Tumgik
monsieurloutre · 3 years
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T01E08 : “Je zinzinule au dilucule.”
“Have we ever shied away Nous sommes-nous déjà dérobés From things that others wouldn't do? À ces choses que nul autre ne ferait ?
~ The Conference Call in Fugue, Sanctuary (04x08), Amanda Tapping et al.
À l’aube des vacances, je pensais sincèrement que mon prochain billet s’effectuerait à la rentrée. Que j’allais traiter du nouveau chapitre de physique, parler de segments fléchés et de défaillances informatiques, de la réception des dernières évaluations par mes élèves. Mais il en fut autrement. Stupeur, tremblements. 
Nous sommes lundi matin. Le point du jour est là. Je suis réveillé ; je n’ai pas très bien dormi. Doucement s’en va la nuit. À onze heures, ce matin, je vais devoir parler de ce qui s’est passé au début des vacances à mes élèves. Dans ma tête, je m’inquiète : c’est que la classe est en demi-groupe, je vais avoir un retard dans ma progression ! STOP ! Un instant. Est-ce vraiment le problème ? Évidemment pas. Je suis perdu. Ce n’est pas le plus important. Mais je ne veux pas le savoir. Je ne suis pas préparé. Je ne suis pas formé. Je ne veux pas, et je veux à la fois. Se peut-il qu’on trouve un accord ? Je souhaite faire passer ce qui m’anime à mes élèves, mais je ne suis pas sûr de le pouvoir. Sous l’horrible pluie. La tristesse, la colère, l’émotion ; un ensemble qui m’apeure, m’émeut, m’énerve, m’étonne, me met à terre. Je frémis. 
Dans moins de trois heures, je serai de retour dans ma salle. Dans moins de cinq heures, il sera attendu de moi que je parle de Samuel Paty. Là, maintenant, j’ai l’impression d’être dans l’absurde. Toutes les attentes, fussent-elles pédagogiques, ministérielles, sanitaires, politiques, humaines, me semblent finalement bien vaines. Je repense à mon enfance. Je m’enfuis dans la forêt, je ne veux plus rien entendre. Les contradictions, cela n’existe pas. Je veux être là, mais je veux fuir. Je fuis. Je suis. Je demeure. Je peine, je souffre. Je m’évade ; je reste. Ce matin, je schtroumpfe au schtroumpf. Ça ne veut rien dire, qu’est-ce que ça veut dire ? Je vais au bois ? Je marche au lycée ? Je propose à la classe ? Je pleure au ciel ? Je tremble à l’idée ? Je zinzinule au dilucule ? Peu importe ; j’irai quand même, j’y vais quand même. Je me résigne, et j’accepte. Les élèves rentrent dans la salle ; dans une heure et demie l’autre groupe entrera, et dans une heure trois quarts, ce moment adviendra, quoi qu’il en soit. Tout comme Jacques, je chancelle.
Madame Grison, collègue préparatrice, sera venue dans ma salle lors de l’hommage. Pendant ce long, très long quart d’heure, elle aura été mon ancre : un endroit où accrocher mon regard et ma pensée. Me concentrer, ne pas craquer. J’aurai parlé de la lettre, j’aurai donné son contexte. Je n’aurai su la lire. Lâchement, je n’aurai que diffusé un enregistrement. Mes yeux se seront voilés, ma parole aura fléchi. 
Mais j'ai parlé ; j’étais là. J’ai eu de la chance ; tout comme l’émotion, mes élèves auront été au rendez-vous. Peut-être ma parole aura-t-elle porté. En dépit de mes craintes, en dépit de mes failles, ce matin, j’espère ; et je demeure. Nous demeurons. Nous resterons. Nous sommes et serons là. L’aube d’un jour nouveau ; que notre tristesse soit un nouveau fanal, un nouveau chant. 
Dussé-je vivre cent ans, puissé-je ne jamais devoir vivre ce moment à nouveau.
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monsieurloutre · 3 years
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T01E07 : “Tongue nor heart cannot conceive nor name thee!”
“J’ai bien grand’ire en moi Mais n’ose vous le dire”
~ La blanche biche, traditionnel
Que dire ?
