieur ? Pour le président de l’Exécutif régional : « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit ».
Alain VERDI Le 07 Avril 2023
article publié sur le blog du site mediapart
0 notes
verdi-alain · 7 months
Text
Moby Lines : une nouvelle ligne maritime entre Gênes et Porto Torres, via Ajaccio
le 08 Octobre 2023
Le samedi 7 Octobre, les dirigeants de la compagnie maritime italienne ont annoncé l’ouverture d’une ligne saisonnière entre Gênes et Porto Torres (Sardaigne), via Ajaccio. Démarrage prévu, début juin 2024. La marque d’une concurrence accrue avec la compagnie Corsica Ferries
Les responsables de la Moby Lines avaient mis les petits plats dans les grands. Plus d’une centaine d’invités étaient reçus à bord du Moby Orli, amarré au port d’Ajaccio. Musiciens à l’entrée du navire, tapis rouge pour accéder au salon où se tenait la cérémonie de présentation de la nouvelle ligne et de la saison 2024. Dans la salle des fêtes du navire l’on peut voir les principales autorités maritimes de l’île et la Présidente de l’Assemblée de Corse Marie-Antoinette Maupertuis, ainsi que le Président de la Chambre de Commerce (CCI) de Corse, Jean Dominici. 
Tumblr media
Le vice-président de la compagnie, Alessandro Onorato rappelle que la Corse et la Moby « c’est une vieille histoire ». L’an prochain la Moby Lines entamera sa cinquantième saison sur la Corse. A l’époque la compagnie s’appelait la NAVARMA (Navigazione Arcipelago Maddalenino). A. Onorato annonce qu’une nouvelle ligne démarrera en Juin 2024 et qu’elle reliera Gênes (Ligurie) à Porto-Torres (Sardaigne), via le port d’Ajaccio. Peu de détails sont fournis aux invités, mais après vérification, nous apprenons qu’un navire de la compagnie effectuera trois rotations hebdomadaires « en semaine », du début Juin au mois de Septembre.
Tumblr media
Les jours de la semaine, prévus pour les rotations, ne sont pas encore affichés. Ils devraient être officialisés « prochainement ».
Le nom et les caractéristiques du navire ne sont pas encore connus. La cérémonie se déroulait à bord d’une des plus grandes unités de la flotte, le Moby Orli. Mais ce sera un autre bateau qui effectuera la liaison, comme nous le confirme Raoul Zanelli Bono, un consultant de la compagnie. La compagnie ne devrait pas avoir de mal à trouver un navire, elle en possède 34 (trente quatre).
Tumblr media
La Présidente de l’Assemblée de Corse s’est félicitée de cette annonce. Elle estime que « (…) ces connexions sont importantes, c’est une ouverture sur le monde ». Marie-Antoinette Maupertuis rappelle que « nous avons des relations anciennes avec les régions d’Italie (…) ». 
Tumblr media
Les différents acteurs économiques et politiques ne peuvent que se féliciter de l’ouverture d’une nouvelle ligne maritime touchant la Corse. Cependant, il est encore trop tôt pour avoir une vision d’ensemble, permettant d’analyser cette annonce.  Outre les jours de départ et les caractéristiques du navire, il manque surtout un des éléments pour comprendre quel est le marché visé. Une clientèle italienne et/ou une clientèle allemande (importantes sur la Moby Lines) ?
Existe-t-il un marché significatif sur ce trajet ? Le « via Ajaccio » sur une ligne entre le continent italien et la Sardaigne peut-il attirer une nouvelle clientèle et si oui, laquelle ? En l’état des informations connues, il est prématuré de risquer une réponse.
La relance d’une concurrence avec Corsica Ferries ?
Les deux compagnies sont en concurrence sur les liaisons Corse-Italie (lignes saisonnières pour la Moby Lines), mais cette concurrence est plus âpre sur les liaisons entre le continent italien et la Sardaigne.
La Moby qui a racheté l’ex- compagnie publique Tirrenia (2011) s’est retrouvée renforcée sur les lignes entre l’île italienne et son continent. Mais une série de péripéties a mis le groupe Moby-Tirrenia en grandes difficultés, judicaires et financières.
.Sur le plan financier, la faillite aurait été évitée par l’entrée au capital du géant MCS (croisières, ferries, voyagiste…) à hauteur de 49% du capital. Les spécialistes du monde maritime considèrent que Moby Lines est contrôlé par MSC. Ce méga groupe (MSC croisières, Grandi Navi Veloci [GNV] et Moby Lines devient le plus gros armateur de ferry d’Europe en matière de flotte. Selon un classement établi par le journal Le Marin (05 Sept 2023), le groupe MSC- GNV-Moby- est en tête du " top 10" des armateurs européens de ferries, « pour la taille cumulée de la flotte ». Dans ce classement, la « Corsica Ferries » se trouve à la 10ème place.
 .Sur le plan judiciaire, le Parquet de Milan a ouvert une enquête préliminaire. La Justice italienne soupçonne le politicien Beppe Grillo (mouvement  cinque stelle) de « trafic d’influence illicite » en faveur du  PDG de Moby Lines (période 2018-2019) Vicenzo Onorato. L’enquête préliminaire vient de s’achever (mars 2023) les décisions définitives ne sont pas encore connues.
 L’annonce d’une nouvelle ligne, par la Moby, huit mois avant la date prévue,  prépare-t-elle un renforcement de la concurrence entre les deux opérateurs ?  C’est une hypothèse envisagée par des observateurs du monde maritime. Déjà, en 2010, l’ouverture d’une liaison Toulon-Bastia par la Moby Lines, avait été interprétée, par des professionnels des transports, comme une pression exercée sur la Corsica Ferries France (CCF) qui détenait un monopole de fait, sur le port varois. Pour quel objectif ? Obtenir la limitation des ambitions de CCF sur les lignes reliant la Sardaigne. Autrement dit, il se serait agit d’obtenir un modus vivendi : Moby n’insiste pas sur le trajet Corse-continent français et CCF ne se renforce pas sur la Sardaigne. Aucun élément concret n’est apparu à l’appui de cette thèse. Une chose est sûre, la liaison Toulon-Bastia, effectuée par la Moby, n’aura duré que dix mois (avril 2010-février 2012). Officiellement, Moby s’est arrêtée « pour cause du prix du carburant » et pour « non paiement des subventions » que devait lui verser la Collectivité Territoriale de Corse, sur cette ligne subventionnée à l’époque. De fait, l’on retiendra que les passagers transportés, sur cette ligne, par la Moby étaient des clients potentiels de CFF.
La thèse d’un durcissement de la concurrence est renforcée par les autres annonces présentées, le samedi 7 Octobre à Ajaccio :
-La compagnie revient sur la ligne Bastia-Piombino (Toscane). Ce dernier port relie, également, le continent italien à l’île d’Elbe. Depuis 2011, la Moby possède l’ex- compagnie publique TOREMAR qui effectue des liaisons entre Piombino et les îles toscanes.
-Et surtout, les dirigeants de la Moby ont annoncé un « allongement de la saison » sur plusieurs lignes. Particulièrement sur la ligne Bastia-Livourne (Toscane). La Moby Lines ne naviguait, sur cette ligne, qu’en haute saison. En 2024, la liaison devrait s’étendre d’Avril à Novembre.
Cette dernière annonce illustre le renforcement de la concurrence. En effet, la ligne Bastia-Livourne est effectuée, toute l’année par Corsica Ferries.
Tumblr media
Est-ce que l’Histoire bégaie ? Surtout quand on sait que CFF, effectue déjà une liaison Ajaccio-Porto Torres. 
 Ce durcissement de la concurrence intervient alors que l’opérateur Corsica Ferries a connu « un recul de 8,2% sur ses lignes nationales et internationales » (journal Le Marin 26/09/2023).
Nous devrions être fixés sur les enjeux réels dans les prochains mois. Désormais, les acteurs économiques insulaires et certains politiques attendent l’ouverture de la ligne Gènes-Porto Torres, via Ajaccio. C’est pour Juin 2024.
      Ajaccio le 8 Octobre 2023
    Crédit photos Alain Verdi
Article en ligne sur le blog du site mediapart
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Entretien avec Gilles Simeoni Président de l’Exécutif de Corse
Mafia et violence politiques sont-ils des obstacles à des négociations entre le gouvernement et les dirigeants de l’Assemblée de Corse ? Quid d’une « Mafia » et quels sont les freins à un statut d’autonomie, suggéré par le ministre de l’Intérieur ? Pour le président de l’Exécutif régional : « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit ».
Alain Verdi Entretien réalisé le 22 décembre 2022
On dirait que personne à l’Assemblée de Corse ne croit qu’il existe une mafia ?
« Il peut y avoir une discussion sémantique autour du concept de Mafia, au-delà de cette discussion je pense qu’il y a unanimité pour dire qu’aujourd’hui, il y a un phénomène de criminalité organisée et de dérive de type mafieux qui préoccupe les corses . »
 Pourquoi aujourd’hui, qu’est- ce qu’il y a de nouveau finalement ?
« Je ne pense pas qu’on s’en aperçoive aujourd’hui, je me rappelle qu’en 1990, si ma mémoire est bonne, j’allais manifester dans la rue dans le cadre de manifestations organisées par l’ANC (Accolta Nazionale Corsa, mouvement dirigé par Pierre Poggioli. NDLR) autour du thème ‘Mafia No’ ». Cette notion est prégnante depuis longtemps, mais aujourd’hui avec l’évolution de la société corse, l’accélération de certains phénomènes : la spéculation immobilière, l’augmentation du trafic de drogue et l’augmentation de ces facteurs avec des assassinats marquants et traumatisants, il y a une prise de conscience et une expression publique qui s’est renforcée et structurée ».
Tumblr media
Une Mafia, une vraie, c’est une espèce de triangle : des voyous, certains politiques, certains milieux entrepreneuriaux. Est-ce que c’est la situation que vous observez en Corse ?
 « Il y a plusieurs définitions, c’est la raison pour laquelle on a une discussion pour savoir s’il y a une mafia ou pas, en Corse. Votre définition peut être complétée par  la loi italienne qui définit l’organisation mafieuse par l’omerta, ça couvre aussi une dimension économique et une organisation pyramidale etc, etc… Ce qui est certain, c’est qu’il y a aujourd’hui en Corse des éléments qui laissent craindre une convergence ou une interpénétration  ou un risque d’interpénétration entre la sphère du politique, la sphère de l’économie et la criminalité organisée ou des pressions  de tous ordres. Donc c’est un phénomène dont il faut se préoccuper. »
 L’assemblée ne risque pas d’échapper à ces pressions, peut-être même est-elle déjà concernée ?
« On sait qu’aujourd’hui, il peut y avoir des pressions partout en Corse, la problématique c’est de ne pas tomber dans un phantasme, de ne pas être dans une surestimation du risque mais en même temps il ne faut pas l’ignorer. »
 Par exemple, sur quoi pourrait porter une pression sur l’Assemblée de Corse ?
« Il y a trois catégories de revenus de potentiels importants pour la criminalité organisée et pour des groupes dans une logique mafieuse. C’est premièrement la spéculation immobilière. Il peut y avoir des pressions dans tous les domaines liés à l’urbanisme. Deuxièmement, les terres  et leurs demandes d’acquisition etc etc.Il y a les marchés publics et certains secteurs potentiellement à risque, je pense notamment au secteur des déchets.
Et enfin le troisième point, c’est la question de la drogue qui est aujourd’hui un commerce extrêmement lucratif, qui malheureusement touche la jeunesse qu’elle soit urbaine ou rurale. »
 Vous avez, en tant que nationaliste, critiqué le système claniste, est-ce qu’il a préparé  -directement ou indirectement- depuis au moins le 19ème siècle, ce qui arrive aujourd’hui ?
 « Non je pense que ce serait un procès, à postériori et rétroactif beaucoup trop sévère. Le clanisme, par contre, a historiquement participé à empêcher l’émergence d’une véritable culture démocratique en Corse et  parce que la culture démocratique est un des antidotes les plus sûrs contre les dérives mafieuses. Le système claniste historique porte une part de responsabilité  qui est indirecte. »
Tumblr media
L’État n’a-t-il pas laissé faire, historiquement, certaines choses et aujourd’hui que peut-il faire ?
 « Historiquement, je pense que l’État a une responsabilité qui est très importante, sur le temps long et même sur un temps plus court. Le temps long c’est sur deux siècles de présence. A partir du moment où il n’a jamais créé les conditions de la démocratie, du développement économique réel, source de richesse par le travail, de répartition  d’une société solidaire, il a aussi objectivement préparé le terreau à l’émergence de ce type de phénomène. »
 Aujourd’hui que doit-il faire ?
 « Si on se situe sur un temps plus court, je pense que tout le monde sait, que tout le monde dit, y compris des hauts magistrats, que dans les années 80 et pendant plus de trente ans, l’appareil d’État qu’il soit judiciaire ou policier s’est concentré uniquement dans la lutte et la répression contre les nationalistes, en délaissant la lutte contre la criminalité organisée et quelquefois    -et c’est prouvé- en la soutenant directement ou indirectement, pour l’instrumentaliser contre le mouvement national (nationalisme corse-NDLR). »
 Cela, c’était l’historique, mais sur l’actualité l’État peut-il et doit-il faire quelque chose ?
 « L’État a, aujourd’hui, les pouvoirs régaliens, en matière de police et de Justice il lui appartient de mettre en œuvre, sur la durée, sans excès mais avec fermeté une politique pénale qui permette de lutter contre tout type de dérive.
Vous savez qu’il y aussi des discussions sur le thème : faut-il renforcer des dispositifs particuliers au nom de la lutte contre la Mafia ou les dérives mafieuses, faut-il renforcer des procédures d’exception de certaines juridictions ? C’est un débat qui est posé. Deux associations qui se sont constituées contre la Mafia disent clairement oui. La Ligue des Droits de l’Homme dit non. J’ai tendance à dire que, même s’il faut que l’État se doit de protéger la société contre ce type de dérives, il y a dans le droit pénal des instruments répressifs et suffisamment de moyens, s’il y a une volonté politique pour, dans la durée, répondre de façon efficace. »
 Est-ce que cette peur de changement de règlements judiciaires n’est pas portée par la peur que ces nouvelles lois puissent servir plus à poursuivre des nationalistes que des voyous, aujourd’hui ?
« Nous avons quand même subi une police et une Justice d’exception, sans parler des dérives et des méthodes barbouzardes, des attentats, qui ont visé des militants nationalistes »
 Mais la situation a changé, aujourd’hui il y a d’abord et avant tout un problème de grande criminalité
 « Même quand il y a des dérives réelles, une société doit rester dans une logique démocratique. Par conviction et par expérience professionnelle, on voit que lorsque l’on fait un texte d’exception, l’exception tend à contaminer le principe et tend à conduire à des dérives. Oui, par certains côtés, au renforcement, mais non à la création de dispositifs qui pourraient représenter des dérives pour les libertés. »
 Vous  savez que la criminalité organisée et les mafias s’insinuent partout, il n’y a pas de raisons que le nationalisme y échappe. Est-ce que la problématique d’une certaine violence politique et la grande criminalité  ne crée pas une confusion dans les esprits ? D’une certaine façon, il est indéniable que, aussi, des nationalistes ont participé à la grande criminalité.
 « C’est possible qu’il y ait eu des personnes qui, individuellement,  soient passées d’un monde à l’autre. Mais je crois qu’aujourd’hui et depuis très longtemps les choses sont claires. C’est la raison aussi pour laquelle, pour éviter tout soupçon et tout risque, je crois qu’il faut s’assurer qu’il n’y a pas d’autres chemins comme méthode et comme objectif. »
 Venons à l’actualité. On ressent une espèce de menace agitée par les indépendantistes, en disant « si l’État se comporte, comme il se comporte, il empêche toute négociation sur un processus d’autonomie ». Est- ce que cela ne veut pas dire, en fait nous l’autonomie ça ne nous intéresse pas, on veut plus ?
« Non, moi je ne pense pas. Pour comprendre ce qui se passe actuellement, il faut se replacer avec plus de recul. Objectivement, le FLNC a annoncé l’arrêt définitif de la violence clandestine, derrière il y a eu les victoires électorales des nationalistes. Il y a eu une volonté de l’ensemble des nationalistes, y compris des indépendantistes radicaux, premièrement de s’inscrire dans une logique de démocratie, deuxièmement d’être dans la construction de solutions politiques qui passaient aussi par un statut d’autonomie. »
 On sent des résistances. Qu’est ce qui empêche, alors qu’il y a un gouvernement qui dit « chiche », en Corse on dise aussi « chiche », en Corse on vous prend au mot ?
 « Je pense que d’abord, pendant près de sept ans (depuis l’arrivée au Pouvoir régional des « nationalistes » NDLRD) les gouvernements successifs  ont méprisé le résultat des urnes en Corse… »
 Mais aujourd’hui, depuis la phrase de Gérard Darmanin (sur une autonomie possible) ?
« L’attitude de l’État a laissé croire (en Corse NDLR) que la démocratie ne fonctionnait pas. C’est une idée dangereuse, parce qu’on a rouvert un espace politique pour celle et ceux qui disent : en fait le chemin n’est pas le bon et l’État ne comprend que la violence. »
 Un Président,  comme vous, se doit de faire la synthèse, mais il n’y a pas un risque à force de vouloir être consensuel de noyer les responsabilités ? On entend tout le temps « c’est la faute de l’État », mais il faut balayer devant toutes les portes, y compris en Corse…
 « Je ne cherche pas le consensus à tout prix, j’ai pris des engagements devant les Corses, ils sont dans la continuité de ceux pris en 2015 et 2017 et la ligne est toujours la même. Il y a une question éminemment politique, économique, sociale et culturelle, institutionnelle. Il y a un peuple, il y a un combat qui dure depuis 60 ans. Il faut aujourd’hui créer les conditions politiques d’un véritable dialogue avec l’État pour construire une solution politique. Elle passe au niveau  institutionnel par un statut d’autonomie. »
 Est-ce qu’il n’y a pas des gens qui, alors que les choses arrivent, ont peur que le roi soit nu. Du coup annoncer qu’il faut mettre le problème des prisonniers avant le statut, pour régler le problème des prisonniers, est-ce que ce n’est pas un  obstacle qui est artificiel, car le statut réglera le problème automatiquement ?
 « C’est un problème difficile, je l’ai dit à l’Assemblée de Corse ; on ne peut pas gérer un processus (les négociations sur l’autonomie NDLR) avec des lignes rouges d’un côté ou des préalables de l’autre. On va dans un processus avec sa volonté politique partagée d’identifier des objectifs communs et les atteindre par le dialogue, des signes politiques, et par des avancées. Il faut créer les conditions politiques pour que ce processus soit au bon niveau et dans cette dynamique d’ensemble chacun doit prendre sa part. La Corse et les nationalistes ont pris leur part,  les indépendantistes ont pris leur part. Jusqu’à aujourd’hui l’État ne l’a pas fait, ou en tout cas pas suffisamment. Je ne suis pas là pour distribuer de bons et des mauvais points. Si l’on veut réussir, on sait très bien les uns et les autres qu’il faut donner des signes qui permettent de recréer la confiance et qui permettent d’aller vers une sortie par le haut. »
 Aujourd’hui, les planètes n’ont jamais été autant alignées, pour la première fois depuis 1982, il y a une majorité absolue,  qu’est- ce qui empêche que les choses se fassent, en Corse, comme à Paris?
 « Ce qui a empêché que les choses se fassent, c’est l’absence de volonté politique, de la part de l’État. Si l’État donne des signes clairs, s’il dit : « nous reconnaissons que la question corse est  économique, politique, sociale… nous respectons le suffrage universel, nous voulons construire une solution politique qui passe par la mise en place d’un statut d’autonomie qui est le droit commun de toutes les îles de méditerranée, on va le faire et on va le faire ensemble », je pense qu’il n’y aura plus de place pour le doute , le refus de dialogue et pour les logiques de conflit. »
 Tout est de la responsabilité de l’État ? N’y a-t-il pas quelques responsabilités locales, même au sein de la mouvance nationaliste ?
 « Je n’ai pas dit cela, j’ai dit qu’il y a une responsabilité première dans la fragilisation du processus (de négociation NDLR)  avec l’absence d’avancées politiques  de la part de l’État. Après, quand on est dans une logique de défiance, elle vient de part et d’autre… »
 Est-ce que vous craignez, aujourd’hui, un éventuel redémarrage de la violence politique  telle que celle que l’on a connue ?
 « Pour qu’elle disparaisse définitivement, tous les signaux étaient au vert, il suffisait d’être dans une logique de dialogue et de construction d’une solution politique ; pendant sept ans il n’y a rien eu, c’est la faute de l’État. Le processus est effectivement en danger, parce qu’il y a des blocages qui sont réapparus. Forcément quand il y a blocage politique, il y a un risque de tension et de conflit, tout le monde le sait, il faut le dire et en prendre conscience. Il ne faut pas dramatiser non plus. Il faut se dépêcher de sortir de cette mécanique là pour mettre en place une dynamique vertueuse. »
Tumblr media
Quel message faites-vous passer sur le dialogue ?
 « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit. Il appartient à toutes les parties. L’alternative c’est la stagnation, la régression et ce serait terrible pour la Corse, pour la jeunesse et les générations de demain. Ce scénario catastrophe personne ne le veut,  nous avons tous les moyens d’éviter sa survenance. Il faut se donner les moyens de réussir. La situation actuelle est difficile, elle est porteuse de dangers, mais il y a toute possibilité de reprendre le chemin du dialogue et de réussir cette solution politique, tourner la page d’un conflit qui dure depuis un demi siècle.  Il faut s’inscrire dans une relation nouvelle entre la Corse et l’État pour mettre en œuvre cette solution politique ».
 C’est le vœu de Noël ?
« C’est la volonté de chaque jour et c’est aussi le vœu de Noël ».
       Propos recueillis par Alain Verdi le 22 décembre 2022
Le même entretien sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
1 note · View note
verdi-alain · 1 year
Text
Criminalité en Corse. 4è partie : nationalisme, violence et banditisme
La violence politique en Corse est souvent associée à la grande criminalité, qu’en est-il ? Les autorités ont longtemps combattu la violence politique et minimisé, voir « protégé » le Milieu. Des « nationalistes » ont alimenté la confusion. Que veut l’État ? Les autonomistes sont au pouvoir régional, d’éventuelles négociations divisent le mouvement « nationaliste ». Est-ce l’heure des choix ?
Alain Verdi 23 Décembre 2022
Nationalisme corse et Milieu
En Corse, existe-t-il un lien direct, structurel, entre la violence de la grande criminalité et la violence politique ? En d’autres termes, les mouvements clandestins nationalistes sont-ils les ancêtres et/ou les membres d’une Mafia contemporaine ?
La tentation de répondre oui est grande chez plusieurs acteurs du débat public.
Le rapport parlementaire (Assemblée Nationale) « sur l’utilisation des fonds public et la gestion des services publics en Corse » (Septembre 1998) abordait ce « lien », sans aller jusqu’à le considérer comme structurel. Un chapitre de ce rapport s’intitule : « Les groupes nationalistes et la tentation affairiste ». On y parle, notamment, de « liaisons dangereuses». Mais aucun des (nombreux) rapports parlementaires n’a estimé, explicitement, que les mouvements nationalistes étaient des Mafias.
Cette accusation revient, parfois dans la bouche des opposants à la mouvance nationaliste. Ainsi, sans aller jusqu’à confondre nationalisme clandestin et Mafia, certains estiment que la violence politique est à l’origine des violences, en général.
Le groupe de Droite de l’Assemblée de Corse, Un soffiu Novu, estime lors du débat sur la « dévire mafieuse » que « lorsqu’on a légitimé des meurtres, le racket  -sous la forme de l’impôt révolutionnaire- des plasticages, on a créé les conditions de la violence (…) ». Session extraordinaire du  18 Novembre 2022 consacrée aux « dérives mafieuses ».
Que des personnes, passées par le nationalisme, à titre individuel, aient fait partie du grand banditisme et/ou en fassent encore partie, nul ne peut le nier. Que  les différents FLNC aient fini par devenir des groupes de pression avec des activités criminelles, c’est une évidence. Les exemples ne manquent pas.  Que cette violence ait été particulièrement dévastatrice, c’est incontestable, qu’elle ait fait le jeu de forces « souterraines » cela nous paraît indéniable.
En revanche, considérer les organisations clandestines  -de fait, les différents FLNC- comme des « mafias », voire comme La Mafia, serait une erreur.
La première erreur serait historique, cela ferait remonter le lien entre la violence, la politique et les « affaires » à la création de mouvements clandestins (1976) ou au milieu des années ,60 avec l’apparition du Fronte Paisanu Corsu di Liberazione (FPCL). L’idée d’une si faible antériorité ne résiste pas à l’analyse de l’histoire de l’île. La violence, en lien avec la gestion politique, est ancienne et bien documentée. Surtout elle semble ne pas avoir connu de longues poses, à travers l’Histoire.
Bien sûr des points de faiblesse apparaissent dans ces mouvements : leur clandestinité même (une notion de clandestinité ambiguë, voir plus loin l’encadré Clandestins mais pas trop), la violence physique, « l’impôt révolutionnaire » assimilable à un racket, des actions criminelles (tentative de racket et assassinat d’un coiffeur ajaccien en 1983, assassinat de deux ressortissants tunisiens accusés de « trafic de drogue »…), la liste est loin d’être exhaustive. Le « glissement » individuel le plus spectaculaire est, sans doute, celui de Richard Casanova, passé du nationalisme au statut de « cerveau » de la Brise De Mer.
 Des FLNC vers la Mafiosisation ?
Ainsi,des groupes nationalistes sont accusés de protéger certains affairistes sur l’Ile de Cavallo. « L’île aux milliardaires » voit plusieurs bâtiments  (hôtel, restaurants, constructions…) visés par des attentats revendiqués par des groupes nationalistes différents. Mais d’autres structures de la petite île ne sont pas visées par les différents FLNC. Ainsi le port privé d’un milliardaire, Jacky Setton, est condamné à être détruit… par la Justice. Pour Pierre Poggioli: « le milliardaire est le bouc émissaire ». L’ancien membre du FLNC estime que les autorités oublient la construction d’un port de deux-cent cinquante anneaux, sur cette même île, et que la société italienne et ses membres qui gèrent Cavallo évoluent « forts d’appuis divers » car « eux sont « protégés », « notamment par certains nationalistes ». In « Journal de bord d’un nationaliste corse ». Après la scission  des nationalistes,  Pierre Poggioli a été dirigeant du mouvement officiel Accolta Naziunale Corsa (ANC), le pendant « clandestin » de L’ANC était le mouvement « Resistenza ».
Ce « débat » autour de la probité des mouvements nationalistes se retrouve, en partie, dans la guerre sanglante « nationalo-nationaliste » du début des années 90. Le mouvement se scinde en plusieurs organisations, légales et clandestines. A l’époque le MPA (Mouvement Pour l’Autodétermination) est pointé du doigt pour ses « dérives affairistes ». Le pendant « clandestin » du MPA était le « FLNC Canal habituel ».
 Une dérive qui a concerné toutes les mouvances. C’est notamment l’avis de deux membres du commando qui ont participé à  l’assassinat du préfet Claude Erignac (6 Fev. 1998). Alain Ferrandi et Pierre Alessandri (condamnés en Juillet 2003, à la réclusion criminelle à perpétuité). Ils s’expriment dans le quotidien Corse Matin le 13 Novembre 2015: « Nous avons voulu cette scission, à cause des dérives du MPA. Finalement, à la Cuncolta, nous n’avons pas échappé à la dérive et avons été frappés par les mêmes maux ». Du reste, dans ce même entretien, Alain Ferrandi estime que la situation actuelle est dégradée : « (…) on laisse le terrain aux bandes organisées mafieuses. On a l’impression d’assister à l’installation d’un système pré-mafieux : le marché de la drogue qui s’étend, la lutte pour mettre la main sur les marchés publics, l’influence de la criminalité organisée sur l’économie ». Le pendant « clandestin » de La Concolta était le  « le FLNC Canal Historique ». 
Ces « dérives » vues de l’intérieur du mouvement, sont confirmées par les autorités, à l’exemple de Jean-Pierre Lacave préfet-adjoint pour la sécurité (1993/1995). Il s’exprime (12 Juillet 1999) devant la Commission d’enquête parlementaire « sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse » :
« (…) les deux organisations s’étaient partagé le territoire, soit par vallée, soit par tranche de gâteau - mais souvent la vallée équivaut à une tranche de territoire. Chacun avait ses machines à sous et nous avons fait d’importantes opérations contre ces dernières, les unes dépendant du MPA et les autres du FNLC-Canal historique. On sentait bien qu’il y avait là, chez les uns et chez les autres, une interpénétration et l’on a dit un peu rapidement - mais il n’y a pas eu de vérifications précises - que les uns étaient plus proches de la Brise de mer et les autres, de Colonna (...) ».
Voilà des accusations fortes, de la part d’un haut représentant de l’État, pondérées par une phrase : «… et l’on a dit un peu rapidement - mais il n’y a pas eu de vérifications précises… ». Personne n’a relevé, parmi les parlementaires de la commission, que, soit c’était inexact et qu’un préfet ne doit pas colporter des allégations   -surtout devant une commission d’enquête-, soit c’est vrai et à ce moment il aurait fallu pousser les enquêtes policières jusqu’au bout. A-t-on protégé les mouvements clandestins ou bien la criminalité organisée ?
Ce flottement est confirmé dans une autre audition de la même commission parlementaire. Le 14 Septembre 1999, l’ancien Procureur Général près la cour d’appel de Bastia (1992/1995), Christian Raysséguier, parle d’une présentation « tronquée » des chiffres de la criminalité en Corse :
« Ce qui a tronqué la présentation de la situation en Corse, ce sont les chiffres que j'ai cités tout à l'heure concernant les attentats et les homicides sur voie publique. Sur 600 attentats, 250 étaient commis à l'explosif, et moins de 10 % de ces 250 étaient revendiqués par les organisations nationalistes ; ce qui veut dire que l'immense majorité des attentats n'était que la traduction un peu violente et explosive du règlement de conflits privés ou commerciaux, quand ce n'était pas - et c'était plus préoccupant- la phase ultime d'un processus de racket en cours ». Là aussi, aucun parlementaire ne demande au Procureur Général pourquoi la répression anti-terroriste a été plus active et plus efficace que celle contre le banditisme pourtant reconnu comme à l’origine de la majorité des attentats.
Ce rappel est nécessaire. Sans aller jusqu’à considérer que les différents FLNC étaient des mafias, il serait intéressant de savoir quelle était la nature et la structure de ces apparentements « clandestins »-criminalité organisée, désignés par les autorités. Discutaient-ils « d’égal à égal » », était-ce une répartition des tâches, si une tendance (politique ou criminelle) dominait l’autre, alors il y avait forcement instrumentalisation.
Aucune enquête en ce sens n’a été publiée à ce jour. Le seul fait qui peut nous aider à répondre à ces interrogations, est le suivant : mis à part des affrontements, sporadiques, pour des portions de « territoires » (au sens de domaine d’activité), les organisations « clandestines » et les bandes du grand banditisme ne se sont jamais livrées à une guerre totale pour la conquête de ces « territoires » ou pour le monopole d’activités délictueuses sur l’ensemble de l’île. Ces « apparentements » ressemblent, parfois, à un partage des domaines d’activité.
Tumblr media
Sur la violence nationaliste et sa légitimité supposée, de nombreux dirigeants de mouvements se sont exprimés.  Sur [l’existence de liens Mafia-« clandestins »], une figure emblématique de l’indépendantisme, l’avocat Jean-Guy Talamoni, s’explique longuement dans un livre entretien : « la mafia c’est quoi ? Ce n’est pas seulement la délinquance organisée, c’est le lien entre cette dernière et d’une part, l’économie, d’autre part le pouvoir politique. Or les nationalistes n’ont jamais exercé le pouvoir politique en Corse. Par conséquent, si l’on cherche dans l’île des traces de dérive mafieuse, il faut se pencher plutôt sur le cas de certains élus de la classe politique dite « traditionnelle » qui détiennent des responsabilités de gestion politique ». In Liberta (2004). Finalement, Les « nationalistes » unis (autonomistes et indépendantistes) exerceront le pouvoir régional entre 2015 et 2021. Puis les autonomistes (Femu a Corsica) seuls, obtiennent la majorité absolue en Juin 2021. Depuis 2015, aucune accusation majeure de collusion criminalité-violence politique n’a été mise au devant de la scène. Il faut noter que la progression électorale des « nationalistes » fait suite à une annonce des « clandestins » du FLNC, qui annoncent le « dépôt des armes » en Juin 2014. « Seules » quelques actions violentes et menaces de « reprise de la lutte armée » sont à noter, à ce jour.
  Fusion-confusion
Les groupes nationalistes clandestins ont eux-mêmes participé à la confusion de cette image au moment de la guerre entre les différentes factions (1994-1996). En même temps que les autorités présentaient cette guerre « nationalo-nationaliste » comme étant motivée, notamment, par une concurrence dans l’enrichissement par la violence,  les groupes clandestins concurrents « (…) s’accusaient mutuellement de dévoyer les idéaux du combat politique en les subordonnant à des intérêts « mafieux » et « affairistes ». Ce point est bien décrit par Jean-Louis Briquet. Ce chercheur du CNRS, a bien résumé les ambiguïtés des uns (les mouvements clandestins) et les accusations des autres (les autorités) autour du thème violence politique et dérive affairiste. Un thème résumé dans son ouvrage «Milieux criminels et pouvoirs politiques », au chapitre «Violence politique et affairisme criminel en Corse. La question de la « dérive mafieuse » du mouvement nationaliste ».
A  cette occasion, les autorités ont braqué le projecteur médiatique sur une « confusion clandestins-«mafia». Le faisceau très serré de ce projecteur a, forcement, limité la réflexion sur ce que pouvait être réellement une mafia corse. En s’essayant à une quasi synonymie entre violence clandestine (politique) et « dérive mafieuse », ces mêmes autorités ont  (consciemment ?)  placé les organisations nationalistes au centre du jeu. Une mise au centre artificielle diront certains. Nous avons vu que les dérives de l’action politique vers les affaires et la « voyoucratie » sont nombreuses et indéniables. Mais réduire ce que ces autorités appellent « une dérive mafieuse » à la seule mutation du « politique/nationaliste » nous semble être une erreur d’analyse.
 Bien des membres du Milieu insulaire se sont « fait les dents » au sein du FLNC. Malgré ces actions et bien d’autres à l’aspect ambigu, la question demeure la même : la violence des « clandestins » est-elle à l’origine de la « dérive mafieuse » ? La réponse me paraît non, pour plusieurs raisons. La principale est que cela mènerait à oublier l’histoire féconde du banditisme insulaire. Le racket et le lien Politique/Milieu n’ont pas débuté à la fin des années soixante, mais bien avant. Une autre explication est plus subtile. En cas d’existence d’une Mafia, tout spécialiste de ce genre de criminalité vous dira qu’une Mafia ne s’appuie pas sur un mouvement politique unique et que les partis politiques « d’appui » ont une assise nationale. Une Mafia ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Le cas sicilien demeure exemplaire.
 Mafias et référents politiques
Les mafias italiennes choisissent les partis politiques avec lesquels elles peuvent mener leurs affaires. Pino Arlacchi parle de « Gestion paritaire des intérêts économiques  communs aux leaders politiques et aux chefs mafieux (…) ». In Mafia & Cies. Encore faut-il que les intérêts des partis et des mafias, coïncident. Pour cela, les organisations criminelles italiennes ont des préférences.  Antonio Calderone explique comment la Commission Régionale (Coupole) de Cosa Nostra donne des indications sur les partis politiques à soutenir et ceux pour qui il ne faut pas voter. « Cosa Nostra a toujours été l’adversaire du Parti Communiste et des partis de gauche ». Il rappelle aussi que « les fascistes non plus ne nous plaisent pas » In Les hommes du déshonneur, déjà cité. Pour Cosa nostra, il s’agit d’une réminiscence de l’époque de Benito Mussolini durant laquelle ils ont été violemment poursuivis par le Préfet Mori. Ce dernier sera écarté de Sicile, dès qu’il commencera à enquêter sur les liens entre la Mafia et des personnalités de l’État fasciste.  
Aux yeux des mafieux,  fascistes et communistes sont partisans d’un État fort, tout le contraire des intérêts d’une mafia. Mais l’on trouve quand même des nuances.
Tumblr media
* Sur les liens USA, extrême droite, mafias
**Sur les liens Maçonnerie « déviante », extrême droite, ‘Ndrangheta
Sur l’ambiguïté du putsch de 1970, en Italie, on peut lire : « L’orchestre noir- enquête sur les réseaux, néo-fascistes ». Frédéric Laurent. Nouveau Monde Édition 2013.
Enfin, en Corse, toute l’histoire de la criminalité insulaire a montré que le Milieu cherchait des alliances avec des partis de gouvernement.  Que les voyous « recrutent » dans tous les partis politiques et essayent de les instrumentaliser est une chose. Qu’ils aient LEUR parti, en est une autre. 
 Il faudrait croire que la Corse présente une originalité : une Mafia qui possède son propre mouvement politique local, sans « référent » au niveau national. Tout spécialiste des mafias, notamment italiennes, vous dira que c’est peu vraisemblable.
 Des nationalistes instrumentalisés par la grande criminalité
 Des nationalistes ont-ils été manipulés par la grande criminalité ? Vraisemblablement. C‘est, en tout cas, l’avis de plusieurs observateurs. Durant de nombreuses années, nous avons vu que les autorités portaient le maximum d’efforts sur les enquêtes visant les organisations « clandestines ». Etait-ce au détriment des enquêtes sur le Milieu ? Un magistrat, cité par le journaliste Nicolas Beau s’interroge : « (…) toute l’histoire de la criminalité montre qu’il n’y a pas de frontière étanche entre les dérives du nationalisme et le grand banditisme. Les nationalistes ont été instrumentalisés par les voyous ». Comment cela se traduit-il ? Le magistrat poursuit : « Une espèce d’équilibre de la terreur a été créé : vous touchez au grand banditisme et immédiatement une série d’attentats supposés nationalistes se déclenchent ». Nicolas Beau appuie le raisonnement par la citation d’un « grand flic, spécialiste de la Corse » qui tend à démontrer le faible investissement des enquêteurs sur la grande criminalité : « Sur le terrorisme on sait tout (…) en revanche, sur le grand banditisme, on travaille extrêmement peu ». In La maison Pasqua.  Le nom des deux enquêteurs n’est pas cité. On aimerait pouvoir répondre à une question : pourquoi ce traitement à deux vitesses ?
La version -Politiquement Correcte- qui circule le plus est la suivante : « en haut lieu, on a estimé que les organisations « clandestines » étaient plus dangereuses pour l’ordre public que le banditisme ». Nous mettons des guillemets à l’expression clandestine, par ce que cette « clandestinité » semble, en fait, mythique. Si l’on en croit le témoignage du « grand flic », dès les années 80, « Sur le nationalisme, on sait tout ». Et pour cause, l’île est petite et la police est souvent plus efficace qu’on le dit. Mais la Corse est aussi petite pour les voyous. La clandestinité de ces derniers, est, potentiellement, aussi limitée que celle des « clandestins ».
Tumblr media
           Le grand banditisme a-t-il été protégé par les autorités, afin de servir de « pare- feu » à la violence politique nationaliste et au delà, aux idées nationalistes ? Certains éléments tendent à confirmer cette thèse, mais d’autres nous laissent plus dubitatifs. Voyons d’abord la thèse du « pare-feu ». Elle est illustrée par un ancien substitut du Procureur de la République d’Ajaccio, Philippe Toccanier. Ce dernier parle de l’impuissance des autorités face à la Brise De Mer : « Interrogeons-nous sur la bienveillance dont bénéficie la Brise De Mer. Si elle prospère, c’est justement qu’elle jouit d’une protection. (…) la Brise De Mer rend quelques services dans la lutte contre le terrorisme insulaire en fournissant d’utiles renseignements ». In Juges en Corse, déjà cité.
Ce que dit ce magistrat n’est pas une surprise. D’autres personnes, avant lui, on déjà exposé cette thèse. Ce qui est grave et surprenant, c’est qu’aucune autorité judiciaire, ne se soit saisie de tels faits… délictueux. Un membre du Parquet, donc un représentant du Ministère de la Justice nous dit qu’une forme de « marché » a protégé des gangsters, pour attraper des membres de mouvements politiques « clandestins ». Il faut rappeler que l’autre nom du Parquet est le Ministère Public. La loi autorise un Procureur à ouvrir une information judiciaire (une enquête) sur la foi d’éléments qu’il possède. Si cette « bienveillance » est avérée, pourquoi n’y a-t-il pas de poursuites ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi en parler ?
Une autre interrogation s’impose : cette « bienveillance » émane, forcément, d’autorités supérieures. Au sein de la Justice et/ou de l’appareil d’État. En haut lieu, on aurait donc estimé qu’une bande de voyous  -qui braque, rackette et assassine- est moins dangereuse qu’une organisation politique qui braque, qui rackette et qui assassine. Au nom de quel calcul a-t-on effectué ce choix en haut lieu ?
Un élément est fourni, par certains acteurs de la mouvance nationaliste : « il s’agissait d’utiliser le Milieu, pour empêcher le développement du mouvement nationaliste ». Oui, mais le but était-il seulement d’empêcher le développement de la doctrine politique nationaliste ? Certains observateurs répondent que le trouble à l’ordre public était trop fort et que le réduire était une priorité. Certes, mais si l’on en croit plusieurs responsables judiciaires et policiers,  une grande partie des attentats commis en Corse, n’émanaient pas des organisations « clandestines » nationalistes, mais d’autres provenances criminelles, seules ou en « association » avec des groupes « clandestins ». Voir plus-haut les propos de Christian Raysséguier et de Jean-Pierre Lacave. Pour le Procureur Général, Bernard Legras (1998) : « Il n’y a pas d’un côté le banditisme, de l’autre le terrorisme. Une porosité totale existe entre toutes les formes de criminalité » In Juges en Corse. Cette « porosité » est établie, mais il n’a jamais été établi qu’il s’agissait de l’ensemble du mouvement « nationaliste ». A ce stade, je mets des guillemets, car ce mot est très englobant et supprime les nuances, entre les différentes tendances. Les autorités, comme les médias, utilisent ce  raccourci, les différentes composantes du mouvement « nationaliste », aussi.
Cela dit, l’outil répressif a quand même exercé un maximum de pression prioritairement sur les « clandestins »…
La thèse de « clandestins » manipulés, instrumentalisés, par la grande criminalité, devient cohérente à l’heure des bilans.  Les autorités ont montré (démontré) les méthodes criminelles et délictueuses utilisées par certains groupes nationalistes, dans plusieurs dossiers (Bastia Securita, SMS, pressions sur le Club Méditerranée, SCB…) la liste n’est pas exhaustive. Mais aucune enquête n’a démontré un système de cette nature, associant groupe criminel, politiques et activités économiques illicites ou licites, hors nationalistes. A cause des « bienveillances » ? Aujourd’hui, seule la bande dite « du petit Bar » semble, selon les enquêteurs, posséder ces caractéristiques de liens politiques, entrepreneurs, voyous. Cela est intéressant, mais paraît un peu court.  
Face à ce constat, que signifie la formule « grande criminalité » associée aux « clandestins », dans la bouche de magistrats ou de policiers ? Qu’est-ce que cette « grande criminalité » ? Est-elle représentée, exclusivement par des groupes nationalistes ? Les autorités répondent non, puisqu’elles associent, parfois, ces derniers au « grand banditisme ». Elles associent, mais  ne confondent pas entièrement. Alors quel était l’intérêt de poursuivre une des deux branches de « l’association » et de laisser, ainsi, se développer l’autre branche ?
Aujourd’hui, il n’existerait plus de problèmes dans les domaines économiques qui avaient été noyautés par des « clandestins » ? Personne ne peut le croire.
 Comment et pourquoi parle-t-on du développement de la grande criminalité, ou d’une Mafia, sans que les enquêtes actuelles ne débouchent, sur le plan judiciaire, sur une association du type démontré dans les enquêtes visant les « clandestins » ? Pourquoi cette « bienveillance» ? Nous avons, en partie, essayé de répondre à de telles questions, dans un chapitre intitulé « Le calcul inavoué », à travers l’exemple de l’histoire de la BDM : “ La Brise De Mer soutient les entreprises locales qui ont quelques difficultés à obtenir des prêts de la part des banquiers. Elle vient en haut de bilan et y reste parfois, en mettant en place des hommes de paille. Elle sert aussi de relais pour attendre les subventions européennes dont l’octroi est toujours plus long. Bref elle s’implante dans l’économie locale en l’acquérant”. In Rapport Legras (Juillet 2000). Il faut se souvenir que B. Legras n’a jamais soutenu la thèse de l’existence d’une Mafia corse.  Pourtant, il décrit, ci-dessus, un système de financement de l’économie, par l’argent du crime.
Aujourd’hui, plusieurs magistrats, enquêteurs et observateurs parlent de « Mafia en Corse ». Une fois de plus, nous rappelons qu’une Mafia est un objet politique. Elle associe des voyous (toujours locaux), des fonctionnaires (locaux et/ou nationaux), des politiques (locaux et/ou nationaux), des entrepreneurs (locaux et/ou nationaux). L’équation des « clandestins » étant en partie levée, qu’est ce qui empêche la démonstration judiciaire de ce type de liens avec comme « moteur », cette fois, la grande criminalité? L’analyse du procureur Bernard Legras, ci-dessus, résume le système d’accumulation primitive du capital, auquel nous pouvons ajouter une accumulation du capital social. C’est exactement le même schéma qui était appliqué pour des groupes « clandestins ». Aujourd’hui, il reste la grande criminalité et du coup, la démonstration du « lien » devient difficile. C’est dur à admettre pourtant, pour plusieurs observateurs, des autorités ont protégé des voyous, aussi, pour permettre de l’accumulation primitive du capital, dans une économie en retard de développement.
 La violence politique, un pas vers la Mafia ?
Nous avons déjà abordé cette question, à propos du clanisme. Il faut la poser pour la violence politique nationaliste. Tous les éléments de délit « à caractère mafieux » étaient réunis dans la manière de procéder de certains groupes criminels : violence, accumulation de capital financier et de capital social.
« Non seulement des acteurs dotés de compétences de violence ont réussi à faire valoir ces compétences dans des activités prédatrices de richesse et dans l’entreprenariat illicite, mais encore ils sont parvenus à s’insérer dans un tissu dense de relations collusives et coopératives avec leur environnement social. À l’instar des mafieux siciliens, les entrepreneurs de violence insulaires doivent leur influence durable à leur aptitude à entretenir et faire fructifier leur « capital social », à savoir l’ensemble des ressources relationnelles qu’ils sont à même de mobiliser à leur profit ». Briquet Jean-Louis, « Violence politique et affairisme criminel en Corse. La question de la « dérive mafieuse » du mouvement nationaliste », In Milieux criminels et pouvoirs politiques. Les ressorts illicites de l’État.
Cette « radioscopie » nous montre un schéma de type mafieux. Si le délit d’association mafieuse avait existé dans le droit français, les auteurs de ces « activités prédatrices de richesses » auraient été condamnés pour « délit mafieux », sans pour autant constituer une Mafia. Nous avons abordé cette subtilité juridique dans l’exemple de Barisardo, en Sardaigne. C’est une nuance de taille car elle montre que c’est la nature de l’activité criminelle qui détermine la gravité des délits et non la simple appartenance à tel ou tel type de bande.  Pour la Corse cet exemple peut nous éclairer, mais il demeure théorique dans la mesure où le droit français ne connaît pas le « délit d’association mafieuse ».
Pour résumer notre propos, nous pouvons affirmer certains points :
.La nature associative criminelle (voyous, politiques, entrepreneurs…) n’a pas débuté, avec l’activité ou le dévoiement des groupes « clandestins ». La violence, avec « mélange des genres », est ancienne.
. Conséquemment, les groupes « clandestins » ne sont qu’un des éléments de l’ensemble de la criminalité.
.Le fait que ces groupes, malgré l’importance de leur activité, ne soient pas l’élément moteur mais aient été grandement « instrumentalisés » (selon des enquêteurs), nous pousse à nous interroger sur la structure réelle et profonde de la grande criminalité en Corse.
L’assassinat d’un préfet, comme une parabole
Le 6 Février 1998 le préfet de Corse, Claude Erignac est assassiné à Ajaccio. Il s’agit du premier assassinat d’un préfet dans le cadre de ses fonctions.   L’enquête va traîner de fausse « piste agricole » en « fausse piste enseignante », en débutant par une fausse piste « des Marocains ». Tout enquêteur sait que chaque jour perdu, complique la résolution d’une affaire.
Finalement les premières arrestations auront lieu en Mai 1999. L’un des suspects, en fuite, Yvan Colonna, sera arrêté en Juillet 2003.
Les huit personnes jugées en Juin 2003, sont toutes condamnées, deux sont condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité : Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Yvan Colonna, jugé en Novembre 2007 et condamné à la perpétuité en Décembre. Rejugé, il est de nouveau condamné à la même peine en juin 2011.
Vingt-quatre ans après le drame, il n’est pas question de rejouer l’affaire, en peu de mots et sans enquête. Nous pouvons juste nous interroger sur les atermoiements de l’enquête policière et sur certaines impasses. Le journaliste Alain Laville pose la question :
« Pourquoi n’avoir pas exploré à fond le secteur du grand banditisme évoqué dans la note Bougrier ? *». In Un crime politique en Corse.
*En 1997, Gérard Bougrier est préfet adjoint pour la sécurité. Les journalistes écrivent souvent, faussement, « préfet de police ».  G. Bougrier rédige une note confidentielle sur les enquêtes à mener, dans l’île, dans différents secteurs. Notamment des « investigations approfondies de l’inspection Générale des Finances, dans différentes directions : domaine agricole, Caisse de Développement Économique de la Corse ; ces enquêtes visent une série de personnes dans le grand banditisme et le nationalisme. La note « fuite » dans les médias, en décembre de la même année. Plusieurs personnes estiment que cette menace d’investigation aurait pesé dans l’assassinat du préfet Claude Erignac. Cette fuite avait été précédée par une autre. Celle d’un rapport  de l’Inspection Générale des Finances, qui dresse un constat sévère : «La Corse ne vit pas dans un état de droit ». Déjà, les mêmes pistes que celles de la « note Bougrier ». 
 Alain Laville poursuit : « Pourquoi n’avoir pas été plus loin dans le mariage troublant du nationalisme, de l’affairisme, de la politique et du banditisme ? » Voila une description, presque complète d’une Mafia. Pour plusieurs observateurs, cela ne veut pas dire que les auteurs de l’assassinat soient complices de la criminalité organisée. En revanche, il faut réaliser que plusieurs types de manipulations sont possibles.
Si cette piste était la bonne, il est facile de comprendre pourquoi elle n’a pas été suivie.
 Statuts d’autonomie et mafias, le lien n’est pas automatique
L’observation de la situation dans différentes régions, dotées d’un statut d’autonomie, nous montre que l’autonomie n’est pas mécaniquement associée à la présence de mafias.
L’existence d’un banditisme corse, ancien, est incontournable, mais sa nature, sa fonction et ses conséquences sur la société restent à être précisées. Plusieurs personnes ont travaillé sur les sociétés méditerranéennes en général et quelques unes sur la Corse. Il existe des points communs au bassin méditerranéen : patronage politique, poids de la famille de sang et de la famille politique, clientélisme et violence politique, vendettas,  banditisme instrumentalisé…
 Toutes les régions méridionales  -nous nous bornerons aux pays de l’Union Européenne-  n’ont pas pour autant donné naissance à une mafia.  Entre les Baléares (un des plus gros PIB  d’Espagne) et la Sicile (un des plus faibles d’Italie), on trouve des similitudes notables et des différences énormes. A ce jour et jusqu’à plus ample informé,  seules quatre régions italiennes (Sicile, Campanie, Calabre et Pouilles) possèdent « leurs » mafias.  Cela ne veut pas dire que la violence et la corruption soient absentes d’Italie et des autres pays du bassin méditerranéen, ni que les mafias connues ne fassent pas leur « marché » dans tous les pays.
Sur le plan politique, la quasi-totalité des îles européennes, de l’axe Portugal/Italie, possèdent un statut d’autonomie, à l’exception de la Corse.  Y a-t-il une corrélation automatique entre l’autonomie et la présence d’une mafia locale ? La réponse est Non.
Les Baléares sont autonomes depuis 1978, on n’y enregistre pas l’existence d’une mafia « autochtone », ni avant l’autonomie, ni maintenant. La Sardaigne et la Sicile sont autonomes depuis 1948.  La Sardaigne ne possède pas de mafia locale, pas plus aujourd’hui qu’avant 1948. La Sicile connaît une mafia (Cosa Nostra) depuis, au moins, le milieu du 19ème siècle. Ce n’est donc pas le statut politique qui génère une mafia. La Calabre n’est pas une région autonome et possède une des plus puissantes mafias italiennes (la ‘Ndrangheta). Le Trentin-Haut-Adige est également autonome depuis 1948 (statut complété en 2001) et n’a pas non plus de mafia locale. C’est, de plus, une des régions les plus riches d’Italie.
C’est dire si le lien entre le statut politique local et l’existence d’une puissante criminalité organisée doit être manié avec prudence et rigueur.
Mafia,  un frein au véritable pouvoir politique régional ?
La réponse semble, à la fois, simple et compliquée. Dans ce blog, pour illustrer cette complexité,  j’ai choisi deux exemples : La Sicile et l’archipel  des Baléares.
Ces deux entités possèdent un statut d’autonomie. Pourtant,  la Sicile connaît une mafia et les Baléares, un banditisme classique, même si la corruption du monde politique et entrepreneurial  pointe le bout de son nez.
 .La Sicile est autonome depuis 1948.  L’organisation mafieuse est antérieure au statut d’autonomie. La mise en place de ce statut  n’a pas été précédée d’une lutte volontariste contre la Cosa Nostra, à l’exception notable de l’épisode bref et incomplet (1924-1929) du Préfet Mori sous la dictature fasciste de Benito Mussolini. Et encore, la répression de la mafia sicilienne n’a visé que « l’aile militaire » de l’organisation. Dès que le Préfet Mori a essayé de s’attaquer à la « haute Mafia », c'est-à-dire aux relations au sein du pouvoir politique, il a été nommé sénateur… loin de la Sicile. Le régime fasciste n’a nullement éradiqué la Mafia (on ne disait pas encore Cosa Nostra), il a mis en sommeil une partie de ses hommes de mains. Le régime a laissé croire que la Mafia était éradiquée, alors que certains élus fascistes faisaient partie du « tour de table ».
 L’organisation criminelle s’est donc tout naturellement adaptée au nouveau statut d’après guerre. Depuis l’unité italienne (rizzorgimento 1848-1871) elle  « co-gérait » une île qui dépendait du pouvoir central, en apparence. Depuis 1948, elle co-gère une île autonome. Les apparences sont sauves. Le pouvoir régional, comme le pouvoir central, ont un « statut ». Reste la réalité de l’exercice du pouvoir. Le pouvoir « occulte » préexistait à l’autonomie, il perdure dans l’autonomie. Tout au long des articles de ce blog,  nous pouvons trouver des illustrations de cette réalité mafieuse. Je ne m’étendrai pas plus dans ce chapitre, car ce qui s’est passé et se passe en Sicile est abordé tout au long de mon travail.
.Les Baléares  possèdent un statut d’autonomie depuis Février 1978. Aucune mafia insulaire n’a été identifiée avant cette date et pas plus après. L’archipel connaît, en revanche depuis cette date, un développent économique quasi continu. Il possède un des PIB les plus élevés d’Espagne (pas en masse, mais « per capita ».
 Appel à l’État et rejet de l’État
Faut-il faire appel à l’État pour combattre la « dérive mafieuse » ou bien la Corse doit-elle compter, uniquement, sur « les ressources de sa société » ? Cette interrogation est ancienne, particulièrement au sein du mouvement nationaliste. Les deux termes de l’alternative ont été, de nouveau, évoqués lors du débat sur « la dérive mafieuse » devant l’Assemblée de Corse le 18 Novembre 2022. La totalité des élus nationalistes qui ont pris la parole, semble d’accord sur un point : faire appel à l’État, c’est se contredire politiquement et risquer de voir ce même État utiliser l’outil répressif  -antimafia-  contre le mouvement nationaliste. Cette quadrature du cercle est une constante. Ainsi deux membres du commando qui ont participé à l’assassinat du préfet Claude Erignac, se félicitent de l’action de l’État initiée par le préfet Bernard Bonnet, en 1999, dans une interview accordée en détention au journal Corse Matin, le 16 Novembre 2015. Le passage de l’entretien, sur ce thème, peut être lu ci-dessous.
Tumblr media
La pierre dans le jardin des nationalistes est notable : « Ils n’en ont pas eu le courage politique ». Mais nous ne saurons pas  s’il s’agit d’une absence de « courage » ou bien d’une difficulté à surmonter la contradiction entre appel à l’État et rejet de ce même État. Pour « s’emparer de ces dossiers » il aurait fallu faire appel aux services de l’État. C’est souvent le contraire qui a été fait. Des élus nationalistes, mais pas seulement, sont venus au secours de personnes poursuivies dans le cadre de ces dossiers « pourris ».
L’extrait, ci-dessus, est une illustration de cette contradiction.
 Le risque d’un consensus stérile
Nous avons vu, lors du débat sur « les dérives mafieuses » devant l’Assemblée de Corse (18 Nov. 2022), qu’il existe une recherche effrénée du consensus. De plus, au sein des la mouvance nationaliste, tous partis confondus, s’affiche une crainte de voir l’État utiliser une éventuelle législation « antimafia » contre la cause nationaliste. Comme cet État est le seul qui dispose des moyens de lutter contre la grande criminalité, quel que soit son nom, nous nous trouvons en face d’une sorte d’impasse. Nous voyons que l’opposition de droite, à l’Assemblée de Corse,  rejette l’idée de l’existence d’une Mafia et d’une législation qui irait avec. Nous observons que l’ensemble des nationalistes parle de « dérive mafieuse » et ne veut pas de nouvelle législation, en la matière. La crainte d’une association  -dans les esprits, comme dans les textes- Mafia/nationalisme s’impose. Cependant, est-ce que cette position n’a pas pour effet de stériliser le débat ? In fine, toute la responsabilité de la situation est rejetée sur l’État, mais on lui demande de ne pas changer la donne. A propos de cette impasse, le géographe Joseph Martinetti parle d’une « rhétorique consensualiste qui élude les responsabilités locales ». In La Corse entre dérive sociétale et système mafieux. J. Martinetti poursuit : « La plupart des médias locaux ne cessent de nourrir un dangereux et appauvrissant consensualisme dans l’île visant à tout interpréter à l’aune d’une logique binaire, celle qui consisterait à opposer les Corses aux Anti-Corses ». Le géographe conclut: « On clôt ainsi le débat sur la mafiosité à moindre frais et on élude les responsabilités locales d’une dérive sociétale avérée ». C’est effectivement là que le principal point de contradiction semble se nicher. Alors qu’une majorité se dégage pour reconnaître une « dérive mafieuse », le rejet de l’État (par une grande partie des « nationalistes ») remet, à chaque fois, les compteurs à zéro. Cette contradiction se retrouve dans les propos des deux personnes condamnées pour l’assassinat du préfet Claude Erignac quand ils s’expriment à propos de l’action du Préfet Bernard Bonnet, dans ses décisions contre les illégalités, dans le Corse Matin du 13 Nov. 2015.
 Bonnet : bien parti, mal arrivé
Sur l’action du préfet Bernard Bonnet (nommé en Février 1998, suite à l’assassinat de Claude Erignac), les  deux militants nationalistes notent que « il y a eu une opportunité à saisir à un moment donné ». Ils font allusion à l’application de l’article 40 par le préfet.  L’application de cet article (parfois sans discernement) avait le mérite « (…) de mettre sur la table tous les dossiers pourris. Il faut dire que les premières mesures qu’il a prises nous ont fait plaisir On mettait enfin en évidence l’utilisation des fonds publics à des fins personnelles. On mettait au jour l’absence de moralisation et d’éthique  en politique (…) la porosité entre un système pré mafieux et les marchés publics ». Voir extrait de l’ITW, plus haut. On se souvient qu’une partie importante de la classe politique insulaire avait fortement attaqué l’application de cet article du code de procédure pénale. La simple mise en route  d’une loi existante, mais rarement appliquée, avait déclenché une espèce « d’union sacrée » de la majorité des tendances politiques de l’île, nationalistes compris. Tout le monde a encore en tête des exemples où cette « union sacrée » venait au secours de cas difficilement défendables au regard de la morale publique et de la loi : par exemple le soutien d’un « front » surprenant   -Un élu indépendantiste, un député UDF et un ancien ministre UDF- s’opposant à la destruction d’une paillote sur la rive sud du golfe d’Ajaccio. Voilà un exemple concret du « dangereux et appauvrissant consensualisme » dont parle le géographe Joseph Martinetti.
Il est intéressant de noter que, 17 ans après les faits (l’assassinat de C. Erignac), ce sont des nationalistes, assassins du préfet, qui signalent que l’État avait essayé d’établir (plus que de rétablir) l’état de droit.
Jusqu’à ce jour, peu de monde s’est réellement livré à une analyse de l’action de Bonnet 1 (les poursuites liées à l’article 40) et sur les conséquences induites par cette « union sacrée » qui vont mener à Bonnet 2 (l’affaire des paillotes). Ce passage de l’entretien est, sans doute, celui qui soulève le plus les contradictions entre les objectifs affichés par les militants et les personnes et les institutions capables de mettre en œuvre une partie de ces objectifs. En l’occurrence, la moralisation de la vie publique. Qui mieux que « l’État honni » pouvait débarrasser la Corse des « dossiers pourris » ? Finalement l’État n’a pas  -une fois de plus- fait preuve de constance. Mais on fait trop rapidement l’impasse sur les intérêts locaux qui se sont conjugués et se sont alliés pour empêcher cette moralisation demandée par les deux militants emprisonnés, mais aussi par des citoyens, pas tous nationalistes. Y a-t-il quelque chose d’insupportable aux yeux de certains mouvements nationalistes et de partis politiques insulaires « traditionnels » à ce que ce soit  l’État qui fasse (enfin) son travail ? Ou bien est-on dans un faux semblant, sur le mode il faut que tout bouge pour que rien ne change ?
 Une autonomie pour quoi faire ?
Nous avons vu que ce n’est pas un statut qui fabrique la grande criminalité. Autonome ou pas, telle ou telle région peut posséder une Mafia… ou pas. En revanche, il faut définir les raisons de la vivacité de la criminalité dans certaines régions. A mon sens l’État demeure le principal responsable en matière de lutte et le principal partenaire, avec la région, en matière de prévention.
Dans les régions autonomes de l’Europe méridionales, la police judiciaire et la justice restent du ressort de l’État central. Seules les régions de Catalogne (Les Mossos d'Esquadra) et du Pays Basque (L'Ertzaintza) possèdent leurs propres polices qui collaborent avec les unités nationales, en matière de crime organisé.
Je n’ouvre pas ici un débat sur les autonomies. Il faut juste rappeler que, finalement, ce sont des « contrats » signés entre une région et l’État central. Il faut lire le contenu de chaque « contrat », pour comprendre que les attributions de pouvoir varient selon les régions. Les pouvoirs dévolus aux Baléares ou à la Sicile, ou bien encore au Val d’Aoste, ne sont pas tous de même nature.
Jusqu’à présent, les débats publics sur les contenus de ce « contrat » ne sont pas particulièrement développés en Corse.
Nous pouvons noter l’ambiguïté du rôle du Milieu utilisé, par le haut, pour constituer une accumulation primitive du capital, nécessaire au fonctionnement d’une certaine autonomie et par le bas, l’instrumentalisation de certaines franges du mouvement nationaliste dans les activités de ce même Milieu. Avec le recul, une certaine cohésion se dessine.
Finalement, les différents rapports parlementaires, sur la Corse, auront eu un mérite important et un défaut principal :
. Le mérite est celui d’avoir mis en lien la majorité des problématiques.  A cet égard, le rapport sur « l’utilisation des fonds publics » demeure exemplaire de lucidité.
. Cependant, le défaut principal demeure l’absence de propositions concrètes (notamment d’ordre législatif) et le manque de réactions pour couper « les liens » décrits dans les rapports.
Un quart de siècle après, nous en sommes encore à nous demander s’il existe une Mafia corse ou une Mafia en Corse.
 L’heure des choix ?
Enfin, il ne faudrait pas oublier la dimension politique et le poids que fait peser la violence sur les partis nationalistes et sur leurs rapports avec les représentants de l’État. Un des derniers épisodes, en date, est l’interpellation de huit personnes, membres du mouvement indépendantiste Corsica Libera, le 5 Décembre 2022. Parmi elles, se trouve une « figure du nationalisme », Charles Pieri considéré, longtemps,  par les autorités comme « l’un des principaux chefs du FLNC Canal Historique ». Il était, encore récemment, membre de la direction exécutive du parti Corsica libera (indépendantiste).
 Le 9 Décembre, Ch. Pieri est mis en examen pour « acquisition et détention non autorisées d’armes de catégorie B en relation avec une entreprise terroriste », ainsi que pour « refus de communication d’une clé de chiffrement ». Sur les huit personnes, mises en examen, seul Ch. Pieri est placé en détention provisoire. Les sept autres sont placées sous contrôle judiciaire.
 Thierry Casolasco, porte parole de Sulidarità (association de défense des prisonniers dits « politiques ») s’insurge contre l’opération policière: « D'un côté on prône une volonté de dialogue politique et de l'autre côté, on tape sur des militants indépendantistes. M.Darmanin vend du rêve à Gilles Simeoni » (Corse Matin 05/12/2022). Cette réaction situe le seuil de fracture. Fracture renforcée par l’interview de Jean-Guy Talamoni (Corsica Libera-indépendantiste), ancien Président de l’Assemblée de Corse (2015-2021), accordée à Corse Matin le 14 Décembre 2022. A propos des arrestations visant des membres de Corsica Libera: « ll y a, de la part de Paris, une volonté de division et de persécution à l'égard de certains tandis que l'on délivre des certificats de respectabilité à d'autres ». Jean-Guy Talamoni va plus loin, à propos de l’attitude de Gilles Simeoni, le Président de l’Exécutif de l’Assemblée de Corse, face à la stratégie gouvernementale : « (…) il s'agit d'abord d'une stratégie qui ne s'affirme pas du côté de Gilles Simeoni, ce qui, selon nous, est extrêmement dangereux, conduisant tout à la fois à accepter le rejet d'une partie du mouvement national et à être parallèlement à la manœuvre pour le fissurer, avec une attitude de soumission à l'égard de Paris ». L’interview complète peut-être lue sur le site de Corse Matin.
Ces arrestations « pointent » essentiellement des membres de l’aile indépendantiste de la mouvance nationaliste.  Elles arrivent en plein processus de discussions entre le gouvernement et la majorité autonomiste de l’assemblée de Corse. Il semble exister, en haut lieu,  une volonté de séparer la partie autonomiste et le volet indépendantiste. De plus la personnalité  de Charles Pieri fait débat, au sein même d’une partie de l’électorat autonomiste. Les autorités le soupçonnent de diriger une « équipe » considérée comme délinquante. Cette « équipe » fait partie des vingt-cinq (25) « équipes criminelles » détaillées dans une note « confidentielle » du SIRASCO (Service d'Information, de Renseignement et d'Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée), en date du 18 Mars 2022. « L’équipe Pieri » (appellation de la note) est la seule qui fasse l’objet d’un commentaire politique, dans la note du SIRASCO : « Son influence, difficilement quantifiable, semble présenter un frein dans les négociations entre l’État et la Collectivité de Corse ». Mais cette même note ne décrit pas les activités actuelles de "l’équipe Pieri".
Cette note a « fuité », un résumé est publié sur le site de France 3 Corse, le 25 Novembre. A propos de ces « 25 groupes criminels, voir l’article précédent « Criminalité en Corse. 3è partie : du 20ème au 21ème siècle ».
La situation actuelle semble montrer une volonté des autorités de discuter du principe d’une autonomie avec… les autonomistes. Négociations assorties d’une pression sur les indépendantistes. La mouvance « nationaliste » est-elle prête à accepter cette méthode, non officielle ? Jusqu’à présent la partie autonomiste du mouvement a toujours rejeté l’idée que la violence était la solution, tout en refusant de condamner les mouvements qui commettent des attentats. Cette ambiguïté peut-elle être levée ? L’État peut-il isoler une frange du mouvement, en démontrant une « criminalisation » de cette frange? Voilà plus de questions que de réponses.
Une partie des nationalistes, notamment du côté des indépendantistes,  estime que l’État ne veut pas d’une réelle négociation. Le communiqué de Corsica Libera (13 Dec. 2022) estime que le gouvernement a réussi à diviser l’ancienne union nationaliste (2015-2021) et accuse l’État de stigmatiser Corsica Libera qui serait: «(…)  aujourd’hui, la seule force politique à dénoncer l’imposture d’un pseudo « processus à vocation historique ». Le texte entier peut-être lu ici.
Devant ces reproches de la mouvance nationaliste et devant la position prudente de l’État, le Président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, répond, d’une certaine façon aux deux, dans un entretien qu’il nous a accordé : « « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit. Il appartient à toutes les parties. L’alternative c’est la stagnation, la régression et ce serait terrible pour la Corse, pour la jeunesse et les générations de demain. Ce scénario catastrophe personne ne le veut,  nous avons tous les moyens d’éviter sa survenance. Il faut se donner les moyens de réussir (…)". La totalité de cette Interview réalisée le 22 Décembre 2022, est en ligne, sur ce blog, à la suite de cet article.
La version dominante, dans la mouvance nationaliste, semble être la suivante : l’État dit vouloir négocier, mais joue la division. Cela peut-être compris comme une intention, cachée, de voir des négociations sur un statut d’autonomie échouer. En réalité, la situation semble plus complexe encore. « L’État » ne semble pas monolithique, il est traversé par plusieurs courants. Même chose pour le mouvement « nationaliste ». Il y a ceux qui veulent saisir la perche tendue par Gérard Darmanin. Le ministre de l’Intérieur déclarait, en Mars 2022 : « « Nous sommes prêts à aller jusqu’à l’autonomie ». Le fait que cela se réalise, peut-être, sous l’égide des seuls autonomistes semble poser problème aux autres partis du mouvement.
Tumblr media
Nous devrions être fixés dans les semaines ou les mois qui viennent. La situation est, peut-être, sur le fil du rasoir. Actuellement, pour la première fois, depuis 1982, une majorité absolue est au pouvoir à l’Assemblée de Corse. Et cette majorité est autonomiste. Presque toutes les planètes sont alignées. Nous devrions voir, rapidement, quelles sont les forces qui entendent bousculer cet ordonnancement.
Pour conclure, provisoirement, il nous faut rappeler que cet article n’est pas un « mémoire en défense » des mouvements « nationalistes » et de certaines de leurs turpitudes. Il n’est pas, non plus, un réquisitoire contre le « nationalisme ». Nous avons essayé de montrer la complexité du problème. Le phénomène de la criminalité s’insinue partout, il n’y a pas de raisons qu’une partie de la société insulaire y échappe.
 Avec ce volet sur le thème nationalisme, violence et criminalité se termine une série de quatre articles consacrés aux rapports entre la violence et les différents acteurs de la société corse (voyous, politiques, entrepreneurs). Certains pourraient rétorquer qu’il manque un volet sur le thème « État et criminalité ». Nous répondrons que l’État, bien que souvent « lointain » ou peu efficient en Corse, était toujours présent dans les quatre articles. Nous pouvons, peut-être, en conclure que sa discrétion est un mode de gouvernement. Chacun appréciera si cette méthode est une réussite.
 Laissons passer la période des fêtes, en espérant que la trêve des confiseurs sera de mise, dans un monde déjà bien agité. Nous reprendrons la publication d’articles consacrés au phénomène de la criminalité en Corse, en poursuivant notre méthode de comparaisons avec d’autres lieux.
Dans de prochains articles nous aborderons, notamment, la très difficile autonomie de l’individu dans les sociétés méridionales, le mythe d’un changement des comportements politiques par la « moralisation » et le choix difficile entre le durcissement des lois répressives contre la criminalité et les risques pour les libertés publiques.
 Bibliographie
La tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse. Jean-Louis Briquet. Ed. Belin
 La Corse. Entre la liberté et la terreur. José Gil. Ed. De la Différence
 Violence et nationalisme. Xavier Crettiez. Ed. Odile Jacob
 Les violences politiques en Europe. Xavier Crettiez-Laurent Mucchielli. Ed. La Découverte
 Milieux criminels et pouvoirs politiques. Les ressorts illicites de l’État.  Jean-Louis Briquet – Gilles Favarel-Garrigue. Ed. Karthala
 Juges en Corse. Jean-Michel Verne. Ed. Robert Laffont
 Corse : de quoi la mafia est-elle le nom. Sampiero Sanguinetti. Albiana
 Un crime politique en Corse. Claude Erignac Le préfet assassiné. Alain Laville. Ed. Le cherche midi
 Compromissions. Pierre Péan. Ed. Fayard
 Les hommes du déshonneur. Pino Arlacchi. Ed. Albin Michel
 Liberta. Jean-Guy Talamoni. Entretien avec Jacques Renucci. DCL éditions
 Journal de bord d’un nationaliste corse.  Pierre Pogioli. Ed. L’aube-document
 Sites et revues
Les pratiques politiques «officieuses». Clientélisme et dualisme politique en Corse et en Italie du Sud. Jean-Louis Briquet. Revue Genèses 20 (1995)
Les tourments du tourisme sur l’île de beauté. Joseph Martinetti. Revue La découverte (2007)
Alain Verdi 23 Décembre 2022
Le même article sur le blog de Mediapart
Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Corse : Rapport du SIRASCO, Mafia ou « méthodes mafieuses » ?
Alain Verdi le 20 Décembre 2022
Tumblr media
 « 25 bandes », atomisation ou confédération ?
Comment interpréter la note du SIRASCO, ce « service de renseignement criminel » ? Les policiers y détaillent, de façon minimaliste, le profil de  25 « équipes criminelles en Corse ». Elles sont de tailles et de forces différentes.
Elles se partageraient le territoire insulaire, mais pas forcément de manière géographique. Telle grosse bande peut exercer des activités criminelles, en dehors de sa zone géographique d’implantation et sur le continent, voire à l’étranger. Le document ne contient  pas beaucoup de détails sur les activités criminelles de chaque « groupe ».
Quelques commentaires accompagnent la description des différentes « bandes », mais la note, qui a « fuité » ne comprend pas d’appréciations sur la situation globale de la criminalité dans l’île. Nous ne savons pas si cette répartition en « 25 groupes » est la conséquence d’une atomisation et peut-être d’un affaiblissement, ou bien s’il s’agit d’une répartition par « secteurs d’activité », avec une série de liens formels ou informels.
Dans un entretien à France 3 Corse, le Procureur Général de Bastia, Jean-Jacques Fagni, commente l’existence de ces nombreux groupes :
« Chacun n'a pas forcément son pré carré, il peut y avoir des alliances ». Et de poursuivre : « Mais en tous cas, il y a des actions criminelles qui sont menées par ces groupes sur le territoire corse. Cela peut être des actions d'extorsion. Mais aussi liées au trafic de stupéfiants, qui, on le voit aujourd'hui, est en hausse, génère des profits, et peut donc générer des appétits et des conflits ». Site France 3 Corse-17 Nov. 2022.Le Procureur Général reconnaît « des méthodes mafieuses ». Cependant, à propos d’un éventuel alignement des lois françaises sur la législation italienne, en matière de Mafia J. Jacques Fagni est formel : « je pense qu'il n'y a pas de nécessité de rajouter un délit d'association mafieuse, dont il faudrait déterminer de manière précise les contours, et ce à quoi il s'applique ». Le Procureur Général conclut, en estimant que la situation en Corse n’est pas celle de l’Italie ou des pays de l’Est. « Ces groupes corses sont extrêmement néfastes et dangereux, mais ils n'ont pas la structure et le champ d'intervention que l'on peut noter dans ces pays-là ».
Cette analyse est partagée par plusieurs magistrats et par la majorité des élus de la CDC (Collectivité De Corse).  Pourtant, il reste un certain nombre de points qui demeurent dans l’ombre.
 Corse : « Mafia » ou « méthodes mafieuses » ?
En débutant la rédaction de ce blog, nous avons soulevé une interrogation de base : Mafia or not Mafia ? En fait, il faut être plus nuancé.
La question de l’existence d’une Mafia corse et donc d’une mafia française, n’est pas forcément pertinente. Nous avons vu qu’en Italie, ce n’est pas l’appartenance à telle ou telle mafia reconnue (Cosa Nostra, ‘Ndrangheta, Camorra…) qui définit, à elle toute seule, le choix de la  qualification juridique : « Association de type mafieux » ou « association criminelle ordinaire ». Ce qui est pris en compte c’est la méthode, le modus operandi. Nous avons vu que des personnes n’appartenant pas à une des grosses mafias italiennes, peuvent être condamnées pour « association de type mafieux ». Le Procureur Général de Bastia a raison de préciser que « il faudrait déterminer de manière précise les contours, et ce à quoi il s'applique ». C’est exactement ce qu’a essayé de faire le législateur italien. Ce qui fait qu’il n’est nul besoin d’appartenir à une des mafias italiennes pour être poursuivi et condamné pour « association mafieuse ». Par conséquent, la jurisprudence italienne est formelle : la méthode mafieuse est aussi dangereuse que l’appartenance à une Mafia. Fort de ce constat, nous pouvons considérer que le terme  -à la mode- « dérive mafieuse », adopté en Corse équivaut à la reconnaissance de méthodes mafieuses. Dans ce cas, peu importe qu’il existe ou non une grosse Mafia (comme par exemple en Sicile). Un groupe criminel seul, ou très vraisemblablement associé à d’autres groupes, peut appliquer des méthodes mafieuses. Le débat sur le thème « Mafia ou grande criminalité » devient purement sémantique. Les interrogations doivent porter sur les méthodes employées par ces « groupes » criminels, sur les moyens juridiques nécessaires pour les combattre et sur les conséquences pour la société.
 25 « Groupes criminels », ou 25 « familles » d’un même système ?
Avant d’essayer de répondre à une telle question, il nous faut d’abord nous interroger sur la « massification » du banditisme en Corse. Dans le document du SIRASCO apparaissent plus de 115 noms. Il manque, bien sûr, les « prestataires de services » qui peuvent, de manière provisoire, agir pour tel ou tel « groupe ». Il manque aussi, par définition, les personnes  qui n’ont pas encore été identifiées par les services d’enquête, sans compter les individus que les enquêteurs ne veulent pas faire apparaître pour ne pas les alerter. Selon certains décomptes, non officiels, l’ensemble pourrait comprendre entre 250 et 300 individus*. Première remarque, cela fait beaucoup de monde pour une si petite île. Ensuite, les autorités devraient s’interroger sur les raisons qui font qu’un territoire aussi limité puisse produire autant de délinquants, dans la catégorie supérieure qu’est la grande criminalité. Au-delà de l’aspect « faits divers », les politologues, les sociologues et les anthropologues, notamment, ont du pain sur la planche.
Sur l’aspect criminel il serait intéressant de préciser, au moins, deux points :
.Quels sont les secteurs d’activité qui dominent dans chaque « groupe criminel ». Ces « groupes » sont-ils spécialisés ou se partagent-ils les mêmes activités ?
.Quel est le niveau de collaboration entre ces différents « groupes ». Sommes-nous face à une organisation, même informelle ? Si oui, quelle forme, « souterraine », prend cette organisation ?
Au-delà des activités criminelles, nous pouvons ajouter la question de savoir s’il existe un but général à cette grande criminalité. Pour comprendre ce que l’on entend par « but général », nous pouvons nous référer au contenu de l’article 416 bis du code pénal italien (voir lien plus haut).
Le législateur italien a bien cerné la problématique : il s’agit, pour les mafias, de conquérir des espaces de pouvoirs et de s’y maintenir. C’est en cela que le phénomène mafieux est une matière politique. Cela nous amène à la question : une grande criminalité, pour quoi faire ?
*Selon plusieurs rapports de la DIA italienne (Direzione Investigativa Antimafia), les effectifs de la Cosa Nostra sicilienne dépasseraient les 5000 individus (plus des "prestataires de service" n'appartenant pas à Cosa Nostra). La Sicile compte cinq millions d’habitants.  
  L’exemple de la Plaine Orientale
Ces dernières années, l’activité criminelle s’est particulièrement développée dans le secteur de la plaine orientale de la Corse. Il s’agit d’une région peu peuplée et pas particulièrement développée. Cependant, les deux principales activités économiques de cette région, l’agriculture et le tourisme, doivent être observées. Il faut dire que « la plaine » change de figure, comme le constate le journaliste Jacques Follorou : « (…) les grues, les bulldozers et les promoteurs immobiliers ont investi une région jusque là demeurée l’une des moins équipée de l’île » In Mafia corse –Une île sous influence. C’est en cela que la montée de la criminalité devient un problème politique. La plaine orientale est la seule région de Corse qui possède un potentiel agricole, pour implanter des exploitations performantes de grande dimension. Durant des siècles, des Étrusques, puis des Romains ont colonisé la région et asséché les marais, limitant ainsi les conséquences de la malaria (de 1960 av J. C., au déclin progressif du site vers le 4ème siècle de notre ère). Jusqu’en 1959 (campagne de démoustication par le DTT) la région est peu habitée, car insalubre. Cette insalubrité n’était pas une fatalité*.
Depuis les années 60, elle fait l’objet de joutes politiques particulièrement âpres sur la nature du développement. L’installation d’agriculteurs, notamment rapatriés d’Algérie, va alimenter des tensions, jusqu’au « point d’orgue » de l’occupation de « la cave d’Aléria » (1975). Le fil rouge des débats politiques est le suivant : faire de la plaine une zone de développement agricole, gérée par les insulaires. Pourtant si nous faisons le bilan, en 2022, cet objectif est loin d’être atteint. D’abord la région n’est pas devenue un « Vaucluse insulaire ». Ensuite le tourisme et la spéculation immobilière semblent l’emporter sur le développement agricole réel, mais limité par rapport aux potentialités. Cette lutte « pour l’agriculture insulaire » s’est donc transformée en opposition agriculture/tourisme. Cette ambigüité sur la nature du développement économique avait été pointée par le journaliste Nicolas Giudici dans Le crépuscule des Corses (1997).
Le secteur « touristico-immobilier » intéresse les « groupes criminels », la note du SIRASCO ne développe pas ce point. Pour la plaine orientale il est notamment question, dans la note, de « trafic de stupéfiants ». Cependant l’opposition entre tourisme spéculatif et agriculture, sous la forme d’une criminalité, est soulevée par un syndicat agricole minoritaire, la Confédération Paysanne et son animateur, Jean Cardi : « La mafia ne veut pas de la défense des exploitations. Son but est que le marché du foncier tombe ». Comment ? « La mafia rachetait pour une bouchée de pain des terres à des agriculteurs en difficulté, qu’elle mettait quelquefois elle-même en difficulté ». Cette « Mafia » n’est pas détaillée par le syndicaliste agricole. En revanche, la méthode ressemble à celle employée par les mafias italiennes, pour s’accaparer des terres agricoles à moindre prix et les détourner de leur vocation initiale, sur fond de trafic de stupéfiants. Sur le lien entre la Cosa Nosta sicilienne et les fraudes et la criminalité dans le domaine de l’agriculture, la lecture du rapport du 2ème semestre 2021, de la DIA (Direzione Investigativa Antimafia) nous paraît édifiante (Page 52).
Un système de fraudes semblable, en Corse,  mais à moins grande échelle, avait été montré dans un documentaire diffusé sur France 3 Corse le 29 Mars 2019. Ces faits s’inscrivent dans des problématiques plus vastes : la gestion de l’agriculture et des aides financières dans l’Union Européenne et surtout, le choix d’un type de développement. 
*Pour comprendre le non assèchement des marais,  où se nichent les moustiques vecteurs de la malaria, voir le chapitre « Le paludisme, maladie, pauvreté et non choix-politique », dans l’article : Misère en Italie, grande pauvreté en Corse. Criminalité et pauvreté.
Corse, quel système criminel ?
La note du SIRASCO n’aborde pas la possibilité d’une éventuelle « fédération » des 25 « groupes criminels ». Elle détaille le profil d’un certain nombre de membres des « groupes », mais dit peu de choses sur les activités criminelles. Surtout nous ne trouvons pas de synthèse analysant la globalité de la grande criminalité en Corse. Le document des policiers se contente de deux rubriques par « groupe », sur la nature de leurs relations avec d’autres « groupes » :
Nous trouvons ainsi une rubrique « amitiés et rapprochements » et une autre nommée « antagonismes ». La présentation « verticale » du document, complique la lecture des amitiés/inimitiés dans le monde insulaire de la grande criminalité. Un tableau synoptique eut été plus parlant.
Mais cette faiblesse formelle a moins d’importance que l’absence d’analyse de la situation. En essayant d’analyser nous-mêmes ces tableaux, nous avons du mal à comprendre la nature des liens entre certains « groupes », situés dans la rubrique « amitiés et rapprochements ». Pourtant avec les éléments connus et rendus publics, dans différentes enquêtes, il nous semble que le nombre de « 25 » pourrait être réduit. Certains « rapprochements » semblent constituer quelques « méga groupes », renforçant l’idée d’une organisation de type mafieux. Si nous nous prenons comme exemple les rapports semestriels de la DIA sur l’activité des mafias italiennes, nous trouvons une localisation territoriale plus complète des familles mafieuses, dans des tableaux et des analyses plus poussées sur leurs relations et leurs activités criminelles. Pour illustration, nous pouvons lire, ci-dessous,  le tableau de l’implantation des familles mafieuses siciliennes dans la province (équivalent de nos départements) de Catane.
Tumblr media
Bien sûr la comparaison a ses limites, la seule ville de Catane compte à elle seule presque autant d’habitants que la Corse et l’activité de la Cosa Nostra, dans toute l’île est sans commune mesure avec celle de la criminalité corse, quelle que soit son appellation.  Cependant, ce type de carte et les commentaires qui accompagnent chaque région d’implantation mafieuse nous montrent un certain nombre de données. D’abord, en Sicile. Les « familles » disposent d’une certaine autonomie, même si elles sont « chapeautées » par une « coupole », sorte d’organisme gestionnaire de l’ensemble des familles. Il s’agit là d’une verticalité relative. Une verticalité totale, nuirait à l’efficacité de Cosa Nostra et faciliterait la tâche des enquêteurs. De plus, depuis plusieurs années, dans certaines provinces siciliennes, apparaissent des groupements criminels (La Stidda et les  Paraccari), moins concurrents que compléments de Cosa Nostra. Ces organisations « annexes » semblent avoir pour fonction de brouiller les pistes des enquêteurs. La tâche de ces derniers était, légèrement, facilitée par l’ancienne verticalité.
Si nous prenons l’exemple de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, l’organisation est présentée comme horizontale. Chaque famille mafieuse dispose d’une grande autonomie, sur ses territoires (géographique et d’activités). La ‘Ndrangheta possède bien une structure « au sommet », nommé Crimine ou Provincia,  mais elle n’a pour fonction que d’amortir les conflits, hyper violents, qui peuvent éclater entre des familles pour la gestion des territoires. C’est ce que le criminologue Stéphane Quéré nomme « une structure de pacification » In La  ’Ndrangheta. Enquête sur la plus puissante des mafias italiennes. L’organigramme, ci-dessous, montre une organisation « horizontale », chapeautée par un « organisme de pacification », la Crimine ou Provincia.
Tumblr media
 Pour la Corse, nous pouvons émettre l’hypothèse que les « groupes criminels » décrits par le SIRASCO correspondent, d’une certaine façon, aux familles mafieuses d’une province italienne. En Corse, aussi, certains « groupes » se font la guerre. Existe-t-il une structure qui joue les juges de paix ? Cela paraît vraisemblable, mais seules les autorités peuvent répondre à une telle question. Si une organisation existe, qu’elle soit informelle ou formelle, elle n’apparaît  publiquement dans aucun document. De son côté, dès 2012, le géographe Joseph Martinetti estime que la Corse connaît « un système mafieux atomisé » In Publication académique de l’Institut Français de Géopolitique, « La Corse entre dérive sociétale et système mafieux » 7 Décembre 2012.
A la lecture de la note du SIRASCO, la nature « éclatée », voire « dispersée » de la criminalité insulaire, ne nous paraît pas comme étant la preuve d’un affaiblissement ou bien d’une faiblesse structurelle. Il manque trop d’éléments pour affirmer que ces 25 « groupes criminels » ne font pas partie d’une structure horizontale, même minimaliste.
Méconnaissance ou calcul, le rapport du SIRASCO nous semble pêcher sur un point : celui de la description ou de la définition d’une Mafia. Il existe un malentendu. Sur les 25 « groupe criminels », un seul semble considéré comme « mafieux ». Il s’agit du groupe dit du « Petit Bar ». Extrait du rapport :
« Il s’agit d’une équipe très structurée, qui compte de nombreuse ramifications tant sur le continent qu’à l’international, de par un vaste réseau de blanchiment. Ses liens avec le milieu politique et économique en font un véritable empire mafieux ». Si nous comprenons bien, le « Petit Bar » serait un « empire » à lui tout seul. Quid des autres grands « groupes criminels » cités dans le rapport : Équipe Federici (Venzolasca) », « Équipe Germani », « Équipe Costa », "Équipe Orsoni" etc. etc.… ? Il nous semble que si « empire mafieux » il y a,  il ne peut être constitué par un seul groupe, mais par une « fédération » de plusieurs groupes. Il reste à définir la forme de cette organisation et à en faire la preuve judiciaire.
Plusieurs observateurs sont convaincus qu’il existe un système, ancien, qui « fédère », de manière très discrète, différentes composantes de la criminalité de l’île. On pourrait l’appeler un « système de pouvoir » comprenant des voyous, des politiciens et des entrepreneurs. A ce jour, ce « système de pouvoir » n’a jamais été avéré. En tout cas, si ce type d’organisation s’avère un jour, alors nous pouvons affirmer que la législation actuelle contre la grande criminalité possède des lacunes. En l’état actuel, les autorités semblent « pointer » le détail   -« le groupe criminel »- alors que l’éventuel « empire mafieux » se trouve dans la « fédération » ou la « confédération » de certains de ces groupes.
 En tout cas, il va bien falloir finir par trancher rapidement, car si le terme « dérive mafieuse » est désormais adopté par les politiques, les enquêteurs et les médias, il faut comprendre qu’une « dérive » n’est pas éternelle. Elle se termine, le plus souvent par… un naufrage.
       Le prochain article sera consacré au thème Nationalisme, violence et criminalité. Nous verrons que c’est un volet important, mais qu’il n’est pas central. Un problème peut en cacher un autre.
Bibliographie
Mafia corse. Une île sous influence. Jacques Follorou. Ed. Robert Laffont
 Résister en Corse. Sous la direction de Jean-Michel Verne. Ed. Robert Laffont
 Le crépuscule des Corses. Nicolas Giudici. Ed. Grasset
 La «’Ndrangheta. Enquête sur la plus puissante des mafias italiennes. Stéphane Quéré. Ed. La manufacture de livres
 Liens vers articles
Les fraudes aux aides agricoles et la criminalité en Corse, une histoire européenne Alain Verdi
La Coordination rurale dénonce la mainmise de la mafia sur les terres agricoles en Corse. Corse Net Infos – 8 Août 2022
« La Corse entre dérive sociétale et système mafieux ». Joseph Martinetti. Institut Français de Géopolitique. 7 Dec. 2012
Rapport DIA. Deuxième semestre 2021. La DIA regroupe des membres de la Police Nationale, des Carabiniers et de la Guardia Finanza (Douanes)
Alain Verdi le 20 Décembre 2022
Le même article sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Criminalité en Corse. 3è partie : du 20ème au 21ème siècle
La criminalité corse remplit une fonction. Elle est instrumentalisée et instrumentalise. Ce faisant, l’État donne le mauvais exemple. Après avoir bien servi dans les colonies, le Milieu est rentré vivre et travailler au pays, toujours en partie « protégé ». De la French Connection au « Petit Bar », le principe semble, presque, le même.
Alain VERDI 16 Décembre 2022
3) L’instrumentalisation. Du clientélisme à la corruption. Du banditisme à la Mafia ?
Introduction
Si nous acceptons le postulat de base suivant : les puissances qui ont géré la Corse ne se sont investies que partiellement, sur le plan politique et économique, alors tout le reste découle grandement de ce constat.
Passons rapidement sur les gestions pisane et génoise du territoire (1077-1768) en notant que Gènes saura gérer certaines capacités des insulaires pour les utiliser à son profit. Les principaux traits sont une disposition pour la guerre et un savoir faire en matière de politique, de la gestion des affaires locales à l’intrigue*. En récupérant la Corse, les autorités françaises sauront utiliser ces deux « capacités ». La France, comme Gènes et Pise précédemment, déléguera une partie de la gestion des affaires locales à certaines familles insulaires, dans une gestion originale pour un pays à tradition centralisatrice. Cette « autonomie non avouée » régit la nature des liens entre l’île et ses puissances tutélaires. Les « capacités » et la nature des liens étant établies, il nous reste à voir comment les autorités françaises vont utiliser ces facteurs.
Il nous semble que le rapport centre (État)-périphérie (pouvoirs locaux), s’est fait sur un jeu d’instrumentalisation :
. L’usage de la capacité militaire est l’un des aspects importants. La politique du « condottiere » est illustrée, jusqu’à la caricature par Sampiero Corso. Cette « capacité » sera exploitée au cours des guerres mondiales, des conquêtes coloniales et des guerres d’indépendance de ces colonies.
.Le savoir faire politique sera entretenu et développé par Napoléon, puis par la République, en intégrant de nombreux insulaires dans l’appareil administratif de l’État. Cette compétence dans la gestion des affaires publiques se retrouvera, notamment,  dans les colonies. Un des généraux colonisateur, Henri Gouraud (1867-1946) dira que : « Sans les Corses, il n'y aurait pas de colonies ».
L’action des insulaires dans les colonies, ne se résumera pas à la gestion militaire et civile. Des hommes du Milieu, installés à Marseille et Paris sauront utiliser leurs « correspondants » dans les possessions françaises. En Indochine, en Algérie et en AOF (Afrique Occidentale Française) ce « savoir faire » du Milieu sera parfois instrumentalisé par l’État.
Cette vision coloniale de la gestion, le rôle d’entre-deux du Milieu et la déception de la perte du débouché colonial, ne sont pas étrangères aux convulsions de l’Histoire contemporaine de la Corse. L’État a su utiliser des Corses dans ses opérations extérieures, mais n’a pas su ou n’a pas voulu anticiper cette perte des colonies et les conséquences induites sur l’île. Elles seront nombreuses, à commencer par l’activité du Milieu qui rentre vivre et braquer au pays. Nous avons déjà abordé une des conséquences de la colonisation qui  a mis au jour une réalité enfouie : le système claniste avait limité une accumulation substantielle du capital (privé et public) et donc limité le développement économique de l’île. Les colonies, notamment, servaient de variable d’ajustement monétaire par les transferts de fonds émanant des Corses installés au loin et par les pensions des anciens fonctionnaires.
  Nous retiendrons aussi le rôle d’intermédiaires efficaces dans de nombreuses affaires internationales et intérieur. La majorité de ces affaires se trouvent au croisement du business de la politique et de la voyoucratie.
Enfin, n’oublions pas la matrice que j’essaye d’illustrer, tout au long des articles de ce blog : le banditisme, sous toutes ses formes est un objet politique. A ce propos, nous pouvons constater, dans les pays touchés par les mafias, les conséquences de la faiblesse des États et la force des « princes ».
Aujourd’hui la dimension internationale du Milieu corse semble se rétrécir, pourtant il reste plusieurs territoires, dans le monde, accessibles à certaines activités. Le continent français n’est pas, non plus oublié. Malgré les réformes des cercles de jeu, il ne manque pas de régions où exercer le racket et la captation de marchés. La Corse s’étant enrichie, par rapport aux décennies précédentes, le Milieu entend aussi vivre et travailler au pays. D’après les autorités, un maillage indéfini, de 25 « groupes criminels » tapisse les différentes régions de l’île. Il reste à savoir s’ils sont autonomes ou biens liés entre eux par une organisation, formelle ou informelle. L’autonomie ou l’organisation de ces « groupes », c’est la différence entre une criminalité « ordinaire » et une Mafia.
 *Nous ne parlons pas ici de prédispositions « naturelles ». Il s’agit bien de conséquences de choix politiques. Nous retiendrons, notamment, que l’incapacité de Gènes à gérer la totalité du territoire insulaire, mènera l’occupant à laisser se développer le port d’armes. La sécurité n’étant pas totalement assurée par Gènes, nous pouvons parler d’une « auto-autodéfense », ce qui n’est pas neutre pour le reste de l’Histoire. Même processus pour la Justice. La faiblesse de Gènes, puis de l’État français, en la matière, entretiendra le système de vendetta également répandu en Méditerranée (Sardaigne, Sicile), avec ses glissements vers le banditisme et le gangstérisme.
L’actualité, une suite de l’Histoire : Le « petit bar », comme une parabole
Par facilité de langage, les médias comme les autorités adoptent souvent le nom du lieu où les voyous se rencontraient, pour former une bande, pour qualifier cette bande. Ce fut le cas de la bande dite de La Brise De Mer, éponyme du bar bastiais que ses membres créateurs fréquentaient. De la même façon, a été nommée la bande du « Petit Bar », du nom d’un établissement ajaccien.
Des individus désignés comme appartenant  et/ou étant proches de cette bande, défraient régulièrement la chronique. Les exemples suivants, les plus récents, ne sont pas exhaustifs.
Le 3 Octobre 2022, la Police Judiciaire d’Ajaccio procède à une perquisition dans les locaux de la mairie de la ville et dans ceux de la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien (CAPA). Les investigations sont pilotées par la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de Marseille. L’opération aurait débouché sur la saisie de dossiers gérés par le service d’urbanisme. Plusieurs de ces dossiers porteraient sur des contrats de travail. Ils concerneraient des personnes « proches de certains membres de la bande dite du « Petit Bar ». Les policiers semblaient chercher, également, des documents sur la gestion de locaux commerciaux situés sur le domaine public. Il serait question de soupçons de favoritisme dans l’attribution d’emplacements commerciaux.
Dans le mouvement, la Police Judiciaire a perquisitionné des appartements de personnes considérées comme « proches » de la bande :
Johann Carta, Président du club de foot ajaccien, le GFCA et les frères Damien et Michel Amhan, des médecins ajacciens qui gèrent des biens immobiliers. Le lien entre J. Carta et les deux médecins est établi, notamment par le biais d’une Société Civile Immobilière, la  SCI Résidence Palazzu I gérée un temps (Février-Décembre 2019), conjointement par J. Carta et M. Amhan. Ce lien indirect, ramène t-il à la bande du Petit Bar ? Ce serait l’avis des policiers, si l’on en croit le journal Le Monde qui fait référence à une enquête policière qui relie J. Carta et certains membres de cette bande. Le Monde signale également une intervention du « Petit Bar » dans les élections municipales d’Ajaccio (Mars 2020) : « Des éléments d’une enquête en cours sur le Petit Bar laissent penser que cette bande ajaccienne aurait tenté de peser sur le scrutin, gagné par Laurent Marcangeli ». (Le Monde 30 Septembre 2020). Elu divers droites, Laurent Marcangeli, également député, laisse son poste de maire à Stéphane Sbraggia, en Juillet 2022. Depuis Juin 2022, L. Marcangeli est Président du groupe Horizon à l’Assemblée Nationale.
Le 25 Octobre, le maire d’Ajaccio réagit brièvement aux perquisitions, lors d’un conseil municipal : "N’ayant pas aujourd’hui de communication officielle de la JIRS, je ne peux vous communiquer l’objet précis de ces investigations. Nous nous tenons à disposition des services pour qu’ils puissent poursuivre leurs investigations dans les conditions les plus normales". A l’approche de la mi-décembre, le résultat des perquisitions n’est pas connu officiellement.
Par ailleurs, fin Novembre 2022, le Président du GFCA est mis en examen et placé en détention provisoire. Il est soupçonné  "d'extorsion en bande organisée, escroquerie en bande organisée, blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs". Dans cette même enquête, trois employés d’une agence du Crédit Mutuel, dont le Directeur, sont mis en examen pour « complicité d’escroquerie en bande organisée » et « association de malfaiteurs » et laissés en liberté, sous contrôle judiciaire. Ils sont soupçonnés d’avoir fourni des « facilités bancaires » à plusieurs personnes, qui « n’offraient pas toutes les garanties ». Par légèreté ou sous la contrainte, l’enquête devra le déterminer.
 Par ailleurs, trois anciens dirigeants du club sont également poursuivis (février 2022), soupçonnés de « travail dissimulé et abus de biens sociaux ». Le préjudice, pour l’URSSAF, s’élèverait à 300 000 euros. Le total des préjudices pourrait atteindre, un million €. Les trois hommes seront jugés, devant  le tribunal correctionnel de Marseille (8-9 Février 2023).
Officiellement, aucun lien n’est établi entre ces deux « dossiers GFCA » et le « Petit Bar ».  Si ce n’est que plusieurs protagonistes se connaissent. Cependant, le fait que tous ces dossiers soient gérés par la JIRS (une autorité judicaire qui est chargée des affaires de grande criminalité), donne une couleur particulière aux enquêtes. La personnalité de certains individus pèse, également, sur ces dossiers. Ainsi un autre Président du club de foot ajaccien (janvier 2000- Juillet 2022) Antony Perrino, est mis en examen, en Janvier 2021, pour « blanchiment en bande organisée, abus de biens sociaux et association de malfaiteurs ». La Justice le soupçonne d’avoir permis à la bande du « Petit Bar » de blanchir de l’argent sale. A. Perrino est un gros entrepreneur, connu de la région. Incarcéré dans ce dossier de « blanchiment » (Janvier-Octobre 2021), A. Perrino a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
L’ombre du « Petit Bar » plane sur une série de dossiers. Dans une note « confidentielle » le SIRASCO (Service d'Information, de Renseignement et d'Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée), datée du 18 Mars 2022, nous apprenons que la criminalité en Corse est partagée entre « 25 équipes criminelles ». Celle du « petit Bar » fait l’objet d’un commentaire particulier, dans la note des policiers : « Il s’agit d’une équipe très structurée, qui compte de nombreuses ramifications tant sur le continent qu’à l’international, de par un vaste réseau de blanchiment. Ses liens avec le milieu politique et économique en font un véritable empire mafieux ». Le niveau « international »  est expliqué, dans la note, par des « amitiés et rapprochements » avec, notamment « l’équipe Germani », proche également de « l’équipe des Africains ». La note parle « d’amitié quasi paternelle qui liait Michel Tomi (surnommé « l’empereur des jeux », en Afrique NDLR) et feu Richard Casanova (membre éminent de la Brise De Mer NDLR) ». Jean-Luc Germani, qui est désigné comme le chef du « groupe Germani », était le beau-frère de Richard Casanova. J.L. Germani est lié, selon les policiers, au groupe « des Africains ». Cette « nébuleuse » ressemble à une organisation de type mafieux, sans que cela ne prenne le moindre sens dans le droit français.
Aucun nom appartenant au « milieu politique et économique » n’est cité dans le document du SIRASCO.
Nous reviendrons sur ces « 25 groupes criminels » et sur la lecture qui peut être faite de ce document, dans le prochain article.
En tout cas, ce lien établi par les enquêteurs, entre les « Africains d’Afrique » et les « Africains de Corse », sans autres précisions,  demande réflexion.
Avant de revenir à l’actualité, un retour s’impose sur certains éléments de l’histoire récente de la criminalité gérée par des insulaires.
L’État donne le mauvais exemple
Trafic de drogue…
Les gouvernements successifs ont habitué la Corse à fournir une main d’œuvre pour certaines opérations délictueuses et une forme d’impunité qui va avec.
En Indochine, la France va prendre exemple sur les Britanniques qui ont légalisé le trafic de drogue en Chine et bâti des fortunes, sur la santé de millions de Chinois. Cela suite à la « guerre de l’opium », avec son cortège d’injustices économiques et ses conséquences sur la santé publique ainsi que sur la politique, au-delà de la Chine. Comme les Britanniques,  la France va créer un monopole local sur l’opium.
En résumé, la France organise une taxation officielle d’une production d’opium… légalisée. Autrement dit le fisc touchait son pourcentage sur un trafic légal de drogue. Le motif était de « faire face aux lourdes dépenses d’installation du gouvernement colonial ». Alfred McCoy, in Le trafic de l’héroïne.  L’État fera construire  des raffineries en Indochine (fin 19è – début 20è siècle) pour traiter l’opium turc et iranien. A l’époque, on ne parlait pas de trafic, mais de « commerce ».
Au début de la 2ème guerre mondiale, A. McCoy estime  que le « commerce » de l’opium « procurait 15% de l’ensemble des recettes fiscales » de l’Indochine. La guerre stoppant l’arrivée d’opium brut d’Iran et de Turquie, l’État va encourager la production de matière première sur place, au Laos et au Tonkin, par des tribus des hauts plateaux (zones favorables aux plantations), notamment les Thaïs et les Mnongs*.
L’État devient un gros trafiquant (légal), cela va peser sur la suite des événements et sur l’interprétation « morale » des futurs trafics illicites.
*Ces tribus seront obligées, de différentes façons, de remplacer leurs cultures vivrières par des plantations de pavot. Le riz, pour se nourrir, leur sera parachuté, sur les hauts plateaux, par les avions de l’armée française.  Les Thaïs et les Mnongs serviront de forces supplétives durant la guerre d’Indochine. Ils auront à subir une forte répression et souvent l’exil à la fin des guerres d’Indochine et du Vietnam.
 Nous ne referons pas, ici, l’histoire des drogues en Indochine, mais nous retiendrons que l’accroissement exponentiel de la production, voulu par l’Administration,  augmentera le pouvoir des « seigneurs de la guerre » et du Milieu. Cela va déboucher sur une forte progression du trafic illégal. Dans le Milieu, ce seront majoritairement des Corses, mais pas seulement, qui vont gérer les nouvelles transactions.
En 1945, la guerre de libération lancée par les communistes dans la région, va poser un problème d’une autre dimension : celui du financement des opérations de l’armée française. Au sortir de la seconde guerre mondiale, le pays n’est pas riche. La majorité des équipements militaires est fournie par  les Américains. Une « dîme » prélevée sur les trafics illégaux va aider à financer les opérations spéciales de l’armée. « En Indochine, au cours des années 50, c’est l’implication directe de l’armée française dans le commerce de la drogue qui fit se rencontrer l’offre d’opium des Mnongs avec la demande des fumeries d’opium de Saïgon » (McCoy). Des avions et des camions de l’armée transporteront  une partie de la marchandise, en prélevant un pourcentage. La guerre coûte cher, on prend l’argent où il est. L’historien Jean-Marc Le Page rappelle que l’armée prend un « (…) prélèvement sur les BMC (Bordels Militaires de Campagne)… » et sur le trafic  de drogue. In Les services secrets en Indochine. L’État redevient proxénète (après la fermeture des maisons closes « civiles » en 1946) et continue à être trafiquant de drogue. L’histoire du trafic prend une dimension importante « (…) elle sort de l’ordinaire par son ampleur, ses ramifications possibles avec le grand banditisme ». McCoy, déjà cité.
Ces « liens » ne sont pas sans conséquence sur la manière d’appréhender la notion de trafic, chez de nombreux insulaires. «Si l’État le fait… ». Le capital social et financier accumulé va « booster » le Milieu dit « corso-marseillais ».
 …Trafic de devises
Enfin c’est, sans doute, à travers le scandale du trafic des piastres que le rapport entre criminalité et rôle de l’État est le plus visible. Entre 1855 et 1952, l’Union Indochinoise (actuel Vietnam, Cambodge et Laos) possède une monnaie : la piastre indochinoise. Le monopole d’émission de cette monnaie est accordé à un établissement privé, La Banque de l’Indochine. L’exemple de la Piastre illustre la manière dont un État peut être responsable d’un scandale monétaire, économique et moral.
Tumblr media
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les finances de la France sont exsangues, c’est encore pire en Indochine. En 1945 le taux de change de la Piastre (échanges Indochine vers la France) est fixé à 17 Francs, alors que sa valeur réelle, locale, est de 10 Francs. En achetant la Piastre au cours local, on pouvait faire une plus value en l’échangeant en Franc, en Métropole. C’est pour éviter un trafic juteux que ces changes étaient, normalement limités à certaines transactions marchandes. Seulement ce contrôle n’a jamais réellement fonctionné. D’énormes sommes de Piastres ont été changées, à travers une série de trafics, permettant à de nombreux individus de s’enrichir. Un enrichissement qui se fait sur le dos du contribuable français et des Finances du pays, pourtant déjà affaiblies.
Les Corses sont nombreux dans la colonie indochinoise, une partie d’entre eux participera à ce trafic, dans de grosses proportions. Des journaux de l’époque et des enquêteurs soupçonneront  un certain « Andréani », propriétaire d’un établissement de Saïgon, La Croix du Sud,  d’être un des responsables de ce trafic. Aucune poursuite ne sera engagée. Comme pour le trafic de drogue, des Corses sont soupçonnés d’utiliser leurs relations dans les compagnies de transport et notamment la compagnie de navigation Les Messageries Maritimes. Pourtant, ce projecteur braqué sur certains Corses, fait oublier la réalité du dossier. L’État a organisé la surévaluation d’une monnaie (La Piastre) pour relancer l’économie moribonde de l’Union Indochinoise. Mais il ne s’est pas donné les moyens du véritable contrôle des changes. Ce trafic, dont le montant réel ne sera jamais officialisé, a coûté de l’argent à un pays déjà affaibli et a enrichi plusieurs sociétés implantées en Indochine et/ou commerçant avec ces colonies. Outre le scandale financier, ce trafic juteux a retardé la fin de la guerre d’Indochine,  car plus la guerre durait plus la Piastre resterait surévaluée, permettant ainsi la poursuite du trafic des changes. Le prolongement de la guerre présentait un double avantage : l’enrichissement de certains, par le trafic des piastres et il permettait également aux grosses fortunes  -liées au colonialisme- de préparer leur départ d’une colonie qu’ils savaient perdue. Comble du cynisme,  la méthode a même permis aux autorités du vietminh de trafiquer également afin d’acheter des armes. La consultation des archives, par plusieurs historiens, a permis de montrer que ce trafic n’était pas l’apanage du milieu corse. Des hommes politiques, des Haut Commissaires (plus haute autorité politique en Indochine), des généraux, ont bénéficié du système de change. Surtout le trafic a profité aux grosses entreprises coloniales et au réseau bancaire. Ce système est bien résumé par l’historien Daniel Leplat, dans sa thèse : « La Piastre indochinoise ». Il nous montre le rôle des groupes de pression coloniaux et celui de l’administration des Finances.
Tumblr media
Dans ce « concert des puissants », les Corses n’ont pas pu jouer les premiers rôles. Par leurs relations politiques et familiales, ils ont accompagné un mouvement initié par le haut. Pour l’historien Hugues Tertrais « Les Corses ne sont pas si nombreux, autour de 10% des Français d’Indochine. On prête trop de pouvoir à Mathieu Franchini » (Propriétaire de l’Hôtel Continental  Palace de Saïgon, souçonné de diriger la partie mafieuse du trafic de piastres, sans suites). Selon Hugues Tertrais, tout le monde trafiquait, mais il ne faut pas surévaluer le poids du Milieu corse dans ce trafic : « Ils ont eu un rôle, comme tout le monde ». France Inter, émission Affaires sensibles : « Le trafic des piastres en Indochine » (7 Nov. 2022).  H. Tertrais a longuement enquêté sur le volet financier de ce trafic qui aura duré plus de huit ans. Selon lui « les transferts illégaux ont porté sur 130 à 200 milliards de Francs de l’époque ». Somme difficile à comparer, en Euro aujourd’hui. In La piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine.
Tumblr media
Enfin, l’enquête menée par Fabien Beziat, Martin Veber, pour leur documentaire « Indochine, mort pour la piastre » nous montre que La Banque de l’Indochine a joué « contre » en investissant ses bénéfices en… Afrique. Emission La case du siècle, sur La Cinq (diffusée le 11 Déc. 2022). Les capitaux engrangés en Indochine, se dirigent vers le continent africain. L’activité du Milieu corse fait de même.