Vendredi dernier, et c’était en fait hier, je m’apprêtais allègrement à partir en vacances. Un dernier TP, et hop ! retour à la maison, un verre de vin blanc, accoudé au balcon, et un instant hors du temps, à savourer la fin de la première période. Un regard presque déjà distant sur ces élèves, certains brillants, d’autres moins ; tous attachants. Les évaluations sitôt corrigées, sitôt oubliées ; un regard neuf. Un sentiment d’accomplissement, sur ces débuts dans l’enseignement, sur cette découverte de la réalité. Et soudain. 
Que dire ?
C’est étrange. Ce ne sont pas les mots, mais les pensées qui sont coincées, étranglées, dans ma gorge. Quoiqu’à y bien réfléchir, les mots y sont coincés aussi. Vendredi dernier, et c’était en fait il y a quelques jours, un collègue d’histoire-géographie est décédé. Non, pas “décédé” ; le mot est bien trop neutre. Vendredi dernier, un collègue d’histoire-géographie s’est fait massacrer. D’avoir enseigné, c’est la mort qui l’attendait et non point les vacances. 
Que dire ?
Je ne le connaissais pas, évidemment. Je ne connaissais pas son histoire, ses envies, ses rêves, sa famille, ses peurs. Sa passion, en revanche, chacun en aura pu apercevoir un peu. Mais il est trop tard. Avec lui, tout cela a disparu.
Que dire ?
J’ai longtemps hésité, sur les quinze dernières années, quand je réfléchissais à ce que je souhaitais faire. Bon nombre de mes idées de carrière m’auraient fait atterrir dans la fonction publique. L’aide, les services, la passion, la vocation, probablement. Et mon choix final, l’enseignement, semblait sécuritaire. À tout le moins du point de vue physique. Pas de guerres à combattre en OPEX, pas de patients infectieux ; tout au plus quelques élèves récalcitrants et quelques parents prompts au jugement. Je me rends compte maintenant que de toute évidence, il est désormais envisageable qu’enseigner, un jour, me tue.
Que dire ?
Vendredi dernier, et c’était en fait la semaine dernière, j’ai été choqué. J’ai un peu parlé, autour de moi. D’abord comme on le fait de la pluie et du beau temps, à la fois par habitude et par sidération ; ensuite par intérêt, par affolement, presqu’avec frénésie. Et “on” m’a “rassuré”. Des proches, de moins proches. Je ne suis que professeur de chimie et de physique, il n’y a aucune chance que cela m’arrive. Alors que l’enseignement de l’histoire et de la géographie est bien connu pour être un travail dangereux, je suppose ? Pensez-vous m’avoir rassuré ? Ou peut-être n’était-ce que vous-mêmes, que vous essayiez de convaincre ? Plus ça s’approche, plus on espère que ce soit loin ; mais ce n’est qu’un vœu pieux.
Que dire ?
“Ô horreur, horreur, horreur.” Depuis maintenant deux semaines, je crie ; en silence. Je n’irai même pas jusqu’à parler de tant d’autres sujets sur l’enseignement et la fonction publique, parce que je suis, à cet instant, bien incapable de raisonner convenablement en terme de politique ou de ce type de choses. Je me refuse la moindre larme, de peur de n’en pouvoir tarir le flot, de peur d’exposer mes faiblesses, de peur d’être jugé par tous et chacun. Et je continuerai, comme tous mes collègues, que je ne connais pas plus que Samuel Paty, mais qui comme moi ont choisi d’aider, d’illuminer, d’accompagner, d’enseigner, de guider, d’épauler ; et ensemble nous refusons de céder à la peur, la panique et la terreur. 
Mais aujourd’hui, et j’espère aujourd’hui seulement, en silence, je suis étreint par la tristesse, ainsi que par la rage. Je ne sais toujours que dire, et je ne trouverai probablement jamais. Peut-être parce que l’événement est incommensurable, peut-être parce qu’il n’y a rien à dire. Avec de la chance, demain sera effectivement un autre jour ; mais aujourd’hui, la haine est passée là : tout est ruine et deuil.