 La « French Connection » : une grille de lecture
Il est inutile de refaire ici l’histoire de la « French Connection », que certains appellent la « Corsican Connection ». En revanche, on peut considérer que son organisation révèle une forme de structure informelle, mais particulièrement efficace. Pour l’efficacité, on peut se référer aux différents ouvrages et articles écrits sur la question. Sur l’organisation, nous retiendrons une phrase citée dans le livre «Les Parrains corses ». A propos de la difficulté à trouver des laboratoires de transformation de drogue en Corse (s’ils ont toutefois existé), un agent du « Narcotic Bureau » [administration chargée de la lutte anti- drogue aux USA, dans les années soixante.  Cet organisme sera remplacé par la DEA (Drug Enforcement Administration) au début des années soixante-dix] cite un commissaire français, chef du service des stupéfiants à Marseille : « le milieu français s’est maintenant bien organisé » à propos des laboratoires, ils « … ont recentré leurs opérations de drogue sur la Corse, île prisée pour sa position géographique, sa corruption politique et sociale et le manque de pouvoir juridictionnel de la France sur cette île (…) ». Le journaliste et universitaire américain, Alfred McCoy  a enquêté sur le trafic de drogue géré par ceux qu’il appelle « les syndicats corses », regroupant les « Corso-Marseillais ». Il cite une étude du «Narcotic Bureau » (1965) estimant que  le marché transatlantique de l’héroïne est « sous leur contrôle ». Comment un trafic aussi important reliant les territoires de production (Turquie) au lieu de consommation (USA), via les lieux de raffinage (Marseille, avéré, et la Corse, supposé) a-t-il pu fonctionner durant de nombreuses années ? Grâce à une étroite collaboration entre les gangsters insulaires et les Cosa Nostra italienne et américaine, notamment. Mais aussi grâce à une organisation souple et protégée politiquement : « Ces syndicats corses n’étaient pas constitués de grandes hiérarchies quasi militaires contrôlant toutes les étapes de la commercialisation ». A. McCoy estime que  ces « syndicats » étaient « (…) composés de frères ou de groupements d’amis » et « qu’ils reposaient sur la protection politique au niveau local et sur un réseau criminel global ». In La politique de l’héroïne, déjà cité.
Le démantèlement de la « French Connection »  met ces liaisons opaques en partie dans la lumière. Selon  Jacques de Saint Victor « Le démantèlement du trafic « (…) obligera les officiels français à reconnaître l’existence de zones grises peu ragoûtantes où se côtoyaient hommes politiques, affairistes, services secrets parallèles (barbouzes) et grands trafiquants de drogue ». Cet historien du droit aurait pu rajouter que ces « zones grises » se retrouvent aussi bien en Corse, qu’à Marseille et Paris. Et surtout, la fin de cette organisation ne débouchera pas sur la démonstration judiciaire de l’existence d’un réseau de complicité comprenant voyous, politiciens et fonctionnaires. C’eût été l’enquête impossible.
Enfin, il ne faut pas croire que cette « complicité » entre un État et la criminalité est une particularité française. La méthode du trafic de drogue comme variable d’ajustement financière, politique et sociale sera utilisée avec beaucoup plus de moyens, par les Américains lors de la guerre du Vietnam et dans les guerres suivantes (officielles ou secrètes), comme en Amérique latine (voir le soutien de la CIA aux contras) et en Afghanistan. L’enquête d’A. MacCoy montre bien « l’implication de la CIA dans le trafic des drogues ».
L’histoire de la French Connection est un véritable résumé d’une organisation, bien intégrée à son environnement. On y passe en revue,  le rôle de certains pouvoirs locaux et nationaux, ainsi que l’absence, la faiblesse et/ou la complicité du pouvoir central, judiciaire notamment. On peut y ajouter la « mollesse »  des autorités à poursuivre les trafics de drogue, l’ambiguité des pouvoirs et l’instrumentalisation du monde des drogues à des fins de financement politique et ce, au moins, dès le mandat français sur l’Indochine. La perte de l’Indochine et l’efficacité tardive des polices contre la « French Connection » verra ces anciens réseaux se tourner vers le continent africain.
En tout cas, c’est cette même  « intégration » que l’on retrouve souvent avec parfois les mêmes hommes et des réseaux semblables, dans les relations délictueuses et politiques, entretenues dans les « affaires africaines ».
  « Françafrique »,  réseau d’influences et d’affaires, en Afrique et en France
En Avril 2010, Charles Pasqua comparait devant la Cour de Justice de la République (CJR). Il est poursuivi dans le cadre de trois dossiers financiers. Nous n’en retiendrons qu’un, celui de la vente du casino d’Annemasse (Haute Savoie). L’ancien Ministre de l’Intérieur (1986-1988 et 1993-1995)  est poursuivi  pour corruption passive, car la Justice pense que la vente du casino a débouché sur des commissions servant à financer le RPF (Rassemblement Pour la France) pour les élections européennes de 1999. Le  RPF était  co-dirigé par Charles Pasqua et Philippe de Villiers. Ce dernier ne fait l’objet d’aucune poursuite.
En France, une Commission Supérieure des Jeux  (CSJ) examine les demandes  (ouverture, vente, installation de « machines à sous »…) et émet un avis. Cependant, c’est le Ministre de l’Intérieur qui tranche en vertu d’un pourvoir discrétionnaire. Dans le cas du casino d’Annemasse, la CSJ avait donné un avis négatif, le Ministre est passé outre (1994).
On retiendra que l’introduction des « machines à sous » dans les casinos français date de 1987, c’est Charles Pasqua qui a pris cette décision, qui n’a été remise en question par aucun de ses successeurs.
Au cours de cette partie du procès vont défiler des noms d’insulaires connus. On y trouve, notamment :
- Un « investisseur-intermédiaire », ancien élu à l’Assemblée de Corse, Toussaint Luciani (1937-2018). Ce dernier est cité par plusieurs témoins, lors du procès devant la CJR,  mais n’est pas poursuivi par la Justice. Toussaint Luciani est cité dans plusieurs ouvrages consacrés à la « Françafrique ».
-Un chef d’entreprise qui gère des affaires en Afrique, également conseiller territorial de la CTC et maire de Pila-Canale, assassiné en Mars 2006 à Ajaccio : Robert Feliciaggi.
-Un associé de cet élu, déjà condamné en 1976 pour « détournement de fonds » dans le dossier du casino de Bandol : Michel Tomi. 
Ce dernier est mis en examen en Juin 2014 pour « fraude fiscale ».
-La fille de M. Tomi, co-gérante  du PMU du Gabon : Marthe Mondoloni.
-un membre du cabinet du Ministre de l’Intérieur : Daniel Leandri
Tumblr media
Les observateurs voient dans ce dossier d’Annemasse « un réseau d’influence évident » et une suite naturelle à ce qu’on appelle la « Françafrique », un système qui lie plusieurs personnalités d’origine corse, notamment,  au monde des jeux en Afrique et en France et au financement de partis politiques (notamment de droite, mais pas seulement), des dirigeants de pays africains, en passant par des personnes peu recommandables.
Tout cela est abordé au procès devant la CJR, mais rien ne sera vraiment approfondi, comme si la Cour touchait de trop près aux secrets de la République. C’est du moins ce qu’a ressenti l’auteur de ces lignes qui « couvrait » cette partie du procès pour France 3 Corse.
La personnalité de l’ancien Ministre de l’Intérieur jouant comme un « fixateur » de la photo de ces relations. Finalement, Charles Pasqua est relaxé des accusations de « corruption passive par une personne dépositaire de l'autorité publique », par la CJR le 30 avril 2010
Cependant, Charles Pasqua  est condamné à 18 mois de prison avec sursis, en 2008, par le tribunal correctionnel de Paris. Peine confirmée en Cassation, en 2011.
Ce personnage de la République aura été soupçonné dans de nombreuses affaires et poursuivi par la Justice sur plusieurs dossiers. Il ne sera condamné que deux fois, à des peines avec sursis. Pour comprendre la personnalité de Charles Pasqua et de ses relations « sulfureuses », notamment avec des insulaires, nous pouvons nous référer à l’enquête de Nicolas Beau La maison Pasqua.
Dans le dossier du casino d’Annemasse,Michel Tomi sera condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. 
A ce jour, la « Françafrique » demeure un système qui, notamment,  « met de l’huile » dans les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines. Pour la plupart des observateurs, c’est d’abord une gestion néocoloniale de l’Afrique, à la croisée de la politique, du pillage et du banditisme.
Ce réseau complexe montre quand même une chose : le savoir faire d’un certain nombre d’insulaires au niveau international, aussi bien financier que politique.  Bien sûr, la « Françafrique » ce ne sont pas que des Corses. La diversité d’origines des Français qui font des affaires sur le dos de l’Afrique est très bien montrée dans le livre d’Arnaud Labrousse et François Verschave, Les pillards de la forêt.
Aujourd’hui, certains observateurs estiment que le réseau « Françafrique » voit son étoile pâlir.
La dimension délictueuse de ce système ressort de temps en temps, au gré des affaires, y compris en France, comme celle d’Annemasse.
Dans plusieurs enquêtes des liens sont évoqués entre la dimension affairiste des hommes de la  « Françafrique » et le grand banditisme insulaire.
Cependant, jamais on ne notera l’affirmation  -sur le plan juridique et encore moins pénal- d’une organisation intégrée entre voyous corses et affairistes de même origine.  On se contente de noter l’existence de « liens »  d’amitié ou de famille. Ce refus ou cette incapacité à démontrer l’existence d’une organisation intégrée repose, peut-être sur l’obstacle juridique du code pénal français en la matière et bien entendu sur une absence de volonté politique au plus haut niveau.  Alors que la commission d’enquête parlementaire sur « l’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse (sept. 1998) constate que :   "L’on ne peut que s’étonner des liens croisés et des rivalités qui concernent des hommes aux intérêts importants dans plusieurs secteurs économiques, dont le monde des jeux, en France ou en Afrique. Leur proximité avec le banditisme et certains milieux nationalistes confortent la perception de l’" émergence d’un système ". Rien de précis, sur le plan politique et législatif ne sera fait.
Enfin, nous retiendrons que le lien entre la Françafrique et le dossier du casino d’Annemasse tient, principalement, à la personnalité de certains intervenants cités dans les procédures judiciaires, comme dans les nombreuses affaires liées aux dossiers africains. Un nombre important de ces personnes sont aujourd’hui décédées. Un seul homme ne sera jamais poursuivi par la Justice, dans aucun des dossiers (Casino Annemasse, Françafrique…), il s’agit de Toussaint Luciani (1937-2018). Ce dernier connaîtra une vie bien remplie, dans le monde des affaires (économiques) et dans le monde politique (plusieurs mandats en Corse). Il  sera seulement inquiété par la Justice pour son rôle dans l’OAS-Métro et accusé de participation indirecte à la tentative d’attentat contre le Général de Gaulle, au Mont Faron (Var) le 15 Aout 1964.
Tumblr media
Les membres de l’OAS, condamnés dans plusieurs dossiers seront amnistiés par la loi portant amnistie générale  « pour les membres de l’OAS » du 31 Juillet 1968. Voir Traces de la guerre d’Algérie. La quasi-totalité des personnes impliquées judiciairement dans la guerre d’Algérie sont amnistiées à cette date. Les archives policières sur la Guerre d’Algérie, devraient être accessibles à partir de l’année 2022. Nous devrions en savoir un peu plus sur le rôle de certaines personnalités. En effet, il manque beaucoup d’éléments dans l’analyse des périodes récentes. Plus nous approchons de l’actualité, plus il est difficile d’être le plus complet possible.
 Ainsi plusieurs insulaires se retrouvent à la croisée des chemins dans plusieurs affaires d’importance. Le dossier algérien, n’est pas le moindre.
 Une tradition factieuse ?
Nous avons vu, dans un article précédent, que l’absence de convictions idéologiques est un des traits du système clanique. L’idéologie affichée, est sans doute un luxe que des chefs de clan ne peuvent assumer. Il s’agit donc, globalement, d’être « au plus près » des tendances du moment.
Quelle est la seule région française métropolitaine qui a fait sécession contre la République, au vingtième siècle ?
Le 13 Mai 1958, un putsch des généraux, en Algérie, menace la République. Un Comité de Salut Public* occupe la préfecture d’Ajaccio le 24. Le même jour des parachutistes putschistes du 1er  bataillon parachutiste de choc (BPC) occupent des bâtiments publics en Corse. Parmi les personnes qui s’emparent de la Préfecture d’Ajaccio on trouve un maître de requête au Conseil d’État, député de la Corse (1956-1962), il sera conseiller régional  (Front National) de l’Assemblée de Corse (1986-1988). Pascal Arrighi ancien résistant, cultivé, et membre de plusieurs cabinets ministériels, aura donné l’exemple -par le haut- que le pouvoir se prend par la force, dans une démocratie.
Tumblr media
Cela a été, officiellement fait au nom de « l’Algérie française ». Mais, avec le recul, on peut se demander si ce n’était pas une bonne occasion, de la part de certains acteurs, de combattre la République.
Une partie des individus qui ont  pris la préfecture d’Ajaccio d’assaut n’étaient pas seulement menés par un souci de défendre « l’Algérie Française ».
On peut comprendre que de très nombreuses familles corses ayant des parents en Algérie, la « mayonnaise » du mouvement du 13 Mai 1958 ait pris plus facilement dans l’île. Les liens humains étaient forts entre la Corse et la colonie. Il existait des lignes aériennes directes entre plusieurs villes d’Algérie, Ajaccio et Bastia. De plus, la Corse était dans un état économique et social réellement scandaleux. A cette époque, il existe donc une conscience réelle du danger que peut représenter la perte de l’Algérie du point de vue des conséquences humaines et économiques. Mais certains protagonistes de ce véritable coup d’État possédaient bien une culture factieuse et l’Algérie représentait un prétexte solide. Cela fera dire à certains que l’on défendait autant l’Algérie française que l’on attaquait un régime parlementaire honni.
Parmi les soutiens de « l’Algérie française », on retrouve Toussaint Luciani. Ce dernier sera présenté comme le responsable de la branche métropolitaine de l’OAS, connue sous le nom d’OAS Métro. Deux documentaires intitulés « Les Corses dans l’OAS » sont diffusés les 5 et 12 Janvier 2001 sur les antennes de France 3 Corse. On y voit le rôle assumé, joué par plusieurs insulaires dans l’Organisation de l’Armée Secrète. En Corse ,les parachutistes putschistes seront, souvent,  bien accueillis. Une figure politique importante de l’époque, nous expliquera que les employés de la commune qu’il dirigeait « prépareront des sandwichs pour les parachutistes ».(Conversation avec l’auteur). Une des rares résistances, aura lieu à la mairie de Bastia (1er adjoint socialiste et conseillers communistes).
Une fois de plus, la Corse a eu la démonstration que les problèmes politiques se réglaient par la force et que l’État, du moins sur place, était fragile. Cela va confirmer ce que certains appellent la « culture du coup de force permanent ».
 *Nom donné à un comité insurrectionnel qui comprend des gaullistes et des personnalités qualifiées de « factieuses».  Ce Comité est associé au « plan résurrection » qui vise à prendre le pouvoir par la force. Les parachutistes du 1er  BPC de Calvi s’installent à Ajaccio et dans différents points de l’île. La Corse devait être une tête de pont pour d’autres actions militaires visant la prise du pouvoir à Paris. Le 2 Juin 1958 l’Assemblée Nationale vote les pleins pouvoirs au général de Gaulle.  Le volet national du « plan résurrection » est annulé.
 Vivre et braquer au pays, le BTP comme une parabole
En Septembre 2017,  Claude Chossat un ancien homme de main de Francis Mariani (membre « historique » de la bande dite de la Brise De Mer), publie un livre intitulé Repenti. Il y raconte son rôle dans la BDM. Il se présente, un peu, comme l’homme à tout faire de Francis Mariani. Il y détaille une partie des activités de la bande. Cependant il y a un aspect du livre qui semble avoir échappé à la majorité des observateurs. C. Chossat raconte, avec ses mots et peu d’analyse, quelque chose qui ressemble à plus qu’une simple bande de voyous, fussent-ils parmi les plus redoutables de leur époque.
Il est question d’investissements de l’argent sale dans l’économie insulaire, de chefs d’entreprises informés et d’hommes politiques tout aussi informés. Si pas mal de voyous sont nommés, le nom d’aucun homme politique ou d’entrepreneur n’apparaît. Esbroufe ou prudence ? La question ne lui a pas été posée au cours des nombreux entretiens accordés à des médias.
Les propos, ci-dessus, sont extraits d’un article que j’ai publié en Septembre 2020. On y trouve la synthèse des liens entre la BDM, la politique et le monde économique.  Autre Extrait, ci-dessous.
Tumblr media
Pourquoi le secteur du BTP est-il aussi important aux yeux de la grande criminalité ? Clotilde Champeyrache, économiste et spécialiste des mafias répond : « Il est vrai que c’est un secteur type de l’emprise criminelle. Cela tient au fait que ce secteur d’activité permet aux entreprises mafieuses de se mettre à l’abri de la concurrence via la captation des marchés publics, d’entretenir des liens de corruption notamment avec le monde politique et d’acquérir une certaine légitimité sociale à travers l’emploi d’une importante main-d’œuvre. » In Corse Matin 18 Novembre 2022.
Tumblr media
Claude Chossat est qualifié de « repenti » par les médias, mais il n’a pas obtenu ce statut de la part de la justice. Le motif de ce refus est, notamment, qu’il est impliqué dans une affaire d’assassinat. Il sera condamné à sept ans de prison, pour «association de malfaiteurs » en Mai 2021. Un criminel qui voudrait livrer des informations à la Justice ne peut bénéficier du statut officiel de « repenti » en France. Cet obstacle, majeur, est dénoncé par le Président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR)  des « repentis ». Pour Bruno Sturlèse « c’est quand même très très embêtant ». Entretien diffusé par France 3 Corse (27/04/2021). Le Pdt de la CNPR a signalé ses réserves aux ministres de la Justice et de l’Intérieur (2018). La tenue d’une commission ad hoc  n’a pas débouché sur un changement de la loi, susceptible de renforcer la Commission.  Au contraire, en 2022 la CNPR est « affaiblie » selon le journal Le Monde (10/10/2022). En Mars 2022, la Cour de cassation a retiré, à la CNPR, le droit de décider seule du retrait d’une identité d’emprunt accordée à un « repenti ». Pour Le Monde l’absence de soutien politique au travail de la CNPR est flagrante : « Victime d’une guerre d’influence entre les juges et la police judiciaire, cette instance administrative indépendante a perdu une part de sa liberté d’action sur des actes essentiels à la gestion des témoins protégés. Elle semble également figée dans une forme d’impasse doctrinale et légale, faute de soutien politique. ». Pourquoi le législateur n’aligne-t-il pas la loi sur celle en vigueur en Italie, mais au contraire « l’affaiblit » ? La décision de la Cour de Cassation peut être lue ici. J’ai déjà écrit que le monde politique a « peur du vide », car l’on ne sait pas ce qu’une plus grande exposition de la parole des « repentis » pourrait déclencher. Comme souvent, la grande criminalité peut servir de « variable d’ajustement » dans différents dossiers. Elle est, par moment, protégée.
 Depuis longtemps,  on peut lire des articles et des livres sur la pression qui serait exercée dans le domaine du Bâtiment, dans l’île. A quel niveau ? Quel volume ? Cela concerne-t’il d’autres secteurs ? Par définition, Il n’existe pas de statistiques en la matière.
Mais là où s’exerce le racket, le marché économique est faussé. A notre connaissance, contrairement à l’Italie, aucun organisme ou association n’a essayé d’établir un « recensement » en Corse.
 Nous avons vu (Wilson, Bourde) que le système instrumentalise les « bandits d’honneur ». Actuellement, peut-on qualifier ce système de Mafia ?  Il existe des ingrédients, notamment le contrôle du territoire, mais la principale question me semble être, plutôt, n’existe-t-il pas un risque aujourd’hui,  avec l’enrichissement  et la circulation financière accrue ? L’île passe d’un enrichissement faible, ou limité au « temps du patronage », à la transformation d’un système qui possède désormais pas mal « d’ingrédients » susceptibles de générer une Mafia.
 Aujourd’hui, la Corse est-elle en voie de « mafiosisation » ? Ou est-ce déjà fait ?  Nous avons des « ingrédients » d’une Mafia : durée dans le temps, axe État-politiques. Reste à faire la preuve (au sens juridique du terme) que s’ajoutent à cela des voyous et des entrepreneurs, pour former une association mafieuse.
En d’autres temps, chaque clan avait « ses bandits », pour rester dans la compétition politique. Aujourd’hui, chaque groupe d’intérêt économique devrait-il avoir « sa bande » pour rester dans la compétition économique ? Voila du travail pour les chercheurs en sciences sociales et les enquêteurs.
Aggravation ou  normalisation ?
Après des années de revendications « identitaires » un constat semble pourtant s’imposer : « La société corse s’est largement alignée sur la France continentale » C’est  l’ethnologue Georges Ravis-Giordani qui le dit. (Corse-Matin du 30 janvier 2017). Ce constat est surprenant, à prime abord. En effet, les  principaux défenseurs d’une identité  forte, les nationalistes, sont au pouvoir à l’assemblée territoriale, depuis 2015. Ce télescopage est en trompe l’œil. Une partie d’entre eux, les autonomistes, réclament l’inscription de l’autonomie dans la constitution française.  Peu de monde a signalé qu’il s’agissait d’un « ancrage » plus transparent que « l’autonomie non-avouée » (voir « Un système politique non-dit ») co-gérée par l’État et le système politique insulaire, depuis le rachat de la Corse par la France. Je reviendrai, dans un autre article sur le thème « nationalisme et banditisme ».
Cet « alignement » dont parle G. Ravis-Giordani explique, peut-être, les soubresauts violents qu’a connu l’île dans sa cohabitation avec l’État français. Comme dans la tectonique des plaques, il a fallu du temps pour que les deux territoires « s’ajustent ».  Pour autant, l’ancien système a-t-il réellement disparu ? Pour le chercheur en sciences politiques (CNRS), Jean-Louis Briquet, « le patronage notabiliaire est en train de disparaître ».  Émission « Contrastu », France 3 Corse 26 Novembre 2017. Dans le même cadre, J.L. Briquet poursuit : « le clientélisme n’est pas spécifique à la Corse ». Cette remarque est exacte, il n’y a qu’à observer différentes régions de Méditerranée, en France (la Côte d’Azur, Marseille…) ou bien en Italie (pas seulement le Mezzogiorno) pour voir que le clientélisme politique se porte bien. Seulement voilà, en prenant l’exemple de Marseille ou de l’Italie, nous constatons que ces zones de clientélisme, correspondent à des régions où la grande criminalité (quelle que soit son appellation) se porte toujours bien.
 Ce système non-dit, de gestion « paritaire » est bien décrit par Gérard Lenclud, dans un article publié dans la revue Études rurales 101-103 (1986) : « (…) l’État confie aux chefs de clan ou patrons locaux la mission d’intégrer à moindres frais  -sans violence autre que celle découlant de l’exercice normal de leurs pouvoirs- la société civile locale à ses institutions d’ensemble. ».
           Cependant, il serait faux de croire que la Corse possède le monopole de la « dévolution de pouvoir » non-dit. Le politologue Frédéric Sawicki, enseignant à la Sorbonne, cite notamment l’exemple du Var où un puissant maire socialiste (Édouard Soldani (1956-1985) sera remplacé par l’UDF Maurice Arrecks. Ce dernier bénéficiant du « (…) ralliement de nombreux conseillers généraux et maires « soldanistes » à la nouvelle majorité ». Un exemple parmi d’autres. In « La faiblesse du clientélisme partisan en France », contribution à l’ouvrage « le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines». L’Histoire politique hexagonale est truffée d’exemples de clientélisme politique.  L’historien Pierre Tafani en dresse une liste impressionnante dans son travail. Il cite, notamment, «(…) l’exemple de la Corrèze, exemple édifiant où l’on retrouve tous les ingrédients de l’hégémonie notabiliaire » In revue du MAUSS. « Du clientélisme politique ». Si l’on superpose les nombreux exemples cités par P. Tafani, la tentation est grande de penser que la Corse est loin d’être la région la plus portée sur le clientélisme politique. Mais il existe une limite à ce raisonnement : en Corrèze ou dans d’autres régions abordées par l’enquête de l’historien, le gangstérisme ne fait pas la Une de la presse de manière régulière. Dans ces régions, on ne dénombre ni attentats en série, ni assassinats en nombre. Personne ne parle de Mafia lilloise ou corrézienne. On peut constater des maux communs, mais ils ne débouchent pas sur les mêmes conséquences.
 Clientélisme et corruption
La corruption est-elle liée, mécaniquement, au clientélisme politique ?  C’est la question que pose Jean François Médard, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux (1934-2005). In Clientélisme et corruption. Tiers-monde. 2000, tome 41.
Pour appliquer cette problématique à la Corse, nous devons d’abord situer les enjeux.
De manière ancestrale, l’île connaît un système de clientélisme politique.
De façon générale, Il s’agit « d’un échange de faveurs contre des suffrages électoraux ». (Yves Mény chercheur en sciences politiques).
Cette définition générale du clientélisme peut être appliquée à la Corse. Pour autant, ce fonctionnement débouche-t-il sur une corruption généralisée?
Avant de tenter de répondre à cette interrogation, il faut définir le sens de ce mot. L’universitaire Yves Mény le résume :
« La corruption peut être définie comme un échange clandestin entre deux « marchés », le marché politique et/ou administratif et le marché économique et social ». Corruption politique et démocratie – Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient.
 Pour le philosophe José Gil, il n’y a pas de doute « (…) le clanisme organise la fraude et la corruption en les érigeant en système ». L’organisation en système est une de nos interrogations tout au long de cet ouvrage. La pérennisation de ce « système » semble démontrée par son antériorité. Quant à la « clandestinité », nous avons vu qu’elle est relative. Le système a, au contraire, besoin que chacun sache qui fait quoi. Les  rapports entre « clients » et « patrons » se font  face à face. Pour Gérard Lenclud « Il n’est pas ici de communication anonyme ni d’inconnu voué à le rester ». L’exemple de la distribution de billets ou de cadeaux, au vu et au su, est une illustration de cette absence d’anonymat. Voir « Élections et petits cadeaux ».
Enfin, il faut rappeler que la conception contemporaine d’un  système démocratique repose sur un principe : bien faire la distinction entre le Pouvoir et les personnes qui le détiennent. Cette différence, Jean François Médard la décrit ainsi : « ce qui relève de la chose publique et ce qui relève de la chose privée ». Un distinguo qui ne fait pas partie de la sphère intellectuelle du clientélisme politique. Au contraire, rien n’est désincarné.
Cette forme de corruption morale n’est pas toujours vécue comme telle. Une série d’exemple illustrent ce thème de « l’incarnation ». Plusieurs personnes, rencontrées au cours de l’exercice de ma profession, m’ont expliqué leur « gratitude électorale » pour un simple service rendu comme, par exemple, l’obtention d’une pension d’agriculteur. Je rétorque à ces personnes que ce « service » était dû, de par la loi et qu’elles avaient travaillé toute leur vie et que donc cette pension de retraite leur était due « automatiquement ». A chaque fois ces personnes m’ont montré leur étonnement et leur incompréhension. Il faut donc comprendre que, humainement, il leur est impossible d’imaginer un système administratif désincarné, ou le droit n’aurait pas le visage et le nom d’un être humain. Cela ouvre des perspectives de travail pour les anthropologues. Pour se remémorer le sens d’un système reposant sur le don et le contre-don,  comme  « un contrat fondateur des liens sociaux » on peut se référer à l’étude de Marcel Mauss (1923).
 De plus, en généralisant ces exemples, cela donne un système global. Ce détournement moral n’est en rien un délit, au départ. Mais il faut s’interroger sur les conséquences d’une telle vision des choses sur le fonctionnement global de la société.
Le chercheur Jean-Louis Briquet cite une conversation avec un élu insulaire (1990) : « (…) Il y a quelque chose dans le clanisme qui a sa noblesse : un réseau de solidarité, un réseau de références à l'égard d'un certain nombre de personnes à qui on attribue du pouvoir, de la respectabilité... Pas seulement parce qu'elles peuvent rendre des services, mais parce qu'ici, tout le monde se connaît, les relations sont personnalisées et toute relation prend une consistance humaine.»
Bien sûr, l’homme politique interviewé  n’aborde que la dimension « humaine ». Il n’est pas question, pour lui,  de réduire cette « humanité » à un calcul de basse politique. Du côté de l’électeur « l’échange » est rarement présenté comme immoral. Les deux exemples que je cite, par ailleurs, voir « Élections et petits cadeaux », apportent des nuances. Le premier se déroule dans les années 60, mais la personne ne se confie que dans les années 90. Elle a eu le temps de «digérer » la signification de cet échange et notamment l’aspect humiliant du «au vu et au su ».  Pour l’exemple du début des années 2000, la personne concernée qui me le raconte, ne semble ressentir aucune honte. Il serait intéressant, comme dans le premier exemple, de connaître sa réaction dans… trente ans.
 Pour J.F. Médard, «le clientélisme politique incite à la corruption économique ». Nous retrouvons ici la notion de «capital social » évoqué par l’universitaire italien Rocco Sciarrone, dans la pérennisation des mafias. La mise en place de ce « capital » nécessite la construction de réseaux d’amitié et d’une « clientèle ». Pour J.F. Médard «Ces réseaux peuvent aller jusqu’à se transformer en réseaux mafieux ». De quelle façon ? « Les réseaux mafieux sont ainsi des réseaux de clientèle d’un type particulier en ce qu’ils articulent le recours à la force et la logique de l’échange social ». In Tiers monde. 2000, tome 41.Déjà cité.
En Corse, la « transformation » a-t-elle eu lieu ? Nous voyons, tout au long de mon travail, qu’il est très difficile de répondre à une telle question avec certitude. Nous avons vu qu’il ne suffit pas de parler de «réseaux mafieux » ou de « situation pré-mafieuse » pour faire avancer la réflexion. Je me répète, affirmer qu’il existe une Mafia ou dire qu’il n’y en a pas, repose aujourd’hui sur un acte de foi, sans possibilités d’appuis juridiques.  De plus la matière est inégalement documentée. A défaut de « Mafia », il est parfois difficile de nourrir la réflexion sur la corruption, alors même que nous avons vu (J.F. Ménard) où elle peut mener. Pour J.L. Briquet « (…) en France, l’accès aux sources judiciaires est autrement plus difficile (qu’en Italie NDLR). C’est certainement l’une des raisons qui conduit à minimiser, dans le débat public comme dans le débat scientifique, le poids de la corruption, du clientélisme, dans la 5ème République ». Clientélisme et pratiques politiques officieuses – Un regard sur l’histoire politique récente de l’Italie. In Revue Savoir/agir.
 Corse, des « pactes scélérats » ?
Quand le grand banditisme, qui s’exportait, développe maintenant ses activités dans l’île, l’aspect « apport en liquidités » devient incontournable. Il était connu des « initiés », il est exposé au grand jour en Juillet 2000. Le Procureur Général de la Corse Bernard Legras rédige un rapport sur la situation en Corse, dans lequel on peut lire, notamment : “La Brise De Mer soutient les entreprises locales qui ont quelques difficultés à obtenir des prêts de la part des banquiers. Elle vient en haut de bilan et y reste parfois, en mettant en place des hommes de paille. Elle sert aussi de relais pour attendre les subventions européennes dont l’octroi est toujours plus long. Bref elle s’implante dans l’économie locale en l’acquérant”.
Toutes proportions gardées, il s’agit bien de la description d’un financement d’une partie de l’économie insulaire par l’argent du crime. Un parallèle raisonnable peut être établi avec la situation en Italie, décrite dans plusieurs articles de ce blog. Cela nous ramène à l’Histoire de la Corse.
A la fin des années 70, l’île manque cruellement de capitaux privés. Selon certains observateurs les (gros) braquages de la BDM vont permettre la circulation de liquidité dans l’île. Aux grandes heures de la BDM, il était fréquent d’entendre ce genre de remarque : « au moins eux ils font circuler de l’argent », phrase entendue plusieurs fois par l’auteur de ces lignes. Il faut dire que le « portefeuille » de la BDM était bien rempli, si l’on en croit Denis Dupré, « spécialiste des risques financiers », qui cite une enquête de la PJ: « 400 comptes bancaires, 124 acquisitions immobilières, 60 sociétés, dont une dizaine de SCI tenues par des proches de personnes liées au banditisme » In Les mafias attaquent-elles le fonctionnement démocratique (2013). Cependant, il serait simpliste de croire que l’argent du crime a inondé la Corse, au point d’en faire un paradis. L’île demeure la région la plus pauvre de France métropolitaine. Si les voyous investissent une partie de leur gains illicites, sur place, c’est moins pour engranger des bénéfices que pour accumuler du capital social. Sans quoi  ils n’auraient pas pu bénéficier d’une forme de soutien d’une partie de la population. La crainte compte beaucoup, mais une forme « d’adhésion » (le capital social) est indispensable sur la durée. En Corse, le schéma est le même que dans toutes les régions de banditisme chronique ou de mafias : la criminalité enrichit surtout ses proches, mais ne développe jamais la région. Nous écrivions déjà : « L’ensemble de ces constats peut fournir des réponses à ceux qui pensent que « l’accumulation criminelle du capital » peut permettre à certaines zones défavorisées de devenir des régions riches ». Petit rappel : si
 l’on observe les principales « régions mafieuses » d’Italie (Calabre, Campanie, Sicile), nous voyons que ce sont les plus pauvres du pays.  
 Pour certains observateurs, la mansuétude dont a bénéficié la BDM de la part des autorités, reposait -aussi- sur un besoin de « mettre de l’huile » dans les rouages économiques grippés. Des Pouvoirs ont-ils estimé que ce système de financement par le banditisme était un « mal nécessaire » ? Ou bien la situation est-elle encore plus grave et l’action « limitée » des autorités cache-t-elle un réseau de complicités plus vaste que ce que dit la version officielle ?
Ainsi ,le Procureur Général près la cour d’Appel de Bastia, Bernard Legras (1998-2000), se plaint de ne pas avoir obtenu les informations qu’il recherchait, sur le grand banditisme (une synthèse réalisée par les enquêteurs, devenue inaccessible). Silence de son corps professionnel (Ministère de la Justice), comme de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Avec de telles attitudes en haut-lieu, nous sommes en droit de nous interroger. Surtout si l’on ajoute une décision surprenante : plusieurs noms de voyous insulaires ont été retirés du fichier «du grand banditisme », en 2001, par… le Directeur adjoint de la Police Judiciaire, responsable des affaires criminelles, le Contrôleur Général Roger Marion. Cette « effacement » débouche sur un allégement des contrôles des personnes concernées. Parmi les 120 noms rayés du fichier, se trouvaient plusieurs membres de la Brise De Mer et Jean-Jé Colonna, considéré à l’époque, comme « le parrain du Sud », ainsi qu’un de ses proches. Surprenante décision qui ne semble pas avoir déclenché une enquête interne.
 Un Milieu protégé
Nous ne dresserons pas, ici, la (longue) liste des histoires douteuse en matière de protection ou d’étouffement de certaines affaires. Cependant une chose est certaine, pour de multiples raisons, des membres de la criminalité bénéficient et ont bénéficié de protections « en haut-lieu », par l’intermédiaire des membres des forces de l’ordre chargées de les combattre. L’exemple de la « couverture » accordée au réseau « africain » est une bonne illustration. Les ratages dans des tentatives d’arrestation de Richard Casanova  sont attribués à ses protections policières, in Vendetta. Qui protégeait le « cerveau » de la BDEM ?  Selon plusieurs ouvrages il s’agit, notamment, de Bernard Squarcini qui fut, entre autre responsable des RG (Renseignements Généraux) et patron de la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur), excusez du peu.  Pourquoi une telle protection ? R. Casanova aurait rendu des services dans plusieurs affaires, sous forme de renseignements : arrestation d’Yvan Colonna, relations politiques dans les « dossiers africains ». R. Casanova était considéré comme très proche de Michel Tomi « l’empereur des jeux » en Afrique. Ce dernier est aussi présenté comme « rendant des services » dans le système de relations entre la France et certains États africains. Quand on bénéficie de protections, à ce niveau, il est facile de comprendre pourquoi la lutte contre le grand banditisme connaît un nombre d’échecs retentissants.
L’exemple « corso-africain » n’est pas unique, même s’il est emblématique. Le rôle de plusieurs membres des forces de l’ordre, dans des dossiers de banditisme, demeure troublant par son ampleur. En outre, nous observons que dans le dossier des cercles de jeux parisiens : « il apparaît que les dirigeants des cercles étaient avisés, à l’avance, des contrôles réalisés par la polices des jeux ». In Compromissions. Le monde des jeux et des casinos est un centre névralgique des affaires, mais aussi un lieu de circulation de certaines informations.
Plus près de nous, en 2020, un colonel de la gendarmerie est mis en cause (sans suites à ce jour) pour ses relations avec le Milieu insulaire.
La même année, toujours dans le dossier du « petit bar », la Police Judiciaire est dessaisie du dossier, qui est confié à la gendarmerie. Motif : des erreurs de procédures.
En Avril 2021, un policier du commissariat d’Ajaccio est mis en examen pour « corruption passive », il aurait fourni des renseignements à des membres de la bande « du petit bar » permettant à trois de ses membres d’échapper à une perquisition.  Cela fait beaucoup pour un même dossier. Les enquêtes sur ces liens et relations Police-Milieu soit n’ont pas lieu, soit n’ont pas encore abouti. Comme pour l’exemple « africain », ces couacs empêchent une bonne tenue des investigations sur la grande criminalité et permettent à certains de ses membres de dissimuler ou de détruire des éléments de preuves qui manqueront en cas de procès. Plus de vingt ans après les révélations sur les protections dont a bénéficié la bande dite de la Brise De Mer, la criminalité insulaire  semble continuer à posséder ses « honorables correspondants » au sein de l’appareil de répression. Reste la question : s’agit-il d’une « simple » corruption ? Il est classique que la grande criminalité possède des « contacts » au sein de l’appareil répressif, policier et judiciaire. Tout le monde n’est pas incorruptible. Mais n’y a-t-il pas, aussi, une aide d’ordre « structurel » pour obtenir des informations de la part des voyous ? A ce jour, aucune enquête, en ce sens, ne semble avoir été déclenchée.
Enfin, last but not least, l’affaire de la SMS  -voir plus loin un dossier « exemplaire »-  montrera que des policiers peuvent informer des personnes poursuivies… par la police.
 Un des aspects du rôle de la criminalité dans les sociétés
 Certaines autorités n’auraient vu quasiment que des avantages à lever le pied en matière de poursuites contre la Brise De Mer et d’autres voyous. En Corse, comme ailleurs, le gangstérisme suit l’état du marché.
« La criminalité s’est parfaitement adaptée aux évolutions géo-économiques, financières et géopolitiques de notre monde » c’est le constat que dresse l’universitaire Christophe Soullez (Observatoire National de la Délinquance et des Réponses  Pénales) : « Criminalité et économie : un mariage efficace et durable », In revue Regard croisé sur l’économie.
Un bémol cependant. Si la criminalité « s’adapte », nous continuons à penser qu’elle n’est pas autonome. Dans le scénario qui transforme la criminalité en « apporteur de liquidités, cette dernière ne peut être séparée des autres composantes de la société, économiques et politiques.
Il n’est pas neutre que plusieurs membres du Milieu corse soient ou aient été des « fils de bonne famille ». Au-delà de l’attrait du banditisme,  plus excitant que la simple notabilité, on peut aussi chercher une nécessité économique. L’incapacité historique de la Corse à dégager une bourgeoisie classique forte a, sans doute, poussé une partie des notabilités à tenir son rang en prenant l’argent là où il est. Il s’agit d’un exemple d’accumulation primitive du capital. Qu’il se fasse par la force n’est pas une nouveauté en soi. Une partie des actions d’accumulation capitalistique s’est faite dans le monde, en débutant par l’accaparement coercitif de  richesses. Cependant les systèmes (pays et entreprises) qui perdurent doivent passer à un autre stade (production, innovations techniques…). Cet état provisoire d’une société ne doit pas durer, sous peine de fabriquer une société mafieuse. A ce propos, voir « les prestations extorquées » (Max Weber), au chapitre Du capital social à l’accumulation primitive du capital, dans l’article Criminalité en Corse. 2ère partie.
On pourrait penser que le cycle : vol/recyclage, mène à l’étape suivante qui serait l’optimisation intelligente (un développement économique plus classique). Si ce  raisonnement peut choquer la morale contemporaine, il suffit d’analyser l’histoire de certains pays riches pour comprendre comment leur développement et leur croissance se sont faits sur un tel schéma. Mais il y a un mais.
La petite taille des aires, géographique et démographique, les mœurs politiques et le rôle ambigu de l’État, s’joutent à l’absence d’un projet d’ensemble. En d’autres termes la somme des rapines ne fait pas un projet politique. L’accumulation reste primaire et surtout elle entre dans un cercle, sans fin, de renouvellement. Seule la violence règle les conflits et l’accumulation profite, brièvement, au premier cercle des factions en lice. Ce mouvement « perpétuel » est le contraire du développement. Il ne fabrique pas une réelle bourgeoisie, mais génère une forme de bourgeoisie comprador, sans réelle dynamique économique.
Certains observateurs vont même jusqu’à penser que l’État a laissé faire, parce que la gestation d’une classe entrepreneuriale « normale » lui  aurait coûté trop d’efforts. Pourtant le principal enjeu en Corse, semble être le passage d’une île clanique, à faible développement économique, à la création d’une bourgeoisie entrepreneuriale « saine ».
L’instrumentalisation de la grande criminalité est une constante de l’histoire des nations. La plupart du temps,  le Milieu et/ ou les Mafias sont utilisés comme une variable d’ajustement en matière politique (lutter contre le communisme et la gauche en général) et/ou en matière de maintien de l’ordre (informations, forces supplétives). Nous avons déjà détaillé ce rôle dans deux exemples : celui du Japon, avec les yakuzas et celui de l’Italie avec la ‘Ndrangheta. Il est un autre domaine, celui du soutien financier. Il a toujours existé, mais a pris une plus grosse dimension avec les crises économiques et financières. La crise de 2008 est exemplaire : Pour Antonio Maria Costa, directeur (2002-2010) de l’Office des Nations Unies Contre la Drogue (ONUDC) : L’argent sale du crime organisé aurait été la principale source de liquidités pour le système bancaire de plusieurs pays et notamment les USA, au cours de la crise financière de 2008. Les États se sont (trop) souvent arrangés avec la grande criminalité, en matière de délits financiers. Quand nous voyons le niveau des « arrangements » dans l’article en lien ici, nous comprenons mieux (à un plus petit niveau) la matrice des « arrangements » en Corse.
SMS : un dossier « exemplaire »
Ce « mariage » est illustré par l’affaire de la SMS (Société Méditerranéenne de Sécurité) 2006-2011. Vont circuler des noms de voyous, d’hommes d’affaires (insulaires et nationaux), de responsables de Chambres de Commerce (en Corse et dans le Var), d’hommes politiques (nationalistes  et « traditionnels »), de… policiers et de guerres des polices… « Guerre des polices Et Affaires corses » c’est le titre d’un ouvrage qui traite du dossier SMS. Pourtant il n’est pas sûr que ce soit ce volet du dossier SMS qu’il faille retenir d’abord. Cela ressemblait bien à un enchevêtrement de liens entre différents mondes : celui des affaires, du Milieu, de la Politique et des forces de l’ordre normalement chargée de mettre de… l’ordre dans tout cela. Pourtant, ce n’est pas vraiment cette « association » qui a été jugée.
Bilan judiciaire : 18 condamnations et un goût d’inachevé. Le Parquet fera connaître son analyse, à propos de la procédure judiciaire : "polluée par des interventions variées, généralement peu compatibles avec la manifestation ordinaire de la vérité et révélant, s'il en était besoin, la fragilité du fonctionnement républicain en Corse" L’Express 20 Juin 2011. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres, les enquêteurs se verront même opposer le Secret Défense dans le cas du principal suspect.
Le chercheur et journaliste, Thierry Colombié, se fait l’écho des inquiétudes des magistrats :
« (…) les prêts fictifs, salaires mirobolant et avantages divers ayant notamment bénéficié à Nivaggioni ne sont que la partie visible d’un vaste système de corruption où, très vite, une police pour le moins « politique » s’est mise à écouter, renseigner, quand ce n’est pas faire obstacle au travail judiciaire ». In Les héritiers du Milieu.
Pour conclure ce chapitre de la place des sociétés de sécurité et de gardiennage et de leurs rapports avec la criminalité, il faut noter les propos de Laure Beccuau, Procureur de la République de Paris, sur « l’infiltration de nos sociétés contemporaines par les réseaux criminels » et les conséquences sur l’économie : « Au niveau économique, la menace provient des investissements dans les entreprises fragiles, par exemple dans les transports, les déchets, la sécurité… » (Le Monde, 18 Novembre 2022). La Corse n’est pas citée dans cet entretien, mais nous pouvons aussi nous y reconnaître. La magistrate aurait pu ajouter, à sa liste, le monde des jeux.
Corse, « une île casino » ? « Mythe » et réalité
De longue date, de nombreux Corses se sont investis dans les jeux de hasard, en France et à l’étranger. Cet intérêt  pour le monde des jeux est inséparable de celui des établissements de nuit (boîtes, cabarets…). Globalement, la réputation de ces activités n’est pas bonne. Elle est souvent liée au Milieu.
De nos jours, la « nouveauté » semble être une volonté de développer ce type d’activités dans l’île. Des enquêteurs, relayés par des médias, ont laissé entendre que certains entrepreneurs de casinos souhaitaient, non seulement investir en Corse, mais aussi transformer l’île en un paradis des jeux de hasard.
Le journaliste d’investigation, Pierre Péan, aura même une formule : « Le ‘nouveau rêve cubain ’ des Corso-Africains ». In Compromissions. La République et la mafia corse. Pour comprendre l’expression « rêve cubain », il faut se rappeler que la Cosa Nostra américaine avait fortement investi dans les casinos et le tourisme à Cuba, dès les années 30 et jusqu’à la prise de pourvoir par Fidel Castro (1959). Des familles du Milieu, impliquées dans la « French Connection », originaires de Corse, s’étaient associées, dans des établissements, avec la mafia nord-américaine.
Il faut dire que la majorité des enquêtes tournent autour d’un groupe de personnes, en Corse, sur le continent français et sur le continent africain, majoritairement, qui est lié au monde des jeux. Il ne s’agit pas ici de refaire le catalogue des affaires judiciaires, en lien avec les jeux de hasard dirigés par des insulaires, mais de comprendre comment certaines personnes en sont arrivées à penser que la Corse représentait un objectif, ou une « proie » pour les casinotiers et pour des membres de la criminalité. Tout cela sur un fond politique.
 La réalité
La Corse ne compte à ce jour qu’un seul casino, celui d’Ajaccio. Une société a bien été constituée pour « l’Organisation de jeux de hasard et d’argent », avec son siège à Porticcio (commune de Grosseto Prugna). La société est inscrite au greffe du tribunal de commerce d’Ajaccio en Mars 1981. Le projet n’a pas abouti, la société est radiée en Janvier 2013. Le Président du Directoire de cette « société de jeux et de casinos de Porticcio » était Jean-Guy Jacques Antoine Bozzi.
La commune de Grosseto et notamment son hameau de Porticcio, sur le littoral, connaît une histoire agitée. Deux maires y seront assassinés : Charles  Grossetti (sept. 1990) et Marie-Jeanne-Bozzi (Avril 2011). La fille de cette dernière dirige, actuellement, la municipalité de Grosseto Prugna.
Plusieurs personnes, originaires de Corse, possèdent ou ont possédé des établissements de jeux de hasard (casinos, cercles de jeux, paris en ligne…) en France et dans plusieurs pays (Liban, Grande Bretagne, Maroc, Gabon…) la liste est loin d’être exhaustive.
Les cercles de jeux sont souvent gérés par des insulaires, ils seront au centre de plusieurs dossiers criminels.
Dans les années 60 se déroule une guerre des gangs, qualifiée également de « guerre des jeux ». Selon les enquêteurs, elle oppose deux familles corses propriétaires de cercles de jeux. Les Andréani et les Francisci. Cette guerre ne connaîtra aucun débouché judiciaire majeur et les cercles ne seront pas interdits. L’une des familles est dirigée par un personnage emblématique, Marcel Francisci. Propriétaire de plusieurs cercles et casinos (Liban, Espagne, Londres, Paris…) il est surnommé « l’empereur des jeux ». Mis en cause dans cette « guerre des jeux », M. Francisci ne sera jamais condamné dans ce cadre. Il est également désigné par les autorités américaines comme étant « un des dirigeants de la French Connection ». Dans ce cadre, également, il ne sera jamais condamné. Parallèlement, Marcel Francisci mène une carrière politique (conseiller général (UNR) et maire de son village Ciamannacce).
Il est assassiné à Paris en Janvier 1982. Le New York Times titre : « Marcel Francisci assassiné ; lié à la French‘Connection’ » (16/01/1982).
Les autorités françaises n’ont jamais entamé de poursuites judiciaires contre « l’empereur des jeux ». Le lien entre la famille Francisci et la French Connection n’a jamais été juridiquement établi.
Tumblr media
Aux élections législatives de 1997, deux « pointures » du monde des jeux seront les suppléants de deux candidats de droite, dans la 2ème circonscription (Porto-Vecchio-Sartène-Ajaccio) de la Corse du Sud. Roland Francisci (frère de Marcel) supplée Jean-Paul de Rocca Serra et Robert Feliciaggi forme un duo avec Denis de Rocca Serra (DVD). Le premier suppléant appartenait à une famille implantée dans le monde des casinos et des jeux (Maroc, Londres, Paris…) et le second gérait des casinos en Afrique. Il est rare que les suppléants soient aussi connus que les candidats. Le journal Libération peut titrer «Législatives 97. Grosses mises en Corse du Sud ». (Libération 7 Mai 1997). Le directeur de campagne de Denis de Rocca Serra était Toussaint Luciani, cousin de R. Feliciaggi. Ce dernier était conseiller territorial de Corse (DVD). De son côté Roland Francisci sera député de Corse du Sud (1998-2002).
 Dans les années 2000, il est question de détournement de fonds et de pressions physiques pour s’accaparer des cercles de jeux. Le cercle Wagram (Paris) est emblématique de ce genre de délits. Ce cercle sera considéré comme la « tirelire » de la bande de la Brise De Mer.
Les cercles de jeux implantés dans la capitale compensaient, sous forme hypocrite,  l’absence de casinos à Paris. Les cercles étaient régis par la loi de 1901, sur les associations, c’est dire si les possibilités de détournement étaient grandes. Lieux de détournements et de blanchiment, ces cercles auront été admis par les gouvernements successifs depuis leur création (1923) jusqu’à leur fermeture/réouverture, après réorganisation (2017).
 Coté casinos, plusieurs autres affaires ont défrayé la chronique. Parmi elles nous retiendrons celle du casino d’Annemasse (voir plus-haut) ou celle du casino de Bandol. Dans ce dernier, il sera question d’abus de biens sociaux, deux insulaires installés au Gabon (les frères Tomi) seront condamnés en 1996. L’abus de bien sociaux est un délit assez répandu dans le monde des jeux. Les enquêteurs soupçonneront le casino d’Ajaccio, pour des sorties d’argent qualifiées de « douteuses ». Aucune poursuite judiciaire n’a été déclenchée à ce jour contre des dirigeants de l’établissement.
Tumblr media
   Pourquoi parle-t-on des « Corso-Africains » ? Parce que plusieurs insulaires ont fait fortune dans des casinos en Afrique. Le magazine Jeune Afrique parle du « clan » corse qui a fait de l’Afrique centrale l’eldorado des jeux d’argent ». Parmi ces hommes entreprenants, l’on trouve les deux frères Tomi (condamnés dans l’affaire de Bandol) et l’on trouvait Robert Feliciaggi (poursuivi dans le dossier du casino d’Annemasse). R. Feliciaggi sera assassiné en Mars 2006 à Ajaccio.
Les trois hommes sont très liés à plusieurs dirigeants politiques africains, notamment au Gabon et au Cogo. Pour obtenir des autorisations d’ouverture et les conserver, il faut être en bons termes avec des dirigeants politiques en Afrique et en France. Jeune Afrique aurait pu ajouter : avec le soutien de réseaux de l’État français.
Un homme politique semble avoir joué un rôle clef dans le dossier des casinos, il s’agit de Charles Pasqua. Plusieurs fois ministre de l’Intérieur (1986-1988, 1993-1995). En France, le ministre de L’Intérieur possède un pouvoir discrétionnaire : il peut autoriser l’ouverture d’un établissement, contre l’avis négatif de la Commission Supérieure des Jeux (CSJ). La CSJ n’a qu’un rôle consultatif. C’est le ministre qui décide. Charles Pasqua va souvent donner un avis positif, en opposition avec la CSJ et l’Inspection Générale de l’Administration (IGA). Charles Pasqua et le monde des casinos, c’est une longue histoire racontée par Nicolas Beau dans La maison Pasqua. C’est sous son « règne » que sera votée une loi autorisant l’entrée des « machines à sous » dans les casinos (1987). Ces engins qui rapportent beaucoup, sont surnommées les « bandits manchots »…
Le rôle de Ch. Pasqua aurait pu s’arrêter là (ce qui est déjà considérable), mais pour certains observateurs le Ministre de l’Intérieur va peser sur la situation en Corse au-delà du monde des jeux mais aussi en rapport avec cet univers. C’est la part du « mythe ». Pierre Péan développe le thème d’un « rêve cubain » que des membres de la criminalité, d’origine insulaire, auraient projeté sur la Corse.
Enfin, avant d’aborder le thème de « l’île casino », il faut noter l’existence d’une grosse société de fourniture de « machines à sous », la PEFACO, connue pour ses liens avec l’Afrique et plusieurs insulaires.
 Le « mythe »
Plusieurs personnes proches des « Corso Africains » auraient émis le souhait de voir la Corse  transformée en Paradis pour  les jeux de hasard. Ce « paradis » s’insérerait dans le cadre plus large d’un statut politique  de la Corse, très particulier, où les établissements de jeux auraient une belle place.  Pierre Péan rappelle, à ce propos, qu’un statut de Territoire d’Outre-Mer (TOM) était en discussion entre le gouvernement de droite (années 90), certains nationalistes et certains « hommes d’affaires». Ce « mythe » repose sur certaines réalités : la place du milieu insulaire dans le monde des jeux, notamment en Afrique et les liens entre Charles Pasqua et les «corso-africains ». Mais aussi le crédo d’un bénéfice, pour la Corse, de l’installation d’établissements de jeux de hasard. C’est ce « crédo » que m’ont confié un certain nombre de personnes (des milieux économiques et politiques), au cours de mon activité de journaliste dans l’île. Un individu, proche des « corso-africains » m’a même glissé en 2019 : « s’il on veut que la Corse se développe, il faut en faire un Dubaï ». Presque tout était dit. Il faut savoir que la plus grande ville des Emirats Arabes Unis (EAU) est un paradis fiscal et une place forte de la criminalité financière.
Devant l’absence de débat sur l’économie de la Corse, nous pouvons nous inquiéter du « rêve » de certains milieux. Une  terre de casinos, c’est la « solution » adoptée dans plusieurs réserves indiennes des USA. Dans un pays où les casinos sont interdits, à l’exception de trois États : le Nevada (Las Vegas),  la Louisiane (Nouvelle Orléans) et le New Jersey (Atlantic City), des tribus indiennes ont installé des établissements de jeux sur le territoire de leurs réserves, depuis les années 90. Il faut savoir que les réserves et leurs habitants possèdent un statut différent de celui des États américains.
 Ces réserves comptent parmi les zones les plus pauvres du pays (chômage, alcoolisme, drogue…).  Bien employés, les revenus de ces casinos peuvent servir à améliorer le sort des indiens qui vivent dans les réserves. Mais toutes les tribus ne sont pas logées à la même enseigne.      
 De plus,Marie-Claude Strigler, universitaire, spécialiste de la civilisation américaine, rappelle  qu’il « convient néanmoins de souligner que les milliards de dollars cités dans les médias ne tombent pas en totalité dans les escarcelles tribales, puisque les sociétés gestionnaires prélèvent un pourcentage non négligeable ». Les casinos indiens. In revue Entreprises et entrepreneurs.
Sortir de la pauvreté par « l’industrie des casinos » ressemble à un jeu de roulette. Cela étant dit nous pouvons noter, à ce jour, que le « rêve cubain » de certains ne s’est pas réalisé.
 Grande criminalité corse : verticale ou horizontale ?
Comment le banditisme « ancestral » a-t-il évolué ? Nous savons que chaque clan avait « ses bandits » et les utilisait, dans un système électoral sous pression, comme le note l’historien Francis Pomponi : «En Corse est également attesté dès cette époque (19ème siècle NDLR) à l’échelle locale le recours à des hommes de main lors de la désignation des maires ou de l’élection des membres des conseils municipaux ». In Banditisme et résistance culturelle à l’intégration en Corse au temps des monarchies constitutionnelles, en ligne sur OpenEdition Books.
  Nous savons également que le système marchait « à la violence », « dans des limites tolérées ». (José Gil). Il a souvent été écrit que la Corse ne connaît pas de Mafia, mais un certain nombre de bandes, dans un système atomisé, avec plusieurs familles sur des territoires bien identifiés. Ce serait, en quelque sorte, la suite logique de l’organisation « en archipel » décrite par G. Lenclud. Déjà, en 1998, les députés observaient : « De nombreuses enquêtes et de multiples observations concluent que la Corse abrite des "pouvoirs ou intérêts occultes" et connaît une " dérive mafieuse ". Et de poursuivre :« Mais au-delà, la commission est conduite à considérer, au terme de ses travaux, que tous les éléments d’un système " pré-mafieux " se sont progressivement rassemblés en Corse. » In rapport commission parlementaire d’enquête sur : « L’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse ». La suite logique d’un système « pré-mafieux », c’est une Mafia. La mutation a-t-elle eu lieu ? A ce jour, aucune commission qu’enquête ne s’est penchée sur le problème. Les avis des magistrats divergent, certains parlent de « Mafia corse » d’autres estiment que l’on ne peut parler de Mafia. C’est le cas de Bernard Legras, ancien Procureur Général en Corse (1998) : « L’erreur serait de raisonner par analogie avec l’hermétique mafia calabraise ou la très hiérarchisée mafia sicilienne. Il n’y a pas en Corse d’organisation verticale avec, au sommet, une instance supérieure comparable à la Cupola de Cosa Nostra ». In Juges en Corse (2019). Il est intéressant de noter que la majorité des personnes qui réfutent l’idée d’une Mafia corse prennent l’exemple de la « verticalité » de la Cosa Nostra sicilienne pour appuyer leur argumentation. Et si le schéma corse était différent ? Aujourd’hui, n’assiste-t-on pas au scénario suivant : une organisation en groupements criminels (bandes), en relation avec le monde de l’entreprise et ayant chacune leur « référent » politique ? L’ensemble n’est pas pyramidal, mais horizontal.
Les propos de B. Legras sont d’autant plus surprenants qu’il cite la « mafia calabraise » comme étant « hermétique ». Elle ne l’est pas suffisamment pour masquer son organisation horizontale, gage selon les enquêteurs d’une grande efficacité. La ‘Ndrangheta n’a pas d’organisation verticale, avec un « capo di tutti capi », l’absence d’un « gouvernement », comme pour la coupole sicilienne, fait que l’information interne est encore plus cloisonnée. Les enquêtes sont encore plus difficiles. En fait, l’organisation des grandes mafias italiennes n’est pas figée. Le schéma réel est moins simple que la représentation théorique qui circule : une Cosa Nostra « verticale » et une ‘Ndrangheta « horizontale ». La réalité semble être une grande souplesse, mêlant organisation et fluidité.  Pour mieux comprendre cet équilibre, on peut se référer au travail de Raimondo Catanzaro, chercheur à l’université de Catane (Sicile) : Cosche, Cosa nostra : les structures organisationnelles de la criminalité mafieuse en Sicile. In revue Cultures & conflits. En ligne sur OpenEdition Journals.
On ignore, à ce jour, si l’organisation pyramidale de la Cosa Nostra est une « faiblesse » qui a permis une meilleure efficacité de la répression policière (Maxi procès). Mais les enquêteurs ne sont pas dépourvus d’informations sur le deux autres grandes mafias italiennes. Ils savent, au moins, deux choses : la cellule de base est la famille et le territoire  de ces « familles » est facile à situer. Il leur reste à trouver la réponse à la forme réelle de l’organisation.  Cependant il ne faut pas trop se leurrer.  Les esprits cartésiens  cherchent un autre type « d’organigramme ». Il n’est pas sûr qu’il existe.  Comment faire rentrer dans un organigramme formel une organisation souple ? C’est tout le travail qui attend les enquêteurs italiens en Calabre et en Campanie.
Apparemment, c’est ce travail qu’il faut mener en Corse.  Ce choix ne se fera que si on identifie l’existence d’une mafia.  Mais il faut bien commencer à chercher,  pour comprendre si les différentes « familles » de voyous dans l’île sont reliées par un lien, même informel.
Les appellations fleurissent dans les médias et les rapports : « reliquats de la Brise De Mer », « Bergers de Venzolasca » (commune de Hte Corse), Bande « du petit bar »… Sans compter une myriade de petites bandes, plus ou moins éphémères, en lien avec les groupes pré-cités.
Si un jour le législateur estime qu’il existe une Mafia corse, alors il y a fort à parier qu’elle sera « horizontale ».
Je ne voudrais pas terminer cet article en laissant l’impression d’un « tous pourris ». Il faut penser aux centaines d’élus de proximité (la Corse compte 360 communes en 2020) toujours disponibles et profondément humains. Ils sont confrontés à la désertification de certaines communes et à la paupérisation de nombreux habitants et aux limites de leur budget communal. Ils essayent d’aider une population, parmi les plus pauvres de France et ce constat est accentué dans les communes rurales : « Les disparités en termes de pauvreté monétaire sont également importantes entre les bassins de vie. Les taux de pauvreté sont les plus élevés dans les bassins de vie les plus ruraux : Ghisonaccia, Corte, Propriano, Calvi... » (INSEE 2016). Nous pouvons lire, ici, l’interaction entre criminalité et pauvreté.
Il faut aussi rappeler, ici, une notion fondamentale : la majorité des insulaires sont des gens qui vivent d’un travail honnête. Comme la plupart des citoyens français, ils essayent d’améliorer leur condition et celle de leurs enfants. Cette remarque est valable pour la totalité des articles, sur le thème de la criminalité, publiés sur ce blog. En consacrant son propos sur la grande criminalité insulaire, on peut laisser penser que tous les habitants de cette île sont à mettre dans le même sac. Bien entendu, il n’en est rien. En revanche, ils sont tous concernés. Car si la pauvreté engendre la criminalité, la grande criminalité nourrit et se nourrit de la pauvreté. Face à ce constat, nous pouvons dire que, comme dans plusieurs régions périphériques de France, les habitants de la Corse ont bien du mérite.
En revanche, l’on doit s’interroger sur la (Co) responsabilité de certains dirigeants politiques (locaux et nationaux) de toutes tendances  et aussi des différents partenaires publics et privés sur ce bilan de l’état politique, économique, social et moral de la Corse. C’est que nous essayons de faire, tout au long de ce blog.
Le prochain article sera consacré au rapport « confidentiel » du SIRASCO (Service d'Information, de Renseignement et d'Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée). Mafia, dérive mafieuse ou Milieu atomisé? le rapport des policiers ne tranche pas. En tout cas, ce rapport est une occasion de s’interroger sur la forme que prend la criminalité en Corse.
Bibliographie :
 Mafia corse-Une île sous influence. Jacques Follorou. Ed. Robert Laffont
 Corse, l’étreinte mafieuse. Hélène Constanty. Ed. Fayard
 Vendetta-Les héritiers de la Brise de Mer. Vilette Lazarr-Marion Galland. Ed. Plon
 Repenti-Un ancien de la Brise De Mer raconte. Claude Chossat. Ed. Fayard
 Compromissions-La République et la mafia corse. Pierre Péan. Ed. Fayard
 La maison Pasqua. Nicolas Beau. Ed. Plon
Les héritiers du Milieu. Thierry Colombié. Editions de La Martinière
 Les pillards de la forêt. Exploitations criminelles en Afrique. Arnaud Labrousse- François Verschave. Ed. Agone. Livre consultable en ligne sur le site en lien ICI
 Guerre des polices Et affaires corses. Justin Florus (pseudo). Ed. Nouveau monde
 Juges en Corse-Neuf juges témoignent sur l’emprise mafieuse et les ambigüités de l’État. Jean-Michel Vergne. Ed. Robert Laffont
Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines.  Sous la direction de Jean-Louis Briquet-Frédéric Sawicki. PUF
Un pouvoir invisible. Les mafias et la société démocratique. XIXè-XXè siècle.  Jacques de Saint-Victor. Ed. Gallimard
La politique de l’héroïne. Les implications de la CIA dans le trafic des drogues. Alfred McCoy. Éditions du Lézard
 Les services secrets en Indochine. Jean-Marie Le Page. Ed. Nouveau monde
 La piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine 1945-1954. Hugues Tertrais. Ed. IGPDE. Egalement en ligne sur le site Open Edition Books
 Nouvelles histoires des colonisations européennes (XIXè XXè siècles). Sous la direction d’Amaury Lorin et Christelle Taraud. Chapitre : « la légende coloniale des corses et l’empire colonial français, Vanina Profizi. Presses Universitaires de France
 Marseille sur Héroïne. Les beaux jours de la French Connection. Alfred McCoy. Ed. L’esprit frappeur
 La Corse et la République. Jean-Paul Pelegrinetti – Ange Rovere. Ed. Du Seuil
Secrets d’État. Jean-Rayond Tournoux. Ed. Plon
 De quoi la mafia est-elle le nom ? Sampiero Sanguinetti. Ed. Albiana
 Rapports et revues
Mission d’information commune sur la Corse. Assemblée Nationale. Vo. I & II. Rapport n° 3511 (Avril 1997)
 Rapport  Assemblée Nationale n°1077 : AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (sur L’UTILISATION DES FONDS PUBLICSET LA GESTION DES SERVICES PUBLICS EN CORSE. (Septembre 1998)
Criminalité et économie : un mariage efficace et durable ». Christophe Soullez.  In revue Regard croisé sur l’économie ; 2014/1 (n° 14)
Clientélisme politique et corruption. Jean François Médard. Revue Tiers Monde (2000)
Corruption politique et démocratie. Yves Mény
 Du clientélisme politique. Pierre Tafani. Revue MAUSS 2005/1 (n°25)
Les pratiques politiques «officieuses». Clientélisme et dualismepolitique en Corse et en Italie du Sud.Jean-Louis Briquet. Revue Genèses-sciences sociales et histoire
Corse et Marseille : l'emprise du crime organisé. Jacques de Saint-Victor. Revue Cités 2013/1 (n°53)
Les « guerres de l’opium » : les canons de la liberté. Alain Roux. In revue Mouvements 2016/2 (n° 86)
France/corses, le trafic de drogue ne débute pas avec la French Connection.
Cosche, Cosa nostra : les structures organisationnelles de la criminalité mafieuse enSicile. Raimondo Catanzaro. Revue cultures & conflits. En ligne sur OpenEdition Journals
Traces de la guerre d’Algérie. 40 ans de turbulence dans la vie politique française. Éditions Universitaires de Dijon (1995).
Sur la « Françafrique » : Archives de l’association « Les renseignements généreux »
Les casinos indiens. Marie-Claude Strigler. Revue Entreprises et entrepreneurs.  En ligne sur Open Edition Books
Les mafias attaquent-elles le fonctionnement démocratique ? Denis Dupré.
Alain VERDI le 16 Décembre 2022
Le même article sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Pas de Mafia corse. A défaut la CDC reconnait une « dérive mafieuse »
La séance de l’Assemblée de Corse, consacrée à la Mafia, attendue depuis des mois, s’est finalement tenue, fait remarquable, sans heurts majeurs. Comme prévu, il n’y a pas eu de surprises. Les élus se sont exprimés, de manière convenue. La session fut cathartique, les coups furent retenus. L’État en a pris pour son grade, le plus élevé, car lui seul peut réellement régler le problème.
Alain VERDI le 20 Novembre 2022
Le 18 Novembre 2022, la Collectivité De Corse (CDC) tenait une session extraordinaire « consacrée aux dérives mafieuses » L’intitulé n’est pas anodin, nous aborderons ce choix sémantique. Cette session fait suite à plusieurs demandes, en ce sens, formulées par deux collectifs insulaires qui se sont fixé comme tâche de « lutter contre la Mafia ». Ces deux collectifs ont été créés après l’assassinat du gérant d’une paillote sur la commune de Cargèse, en Septembre 2019.
Ces deux associations sont Maffia No' A vita iè et le collectif Massimu Susini.
Il y a une dizaine d’années,  l’Assemblée de Corse avait déjà planché sur le thème de la « violence », à l’époque le mot Mafia n’était pas à l’ordre du jour.
Le 18 Novembre,  l’Exécutif a choisi la formule «dérives mafieuses », le choix du mot Mafia étant loin de faire l’unanimité. Surtout que les collectifs demandent la transcription, dans le droit français, des principales lois anti-mafia en vigueur en Italie.  Cette proposition n’est pas partagée par la majorité des élus de la CDC. Dans l’esprit de quelques élus et au-delà, chez une grande partie des observateurs, le débat sémantique est fondamental. Reconnaître l’existence d’une Mafia en Corse  -donc en France- c’est mécaniquement ouvrir la voie à une législation « à l’italienne ». Ce scénario est fortement critiqué par les représentants insulaires de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) qui estime que l’usage de nouveaux moyens juridiques représente « un risque pour les libertés publiques ».
Mais il n’y a pas que la dimension sémantique. Reconnaître la présence d’une mafia, c’est admettre que des élus puissent faire partie du « tour de table mafieux ». Il paraît difficile à une assemblée élue de franchir un tel pas. Aucun élu n’a réellement défendu l’idée de l’existence d’une Mafia corse.
Avant de détailler le débat, il faut rappeler que le groupe nationaliste Fà populu inseme possède la majorité absolue, avec 32 sièges sur 63. L’opposition est constituée par trois autres groupes : deux nationalistes : Avanzemu (8) et Core in Fronte (6) et un de droite : Un soffiu Novu (17). L’Exécutif est issu du groupe majoritaire.
Un débat cathartique 
Tumblr media
Julia Tiberi s’exprime pour Avanzemu : « notre groupe n’est pas convaincu de la création d’une nouvelle législation ».
Pour Paul-Félix Benedetti de Core in Fronte, « Le mécanisme ne peut-être contré que par un processus politique, il est illusoire de croire que cela passe par des solutions juridiques ».
Plusieurs intervenants feront remarquer que l’appel à l’État, pour renforcer la répression, posait au moins deux problèmes : une contradiction entre les idées nationalistes et le risque que le durcissement de la législation soit utilisé pour combattre ces mêmes nationalistes. Nous reviendrons sur ces contradictions entre appel à l’État et rejet de ce dernier, dans un prochain article sur le thème « criminalité et nationalisme ».
Pour Un soffiu Novu (droite),l’orateur Jean-Martin Mondoloni est formel : « je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a une mafia, mais des caractéristiques mafieuses (…) ».
Sur ce thème de la législation, aucun des élus de la CDC n’a semblé partager l’analyse de la chercheuse,  spécialiste des mafias, interviewée dans  Corse Matin le jour même. À la question de la pertinence de l’alignement de la législation française sur l’italienne, Clotilde Champeyrache répond sans hésiter : « Oui. La législation est un sujet essentiel car c’est elle qui permet de bloquer l’expansion des organisations criminelles en les cantonnant à la sphère des activités illégales ou en contrariant leur emprise sur la sphère sociale et sur l’économie légale ».  
Tumblr media
 Dans le débat, la Droite fait entendre un bémol de taille : « lorsqu’on a légitimé des meurtres, le racket  -sous la forme de l’impôt révolutionnaire- des plasticages, on a créé les conditions de la violence (…) ».
Mouvement d’humeur dans tous les groupes nationalistes, visés. Pour Josepha Giacometti, non inscrite et membre du mouvement Corsica Libera (indépendantistes) : « je ne peux pas laisser dire que la violence politique est à la racine de la violence dite mafieuse ».
Fidèle à sa réputation « d’apaiseur », le Pdt du Conseil Exécutif résume ainsi les débats : il dit sentir « une incompréhension sur les positions de la Droite », observe « une volonté de concrétiser » et regrette, en s’adressant de nouveau à la Droite « Il aurait été mieux qu’il y ait unanimité ».
Les deux résolutions mises au vote, l’une soutenue par les trois groupes nationalistes et l’autre par la Droite, se ressemblent… presque. La grosse différence, à Droite,  est la phrase : « Condamnent  à ce titre les dérives caractérisées par des attributs de type mafieux, qui trouvent leurs racines dans les différentes formes de violence, parmi lesquelles la violence politique ». Les nationalistes font front, la résolution de Droite est rejetée. La résolution adoptée préconise une méthode : « un cycle de travail de cinq mois, associant la CDC, les communes et les « forces vives ».Et surtout, le terme « dérive mafieuse » est acté, à défaut du terme Mafia. Du côté des collectifs, Leo Battesti (Maffia no’ a vita iè) se montre mitigé : « Nous étions frustrés lors des débats, nous sommes allés au fond des choses en commission ». Le porte parole du collectif Massimu Susini, Jean-Toussaint Plasenzotti, voit le verre à moitié plein :"On vient de tellement loin que nous sommes satisfaits de cette journée. Le mur du déni s'émousse". 
Comment analyser cette journée de débat sur « les dérives mafieuses » ? Un premier constat : en faisant front, les trois groupes nationalistes ont gommé les nuances qui les séparent, notamment sur la violence. La Droite, déjà minoritaire, s’est retrouvée isolée. L’    Exécutif a réussi une synthèse. Il reste que,  comme l’écrit Corse Matin (19/11/2022) « (…) le caractère policé des discours politiques, avec des éléments de langage repris d’un groupe à l’autre pour démontrer sa probité, n’a pas permis d’aller au-delà des discours sémantiques ». C’est bien résumé, mais que pouvait-on attendre d’une assemblée traversée, par nature, par des courants et des intérêts divergents ?
Pouvait-on, devait-on entendre que des élus se lancent dans un véritable règlement de comptes ? Dans le « compte » des nationalistes, on aurait déballé le racket habillé « d’impôt révolutionnaire », des assassinats pas toujours politiques, des dizaines de militants partis avec armes et bagages dans le Milieu, des militants travaillant pour les deux camps. Pour le « compte » des clans (de gauche à droite) on aurait rappelé des dizaines d’années de banditisme à leur service, avec son cortège de violations du Droit : fraude électorale, pression sur les individus, corruption, assassinats  et liens directs et indirects avec la grande criminalité. Non, bien sûr, cela ne se pouvait pas. C’est pour cela qu’il est bien optimiste de dire que le 18 Novembre « la parole s’est libérée ». Pour les raisons énoncées, plus-haut, cela n’était ni possible, ni souhaitable.
Une « dérive », vers quoi ?
Voilà pour le volet politique. Maintenant il reste à répondre à une question : que peuvent l’Assemblée de Corse et les autres élus associés au futur « cycle de travail » ? Et surtout, que veut l’État. Sollicités par l’Exécutif, les représentants de l’État ont décliné l’invitation à débattre publiquement. Le motif officiel de l’absence est le risque d’interférence avec les enquêtes en cours. Certains observateurs y ajoutent le risque d’être instrumentalisé dans des querelles, corso-corses, internes au monde politique. Cela aussi ne se pouvait pas.
Il reste finalement la question de la grande criminalité. Mafia établie ou « dérive mafieuse », comment contrer le phénomène  -quel que soit son nom- quand on n’est pas d’accord sur son niveau d’imprégnation dans la société ?
Nous pouvons comprendre le terme « dérive » comme un modus vivendi, une prudence politique face à un phénomène mafieux qui est un objet… politique.  
Cependant, chaque mois qui passe risque de renforcer un phénomène qui ne rencontre pas beaucoup de résistance. Surtout quand nous faisons le bilan judiciaire et que nous observons le sur-place politique au niveau national. Car il faut le rappeler, encore et encore, s’il existe une Mafia corse, alors nous parlons d’une Mafia française.
Hasard du calendrier, le jour de la session de la CDC, la Procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, accorde un entretien au journal Le Monde et insiste sur l’urgence : « (…) il faut aller vite. Encore une fois, sans exagérer, sans fantasmer, il faut se dire que tous les dossiers en cours démontrent aujourd’hui que la réalité de l’infiltration de nos sociétés par les réseaux criminels dépasse toutes les fictions. ». La magistrate parle de la situation dans toute l’Europe, mais illustre d’une certaine façon le débat insulaire : « Au niveau économique, la menace provient des investissements dans les entreprises fragiles, par exemple dans les transports, les déchets, la sécurité... ». Toute ressemblance avec la situation en Corse ne serait que pure….
Le prochain article poursuivra la série sur le banditisme en Corse, en abordant la période contemporaine.
Alain VERDI le 20 Novembre 2022
Le même article sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Criminalité en Corse. 2è partie : le clanisme, un pas vers la Mafia ?
Le clanisme n’est pas une organisation criminelle. Mais il s’appuie parfois sur la violence. Il ne défend pas, officiellement, une idéologie et s’adapte au Pouvoir du moment. Il peut critiquer un projet national et le récupérer localement. Le système est, à la fois, dans l’Histoire et en marge de celle-ci. Mais le monde change, le clanisme est-il toujours efficient ?
Alain VERDI le 16 Novembre 2022
2) Un immobilisme… dynamique, en marche vers quoi ?
 Introduction 
Que le clanisme soit puissant ou « en  dérive », il a face à lui un État plus ou moins volontaire. C’est l’histoire de ce couple dansant un pas de deux qui va marquer l’Histoire de la Corse. Le Pouvoir central a longtemps couvert tous les excès (fraude électorale, « dictatures municipales », violence politique...).
Hormis la corruption électorale, l’île ne faisait pas trop parler d’elle, tout en fournissant une main d’œuvre, souvent de qualité (armée, administration…), mais aussi des hommes pour la grande criminalité.
Depuis  1768, tout se faisait dans une grande discrétion, dans la clandestinité diront certains. Ah, s’il n’y avait pas eu le banditisme… Seulement voilà, la criminalité, longtemps vouée à l’ajustement des luttes électorales, au maintien de certains clans et à l’exportation vers d’autres contrées (continent, colonies…), va se renforcer dans l’île. Après la corruption  politicienne, la corruption économique se développe, en même temps que la Corse. Le banditisme conserve sa fonction politique (accompagner des Pouvoirs). Cependant il évolue dans la forme, avec plus de domaines où il peut s’investir sur place.
Le clanisme, un pas vers la mafia ?
La question a souvent été posée. Le clanisme corse est il une mafia ? Le rôle de la famille joue à plein, dans l’investissement des rouages des administrations et des lieux de pouvoir (politiques et économiques), c’est indéniable. Cependant, il manque au moins un élément : le but criminel. Jusqu’à preuve du contraire, le clanisme n’est pas une organisation criminelle.
Son objectif premier est le Pouvoir. Cependant, c’est bien une organisation. Cette organisation est  informelle, mais c’est quand même un système. Ce système,  en marge de la République  peut- il se transformer en mafia ? Seule une réflexion approfondie pourrait répondre à cette question. Nous pouvons tenter une ébauche.
 Un homme s’est exprimé sur ce point, c’est l’avocat Antoine Sollacaro. Sur les antennes de France 3 Corse, dans l’émission Inchiesta du 28 Mars 2012 : « Il n’y a pas de mafia en Corse. C’est un terme impropre qui n’existe pas. Si mafia il y a, c’est une mafia politique qui a été dénoncée par les nationalistes et qui continue à être dénoncée et qui continue à exister. Celle là, elle existe pour de bon ». On  voit que le terme est ici utilisé dans sa version « vulgarisée ». La Mafia comprise comme regroupement,  en l’occurrence d’hommes politiques.
Antoine Sollacaro a été assassiné en Octobre 2012. Les enquêteurs soupçonnent « la bande du Petit Bar », considérée dans les milieux judiciaires comme « une organisation mafieuse ». Dix ans après cet assassinat,  les personnes soupçonnées n’ont pas encore été jugées.
 Y a-t-il une « dérive des clans » ? Le problème est soulevé par Nicolas Giudici. In « Le crépuscule des Corses ».  Le journaliste répond de manière on ne peut plus claire « « clans et clandestins sont les deux facettes d’une même réalité ».  Le journaliste est également assassiné en Juin 2001, officiellement pour une affaire d’ordre privé.
 Pour l’instant, peu d’investigations ont été menées dans le sens d’une collusion organisée entre des Politiques et des criminels. Du moins, peu de chose filtre. Cependant, dans le rapport Legras (2000), on peut lire : « d’après les rumeurs persistantes, mais apparemment très informées, les résultats d’élections cantonales en Haute Corse n’ont pas été totalement étrangers à l’intervention d’émissaires de la Brise De Mer ». On peut constater la similitude avec le rôle de certains « bandits corses ». Voir « bandits corses en immersion ». 
Mais là encore, de qui parle- t’on ? Pour l’instant, l’action judiciaire ne nous éclaire pas.
Tumblr media
Le clan « Giacobbiste » est-il éloigné définitivement ou provisoirement des jeux de Pouvoir ? Il est trop tôt pour répondre à cette question. En revanche, nous avons déjà signalé qu’un clan ne représente pas le système à lui tout seul. Dans l’histoire de la Corse, certaines familles clanistes ont disparu et le système a perduré, avec d’autres familles. La question n’est donc pas tant de savoir ce que devient tel ou tel clan « historique », mais d’observer si le système  -dans son entier- persiste.
Quant à la matrice des détournements d’argent public, les descriptions et les avertissements n’ont pas manqué, au cours de l’Histoire. Cela n’empêche pas leur perpétuation.
Du capital social, à l’accumulation primitive du capital
Nous avons observé que le « système » antérieur limitait l’accumulation d’un capital financier. L’époque contemporaine réclame la possession et l’usage de richesse en vue de développement. Globalement, la Corse a sauté des étapes. Pour rattraper « le temps perdu » et constituer un capital financier que l’on n’a pas accumulé dans les périodes précédentes, n’assistons-nous pas, -depuis les années 70-, à une tentative d’accumulation primitive de capital, par des moyens peu orthodoxes ?
Nous avons pu voir qu’historiquement la Corse manquait de capitaux (Bourde, Lenclud).
Loin de moi l’idée de vouloir moraliser, après-coup, ces détournements de fonds publics, mais une question me semble s’imposer : assiste-t-on « simplement » à des captations « classiques » à  seul but crapuleux ou bien, sans que l’une n’exclue l’autre, n’y a-t-il pas là une méthode « hors-la-loi » d’accumulation primitive de capital ? Les marxistes purs et durs peuvent répliquer que l’accumulation primitive est toujours « hors-la-loi » et/ou qu’elle est la loi du plus fort. Mais même dans cette lecture, ne sommes-nous pas en face du phénomène suivant : les « faibles » méridionaux ne cherchent-ils pas à jouer dans le même bac à sable que les « grands » ? Après avoir été placés en situation de dépendance, par rapport aux « puissants », ne sont-ils pas en position (obligation ?) d’accumuler, puisque les subsides qui les maintenaient en situation de dépendance, mais qui les faisaient vivre (argent public, emplois publics, prébendes…) s’amenuisent et tendent à disparaître ? Je n’ai aucune certitude, à ce propos, mais il me paraît nécessaire de répondre à ces interrogations. Avis aux amateurs.
Je propose une dernière piste : La Corse n’est-elle pas en train d’achever un cycle de passage d’une situation « pré-capitaliste » vers un certain capitalisme ? Les élites corses, comme dans d’autres régions méridionales, n’étaient pas, à proprement parler, dans un cycle capitalistique (bien que ces régions soient « gérées » par des États capitalistes) ; n’ont-elles pas accumulé du capital social… en attendant le passage à un autre stade ?
Les mécanismes d’accumulation primitive du capital, en Sicile et en Calabre, sont très bien décrits par Pino Arlacchi in Mafia & Cies déjà cité. Cette « accumulation mafiosa du capital » pose la question de la suite.
L’exemple de la Calabre,  que j’ai décrit dans un précédent article, peut sans doute nous éclairer. Voilà une région rurale, à faible secteur industriel, au 19ème siècle, et avec une accumulation capitalistique historiquement limitée. Je me risque à une question : la centaine de familles mafieuses (‘ndrine) ne sont-elles pas les « fourmilles » qui « travaillent », dans l’ombre, pour accumuler du capital ? Bien sûr, aujourd’hui, cette accumulation ne sert que les intérêts des « familles-fourmilles » et des groupes de familles (Locale). Mais demain, tout cet argent et ce capital social accumulés peuvent devenir un outil de fédération politique. Ce n’est qu’une hypothèse, mais cela ne coûte rien d’y réfléchir un instant.  Le sociologue et économiste allemand, Max Weber pose le problème du financement des groupements politiques. Selon lui, ces financements peuvent être « sur la base de prestations absolument volontaires » ou bien « sur des prestations extorquées ». In Économie et société 1.
 Indéniablement, c’est le second cas qui nous intéresse. Max Weber cite les exemples de la Camorra et de la mafia sicilienne (au moment de la rédaction de l’ouvrage, début du 20ème siècle, le terme Cosa Nostra est inconnu). Max Weber qualifie les actions de ces organisations de « prestations ». Pour l’auteur, ces « prestations » sont « discontinues » car « elles se fondent sur des pratiques illégales ». Selon Max Weber,  « des groupements politiques peuvent fort bien (…) au départ, reposer sur une économie de rapine, mais cette situation ne saurait perdurer ». Après ce stade d’accumulation des capitaux (financiers et sociaux), ces « groupements » soit disparaissent, soit se constituent politiquement et les « prestations » deviennent légales (impôts, règlements officiels…). M. Weber ne nous dit pas combien de temps dure l’aspect « discontinu ». Son livre, inachevé, a été publié post mortem. Les deux mafias italiennes qu’il cite, sont toujours en « prestations discontinues » depuis, au moins, la moitié du  19ème siècle. Ce constat m’inspire plusieurs questions :
.Si l’aspect provisoire est une réalité, comment se fixe le terme ? Autrement dit, quand cela finira-t-il ?
.La constitution d’un Pouvoir politique « nouveau » se fait en opposition à un système existant. Du coup, une question s’impose : le Pouvoir existant n’a-t-il pas intérêt à faire perdurer l’aspect « discontinu » pour discréditer le processus et empêcher la constitution (politique/continu) d’un Pouvoir concurrent ?
.L’auteur nous décrit-il un mouvement perpétuel de  construction/déconstruction des « groupements politiques », États ou micro-États ?
.Si l’auteur s’est trompé, ces « prestations discontinues », autrement dit ces mafias, ont-elles vocation à perdurer ou bien à disparaître ?
Je n’ai pas la prétention de répondre à de telles questions. Mais, en tout cas, l’analyse de Max Weber ouvre des tombereaux de perspectives.
La plus grosse interrogation étant : le système mafieux (« rapine » continue » peut-il s’achever par une forme de « normalisation » et d’intégration dans une sphère politique apaisée, ou bien est-il voué à fonctionner  -sans fin- ?
Une partie de la réponse à cette question est contenue dans les analyses contradictoires que font des chercheurs, à propos de l’accumulation mafieuse du capital.
Pino Arlacchi  constate, d’abord, que les caractéristiques  de la « (…) puissance mafiosa sont exclusivement orientées vers des activités économiques ». Par rapport aux « anciens » qui auraient été concentrés sur le contrôle du pouvoir territorial.
P.Arlacchi note un certain dynamisme et une forme de modernisation économique et s’appuie sur des réussites agricoles en Calabre, sur la base d’entreprises mafieuses. Il reconnaît, cependant que la croissance de la « mafia entrepreneur » s’accompagne d’une « désagrégation sociale et institutionnelle ». La réalité est que ce sont les « régions mafieuses » qui connaissent les plus grosses difficultés économiques et sociales. Plus d’un siècle et demi d’activité mafieuse n’ont pas débouché sur une relance économique par « accumulation primitive-mafieuse, du capital ». L’économiste, spécialiste des mafias, Clotilde Champeyrache, constate plutôt « le saccage du territoire ou le développement entravé». La majorité des chercheurs s’accordent à dire que les mafias ne créent pas des entreprises, elles se les accaparent. Pour l’historien Salvatore Lupo : «(…) la participation à des activités financières sur grande échelle, comme le recyclage de l’argent « sale » ne fait pas du mafieux un entrepreneur, mais plutôt un rentier». In Histoire de la Mafia, déjà cité.
L’ensemble de ces constats peut fournir des réponses à ceux qui pensent que « l’accumulation criminelle du capital » peut permettre à certaines zones défavorisées de devenir des régions riches.
 Il reste toujours une interrogation qui nous semble incontournable. Le clanisme a-t-il,  même involontairement, préparé le terrain à une organisation mafieuse de la société ?
Des constats s’imposent. Notamment, le clanisme a affaibli ou empêché le développement d’une conscience politique autre. En favorisant la relation directe, en empêchant l’émergence d’une vision démocratique -au sens le plus communément admis dans l’Union Européenne-  ce système a maintenu la Corse dans un « différentiel » tout au long de l’Histoire. 
Une chose est sûre, le clanisme est une organisation. Que celle-ci soit formelle ou non est sans importance. Personne ne semble s’être livré à une enquête approfondie sur la nature de l’organisation clanique. Existe-t-il un « organisme » secret où se prennent des décisions, en toute discrétion ? Les instances officielles (Ex Conseils Généraux, Collectivité De Corse…) ne sont elle que des chambres d’enregistrement de décisions prises ailleurs ? En absence de tout élément concret  on a, pour l’instant, du mal à l’affirmer.
A défaut d’une recherche de cette nature, les réflexions et travaux sur le phénomène claniste ne manquent pas. Par exemple, le chercheur (sociologie politique CNRS), Jean-Louis Briquet cite un « ancien fonctionnaire préfectoral », sans le nommer, en estimant  que l’on a assisté au « détournement » de l’action publique, une fonction « vidée de son sens » par les notables du clan ». In La tradition en mouvement-Clientélisme et politique en Corse.
 Une forme de décomposition du « système » politique insulaire donne un déséquilibre de ce que le philosophe José Gil appelle « le système de violence » (tribune parue dans Libération du 20 Novembre 1996).  Pour J. Gil, le « triptyque » (État, clan, nationalisme) étant déséquilibré, cela donne une « confusion schizophrénisante ». Dés 1996, J. Gil estime qu’il « faut sauver la Corse d’un processus possible de mafiosisation » et qu’il « faut y établir fermement et entièrement la démocratie ». Sans oublier d’ajouter qu’il « faut, pour cela beaucoup de courage politique ». 
Il reste que le  système a bien  habitué la population à un comportement « en marge ».
En 1887, le journaliste du Temps Paul Bourde écrit : « En Corse, grâce à la conscience de clan, les lois en sont anéanties ».
 « Traditions » et « Modernité »
Nous pouvons donc voir que le « système » n’est pas lié à la pérennisation de la République française. Il existait avant elle et se coule « naturellement » dans ses habits. Ce qui fait la force du « système » c’est sa souplesse, sa capacité à s’adapter en temps réel à l’Histoire.
Bien sûr, comme l’écrit Jean Louis Briquet, « (…) le fonctionnement des organisations bureaucratiques n’est rendu possible que par les multiples arrangements qui permettent aux règles juridiques universelles et abstraites d’être adaptées à des situations particulières et concrètes ». Ce pragmatisme est une constante de l’action publique. Il y a donc des « arrangements »  dans toutes les régions françaises. Mais la Corse semble posséder un art consommé de transformer ces nécessaires « arrangements » en détournement d’objet. A ce propos J. L. Briquet cite un fonctionnaire préfectoral qui estime que l’action publique « (…) a été vidée de son sens par les notables du clan ».
Ce raisonnement était valable avant les différentes lois sur la décentralisation (1982 et 1991). Ces nouvelles lois avaient pour but, également, de « secouer  le cocotier notabiliaire ».
 L’absence d’enjeux idéologiques… apparents
  Le clanisme dans l’ Histoire et en marge de l’Histoire
L’absence d’idéologie affichée et un pragmatisme politique (certains diront politicien) à toute épreuve, marque la politique en Corse. De 1878 à 1883 « (…) la Corse constitue un véritable bastion pour les anciennes notabilités d'Empire dont la puissance des réseaux clientélistes leur permet d'exercer une véritable hégémonie politique dans tout le département ». C’est le constat que dresse l’historien insulaire Jean-Paul Pellegrinetti In La Corse et la République, la vie politique de 1870 à 1914. Cet universitaire constate que « L'île apparaît comme ancrée à l'intérieur d'une domination sociale ancienne et traditionnelle et les échanges clientélistes semblent l'écarter de toutes formes de débats idéologiques ». Cette photographie va perdurer jusqu’à nos jours.
Ce qui semble faire la force du « système » c’est sa capacité à traverser tous les courants de l’Histoire. La méthode est particulièrement visible depuis le rattachement de la Corse à la France. Nous retiendrons deux exemples de la souplesse d’adaptation du « système », à un siècle d’intervalle :
 -Le premier est cité par le journaliste Paul Bourde. Vers 1886, la famille Gavini est connue pour être bonapartiste. Le journaliste rapporte que ce clan a décidé de rejoindre les Républicains.
P. Bourde note que « la famille Gavini n’y perdrait pas un client. Les électeurs qu’elle fait voter voteraient pour des Gavini Républicains comme ils votaient pour des Gavini Bonapartistes».
L’on ne trouve ici nulle idéologie. Il s’agit « simplement » de s’adapter à l’air du temps. La famille Gavini comprend que les Républicains vont faire l’Histoire, ils adhèrent. Cela se fait sans convictions. Mais il n’y a ici aucune trahison idéologique. Ce clan n’était pas Bonapartiste par conviction, mais par intérêt. « L’adhésion » à la République se fait donc sans heurt interne. Les clients/électeurs de ce clan ne sont déchirés par aucun problème de conscience politique. Ce que fait le chef est bien, quel que soit son choix. Cet exemple résume parfaitement la situation du clanisme, hors champ idéologique.
Tumblr media
-Le second exemple est plus sophistiqué. Il s’agit de la gestion de l’Histoire par le clan Rocca Serra. Nous retiendrons une série d’événements liés à la longue carrière politique d’un de ses membres. Il s’agit du « lion argenté » Jean-Paul (1911-1998).
A la libération de la Corse (1943),  le père de J. Paul  -Camille-  député maire de Porto-Vecchio est déchu des ses droits, il avait choisi le mauvais camp durant l’Occupation. Peu importe, Jean-Paul finira la guerre comme médecin militaire dans l’armée française, notamment durant la campagne d’Italie. Sa carrière politique peut commencer en 1949 (Conseiller Général).
Radical Socialiste à ses débuts, le « renard argenté » adhère au RPF (Rassemblement du Peuple Français, mouvement gaulliste) en 1949.  Il sera exclu du RPF puis sera ensuite membre de tous les partis gaullistes, jusqu’à sa mort.
Une série de prises de position vont démontrer  que le « système » fonctionne, aussi, en marge de l’Histoire :
.Le premier rendez-vous, c’est la guerre d’Algérie. Il a voté la constitution de 1958, mais. J.P. de Rocca Serra choisit « l’Algérie française » (1961). L’ancienne colonie acquiert son indépendance en 1962. Cependant,  ce choix ne nuit pas à sa carrière. Battu aux sénatoriales de 1962 (sénateur de 1955 à 1962), mais élu député la même année, il conservera son mandat jusqu’à sa mort en 1998.
.Lors du référendum d’Avril 1969, sur la décentralisation,  le député J.P. de Rocca Serra appelle à voter oui. C’est le non qui l’emporte.
.En 1982,  la loi « portant statut particulier pour la Corse » est adoptée.  Le député-maire de Porto-Vecchio a voté contre. Cela n’empêchera pas J. P. de Rocca Serra d’occuper le poste de Président de l’Assemblée de Corse de 1984 à 1998. Il se coule ainsi dans les habits du nouveau statut particulier, comme dans ceux du statut suivant.
 .En Mai 1991 la « loi Joxe » est adoptée. Elle transforme la Corse en Collectivité Territoriale. Le député J. P. de Rocca Serra vote contre. Cela ne l’empêchera pas de présider la nouvelle assemblée issue de cette réforme.
 A travers ces quatre rendez-vous importants avec l’histoire politique, on peut voir que les choix réalisés par un politicien, de premier plan, n’ont aucune conséquence négative sur sa carrière politique. On dirait que, quoi qu’il fasse, le choix des électeurs est indépendant des événements nationaux.
L’histoire de Jean-Paul de Rocca Serra illustre parfaitement notre propos. Dans la plupart des régions françaises, un homme politique qui aurait fait ce type de choix aurait été balayé, ou du moins écarté un temps par l’électorat, mais pas en Corse. La clientèle électorale a suivi le chef, comme dans l’exemple de la famille Gavini en… 1886.
  Comme décrit, au début de ce chapitre, le clanisme n’est pas une organisation criminelle. Mais c’est un système dont les rouages sont aujourd’hui bien connus. Cette « organisation » a géré «  une zone dans laquelle la République n’était pas tout à fait administrée comme partout ailleurs ». Cette gestion s’est faite de manière « approximative ». Les termes employés par José Rossi posent question.
D’abord, il est vraisemblable que l’usage du passé soit injustifié. Ensuite, on peut dire que l’on ne sort pas indemne de telles mœurs politiques.
Les relations, épisodiques, connues de longue date entre le Milieu corse et des hommes politiques prennent-elles une forme plus pérenne ? 
La différence entre épisodique et pérenne, c’est une des différences entre Milieu et Mafia. Nous pouvons revoir, ici, la nuance entre les deux types de criminalité.
 Le système client-patron a entretenu un type de relation ambiguë. Gérard Lenclud est convaincu qu’il ne repose pas sur la vénalité.  Selon lui le lien qui relie les deux parties ne relève pas que de la dimension matérielle. Il entre aussi dans le domaine de « l’intérêt symbolique ».
Cependant, nier l’aspect matériel relèverait de l’aveuglement.
Comment faire la part des choses entre l’intéressement pécuniaire et le lien  « symbolique » qui unit les deux partenaires du contrat clientélaire ?
Je propose de débuter par deux exemples qui sont des témoignages recueillis par l’auteur de ces lignes.
Tumblr media
Tout augmente, on peut penser que la corruption suit la courbe de l’inflation. En proportion le système coûte t-il plus cher, avec le temps ? Aucune enquête sur ce thème n’a jamais été réalisée, et pour cause. En revanche, on peut tenter de s’interroger sur le retour sur investissement face aux nouveaux enjeux.
 Achat des voix et des électeurs : un délit
L’achat de voix dans certains systèmes politiques est une grande constante. On en oublierait presque, qu’en France, il s’agit d’un délit puni par la loi. Art. L106 du code électoral :  
Tumblr media
L’article du code est complété de la façon suivante :
Tumblr media
 Pour cela, des hommes politiques français peuvent être poursuivis devant les tribunaux. Pourraient…
Tumblr media
En Italie, la fraude électorale à des fins mafieuses est prise en compte dans l’article 416 bis, sur « l’association mafieuse ». Dans le contexte d’une pression exercée pour « conquérir le pouvoir : « (…) afin d’empêcher et de faire obstacle au libre exercice du vote ou de procurer des votes pour soi ou des tiers à l’occasion de consultations électorales». Ici, cas, ce n’est pas seulement la fraude qui est poursuivie, mais la finalité.  Dans le cas d’un délit « d’association mafieuse », il s’agit bien de conquérir une série de pouvoirs : « activités économiques », « autorisations administratives », « appels d’offres »… et quoi de mieux que d’être élu ? Le législateur italien entend ainsi montrer que la conquête frauduleuse du pouvoir politique vise à la commission de plusieurs actes criminels. Il confirme, dans la foulée, que les mafias et leurs méthodes, relèvent du domaine politique.
Tumblr media
Corse, la récupération des réformes
L’observation rapide du comportement des pouvoirs insulaires, (politiques et économiques) face à trois réformes, montre une capacité de récupération et de détournement remarquable. Il s’agit de deux lois « politiques », le « Statut particulier de la Corse » (1982) et la « loi Joxe » (1991) et « la loi portant zone franche »(1996).
Les objectifs politiques affichés par les gouvernements socialistes, pour les deux statuts politiques, étaient de parvenir à « une modernisation de la Démocratie ».
L’objectif de toute zone franche, à travers le monde, est de limiter une casse économique et sociale et de « moderniser » l’économie.
En fait, en Corse, on a fait du vieux avec du neuf. En apparence, il existait une opposition sur le mode : Les instances politiques sont tenues par des élus dits « traditionnels » (les clans) et le monde économique est le territoire d’une certaine opposition à ces Politiques « traditionnels », souvent accusés de ne « rien comprendre à l’économie ». En réalité cette opposition s’est avérée être, en partie, de façade. A l’usage des nouvelles lois, les conservatismes politiques et économiques sont apparus comme les deux faces d’une même médaille. En fait, comme le montre très bien Jean-Louis Briquet, les instances politiques ont vu, avec les nouvelles institutions successives,  l’accès à plus de budget et plus de pouvoirs.
Plus de pouvoirs, n’est-ce pas justement le fil rouge de la contestation « nationaliste », souvent associée aux « socio-professionnels » (appellation locale du monde économique) ? La réponse est oui. Cela nous mène à regarder moins l’ampleur du nouveau pouvoir accordé aux élus, que l’usage qui en est fait.
Tumblr media
Cette capacité à « digérer » la nouvelle donne institutionnelle est concomitante avec la peur des changements qui font craindre aux élus une perte de pouvoir. Visiblement le système, prudent, prend son temps. Ainsi le développement économique est vu comme une menace, s’il n’est pas contrôlé. Un ancien préfet s’exprime (sans être nommé) sur l’attitude des élus face au développement : « (…) il y a eu d’abord un certain scepticisme au sujet du développement. Ils ne le faisaient pas consciemment, mais ils voulaient garder les choses en l’état parce qu’ils pensaient que ça assurait leur pouvoir. » In La tradition en mouvement, déjà cité. Cette forme d’immobilisme  est ainsi traduite par certains observateurs : mieux vaut un non- développement que je contrôle, plutôt qu’un développement qui échappe à mon pouvoir ou qui le réduit. Trouver la conjonction du développement et du pouvoir régional, tout est là. A mon avis, c’est la raison principale du très lent processus de développement économique de la Corse. Pour les politiques, le but réel est le contrôle d’un maximum de pouvoirs.
Cet esprit de conservation se retrouve dans le domaine économique : conserver un maximum de propriétés. En ce sens, la manière dont a été gérée la loi sur la zone franche est intéressante à observer. Contrairement à d’autres zones franches, celle de Corse (1996-2001) n’a créé aucun emploi, ni entreprise. Elle a permis d’assainir certaines trésoreries. Comme je l’ai déjà écrit, il s’agissait de sauver les meubles, pas de changer le mobilier.  Tout cela dans un système économique non-dit. Cette attitude est plutôt habile. Cependant, si l’on observe la situation économique et sociale de la Corse, le résultat est mitigé. Le PIB de la région  -historiquement bas- a nettement progressé,  mais le différentiel avec la moyenne nationale subsiste.
 3ème République, les élus corses : un bon niveau de formation, pourquoi faire ?
Jean-Louis Briquet s’est livré à un travail de vérification des niveaux d’enseignement des 43 parlementaires insulaires,  qui ont exercé sous la 3ème République, sur la période 1880-1940 :
« Seuls 5 de ces parlementaires n’ont aucun diplôme ou un simple diplôme d’enseignement primaire alors qu’ils sont 30 à détenir un titre égal ou supérieur à la licence, 6 ont un baccalauréat. Parmi ceux qui ont effectué des études supérieures, la grande majorité a fréquenté la faculté de droit (20), le reste ayant été diplômé de la faculté de médecine (6) et de celle de lettres (3) ; un seul des parlementaires de la Corse a obtenu un titre de la faculté de sciences. Les investissements scolaires expliquent que ces parlementaires exercent, dans leur quasi-totalité, des professions valorisées, source de prestige et d’influence. ». In Le travail notabiliaire Production et reproduction de la notabilité en Corse sous la troisième République. En vérifiant le détail de certains curriculum vitae, l’on trouve un haut niveau de formation. Certains de ces élus occuperont des postes ministériels prestigieux (Finances, Intérieur, Marine…). Pourtant, en regard de ces palmarès, quels résultats économiques pour la Corse ? Sous la  3ème République, notamment, l’île connaîtra une série de crises économiques et une accélération de l’émigration. Nous pouvons logiquement déduire que cette promotion politique par l’Education (Briquet) a surtout servi à la promotion sociale des élus, sans changer la donne économique et sociale de l’île. Bien sûr, l’accès à des postes ministériels a permis au système clientélaire de bien fonctionner, notamment en plaçant de nombreux Corses dans les services de l’État (continent et colonies). Cependant, ces mêmes élus n’ont pas préparé la population aux défis économiques à venir. Ce constat en éclaire un autre, fait par plusieurs observateurs : la Corse connaît un grand dynamisme politique et un immobilisme économique. Ces élus ont-ils essayé et se sont-ils vus bloqués dans leurs tentatives par le système qui les avait promus ?  Cette impasse d’hier est-elle vouée à être reproduite « de toute éternité » ? Ce sont des questions qui prévalent dans plusieurs articles de ce blog.
Tumblr media
Le changement dans la continuité
Sur le fond, existe-t-il une franche rupture entre la classe politique dite « traditionnelle » et le « nationalisme » ? Pour moi, la réponse est non, avec des bémols. Pour plagier une formule de Georges Pompidou,  nous pouvons dire que nous assistons à un changement dans la continuité. Voilà pour le fond. Pour la forme il existe, au moins, une différence flagrante, c’est la revendication formulée  -« décomplexée » dirait-on aujourd’hui- du contrôle du pouvoir politique et des choix économiques. Cette « autonomie » le clanisme mobilisait toutes ses ressources pour l’obtenir, sans vraiment en parler officiellement. En fait, c’est le mouvement « nationaliste » qui en fait une position officielle, certains diront que c’est une attitude sans hypocrisie de langage. Que ce soit sur l’usage de la violence,  comme sur les buts politiques, les « nationalistes ont apporté un langage assumé, alors que le clanisme les défendait « en douce ». Cette différence n’est pas anodine.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Une partie du mouvement « nationaliste » entend que les choses soient mises sur le papier. Il s’agit d’inscrire dans la Constitution des pratiques qui étaient gérées, précédemment, de manière peu transparente. Notez que je n’écris pas « clandestine », car ce « deal » entre l’État et les élus corses ne pouvait fonctionner que si la totalité des acteurs insulaires (économiques et politiques) connaissaient la règle du jeu. Tout le monde, « nationalistes » compris, a participé à ce jeu de pseudo clandestinité, dans une île où toutes les élites se connaissent.
Tumblr media
Je reviendrai, dans un futur article, sur le thème « nationalisme », et criminalité.
 Les nouveaux enjeux économiques
Aujourd’hui on parle, de plus en plus, de spéculation immobilière. Les temps sont loin où les enjeux étaient un pacage, un verger ou même un beau terrain pour construire sa maison.
Cette inflation ne peut que fausser le rapport clientélaire. La question devient la suivante : quelles peuvent être les conséquences sur les grands équilibres ? Si les montants des transactions augmentent, c’est aussi le cas des commissions. En démultipliant le prix de la corruption, on fausse son fonctionnement.
L’argent peut primer sur la relation « symbolique ». Quand G. Lenclud étudie cet « échange » clientélaire, entre les années soixante- dix et les années quatre- vingt, il estime que « l’attachement réciproque est le ciment de la relation de protection ». Il ne nie pas la dimension matérielle, mais la relativise dans une relation « équilibrée ».
Désormais, la place plus importante prise par l’aspect matériel ne peut être neutre.
Le clanisme a empêché la mise en place d’une culture du rapport marchand « classique », en en imposant la médiation politique.  Maintenant, comment passer à une culture marchande et le peut-on ?
Le passage d’une médiation de patronage politique à une relation politico affairiste, c’est le risque d’un passage d’un système clientélaire « simple » à une mafia.
La majorité du pouvoir local était tenu par ce système de notabilité. Son influence reposait sur sa capacité de médiation entre la population et les différentes administrations publiques. Cette capacité est considérée, par certains, comme entamée. Pour ma part, je pense qu’elle s’est adaptée au monde contemporain, comme d’habitude. 
L’ancienne gestion du « système » a habitué les esprits à une médiation vécue comme incontournable.  Aujourd’hui la médiation demeure, mais elle porte sur d’autres domaines.
Pour José Gil « le clan est une machine qui fonctionne à la violence ».  Cette violence est un outil de la médiation.
Les mécanismes de contrôle sont toujours là,  mais le curseur économique est poussé plus loin.
De manière générale, pour Gérard Namer, « c’est une préparation directe à la violence privée que met en place le clientélisme économique ». Cet universitaire  va plus loin : « Ces mafias sont l'aboutissement politique et économique d'une longue désagrégationclientéliste de la démocratie, accélérée successivement par la Guerre froide et, depuisquinze ans, par le capitalisme de dérégulation ». In L'Homme et la société, N. 119, 1996. Violence privée et politique.
 Pour cet enseignant de sociologie à Paris VII (1928-2010), « la désagrégation même du clientélisme politique mène à l’abus de corruption ». Globalement, la société corse a été habituée à une forme de corruption civile.  Elle est donc affaiblie face à une corruption économique. La formule exacte serait : affaiblie face à des enjeux financiers plus importants.
Résumons-nous. Il y a ce qui est sûr et puis ce qui est probable.
Parmi les données acquises on trouve les fondamentaux du système décrit par G. Lenclud.  Car il  existe bien un « système ». Le clanisme est le terme le plus employé. Il s’agit d’une organisation discrète plus que secrète.  On peut considérer  que ce « système » est illégal, dans la mesure où il n’existe aucune loi y faisant référence. Cependant, ce « système » nous montre qu’il peut être « hors la loi », sans pour autant faire l’objet de poursuites judiciaires systématiques.
Par une espèce de gentleman agreement avec l’État, la coutume prend force de loi. 
Des enquêtes, plus rarement des procès, visent tel ou tel dérapage (des détournements trop flagrants…). Mais globalement, l’État en charge de l’appareil police-Justice, accompagne la coutume plus qu’il ne la combat. Confer encadré Un rapport qui dit, presque, tout et qui ne résout rien (plus haut).
Ce double jeu se fait de manière occulte. Pour fonctionner il a besoin d’être organisé en réseaux efficaces et discrets. Jusque là, tout est avéré.
Pour ce qui est du probable, les éléments manquent ou bien ils sont diffus.
Dans le monde contemporain, la corruption clientélaire change de dimension.  Elle passe d’un système d’échanges des services à une forme de corruption marchande.
Le « système » contrôle toujours la médiation, mais le volume et la nature de cet arbitrage évoluent. Cette évolution se déroule sous nos yeux, mais nous n’avons pas tous les outils pour l’analyser avec précision.
Assiste-t-on, encore une fois, à cette « tradition en mouvement » ou bien les réseaux anciens sont-ils en train de se transformer en Mafia ou, du moins, ont-ils permis la transformation de l’ancien banditisme en Mafia ?
Une chose est sure, il faut se poser la question du but (des buts) de toute cette violence.  La Corse n’a jamais été riche que de ses potentialités. L’île a été géré en « notaire-clientélaire », voici sans doute venu le temps de faire des affaires au pays. Bien sur le « développement » est un terme utilisé pour promettre des lendemains meilleurs. Mais « meilleurs » pour qui. Nous avons vu que l’île est la région métropolitaine la plus pauvre de France. A qui pourrait profiter le « développement » de demain et surtout de quel « développement » parle-t-on ? Justement, à part l’agitation du concept, le contenu est très rarement abordé dans les débats politiques, depuis des dizaines d’années.
 Le prochain article abordera la période contemporaine. Je ne repasserai  pas, en détail, les différents épisodes criminels qui ont concerné la Corse, dans l’île ou ailleurs, la presse et la littérature font très bien ce travail. Je chercherai à présenter quelques thèmes qui peuvent aider à comprendre que l'Histoire récente explique la situation actuelle.
Bibliographie :
 Petru vellutini pastori. Mathée Giacomo-Marcellesi. Ed. Albiana
 En Corse-L’esprit de clan-Mœurs politiques- Les vendettas-Le banditisme. Paul Bourde. Ed. Calmann-Lévy (1887). Réédition Lacour-Ollé (2014)
 La tradition en mouvement- Clientélisme et politique en Corse. Jean-Louis Briquet. Ed. Belin
 Les bandits. Eric Hobsbawm. Ed. Zones (2008), réédition La Découverte (2018)
 Corse, l’étreinte mafieuse. Hélène Constanty. Ed. Fayard
 Bandits corses-Des bandits d’honneur au grand banditisme. Grégory Auda. Ed. Michalon
 Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui. Jean-Baptiste Marcaggi. Ed. Albiana
 Vendetta et banditismes en Corse au dix-neuvième siècle. Stephen Wilson. A Messagiera-Albiana
 Le droit de la vendetta et les paci corses. Jacques Busquet. E. Jeanne Lafitte
 Les rois du maquis. Pierre Bonardi. Ed. André DELPEUCH, Paris, 1926.