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monsieurloutre · 3 years
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T01E06 : Pause.
“Je donne des signes de faiblesse STOP”
~ Stop in Made in Love, Zazie
La fatigue. En résistance des matériaux, d’après mes lointains souvenirs de Terminale, c’est le résultat sur un corps de contraintes répétitives y étant appliquées. C’est la septième et dernière semaine de cette dernière période, et j’y ai enchaîné TP notés et interrogations. Comment vous dire. À ma première interrogation, j’avais clairement déchanté ; la deuxième n’a rien amélioré. Mais avant même que d’évoquer les réponses ou les résultats : pour votre plus grand bonheur, deux anecdotes.
Le jour de l’interrogation, j’avais réservé une des salles dédiées aux devoirs surveillés : tables individuelles et séparées, grand espace, surveillance facilitée. S’agissant d’une salle passante, j’allais évidemment désinfecter les mains de mes élèves avec du gel hydroalcoolique. Me croirez-vous ? Au moment d’appuyer sur le flacon je vis, au creux de la paume d’une élève, une de ses formules de cours. “Ah non mais je comptais l’effacer Monsieur…” Quel aplomb ! La fatigue.
Le jour du TP noté, distribution des sujets au premier demi-groupe de l’une des deux classes. Une question, pénible de candeur : “Mais ça veut dire que quand on vient dans votre classe, il y a des choses à apprendre ?”. La fatigue.
J’ai donné mes interrogations mardi ; mercredi elles étaient corrigées. Et hélas, trois fois hélas, cette rapidité n’est pas due à l’excellent niveau des copies. Je me demande si certains de mes élèves ont lu leur cours — non, je me demande presque s’ils ont le cours. La fatigue.
C’est que les combats sont multiples. Compréhension et méthodologie, calculs et maîtrise disciplinaire, expression et maîtrise de la langue. Les pièges, même si ce ne sont pas des pièges, sont multiples. Ainsi, j’apprends qu’on scelle les fioles à l’aide de “parafille”, que la préparation d’une solution s’appelle la “séparation héréditaire”, ou encore qu’il convient d’“ingérer le solide dans une fiole jaugée”. Et bon appétit, bien sûr. 
Comme je l’avais déjà mentionné, je ne puis leur en vouloir. Le confinement de l’année scolaire passée, la difficulté à s’y remettre, le contexte sanitaire ; autant de raisons qui me poussent à cette fameuse bienveillance. Et puis le doute, toujours, par rapport à mes cours et à moi-même ; mais ce doute, j’essaie de n’en faire cas. Nous verrons. Plus tard. Pour eux comme pour moi, le repos est bienvenu, et mérité.
Quand j’étais élève, longtemps n’ai-je vu les vacances que comme une période faite pour les élèves. Il en fut ainsi jusqu’à ma première année dans le supérieur, quand mon enseignante de mathématiques laissa échapper vers la fin d’une période de huit semaines, qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle n’avait qu’une hâte : que ça s’arrête. Et là, l’épiphanie. Eh oui. Tonton Jean-Relou ne le croira probablement jamais, mais pour les enseignants aussi, les heures de cours, ça use, ça use. 
Ce soir, comme mes élèves, je serai en vacances. Loué soit ce répit.
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monsieurloutre · 3 years
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T01EⅢ : Un pansement, pour réparer un barrage
“Sometimes, I'm feeling like I'm chasing after stupid goals Parfois, j’ai l’impression que je cours après des buts stupides This time I'm feeling like I'm ready to give up and fall Cette fois, j’ai l’impression d'être prêt à abandonner et à tomber 
~ Stupid Goal in She was a Boy, Yael Naim
(Note : la numérotation romaine indique les épisodes à l’INSPÉ. Chouette.)