 En Corse. André Rondeau. Armand Colin (1964)
 En Corse. Une société en mosaïque. Gérard Lenclud. Ed. La maison des sciences de l’homme
 La Corse. Entre la liberté et la terreur. José Gil. Ed. La Différence
Milieux criminels et pouvoirs politiques Les ressorts illicites de l'Etat. Sous la direction de Jean-Louis Briquet,Gilles Favarel Garrigues. Ed. Kartala
Le crépuscule des corses. Nicolas Giudici. Ed. Grasset
Mafia et politique. Michel Pantaleone. Gallimard
 Economie et société/1 Les catégorie de la sociologie. Max Weber. Plon-Pocket. Peut être lu en ligne
 Collection journal L’illustration
 Guides Joanne – 1885-1885
 Liens vers sites et revues :
Le banditisme en Corse (1871). Rapport d’Alfred Germond Delavigne. Ed. Lacour. BNF
 La Corse et la République, la vie politique de 1870 à 1914. Jean-Paul Pellegrinetti (Janvier 2005). Revue Ruralia. En ligne sur Open Edition
Clientélismes et mafiaGérard Namer. L’homme et la société  N. 119, 1996. Violence privée et politique
  Les tourments du tourisme sur l'île de Beauté. Josephe Martinetti. Revue Hérodote 2007/4 (n°4)
Mafia et économie légale : pillage et razzia. Clotilde Champeyrache. In Revue Hérodote 2009/. (n°134)
Rapport  Assemblée Nationale : AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (sur L’UTILISATION DES FONDS PUBLICS ET LA GESTION DES SERVICES PUBLICS EN CORSE. 3 Septembre 1998
Alain VERDI le 16 Novembre 2022
Le même article sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Criminalité en Corse. 1è partie : connaître l’Histoire pour comprendre l’actualité
En Corse, selon des médias, l’association voyous, Politiques, entrepreneurs serait « nouvelle ». Un coup d’œil dans le rétro dément cette assertion. Déjà, entre le 19è et 20è siècle, des journaux faisaient souvent des impasses. Le vieux système claniste a-t-il ouvert la voie à un système mafieux, comme en Sicile par exemple ? Le monde change.
Alain VERDI le 14 Novembre 2022
1) Un immobilisme récupérateur
Introduction
 Je débute ici la publication d’une série de quatre articles consacrés à la Corse et aux liens réels ou supposés entre les pouvoirs (politique et économique) et la criminalité. Il ne faut pas attendre de révélations. Ce qui guide ma démarche c’est une volonté de décoder et d’aider à faire comprendre comment fonctionnent les rapports entre les différentes catégories de la société et au-delà les rapports avec l’ensemble des pouvoirs,  politiques, économiques…
Ce premier article de la série s’étend (longuement) sur l’histoire des bandits et des connivences, plus ou moins assumées entre eux et ces pouvoirs. Car il y a bien connivence. Nous sommes, entre le 19ème  et la première moitié du 20ème siècle, très près de la complicité. Mais aucune enquête judiciaire, ou poursuite ne sera ouverte contre des élus de rang important, pour complicité avec des « bandits corses ». Après l’Histoire, nous essayerons de voir si la seconde partie du 20ème siècle et le début du 21ème  présentent des analogies. D’entrée, un constat s’impose : les médias sont remplis d’informations sur l’aspect « faits divers » de la criminalité. En revanche, cet éventuel lien, avec des pouvoirs politique et économique, est peu documenté. Les recherches universitaires sont embryonnaires et les « enquêtes » journalistiques ne sont que le reflet du niveau des enquêtes judiciaires et policières. Les rumeurs sont nombreuses, mais les résultats sont minces. L’expression « naufrage judiciaire », à propos de procès visant la grande criminalité, revient souvent dans les médias. A défaut de « scoops » je tâcherai de mettre des événements en perspective, en m’appuyant sur  des réflexions de chercheurs en sciences sociales et en continuant l’exercice de comparaison avec la situation italienne, amorcée dès le début de ce blog. Nous observerons également, le « modus vivendi » entre l’État français et les pouvoirs insulaires, qui a été mis en place dès le 18ème siècle. Le résultat de ce « deal » est une « autonomie inavouée », depuis cette époque. Cette absence de transparence est loin d’être sans conséquences. Je poserai la question : le clanisme a-t-il, même involontairement, préparé le terrain à une Mafia ?
Le quatrième article de cette série posera la question des liens « nationalisme »-criminalité.  Ils sont nombreux, mais pas centraux.
Mon travail de publication ne sera, peut-être, pas terminé, au moment où la Collectivité de  Corse tiendra sa session consacrée « à la Mafia » le 18 Novembre 2022. 
L’article qui suit s’interroge sur le « rôle social et politique des bandits corses, ainsi que sur l’image qu’ils renvoient d’eux et que la presse a souhaité en donner. Je continuerai la comparaison avec la Sicile, cette fois. Je m’interrogerai sur la fonction « accumulateur de capital » jouée par la criminalité, dans une région pauvre. Nous ferons également une série de comparaisons Corse-Sicile, sur trois thèmes : les « dictatures » municipales, l’isolement des forces de l’ordre et les ambigüités d’un corps de militaires supplétifs qui a exercé dans les deux îles.
Tumblr media
Dans tous les cas, comme le dit Jean-Louis Briquet (CNRS) « La reproduction de ce pouvoir ne peut s’opérer qu’au prix d’une adaptation constante des stratégies notabiliaires aux conditions évolutives de l’activité politique ». In Elites et pouvoirs locaux. La France du Sud-Est sous la 3ème République.
Le contexte historique
Cet article reproduit des faits qui se sont déroulés entre le dernier tiers du 19ème siècle et les années trente du 20ème. . Ce qui ne m’empêche pas d’effectuer des incursions hors de cette période, car des thèmes s’étendent sur plusieurs décennies.
Au-delà des « affaires corses », le cadre général de cette période est la lutte pour la pérennisation de la République. La défaite de Sedan (1870) entraîne la mise en place progressive de la troisième République (1870-1940). Elle conserve de nombreux adversaires (royalistes, bonapartistes) dans le pays. En Corse, la jeune république est faible et les bonapartistes représentent la plus grande opposition au régime républicain.  Un homme va installer la République dans la durée, en Corse. C’est Emmanuel Arène. « Le roi de Corse » bénéficiera de gros moyens et va entretenir le système claniste. La méthode, maintenir le clanisme, mais faire basculer des clans dans le giron de la République existant. Sa méthode est moralement douteuse et politiquement efficace. Elle est bien décrite par Jean-Paul Pellegrinetti et Ange Rovere : « Les élections de 1881 occupent une place particulière dans la vie politique insulaire, puisqu’elles correspondent au début de l’enracinement de l’idée républicaine dans la patrie des Bonapartes ». In La Corse et la République.
Cela dit, il ne faudra jamais perdre de vue une réalité : les clans n’ont pas une idéologie affichée. Ils adhéreront au régime au pouvoir, en fonction des circonstances. Ainsi certains élus insulaires iront d’un soutient affiché à une passivité bienveillante lors du « putsch d’Alger », en 1958. « Nous faisions des sandwiches pour les parachutistes », débarqué en Corse, me raconte une figure politique importante de l’époque. D’autres figures insulaires connues, iront jusqu’à une participation active dans l’île. Cela fera de la Corse, la seule région métropolitaine à participer activement à une action factieuse. Défendait-il « l’Algérie française » ou attaquaient-ils la République ? J’aborderai cet aspect dans un prochain article intitulé : « L’instrumentalisation. Du clientélisme à la corruption. Du banditisme à la Mafia ? »
État de droit, rétablissement ou établissement ?
Lors de poussées de violence, criminelle ou politique, il est fréquent d’entendre une antienne,  de la bouche des autorités: « il faut rétablir l’état de droit en Corse ». Répétée en boucle, depuis des dizaines d’années, cette formule est pourtant ambigüe. Elle sous-entend que cet « état de droit » a, un jour, été établi. Pourtant l’observation de l’Histoire de l’île, au moins depuis le rachat de la Corse, par la France (1768) nous montre le maintien d’un « différentiel ». Ce jeu d’équilibriste entre droit (national) et coutume (locale) n’a pu perdurer que dans un système mêlant rapports de force et « gentleman agreement ». En laissant le vieux système claniste « gérer la boutique », avec ses abus : détournement de la démocratie, violences et passe- droits     , n’a-t-on pas fragilisé l’île, au point de transformer le vieux système en jeune mafia ? Pour essayer de répondre à cette question, nous devons nous tourner vers l’histoire. En comparant la situation en Corse avec celle de Sicile, nous trouvons des différences et des convergences.
La première question porte sur « l’axe » bandits-politique-entrepreneurs.
Bandits-politiques-entrepreneurs, une histoire ancienne
Aujourd’hui, les soupçons d’entente entre des entrepreneurs, locaux ou extérieurs, et/ou des bandits et/ou des politiques, se multiplient. Ces soupçons sont de plus en plus précis et les enquêtes s’affinent.  Dans un exemple récent, dans ce volet « entrepreneurial » chargé, autour de la bande dite « du Petit bar », les résultats judiciaires demeurent, pour l’instant, limités. Même si les enquêtes progressent dans la direction de liens Milieu/entrepreneurs, en Corse et entre la Corse et le continent, en passant par l’Afrique.
 Ce détour par l’actualité ne doit pas nous faire oublier que les liens bandits-entrepreneurs ne sont pas récents.
Une fois de plus, nous pouvons nous référer à l’Histoire et au rôle joué par certains bandits en qualité de protecteurs/profiteurs d’activités économiques.  Deux exemples, puisés parmi d’autres, illustrent le « rôle économique » du bandit :
-Une histoire se situe durant la 1ère guerre mondiale, du moins si l’on en croit la mémoire de Pierre Vellutini (1878-1980). Un paysan de la région du Taravo,  P. Vellutini raconte, avec ses mots, comment une entreprise qui assurait le service de transport de passagers et de courrier entre Ajaccio et la haute vallée du Taravo a subi des pressions de la part de bandits (non nommés) pour les obliger à abandonner le service, au profit d’une autre entreprise. Cette dernière avait payé les bandits. Ensuite, ces mêmes bandits réclamaient de l’argent « de temps en temps… » (« di tantu’ n tantu ») à l’entrepreneur restant. Propos recueillis, en langue corse (1974-1980) par Mathée Giacomo-Marcellesi enseignante de linguistique à la Sorbonne Nouvelle. In Petru vellutini pastori, ouvrage bilingue. Les témoignages, précieux, de ce « berger-cultivateur » nous disent pas mal de choses, en peu de mots, sur les bandits de la région du Taravo. « De tout côté, il y avait des bandits dans la région » (« Da tutti i parti c’erani i banditi na righjoni » (sic). P. Vellutini résume l’histoire de deux de ces hommes. L’un a vengé sa sœur, car «(…) un homme l’avait trompée ». L’autre, recherché par les gendarmes, est tué « (…) par les civils ». 
 -L’autre récit nous est conté par le journaliste Paul Bourde. « La compagnie Parisienne »  constitue un grand vignoble près de Sartène (1883). Une plantation qui ne convient pas à des bergers car elle gêne le parcours de leurs troupeaux. Ils font appel à des bandits qui « (…) mirent le vignoble en interdit ». La compagnie a trouvé la solution : « elle a pris les bandits à son service ». In En Corse-L’esprit de clan. Déjà cité.
Cette prestation de protection ressemble à ce qui se fait dans toutes les zones de banditisme.
On pourrait faire remarquer que c’est, à peu près, ce qu’il s’est passé en matière de « protection » sur l’île de Cavallo (1997). Longtemps, les activités criminelles, sur « l’île aux milliardaires » ressemblaient à des prestations de services, comme pour les deux exemples résumés ci-dessus. A un siècle d’écart, même scénario.
 L’entrepreneur de transport du Taravo continue son activité, aujourd'hui,  en d’autres lieux, l’affaire de Sartène n’a jamais connu de poursuites judiciaires et celle de Cavallo s’est terminée par un « naufrage judiciaire » (Corse-Matin 07/01/2015), les trois personnes jugées pour « « racket » sont acquittées.
Ces liens monde entrepreneurial-bandits sont de nature variable. Certaines fois le bandit peut offrir une protection extorquée (se faire payer pour « protéger » d’une menace qu’il exerce) ou être sollicité pour protéger d’une menace exercée par d’autres. Ainsi la compagnie du chemin de fer de la Corse, en construction, fait appel aux frères Bonelli pour se protéger des vols de matériel.
 .Enfin, les liens avec le monde politique et administratif sont de plus en plus souvent évoqués aujourd’hui. Cependant l’allusion à l’existence de « référents » politiques du Milieu Corse reste, pour l’instant du domaine des allégations, du moins en regardant les résultats judiciaires.
Pourtant les liens entre bandits et politiques sont cités depuis que le phénomène du banditisme est observé, au moins dès le 19ème siècle.
Tumblr media Tumblr media
Bandits corse « en immersion », une vielle histoire mythifiée
Le mythe des « bandits corses » ne résiste pas toujours à la réalité.  Pour la presse parisienne populaire (19ème et début 20ème siècle), la version Politiquement Correcte est celle d’hommes blessés dans leur honneur qui ont pris le maquis pour échapper à « un injuste sort », après une vendetta.
Un des journaux populaires les plus lus, à l’époque,  donne le ton : « nous sommes en Corse, la Corse des bandits « honorables », des gendarmes inoffensifs, des fonctionnaires dont on fait des otages ». In L’Illustration 17 Novembre 1923. Les journaux nationaux, portent, généralement, un regard quasi bienveillant sur les « bandits corses ». Leurs articles sont parfois dithyrambiques et contiennent peu d’informations vérifiées. Comme nous le verrons, plus loin, nous  trouvons peu de traces des rapports entre bandits et Pouvoirs dans les articles de la « grande presse, comme de la presse populaire.
La presse ne deviendra réellement polémique qu’à la fin de l’ère des « bandits corses ». Voir plus loin « 1931, L’épuration du maquis ».
A la fin du 19ème siècle, dans son introduction d’un tome consacré à la Corse, le fameux guide touristique Joanne fait une description du « climat » qui règne dans l’île. Pour rassurer ses lecteurs, le guide cite un insulaire, sans le nommer : « Nous sommes méchants entre nous, disent les Corses, mais le continental et l’étranger n’ont jamais eu à se plaindre de nous ».  Dans cet ancêtre du Guide Bleu, on ne se contente pas de décrire les paysages (magnifiques), les routes (exécrables)  et les hôtels (rares), on donne des appréciations sur les habitants. Ils sont, la plupart du temps, présentés comme « particulièrement accueillants », à l’exception notable de Bonifacio  mais  on y parle aussi de leurs rapports conflictuels comme à Sartène ou bien de manière positive en décrivant les habitants de Bastelica : «(…) leurs mœurs différent beaucoup, dit on, de celles des populations voisines ; les inimitiés et la vendetta y sont inconnus».  Il ne s’agit pas d’un traité d’ethnologie, mais d’un Guide touristique consacré à la Corse pour la période 1884-1885.
Tumblr media
Des touristes fortunés, à la recherche de sensations fortes,  ne manqueront pas d’inscrire la visite à un « bandit corse » dans leur carnet de voyage. Telle cette touriste anglaise qui rencontrera André Spada dans le maquis. Elle lui enverra une lettre de remerciement pour sa « charmante réception ». Ce genre de courrier sera publié. D’autres lettres plus compromettantes pour des personnalités politiques disparaîtront des poches de Nonce Romanetti, avant l’arrivée des autorités,  quand il sera tué en 1926, comme l’écrit J. Baptiste Marcaggi.   In Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui.
Les photos, ci-dessous, sont extraites d’un «reportage » effectué par une équipe de British Pathé, en 1926. Le film a été tourné « quelques mois avant la mort du bandit », c’est ce que dit le générique.
Tumblr media
Il est projeté, dans les salles de cinéma, quelques mois après son décès. On y voit le bandit entouré de personnes à l’air aisées, qui s’affichent sans soucis en sa compagnie.
Tumblr media
 « Les incidences négatives de la violence sur la société corse sont occultées au profit d’un affichage promotionnel, une couleur locale, un marqueur identitaire. Ils permettent de concrétiser la demande d’un public lettré, nourri des lectures de Mérimée ou de Dumas » C’est la lecture que donne Joseph Martinetti enseignant d’histoire-géographie à l’IUFM de Nice.  Revue Hérodote, quatrième trimestre 2007. « Les tourments du tourisme sur l’île de beauté ».
Pour l’historien Antoine Marie Graziani, la violence ne se réduit pas au banditisme. Il se montre très critique envers une certaine présentation de ce phénomène « la lecture romantique de la vendetta a abouti à la construction d’un banditisme « d’honneur ». In La violence dans les campagnes corses du XVI au XVIIIème  siècle.
 Toujours pour la période du XVIème siècle, l’historien Fernand Braudel note, à propos du banditisme en Méditerranée « il est toujours logé dans les zones de faiblesse des États ». In Misère et banditisme au XVIème siècle.
Cependant ce miroir valorisant  est aussi présenté par un insulaire, l’écrivain Pierre Bonardi.  Dans ses écrits, on trouve une tendance systématique à glorifier et excuser certains bandits, sans nuance. Dans son livre consacré à « trois fameux bandits », il résume sa vision du  bandit corse « c’est un brave garçon qui a mal choisi son heure pour disputer sur sa part d’eau courante au jardin potager ou sur les dégâts que la chèvre du voisin a fait à sa vigne, ou sur les regards trop tendres qu’un béjaune a lancé à la contadine qu’il aimait ».  Les rois du maquis.
Ce véritable raccourci est présenté comme une définition et vaut absolution. L’écrivain Pierre Bonardi écrit : « on reconnaîtra ces traits dans Spada, Romanetti et le fabuleux Saetta, comme dans tous les bandits corses ». P. Bonardi, originaire de Sari d’Orcino  a rencontré plusieurs fois André Spada et Nonce Romanetti.  Proche de l’extrême droite, l’écrivain adhérera au Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot. Il a collaboré à plusieurs journaux nationaux (Le petit journal, L’intransigeant)   et insulaires (A Muvra et U Muntese).
 Ce portrait idyllique est à mettre en face de la description de plusieurs dizaines d’exemples présentés par l’historien britannique Stephen Wilson. S. Wilson montre, à travers différentes affaires de vendetta, que les causes sont nombreuses et variées.
Il divise ces causes en quatre catégories :
-les conflits matériels.
-les conflits d’honneur.
-les conflits interfamiliaux.
-les conflits intercommunautaires.
Nous pouvons constater que, sur la durée, les deux derniers de la liste étaient des causes de déclenchement, mais que seuls demeurent le discours sur « l’honneur » et les actes « matériels », rackets, droit de cuissage, agent électoral…
       Certains  font la distinction entre « bandits d’honneur » et « i percetori », littéralement les percepteurs, autrement dit ceux qui prélèvent l’impôt. En clair, ces derniers sont des racketeurs de la zone géographique où ils opèrent. En plus de l’argent et des vivres, la pression qu’ils font peser sur « leur» territoire comprend souvent un droit de cuissage.
     Comment des hommes, jusqu’à la première partie du 20ème  siècle, ont-ils pu « régner » sur une partie du territoire de la Corse et donc du territoire français. ? Le constat saute aux yeux. La Justice, la police et l’administration, en général, sont gérées dans l’île de manière aléatoire. 
 Il y a deux façons de présenter le rôle des « bandits ». Soit  des hommes frappés par le destin, soit d’authentiques voleurs et rançonneurs.
 -D’abord, le « bandit » parti dans le maquis après avoir lavé « l’honneur ».   L’explication donnée est l’absence de Justice réelle, en Corse.  L’homme se fait donc justice tout seul et devient « bandit d’honneur».
Pour définir ce genre ce  genre de « bandit » Eric Hobsbawm les appelle  les « les bandits au grand cœur ».  Pour cet historien britannique, « le bandit au grand cœur  n’est pas au départ un criminel. Il débute sa carrière de hors-la loi parce qu’il est victime d’une injustice ou par ce qu’il est persécuté par les autorités pour un acte qu’elles estiment criminel, mais que traditionnellement son entourage ne considère pas comme tel ». In Les bandits.
 -Ensuite, le « percetori »  n’est qu’un voyou, à ne pas confondre avec le « bandit d’honneur ». Il se cache derrière la « bonne image » du « bandit » et rançonne son territoire. Le « bandit » pouvant se transformer en « percetori ».
Le premier constat est que la Corse est sous administrée. Ajoutons à cela le volet politique. Le « percetori » serait une interphase entre la population,  les pouvoirs locaux et le pouvoir central (national).
Plusieurs faits nous donnent une grille de lecture.
Au début des années vingt, le réalisateur Abel Gance rencontre le « bandit » Nonce Romanetti qui règne sur la région d’Evisa. Le cinéaste cherchait à le rencontrer pour tourner un film sur le personnage. Une des versions de cette rencontre dit que la femme du préfet de Paris, Jean Chiappe, était dans la voiture d’Abel Gance lors de la rencontre.
 Comment un hors-la -loi officiellement recherché et « introuvable », peut il être trouvé par un réalisateur venu du continent ?  La présence de l’épouse d’un représentant de l’État, au plus haut niveau ne donne- t’elle pas  une partie de la réponse ? Jean Chiappe fut également un éphémère député d’Ajaccio (élection invalidée en 1936).
Jean Chiappe connaît du « beau monde ». En effet, le préfet de Paris « dine régulièrement avec  Carbone ».  Cette proximité entre un haut personnage de la République  et Paul Carbone,  le « boss » de la ville de Marseille, semble faire partie d’une longue tradition de compromissions. In Compromissions- La République et la mafia corse. Paul Carbone était originaire de Propriano.
Tant qu’il ne dérange pas le système,  le «percetori » est protégé. Pourquoi ? Parce qu’il joue un rôle politique dans le jeu trouble des rapports entre l’État, les élus locaux et la population. Nonce Romanetti a joué les agents électoraux pour un candidat aux élections cantonales de 1921.  Il sera également un « soutien » du parfumeur François Coty, élu maire d’Ajaccio en 1931. Ce dernier était connu pour ses liens avec l’extrême droite.
Déjà, on retrouve tous les ingrédients : bandits, élus clanistes, tentative de parachutage d’un candidat, silence des autorités et liens entre une faction trouble de l’époque et la présence de l’épouse d’un préfet  proche des ligues d’extrême-droite. 
Le lien entre Nonce Romanetti et le préfet Chiappe doit être complété par la personnalité de l’écrivain Pierre Bonardi. Ce dernier connaissait particulièrement bien « le gouverneur de la Cinarca », il décrira ses conversations avec Romanetti et les rencontres de ce dernier avec des « gens importants » dans son livre « les rois du maquis ».  Cet ouvrage, dithyrambique, sera dédicacé « à madame Jean Chiappe »  épouse du préfet, dans l’édition de 1926. 
  Un autre exemple de liaisons « incestueuses», au dix- neuvième siècle cette fois,  est cité par le journaliste Paul Bourde.
Le reporter passera plusieurs mois dans l’île, en 1887, il  écrira des dizaines d’articles pour le journal « Le Temps ».  Son travail est regroupé dans un livre qui est une des premières tentatives de décodage de la situation politique et sociale de la Corse : En Corse- L’esprit de clan, déjà cité. Sur le bandit Jacques Bonelli on peut lire  que le Conseiller Général de Corse, Emmanuel Arène a rencontré les frères Bonelli cachés dans leur « royaume » de Pentica près de Bocognano. « M. Emmanuel Arène a décrit une spirituelle relation de la visite qu’il leur a faite en compagnie d’Edmond About (écrivain français) ».  Paul Bourde constate « il n’y a que la police qui ne sache pas le joindre ». Une rencontre également décrite par Grégory Auda dans son livre Bandits corses : En 1898,  un ministre de la Marine effectue une tournée d’inspection dans l’île. Lors de son passage par le village de Bocognano, le ministre se voit saluer par le bandit Bonelli (Bellacoscia) et une dizaine de ses hommes en armes. La scène se déroule en présence du maire du village M. Muracciole et du député d’Ajaccio Emmanuel Arène. « Il est clair que les deux élus corses, en affichant leur amitié pour le vieux Bellacoscia, lui rendent hommage et signifient à tous les spectateurs présents la force de leur alliance ». « Alliance », pour quels motifs ?
Tout cela ressemble à un échange de bons procédés.  Certains édiles  protègent les bandits par leur influence et les bandits rendent des services (votes, pressions…) à ces mêmes personnes. Ainsi, en 1931, le maire de Pastricciola sera révoqué, car il a utilisé les services des frères Bonelli.
 Médias, banditisme et pouvoirs
Finalement, Antoine Bonelli dit « Bellacoscia », le frère de Jacques se rendra à un officier, le capitaine Ordiani, en 1892. Avant d’être emprisonné à Bastia il passera une nuit à l’hôtel. Le journal l’Illustration fera une description, quasi admirative de cet épisode. Selon le journal, Antoine Bonelli signera deux fois la même chose sur les registres de l’hôtel et de la prison : « profession : bandit. Demeurant : un peu partout ». Journal  L’Illustration 2 et 9 Juillet 1892.
 A ces complicités on peut ajouter un goût prononcé de certains fuyards,  pour la publicité. En 1931, c’est au tour d’André Spada de se faire interviewer par une équipe du   Pathé Journal.  Interview réalisée « moyennant une forte rémunération ».  J.B. Marcaggi. Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui.
Tumblr media
Spada allie intérêt financier et promotion de son image. Les « actualités Pathé » étaient diffusées dans toutes les salles de  cinéma de France, en première partie, avant le film.  C’était, en quelque sorte, l’ancêtre du journal télévisé.
 Déjà en 1924, Nonce Romanetti est filmé par le réalisateur italien Gennaro Dini.  En Septembre 1995, une version restaurée du film est projetée au festival de Porto Vecchio. La Corse connaît, à cette époque, une vague d’assassinats. A la sortie de la projection, le journal Libération interviewe une spectatrice lucide : « comment ne pas remarquer que déjà les hommes politiques cherchaient à manipuler ces hommes du maquis? ». Libération du 20 Septembre 1995.
 En tout cas,  à travers le temps, un constat s’impose : les journalistes et cinéastes ont moins de difficultés à trouver les bandits que les forces de l’ordre. A ce propos, le journal communiste L’humanité, du 12 Novembre 1931 écrit : « ((…) les reporter bourgeois s’entendaient fort bien avec les bandits ».
Tumblr media
L’écart entre le « cursus » de Spada et le contenu de l’interview filmée par Pathé est édifiant.
Tumblr media
Les reporters qui filment l’entretien d’A. Spada, ne peuvent pas ne pas savoir quel est le réel «pédigrée » du bandit.  Pourtant,  Christiane Hubert réitère un certain nombre d’impasses dans un compte rendu de l’interview filmée qu’elle a codirigée, publié dans le journal Police Magazine du 6 Décembre 1931. La journaliste parisienne a les yeux de Chimène pour le bandit corse.
Tumblr media
L’article est écrit au moment de l’expédition militaire, lancée pour stopper le développement du banditisme dans l’île. Ch. Hubert reprend, mot pour mot, la version d’A. Spada.  « Ils (la famille Spada NDLR) ont perdu leur gagne pain ». Elle fait allusion à la concession du service postal, acquise sous la menace et la ruse (voir encadré, ci-dessus). La journaliste poursuit : « Ils n’ont pas tué pour voler ». C’est une façon d’affirmer que l’accaparement de la concession n’est pas un vol.
Tumblr media
Pas un mot, dans Police Magazine, sur le triple meurtre lors de l’attaque du fourgon postal. Tout l’article est teinté d’une réelle admiration pour le personnage.
Tumblr media
La version écrite du reportage filmé est intitulé : « Pourquoi on n’aura pas Spada ».  Le ratissage de l’île s’étendra jusqu’en 1934. Mais l’arrestation de Spada se fera en dehors de ce cadre, contredisant ainsi la version de l’article qui estimait que: « (…) Spada ne sera jamais pris ni tué ». Les yeux de Chimène étaient atteints de myopie. 
 Ce constat d’une « proximité » entre plusieurs bandits et les médias de l’époque peut-être interprété comme l’illustration du « rôle social » du banditisme. Son rôle social et sa représentation sont liés. Il se présente et est représenté (médiatisé) dans une version romanesque. Spada se définissait, devant la caméra de Pathé, comme : « bandit d’honneur et de vengeance ».  Dans son interview il se donne le rôle du désintéressé, mais il se fait payer. Les médias et les « bourgeois » aiment ce double jeu, il pimente (frissons, transgression) la vie des visiteurs fortunés et rapporte argent et notoriété aux médias. Tout cela sans que le système global (le rôle social d’interphase du bandit) n’en soit affecté. Tant que le bandit joue ce rôle, il est utile au système. Quand il dépasse certaine limites fixées par ce système de connivence (niveau de violence, réactions négatives de « l’opinion publique »...), il est éliminé, socialement ou physiquement. Le bandit n’est pas révolutionnaire, sous des apparences rebelles il ne remet pas en cause le système de pouvoir. C’est ce qu’explique bien l’historien britannique Eric Hobsbawn, ainsi que Fernand Braudel. Des exemples, sur le terrain, confirment cette analyse.
 Un court rapport sur la situation en Corse est publié en 1871, sous la plume d’Alfred Germond de Lavigne (1812-1891).  L’auteur s’interroge sur les soutiens dont bénéficient les bandits de la part des hommes politiques insulaires. A. Germond de Lavigne constate les difficultés à réduire le banditisme dans la région du Fiumorbu. « Il est vrai qu’on ne peut arriver à les détruire, parce qu’ils sont protégés, les uns par un parti local à la tête duquel se trouve le fameux L… homme important, ancien bandit lui-même ; les autres par la famille V… en opposition avec L… Comment voulez-vous faire quelque chose qui ait de la durée, lorsqu’on tolère de semblables faits ? » In rapport : « Le banditisme en Corse ».
 L’avocat Jacques Busquet cite un magistrat qui tient à garder l’anonymat, propos recueillis en 1919 : « Il y a même une évolution récente, c’est la transformation du bandit qui n’a plus rien de cette fausse chevalerie qu’on lui attribuait, et qui aujourd’hui vole au besoin sur les grands chemins et rançonne les populations terrorisées, tout en  ayant son couvert chez le maire, le notaire et le curé ». In : « le droit de la vendetta et les paci corses ».
Voila résumée un lien entre le banditisme et la notabilité. Reste à définir qui utilise qui.
Pour conclure ce chapitre sur l’image du « bandit corse » publiée et projetée sur le continent, nous pouvons penser qu’elle arrangeait beaucoup de monde, puisqu’elle permettait de masquer les petits arrangements entre Pouvoir National et local. Poursuivre, également, les politiques eut été rompre le « deal ».  Un exemple de protection des bandits, par des élus est donné par « un commissaire spécial de Police », en poste en Corse. A propos de l’impunité dont bénéficient de nombreux bandits, il écrit notamment : « c’est la mauvaise composition des maires en grande partie premiers protecteurs et receleurs des brigands. ». in Les rapports du commissaire Constant (155) N° 465-468 (1924) ; Société des sciences historique et naturelles de la Corse.  Nous retiendrons que, déjà, un rapport sur les liens entre des politiques et des bandits, ne déclenchera aucune enquête.
Cette connivence entre certains médias italiens et des bandits siciliens est également observée. Michel Pantaleone (1911-2002) note « la partialité de la presse nationale ». Ce journaliste (L’Ora, Il giornale di Sicilia, L’Espresso…) et homme politique (PSI) sicilien estime que « les quotidiens italiens rivalisent entre eux pour décrire les méthodes de la Mafia, les moyens utilisés par elle pour commettre ses crimes, ses aspects pittoresques et de couleur locale, sans jamais faire allusion aux liens cachés entre Mafia et représentants du Pouvoir. ». In Mafia et politique (1965). M. Pantaleone parle d’une « véritable complicité qui valorise et justifie la loi du silence propre à la Mafia ». Il estime que « Toute aussi lourde de conséquences est l’attitude de certains périodiques qui attribuent à la Mafia et à ses adeptes, des mérites d’ordre moral qu’ils n’ont jamais eu et ne pourront jamais avoir ».
Cette complicité entre une partie de la presse italienne et le monde de la grande criminalité est illustrée par la publication de plusieurs articles dithyrambiques, rédigés par des notables, notamment un Président de la Cour de Cassation, cité par M. Pantaleone.
Quand des journaux publient des enquêtes ou des articles défavorables aux mafieux, ils sont visés par des attentats, comme le quotidien sicilien L’Ora en 1947 et 1958. 
Tumblr media Tumblr media
Corse-Italie, similitudes : des « dictatures municipales », des gendarmes isolés,  des « supplétifs » douteux
A la lecture de deux ouvrages, l’un sur la Sicile et l’autre sur la Corse, nous retrouvons des exemples similaires sur, au moins, trois thèmes. Ces deux enquêtes sont menées au 19ème siècle et sont publiées avec près de vingt d’écart. En Sicile,deux députés de « la droite libérale », Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino,  effectuent un long séjour dans l’île, à titre privé. Leur rapport « La Sicile en 1876 » se veut le reflet des « conditions économiques, sociales, politiques et administratives » de la plus grande île de Méditerranée.
En Corse, le journaliste du quotidien Le temps, séjourne plusieurs mois dans l’île en 1887. Il envoie régulièrement des dépêches que publie son journal. L’ensemble des dépêches est édité la même année, dans un ouvrage intitulé : « En Corse-L’esprit de clan-mœurs politiques-Les vendettas-Le banditisme ».
Il faut rappeler, brièvement, le contexte historique des deux îles.
La Corse a été rachetée à Gènes par la France en 1768. Le régime est une république depuis 1870, la Corse est un département français métropolitain. On y pratique le suffrage universel (sauf les femmes et le clergé).
 L’Italie est un royaume unitaire depuis 1870 (royauté parlementaire). La Sicile qui a rejoint le nouveau pouvoir, appartenait au Royaume des deux Sicile (1816-1861), Palerme en sera la capitale de 1816 à 1817, puis remplacée par Naples. En 1876,  année de l’enquête des deux députés, les législatives italiennes donnent largement le pouvoir à la gauche historique (aujourd’hui l’on dirait gauche « modérée »). Victoire écrasante dans tout le Mezzogiorno (Sicile 95% des suffrages). Il s’agit d’un suffrage censitaire, où seuls les hommes remplissant certaines conditions (revenu, éducation…) votent.
 De ces deux enquêtes, j’ai retenu trois points qui dessinent une certaine similitude entre la Corse et la Sicile. Les « dictatures municipales », l’isolement des gendarmes et des carabiniers et  l’éphémère expérience des supplétifs des forces de l’ordre.
 Les « dictatures municipales »
Pour la Sicile la méthode générale semble la même qu’en Corse, mais avec beaucoup plus de violence et sur des enjeux politiques et financiers plus importants. Les instances politiques sont noyautées par un système qualifié, à l’époque de « Mafia ». L’expression Cosa Nostra, ne sera connue que dans la seconde moitié du 21ème siècle. Les deux députés décrivent le noyautage de certaines municipalités et ses conséquences :
« Dans un très grand nombre de communes l'injustice dans la répartition  des impôts  au profit des responsables  est monstrueuse ; les revenus et les bureaux de la Mairie servent à enrichir ou soutenir les personnes qui ont la mairie entre leurs mains, leurs proches, amis, adhérents; les revenus des œuvres pieuses, les capitaux des Monts (monts de piété, répandus en Italie NDLR) provenant de la culture du blé, leur servent à acquérir de nouveaux partisans et s'assurer les anciens ; les listes électorales font l'objet d’un éternel jeu de hasard. ». Le mot hasard ne contient pas de guillemets, dans le rapport, page 28 de la version PDF « Progetto Manuzio ». En lien en fin d’article. Pourtant, la fraude électorale ne devait rien au hasard, mais était bien le fruit d’une organisation. Les jeux de pouvoir sont sous contrôle et si un fonctionnaire essaie de faire appliquer la loi, il est généralement muté. Quel que soit le gouvernement, l’attitude est la même, il cède aux protestations des pouvoirs politiques siciliens qui couvrent les fraudeurs et d’autres faits bien plus graves.  « L'effet est toujours le même, le mépris du Gouvernement et de ses agents  d’un côté par le peuple, car se confirme de plus en plus en lui l'idée que le représentant de l'autorité n'est rien d'autre qu'une personne placée par le gouvernement au service des puissants du lieu, qui ont des moyens efficaces pour faire punir chaque acte d'insubordination et de l’autre par des personnes influentes et puissantes, parce qu'elles voient à quel point il leur est facile de triompher de la loi et de ceux qui la représentent. ». Il est intéressant de noter ici que les pouvoirs considèrent la tentative d’application de la loi, par un fonctionnaire, comme une « insubordination ». Nous retrouvons des similitudes en Corse. Paul Bourde fait une relation très sévère du milieu politique en Corse, en général, et précisément des abus de pouvoir dans certaines municipalités.
Le journaliste du quotidien Le Temps y décrit les batailles politiques féroces. Le mot bataille peut être pris au sens militaire du terme (des morts et des blessés). Pourquoi toute cette violence ? Pour s’accaparer des avantages du Pouvoir et disposer des biens communaux, non pas pour l’ensemble des administrés, mais au bénéfice des affidés du clan vainqueur. Malheur aux vaincus.
La victoire permet la distribution, arbitraire, de certaines fonctions. Paul Bourde en dresse un inventaire :
-Seuls les vaincus payent la taxe communale et les Procès verbaux.
-Une partie de la Magistrature et tous les juges de paix sont orientés politiquement.
- Le Pillage et le gaspillage des budgets municipaux est une méthode répandue.
Cette liste n’est pas exhaustive.
Le volet financier est loin d’être négligeable, il profite aux affidés et écrase les adversaires du clan vainqueur. A l’exemple du chantier de construction de la voie de chemin de fer. (début des travaux 1880, première ligne exploitée en 1888).  Au début du projet, un jury d’expropriation est essentiellement composé de membres du même clan. Les expropriés « amis » toucheront des montants exorbitants et les autres auront droit au minimum.  Aujourd’hui cela s’appelle un délit de favoritisme. A l’époque aucune poursuite n’est engagée par les autorités, pourtant c’est l’État qui paye une note, souvent salée. Selon P. Bourde ce surcoût fera reculer le gouvernement dans ses projets d’extension du chemin de fer.
Tumblr media
De fait, le système claniste a bien nui au développement de la Corse et l’État a laissé faire. Cet arbitraire politique était également en usage dans la distribution des aides sociales. Voir  l’article sur le thème : pauvreté en Corse et misère dans le Mezzogiorno.
L’apprêté des luttes électorales et une stérilisation de l’économie, c’est le constat que faisait  l’économiste Jérôme Blanqui, dans sont rapport sur « l’état économique et moral de la Corse » en… 1838 : puissance des clans, luttes électorales féroces, absence de capitaux, terres non cultivées, importance des crimes…  « il se dépense plus d’énergie pour la nomination d’un maire que pour gagner vingt batailles ».
De la royauté (1838) à la République (1887), en un demi-siècle, rien n’a vraiment changé dans l’île.
 L’isolement de la gendarmerie et des carabiniers
Dans toute la France métropolitaine, dans les zones rurales, la police est assurée par un corps issu de l’Armée, la gendarmerie. En 1886, l’île affiche  278 501 hab. qui vivent, majoritairement dans le rural. Un nombre que le statisticien Paul Lefebvre nous invite à prendre avec précaution. « Mais si d’un côté il y a des négligences et des difficultés (à remplir des documents du recensement NDLR), d'unautre côté aussi les maires ont intérêt à grossir les chiffres de lapopulation municipale; là est la grande source des erreurs et desfraudes. ». La population de la Corse. In Revue de géographie alpine, tome 45, n°3, 1957.
En Italie, l’organisation des forces de l’ordre est semblable à celle de la France. Les zones rurales sont couvertes par le corps des carabiniers (carabinieri) qui dépend de l’armée. En Italie, les Carabiniers sont présent également dans les villes. La Sicile compte, en 1876, un peu moins de cinq millions d’habitants. Là aussi, les statistiques sont à prendre avec précaution. Si l’île compte des grandes villes, elle est majoritairement rurale, avec une grosse activité agricole.
En Sicile les carabiniers constituent, au 19ème siècle, le corps le plus soudé pour représenter l’État italien. Soudé, mais pas en phase avec la réalité de terrain. C’est ce que constatent les deux députés dans leur enquête. A propos des carabiniers, on peut lire : «n'ayant aucune idée des coutumes de la population, des relations les plus compliquées, qui lient les malfaiteurs entre eux et avec les autres classes de la société, ils vivent au milieu de la population aussi isolés que dans un désert, ils voient et entendent sans comprendre, ils font la même figure que ferait une statue de la  Justice au milieu d'une bande de malfaiteurs. » P. 23 du rapport, version PDF « Progetto Manuzio » en ligne, en lien en fin d’article. En résumé, les carabiniers n’ont pas les moyens de faire appliquer les lois du jeune État en formation. Plusieurs dizaines de militaires y perdront la vie au 19ème siècle.
Tumblr media
En Corse, Paul Bourde pousse moins loin ses investigations sur la gendarmerie, mais note que : « Sur le continent, on aime le gendarme, instrument visible de la paix publique. En Corse, on le hait, parce que le pouvoir au nom duquel il agit est suspect d’arbitraire. Ce n’est pas un justicier, devant l’autorité duquel tout le monde s’incline, c’est un ennemi comme un autre contre lequel on se défend ». On se défend et on attaque. Entre 1927 et 1931 neuf gendarmes et un commissaire de police sont tués. Neufs gendarmes sont blessés. Devant les nombreuses pertes, depuis le 19ème siècle, de nombreux gendarmes en poste en Corse demandent leur mutation. D’autant plus qu’ils sont souvent victimes de menaces. Cette insécurité psychologique est décrite par Paul Bourde et confirmée par l’historien Simon Fieschi (Paris IV La Sorbonne) qui s’est plongé dans les archives de la gendarmerie. Il cite le lieutenant-colonel Delavallade –commandant la compagnie autonome de Corse- (1929-1931) : « Le gendarme venu du continent souffre énormément de l’espèce de quarantaine perpétuelle dont il est l’objet. Il ne sait jamais si on ne lui est pas hostile ».  In Les gendarmes en Corse - 1927- 1934.  Il est impossible, ici, de résumer les détails des relations entre les gendarmes, les carabiniers et les populations des deux îles. Nous retiendrons que le nombre de militaires français et italiens tués en opération est très important. Le nombre est plus élevé en Sicile, en rapport avec l’importance de la population et la nature du banditisme. Pour la Corse Paul Bourde estime que : « ce qui est exact, c’est qu’il n’y a pas d’exemple d’un bandit corse qui ait fait du banditisme une industrie ». Il faut comprendre, par ces propos, qu’i n’y aurait pas de racketteurs professionnels constitués en bande pérenne, contrairement à la Sicile, où le rapport de Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino parle « d’entrepreneurs du crime ». Il n’est pas certain que P. Bourde ait eu raison, à l’époque. En tout cas, si c’était vrai, les entrepreneurs du crime sont bien là aujourd’hui. Pour être, presque, complet il faut ajouter que la faiblesse de l’État  -dans les deux îles-  ne laisse finalement à la population qu’une image négative : le plus souvent, le seul contact que ces populations rurales ont, avec la représentation physique de l’État, c’est celui des forces répressives, policières et militaires.
 Les forces de « supplétifs » : militi a cavallo  et voltigeurs corses
La relative efficacité des forces de l’ordre, en France et en Italie, va conduire les gouvernements à constituer des unités supplétives. En Corse (1822) et en Sicile (1860).Durant tout le 19ème siècle, le banditisme sévit en Méditerranée. La Corse et la Sicile sont alors des possessions récentes de la F     rance et de l’Italie unifiée. Pour des raisons politiques, déjà exposées sur ce blog, les deux pays n’arrivent pas à faire régner l’ordre, du moins leur ordre. Celui de la royauté, puis de la République française et celui du royaume de l’Italie unifiée. Nous prendrons comme dates de début de l’observation, celles de la création des deux unités « supplétives »..En Corse (1822), plusieurs centaines de bandits ont « pris le maquis ». On y enregistre plus de 180 homicides ou tentatives. Cela se passe dans une île de moins de 180 000 habitants. Une fois encore, ces chiffres doivent être pris avec une  grande précaution. La gendarmerie manque d’effectifs et surtout de connaissances du terrain : géographie, langue, mœurs…En Italie, l’unification s’est réalisée de manière étalée sur 12  ans (1859-1871). En 1860, le banditisme est florissant dans une grande partie du Mezzogiorno. Le tout jeune État italien manque de moyens matériels et surtout de soutiens dans le Sud du pays, notamment en Sicile. Ce constat de faiblesse des forces de police, dans les deux îles, française et italienne, débouche sur une même décision, à quarante ans d’écart : la création d’unités, hors cadre, supplétifs de la gendarmerie et des carabiniers. Les personnels sont embauchés, majoritairement sur place. En France, ce sera le Bataillon des voltigeurs corses, créé en 1822 par ordonnance royale.
Tumblr media
En Italie, est constitué le corps des soldats à cheval (corpo dei militi a cavallo), par décret royal en 1860.Conçues pour opérer dans les îles, dont les membres sont originaires, ces deux unités vont souffrir d’une contradiction : les personnes recrutées connaissent bien le terrain mais elles sont, pour une grande part, en relation (famille, amitié, complicité…) avec les bandits qu’elles sont censées combattre. Dans les deux îles, certains supplétifs, se serviront de leur fonction pour régler des comptes personnels. Il faut dire que le recrutement n’est pas des plus rigoureux. En Corse, une grande partie des hommes du bataillon sont d’anciens soldats corses qui veulent rentrer chez eux. En Sicile, les commissions de recrutement sont noyautées par des hommes de ce que l’on appelle déjà la Mafia. Certains recrutés sont des repris de justice.  Leur connaissance du terrain donnera, parfois, de bons résultats. Mais la plupart du temps leur efficacité, relative, s’exercera sur des bandits de second plan.Les deux corps possèdent des effectifs, relativement importants. En Corse, le bataillon dispose d’un « (…) effectif de 421 militaires », selon Vincent Ossadzow. In revue de la gendarmerie nationale. L’unité aurait compté jusqu’à « 945 hommes », selon Jean-Baptiste Marcaggi. In Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui. Déjà cité. Le statut des deux corps de supplétifs est particulièrement ambigu. Ils sont à disposition des unités régulières (gendarmerie, carabiniers), mais ne sont pas placés sous leur ordre direct. Ils ne logent pas dans des casernes, mais chez eux. L’ambigüité du statut s’ajoute à celle de leur méthode de recrutement. Il va expliquer, en grande partie, les exactions commises par ces unités. « Dès qu’un homme du peuple se trouve mêlé à une inimitié capitale, il sollicite d’entrer dans les voltigeurs. C’est pour lui un moyen de sécurité et même, l’oserai-je dire, un moyen de satisfaire ses haines et de venger impunément son injure. Aussi ne voyons-nous que trop souvent des contumax tués par la force armée. Ces horreurs sont toujours colorées par des procès-verbaux constatant que la force armée a été attaquée et qu’elle n’a fait que se défendre ; mais presque toujours, c’est de guet-apens que sont tués les bandits ou ceux que l’on prend pour tels ». Mottet  (procureur général à Bastia de 1833 à 1836), Rapport, cité par Xavier Versini, La viequotidienne en Corse au temps de Mérimée, Hachette, in Le bataillon des voltigeurs corses Vincent OSSADZOW, maitrise d’histoire. La Sorbonne (Paris IV). Dans son travail, V. Ossadzow, publie des éléments sur « les voltigeurs » qui sortent de l’unité, pour différentes raisons. Son étude porte sur 1560 voltigeurs enregistrés : 
Démissions : 400
Abandons de poste : 4
Radiations suite à Inspection : 37
Radiés, sans précision : 19
Condamnés : 24
 Le niveau d’exaction est particulièrement élevé en Sicile. En résumé, une partie des effectifs combat les bandits « ordinaires » avec une certaine efficacité et beaucoup de cruauté. Mais les mafieux sont préservés, ce sont souvent ces derniers qui servent d’informateurs pour se débarrasser des bandits « ordinaires » qui leur font concurrence. Une grande partie du corps a été instrumentalisé (recrutement, usage…) par le système mafieux
Tumblr media
Devant ces difficultés, les deux États vont se résoudre à dissoudre ces unités. Pour les Voltigeurs corses, se sera en 1850. Pour les Militi a cavallo, l’opération se fera par  étapes, avec un point final en 1892. En Corse, une partie des effectifs est reversé dans la gendarmerie. En Sicile, la situation sur le terrain est plus violente. Les carabiniers et la police d’État manquent d’hommes efficaces et sûrs. Les unités de militi a cavallo sont réparties par Province (équivalent de nos départements). Elles seront dissoutes par étapes successives, sur plusieurs années, jusqu’en 1892. Lors des dissolutions, plusieurs supplétifs seront emprisonnés pour divers délits, notamment dans l’unité de la Province de Palerme. Cette Unité est plusieurs fois dissoute et reconstituée. La province de Palerme considérée comme la zone originelle de la mafia sicilienne.
Tumblr media
  En Sicile une partie de l’effectif, considérée comme fiable, sera reversée dans le corps des carabiniers ou de la police d’État. Dans les deux pays, la création de ce type d’unité partait d’un bon sentiment, mais se heurtait au principe de réalité. Cet exemple n’est qu’un des points du problème global : l’intégration difficile des deux îles, récemment acquises, dans des États nations.
Opération policière (1931), gros moyens, résultats mitigés
Les gros moyens déployés en Corse, par les autorités, ressemblent en partie à l’opération qui sera lancée en Sardaigne dans les années cinquante. Officiellement il s’agit de pourchasser les bandits partout où ils se trouvent, ainsi que ceux qui les protègent.
Tumblr media
En réalité, les résultats seront mitigés et la  seconde guerre mondiale effacera l’opération de la mémoire des chroniqueurs. 
Tumblr media
*Le gouvernement comprend deux ministres corses : François Piétri et Adolphe Landry
** Pierre Laval collaborera avec l’occupant nazi. Il est jugé et fusillé en Octobre 1945. Au déclenchement de l’opération « Épuration du maquis » (1931) le député communiste, Jacques Doriot, interpelle le député Corse Camille de Rocca Serra à l’Assemblée Nationale : « De quel bandit êtes-vous l'ami?- Chacun sait que chaque homme politique est, en Corse, l'ami d'un bandit ». J. Doriot deviendra collaborationniste d’extrême droite durant l’occupation. Camille de Rocca Serra perdra ses droits civiques, à la Libération, il avait choisi le mauvais camp.
***LA PRESSE FRANÇAISE CONTINENTALE ET L'EXTERMINATION DES BANDITS CORSES EN 1931.
Nous avons vu que dans l’histoire des « bandits corses »,  certains d’entre eux étaient protégés, juridiquement,  par « des puissants » et que ces derniers protégeaient et bénéficiaient d’une certaine mansuétude des autorités.
 Nous voyons que certains bandits protègent, physiquement (il ne s’agit pas forcement d’un rôle de garde du corps. Ce peut être une aide «physique » lors de campagnes électorales ou de dépouillements des bulletins) des « puissants ».  En retour, ils sont protégés par eux juridiquement, ce qui permet aux bandits d’échapper aux foudres de la Justice. Nous sommes bien dans un échange « clientélaire », base du système. Mais, dans le cas des bandits, s’y ajoute la violence.
 De ce fait, une autre question s’impose : le « système » claniste a-t-il pesé sur le développement économique et si oui, de quelle manière ? Historiquement, il est indéniablement co-responsable de la situation actuelle. La gestion originale et « non-dite » de la politique en Corse, le « gentleman agreement » passé entre le pouvoir local et l’État ne peuvent pas ne pas avoir eu de conséquences.
 Que s'est-il passé en deux siècles et demi, depuis le rachat de la Corse à la République de Gènes? Pour le début de la période (18ème siècle), c'est le géographe André Rondeau qui résume le mieux l'attitude du pouvoir central, dès le départ: "Les gouvernements de Louis XV et de Louis XVI ont tout de suite compris qu'ils ne pouvaient rien demander à un pays qui venait de vivre dans l'insécurité pendant 30 ans. Ils firent l'inventaire des ressources (...) et conclurent  qu’ils ne pouvaient rien tirer de ce pays. Ils comprirent vite que la Corse constituerait toujours une charge, pour le budget général. Aussi en échange d'impôts très légers, ils accordèrent subventions diverses, bourses etc... et laissèrent les Corses "'récupérer" et se développer comme ils l'entendaient" In La Corse (1964). Analyse confirmée par l’anthropologue (CNRS) Gérard Lenclud: "La société englobante (l’État français NDLR)n'a agi en Corse que par délégation. Elle a toléré que subsiste un certain écart entre les particularismes insulaires et les dispositifs administratifs mis en place sur l'ensemble du territoire national" In En Corse-Une société en mosaïque.
Analyse confirmée par le député (UDF) de Corse du Sud, José Rossi, devant la Mission d’information commune sur la Corse, menée par les députés (1996) :
"En réalité, bien avant le statut particulier de 1982 et même avant 1973, date à laquelle j'ai été élu pour la première fois, la Corse vivait déjà sous un statut particulier, car l’État  s'appuyant sur une organisation politique spécifique, avait laissé se développer en Corse non pas une zone de non-droit  -le mot est inadapté- mais une zone dans laquelle la République n'était pas tout à fait administrée comme partout ailleurs. Depuis longtemps déjà, l’État avait appris, en Corse, à assouplir la loi et à trouver les compromis nécessaires qui permettaient de gérer les choses de manière approximative".  Volume I, rapport n° 3511, page 38.
L’ensemble de ces constats, mènent à ce que je nomme « une autonomie clandestine ».
 L’île s’est habituée à un mode de gestion politique particulier qui a forcément influencé la sphère économique et sociale.
La culture de la vendetta et le banditisme ont-ils été instrumentalisés par les clans au pouvoir ? Pour l’historien britannique Stephen Wilson, il n’y a pas de doute : « (…) en pratique, le banditisme sert les intérêts de l’élite ou de factions à l’intérieur de cette élite et cet aspect s’est accentué vers la fin du XIXème siècle et au début du XXème ». S. Wilson poursuit « Au cours du XIXème siècle, les classes supérieures cessent d’être directement impliquées dans les vendettas et leurs membres préfèrent s’affronter par l’intermédiaire du patronage et de la manipulation du système politique et administratif ». In « Vendetta et banditisme en Corse au dix-neuvième siècle ».
Si des bandits ont rançonné, pour leur compte, la fonction d’interphase avec le Pouvoir faisait également partie du jeu. Sommes-nous en train de passer d’une « fonction » majoritairement « Politique », à une dimension plus « Économique » ? Cette évolution du banditisme accompagnerait ainsi celle de la société corse.
 Du clanisme vers la « Mafia » ?
En Corse, le système antérieur, a-t-il préparé le terrain à un banditisme « moderne », ou bien assistons-nous à une suite logique ? Un phénomène du genre : « Si nous voulons que tout demeure en l’état, il faut que tout change ». In « « Le guépard » de  Giuseppe Tomasi di Lampedusa. « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi». Cette phrase, devenue maxime, est un parfait résumé de la « philosophie » du pouvoir local de la Sicile du XIXème siècle décrit dans ce roman. Assistons-nous, toutes proportions gardées, au même scénario en Corse ? La question se doit d’être posée.
Pour la période antérieure, nous avons vu deux choses :
.Une répartition des tâches, entre État, pouvoirs locaux et bandits (Bourde, Busquet, Wilson).
.Ce système politique, car c’en est un, ne favorise pas l’accumulation du capital dans de grandes proportions. Ce système est répandu dans les zones du monde où le banditisme est développé. Ce qui fait dire à l’historien britannique Eric Hobsbawm  que : « le but de ce type de politique ne soit pas l’accumulation du capital, mais le renforcement de l’influence familiale ». In Bandits. Il faut préciser que « L’influence familiale », c’est du capital social. Rappelons que si le clanisme a pu s’appuyer sur le bras armé des bandits, il n’était pas un système à vocation criminelle, même s’il pouvait en adopter certaines méthodes.
 Oui, mais les temps changent. Il faut du capital (financier) pour conserver le pouvoir. Comment l’acquérir et le conserver, quand il n’existe pas une tradition « capitaliste » ? La captation  est la solution, face à l’absence d’accumulation historique et exponentielle du capital. Pour les observateurs, c’est une façon de passer du système de « patronage », répandu en Méditerranée, à une bourgeoisie d’affaire marqueur du monde contemporain. Ce sont ces bouleversements que vit « en direct » la société corse, sans pouvoir toujours les digérer ou les analyser calmement.
 Le « patronage » c’est la méthode originelle. S. Wilson en donne une définition limpide : « Dans le monde méditerranéen moderne (19ème siècle NDLR), les patrons apparaissent comme des médiateurs entre des communautés pauvres, arriérées et isolées, et l’appareil d’État central ». Wilson poursuit « Dans un certain sens, les réseaux de patronage constituent une alternative de type « mafia » à l’organisation bureaucratique de l’État ». In « vendetta et banditisme en Corse au 19ème siècle » déjà cité.
Du 19ème siècle à nos jours, « la transmission des tâches » s’est-elle poursuivie ? José Gil y répond, en partie. Cet enseignant de philosophie ajoute au « duo » État-Clans, un troisième partenaire, récent sur le marché politique : les nationalistes. J. Gil parle de « trois pôles »  ou de « triangle » qui fonctionnent sur la « complicité ».  Le rôle du « pôle » : distribuer le pouvoir et contrôler la violence à un « taux acceptable ».  Au début des années 90, le « triangle » dysfonctionnait et cela produisait une « confusion schizophrénisante ». J. Gil conclut : « s’il faut sauver la Corse d’un processus possible de « mafiosisation », il faut y établir fermement et entièrement la démocratie. Il faut, pour cela, bien sur, beaucoup de courage politique ». In Libération du 20 Novembre 1996. « Corse : feu le « système » de la violence ».
 Ce rapport ambigu entre la classe politique dite « traditionnelle », des nationalistes et certains milieux économiques est également rappelée par Jean-Louis Briquet «  Des ≪  connivences ≫  ont en outre été relevées entre des responsables nationalistes et des élus traditionnels de l’ile, qu’il s’agisse encore une fois de soutiens électoraux ou d’alliances politiques que l’on peut soupçonner d’avoir eu pour finalité de consolider des intérêts d’affaires entre acteurs politiques et économiques locaux. ».In « Milieux criminels et pouvoirs politiques », chapitre : « La question de la « dérive mafieuse » du mouvement nationaliste ». Déjà cité. Nous reviendrons sur cette question, dans  un futur article « Nationalisme corse et criminalité».
Dans le système de compagnonnage, les « patrons » sont les hommes politiques et les « clients » sont les habitants. Nous sommes,alors, dans un rapport de clientèle. Un service : une place, un certificat de complaisance, ou non, un appui à une autorité administrative, est payé en retour par le soutien armé, puis le vote à partir de l’introduction du suffrage universel (le second n’exclut pas le premier). Ce rapport de « client » à « patron » dessine une façon de vivre et possède une importante fonction sociale. Nous retrouvons ici la notion de « capital social ». Une formule associée à l’existence des mafias. J'aborderai l'importance du capital social (et du capital financier) dans le prochain article.
Tumblr media
Une autre réponse s’adresse aux  nostalgiques d’une ancienne époque considérée comme plus « équilibrée ».  A ceux qui pensent que « c’était mieux avant », du temps mythifié de rapports, soi disant apaisés, entre la sphère politique, les bandits, les chefs d’entreprise et la population, nous pouvons répondre que la violence était bien présente à l’intérieur de ce « triangle ». Plus de cent meurtres ou assassinats, certaines années du 19ème siècle, étaient enregistrés en Corse.
L’activité économique de l’île était (très) limitée et de nature essentiellement agricole. Le politique dominait le « triangle », mais les rapports, entre les trois pôles étaient de même nature.
La violence actuelle est à mesurer à l’aune du volume des affaires. Le niveau et la nature de la violence se calquent sur le contenu de l’économie contemporaine.
Pourtant de la même façon, J. L. Briquet retient que « les institutions nouvelles se sont adaptées à des modèles éprouvés d’établissement des relations politiques et de gestion partisane des ressources publiques, dont elles ont contribué à la permanence ».
 Le prochain article poursuivra sur le même thème : «Le clanisme, un pas vers la mafia ? ». Ce système a-t-il, même involontairement, préparé le terrain à une organisation mafieuse de la société ?
 Bibliographie :
Petru vellutini pastori. Mathée Giacomo-Marcellesi. Ed. Albiana
 La Corse et la République. La vie de la fin du second Empire au début du  XXIè siècle. Jean-Paul Pellegrinetti-Ange Rovere. Ed. Seuil
Élites et pouvoirs locaux. La France du Sud-Est sous la Troisième République. Bruno Dumons-Gilles Pollet. Presses Universitaires de Lyon
 En Corse-L’esprit de clan-Mœurs politiques- Les vendettas-Le banditisme. Paul Bourde. Ed. Calmann-Lévy (1887). Réédition Lacour-Ollé (2014)
 Les bandits. Eric Hobsbawm. Ed. Zones (2008), réédition La Découverte (2018)
 Bandits corses-Des bandits d’honneur au grand banditisme. Grégory Auda. Ed. Michalon
 Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui. Jean-Baptiste Marcaggi. Ed. Albiana
 Vendetta et banditismes en Corse au dix-neuvième siècle. Stephen Wilson. A Messagiera-Albiana
 Le droit de la vendetta et les paci corses. Jacques Busquet. E. Jeanne Lafitte
 Les rois du maquis. Pierre Bonardi. Ed. André DELPEUCH, Paris, 1926.
 Grandeur et misère des bandits de Corse. Caroline Parsi-Jacques Moretti. Ed. Alabiana
 En Corse. André Rondeau. Armand Colin (1964)
 En Corse. Une société en mosaïque. Gérard Lenclud. Ed. La maison des sciences de l’homme
 La Corse. Entre la liberté et la terreur. José Gil. Ed. La Différence
Milieux criminels et pouvoirs politiques Les ressorts illicites de l'Etat. Sous la direction de Jean-Louis Briquet,Gilles Favarel Garrigues. Ed. Kartala
Mafia et politique. Michel Pantaleone. Gallimard
 Les gendarmes en Corse (1927-1934). Simon Fieschi.  Service historique de la Défense
 Économie et société/1 Les catégorie de la sociologie. Max Weber. Plon-Pocket. Peut être lu en ligne
 Collection journal L’illustration
 Guides Joanne – 1885-1885
 Liens vers sites et revues :
Le bataillon de voltigeurs corses (1822-1850). Vincent OSSADZOW. Maitrise d’histoire contemporaine. La Sorbonne (Paris IV), Octobre 2000
La sicilia nel 1876.Rapporto di Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino « Progetto Manuzio »
  Les tourments du tourisme sur l'île de Beauté. Josephe Martinetti. Revue Hérodote 2007/4 (n°4)
Mafia et économie légale : pillage et razzia. Clotilde Champeyrache. In Revue Hérodote 2009/. (n°134)
Le banditisme en Corse (1871). Alfred Germond de Lavigne. Réédité par Lacour 1991
 Du clientélisme politique. Pierre Tafani. Revue Mauss 2005/1 (n°25)
Alain VERDI le 14 Novembre 2022
cet article peut être lu sur le blog de Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
La criminalité en Corse, une illustration de la situation méditerranéenne ?
La criminalité, en Corse, est-elle d’un genre « original » ou bien s’inscrit-elle dans le droit file de ce qui se passe dans les « régions mafieuses » du Mezzogiorno, particulièrement en Sicile ? L’éloignement de l’État, la présence de familles délinquantes, sont des points semblables. Mais le niveau de violence et les conditions socio-économiques sont dissemblables.
Alain VERDI le 10 Novembre 2022
La violence en Méditerranée : une culture semblable, des Histoires variées
L’idée de départ de ce blog est, après avoir constaté un niveau élevé de violence en Corse, d’essayer de comprendre quelle est la nature de cette violence, quelles sont les conséquences. En connaissant mieux les motifs et les responsabilités, il est possible d’envisager des solutions.
La question reste : Corse, Mafia or not Mafia ? Nous n’avons pas la prétention de répondre, avec certitude, à une telle interrogation. Simplement, en comparant l’Histoire et l’actualité de la Corse et de certaines régions mafieuses, Italie, Japon, USA…, nous possédons des éléments qui peuvent nous éclairer sur la situation d’un territoire d’à peine 350 000 habitants. Par comparaison, à elle seule, la ville de Palerme (Sicile) compte plus de 630 000 hab.
 Quelle « Violence » ?
Pour les populations, les violences « ressenties » sont liées à la sécurité du quotidien : cambriolages, vols à l’arraché, vols de et dans des véhicules… Il faut ajouter d’autres types de violences : assassinats (préméditation), meurtres, coups et blessures.  A noter que les violences familiales (contre enfants et conjointes) sont en hausse significative, particulièrement durant les confinements liés au COVID.
Dans notre travail, la référence est la violence liée à la grande criminalité : assassinats, racket, destructions de biens. Mais aussi usure et captation de propriétés, notamment.
 La Corse tient le haut du pavé en termes d’homicides « hors cadre familial », en France métropolitaine,  hors DROM (Département et Régions d’Outre Mer). Tous les homicides effectués en Corse ne sont pas liés à la grande criminalité, mais ce dernier cas représente la majorité. Normalement, la gravité d’un meurtre ou d’un assassinat n’est pas liée à l’origine de l’acte (un quidam ou un gangster), mais à sa gravité (modus operandi, circonstances…).
En Italie, le droit (code pénal) distingue la criminalité « ordinaire » (article 416)  et celle de « type mafieux » (article 416 bis). Dans le second cas, les peines prévues sont plus sévères.
Pour la Corse nous verrons, plus loin,  la place qu’elle occupe dans certains types de délits.
Pour l’Italie, la particularité mafieuse ne doit pas faire oublier les autres crimes et délits. Le journal Il sole 24 ore tient un tableau annuel des crimes et délits (tous confondus) depuis 2016, sur la base d’un acte pour 100 000 habitants, dans 108 provinces (équivalent de nos départements). Pour l’année 2022, c’est la ville de Milan qui arrive en tête, voir tableaux. La première ville sicilienne, Catane, est en 26ème position. Il faut noter que la majorité des délits commis à Catane, relèvent de vols (12ème position), particulièrement dans des véhicules. Ce haut niveau de délits « non mafieux » au sens du code pénal italien, dans des « régions mafieuses » vient partiellement contredire le mythe d’une « pax mafiosa ». Cette idée voudrait que dans les zones de forte implantation de familles mafieuses, la sécurité des biens est assurée (garantie ?) par les mafieux, moyennant la « taxe » du racket (pizzo). Catane est la seconde ville sicilienne (312 000 hab.), mais connaît une moins grande implantation mafieuse que Palerme ou Agrigente. Ceci peut expliquer le haut niveau de délinquance non mafieuse. Cependant, le tableau montre que des « provinces mafieuses », des quatre grandes « régions mafieuses » connaissent aussi une délinquance « ordinaire » relativement élevée. Les mafias essayent de mettre la main sur des domaines « stratégiques » : drogue, racket d’entreprises, appels d’offres… mais la « pax mafiosa » ne concerne pas tous les secteurs et tous les territoires des « régions mafieuses ».
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la tentative de comparaison des niveaux de violence entre la Corse et la Sicile.
 La Sicile, une vieille Histoire de la criminalité
La criminalité en Sicile et notamment le rôle de la Cosa Nostra a servi de fil rouge à une grande partie de mon propos, dans ce blog. Comme je l’écris dans mon introduction, comparaison n’est pas raison. Cependant, comme il est question de savoir s’il existe une Mafia corse, nous avons avec la Sicile une matière intéressante à étudier et bien documentée, dès le 19ème siècle. Je ne referai pas, ici, une histoire de la violence en Sicile, ni celle de la Cosa Nostra. La lecture des ouvrages cités au cours de mon travail permet de comprendre l’Histoire de la plus grande et la plus peuplée des îles de Méditerranée.
_____________________________
J’ouvre ici une parenthèse pour signaler le tableau, ci-dessous, sorte de hit parade régional de la criminalité italienne de la fin du 19ème siècle,  publié par un français, le docteur Albert Bournet en 1886, dans son rapport intitulé «La criminalité en Sicile ». Page 265 et suivantes du rapport. Ce médecin-criminologue passe en revue les statistiques de la criminalité italienne et consacre un chapitre de son rapport à la Sicile.
La fiabilité des statistiques en matière criminelle est toute relative, particulièrement à cette époque. De plus, il faut se souvenir que « la criminalité » est prise dans son ensemble. A la fin du 19ème siècle, il n’existe pas de criminalité mafieuse reconnue dans le code pénal italien. L’article 416 Bis apparaît en 1982.
Tumblr media
Nous pouvons noter un « basculement » entre les deux périodes du tableau ci-dessus. Les régions du Sud du pays tiennent le haut du pavé.
Dans le dernier tiers du 19ème siècle, le Latium, tel que nous le connaissons aujourd’hui ne prendra sa forme définitive (avec la ville de Rome) qu’en 1870, avec la réunification (Risorgimento)  quasi-totale. Rome devient la capitale de l’Italie en 1871. Depuis cette date, le Latium occupe toujours une bonne place au classement de la criminalité italienne. Le statut de capitale, l’augmentation de la population de Rome et les intérêts politico-affairistes y sont  pour quelque chose. On ne connaît pas à ce jour l’existence d’une véritable mafia romaine (Voir Mafia Capitale, la mal nommée), mais de nombreux dossiers de grande criminalité et des affaires de corruption défraient régulièrement la chronique romaine.
Plus surprenante est la place de la petite Ombrie, à cette époque. Les motifs de cette criminalité, autour de Pérouse, ne sont pas détaillés dans le rapport Bournet. Une précision nous est apportée par l’historien Sylvain Gregori, directeur du musée de Bastia. La région romaine, au sens large, connaît un haut niveau de banditisme depuis, au moins, le 16ème siècle.
Tumblr media
Cependant, à la lecture de l’ensemble du rapport Bournet, la prudence s’impose. Nous y trouvons un mélange de statistiques (de sources italiennes) et de considérations personnelles, pas toujours très scientifiques, sur le caractère et les mœurs des habitants des régions italiennes en général et des Siciliens en particulier.
Il faut noter la place, en milieu de tableau de la région des Pouilles. La transformation de la criminalité locale en mafia et l’accroissement des délits est un fait relativement récent. Cette région méridionale aurait évolué « ces dernières décennies » dans le sens d’une « gestion mafieuse d’un territoire originellement non mafieux ». In Rapport DIA, premier trimestre 2020, page 238.
A.Bournet se risque à une comparaison avec la Corse : « De 1868 à 1877 la Sicile prend le premier rang dans la statistique de l’homicide et le garde comme la Corse pour la statistique judiciaire française » Il poursuit : « La Corse a la vendetta, ce fléau génois qui lui procure une moyenne de 30 accusés pour 100 000 habitants, tandis que la France entière n’en a que 11 ». Jusque là, rien à redire, les statistiques citées, recoupent globalement d’autres sources. Mais la biographie du docteur Bournet stipule également son statut « d’écrivain ». Et là nous retrouvons des commentaires approximatifs, qui sont des appréciations personnelles, sur les deux îles,  « collées » à l’outil statistique : « Ces deux îles en effet ont à peu près les mêmes mœurs crues et tranchées, les mêmes populations en dehors de la civilisation et de la culture ». Propos rédigés avant son « étude » réalisée en Corse, si l’on en croit les archives.
Tumblr media
Il faut signaler qu’Albert Bournet a publié un court rapport (30 pages) sur « La criminalité en Corse-notes prises pendant une mission scientifique». Rapport versé aux archives du service « Anthropologie criminelle et des sciences pénales » (1888). Le rédacteur écrit pourtant : « j'ai passé en Corse trop peu de temps, et j'aurais mauvaise grâce à vouloir juger par moi-même l'état moral de l'île » (P.6). Pourtant, il cédera à la tentation du commentaire, malgré le « peu de temps ».
Enfin, pour situer le niveau de criminalité en Sicile au 19ème siècle, je retiens un nombre cité dans le rapport de L. Franchetti et S. Sonnino : « les personnes en fuite, touchées par un mandat d’arrêt sont au nombre de 1368, pour toute la Sicile ». In « Condizioni politiche e amministrative della Sicilia » (chapitre I, « conditions générales »).Déjà cité.
Le 19ème siècle, une période lisible
Nous avons déjà vu que les mafias italiennes apparaissent dans le viseur des autorités dès la seconde partie du 19ème siècle. Le rapport Franchetti-Sonnino approchait relativement près de la description d’une Mafia.
Coté Corse, les descriptions rédigées à cette époque (Blanqui, Bourde) donnent également une vision d’ensemble du contexte de l’île.
 Le (court) rapport d’A. Bournet, sur « La criminalité en Corse » (1888) est riche en chiffres et en statistiques. Le criminologue précise, lui-même, qu’il faut prendre les données qui lui sont fournies avec précautions.  A la lecture des chiffres, il constate que :
« Pour Sartène comme pour le reste de la Corse, sur la multitude des délits et des crimes il n'y en a pas un tiers qu'on puisse expliquer par le vol. »
« C'est en cela surtout que la Corse diffère étrangement de la Sicile où la cause sociale, le socialisme agraire, explique tout ».
Cependant, tout au long de son rapport, A.Bournet s’offre le luxe de commentaires personnels, qui ne sont pas toujours le résultat d’une enquête approfondie :
« C'est en cela aussi qu'elle diffère du Continent où le criminel naît au sein d'une population vicieuse, d'individus vicieux vivant dans le vice, de criminels vivant dans le crime ». Pour comprendre les raisons de ces appréciations « à l’emporte-pièce », il faut se reporter à l’époque. Au 19ème siècle, l’anthropologie criminelle s’appuie sur le « comportemental ». A l’époque,  La criminologie tâtonne et se développe en cherchant les « bonnes explications ». Les explications « comportementalistes » toucheront souvent au racisme, dans le contexte des conquêtes coloniales. A l’exemple du docteur Antoine Porot (1876-1965), fondateur de l’école psychiatrique d’Alger qui parle dans son ouvrage « notes de psychiatrie musulmane » de « véritable hystérie de sauvage ». Que ce soit dans les colonies (françaises ou italiennes) ou dans les territoires excentrés et méridionaux de ces deux pays,  l’explication de la violence repose, à l’époque, plus souvent sur un présupposé racial (comportementaliste) que sur des analyses politiques et sociales qui remettraient en question le principe même du colonialisme et/ou de la gestion « maladroite » des territoires nationaux périphériques.
Même les auteurs de « l’enquête privée » en Sicile, tombent dans le travers de l’époque. Alors que le rapport « la Sicilia nel 1876 » contient des analyses objectives et documentées des causes de la violence, Léopoldo Franchetti ne peut s’empêcher d’écrire : « La grande facilité au sang de la population de la cité et des campagnes autour de Palerme a, selon l’opinion générale, son origine dans plusieurs causes (…) comme le mélange de sang arabe et surtout berbère chez les habitants ». L’aristocrate (Baron) et sénateur (Libéral) L. Franchetti, homme politique cultivé, grand voyageur parlant plusieurs langues semble appliquer la théorie « comportementaliste » de bonne foi, contrairement au docteur Porot qui affiche un racisme assumé et à A. Bournet qui semble trouver les différentiations « naturelles ».  Mais tous baignent dans leur époque, avec la bonne conscience d’être du bon côté de la morale.
 Pour la Corse, il faut noter une hypothèse intéressante, même si ce n’est qu’une « conjecture » comme l’écrit lui-même A. Bournet en constatant que plusieurs criminels, en Corse : «sont plutôt des criminels d'occasion auxquels le courage, la force d'âme et la franchise n'ont pas manqué au début ». 
« C'était de braves cultivateurs avant leur premier crime. Il y a là matière à tout un livre d'étiologie criminelle : « Comment on devient bandit ». Ces « braves » auraient été, souvent, dépravés par un système carcéral particulièrement déficient en Corse. A.Bournet fait une description apocalyptique de la majorité des prisons de Corse (P 21 à 24) :
« Promiscuité absolue, inaction complète, conditions hygiéniques déplorables, entrepreneurs de services économiques violant le cahier des charges, tout est réuni pour opérer avec une effrayante rapidité la dissolution totale de l'homme moral et de l'homme physique ». A verser à son crédit, la presse nationale et régionale ne s’est jamais vraiment fait l’écho de conditions de détentions dans des cellules « infectes » à Sartène ou pire encore celle de Corte où «(…) il faut remonter aux cachots du Moyen Age pour trouver des lieux de détention plus sombres et plus infects » et où « six mois de prison (…) dans des conditions ordinaires, valent une condamnation à mort » (P. 23).
Ce que montre ce récit, c’est une déplorable gestion de l’administration et ses relations avec les élus insulaires : « Ces faits d'ailleurs sont connus. Chaque année le Préfet de la Corse les révèle au Conseil général. Malheureusement les assemblées représentatives de la Corse sont serviles ou tracassières, travaillées par les intérêts de clan et de personne. A chaque session le Conseil général s'émeut... mais cette émotion fait bien vite place à la politique ». Encore et toujours l’éternel jeu du chat et de la souris. Mais là il s’agit d’un criminologue mandaté par le Ministère de la Justice qui l’écrit. Pourtant, l’affaire est classée… aux archives.  Une illustration de plus, comme s’il en était besoin, que c’est le statu quo qui intéresse les autorités locales et nationales.
Dès le 19ème siècle, les regards sur les violences méridionales se posent différemment selon les traditions des pays concernés :
Le rapport de l’enquête privée des parlementaires italiens (L. Franchetti-S. Sonnino)  s’intitule : « les conditions politiques et administratives de la Sicile » (1876). La lecture du rapport montre une liberté de ton qui se confirme tout au long de l’histoire de l’Italie.
Le rapport d’Adolphe Blanqui (1838) parle de « l’état économique et moral de la Corse ». Sa lecture nous fait découvrir une grande prudence du rédacteur sur les causes politiques de la situation en Corse.
En Italie, certains pressentent que le problème est « politique ». L’unité du pays est récente et pour une partie du Sud, la greffe n’a pas complément pris.
En France, pays unifié depuis longtemps, la question de la « greffe corse » semble un tabou. Le problème ne peut être qu’économique et/ou moral. Il n’est pas question d’admettre qu’un territoire métropolitain est sous administré et qu’un pouvoir central fort a délégué une grande partie de ses prérogatives aux pouvoirs locaux. Ce serait en complète contradiction avec la doxa.
Bien-sûr, dans les deux pays la différence d’approche ne change rien au résultat. Pour la Corse, comme pour le Mezzogiorno,  la sous-administration va perdurer, même si cela se fait sur des modes différents, avec des conséquences également différentes. En Corse l’État « délègue » par désintérêt. En Italie il veut bien essayer, volonté d’unité oblige, mais il n’en a pas les moyens.
 Dans les deux cas, l’État envoie un signal de faiblesse.
L’État lointain ou absent, les bandits proches
Tout ne débute pas au 19ème siècle. Mais alors, quand ? Depuis la nuit des temps pourrait-on répondre. Contentons-nous des travaux des historiens. Le 16ème siècle est un bon point d’appui. L’historien Fernand Braudel « amoureux de la Méditerranée » s’est penché sur le banditisme autour de la mare nostrum au cours du 16ème siècle. Il constate : « qu’aucune région de Méditerranée n’est exempte du mal. Ni la Catalogne, ni la Calabre, ni l’Albanie (…) n’ont le monopole du brigandage ». Il précise : « je dirais volontiers qu’il est toujours logé dans les zones de faiblesse des États ». Ces bandits ont, aussi, une fonction : « (…) multiple et polyvalent, le banditisme au service de certains nobles est dressé contre certains autres ». F. Braudel ajoute : « la liaison est indéniable entre la noblesse catalane et le brigandage des Pyrénées, entre la noblesse napolitaine ou sicilienne et le banditisme du Sud de l’Italie (…). In Misère et banditisme au 16ème siècle. Annales. N.2, 1947, déjà cité.
Nous voyons que, au-moins, dès le 16ème siècle se dessinent les contours des rapports entre les pouvoirs et le banditisme/brigandage, dans des régions comme la Sicile ou la région de Naples (Campanie).
 Nous avons observé quelques statistiques sur la criminalité italienne, dans des régions du Sud : Sicile, Sardaigne, des zones présentées comme historiquement violentes depuis des siècles. La Corse est-elle dans le même « courant » ?
 Il n’est pas sûr que F. Braudel ait lu le livre de Paul Bourde. Ce dernier notait déjà le rapport entre la faiblesse de l’État et le banditisme. En 1887, le journaliste s’interroge, à propos des bandits : « Combien  y en a-t-il actuellement ? »
« A cette question la gendarmerie répond une centaine ; la préfecture deux cent cinquante à trois cents ; les officiers de gendarmerie de cinq à six cent ».   Pourquoi des nombres aussi différents et élevés ?
Dans la version haute, les autorités comptabilisent tous les individus en fuite, y compris pour un simple délit. Paul Bourde signale que plusieurs personnes préférèrent tenir le maquis  plutôt que « payer une amende ou de subir quelques jours de prison ».  Pourquoi un tel choix disproportionné ?  Paul Bourde estime que « (…) le Corse règle la plupart de ses actions d’après des haines. Quand on le persécute pour lui faire payer une amende ou pour le traîner en prison, il y a toujours un ennemi derrière l’agent de l’autorité ». En d’autres termes,  il décrit une situation ou le libre arbitre est absent. L’individu poursuivi pour un délit, même mineur,  estime que c’est le clan adverse qui est responsable de ces poursuites. Il n’y a pas, globalement, de conscience d’une neutralité de la Justice, au dessus des factions.
Cette méfiance envers la neutralité des autorités judiciaires et policières n’est pas une spécificité corse. On retrouve cette défiance dans toutes les sociétés agropastorales du bassin méditerranéen. L’exemple des bergers sardes est cité par le géographe français, Robert Bergeron : « le pâtre sarde a une telle défiance à l’égard des institutions de l’État que dès qu’il se sent recherché, fut-ce pour un léger délit, ou même une simple enquête, il préfère prendre le maquis, devenir latitante (en cavale) ». Problèmes de la vie pastorale en Sardaigne. In Revue géographique de Lyon (1969) Vol.44, n°3.
La querelle sur le niveau de la violence en Corse n’est pas nouvelle. Soulevée par P. Bourde au 19ème siècle, elle fait déjà débat au… 17ème siècle.
Tumblr media
Les chiffres publiés, aux différentes époques, doivent être pris avec précaution, le niveau affiché est élevé. La première partie du 19ème siècle semble atteindre des pics. Ainsi François-Guillaume Robiquet note : « D’après ces renseignements adressés à la préfecture, il aurait été commis dans le département, du 1er Janvier 1821 au 31 Décembre 1832, quinze cent vingt et un homicides ou tentatives, cent vingt-sept par an environ ». Dont  plus de la moitié «avec préméditation ». In Recherches historiques et statistiques sur la Corse (1835).
Corse : une violence « différenciée »
Existe-t-il une particularité de la violence observée en Corse ?
Au moins depuis le 19ème siècle, avec un plus grand usage des statistiques criminelles, on peut mieux observer la violence en Corse. Elle semble se caractériser en deux niveaux différents, par rapport à la violence sur le continent français :
.Inférieur pour la majorité des délits : cambriolages, viols, vols…
.Supérieur en ce qui concerne les attentats contre les biens et les personnes. Le taux d’homicides tient le haut du classement depuis longtemps.
P. Bourde le remarquait déjà en 1887, les homicides dominent :
« Les rapports de gendarmerie n’ont pas signalé moins de cent trente-cinq attentats contre des personnes (homicides ou tentatives NDLR) pendant l’année dernière (1886) ». Déjà la comparaison nationale est là : « c’est un par 2000 habitants : quatre fois plus que dans le département de la Seine ».
« La réalité est que sur cinq crimes commis, quatre sont le résultat de rixes ou d’inimitié (presque point de crime par cupidité) … ». In En Corse – l’esprit de clan, déjà cité.  
La nature de la majorité des meurtres et assassinats semble expliquer, en partie, la mansuétude des jurys, lors des procès qui se déroulent en Corse. C’est du moins l’analyse que tire l’agrégée d’Histoire, Caroline Parsi qui a consulté les archives judiciaires du fond Vincent Bronzini de Caraffa.
Président des Assises de Bastia (1853-1855) et (1876-1893). C. Parsi dresse le portrait du magistrat, grand bourgeois bastiais : « représentant du pouvoir, mais respectueux, voire défenseur de la société locale ; adepte de la fermeté, mais tolérant dès que la défense de l’honneur est en jeu (…) ». De fait, sous sa présidence, comme avant et après, les lourdes condamnations pour meurtre ou assassinat sont rares. Un tableau significatif du regard que posent les jurys insulaires sur des affaires de crimes, peut être lu dans  LE CRIME D'HONNEUR EN CORSE (DEUXIÈME MOITIÉ DU XIXE SIÈCLE). In revue Hypothèses 2013/1 (16).
Cela dit, il ne faut pas oublier deux éléments dans cette mansuétude des jurys :
Les pressions physiques exercées sur les jurés et le rapport de soutien réciproque entre certaines élites et les bandits.
 Plus d’un siècle après les écrits de P. Bourde, l’ancien Procureur Général de Bastia (1992-1995) Christian Raységuier fait quasiment la même analyse, sur la nature de la criminalité, devant les députés de la Commission d’enquête parlementaire « Sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse ». Rapport publié en Novembre 1999.
« La présentation de la situation en Corse a toujours été "plombée"  par le phénomène des attentats et des assassinats, alors qu'il ne s'agit que d'une partie de la criminalité. La situation de la petite et moyenne criminalité - la délinquance de voie publique - était correcte, acceptable et gérable. Le citoyen, à bien des égards, était beaucoup plus en sécurité en Corse que dans de nombreuses agglomérations du continent : les agressions crapuleuses n'existaient pratiquement pas, la petite et moyenne criminalité de voie publique étaient jugulées. ».
Tumblr media
Près de vingt ans après, les mêmes tendances se confirment dans le rapport de la Sécurité Intérieure (données police et gendarmerie), sur « l’insécurité et la délinquance ». Il s’agit des chiffres de 2019, publiés en Septembre 2020. Une fois de plus, les homicides sont en haut de la pile.
Tumblr media
Le tableau, ci-dessus, est ainsi commenté dans le rapport : « Au niveau régional, seules la Corse et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) présentent des taux d’homicides par habitant significativement différents des autres régions. Alors que les forces de sécurité recensent entre 0,9 et 1,5 homicides pour 100 000 habitants chaque année entre 2017 et 2019 dans les autres régions métropolitaines, ce taux atteint 2,5 en PACA et 4,2 en Corse ».
 Les premiers éléments du rapport 2020 confirment la 1ère place de la Corse dans le tableau régional des homicides.
 L’importance des homicides, comparée au continent français et le fait que l’on enregistre un grand nombre d’assassinats (préméditation) joue-t-il sur la personnalité et le niveau culturel des assassins ? Drôle de question, pourtant elle est soulevée par l’institution judiciaire, dans la première moitié du 19ème siècle. Comme en témoigne le compte rendu, ci-dessous.
Tumblr media
Pour ce qui est des autres crimes et délits, la Corse se montre particulièrement bonne élève. A l’exemple des crimes à caractère sexuel, confère tableau ci-dessous.
Tumblr media
Les autres données du rapport placent la Corse en bas du tableau des 13 régions :
Dernière pour les vols violents sans armes.
Dernière aussi pour les vols sans violence contre les personnes.
Dernière également pour les cambriolages.
 A noter cependant que les plaintes pour vols avec armes progressent en Corse, l’île se situe en 8ème position sur les 13 régions de France métropolitaine.
Nous retiendrons, également, que le rapport 2021 (données de 2020) confirme le contenu du rapport 2020.
Tumblr media
Pour le taux d’homicides, le constat 2021 stipule : « En France métropolitaine, il est également supérieur au tauxnational en Corse (0,03 ‰) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (0,02 ‰) ».
 Drogue, un chapitre incomplet
Ces dernières années les médias rendent compte d’une forte activité répressive dans le domaine des stupéfiants :
« Vaste trafic Corse-Pays Bas. 19 interpellations » 20 Minutes 07/02/2020
« Trafic Corse-Toscane-Sardaigne. 32 arrestations » Corse Net Infos 0701/2021
« Coup de filet sur les stups. 16 gardes à vue » France Bleue RCFM 20/06 2022
Revue de presse non exhaustive.
 La Corse, officiellement épargnée de longue date, voit-elle le trafic et la consommation bondir ?
En 2018, une étude de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT) signale que le Sud de la France se détache, par rapport au Nord : « la part des jeunes âgés de 17 ans ayant déjà essayé le cannabis est supérieure à la moyenne nationale en Nouvelle-Aquitaine (44,7 %), Occitanie (43,5 %), Auvergne-Rhône-Alpes (41,6 %) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (41,2 %). Seule la Corse (15 %) fait exception ».
 Du côté des saisies, les autorités affichent une progression importante en Corse.
Tumblr media
Cette progression est-elle significative et de quoi ? Notre propos n’est pas le trafic de drogues, proprement dit, mais la place des stupéfiants dans la grande criminalité. Le Directeur Régional de la Police Judiciaire (PJ) de Corse précise : « La plupart des groupes criminels émergents se livrent à un trafic de stupéfiants, pour asseoir une surface financière qui va leur permettre, peut-être ensuite, d’investir dans autre chose ».  De son côté, le Procureur de la République d’Ajaccio, Nicolas Septe, confirme : « il y a des connections entre la région marseillaise et la Corse ». Sommes-nous en lien avec la criminalité organisée en Corse, le procureur de la République de Bastia est nuancé. Certaines connections avec le continent sont « sans liens avec le grand banditisme insulaire ». Mais de rajouter : « j’ai d’autres dossiers où, au contraire, cette connexion a pu être faite policièrement, sinon parfois judiciairement  (…) on a pu démontrer l’implication du grand banditisme, sans pouvoir systématiquement judiciairement, mettre en examen et incarcérer des gens qui appartiennent au grand banditisme ». Une façon diplomatique de dire que les enquêtes sur la grande criminalité sont difficiles et qu’elles débouchent rarement sur des condamnations devant les tribunaux. Ce constat est valable pour les affaires de drogue, comme pour les homicides.
La réussite judiciaire existe, mais elle porte, pour l’instant, sur des « petites » filières.  Un exemple, entre 2020 et 2021, le tribunal de Bastia a condamné 23 personnes pour trafic de stupéfiants, avec « des peines cumulées de 73 ans d’emprisonnement ». Mais une partie de la réussite judiciaire concerne la multiplication des petits trafics pour auto- consommation. Pour l’instant la forme des trafics est variée :
-Trafic de stupéfiants géré pour accumulation primitive du capital et financement d’opérations délictueuses. Le procureur de la République d’Ajaccio, Nicolas Septe précise : « Il y a tout de même des clans plutôt spécialisés dans le trafic de stupéfiants ou d'armes. » (Corse Matin 23/10/2022).
-Trafic pour auto-consommation. La méthode : des consommateurs achètent de la drogue dans des zones d’accès relativement facile (Belgique, Pays-Bas) et revendent une partie de la marchandise pour pouvoir amortir leurs voyages et pourvoir consommer. Ce « petit maquis » nous parait cacher la « forêt » de la criminalité organisée. « Il existe de tout petits trafics et d'autres plus importants avec des chiffres d'affaires colossaux » Nicolas Septe, déjà cité.
 Partout sur la planète, quand la grande criminalité prend de l’importance, sa croissance passe par l’argent issu du trafic de stupéfiant. C’est la méthode incontournable de l’accumulation primitive du capital. Pour l’instant, les médias parlent, autour de la bande dite « du petit bar », de « trafic international, de sommes très importantes, de blanchiment dans des paradis fiscaux, d’investissement dans l’immobilier ». Des voyous, des chefs d’entreprises et même des membres des forces de l’ordre, sont cités dans ce « réseau ». Plusieurs personnes sont mises en examen, aucun procès n’est en vue fin 2022.
Une chose est certaine, à ce jour, la consommation a progressé depuis plusieurs années, elle partait de très bas.
Quand des Corses faisaient partie de la French Connection, le trafic était d’ampleur internationale,  Turquie, Italie, France, USA. Aujourd’hui le grand banditisme entend vivre et travailler au pays. Les observateurs ont du mal à croire que cette « relocalisation » ne concerne pas le trafic de stupéfiants.
Aujourd’hui également, la consommation locale est visible, par rapport à celle des années French Connection. L’existence d’un marché « intérieur » corse dit plusieurs choses : un enrichissement d’une partie de la population,  un besoin de consommation « classique » lié au mal être et un feu vert du Milieu.
Tumblr media
Dans les années 50/70 de la drogue circulait bien en Corse, mais elle était réservée à ceux qui avaient les moyens, ou se donnaient les moyens de se l’offrir. En tout cas il y a une chose qui circulait peu, c’était l’information. L’épisode, ci-dessous, illustre ce constat.
Tumblr media
Enfin, s’il on se place dans le temps long (19ème - 21ème siècle), nous pouvons noter que le nombre annuel d’homicides a nettement baissé en Corse, mises à part certaines périodes de tension. Ce qui semble demeurer, c’est le différentiel  -en la matière- avec les régions du continent français, à l’exception des « quartiers difficiles ».
 Corse, une jeunesse « en bocal »
La jeunesse corse se cherche une identité. Une majorité des observateurs semble d’accord sur ce point, il existe un « malaise de la jeunesse ». Que ce soient des universitaires, méfiant envers le nationalisme ou bien des acteurs politiques nationalistes, le « malaise de la jeunesse » sert de base à une réflexion sur la société.
Pour comprendre le mal être d’une partie de la jeunesse corse, il serait bien d’observer la situation dans les zones périphériques (les « quartiers difficiles »). A ce propos, je me permets de citer une expérience personnelle. Il m’a été donné de suivre un stage « en immersion » dans des « quartiers difficiles » de trois villes de France : Saint Denis, Vaulx-en-Velin (métropole lyonnaise) et La Castellane (Marseille). La chose qui m’a le plus surpris, c’est de s’entendre dire par des animateurs sociaux, connaisseurs du terrain : « heureusement qu’il y a l’argent de la drogue, car sinon ce serait l’explosion ». D’abord choqué, j’ai compris rapidement la situation : avec 40% de chômage par cage d’escalier, une absence de perspectives et la disparition d’une série de services publics, ces quartiers étaient marginalisés. Une (maigre) partie de l’argent des trafics de stupéfiants devenait une des rares possibilités de faire circuler des liquidités.  Depuis mon expérience (au début des années 2000), la situation ne s’est pas arrangée, particulièrement à Marseille. La lecture de l’enquête de Philippe Pujol, dans les « quartiers nord » nous aide à comprendre la situation et  les enjeux : drogue, pauvreté, faible formation professionnelle,  corruption, liens élus/voyous, clientélisme politique, spéculation immobilière, marginalisation des quartiers… « Trois mondes s’entrecroisent en permanence : les voyous, les militants associatifs et les politiques. Tout ce fait en réseau ». In  La fabrique du Monstre.
Alors, bien-sûr, la Corse ne ressemble pas aux « quartiers nord » de Marseille. Mais des ingrédients sont bien présents, voir la liste précédente. Être maintenu en périphérie, n’est jamais bon signe. Faut-il rappeler que c’est dans la région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur) que l’on a observé l’assassinat de plusieurs élus et d’un juge d’instruction ?
En Corse, au 19ème siècle, il arrivait qu’un élu d’une famille alliée à un grand clan soit tué au cours d’une vendetta. Mais la situation n’a jamais pris les proportions atteintes entre la fin du 20ème et le début du 21ème siècle. Cette pression sur les élus est devenue visible. Palpable diront certains. Il faut dire que les enjeux ont changé.
 Les élus locaux menacés…
…En Italie…
Au niveau local, les pressions sur les élus et les fonctionnaires semblent s’étendre. C’est le cri d’alarme que lance Antonio Decaro, Président de l’Association Nationale des Communes Italiennes (ANCRI). Il se réfère aux données recueillies par l’observatoire spécialisé créé par le ministère de l’intérieur en Mars 2015. Depuis cette date, cet observatoire note une augmentation des menaces. « De Juin à Mai 2016, sur 180 cas recensés, 78% se trouvent dans le Sud et dans les îles ; 9% dans le Nord-Ouest et 5% dans le centre ».  Ce sont les maires qui subissent le plus de menaces.  Pour le premier trimestre 2017 « 15 maires ont été menacés ». On sait que de nombreux conseils municipaux et provinciaux sont placés sous tutelle de l’État pour « infiltration mafieuse ». L’ANCRI réagit aux menaces et propose une série de mesures. Notamment, un durcissement des peines pour ceux qui menacent les administrateurs et les maires. L’association propose d’apporter un soutien matériel et moral aux élus et fonctionnaires. Enfin, l’ANCRI demande que les élus locaux travaillent avec l’État pour « définir un cadre commun sur la sécurité et la promotion de la légalité ». C’est dire que ces deux derniers termes sont loin d’être assurés en Italie. En Mars 2015, le Ministère de l’Intérieur a créé un « Observatoire permanent et un fond d’assurance pour les administrateurs et maires victimes d’attentats». Cette annonce a été faite à Cagliari et il n’est pas neutre que le Ministre de l’Intérieur ait choisi la Sardaigne. Le communiqué du ministère rappelle que : « en 2015, neuf attentats ont visé des administrateurs (conseillers municipaux, maires… NDLR) en Sardaigne ».  Mais le communiqué précise que « la majorité des actes d’intimidation ne sont pas liés à la criminalité organisée ». Les élus locaux sont exposés à toute sorte de menaces. Mais ,quand on sait qu’en Italie, la « criminalité organisée » et la criminalité « classique » sont différenciées dans le code pénal, on comprend que d’autres criminalités que les mafias peuvent peser sur les administrations locales.
Bien sûr on pourrait imaginer ce genre de soutien pour lés élus locaux en France en général et en Corse en particulier…
 Les « opérations mains propres » et les actions anti-mafias n’auraient-elles servi à rien ?  Elles ont, au moins, permis de comprendre comment fonctionnent les deux phénomènes. En revanche, on sait maintenant que le rejet moral ne dure qu’un temps et que c’est la volonté politique qui prime. Plus exactement je devrais écrire : la volonté du politique.
Les politiques ont instrumentalisé la révolte morale. En effectuant un changement en trompe l’œil, ils ont pérennisé les turpitudes qu’ils faisaient semblant de dénoncer.
C’est une leçon à méditer Partout où le changement n’est que de façade, là où on ne touche pas aux structures, il faut craindre un marché de dupes voire pire.
 …En Corse
Les études, colloques et recherches universitaires dédiées à une « triangulation » voyous, monde politique et monde de l’entreprise sont quasi inexistantes en France en général et en Corse en particulier. Pourtant, il faut encore et encore le rappeler, s’il existe une Mafia corse, alors il s’agit d’une Mafia française. Pas de Mafia sans liens avec des autorités (politiques, administratives, économiques) nationales. En Corse, plusieurs attentats et assassinats ont visé des personnes publiques : élus, avocats, fonctionnaires, élus consulaires…  Il ne s’agit pas ici de dire que ces crimes sont plus horribles ou plus condamnables que ceux qui touchent des petits voyous. Dans ce cas, il n’existe pas de gradation morale. En revanche la signification est différente. Là une pression s’exerce sur des personnes chargées de réaliser des choix de société et de les mettre en place. A ce jour, la quasi-totalité de ces actes n’ont pas été judiciairement élucidés.
Face à ce constat, le décodage de la série d’assassinats qui ont touché des personnes publiques, en Corse, devient particulièrement compliqué. La rumeur remplace la précision et les approximations tiennent lieu d’analyse. A défaut de comprendre, on compte.
 Médias et politiques, une difficile précision
Si nous observons le phénomène de la violence en Corse, sur la durée, un point se confirme : un taux d’homicides élevé, au cours des siècles. En effet, ce n’est pas dans le détail que s’apprécie la problématique. Deux exemples  parmi d’autres : la poussée du banditisme, avant la seconde guerre mondiale et une « pointe » meurtrière au début des années 2000. S’il on en croit la presse de ces époques, « on n’avait jamais vu cela ». Sur le banditisme d’avant guerre, nous pouvons lire la revue de presse, des journaux de l’époque, réalisée par l’historien niçois Ralph Schor, elle est édifiante.
Si nous prenons l’exemple de la période 2011-2013 (23 assassinats), le nombre, élevé, transforme les médias en institut de sociologie criminelle. Florilège : « La Corse est la région la plus meurtrière d’Europe » (Le Parisien 15/12/2010), « L’île, où l'on tuait autrefois plus qu'en Sicile… (Marianne 19/05/2018), Slate FR va même puiser dans la comparaison exotique « « l'île est aussi meurtrière qu'Haïti ou le Timor oriental » (17/11/2012).Les clichés et les approximations sont toujours là, peut-être même plus déplorables, car l’époque est mieux documentée. En Sicile « la deuxième guerre des mafias » (1981-1984) fera plus de 500 morts. Non, la Corse n’est pas plus criminogène que la Sicile.
Cette réaction aux chiffres me semble cacher une difficulté à expliquer le fond et à prendre du recul. Certes, les médias peuvent rarement être plus précis que les autorités. Le taux de non élucidation et les verdicts en forme de « désastres judiciaires » (la presse) viennent limiter les éléments de réflexion. Mais Il ne suffit pas d’employer le mot « Mafia », dans un article ou un reportage, pour donner de la  consistance aux faits bruts. La dimension politique (au sens grec du terme : gestion de la Cité) est occultée par les autorités. De la même manière, nous pouvons lire et entendre des hommes politiques parler de « Mafia en Corse » ou de « semi mafieux » ou bien encore de « pré mafieux » sans que ces derniers ne s’expliquent sur le fond et sans que les médias ne leur demandent des précisions. Nous sommes dans « les mots de l’à peu près ». La majorité des médias et le débat politique s’intéressent, d’abord et avant tout à la petite délinquance « celle qui pourrit la vie de tous les jours ». Rarement les deux acteurs pré-cités ne font le rapprochement entre la petite délinquance et la grande criminalité. Pourtant, il semble bien que le pillage de la « grande » participe à l’appauvrissement de la société  et donc à l’activité de la « petite ». Le lien entre les deux, devient invisible. La représentation du monde que donnent les médias rejoint l’intérêt limité porté par les gouvernements sur la délinquance de « haut de gamme ». Pour Jean François Gayraud « Les médias façonnent un nouveau type d’homme, émotif, pressé et doté d’une attitude mentale particulière selon laquelle tout ce qui ne se voit pas n’existe pas » In Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé. C’est que la Mafia ne se voit pas, les assassinats ne sont que des « incidences » de phénomènes profonds, difficiles à expliquer dans un journal télévisé. 
La sur-représentation médiatique des délits de « bas de gamme » n’est pas neutre. Outre sa dimension idéologique, la presse est aussi une entreprise. Un coup de téléphone à un procureur ou à un commissaire, pour un simple fait divers, coûte moins cher qu’une longue enquête journalistique sur, par exemple, une collusion entre un homme politique et un entrepreneur à propos d’un détournement de plusieurs millions d’euros. Sans compter le risque financier d’un procès. Du coup, quand les crimes liés à la grande criminalité s’imposent dans l’actualité, il est très difficile d’en parler avec rigueur et précision faute d’entrainement…
Pourtant la réponse à une question s’impose : si nous observons la période 19ème – 20ème siècle (années 80), nous constatons que les meurtres d’hommes (et de femmes) publics sont rares. Le phénomène progresse à partir du dernier quart du 20ème siècle. Qu’on y réfléchisse, si des voyous tuent des personnalités c’est qu’un lien est établi… mécaniquement. Assiste-t-on à un changement de la nature même de la grande criminalité ? Le banditisme devient-il Mafia ? C’est là que devrait porter l’effort d’analyse.
 Une adaptation à l’époque
En Corse, de la vendetta à la criminalité organisée (Mafia or not Mafia), en passant par les bandits « d’honneur » et le Milieu,  il me semble que nous assistons à plusieurs actes d’une même pièce du théâtre social.
Le scénario de chaque acte (les périodes de l’Histoire), s’écrit au fur et à mesure. L’ensemble s’insère dans une continuité. A chaque acte, l’aspect formel de la violence a l’air de différer. Cependant l’idée générale demeure : celle d’un rapport permanent entre les acteurs de la violence et les Pouvoirs. L’ensemble donne sa cohérence à « la pièce » (le corps social).
Pour plagier Georges Clémenceau « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » (1887), nous pouvons dire que la gestion de la cité (la politique) et une chose trop grave pour être confiée à de simples voyous. Dur este ,il n’est pas du tout certain qu’elle leur soit confiée.
Dans les territoires où sont identifiées de puissantes mafias (Japon, Italie…), une grande partie des observateurs laissent à penser que ces organisations criminelles sont « verticales » et qu’elles pèsent donc, de manière verticale sur les pouvoirs politiques et économiques. C’est pourtant loin d’être une certitude. Les acteurs de la violence, quel que soit leur nom, ne sont qu’un des éléments de l’organisation des pouvoirs, du Pouvoir. Pour l’universitaire italien, Paolo Pezino, « (…) l’industrie de la violence et la souveraineté territoriale s’apportent un mutuel soutien (…) ». In Violences et pouvoirs politiques. On ne saurait mieux dire.
Je n’ai pas, à ce jour, abordé « en direct » le rôle des mouvements nationalistes corses, dans le phénomène de la violence. Je n’aborderai pas la dimension politico-militante du nationalisme, de nombreux ouvrages ont traité de cet aspect « purement » politique. Ce qui nous intéresse, c’est de replacer la mouvance nationaliste corse, dans le contexte de la violence dans l’île. La violence n’est pas arrivée, en Corse, avec l’émergence (ou la réémergence) de la question « identitaire ». Même s’ils tentent, ou ont tenté de se donner une place à part ou bien centrale, les nationalistes corses ne sont, ni au dessus, ni à côté de la société insulaire. Ils font partie intégrante de celle-ci. C’est bien là la difficulté. Il est impossible d’isoler la violence « politique » des autres violences.  Tout au long des articles de ce blog, j’ai essayé de démontrer que la violence « classique » (grande et petite criminalité) était de nature politique. J'ai aussi essayé d'expliquer qu'une Mafia est un objet politique. La « violence nationaliste » n’est donc pas entièrement à part. Elle participe, à son tour, du phénomène observé au cours des siècles en Corse.
Clanisme, nationalisme, criminalité, ne sont « que » des acteurs d’une même pièce qui se joue sous nos yeux.
Dans les quatre prochains articles, les nationalistes prendront leur place dans le théâtre politique. Ils seront contre ou à côté du clanisme, contre ou proche de la grande criminalité. En Corse, aucun mur ne sépare les groupes humains. Rien n’est vraiment figé. Pour le meilleur et pour le pire.
 Dans une prochaine série de quatre articles, j’essayerai de décrire cette articulation en Corse. Nous tacherons d’observer cette « pièce » à travers les époques, du 19ème siècle à nos jours. A tout seigneur, tout honneur, je débuterai par le clanisme en posant la question: a-t-il préparé, même involontairement, le terrain à une Mafia?
Bibliographie
 Une histoire de la violence. De la fin du Moyen Age à nos jours. Robert Muchembled. Ed. Seuil-Points
 La violence en Corse. XIXè XXè siècle. Sampiero Sanguinetti. Ed. Albiana
 Violences et pouvoirs politiques. Ouvrage collectif. Presses Universitaires du Midi
 En Corse-L’esprit de clan-Mœurs politiques-Les vendettas-Le banditisme. Paul Bourde Ed. Calmann Lévy 
 Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé. Jean François Gayraud. Ed. Odile Jacob
 La fabrique du monstre. Philippe Pujol. (Prix Albert Londres) Ed. Les Arènes
 L’enseignement de l’ignorance. Jean-Claude Michéa. Ed. Climats
 Études et revues
La sicilia nel 1876.Rapporto di Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino. « Progetto Manuzio »
Rapport sur l’état économique et moral de la Corse en 1838. Jérôme-Adolphe Blanqui. BNF Gallica
 La criminalité en Corse. Archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales (1888). Albert Bournet.
LE CRIME D'HONNEUR EN CORSE (DEUXIÈME MOITIÉ DU XIXE SIÈCLE).  Caroline Parsi. In revue Hypothèses 2013/1 (16)
La criminalité en Sicile. Archives d’anthropologie criminelle et des sciences pénales (1886) n°1, P. 85 et suivantes. A. Bournet
Misère et banditisme au  XVIème siècle.Fernand Braudel. Annales 1947
Problèmes de la vie pastorale en Sardaigne. In Revue géographique de Lyon (1969) Vol.44, n°3
La criminalité de sang en Corse sous la domination génoise (fin XVIIe-début XVIIIe siècles). Antoine Laurent Serpentini. Revue Crime histoire & sociétés. En ligne sur OpenEdition Journals
Mafia, violence et pouvoir politique en Italie (XIXe-XXe siècles).Paolo Pezzino.  Dans l’ouvrage collectif : Violences et pouvoirs politiques. Chapitre en ligne sur OpenEdition Journals
Jeunesse corse : une violente quête d’identité. Joseph Martinetti. La Tribune 29 Mars 2022
Sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse. Rapport commission d’enquête Assemblée Nationale. Novembre 1999
Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique. Ministère de l’Intérieur.
Rapport DIA 2020 (1er trimestre).
Alain VERDI Le 10 Novembre 2022
Le même article sur le blog Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 1 year
Text
Misère en Italie, grande pauvreté en Corse – Criminalité » et pauvreté
Aujourd’hui, la Corse demeure la plus pauvre des régions métropolitaines. Cependant, les indicateurs économiques la situent en meilleure place que certaines régions italiennes. Du 19è siècle à aujourd’hui, plusieurs régions du Mezzogiorno souffrent d’une véritable misère. La présence de mafias conforte cette situation. Nous observerons l’intérêt d’une comparaison et ses limites
Alain VERDI le 2 Novembre 2022
Selon l’INSEE, la Corse est la région métropolitaine la plus pauvre de France. Son PIB a fortement progressé, mais le différentiel avec le continent demeure. La situation économique et sociale de la Corse et la comparaison avec les données italiennes et européennes peuvent être lues ici. En Italie, le poids des mafias sur le maintien d’une grande pauvreté est indéniable. 
Pour la Corse, la relation entre la grande criminalité et la situation économique et sociale, n’a pas vraiment fait l’objet d’études approfondies. En cumulant l’article, déjà publié sur ce blog, sur la situation économique et sociale actuelle (lien ci-dessus) et des données sur la pauvreté, j’espère avancer dans la réponse à cette question du lien criminalité/pauvreté. Le cumul de ces deux articles ne suffit pas à répondre à la question des rapports criminalité/pauvreté. Ci-dessous, nous observerons des exemples sur le poids du clanisme dans la gestion de l’espace social. Mais pour avancer, encore plus,  il me faudra aborder d’autres aspects. Notamment les liens entre criminalité, sphère politique et monde économique. Ce sera l’objet de quatre prochains articles sur ce thème.
Cet article entend montrer un certain niveau de pauvreté, en Corse,  entre le 19ème siècle et la première partie du 20ème. Mais si l’on observe la situation de l’Italie méridionale, l’on constate une grande misère. Un exemple parmi d’autres, le sort des ouvriers des mines de soufre de Sicile. On y emploiera des enfants, jusqu’à la première moitié du 20ème siècle.
Tumblr media
Les autorités italiennes ont concédé l’exploitation du soufre à la Grande Bretagne en 1808, sous la forme d’un contrat léonin. Sur place la gestion est contrôlée par des patrons très durs, membres de la Mafia, comme l’observera l’écrivain Carlo Levi, en…1950. En résumé : monopole britannique et exploitation humaine en Sicile gérée par des mafieux.
Nous pouvons constater que les mafias n’ont pas créé cette misère, mais qu’elles l’entretiennent. Dans cet article, nous verrons l’état de la Santé Publique dans certaines régions du Mezzogiorno et en Corse, dans la période 19è – 20è siècle.  Ce qui me semble ressortir des éléments que j’ai étudiés et observés, c’est que la Corse a connu une pauvreté, parfois grande et que l’Italie a souffert d’une véritable misère.
Tumblr media
Corse, une pauvreté chronique
Tous ceux qui ont analysé la situation de la Corse, ont souvent pointé son « sous-développement ». Dès 1838,  l’économiste Adolphe Blanqui constate que de nombreuses terres « ne sont pas cultivées », il note l’absence de capitaux publics et privés et fait le lien entre cette faiblesse économique et « les crimes ».  In « Rapport sur l’état économique et moral de la Corse en 1838 ».
Un demi-siècle après (1887), Paul Bourde fera le même constat en notant que les propriétaires « (…) tirent de leurs biens un revenu trop faible pour avoir des capitaux disponibles et laissent aller les choses dans la routine et la gêne ». Paul Bourde conclut « (…) la Corse me laissera l’impression d’une population en effet assez pauvre dans un pays admirablement doué et la conviction que cette pauvreté durera et que ces dons resteront stériles tant que les mœurs n’auront point changé ». Ce journaliste du journal Le Temps avait noté le rôle du clan et de l’État pour expliquer ce constat. In « En Corse : l’esprit de clan… » Déjà cité. 
Si les différents observateurs parlent  parfois de  « misère morale »,  il est rarement question de Misère… tout court. Ainsi, au milieu du 20ème siècle, le géographe Maurice Le Lannou observe : « Curieux sous-développement que celui d’une île assez peu méditerranéenne pour ne montrer aucune misère ».  Le Monde 9-10 Août 1964, article intitulé : « La Corse se donne et se refuse ». Cependant, l’historien Francis Pomponi cite un article du journal Le Petit Bastiais (12 Nov. 1900) qui n’hésite pas à parler de: « la misère en Corse », suite aux crises économiques et agricoles qui touchent l’île dans la seconde partie du 19ème siècle. In Crise de structure économique et crise de conscience en Corse (fin XIXe-début XXe). Cahiers de la Méditerranée 1977. Face à ces difficultés économiques, l’attitude classique pour les îliens est le départ vers d’autres cieux. Un mouvement important s’amorce au début du 20ème siècle. Francis Pomponi cite le recensement de la population de 1911 : « (…) 52 674 corses nés dans l’île sont établis sur le continent, dont près de la moitié (22 000) dans les Bouches du Rhône, surtout à Marseille, 9000 dans le Var, 6000 à Paris et  4000 dans les Alpes-Maritimes ». Le mouvement s’est renforcé à partir de la fin du 19ème siècle. Le recensement de 1911, que j’ai consulté, comptabilise 288 820 habitants dans l’île. Entre les deux recensements de 1906 et celui de 1911, la Corse a perdu 2340 Hab. Source : Le recensement de 1911-Société statistique de Paris, tome 53.