Ce mardi, nous avons eu une journée complète avec M. Viscache. Avant même que de l’avoir rencontré, mes collègues stagiaires me l’avaient décrit comme un formateur plutôt compétent, très politisé, et surtout fort prompt à la digression.. Avec lui, nous sommes censés explorer les conceptions et représentations des élèves, c’est-à-dire ce que les élèves imaginent, souvent faussement, et qu’il faut reprendre en utilisant le modèle scientifique. Nous sommes aussi censés parler des situations de conflit pouvant advenir, avec les élèves comme avec les collègues. Et puisque Monsieur Viscache aime à s’éparpiller, en pratique, il s’agit bien moins d’un cours sur ces sujets que du partage de nos expériences respectives. Et quelles expériences..!
Je n’ai pas connu les établissements privés ou les tuteurs particuliers, mes parents n’étaient pas médecins ou avocats : ils n’avaient pas le bac, et je n’ai fréquenté que des établissements publics. Mais j’ai quand même dû avoir une chance inouïe : en tant qu’élève je n’ai jamais connu ni su, directement ou indirectement dans les établissements que j’ai fréquentés, de problème ou de conflit majeur avec l’un ou l’autre de mes enseignants. Si certaines choses me paraissaient extrêmement importantes sur le moment, à de nouvelles lumières, ce n’était finalement pas grand’chose. À fur et mesure de ma progression universitaire, j’ai entendu de plus en plus d’anecdotes, toujours plus invraisemblables à mes yeux innocents. Je pensais être prêt : clairement, je ne le suis pas. 
J’avais déjà entendu certaines choses. Du trafic de drogues dans le lycée. Des relations sexuelles dans les toilettes avec des élèves ou des personnels. Des voitures aux pneus crevés, des rétroviseurs cassés. Des professeurs intimidés à la sortie. En d’autres termes : un quotidien parfois grisâtre et déplorable ; mais nonobstant vivable, quoiqu’éventuellement à reculons.
J’avais aussi entendu d’autres choses, moins anodines. Des couteaux en classe. Une collègue qui, se baladant un soir, avait échappé à une agression ou un viol probable en indiquant qu’elle “était une amie de X***”, comme le lui avait conseillé un de ses élèves, frère dudit X**, ce dernier lui-même caïd local. Des élèves se poursuivant dans la cour, briquet à la main, pour s’enflammer les cheveux. Des menaces de mort plus ou moins à la légère. La peur au ventre à l’idée d’aller faire ses courses, parce que le centre commercial se trouve sur le territoire des cousins de l’élève qu’on a collé la semaine d’avant. Des choses plus graves ; mais que l’on tait à soi-même : on se dit toujours que ce n’est que l’exception, à plus forte raison quand, comme moi, l’on n’a jamais vécu ce genre de choses directement. 
Puis, en rentrant dans le métier, on apprend plus, on comprend mieux ; on ne peut plus longtemps faire semblant de rien voir. Madame Zibeline qui parle de ses années en collège, Monsieur Viscache qui parle de ses souvenirs dans des lycées peu favorisés. Des collègues stagiaires ou d’autres formateurs qui, chacun leur tour, partagent leurs expériences.
Avez-vous déjà entendu parler de ces autocollants, ceux que les délégués de 3ème donnent aux enseignants pour que leur voiture ne soit pas volée ou désossée ? Avez-vous déjà entendu parler de ce conseil aux néotitulaires, dans certains collèges, de ne pas se retourner en écrivant au tableau, “parce qu’il vaut mieux voir les compas arriver” la pointe la première ? Avez-vous déjà entendu parler de ces collègues qui sont contents lorsqu’ils enchaînent deux jours sans avoir vu de couteau sorti dans leurs cours ou dans les couloirs ? Avez-vous déjà entendu ce silence pesant, entendu parler de ce que tout le monde voit, de ce que tout le monde sait ; de ce que tout le monde tait ?
Je tombe des nues. Ce n’est pas mon quotidien cette année, ça pourrait l’être l’an prochain. Je n’avais pas signé mon engagement décennal pour ça. Quelque part, une petite voix, ma vocation sans doute, me dit que là-bas aussi il y a des choses à faire, des élèves à aider, des enfants à guider, des passions à vivifier. Et à bien y penser, c’est vrai. J’appréhende, évidemment ; mais ce n’est finalement pas la violence ou le danger de ces situations qui me font frémir. C’est le calme et le détachement avec lequel les collègues en parlent. C’est accepté. C’est usuel. C’est normal. Ce n’est toutefois pas la norme — les vaticinateurs diront “pas encore” — mais ce n’est tout bien pesé pas l’exception non plus. 