Si le sort des émigrés n’est pas enviable, la plupart ne va pas grossir les rangs des quartiers les plus miséreux du continent français. La majorité se retrouve dans l’administration ou bien dans l’armée. Et quelques-uns dans le Milieu.
 La santé en Corse : une situation contrastée (19ème -20ème siècle)
Un des indicateurs de la pauvreté est l’état de la santé publique. Les données et les statistiques sont peu nombreuses et éparses. Une partie d’entre elles a été réunie dans un travail réalisé par le Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP), en collaboration avec les Archives Départementales de Corse- du-Sud. Ce document, publié en 1987, est riche d’enseignements sur la pauvreté de la population et sur l’indigence des moyens médicaux mis à sa disposition. L’étude du CRDP de Corse porte sur la période du XVIème au début du XXème siècle.
Je passerai rapidement sur la période « de disette et de famine », notamment pour l’année 1582, pour arriver à l’époque contemporaine (19ème et début du 20ème siècle).
Le travail de recueil d’archives et leur traitement, effectués par le CRDP, montrent bien le lien entre l’état général de la santé de la population et le niveau de pauvreté de l’île.
 Le paludisme, maladie, pauvreté et non choix-politique
Une série de documents montre les ravages du paludisme en Corse. Il faut savoir qu’il faut attendre 1880 et la découverte du médecin militaire, Alphonse Laveran pour comprendre que le paludisme (Malaria) est transporté par un vecteur : la femelle du moustique anophèle. Avant cette date on parlait « d’air putride » ou de « mauvais air ». Malaria vient de l’italien : « air mauvais ». Déjà, au-delà de l’aspect sanitaire, la présence de cette maladie, endémique jusqu’en 1953 (efficacité du traitement par l’insecticide DTT ou dichlorodiphényltrichloroéthane), montre le retard de développement qu’a connu la Corse. Une des conditions de réduction des moustiques est l’assèchement des marais où ils se développent. Les Romains (259 av J.C. à env. 455 ap J.C.) vont assécher les zones qu’ils occupent, notamment Aléria et le sud de l’actuel Bastia. Leur départ va correspondre au retour des moustiques et de la Malaria.  Une volonté politique, avec de faibles moyens, avait donné des résultats.
Ce que les ingénieurs romains ont réalisé  ne sera pas reconduit par les autorités pisanes, puis génoises, puis françaises. Il faudra attendre la transformation du DTT (synthétisé, sans suite, par un universitaire strasbourgeois en 1873) en insecticide, par un chercheur suisse, Paul Hermann Müller en 1940. Il est répandu par l’armée américaine qui cherchait à protéger ses soldats de la Malaria sur tous les théâtres d’opération infectés par la maladie (jungles du Pacifique, Italie, un peu en Corse). Les autorités sanitaires françaises s’en inspireront. A ce propos, nous pouvons nous référer à l’étude du docteur Jaujou, Directeur départemental de la Santé de la Corse, publiée en 1954. Ce médecin dresse un tableau documenté sur les différentes campagnes sanitaires, antipaludiques, organisées en Corse et condense les résultats d’une enquête épidémiologique effectuée dans l’île au cours de l’année 1947.
 Sur le plan sanitaire, cette maladie induit des conséquences plus graves (affaiblissement immunitaire, décès) sur les populations les plus pauvres (mal logées, mal nourries) et qui étaient obligées de vivre une partie de l’année dans les zones infectées, pour cultiver des parcelles et/ou pour cause de transhumance des troupeaux. Mais sur le plan politique, cela dit aussi les difficultés rencontrées par les différents États  « propriétaires » de la Corse et particulièrement le riche État français. Ce que les Romains ont réalisé, la France ne l’a pas fait de 1768 (achat de la Corse à Gênes) à 1949 (début d’une grande campagne d’épandage de DTT par les autorités françaises). Nous savons que les deux guerres mondiales ont bloqué et/ou ralenti des plans d’assèchement des eaux stagnantes. Cependant, aucune étude n’a été menée pour connaître les autres causes, notamment politiques, qui ont pu empêcher ces travaux d’assainissement.   
Tumblr media
Jusqu’à l’après seconde guerre mondiale, les autorités auront produit plus de rapports que de travaux, malgré plusieurs projets mis à l’étude. Sur les difficultés financières, touchant ces projets, nous pouvons consulter l’étude d’Henri Pierangeli. Cet avocat bastais décrit la situation financière, économique et ses conséquences sur l’assèchement (raté) des marais de la plaine orientale. In « Le paludisme en Corse et l’assainissement de la plaine orientale ».
En tout cas la présence du paludisme, sous forme endémique, a pesé sur le développement économique et social de la Corse. Contrairement aux îles « voisines », Sardaigne et Sicile, la Corse ne possède pas de vastes plaines cultivables. La principale zone qui aurait permis des cultures, à grande échelle et aurait, peut-être, engagé un processus d’enrichissement, est restée fermée à toute vie sédentaire, durant plusieurs siècles. De là à penser que le système politique claniste craignait un développement économique, il n’y a qu’un pas que plusieurs observateurs franchissent allégrement.
 Un encadrement médical limité
Je n’analyse que la période du 19ème au début 20ème, dans l’étude du CRDP. Ce travail nous montre un maillage médical de l’île inégal, en quantité et en qualité. Les archives départementales révèlent un taux élevé de médecins en 1869 : 1 médecin pour 959 habitants. Moyenne nationale : 1 pour 1500 habitants. Cependant la distinction entre médecins et officiers de santé n’est pas très précise dans les décomptes. En fait, les « médecins » étaient divisés en deux catégories.
Tumblr media
Dans toute la France ce système à deux vitesses (ou deux niveaux) dysfonctionne. Une série de rapports démontre la médiocrité du niveau de formation des officiers de santé. Il faudrait supprimer cette fonction de « sous-médecins ��, mais les inconvénients égalent (presque) les (rares) avantages de ce système. La France ne produit pas encore assez de (vrais) médecins pour les besoins exprimés. De plus, en Corse, peu de médecins formés sont volontaires pour venir exercer.
Quelques familles corses peuvent payer de véritables études de médecine à leurs enfants. Une partie des jeunes insulaires suivaient leurs études de médecine en Italie (plus proche, moins chères). Les jurys d’équivalence ayant du mal à se réunir, les diplômes italiens battent de l’aile.
Dans ces conditions, la suppression de la fonction d’officiers de santé viderait les zones rurales, où peu de médecins veulent exercer, en désert humain. En 1869, la Corse compte 350 officiers de santé et seulement 34 docteurs en médecine.
Les autorités tergiversent. Finalement, le corps des officiers de santé sera supprimé en 1892.
La mise en place d’un corps unique de (vrais) médecins, débouche sur une détérioration de la couverture médicale, dans les zones les plus pauvres. Ainsi, en Corse, le rapport parlementaire, dit « rapport Clémenceau » (1908) note un recul du nombre de médecins (toutes catégories confondues) dans les zones rurales. Plusieurs cantons se retrouvent sans couverture médicale, dans une île où les communications intérieures sont de qualité exécrable. Ce désert médical suit la désertification des villages.  Par ailleurs, les études montrent que les hôpitaux insulaires (civils et militaires) sont dans un piètre état.
Tumblr media
Population pauvre, hygiène mauvaise et mortalité inférieure…
Dès le 19ème siècle, l’état de la Corse se distingue, en matière de santé publique. Le taux insulaire de natalité est supérieur à la moyenne nationale. Cependant, malgré une grande pauvreté, la mortalité infantile reste nettement inférieure et l’espérance de vie (33 ans) demeure supérieure à la moyenne de la France métropolitaine (29 ans). C’est du moins le constat que dresse l’ingénieur François Robiquet dans son rapport Recherches historiques et statistiques sur la Corse, publié en 1835. Son étude porte sur une période où l’île est « sur le fil du rasoir ». La situation économique et sociale va se détériorer, fin 19ème et début 20ème.
Un autre rapport « extra parlementaire et interministériel » sur La situation actuelle de la Corse (1909), dit Rapport Delanney, aborde, entre autre,  la situation sanitaire.
Tumblr media
   On y trouve le constat de mauvaises conditions d’hygiène aussi bien dans les campagnes, que dans les villes. Les insulaires y sont décrits comme « exposés, plus que les habitants des départements continentaux aux dangers des maladies les plus divers ». Cependant le rapport poursuit : « Et pourtant, la moyenne de la mortalité est inférieure dans le département à la moyenne de la mortalité générale de la France (…) 19,9% quand il est de 20,2% en France ».
Pourtant, le rapport Delanney décrit une situation sociale exécrable : « impureté de certaines eaux potables (sic) ». Un accès à l’eau réellement potable parait difficile, constat surprenant dans une île ou les sources ne manquent pas. Ces difficultés d’accès à l’eau sont notées par le commandant de la compagnie de gendarmerie de Corse, le lieutenant-colonel Delavallade. Les rapports de cet officier ont été consultés par l’historien Simon Fieschi, pour la rédaction de son ouvrage consacré à la gendarmerie en Corse. Il note que « (…) certaines brigades ont peine à se procurer l’eau potable nécessaire à leur consommation courante et aux taches ménagères, qu’ils doivent payer à prix d’or et transporter eux-mêmes ».  In Les gendarmes en Corse (1927-1934).
Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, subsistent encore des traces de ce passé peu glorieux, à l’exemple du « vieux séminaire », ancien grand séminaire, à Ajaccio. Photos ci-dessous. Le Grand séminaire est transformé en immeuble d’habitation, après la seconde guerre mondiale.
Le vieux séminaire construit en 1710, est détruit en 1969. Pas d’eau courante, pas de porte d’entrée (un rideau) pour certains appartements, pas de rampe d’escalier, pas de vitres à plusieurs fenêtres. Visite de l’auteur, à la fin des années soixante. 
Tumblr media
Le rapport Delanney note aussi « l’insalubrité des logements ». Les difficiles conditions de logement touchent une grande partie de la population, dans les villes, comme dans les campagnes. Malgré une solde que bien des insulaires de l’époque pouvaient leur envier, les gendarmes sont (mal) logés à la même enseigne. La grosse majorité des casernes appartiennent à des propriétaires privés. Simon Fieschi trouve dans les rapports du commandement une description calamiteuse des conditions de logement. Sur la centaine de casernes de l’île,  « au moins 44%  des logements ne sont pas satisfaisants ». Pour celle de Sainte-Lucie de Tallano, l’officier note : « (…) on hésiterait à y enfermer des porcs ». Même tableau dans le Fiumorbo : « Prunelli, par exemple, n’a pas de latrines ni même un coin où les gendarmes et leurs femmes puissent satisfaire leurs besoins naturels en cachette ». Une partie des gendarmes partage ainsi les difficultés de la population. En 1908, un rapport d’un commissaire de police d’Ajaccio note que : « Il existe dans notre ville un très grand nombre de ménages comptant 7, 8 ou 10 personnes n’ayant pour tout logement qu’une unique pièce (…) servant tout à la fois de salon, de salle à manger, de cuisine, de chambre à coucher et quelques fois même de cabinet d’aisance pour les enfants ».
Tumblr media
Jusqu’à la fin des années cinquante, début des années 60, sur les façades des vieux quartiers, l’on pouvait observer des tuyaux, en céramique, qui servaient à vider les « vases d’aisance ». Faute de cabinets dans les maisons, le transvasement s’effectuait au risque de « débordements » sur les passants. On peut déjà voir les premiers cabinets, installés à l’extérieur, en ajout sur certaines terrasses.
 Dans de nombreuses maisons de campagne le rapport Delanney observe que des « …) rez-de chaussée de chaque maison a pour locataire un mulet, un âne ou un cochon ». Ce chapitre du rapport conclut : « c’est partout le même danger de diffusion de maladies contagieuses ».
 Cette promiscuité des animaux avec les hommes est une constante du monde rural à travers l’Europe (voir, plus-bas, chapitre sur Palma di Montechiaro, en Sicile). Reste à savoir si cela débouche sur des maladies notables. En ce début de 20ème siècle, il ne semble pas qu’elles soient observées en grand nombre en Corse. Mais on note, tout de même, une épidémie de variole qui rebondit sur une grande partie du 19ème siècle, jusqu’au début du 20ème. Pauvreté (logement-nourriture) et préjugés (anti-vaccins, déjà) ralentissent la lutte contre cette maladie. L’étude du CRDP cite le docteur Zuccarelli de Bastia : « La variole a surtout éprouvé les populations de nos rues étroites, pauvres et malsaines, où l’hygiène fait défaut, où l’habitant se montrait réfractaire à la vaccination ».
La fièvre typhoïde et la rougeole apparaissent de manière sporadique, tout au long du 19ème, jusqu’au début du 20ème siècle, avec de nombreux cas de décès. 
Le lien pauvreté-maladies est évident, mais ne prend pas les mêmes proportions que dans le Mezzogiorno italien surpeuplé. La situation sanitaire en Sicile est nettement dégradée. Une série de maladies subtropicales, en fait des maladies « de la pauvreté », seront endémiques, dans certaines zones, jusque dans les années 60 du 20ème siècle. Voir, plus-loin, Palma di Montechiaro, l’Afrique en Europe. La région de Naples connaîtra même une épidémie de choléra en… 1973. Nous verrons que la mainmise des mafias, sur l’économie de ces régions, participe du phénomène de dégradation de la santé publique.
 Santé-pauvreté, le clanisme sert ses amis
En Corse, le système clanique joue son (mauvais) rôle dans le rapport pauvreté-santé, comme le montre l’enquête menée par les auteurs du rapport  Delanney.
Tumblr media
Les membres de la commission voient, ainsi, des amis des maires qui n’ont pas besoin de soutiens médicaux et financiers, « commerçants, propriétaires fonciers… », percevoir des aides publiques, alors que de véritables indigents ne perçoivent rien, car ils sont du bord politique opposé. Le rapport poursuit : « La médecine gratuite ne profite réellement qu’aux médecins et aux pharmaciens, dit une pétition ». Surtout que « dans trop de localités, le médecin de l’assistance est également maire de la commune ». Les rédacteurs du rapport précisent bien que ce conflit d’intérêts « n’est pas spécifique à la Corse » et formulent « le même regret pour les départements du continent ».
Ceci dit, nous pouvons ajouter que les conséquences sont plus importantes pour la Corse, car l’île est le département le plus pauvre de la France métropolitaine. L’esprit de clan, décrit plus haut, a pour conséquence de maintenir des indigents dans leur indigence.
  « L’exemple » napolitain
S’il on compare la situation de la Corse à celle de l’Italie méridionale, entre le 19ème siècle et aujourd’hui, l’écart est frappant. Pour l’Italie, tous les observateurs décrivent une grande misère, dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui.
Pour avoir une idée de la misère la plus noire qu’a connue l’Italie, on peut lire le travail de l’universitaire Nathan Brenu sur les liens entre la misère régnant sur la ville de Naples et la Camorra : Ceux qui ne pêchaient pas… De la prépotence camorriste dans les bas quartiers napolitains à la fin du XIXème siècle.
 Dans la seconde moitié du XXème siècle, les traces de cette misère sont encore visibles à Naples. La prépotence de la Camorra et ses conséquences n’ont fait que s’accentuer.
Entre Août et Octobre 1973 la ville est touchée par une épidémie de choléra. Naples comptera une quinzaine de décès, auquel il faut ajouter 7 morts dans la région des Pouilles et 1 en Sardaigne. Plusieurs milliers de personnes seront  infectées. Une campagne efficace de vaccination (1 million de personnes vaccinées en une semaine) permettra de limiter la propagation de l’épidémie. Comment une épidémie de cette nature a-t-elle pu apparaître et surtout se propager dans une grande ville européenne dans la dernière partie du XXème siècle ? Tout « simplement » parce que les conditions d’hygiène élémentaires étaient très mauvaises.
Naples en 1973, c’est encore des ordures dans les rues, de nombreux logements insalubres et un réseau d’égouts d’un autre âge. En ce début des années 70, tous les égouts se jettent dans la mer et dans la nature. Du coup, la baignade est interdite sur 150 kilomètres de rivage. Près d’un demi-siècle après, de nombreux endroits de la côte amalfitaine demeurent interdits aux baigneurs, ce qui n’empêche pas de nombreuses personnes de se baigner.
La majorité des égouts de la région continuent de se déverser, sans station d’épuration. La situation s’aggrave dès qu’il pleut, même peu, les eaux usées se déversent…
      …dans  la mer…
     En ville…
… dans des champs cultivés
Conséquences : la région Campanie enregistre un taux élevé de maladies liées à la pollution. Les autorités sanitaires ont dénombré un niveau de cancers et notamment de leucémies, supérieur à la moyenne nationale. De vastes zones agricoles sont concernées.
Quel rapport avec la Mafia ? La réponse est évidente : la plupart des protections environnementales (stations d’épuration, usines de traitement des ordures…) ont été financées et jamais construites. L’argent public a été détourné. Encore plus grave (si c’est possible) la Camorra a enterré des tonnes de déchets toxiques dans la région Campanie et au-delà. Plusieurs grosses entreprises, émettrices de déchets ont fait appel à la Camorra pour se débarrasser de leurs produits pollués, plutôt que de s’adresser à des entreprises spécialisées, aux tarifs plus élevés. Ces rapports entre des entreprises et la Camorra ressemblent étrangement à ceux établis entre d’autres entreprises (parfois les mêmes) et la ‘Ndrangheta. Voir chapitre sur les navires coulés avec des déchets  États-criminalité organisée, des pactes « scélérats » (Verdi) In blog Mediapart : Délits financiers, criminalité : les arrangements avec les États.
 En 2014, le parlement italien a voté une série de mesures pour dépolluer la zone concernée. De nombreuses communes sont touchées par les déversements sauvages de déchets effectués par la Camorra. Il reste à appliquer ces mesures…
Tous ces dossiers de pollution traînent depuis des années.  Celui des ordures est emblématique. De manière cyclique, les médias redécouvrent le problème des ordures à Naples et oublient de rappeler qu’il s’agit d’un feuilleton sans fin.
 De passage, pour quelques jours à Naples, en 1984, j’y constate une partie des maux qui touchent la cité : accumulation des ordures dans le centre ville et la région, délabrement des immeubles de ce même centre, des dizaines de constructions inachevées qui sont autant de ruines ornant la région de piliers de béton d’où dépassent les armatures métalliques. Mais ce qui m’a le plus frappé c’était les dizaines de personnes dormant à même les trottoirs sur des cartons. On peut s’attendre à ce genre de  « spectacle », dans un pays du tiers monde, mais là nous nous trouvons dans une des nations cofondatrices de l’Union Européenne.  Nous sommes dans le dernier quart du XXème siècle.
Un des problèmes les plus visibles, les ordures, n’a toujours pas été réglé, en ce premier quart du XXIème siècle.  Voir en photos, ci-dessous, près de cinquante ans de stagnation/aggravation.
Le haut niveau de gravité de la situation en Campanie, fait passer les problèmes de la Corse pour une comptine. C’est quand même sur cet exemple napolitain que l’on peut s’appuyer pour observer l’évolution du dossier des déchets en Corse. La gestion des déchets, en Corse, avance… doucement. Un collectif anti mafia émet certaines inquiétudes et à propos du « Plan déchets » proposé par la Collectivité De Corse, le porte-parole du collectif, parle de « mystification ».
Même si les volumes d’ordures à traiter en Corse et les intérêts financiers en jeu sont d’un niveau nettement inférieur à ceux de la Campanie, il faut cependant surveiller le processus.
Pauvreté dans certaines zones de Corse, misère dans plusieurs villes et villages de Sicile, cela fait une différence
Les témoignages qui décrivent la Corse, dans la seconde moitié du 19ème siècle ne font pas état d’une énorme misère. Cela va d’une pauvreté, parfois grande, à une absence presque totale de développement économique. Paul Bourde fait aussi ce constat, mais signale que les habitants ont plus de tenue que dans certains coins d’Italie. « (…) vous reconnaissez que vous n’êtes pas chez des Italiens… ». In Corse-l’esprit de clan. Déjà cité. 
Bourde signale l’absence de mendicité et le sens du geste gratuit.
Il serait intéressant qu’un chercheur réalise un travail sur une vie, à  la fois parallèle et différente entre la Corse et le Mezzogiorno.
Bien sûr, les populations ne sont pas comparables. Entre une Italie du Sud, surpeuplée et une Corse sous-peuplée, la comparaison ne vaut pas toujours raison. Mais cette idée d’étude comparative pourrait porter sur une matière difficile : les mœurs  politiques et sociales. Malgré tout le mal (justifié) que l’on peut dire de la gestion clanique et de la position de « distance » de l’État français, on peut se demander si le non passage de la pauvreté à la misère n’est pas une conséquence, plus ou moins « heureuse » (mot à manier avec précaution) de cette attitude politique, par ailleurs critiquable à bien des égards. Optimisme limité, par les abus perpétrés par certains maires, décrits précédemment.
Les maisons corses étaient rustiques et « … si bien faites pour la guerre (Vendetta NDLR) que pour les paisibles travaux des champs » (Bourde). Mais elles ont résisté au temps et même si l‘émigration a amené l’abandon de bien des demeures, les villages insulaires restés longtemps « dans leur jus » témoignent, finalement, d’un équilibre social supérieur à biens des coins du Mezzogiorno, où la misère a laissé des traces profondes et visibles dans la société.
 Pour s’en convaincre, il faut regarder l’état actuel de plusieurs communes du sud de l’Italie et notamment de Sicile. A l’image de la Chiesa Madre, la cathédrale de Palma di Montechiaro (Sicile) et d’une partie de cette ville où l’auteur du roman Le Guépard,  Giuseppe Tomasi di Lampedusa, prince de Lampedusa portait le titre de baron de Montechiaro. Une partie importante du paysage urbain sicilien porte les traces de la misère passée, de la pauvreté actuelle et de l’emprise du système mafieux.
Ci-dessous, la Chiesa Madre à 60 ans d’écart. La façade n’est toujours pas entretenue et le herbes y poussent en toute liberté.
Palma di Montechiaro se trouve dans la province d’Agrigente, au sud de la Sicile.
Dans les années 50, la majorité des foyers de cette ville ne possède pas l’accès à l’eau potable. Elle arrive par camion, elle est vendue par des « porteurs d’eau ». Voir document RAI, lien ci-dessous. A la fin des années 80, la RAI (télévision publique italienne) diffuse un documentaire sur Palma di Montechiaro. Des images d’archives rappellent la situation, au début des années 60 et les images des années 80 montrent une évolution limitée de la situation « des maisons jamais finies » et « des assassinats ». 
D’importantes manifestations auront lieu dans la région, au début des années 60, pour protester contre cette rareté de l’eau et son prix élevé.
A Palma di Montechiaro ont lieu des regroupements pour protester contre le manque d’eau en  particulier et la situation sociale, en général. Même scénario
à Licata (23 Km de Palma). Dans cette ville, la police tuera un manifestant en Juillet 1960. Les observateurs noteront que les forces de l’ordre déploient plus d’efforts contre les manifestants  que contre la Mafia.
Au début des années 60 d’importants crédits seront débloqués pour régler, notamment, le problème de l’eau sur les communes de Palma de Montechiaro et de Licata. Une infime partie de l’argent public sera affectée au règlement du problème, l’autre s’évaporera comme l’eau si rare. Un aqueduc existait déjà, mais il était contrôlé par des familles mafieuses qui coupaient souvent la  distribution pour  tirer profit de la vente privée de l’eau de leurs forages.
Un magazine télévisé de la RAI, diffusé au milieu des années 80 (voir lien plus-haut), montre que d'importants problèmes demeuraient à Palma di Montechiaro: égout à ciel ouvert, absence d'hôpital, littoral non aménagé, chômage élevé. Et toujours des problèmes de distribution d'eau potable.
En Avril 1960, durant deux jours, un congrès réunissant des sociologues et des écrivains venus de plusieurs pays se tient à Palma di Montechiaro. La manifestation a lieu à l’initiative d’un sociologue, militant contre la pauvreté, Danilo Dolci.
 A cette occasion les autorités italiennes font mine de découvrir une ville (20 000 hab.) où règnent la misère et le sous-développement. Une enquête sur les données sanitaires, menée à cette occasion,  porte sur la place publique le fait qu’une ville de la Communauté Economique Européenne (CEE) se trouve dans les mêmes conditions sanitaires qu’une cité  de « (…) Chine - celle d'avant Mao Tse-toung… », comme l’écrit Le Monde du 15 Septembre 1960. Une autre comparaison s’impose : l’ouest de la Sicile, de la province d’Agrigente à Marsala, est qualifié de « Sicile africaine » en référence à l’histoire de l’occupation arabe (831-1091). Une partie de son littoral fait face à la Tunisie et à la Lybie. Mais au début des années 60, c’est l’aspect le plus négatif de l’Afrique de l’époque  qui saute aux yeux des observateurs présents dans la région.
En 1960, une enquête sanitaire est effectuée sous l’égide de Silvio Pampiglione, professeur de médecine, spécialiste des maladies parasitaires.
En visitant Palma di Montechiaro et d’autres villes de la province, en 2019, j’ai pu constater que certaines traces du passé ont marqué le paysage urbain : rues sans trottoirs,  bâtiments délabrés, problèmes de ramassage et de stockage des ordures, maisons et immeubles inachevés mais partiellement habités…
Déjà, au début des années 50, l’écrivain Carlo Levi rencontre Danilo Dolci, qui réside dans la commune de Partinicio (province de Palerme). Le sociologue lui fait visiter les quartiers pauvres de sa ville d’adoption et ceux de la petite ville de Trappeto, distante d’une dizaine de kilomètres. A Trappeto, Carlo Levi fera le même constat que les enquêteurs médicaux, à Palma di Montechiaro : «(…) des rues misérables et puantes » et « (…) des maisons au sol en terre battue, pleines de mouches et d’eau putride (…) ». L’écrivain dresse un tableau terrible des lieux et de l’état des habitants, dans Les mots sont des pierres- Voyage en Sicile (1955).
 Il faudra de nombreuses années pour qu’une société de distribution des eaux voie le jour, pour alimenter sept communes de la région d’Agrigente, dont  Palma.  Cependant, rien n’est jamais acquis. En 2003 une sécheresse frappe la Sicile et le journal L’Espresso (01/10/2003) se fait l’écho du « retour des porteurs d’eau ». Une distribution, à prix élevé, assurée majoritairement par des familles mafieuses.
En août 2020, le maire de Palma di Montechiaro dénonce le vol de «50 litres d’eau à la seconde » (La Sicilia 11/08/2020).
  Après plus de soixante ans d’observation de la province d’Agrigente, le constat est inquiétant : les clans mafieux sont toujours présents. En janvier 2021,  les forces de l’ordre procèdent à  une trentaine d’arrestations dans la région d’Agrigente et de Palma di Montechiaro. Un conseiller municipal de cette ville responsable d’une agence bancaire de la ville, est soupçonné d’avoir facilité des transactions à la bande de malfaiteurs et d’être leur chef. Ces transactions portaient, notamment, sur le blanchiment d’argent d’un trafic de drogue. Ce sont  vingt trois personnes qui sont jugées en tant que membres d’une « famille » associée à l’organisation criminelle (la Stidda) liée à Cosa Nostra. Le procès a débuté, fin Décembre 2021, devant le tribunal de Palerme. La carte, ci-dessous, nous montre la répartition des zones d’influence dans la province d’Agrigente, entre les familles de Cosa Nostra et des clans de la Stidda qui pèsent sur plusieurs villes du Sud de la même province. Source : Direzione Investigativa Antimafia (DIA).
La province d’Agrigente, un laboratoire mafieux. Cosa Nostra cherche-t-elle à se réinventer ?
La Sicile compte neuf provinces (l’équivalent de nos départements), c’est dans la province de Palerme, que se trouvent les familles mafieuses les plus puissantes de Cosa Nostra. Mais la province d’Agrigente semble posséder une particularité : à côté des cosche (familles) de Cosa Nostra, l’on trouve deux autres types d’organisations criminelles, la Stidda et les « Paraccari ».
La Stidda serait née de divisions, au sein de Cosa nostra, dans les années 90. Des familles mafieuses de la province auraient été opposées à la stratégie de confrontation frontale avec l’État, qui était mise en place par le chef de Cosa Nostra, Toto Riina. C’est, du moins, la version retenue par la DIA (Direzione Investigativa Antimafia).
Cette division n’est pas une rupture. La « seconde mafia » de la province demeure sous la coupe de Cosa Nostra. La Stidda serait « autonome ». C’est le terme employé dans le rapport de la DIA sur les activités mafieuses dans la province d’Agrigente. Il est question d’une « hégémonie de Cosa Nostra ».
La mafia sicilienne compte 42 familles dans cette province, un nombre « particulièrement élevé, en rapport avec la taille du territoire et surtout en considérant que la Stidda joue un rôle d’appoint dans certaines zones de la province » In rapport de la DIA- deuxième semestre 2020, page 85.
 A la Stidda s’ajoute une nouvelle entité criminelle : les « paraccari ».  Le terme vient du mot sicilien « paracqua » (Parapluie). Il s’agit d’un groupe, autonome, de familles criminelles, associées. Cette association a pour but de les protéger… comme un parapluie. La presse appelle ce type de famille « Paracco », au singulier. Plusieurs communes de la province semble posséder son « Paracco », c’est notamment le cas de Favara et de Palma di Montechiaro.
Par ailleurs un « repenti » estime que ces « paraccari » sont utilisés « parfois par Cosa Nostra, pour des taches spécifiques, comme la protection de mafieux en fuite ». In La Repubblica, 13 Janvier 2021. Mais, comme nous l’avons vu dans le cas de Palma di Montechiaro, ces « paraccari » ont pour principale fonction des activités criminelles « classiques » : trafic de drogue et surtout détournement d’appels d’offres et influence électorale.
 La présence de « trois mafias » ou organisations criminelles, dans une même province pose question. Elles peuvent s’affronter, mais sur des affaires précises. Structurellement, elles semblent se compléter. S’agit-il d’une expérimentation d’une nouvelle organisation, plus fluide, avec répartition des taches ? L’organisation pyramidale de Cosa Nostra manque, peut-être, de souplesse. Cette « nouvelle hiérarchie » vise-t-elle à passer « sous les radars » des enquêteurs ? Il semble être trop tôt pour répondre à cette question, mais c’est une piste. 
 En tout cas, une telle concentration mafieuse, dans cette province, n’est pas sans conséquences économiques et sociales. Le rapport de la DIA cite la préfète de la province d’Agrigente qui parle de  « pauvreté culturelle indissociable de la pauvreté économique ». La préfète poursuit en estimant que : « des administrateurs des autorités locales (municipalités, organismes administratifs… NDLR) ne sont pas à la hauteur de la complexité de leurs devoirs ».  Le rapport de la DIA estime que « La pression mafieuse conditionne le développement économique et appauvrit le tissu social et productif ». Les enquêteurs pointent « une carence infrastructurelle et organisationnelle, due à la ‘parasitarisation’ du tissu entrepreneurial par les familles mafieuses ». P. 83.
Le problème de l’eau dans la province d’Agrigente montre bien les dégâts causés par les clans mafieux. Depuis le 19ème siècle, les autorités politiques n’ont pas réussi à régler entièrement un problème comme celui de l’eau et de la santé publique. En fait, le système mafieux n’a aucun intérêt à ce que la région se développe en respectant les règles. Cela mettrait à terre Cosa Nostra et ses affidés. Une fois de plus, nous voyons que ce sont des choix politiques qui ont créent la misère et que c’est la Mafia qui s’en nourrit en la maintenant. Par exemple, les propriétaires de puits, qui vendent l’eau hors de prix, n’ont pas intérêt à ce que le réseau fonctionne bien.
S’il on consulte les archives (écrits et images) des années 50, pour la Sicile et pour la Corse, nous constatons que nous ne sommes pas sur le même registre.
Je n’affirme pas que cette comparaison soit pertinente, mais j’ai essayé de montrer les réalités,  à l’échelle.
Une autre illustration du lien entre misère et Mafia, nous est montrée par le géographe français, René Rochefort (1924-2012), à travers l’histoire de la ville  de Corleone, (à 60 Km de Palerme) : « Misère paysanne et troubles sociaux. Un pays du Latifondo sicilien : Corleone ». In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 14ᵉ année, N. 3. Toutes les plaies sont passées en revue, du 18ème siècle à 1958 : misère, émigration, analphabétisme, santé (épidémie de typhus après la seconde guerre mondiale), poids de Cosa Nostra… Comme à Palma di Montechiaro, les familles mafieuses de Corleone feront tout pour empêcher la mise en place d’un véritable système public de distribution de l’eau, à la fin des années cinquante, comme le rapporte Michele Pantaleone : «la construction d’une digue aurait ôté à la Mafia des jardins le monopole de l’eau et d’autre part le bien-être créé par la digue aurait libéré les paysans de l’usure et des abus de pouvoir. La Mafia décida donc de saboter la construction de la digue ». In Mafia et politique.
Au début du 21ème siècle, la situation évolue lentement. Pauvreté et usure perdurent.
Un rapport annuel de la SVIMEZ, déjà cité, parle d’une « tiers-mondisation du Mezzogiorno » (2014).  Tous les indicateurs économiques (PIB, chômage, infrastructures, émigration vers le Nord du pays et l’étranger…) montrent un Sud « décroché ».  Le rapport 2016 de la SVIMEZ contient un chapitre intitulé : « Il peso dell’economia illegale sullo sviluppo. Mafia et corruzione ». On peut y lire : «les boss continuent à se présenter comme « régulateurs » des transactions économiques, des rapports entres citoyens et administration, de la vie politique et civile ».  La SVIMEZ note les difficultés d’accès au crédit pour des entreprises du Mezzogiorno.
  En Corse, le terme « misère » est souvent employé en lieu et place du mot « pauvreté ».   On ne trouve pas trace  d’une misère sociale profonde entre le 19ème et le 21ème siècle, ce qui n’a pas empêché des poches de très grande pauvreté. De nos jours,  la population s’est accrue et le PIB a progressé plus que celui des autres régions métropolitaines. Mais l’île demeure mal classée : chômage, salaires, niveau de formation, familles monoparentales,  pauvreté.  La progression est réelle, mais le « différentiel » demeure par rapport au reste du pays.
Banditisme et pauvreté
Il est fréquent d’entendre « le banditisme prospère dans des régions pauvres ou non développée ». Ce crédo n’est pas, politiquement neutre. Il sous entend que la solution pour faire disparaitre ou amoindrir le banditisme, ce serait d’abord l’enrichissement de la région en question.  Rien n’est moins sur.
On peut aussi penser que c’est le banditisme qui entretient la pauvreté. Dans ce cas, il faut bien admettre que son éradication ou son fort contingentement doit être préalable, ou tout le moins, parallèle au développement économique et social de la région concernée.  Dans le cas contraire, l’enrichissement ne profite qu’à quelques uns, les initiés au sein d’une coterie, que  ce soit une mafia ou non. Pour comprendre ce choix de priorité, il faut, d’abord, identifier la nature du « banditisme ». S’il s’agit « seulement » de banditisme, les lois, et règlements,  l’organisation actuelle de la répression (Justice, Police…) sont suffisants.
Force est de constater que ce banditisme perdure. Dans ce cas, soit ce n’est pas que du banditisme « ordinaire » et on doit passer à un autre stade législatif, soit c’est du banditisme et il a manqué une volonté politique pour rendre efficaces les moyens existants.
Ce choix des mots et des moyens n’est pas neutre pour fixer l’ordre des maux : pauvreté, donc banditisme ou mafia, donc pauvreté.
 L’ordre des maux et des mots parait évident. C’est le banditisme ou bien la mafia qui entretiennent  la pauvreté et qui s’en nourrissent, pas le contraire.
Le repenti Antonio Calderone a un formule qui résume bien la problématique « Plus le marasme est grand, plus Cosa Nostra progresse ». Il s’agit donc, pour les mafias,  d’entretenir un niveau « raisonnable » de marasme. Il est évident que le « système » a intérêt au maintient de la pauvreté, c’est un mode de gestion. Ce qui fait dire à Nando Dalla Chiesa qu’il s’agit d’un « sous-développement administré ».
A ceux qui pensent qu’une mafia est une façon de maintenir certaines richesses sur place, en les empêchant de partir ailleurs on peut opposer un constat simple : Les régions qui connaissent des mafias sont en stagnation économique et sociale. L’argent détourné ou obtenu par la contrainte ne se retrouve pas dans le développent, au sens commun du mot.
Le clientélisme, c’est le  contraire de la richesse collective. Du reste, cette dernière  expression est inconnue du vocabulaire mafieux, sauf à confondre le « collectif » et la « famille ». Quand à l’argent censé être maintenu  sur place, il alimente d’abord les factions et se cache dans les Paradis fiscaux.
Si on admet qu’une mafia vit comme un parasite, on comprend que cette bête là affaibli le corps social, au lieu de l’enrichir.
« Bourgeoisie comprador » et non développement
Il n’est pas neutre que plusieurs membres du Milieu corse soient ou aient été des « fils de bonne famille ». Au-delà de l’attrait du banditisme,  plus excitant que la notabilité, on peut aussi chercher une nécessité. L’incapacité historique de la Corse à dégager une bourgeoisie classique, forte a, sans doute, poussé une partie des notabilités à tenir leur rang en prenant l’argent là où il est. Il s’agit d’un exemple d’accumulation primitive du capital. Qu’il se fasse par la force n’est pas une nouveauté en soi. Une partie des actions d’accumulation capitalistique s’est faite dans le monde, en débutant par l’accaparement coercitif de  richesses. Cependant les systèmes (pays et entreprises) qui perdurent doivent passer à un autre stade (production, innovations techniques…).
Cet état provisoire d’une société ne doit pas durer, sous peine de fabriquer une société mafieuse. Pour l’économiste Max Weber (1864-1920) « Des groupements politiques peuvent fort bien, au départ, reposer sur une économie de rapine, mais cette situation ne saurait perdurer ». In Économie et société/1 les catégories de la sociologie.
 On pourrait penser que le cycle : vol/recyclage, mène à une étape suivante qui serait l’optimisation intelligente (un développement économique plus classique). Si ce  raisonnement peut choquer la morale contemporaine, il suffit d’analyser l’histoire de certains pays riches pour comprendre comment leur développement et leur croissance s’est faits sur un tel schéma. Mais il y a un mais.
La petite taille de l’aire, géographique et démographique, les mœurs politiques et le rôle ambigu de l’État, s’joutent à l’absence d’un projet d’ensemble. En d’autres termes la somme des rapines ne fait pas un projet politique. L’accumulation reste primaire et surtout elle entre dans un cercle, sans fin, de renouvèlement. Seule la violence règle les conflits et l’accumulation profite, brièvement, au premier cercle des factions en lice. Ce mouvement « perpétuel » est le contraire du développement. Il ne fabrique pas une réelle bourgeoisie, mais génère une forme de bourgeoisie comprador, sans réelle dynamique économique.
Certains observateurs vont même jusqu’à penser que l’État a laissé faire, parce que la gestation d’une classe entrepreneuriale « normale » lui coutait trop d’efforts.
Ceux qui profitent de ce système, sur place, veulent-il aller plus loin ?  Le développement n’irait-il pas à l’encontre de leur pouvoir ? Pour l’historien britannique Eric Hobsbawm la réponse est la même pour toutes régions où le banditisme est en relation « dialectique » avec les élites locales : « (…) le but de ce type de politique n’est pas l’accumulation du capital, mais le renforcement de l’influence familiale. A vrai dire, ce genre de politique s’effondre quand la recherche de la richesse et l’intérêt familial peuvent être dissociés et que l’une prend le pas sur l’autre ». Bandits".
Une fois de plus, c’est de Sicile que nous vient l’enseignement historique. L’historien du droit, Jacques de Saint Victor note  que malgré l’extension du nombre de familles possédant de grands domaines qui passeront de « deux mille à vingt milles », entre 1812 et 1860.  Cela ne favorisera pas « l’émergence d’une petite bourgeoisie rurale éclairée ». Au contraire, l’historien de l’agriculture, Emilio Sereni parlera  de « bourgeoisie avortée » Il capitalismo nelle campagne (1860-1900).  
Selon l’historien Paolo Pezzino « il n’y a pas en Sicile de bourgeoisie agraire forte, qui se serait affirmée en même temps que le marché et qui serait en position de se renforcer socialement en gérant les nouveaux mécanismes économiques » In La mafia, l'État et la société dans la Sicile contemporaine (XIXe et XXe siècles). In Politix, vol. 13, n°49.
Enfin, les rapports de la SVIMEZ sur le Mezzogiorno parlent d’une « sorte de bourgeoisie illégale ».
Banditisme et développement
   Il reste une question : le banditisme et/ou une Mafia, pèsent-ils sur le développement de la Corse ? Nous possédons de rares éléments de réponse. Le « système  politique traditionnel » a limité une certaine accumulation du capital, comme l’ont bien remarqué, notamment, Adolphe Blanqui et Paul Bourde. Tant que la société pouvait fonctionner avec un minimum de besoins et d’investissement, elle a assumé ce système, souvent au prix de grosses tensions (absence de démocratie, émigration, violences, pauvreté...).
En changeant d’époque, de nouvelles tensions sont apparues. Un minimum de capital devient nécessaire, indispensable même. L’anthropologue Gérard Lenclud rappelle d’abord « (…) l’absence de circulation monétaire » et que « jusqu’à la création de laiteries à la fin du XIXème siècle, l’argent est chose rare dans le Niolu comme dans la Corse de l’intérieur ». In « En Corse-Une société en mosaïque ». 
Jusqu’au début des années 60 (XXème siècle) le troc est encore présent dans certaines pièves (micro régions). Ce constat n’est pas neutre.
Existe-t-il un lien entre la criminalité en Corse et la pauvreté chronique et si oui, de quel nature est-il ? Les quatre articles qui vont suivre, n’ont pas la prétention de répondre à une question qui n’a jamais fait l’objet de recherches scientifiques.  Cependant, en observant la criminalité en Corse du 19ème siècle à nos jours, nous pouvons glaner des éléments de réponse. Un jour, peut-être, une étude sera menée sur ce thème.
Bibliographie
En Corse-L’esprit de clan-Mœurs politiques-Les vendettas-Le banditisme. Paul Bourde Ed. Calmann Lévy 
En Corse-Une société en mosaïque. Gérard Lenclud. Ed. de la Maison des sciences de l’homme
Vendetta et banditisme en Corse au XIXème siècle. Stephen Wilson. Ed. A Messaggera/Albiana
Les gendarmes en Corse. 1927-1934. Simon Fieschi. Service historique de la Défense
 La Corse. André Rondeau. Ed. Armand Colin
Bandits.Eric Hobsbawm. Ed. Zones
 Mafia et politique. Michele Pantaleone. Ed. Gallimard
 Les mots sont des pierres. Voyages en Sicile. Carlo Levi
Économie et société/1 Les catégories de la sociologie. Max Weber. Plon-Pocket
 Études et rapports
Rapport sur l’état économique et moral de la Corse en 1838. Jérôme-Adolphe Blanqui. BNF Gallica
Etudes et rapports Pauvreté et impacts de la crise COVID dans les intercommunalités de Corse (Mai 2021). INSEE
 Crise de structure économique et crise de conscience en Corse (fin XIXème début XXème) Francis Pomponi. Cahiers de la Méditerranée (1997)
La Santé en Corse (XVIème-début du XX siècle)-A travers les documents d’archives. CRDP de la CorseLe recensement de la population française en 1911. Journal de la société statistique de Paris, tome 53. Michel Hubert.
La lutte antipaludique en Corse (1954).  C. M. J. Jaujou.
Le paludisme en Corse et l’assainissement de la plaine orientale. Henri Pierangeli.
Rapports de la commission Delanney sur la situation de la Corse (1909). Compilation d’André Fazi
 Ceux qui ne pêchaient pas… De la prépotence camorriste dans les bas-quartiers napolitains à la fin du XIXème siècle. Nathan Brenu. En ligne sur le site ACADAMIA (2014)
La pauvreté « absolue » dans le Mezzogiorno. La Stampa (15/06/2022)
Données pauvreté 2021 en Italie. ISTAT (Istituto Nazionale di Statistica)
Rapport SVIMEZ 2021. L’economia e la societa del Mezzogiorno
Réseaux mafieux et capital social. Rocco Sciarrone. In: Politix, vol. 13, n°49
Mafia et économie légale : pillage et razzia. Clotilde Champeyrache. Revue Hérodote 2009/. (n° 134)
Rapport DIA 2ème semestre 2021
Alain VERDI le 2 Novembre 2022
Lien vers le même article sur le blog du site Mediapart
je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 2 years
Text
L'Unité des pays européens : l’exemple italien, vraiment hors-normes ?
Au 19è siècle l’Allemagne et l’Italie deviennent des États unifiés. Seule la péninsule héritera de mafias. Motif : « une étatisation manquée ». Ces organisations criminelles sont en « symbiose » avec une partie de la société. Des élites politiques et économiques forment un triangle avec la criminalité. On les retrouve au sein de loges maçonniques « dévoyées », dans une clandestinité… apparente
Alain VERDI le 23 Octobre 2022
Des unités politiques variées
En Europe, essentiellement en Italie, l’apparition d’organisations criminelles nommées mafias commence à être observée dans la seconde moitié du 19ème siècle. Au cours de ce siècle et bien avant, le banditisme était particulièrement développé dans la totalité du continent européen, avec des intensités différentes selon les pays. Par « pays », il faut entendre une multitude d’États, sous des formes variées : royaumes, petits et grands, principautés, villes-États, duchés, États nations... Cette dernière forme, telle qu’elle est connue aujourd’hui, n’était pas uniformément répandue. Au 19ème siècle, une partie des États actuels étaient en voie de formation. C’était le cas de deux grandes entités contemporaines, l’Italie et l’Allemagne. Ces deux pays ont connu le banditisme, à des degrés divers. Seule l’Italie a vue une partie de ce banditisme se transformer en mafias. L’unité de l’Italie et de l’Allemagne s’achèvent à la même période. Pourtant le banditisme allemand restera « ordinaire », ce n’est pas le cas de l’italien. Pourquoi cette divergence, dans deux pays qui affichent une unité politique, presque en même temps ? La réponse doit être cherchée dans l’organisation politique de cette unité. Nous regarderons (rapidement) le cas de la France et de la Russie, pour constater que le banditisme russe  -ancien, mais atténué et/ou masqué, sous le régime soviétique- a produit des systèmes mafieux à la suite de la dislocation de l’URSS. La faiblesse des États contemporains, à un moment M, semble transformer la criminalité « ordinaire » en mafia. En France l’existence d’un État fort  et ancien paraît avoir contenu le banditisme sous un seuil relativement « acceptable ». Seule la Corse  semble faire exception. Elle demeure le fil rouge de la longue série d’articles publiés sur ce blog.
 Faiblesse des États, puissance des « Princes »
Je mets des guillemets au mot « Princes » pour que l’on comprenne qu’il s’agit d’un mode de pouvoir particulier  -généralement autocratique et violent- et non pas d’un titre nobiliaire, dans une simple principauté.
L’historien français Fernand Braudel, spécialiste de la Méditerranée, nous rappelle qu’au XVIè siècle, le banditisme est « niché dans des zones de faiblesse des États ». Faiblesse des États, mais puissance des « Princes ».
Au XIXè siècle, la « mafiosisation » est en cours de formation en Italie. L’exemple italien est frappant. On y trouve des bandits au service des différents « Princes ». Le pays est encore divisé en plusieurs entités. En ne réussissant pas entièrement son unification, l’État italien unifié se retrouve face à des contre pouvoirs au service des nouveaux « Princes » qui contrôlent les zones méridionales. Avec le passage d’une myriade de structures politiques, à un grand État, les anciennes bandes de bandits se transforment en mafias contemporaines. Oui mais, peut-on rétorquer, les autres États qui se sont formés à partir de leur anciennes structures n’ont pas vu leurs bandes devenir mafias. A l’exemple de l’Espagne (décrite par F. Braudel), la réponse paraît simple : ces États ont mieux aggloméré (par un mélange de violence et de récupération) les « Princes » et leurs « supplétifs », les bandits. 
La forme politique de l’État n’intervient pas dans la formation  -ou non- des mafias. Les mafias italiennes se forment sous une royauté et poursuivent leur existence sous la République.
 En Russie le banditisme, contenu par le régime soviétique de l’URSS (1922-1991), a laissé place à un certain nombre d’organisations criminelles, qualifiées de « mafias ». Confer Isabelle Sommier (Les mafias).  
Dans les exemples italiens et russes, nous voyons que la formation de ces mafias correspond bien à des faiblesses des États :
En formation pour l’Italie.
En restructuration pour la Russie.
En Russie, le vide laissé par la disparition de l’ancien régime est immédiatement comblé. Une partie importante des anciens dirigeants régionaux (15 Républiques « autonomes ») ont conservé le Pouvoir, par la force (qu’ils possédaient déjà sous l’URSS)  et par la corruption (qui n’était pas absente sous l’ancien régime). Ces formes régionales puissantes s’intègrent, à leur manière (violence, corruption…) au nouvel État,  la Fédération de Russie (Communauté des États Indépendants).
Tumblr media
La CEI comprend 9 des anciennes Républiques soviétiques. En fait, la Russie actuelle est constituée d’une dizaine d’entités de formes variées : Républiques, Oblast, Districts etc. Dans la situation actuelle (tension en Europe),  il serait intéressant d’étudier en détail les rapports de Pouvoir entre l’État central et ces entités. Avis aux chercheurs.
Pour l’Italie,la continuité mafieuse est mieux documentée. Des principautés aux royaumes, puis à la République (1946), en passant par la parenthèse fasciste (1924-1943), l’activité des mafias s’est poursuivie. Non seulement elle n’a pas disparu ,mais la plupart des observateurs estiment que ce système prend de plus en plus d’importance. Nous pouvons constater qu’une certaine faiblesse de l’État italien demeure, depuis sa création (1866) à nos jours.
 Le jeu politique ambigu joué par la plus grande part des partis politiques italiens, face au phénomène mafieux, n’aide pas à la résolution du probl��me. Au contraire il l’alimente.
L’on peut rétorquer que ces deux exemples (Russie et Italie) sont hors normes. Pourtant, force est de constater que ces mafias étendent leurs activités et surtout que la « mafiosisation » semble devenir une règle dans le monde. Il faut entendre par « mafiosisation » une interpénétration entre la criminalité organisée et les pouvoirs politiques et économiques.
Comme dans les exemples russes et italiens, c’est bien le rôle des États qui représente l’enjeu principal.
 La France, une place à part ?
Quelle est la place de la France dans cette problématique ? Sans refaire ici l’Histoire de France, nous pouvons retenir que l’État français est ancien. Sous la royauté, il s’est constitué contre les Barons. La République s’est construite, en partie, contre les Pouvoirs régionaux (Jacobins contre Girondins). La République française a renforcé la constitution d’une administration cohérente du pays, avec des nuances en Corse. De son côté, le Pouvoir unificateur italien a dû consentir à des concessions aux notabilités méridionales.  C’est la thèse de l’Étatisation manquée.
La faiblesse de l’unité administrative est l’une des portes d’entrée des mafias. Pressés par le temps, les unificateurs italiens n’ont pas achevé le travail. En 1861, Massimo d’Azeglio (penseur du Risorgimento) avait raison : «  Fatta l’Italia, bisogna fare gli italiani » (L’Italie est faite, il reste à faire les Italiens). Plus de 160 ans après, la mission n’est pas entièrement accomplie.
Tumblr media
Une unité récente et trop rapide (1859-1871) peut expliquer, en partie, les limites de la construction de l’État italien.
A la même époque se réalise l’unité de l’Allemagne. Son projet politique s’appuie sur, au moins, deux piliers : la langue et l’existence antérieure d’un Saint Empire Germanique (de l’An mille à 1806). Cet empire était, en réalité, un conglomérat d’entités disparates (villes, principautés, duchés…).La langue principale n’était pas l’allemand. L’unification de l’Allemagne (1871) se fera sous l’égide de la langue allemande. Pour comprendre l’esprit du nationalisme allemand contemporain, on peut lire Retour à Berlin de Brigitte Sauzay. Plus important que le territoire, le droit du sang l’emporte sur le droit du sol.
Allemagne et Italie sont considérées comme unifiées en 1871. Dans ces deux pays, une langue domine, même si l’on y pratique des langues régionales et/ou minoritaires.
Il faut donc aller chercher ailleurs les causes de la faiblesse administrative et son corollaire, les mafias.
Ce qui créait la division, en Italie, c’est bien la situation économique et sociale. Le contenu du débat politique sur les causes de cet écart Nord-Sud ne participe pas, avec succès, à une meilleure unité des Italiens. Pour s’en convaincre, nous pouvons écouter le podcast « Aux origines de la fracture Nord-Sud » sur France Culture, dans l’émission « Entendez-vous l’éco », 30 Mars 2021.
Le bilan économique est réalisé, il reste à analyser les causes politiques.
L’Allemagne a su surmonter ses divisions historiques et passer outre ce que l’on avait l’habitude d’appeler « des querelles d’Allemands ». Le pays était divisé, jusqu’au milieu du 19ème siècle, en plusieurs États, principautés, ville-États… Les Allemands ont eu leur unificateur, Otto Von Bismarck et leur État développé, la Prusse. Cette dernière a joué le rôle moteur dans la construction d’une Allemagne unifiée.
Tumblr media
L’Italie a eu son unificateur, Cavour (Camille Benso, comte de Cavour) et sa région développée, le Nord. La comparaison s’arrête là. Les mœurs et traditions politiques étaient différentes. Bien que possédant des niveaux de développement différents, les nombreuses entités constitutives de l’Allemagne se sont retrouvées autour d’un socle minimum. La puissante Prusse a réussi à ne pas donner l’impression d’écraser et de mépriser les entités les moins développées. Une chose est intéressante à observer, c’est sous le régime d’un État providence autoritaire que sera institué un système de Sécurité Sociale pour tous. A l’interne, l’autoritarisme germanique était tendu vers une efficacité économique, aidée par un calcul social. Rien de tel en Italie, où l’autorité du jeune royaume parlementaire, d’essence libérale, s’est heurtée à des résistances de nature féodale (propriété foncière, gestion violente des rapports sociaux…), dans le Mezzogiorno. Il ne s’agit pas de dire, ici, que le Nord était un modèle de socialisme. Simplement l’opposition politique Nord-Sud n’a pas été levée, au détriment des habitants.
Les compromis concédés pour arriver à l’unité (Risorgimento) n’ont finalement pas débouché sur une harmonisation économique et sociale et donc politique. Que ce déséquilibre soit l’Alpha et l’Oméga de l’existence des mafias, me paraît indéniable.  Le système mafieux s’est d’abord consacré au contrôle du territoire où vivent ses clans, en accumulant du capital social (et aussi des biens matériels). Aujourd’hui, il s’agit de contrôler les ressorts de l’économie et donc une partie du capital financier, en maintenant le contrôle territorial. Clotilde Champeyrache parle de « (…) positionnement à cheval sur la sphère légale et la sphère illégale » In L’infiltration mafieuse dans l’économie légale.
 Mafias et Politique, qui commande qui ?
La relation entre criminalité organisée et monde entrepreneurial tombe sous le sens. Pas d’affaires sans entrepreneurs, qu’ils soient contraints ou associés, sans être membre d’un clan.
Ce qui est le plus difficile à démontrer, juridiquement, c’est le rôle du Politique. Ce dernier vote les lois sur tous les domaines qui intéressent la criminalité : l’économie, le social, la Justice…
Dans quel sens fonctionne l’influence ? Est-ce que ce sont les mafias qui contrôlent le Politique ou bien est-ce le contraire ? Les analyses diffèrent.
Le repenti, Antonino Calderone, est affirmatif : « il n’y a personne au dessus de Cosa Nostra (…) qui nous donnerait des ordres. Ce sont les mafieux, tout au plus, qui donnent des ordres aux hommes politiques, même indirectement (…) ». In Les hommes du déshonneur. Une version qui semblait partagée par le Juge Giovanni Falcone : « personne ne donne d’ordre à Cosa Nostra ». De fait, l’enquête et le « maxi procès »  (1986-1987) ne visaient que des boss et des exécutants du versant criminel de l’organisation. Les juges Falcone et  Paolo Borsellino ont laissé transparaitre un motif : « il ne fallait pas se disperser et risquer de diluer les débats ». C’était une occasion rare de juger et condamner des dizaines de mafieux. Mais G. Falcone croyait-il vraiment que le Politique ne donnait pas d’ordres à Cosa Nostra et que c’est la Mafia qui ordonne ? Le juge n’est plus là pour répondre (assassiné en Mai 1992).
Cependant, on peut estimer que cette mise de côté du rôle des politiques n’était qu’une stratégie : d’abord, faire condamner des voyous de haut vol et ainsi s’approcher de la sphère politique. D’une certaine façon, c’est le « repenti » Tommaso Buschetta qui en fera la démonstration. Durant les interrogatoires, menés par G. Falcone, il n’avait pas abordé le rôle du Politique. Il le fera après l’assassinat du juge « par respect pour lui ». T. Buschetta devient «repenti » en 1984, mais n’abordera les liens Mafia-Politique qu’en 1995. Automatiquement, les Pouvoirs cherchent et trouvent des parades pour se protéger. T. Buschetta le dénonce dans un entretien au quotidien La Repubblica. Les auditions de Tommaso Buschetta, devant la commission parlementaire « anti mafia » peuvent être écoutées en ligne, voir lien en fin d’article.
Tumblr media
Dans les années 80, les boss de Cosa Nostra et des Politiques ont dû comprendre la stratégie du magistrat. Son assassinat n’est pas seulement une vengeance pour le verdict du « maxi procès », c’est aussi une précaution pour empêcher la réussite de la « stratégie » de G. Falcone et de P. Borsellino, viser les voyous pour atteindre le Politique.
 Alors, qui commande ? Et si la question était mal posée ? En fait, la structure du système mafieux ressemble à une interaction. Pour schématiser, il faut des hommes politiques pour voter des lois protectrices, afin que les criminels commettent leurs forfaits, en toute impunité. Mais il ne s’agit pas d’une simple bande de malfrats, qui auraient quelques relations politiques. Comme disait A. Calderone « Nous, on est des hommes d’honneur. Et pas seulement parce qu’on a prêté serment, mais parce qu’on est l’élite du crime. On est très supérieur aux délinquants ordinaires. On est les pires de tous » In Les hommes du déshonneur, déjà cité.
Pour boucler la boucle, il faut des entrepreneurs pour faire fonctionner les affaires. Cela débouche sur la création d’une novelle classe, la « bourgeoisie mafieuse ».
Criminalité, Politique (y compris les administrations nationales et locales) et entrepreneurs, sont les trois piliers du système mafieux. Réserver le terme Mafia à la criminalité est une erreur. Il faut avoir la discipline intellectuelle d’inclure les deux autres sphères. La Mafia, c’est la connexion de ces trois mondes au sein d’une même organisation. Ce système a besoin, pour se protéger, de laisser croire que seul le bras armé constitue Cosa Nostra. Ce raisonnement est valable pour les autres mafias.
Antonino Calderone et d’autres « repentis » surestimaient, sans doute, la « branche voyous » de Cosa Nostra et/ou voulaient se protéger en minimisant le rôle du Politique, en affichant une autonomie de son organisation « De ça, je suis sûr, Cosa Nostra est autonome ».
A la lecture des déclarations de plusieurs repentis siciliens, le schéma des relations Mafia-entrepreneurs serait le suivant : Cosa Nostra « protège » les gros, prélève sa «dîme » et crée des entreprises, petites ou de taille moyenne. Dans l’ensemble cela donnerait le détail suivant :
De grosses sociétés nationales, ou internationales, acceptent une « protection » (le racket) pour exercer sur le « territoire » d’une famille mafieuse. Ces « gros » gardent leur autonomie sur les marchés extérieurs aux zones mafieuses. Elles conservent également leur autonomie sur leur actionnariat et leur capacité globale de financement. Bien sûr, les mafias peuvent exiger l’embauche de certains de leurs affidés, dans des emplois réels ou fictifs. Grace à leur capacité d’autofinancement (drogue, racket…) les mafias peuvent participer « en direct » au capital de certaines entreprises régionales, mais aussi nationales ou étrangères. C’est une des méthodes de blanchiment de l’argent sale. Les autorités considèrent, aujourd’hui que, dans les grandes « régions mafieuses », la majorité du secteur économique est en grande partie dans les mains des familles mafieuses. « Près de 80% en Calabre ».
Cet énorme contrôle soulève, au moins, deux problèmes : économique et juridique.
-Sur le plan juridique, comment considérer les responsables d’entreprises qui opèrent en « territoire mafieux », grâce à « la protection » contrainte ? Sont-elles victimes ou complices ? Sans doute les deux. Pour essayer, notamment, de faire le tri et d’empêcher des personnes ou des sociétés non mafieuses de s’allier  -même temporairement- à des mafieux, le législateur a adopté le délit ce « concours externe en association mafieuse »(1994) L’idée de cet article de loi est de couper les liens qui peuvent être établis entre les mafias et des participants extérieurs, de façon temporaire ou prolongée. Son application « de jure » rencontre une série de difficultés, comme le détaille le juriste italien Marco Venturoli. Pourtant, arriver à couper ce lien, ce serait amorcer la mort des mafias.
-Sur le plan économique, les conséquences sont nombreuses.
Le marché est faussé, la concurrence est impossible. Des entreprises « saines » sont détruites et leurs dirigeants sont éliminés et disparaissent, ou bien elles sont « absorbées » par une famille mafieuse. 
Globalement cela signifie qu’une partie de certains secteurs économiques est gérée  -« en direct » ou par des sociétés écrans- par des clans mafieux. Dans les zones mafieuses, le secteur financier et l’accès aux crédits (privés et publics) sont sous contrôle. Les entreprises mafieuses s’autofinancent  (argent sale) et/ou contraignent les organismes de crédit à leur accorder des prêts à des conditions avantageuses, tout en refusant des crédits à d’éventuels concurrents (non mafieux, ou membres de clans adverses). Le préfet de Palerme, Carlo Alberto Dalla Chiesa, résume le rôle des banques dans le jeu mafieux : «Les banques savent très bien, depuis des années quels sont leurs clients mafieux » entretien au quotidien La Repubblica (10 août 1982). Ce processus fonctionne, principalement, dans les « régions mafieuses ». Il a pour conséquence de limiter une grande partie de l’activité économique aux entreprises tenues par les clans et de restreindre la diversité des secteurs économiques présents sur le marché.
 La nature des biens et entreprises « mafieuses » saisis nous donne une idée des secteurs économiques où les organisations criminelles investissent. C’est ce que nous montrent les données collectées par l’ANBSC (Agence italienne de recouvrement et de saisie des biens criminels) et mises en forme dans un travail universitaire réalisé à la demande du syndicat CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro). Les données portent sur les entreprises confisquées, par secteurs d’activité. Dans les graphismes, ci-dessous, nous pouvons observer les secteurs où sont effectuées les saisies, dans quatre régions italiennes. Trois « régions mafieuses » (Calabre, Sicile, Campanie) et une non mafieuse, l’une des plus riches d’Italie (Lombardie).
Tumblr media
Les graphismes des saisies de biens mafieux montrent les secteurs où les clans investissent leurs gains criminels. Une étude plus poussée, sur l’activité économique globale de ces régions, confirmerait des analyses empiriques : l’économie mafieuse se calque, en grande partie, sur l’économie de ces régions. Avec des nuances, cependant. A la lecture attentive des graphismes ci-dessus, nous constatons que (par exemple) pour les saisies dans le secteur « hôtels-restaurants », le pourcentage n’est pas élevé, dans les trois « régions mafieuses ». C’est simple à comprendre : les propriétaires payent le pizzo (racket) et demeurent… propriétaires. Les mafias gagnent sur deux tableaux : le financier et celui du capital social. En Lombardie, la part plus élevée du même secteur (« hôtels-restaurants ») ne représente que les saisies, mais ne correspond pas au pourcentage du nombre d’entreprises « hôtels-restaurants » de cette région. Dernier point, cette étude doit être nuancée, car les « organisations criminelles », qui se voient saisir des biens, ne sont pas toutes des mafias. Il faut savoir que, dans les trois « régions mafieuses », Le racket reposant sur le principe de la protection extorquée, les mafias ne laissent pas de place aux voyous hors clan. Pour la Lombardie,  où les mafias sont aussi présentes, le terrain du racket est mieux réparti entre clans mafieux et criminalité « ordinaire ».
Une seule certitude se dégage, les clans mafieux italiens investissent l’argent des trafics dans toutes les régions d’Italie et dans plusieurs pays étrangers. Cela ne peut pas être sans conséquences pour l’économie de ces régions et de ces pays.
 Les cavaliers d’industrie
L’expression « cavalier d’industrie » ou « cavalier d’entreprise » revient souvent dans la presse italienne. Elle désigne, le plus souvent, des associations d’entreprises et d’entrepreneurs regroupés pour mieux emporter des appels d’offres et être plus efficaces sur des marchés. Mais certains de ces « cavaliers » ont enfourché un cheval nommé Mafia. L’histoire des relations entre les organisations criminelles et des entreprises dessine une partie du fonctionnement de l’économie italienne.
L’entreprise Costanzo, comme une parabole
La société bâtie à Catane (Sicile) par la famille Costanzo est fondée en 1877. Elle va se développer dans plusieurs domaines, notamment, le bâtiment, l’agriculture et l’industrie. L’entreprise diversifie ses activités après la 2ème guerre mondiale, sous l’égide de deux petits fils du fondateur et entrera dans le « Top 10 » des sociétés italiennes de construction. Ses chantiers s’étendent au Nord du pays et à l’étranger. Cela pourrait ressembler à une réussite entrepreneuriale, courante lors des années du « Miracle économique Italien » (1958-1963). Seulement voilà l’histoire se passe à Catane. L’entreprise obtient un gros marché à Palerme. Ce qui met la puce à l’oreille des autorités judiciaires.
 Selon « le repenti » Antonino Calderone, la société Costanzo était « protégée » par le clan mafieux dirigé par son frère Giuseppe Calderone. A. Calderone déclare dans ses « confessions », avoir rencontré un des deux frères Costanzo dans leur entreprise « pour encaisser une facture » et s’être entendu dire (Mai 1982) « l’arrivée de Dalla Chiesa est un vrai malheur » et que « (…) ce général était un type extrêmement dangereux ». In Les hommes du déshonneur, déjà cité. Effectivement, dès sa prise de fonction (Mai 1982), le préfet demande des informations sur plusieurs entreprises de Catane, dont celle des frères Costanzo. La dernière interview accordée par le préfet est recueillie par le journaliste de La Repubblica, Giorgo Bocca,  un mois avant l’assassinat. On peut y lire cette phrase du préfet, facile à décoder : « Avec le consentement de la mafia palermitaine (la plus puissante NDLR) les quatre plus grandes entreprises de Catane travaillent à Palerme ».
Le général sera assassiné en Septembre 1982.
Ces « quatre entreprises » seront surnommées « les quatre chevaliers de l’apocalypse mafieux » expression employée par un journaliste sicilien, Giuseppe Fava, dans sa publication I Siciliani (Jan. 1983). Il sera assassiné par Cosa Nostra en 1984.
Qui contrôlait qui ? D’après les déclarations d’A. Calderone, les bénéfices retirés par son clan, auprès de l’entreprise, étaient minimes. Mais le « repenti n’a pas peur de se contredire, d’une certaine façon : « Cette fréquentation étroite (avec les frères Costanzo NDLR) (…) il était inévitable que l’un d’entre nous, de loin en loin, ne caresse l’idée de devenir aussi riches qu’eux et les remplacer ».  Et de poursuivre : « (…) d’ailleurs, grâce à qui ils ont gagné tout ce fric (…) grâce à nous ». A. Calderone semble minimiser l’importance du poids de son clan dans sa relation avec l’entreprise, tout en admettant qu’il la protégeait. Poursuivi, avec d’autres « cavaliers » pour évasion fiscale et « association délinquante », un délit non mafieux, les « cavaliers » Costanzo, échapperont aux foudres de la Justice (non lieu). Une justice dévitalisée par la nomination d’un concurrent « douteux » au poste convoité par G. Falcone au Syndicat Supérieur de la Magistrature (très puissant en Italie). Le nouveau nommé défera le pool anti mafia co-organisé par G. Falcone. Les révélations d’A. Calderone sur les liens Costanzo-Cosa Nostra seront minimisées. Bilan : la Justice plie, les politiques se taisent et l’entrepreneur passe à travers les gouttes. Etait-il complice ou victime ? En tout cas la « protection » de Cosa Nostra a participé à la richesse de son groupe. Cet exemple est symptomatique des relations entre les mafias et les grosses entreprises. En 2013, la Justice soupçonnera Silvio Berlusconi d’avoir « signé » un pacte avec la Cosa Nostra. Cette dernière aurait « protégé » la croissance des entreprises du groupe Berlusconi (1974-1992).  Poursuivi dans de nombreuses affaires (faux bilans, corruption, faux témoignage, pots de vin…) il sera absous plusieurs fois (acquittement, non lieu, amnistie…) et ne sera condamné qu’une seule fois (1995), à 3 ans de prison et une forte amende, pour corruption. Il est dispensé de peine (prescription). A quelques années d’écart, les deux affaires (Costanzo et Berlusconi) se ressemblent sur la forme. Le surnom de S. Berlusconi est « il cavaliere », le cavalier…
Maçonnerie « déviante », les liens « invisibles »
Pour que toutes ces strates de la société soient reliées entre elles par un système de Pouvoir, il faut une organisation. Elle doit être efficace et  très discrète, presque secrète. Les cérémonies d’intronisations des mafias italiennes ressemblent à un mélange de croyances chrétiennes et d’ésotérisme. En résumé, l’ésotérisme consiste à garder ses objectifs et les méthodes pour les atteindre, inconnus des « profanes ». Seuls certains individus sont « initiés ».  C’est ce même ésotérisme qui prévaut dans les loges maçonniques, à  ceci près que les objectifs affichés de la Maçonnerie ne sont pas les mêmes que ceux des mafias. Qu’à cela ne tienne, les objectifs d’une loge maçonnique peuvent être détournés, dans la clandestinité.
« Massoneria deviata » (maçonnerie détournée ou déviante) c’est l’expression employée en Italie pour désigner un système ésotérique ancien (la franc- maçonnerie) détourné de ses buts, pour des visées criminelles et politiquement réactionnaires.
Les liens entre Mafia, extrême droite et loge maçonnique ont été connus du grand public avec l’affaire de la « loge P2 » (Propaganda due). Cette loge ancienne (1877) a été récupérée et détournée par un système de Pouvoir alliant les parties les plus violentes de la société italienne : d’anciens membres du Parti National Fasciste, un banquier véreux,  des responsables des services secrets, des alliés de Cosa Nostra….  De discrète (logique en maçonnerie « normale ») la P2 est devenue clandestine, au début des années 70. Il ne s’agit pas, ici, de refaire l’histoire de cette loge, mais de signaler qu’elle comprenait une liste impressionnante de notables civils et militaires qui œuvraient à « un changement de la démocratie italienne ». Dans une partie de la liste des membres, dévoilée en 1981, l’on trouve le nom de Silvio Berlusconi.
 L’affaire de la loge P2 n’est pas un cas unique. Dans le dernier quart du 20ème siècle, des chefs de clans de la « ‘Ndrangheta »auraient décidé d’investir des loges maçonniques, en Calabre et ailleurs. C’est la thèse que présente, notamment,  Jacques de Saint-Victor. L’on retrouve, dans ces loges « détournées » les mêmes catégories de notables qui composaient la P2. La thèse d’un détournement récent de certaines loges doit être comprise comme l’une des formes qui unissent le Politique et la criminalité organisée en Calabre.  Maintenant, on se doit de poser la question : comment et pourquoi autant de notables ont-ils adhéré à cette démarche ? La réponse paraît évidente : il existe des conjonctions d’intérêts entre eux et les organisations criminelles. Il n’est donc pas certain que ce soient des chefs de la ‘Ndrangheta qui aient amorcé, seuls, cette « fusion ». Il faut, sans doute, parler de convergences.
Cette convergence, « ce réseau invisible » sont décrits par le procureur anti-mafia de Calabre et le chercheur Antonio Nicaso : « Je m’en occupe personnellement ». C’est une des phrases les plus utilisées dans les conversations interceptées par les enquêteurs, qui fait référence à ce « monde du milieu » dans lequel les mafias s’entremêlent avec la franc-maçonnerie et les grandes entreprises, jusqu’à ce qu’elles ne fassent qu’une seule et même chose ». In La rete dei invisibili.
Ces convergences ont débouché sur une formule : Massomafia.
Tumblr media
Cette convergence est ancienne, comme le dit la Commission parlementaire d’enquête « sur le phénomène des mafias » (Sénat-chambre des députés) : «(…) depuis des temps immémoriaux, la question de l'infiltration mafieuse en franc-maçonnerie a fait l'objet de poursuites pénales et de rapports de commissions parlementaires précédentes (…) ». Rapport de la Commission (Février 2018) page 248.
Convergence banques-Mafia, un exemple parmi d’autres
En 2015, une enquête fait état de liens entre un gros entrepreneur sicilien accusé d’être en « odeur de mafia » et des dirigeants de la grande banque italienne UniCredit. Deux de ces banquiers seront poursuivis, dont le vice-président. Le versant bancaire de l’enquête ne semble déboucher sur rien, à ma connaissance. Aucune complicité n’est attribuée aux deux dirigeants, mais cette affaire montre une chose : les responsables d’une des plus grandes banques d’Italie savaient… comme pour les banques anglo-saxonne touchées par des affaires de blanchiment d’argent des narcotrafiquants. Vous avez dit convergences...  
Une actualité… convergente
Nous avons pu observer que l’unité « réussie » de l’Allemagne n’a pas produit de Mafias allemandes et que l’unité italienne s’est faite sur la base d’une « étatisation manquée ». Ce travail, inachevé, a donné des mafias, en Italie.
L’on peut rétorquer que l’Allemagne a produit Hitler et les abominations du régime nazi. L’on peut noter, également, que l’Italie a s’est donnée, avant l’Allemagne, un régime fasciste, avec son cortège de violations des libertés publiques. Enfin, nous retiendrons que ce régime ne s’est attaqué qu’à « l’aile militaire » des mafias, se gardant bien de toucher à  « l’humus mafieux », c'est-à-dire ce qui produit un « besoin de mafia » (de Saint-Victor).
Aujourd’hui, alors que l’Europe réentend  le bruit de bottes et le son du canon, des mouvements politiques d’extrême-droite ont le vent en poupe sur ce continent. L’Italie, décidément « laboratoire politique européen », s’est dotée d’un gouvernement dirigé par une Présidente du Conseil (Première Ministre) issue d’un parti héritier du fascisme. Ironie (amère) de l’Histoire, Georgia Meloni est désignée à ce poste, un siècle après la marche sur Rome, qui allait déboucher sur plus de vingt ans de régime dictatorial. Est-ce que l’Histoire bégaie ? Parallèlement à la situation italienne, nous observons une Allemagne démocratique qui réarme, même chose pour le Japon démocratique.
En tout cas, force est de constater que les systèmes mafieux « à l’italienne » se sont étendus en Europe. A travers les époques, les mafias se sont adaptées à tous les régimes politiques. C’est « normal », puisqu’elles ne sont pas des « nouveaux États » mais des parasites. La période actuelle s’annonce agitée, ces mafias auront certainement leur fonction : parasiter les États et accompagner les Pouvoirs les plus conservateurs.
Il faut rappeler que l’idée de base de ce blog, est de poser la question : Corse : Mafia or not Mafia ? La méthode : décortiquer les systèmes mafieux, là où ils sont le mieux documentés   -Italie, Japon-  pour essayer de voir s’il existe des éléments de comparaison pertinents. Le lecteur peut faire le tri.
Les prochains articles seront recentrés sur la Corse. Nous verrons, d’abord, que les liens entre les bandits, le Politique et des entrepreneurs n’est pas nouveau. Nous regarderons, ensuite,  la genèse et l’évolution du système clientélaire et nous essayerons de voir s’il est le ferment d’un système mafieux.
Alain VERDI le 23 Octobre 2022
Bibliographie 
Les bandits. Hobsbawm. Ed.  La Découverte
Les mafias. Isabelle Sommier. Ed. Monchrestien 
Les hommes du déshonneur. Les stupéfiantes confessions du repenti Antonio Calderone. Pino Arlaccchi. Ed. Albin Michel
La rete dei invisibili. Nicola Gratteri-Antonio Nicaso. Mondadori Ed.
Les dernières années de la Mafia. Marcelle Padovani. Ed. Gallimard
L'infiltration mafieuse dans l'économie légale. Clotilde Champeyrache. Ed. L’Harmattan
Retour à Berlin. Journal d’Allemagne 1997. Brigitte Sauzay. Ed. Plon
L’empire allemand (1871-1918). Jean-Marie Flonneau. In Le Reich allemand De Bismarck à Hitler ((1848-1945. Armand Colin
Articles, rapports et revues en ligne
Site Kertable.fr. « La France et la construction de nouveaux États : les unités italiennes et allemandes entre 1852 et 1871
Le scandale de Sotchi (1979)
Concurrence et confusion des discours sur le crime organisé en Russie. Gilles Favarel-Garrigues. In revue Cultures et conflits 2001/2 (n°42)
La Sicile en 1876. Rapport de  Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino
La sicilia nel 1876.Rapporto di Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino « Progetto Manuzio »
  L'Etat libéral et la "question sicilienne" (1861-1876). Réflexions sur l'historiographie de la formation de l'Etat unitaire en Italie. Jean-Louis Briquet. In revue Le mouvement social 1999/2 (n°187)
  L'économie mafieuse : entre principe de territorialité et extraterritorialité. Clotilde Champeyrache. In revue Hérodote 2013/4 (n°151)
  Mezzogiorno autonome et Mezzogiorno dépendant : parcours de développement dans le sud de l'Italie. Natalia Faraoni. In revue Pôle Sud. 2013/1 (n°38)
Ordres juridiques ordres mafieux. Deborah Puccio. In Droit et société 2019/3 (N°103)
Au-delà de la participation à l'association de type mafieux : le concours externe. Marco Venturoli. In Revue de science criminelle et de droit pénal comparé-2017/1 (N°1)
Entretien avec Tommaso Buschetta. La Repubbica, dans Courrier International (17 Mars 2005)
Audition Tommaso Buschetta, devant la Commission parlementaire « Anti Mafia ». (audio) Novembre 1992
 Misère et banditisme au  XVIème siècle.Fernand Braudel. Annales 1947
Franc-maçonnerie et mafia : le cas de la Calabre à la fin du XXe siècle. Jacques de Saint-Victor. In La chaîne d’union 2016/4 (n°78)
“Criminalità organizzata e politica in Calabria fra XIX e XX secolo”. Università degli Studi di Roma “La Sapienza”
Rapport commission parlementaire bicamérale « sur le phénomène des mafias » (2018)
Rapport DIA (Janvier-Juin 2020)
Même article sur le blog de Mediapart
Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 2 years
Text
État Italien-Mafias : tractations secrètes et liens inavoués
Je poursuis, ici, la série d’articles sur les rapports ambigus entre des organisations criminelles et les Pouvoirs. Cet article aborde des « négociations » inavouées entre l’État italien et des boss mafieux (fin années 80-début 2000). Cette période a particulièrement défrayé la chronique, mais ces liens ambigus semblent consubstantiels à l’Italie, de sa création à nos jours.
Alain VERDI le 11 Octobre 2022
Le rôle des États face aux mafias
Dans l’esprit d’un citoyen lambda, les mafias s’attaquent aux États et donc ces même États ont vocation à les combattre. Dans les faits, la situation est beaucoup plus subtile.
Nous avons vu le modus vivendi, entre les yakusas et les autorités, qu’a connu et que connaît toujours la société japonaise. Cette ambigüité des rapports entre les États et les mafias semble être une constante planétaire : l’on soutient ce que l’on combat.
En Italie, le mélange de passivité et de « complicité » remonte régulièrement à la surface. Une des nombreuses affaires où l’État est mis en cause concerne des tractations entre des boss mafieux et des représentants de ce même État. La presse leur a donné des noms : « Il protocolo farfalla » (le protocole papillon) et « La Trattativa » (la négociation).
 « Il protocolo Farfalla »
La « négociation papillon » est le nom donné, par les médias italiens, à un « protocole » qui aurait engagé l’État italien dans une négociation secrète avec certains chefs mafieux  « de haut niveau », entre 2003 et 2007. Il s’agissait, majoritairement, de membres de Cosa Nostra, mais aussi de boss de la Camorra et de la ’Ndrangheta.
Des membres des services secrets civils italiens auraient rencontré, dans leurs cellules, des chefs mafieux emprisonnés sous le régime de « prison dure » (Article 41bis du code pénitencier).
L’administration pénitentiaire aurait accepté que ces « visites » ne soient pas consignées sur les registres des prisons.
Il y aurait donc eu une première entente entre le SISDE (Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Democratica)  -devenu L’AISI, en 2017,  (Agenzia Informazioni e Sicurezza Interna) et le DAP (Dipartimento delle Admministrazione Penitenziara) qui dépend du Ministère de la Justice. Pourtant la Justice est court-circuitée, puisque des Procureurs, gérant des affaires concernant les mafieux contactés, n’ont pas été informés de ces rencontres, en violation de la loi. Selon le Procureur Général de la cour d’appel de Palerme, Roberto Scarpinato : « la police pénitentiaire, qui devait informer la magistrature, a au contraire informé le SISDE et ce dernier établissait ce qui devait se dire, ou non, à la magistrature ». En Italie, la loi oblige les Officiers de Police Judicaire à en référer aux magistrats, auprès desquels ils sont détachés et sous l’autorité desquels ils sont placés (articles 357 et 373 du Code de procédure pénale italien).
On peut dire qu’il s’agissait d’une véritable structure parallèle, qui court-circuitait les enquêtes des magistrats.
Quelles informations les services secrets ont-ils obtenu et en échange de quoi ? Sur les informations, c’est le secret qui domine. Sur les gains des mafieux, on en sait un peu plus. Outre de l’argent pour leurs familles, certains boss se sont vu accorder des allégements de peines et une amélioration de leurs conditions de détention, passant de la « prison dure » (41 bis) à des établissements « classiques ».
L’existence d’un tel « protocole » a été rendu publique, notamment par des membres de la Commission Parlementaire anti mafia.
« Des membres des familles de certains chefs mafieux ont reçu de l’argent de l’État » journal « il Fatto Quotidiano » 27 Septembre 2014. Huit boss seraient concernés. Le Parquet de Palerme a ouvert une enquête sur un certain nombre de « rencontres ».  Rien ne semble avoir débouché, du moins sur le plan judiciaire. La lenteur de la Justice italienne aidant, des poursuites ont été frappées de prescription.
Plusieurs enquêtes journalistiques parlent de « négociations secrètes », de « pactes » et posent la question : « quelles sont les enquêtes, sur des dossiers mafieux, qui ont été bloquées ou ralenties, suite à l’action des services secrets ? ».
Saura-t’on un jour ce qui c’est réellement négocié ? Rien n’est moins sûr.
De fait, de l’argent, provenant des fonds secrets, a été versé à des familles mafieuses et plusieurs personnes se demandent quel usage elles ont bien pu en faire.
Tumblr media
Le Comitato Parlementare per la Sicurezza della Repubblica (COPASIR) est un organisme parlementaire paritaire (Sénat-Chambre-des députés) chargé d'enquêter et de superviser les activités des agences de renseignement italiennes.
En Mars 2015, le COPASIR publie son rapport d’enquête sur l’affaire dite de « la soi-disant opération Farfalla ». En résumé, les parlementaires estiment que le « protocollo Farfalla »  existait bien, mais ils minimisent son importance. Ils estiment qu’il était voué à l’échec, car « il reposait sur des échanges personnels, entre des individus des différents services et qu’il n’y a que très peu de traces écrites » Extrait du rapport de la commission parlementaire. Ce même rapport conclut sur la « superficialité» de la gestion de l’opération « aggravée par une absence de traçabilité documentaire ». Ils auraient pu ajouter : et pour cause.
Pour les parlementaires « le SISDE et le  DAP étaient hors la loi », mais les données exposées ci-dessus semblent justifier une conclusion en forme d’impasse : cette opération « Farfalla » n’a débouché sur rien. Si vous avez le courage, vous pouvez lire ICI le rapport complet de la commission parlementaire. C’est un exercice intéressant dans l’art de ne pas trancher. L’intitulé du rapport parle de « soi -disant opération Farfalla » (« Cosidette operazioni Farfalla ») et pourtant le rapport reconnaît l’existence de rencontres secrètes. Du coup, je retiens cette phrase du rapport, qui résume l’ambigüité des conclusions : « l’absence de comptes rendus écrits et la gestion peu transparente de l’activité a justifié des reconstructions (sans doute intellectuelles NDLR) et des lectures de suppositions et de déviations ressemblant à une négociation entre l’État et la criminalité ». En italien, négociation se dit « trattativa ».
 Pour comprendre tout le sel de cette phrase, il faut aussi savoir que le « patron » du SISDE était le colonel Mario Mori. Ce dernier sera poursuivi par la Justice, en 2012 et jugé, dans le cadre d’une affaire de « négociations » entre un service du corps des carabiniers et Cosa Nostra. Au moment des faits, Mario Mori était chef de ce service.
Ces « négociations » sont connues sous le nom de « Trattativa ».
 « La Trattativa » (La négociation) entre l’État et Cosa Nostra
Y a-t-il eu des négociations (Trattativa) entre des représentants de l’État et des boss de Cosa Nostra ? Ces « négociations » auraient été liées à une série d’assassinats et d’attentats commis par Cosa Nostra, suite aux condamnations visant l’organisation mafieuse. Il s’agissait de négocier l’arrêt de la campagne de violences initiée par les «corléanais » de Toto Riina.
L’histoire, dans sa version officielle, aurait démarré après le verdict du « maxi procès Palerme » (1987). Plusieurs dizaines de responsables de Cosa Nostra étaient condamnés à de lourdes peines : 346 condamnés (dont 19 perpétuités) et 114 relaxes. Les sentences sont globalement confirmées en appel (1990), avec un passage de 19 à 12 perpétuités et certaines peines sont réduites. En cassation (1992) les peines, plus dures, de la première instance, sont confirmées.
Conséquences : coup de massue historique pour Cosa Nostra et réaction violente de son chef, en fuite.  Une série d’assassinats va suivre le verdict définitif : un député, des magistrats dont les deux principales figures du « pool anti -mafia ». Après l’assassinat d’un des juges, Giovanni Falcone (23/05/1992), le gouvernement adopte l’article 41 bis dit de la « prison dure ».
La même année débutent des discussions entre un intermédiaire de Cosa Nostra et des responsables des Carabiniers (gendarmerie). Le service spécial des carabiniers, le ROS (Raggruppamento Operativo Speciale) consacré à la lutte contre les mafias et le terrorisme, est dirigé par le colonel Mario Mori, qui sera cité dans l’affaire dite du « protocollo Farfalla », voir plus-haut.
Pour essayer d’obtenir un arrêt des violences, le colonel Mori a rencontré Massimo Ciancimino (intermédiaire entre Cosa Nostra et le monde politique, fils de Vito Ciancimino, maire de Palerme -1970-1971-  qui sera lui même condamné pour « association mafieuse »), voir plus loin.  La première rencontre a lieu en Juin 1992. La méthode: « (…) créer un pont de connexion et de communication entre des membres du ROS et des représentants mafieux, par l’intermédiaire de Ciancimino ». Extrait de l’audition de Francesco Messineo, Procureur de la République de Palerme, par la « Commission Anti Mafia » (19 Mars 2012), page 5 du rapport provisoire d’audition.
 Les « négociations »
 C’est dans ce contexte que circule une liste manuscrite de « revendications » qui aurait été rédigée par le Capo di tutti Capi, Toto Riina à l’attention des autorités. Cette liste aurait été transmise à la Justice (2008) par Massimo Ciancimino, fils d’un ancien maire de Palerme Vito Ciancimino (1970-1971) qui était en relation avec Cosa Nostra.
Tumblr media
Sur la douzaine de demandes, plusieurs portent sur la suppression de mesures législatives et judiciaires :
.Révision du verdict du « maxi procès »
.Annulation de l’article 41 bis
.Révision de la loi « Rognoni-La Torre » (délit d’association mafieuse et saisie des biens mafieux)
.Réforme de la loi sur les « repentis »
.Fermeture des « prisons dures »….
Liste vraie ou fausse, les thèmes circulent et le second juge instructeur du « maxi procès » encore vivant, Paolo Borsellino, s’oppose à ces demandes. Il est assassiné le 19 Juillet 1992. Les demandes de Riina sont considérées comme « extravagantes », c’est la position officielle du gouvernement. Le boss des boss conditionnait l’arrêt des violences à la mise en œuvre de ses revendications. Devant le refus des autorités, Toto Riina aurait décidé de déclarer la guerre à l’État. Suivront une série d’attentats et de tentatives à travers l’Italie. Notamment des sites culturels sont visés par des explosions, à Rome, Florence et Milan. Dans un premier temps, ces attentats sont revendiqués par un groupe terroriste « bidon » (« Falange armata »), façade de Cosa Nostra. Entre Mars 1992 et Avril 1994, treize attentats et tentatives feront plus d’une vingtaine de morts (magistrats, forces de l’ordre, passants…) et plus d’une centaine de blessés. Au cours de cette période, Toto Riina est arrêté le 15 Janvier 1993. La succession est assurée par Bernardo Provenzano qui ne sera arrêté qu’en 2006 (43 ans de cavale) après une série de ratages des forces de l’ordre, en l’occurrence du ROS…
Tumblr media
Durant cette période,  y a-t-il eu des négociations secrètes entre les autorités, par l’intermédiaire du service des carabiniers (ROS) et Cosa Nostra ?
Selon le Procureur de la République de Palerme, Francesco Messineo, entendu par la « Commission Anti Mafia » (19 Mars 2012) : « Des négociations entre l’État et la mafia ont bien eu lieu ».
 Les procès : « des délits qui n’en sont pas… »
Un procès, en première instance, débute en Mai 2013 devant la cour d’assise de Palerme. Dix personnes sont jugées, dont des mafieux. Parmi eux se trouve Toto Riina (il décédera en Novembre 2017).
Une des nouveautés de ce procès est que les poursuites concernent des membres de Cosa Nostra, mais aussi trois officiers des carabiniers, dont le colonel Mario Mori , ainsi qu’un ex- député, Marcello dell’Utri, co-fondateur du mouvement « Forza Italia » de Silvio Berlusconi. Massimo Ciancimino, l’intermédiaire entre la Mafia et les autorités, est également jugé.
Tumblr media
Le Chef d’inculpation « générique » est : « menace contre le corps politique de l’État ». Dans le détail on trouve, notamment, « négociations illégales et pressions » pour les mafieux poursuivis et « abus de pouvoir et violation des devoirs inhérents à la fonction publique » pour les carabiniers et l’ex- député.
Le verdict de première instance est prononcé le 20 Avril 2018. Certains mafieux sont condamnés à des peines de 28 ans de prison. Les officiers et Dell’Utri : douze ans. Ciancimino : huit ans. La lecture des 5252 pages de la sentence rendue par la cour d’assise de Palerme confirme l’existence d’une négociation « illégale » entre des membres de Cosa Nostra et des personnalités publiques.
J’ai résumé brièvement cette première instance mais, en réalité, la Justice italienne permet aux accusés de choisir deux modes de jugement : « normal » ou « abrégé ».
D’autres personnes seront jugées, dans un autre procès, sous le « rite abrégé ». Ainsi, sous ce système judiciaire, Callogero Mannino, plusieurs fois ministre, est poursuivi pour le motif : « violence ou menace contre un corps politique ou institutionnel de l’État », toujours dans le cadre de « la Trattativa ».
Callogero Mannino sera absout par les trois niveaux de jugement : 1ère instance (Nov. 2015), appel (Juil. 2019) et cassation (Déc. 2020).
 Le procès en appel (rite normal) débute en 2019 à Palerme. Le verdict tombe le 23 Septembre 2021. Les officiers du corps des carabiniers sont relaxés « Les faits ne constituent pas un crime » (extrait du jugement en appel). Relaxe également pour Dell’Utri « il n’a pas commis les faits qui lui sont reprochés ». L’ex-député était déjà en prison, condamné en 2014 à 7 ans de détention pour « association mafieuse ».
Des peines de certains mafieux sont confirmées, d’autres réduites et une relaxe est prononcée.  
En résumé, la cour d’appel estime que les faits reprochés aux hommes publics ont bien eu lieu, mais qu’ils ne constituent pas un délit. La Justice le dit, les négociations (Trattativa) ont bien eu lieu.
La sentence en appel sera qualifiée de «Sentenza double-face » en français dans le texte. Entre l’assassinat du juge Giovanni Falcone et le verdict, en appel, de l’affaire de « la trattativa », il se sera déroulé près de vingt ans de l’Histoire de l’Italie.
Tumblr media
Ce procès joue comme un révélateur des rapports ambigus que l’État italien entretient avec les mafias. Cette affaire de « Trattativa » est-elle anecdotique, ou bien est-elle révélatrice d’un lien « symbiotique » entre les autorités et les organisations criminelles ?
On retiendra que les poursuites judiciaires n’ont été engagées « que » contre des carabiniers, alors même que la presse parlait de « Trattativa Stato-Mafia » (négociation État-Mafia). Aucun membre du gouvernement ou des cabinets ministériels n’étant poursuivi, une orientation était déjà donnée : les officiers semblaient avoir agi de leur propre initiative, tout en recherchant un accord qu’ils n’auraient pas obtenu. C’est le genre d’engagement qu’aucun homme d’État n’aurait la bêtise de signer. S’il y a eu « soutien », il n’a pu être qu’oral.
L’État, de son côté, n’a jamais admis officiellement, l’existence de « l’opération Trattativa». Le sociologue Pino Arlacchi, spécialiste des dossiers mafieux, appuie  la version officielle : «Elever au rang de « Trattativa» l’ épisode mineur qu’est la négociation d’une paire d’officiers des carabiniers, sans couverture politique, d’une part et un mafieux  à moitié inoffensif d’autre part, est une insulte à la vérité ». Tribune publiée sur le journal Il Fatto Quotidiano, le 1er Mars 2014.
On notera que P. Arlacchi reconnaît des rencontres (« négociations ») entre, au moins, un mafieux et des carabiniers, même s’il minimise leur importance. Pourtant, plusieurs sources confirment l’existence de rencontres entre ceux que la presse qualifie de « 007 » et plus d’un mafieux.
Toute la question était de savoir si ces « négociations » représentaient un danger pour le pays. La cour d’appel a estimé que non.
Ce n’est pas l’avis de tout le monde, à commencer par plusieurs magistrats et plusieurs enquêtes journalistiques iront dans le sens d’un accord réellement significatif.
 Un journaliste-écrivain, Marco Tavaglio, résume avec précision la forme et le sens de ces négociations. Son analyse, diffusée sur une chaine d’information en ligne Italia Mattanza (Décembre 2021), est un résumé des turpitudes des autorités politiques et administratives italiennes, dans leurs rapports plus qu’ambigus avec Cosa Nostra. Son analyse, véritable réquisitoire contre l’attitude de l’État, est développée dans son livre « È Stato la Mafia ». Le titre est provocateur : « la Mafia c’est l’État », mais l’on peut comprendre qu’il s’agit de faire passer le message suivant : l’État porte sa part de responsabilité.
Marco Tavaglio parle d’un « double État ». L’un qui « combattait la Mafia et qui était combattu par elle, parce qu’il contrariait la « Trattativa » et l’autre « un État qui négociait contre les lois qu’il avait promulguées ». Pour M. Tavaglio « ce double État existe encore aujourd’hui ».
 Bien sûr, beaucoup d’observateurs sont conscients que l’urgence prévalait, qu’il fallait stopper la stratégie de la violence engagée par Cosa Nostra, y compris par la « négociation ». Mais, en même temps, ces « discussions » ne datent pas d’hier, elles illustrent une culture de l’accommodement de ces mêmes autorités avec les mafias, depuis le 19ème siècle.
Tout au long de mon travail de recherche, j’ai trouvé des éléments illustrant ces « Trattative ».
Le fait même qu’une organisation criminelle ait pu perpétrer des dizaines d’assassinats de magistrats et de membres des forces de l’ordre, notamment, est la preuve d’une faiblesse structurelle de l’État italien. L’infiltration des organisations criminelles au sein même des institutions ne peut pas ne pas avoir réduit la marge de manœuvre des autorités. Dans cette histoire, on devait donc « négocier » avec des organisations criminelles que l’on avait laissé se développer.
On notera également que les carabiniers seraient allés demander un accord (pour négocier) auprès des services de l’État, alors que, d’après la loi, ils auraient du en référer aux autorités judiciaires. En l’occurrence aux Procureurs car, en Italie, des OPJ sont détachés auprès des Parquets. Les affaires de « collaboration » avec des mafieux ne sont pas exceptionnelles. Le couple Parquet/OPJ a également l’habitude de discuter de ce genre de rapports « au bénéfice de l’enquête ». Là, dans l’affaire de la « Trattativa » nous assistons à une mise de côté des magistrats. Ce n’est pas la première fois que cette méthode est appliquée. Les relations entre Mafia, services secrets et politiques sont une histoire ancienne, comme le révèle l’affaire du « massacre de Portella della Ginestra ».
Tumblr media
 La « Trattativa » n’est donc pas une nouveauté, mais une suite logique aux relations ambigües qu’entretient l’État italien avec les organisations mafieuses.
Dans les années 80/90, la magistrature et certains policiers avaient fait preuve de courage et d’efficacité,  Cosa Nostra avait répliqué très violement. Cette période a été exceptionnelle, dans l’histoire des rapports État-Mafia. La plupart du temps, cela ressemblait plutôt à un scénario bien rodé : des violences « modérées » (un magistrat ou un policier tué), face à une répression tout aussi modeste (peu de condamnations, beaucoup d’acquittements et de non-lieux). Ce tableau cynique avait été « barbouillé » par des actions volontaires du côté de l’État (Général Dalla Chiesa, juges Falcone et Borsellino…) et par la folie meurtrière des « corléanais » de Toto Riina. Il fallait calmer le jeu, afin que tout bouge et que rien ne change.
Pour Marco Tavaglio, « l’État a toujours déclaré vouloir combattre la Mafia, jamais de la détruire ».  Nous retrouvons le même reproche que celui fait à la loi RICO, aux USA. Voir « Délits financiers, criminalité : les arrangements avec les États ».
Selon le journaliste-écrivain, les « négociations » État-Mafia, n’avaient qu’un but réel : « rétablir le statu quo ».
En ce premier quart de siècle, les mafias sont toujours là, elles progressent, mais en silence.
 Sicile, Pouvoir central, mafia et « référent
 Des années quarante au début des années deux mille, un homme va incarner le rapport ambigu entre l’État italien,  les hommes politiques siciliens et la Cosa Nostra.  Il s’agit de Giulio Andreotti. Cet homme est surnommé il Divo (Le Divin), allusion au « Divus Iulius »   (le divin Jules), Jules César. Sept fois président du Conseil italien (1er Ministre), huit fois ministre de la Défense, cinq fois ministre des Affaires Etrangères, député  de la Démocratie Chrétienne depuis 1948 et sénateur à vie depuis 1991. Il va diriger un courant politique au sein de son parti,  le « courant Andreotti ».  Son fief politique est le Latium (Rome) mais son influence sera très importante sur la Sicile, considérée comme le « grenier à voix » de la Démocratie Chrétienne.  Le « correspondant » de G. Andreotti sur l’île sera Salvo Lima. Ce dernier sera maire de Palerme (1958-1963), puis député (DC). On apprendra que son père était membre de Cosa Nostra (Commission antimafia. 1963-1976). On ignore s’il était lui-même membre de « l’organisation ». S. Lima sera assassiné en Mars 1992.
Giulio Andreotti était surnommé également « l’inoxydable ». Né en Janvier 1919, il aura marqué la politique italienne la fin de la seconde guerre mondiale. Il est mort en Mai 2013, à l’âge de 94 ans.
Tumblr media
 Au-delà de la personnalité de G. Andreotti, il faut comprendre que cette affaire est emblématique du problème de la corruption d’une partie du personnel politique. Si le plus haut sommet de l’Etat est atteint, tout les niveaux de la vie publique sont gangrénés, pas seulement au stade régional. On peut lire, à ce propos, le chapitre « mafia et criminalisation du Politique » (P. 111)  dans le livre d’Isabelle Sommier, Les mafias.  
Pour être précis, il faut dire que G. Andreotti n’a jamais été soupçonné de corruption, au sens financier du terme. Dans son cas, il s’agit d’alliances délictueuses pour exercer le pouvoir et s’y maintenir. Voir, plus loin, le délit de « concours externe en association mafieuse ». Le pouvoir se gagne et s’exerce en s’alliant éventuellement avec des criminels et des personnes corrompues. Ce type de pouvoir est corrupteur.
 Nando Dalla Chiesa, fils du Général assassiné à Palerme en Septembre 1982, a soupçonné Giulio Andreotti d’avoir été « gêné » par les découvertes du Général, sur ses liens avec Cosa Nostra. Ce sociologue l’écrira dans un livre consacré au contexte de l’assassinat de son père. Meurtre imparfait. Déjà cité.
 Les familles mafieuses, par leur influence et leur nombre, servent d’agents électoraux. Cette machine électorale peut agir par « simple » influence (familiale, amicale..), mais aussi de manière coercitive.  Cette pression sur les électeurs finira par être prise en compte par le code pénal dans l’article 416 bis du code pénal italien consacré au « délit mafieux ».
    L’exemple de G. Andreotti, illustre parfaitement la nécessité pour une mafia  d’avoir une série de relais dans les hautes sphères du pouvoir. C’est ce que les observateurs des dossiers mafieux appellent des « référents ».
 Cosa Nostra et les « référents » politiques
Le « maxi procès » de Palerme (1986-1987) n’a pas abordé le volet politique du phénomène mafieux, sur le fond. Il faut dire que les juges Giovanni Falcone et  Paolo Borsellino l’avaient voulu ainsi. Ils avaient peur d’une « dilution » des débats. C’était la première fois que la Justice avait une chance de condamner des mafieux. Des dizaines de procès avaient déjà eu lieu, depuis la deuxième partie du 19ème siècle, mais faute de lois adaptées et d’informations complètes, la majorité s’était soldée par des acquittements. Le principal « repenti », Tommaso Buscetta, n’abordera pas l’angle des relations de Cosa Nostra avec le monde politique, lors des interrogatoires d’avant procès et lors du procès. Il le fera après l’assassinat de G. Falcone et de P. Borsellino (1992), selon lui, « par respect pour le juge G. Falcone ».  En fait T. Buscetta confirmait ce que beaucoup pressentaient depuis très longtemps, une mafia ne peut exercer son activité criminelle qu’en étant soutenue et « protégée » par un référent politique. Il s’agit, la plupart du temps de membres d’un parti de gouvernement, national,  implanté régionalement. De fait, Mafia, violence et pouvoir politique étaient inséparables, notamment depuis l’unification du pays, en 1870.
 Au début des années 90, l’influence de la magistrature n’a pas encore diminué et des repentis continuent à dénoncer le rôle joué par des hommes politiques. C’est ainsi qu’une figure emblématique de la politique italienne, depuis la fin de la guerre est inculpé, en 1993, pour « complicité avec Cosa Nostra ». Il s’agit de Giulio Andreotti.
C’est donc l’homme de tous les compromis et de toutes les compromissions qui est jugé deux fois. A Pérouse (accusé d’avoir commandité, auprès de Cosa Nostra, l’assassinat d’un journaliste) et à Palerme (accusé de « concours externe à l’association mafieuse Cosa nostra ». Dans ce dernier cas, il s’agit d’un délit qui élargit le périmètre de la complicité avec les mafias.
Tumblr media
Les deux verdicts (1999) innocentent G. Andreotti. Mais le contenu du jugement en appel (2003)  du procès de Palerme, doit être lu avec précision. La subtilité  du verdict peut se résumer ainsi : coupable, mais sauvé par la prescription.
Coupable, sur une période, mais des faits amnistiés
« G. Andreotti était conscient que ses interlocuteurs siciliens avaient des rapports amicaux avec des chefs mafieux ». Du coup, la justice peut le poursuivre pour « participation à l’association mafieuse, remarquable et prolongée dans le temps ». Cependant, la cour d’appel estime que « la disponibilité de G. Andreotti envers les mafieux n’a pas dépassé 1980 ». Comme les délits commis avant cette année sont prescrits, G. Andreotti est acquitté. Jugement subtil. En d’autres termes, G. Andreotti est reconnu coupable de « concours externe » mais les faits sont prescrits, vu leur antériorité. Les poursuites étaient donc justifiées, mais trop tardives… Il y a donc bien eu un pacte avec Cosa Nostra, mais il est oublié car prescrit judiciairement. Constat confirmé par la Cour de Cassation (2004).
Le jugement d’un personnage aussi important dans la hiérarchie de l’État aura permis de mettre au grand jour la détérioration morale d’une partie importante du monde politique italien, c’est le point de vue de l’universitaire Jean-Louis Briquet  :  « En poursuivant Andreotti, les magistrats ont été amenés (sans que cela n’ait été le fruit d’un calcul délibéré) à conforter des jugements critiques à l’encontre des détenteurs du pouvoir et des manières dont ce dernier était pratiqué en Sicile, mais aussi dans des secteurs centraux de l’État ».
Tumblr media
Ce qui caractérise le rôle de G. Andreotti est un « échange de services » et une « instrumentalisation réciproque » comme le décrit Isabelle Sommier.
 Le rapport Pouvoir/Mafia induit un renvoi d’ascenseur.   Le Pouvoir central légifère afin de laisser une certaine marge de manœuvre aux mafias locales et ces mafias peuvent servir de « supplétifs » dans certaines affaires où le pouvoir central ne veut pas se mouiller ou bien s’il n’a pas les moyens (le pouvoir) d’intervenir « en direct ». 
 L’exemple de G. Andreotti illustre parfaitement le propos et ce au sommet de l’État. Depuis cette époque, le paysage politique italien a été bouleversé, mais le couple familles mafieuses-référents politiques reste l’axe d’un système inchangé.
Tumblr media
Conclusion impossible
Il n’existe pas de conclusion à une telle problématique. Nous avons déjà observé que la construction de l’État italien (Risorgimento) s’est réalisée avec difficulté et que d’une certaine façon, elle n’est pas achevée. Ce Risorgimento est une initiative politique de penseurs et politiciens « du Nord ». Pour que ce projet soit mené rapidement, les initiateurs « du Nord » ont dû accepter de faire des concessions aux élites politiques méridionales. Pour plus d’un observateur,  les mafias sont, aussi, des outils de pouvoir politique. Les chercheurs dressent un constat inquiétant, celui de « l’étatisation manquée de l’Italie », comme l’explique très bien le chercheur en sciences politiques (CNRS), Jean-Louis Briquet.
 C’est donc sur cette ambigüité que s’est construite l’Italie et cette ambigüité persiste. Il n’y a qu’à décoder les résultats des dernières élections générales de Septembre 2022, pour comprendre que la « trattativa » est chronique.
 Les rapports entre l’État français et la Corse relèvent-ils, toutes proportions gardées,  du même type d’ambigüité que la situation italienne ? Je ne saurais répondre de manière définitive à une telle question. En revanche, je tâcherai de fournir des éléments de réflexion, à travers les deux prochains articles sur l’Histoire, puis sur l’actualité des petits et gros arrangements avec l’État.
Alain VERDI le 11 Octobre 2022
Bibliographie :
Mafia, justice et politique en Italie. L’affaire Andréotti dans la crise de la République. Jean-Louis Briquet. Ed. Karthala
 Meurtre imparfait-L’affaire Dalla Chiesa. Nando Dalla Chiesa. Ed. Liana Levi
 Le retour du prince. Pouvoir & criminalité. Roberto Scarpinato-Saverio Lodato. Ed. La contre allée.
 Histoire de la mafia des origines à nos jours. Salvatore Lupo. Flammarion
 Les mafias. Isabelle Sommier. Ed. Montchrestien
Mafia et politique. Michele Pantaleone. Ed. Gallimard
 Mafia, violence et pouvoir politique en Italie (XIXe-XXe siècles). Paolo Pezzino. In Violences et pouvoirs politiques. Presses Universitaires du Midi
È Stato la mafia. Marco Travaglio. Ed. ‎ Chiarelettere
Sites en ligne :
Mafias italiennes et État : lutte ou collusion ? Marine Duros. Revue Regards croisés sur l’économie-2014/1 (N° 14).
Au-delà de la participation à l'association de type mafieux : le concours externe. Marco Venturoli. In Revue de science criminelle et de droit pénal comparé-2017/1 (N°1)
Le même article sur le site de Mediapart
Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes
verdi-alain · 2 years
Text
Criminalité : deux ventes de biens saisis rapportent 1 million 454 000 euros
Deux ventes aux enchères, de biens saisis dans des affaires de grande criminalité, ont rapporté 1 million 454 000 € au budget de l’État. C’était une première, sous cette forme. L’opération est dirigée par l’AGRASC (Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués). Ces ventes se sont déroulées à Lyon et Marseille.  Le Bureau de l’AGRASC de Marseille couvre la Corse.
Une première, sur la forme
Depuis sa création effective, en 2011, l’AGRASC procède à la vente de biens saisis à la grande criminalité. Mais c’est la première fois que ces ventes ont lieu sous forme d’enchères publiques (présentielle et internet « live »). Jusqu’à présent, la méthode employée était une vente aux enchères par l’intermédiaire du site Enchères domaine ou bien encore du site agorastore.
Les deux ventes publiques se sont tenues à Lyon (4 Octobre) et Marseille (5 Octobre).
Les enchères lyonnaises ont rapporté 639 000€ et celles de Marseille 815 000€.
Nous nous intéressons, ici, à la vente de Marseille car des biens saisis dans des « dossiers corses » figuraient au catalogue de cette vente.
Marseille, une vente record
Le bureau de l’AGRASC de Marseille couvre une zone allant, en gros, de Montpellier à la frontière italienne, en passant par la Corse. Les bureaux régionaux de l’AGRASC gèrent les biens saisis dans les affaires criminelles traités par tous les tribunaux de leur zone.
Tumblr media
Le mercredi 5 Octobre, la vente se déroulait au palais du Pharo. Le catalogue comprenait 204 lots, allant des VTT à des Ferrari, en passant par des bijoux,  des accessoires de mode et des parfums. Dans le détail l’on trouve, par exemple, 130  lots de bijoux, montres et monnaies et 23 véhicules.
Tumblr media
Ce catalogue est un reflet des goûts des voyous. On y trouve  59 bijoux de grande valeur et une série de montres Cartier et Rolex.
Pour les biens saisis dans des dossiers concernant la  Corse,  l’on ne trouve que des véhicules, 3 sur les 23 saisis par les différents tribunaux de la zone.
Le tribunal cité, en légende des photos, est celui où a été instruite l’affaire. Les ventes de « produits corses » ont connu des fortunes diverses.  
Tumblr media Tumblr media
Non vendu également, le bateau semi rigide, ci-dessous. Il s’agit d’un dossier géré par le tribunal de Bastia. L’affaire concernait un marché public de sauvetage en mer, en relation avec la CCI. Les délits portaient, notamment, sur un détournement de fonds publics et du favoritisme. Selon la Justice,  la société condamnée ne possédait que ce bateau et les prestations n’étaient pas effectuées.
Tumblr media
Du côté des autorités, il existe des soupçons de « pressions » expliquant, peut-être la non vente de certains lots, sans précisions sur le mode de pression.
En tout cas, les responsables de l’AGRASC peuvent s’estimer satisfaits avec, par exemple, la vente de la Ferrari, ci-dessous, saisie par le tribunal de Marseille.
Tumblr media
L’actuel Directeur Général de l’AGRASC, Nicolas Bessone, ancien Procureur de Bastia (2014-2017) voit sa formule consacrée par ces ventes : « le crime ne doit pas payer ». 
Tumblr media
  De son côté Audrey Jouaneton, magistrate coordinatrice de l’antenne de l’AGRASC de Marseille, peut avoir le sourire. Avec 815 000€ de biens vendus, Marseille bat Lyon. Aucun rapport avec le foot, bien sûr.
 Alain VERDI le 07 Septembre 2022
A noter : les  ventes immobilières (immeubles,  maisons, terrains) font l’objet d’une procédure particulière, comme expliqué dans le rapport d’activité 2021 de l’AGRASC  (P.29).
Pour mieux comprendre le fonctionnement de l’AGRASC : « Les saisies pénales et l’AGRASC ». Site Village de la Justice
 Alain VERDI le 07 Septembre 2022
____________________________________
La publication des articles comparatifs sur la question : Corse Mafia or not Mafia ? continue, dans les prochains jours.
Je vous signale que vous pouvez envoyer un avis et/ou une question en  cliquant sur l’onglet Posez vos questions et remarques en cliquant sur ce lien.
Pour accéder au sommaire de ce blog, cliquer sur l’onglet « archives »
0 notes