Je passe les détails sur le reste du cours ; peut-être y reviendrai-je une prochaine fois. Je me suis rendu compte que Monsieur Viscache et moi-même avions travaillé dans le même établissement par le passé. Comme cela m’était déjà arrivé avec Monsieur Octodon, au formateur je préfère le collègue. Mais l’on ne me laisse pas vraiment le choix. Passons.
Cette semaine, le jeudi, pour la première fois, nous avons eu des cours communs, c’est-à-dire avec des stagiaires d’autres matières — et d’autres concours. Agrégés, certifiés, certifiés PLP ; lettres, maths-physique, BGB, EPS. C’est à la foi très intéressant que d’être avec des collègues d’autres disciplines et d’autres horizons, mais comme vous l’allez pouvoir constater, certaines activités sonnent faux. Je doute que les collègues d’histoire-géographie s’arrachent les cheveux avec les difficultés de l’“anticipation de coïncidence” et que les collègues d’EPS doivent conjuguer avec les différentes versions de Regressi sur les postes fixes et les tablettes. 
Oh, pardon : l’“anticipation de coïncidence”, c’est la jolie expression pour “frapper dans le ballon au bon moment, c’est-à-dire quand il arrive, et au bon endroit, c’est-à-dire effectivement dans le ballon et pas à côté”. J’avoue que malgré des membres de ma famille et des amis dans l’enseignement, j’avais toujours espéré que ces histoires de “référentiel bondissant” et autres ne soient que des légendes. Mais quand j’ai entendu ça, j’admets que mon fou rire m’a trahi. Enfin bref.
Sur toute la journée, nous avons réfléchi, mis en commun, travaillé sur les “dys”. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce terme, c’est la désignation sous laquelle sont regroupés tous les élèves présentant divers troubles : dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, et d’autres encore. À mon humble avis, il est hautement nécessaire de se poser des questions sur l’accueil fait à cette catégorie d’élèves : l’idée est pleine de mérite. Hélas, comme tant d’autres modules à l’INSPÉ, on se retrouve encore dans une théorie complètement hors-sol.
Un exemple : nous a été indiqué que pour les élèves dyslexiques, il était appréciable de concevoir nos documents en couleur, avec une couleur par phonème. Intention louable s’il en est, mais je n’ai pu m’empêcher de faire remarquer à notre formateur que les photocopieuses de mon établissement imprimaient en nuance de gris. Sa réponse ? “Allons donc, il faut être optimiste !” C’est bien connu, l’optimisme permet de changer la couleur du toner. 
Un autre exemple : un collègue d’EPS a proposé, pour les élèves dyspraxiques, d’utiliser des objets, comme une règle avec des poignées, pour faciliter la préhension. Au-delà du fait que dans sa matière, j’ai hâte de voir rebondir un ballon de basket avec des poignées, j’ai tout autant hâte, dans la mienne, de voir arriver un fil électrique ou une fiole jaugée avec une poignée. Mes compliments au maître-verrier. 
Que ce soit avec Monsieur Viscache, ou avec nos enseignants de cours commun, tous ont fini par admettre que si nous sommes effectivement des professionnels de l’enseignement de notre matière, nous ne sommes ni médecins, ni éducateurs spécialisés, ni accompagnateurs. Sauf qu’en pratique, ces corps de métiers ne sont pas présents, ou à tout le moins pas assez, dans les établissements. Ainsi donc, c’est à nous, enseignants, de pallier cette absence, et d’accompagner nos élèves.
Bien sûr, ma position ne change pas à ce propos, et c’est aussi celle de la majorité de mes collègues — ou en tout cas je le crois. S’il faut aider les élèves, nous répondons “présent”. Mais ce n’est qu’une béquille, lors même qu’une opération chirurgicale serait nécessaire. Je ne peux pas vraiment dire de mal de cet aspect de la formation de l’INSPÉ. Autant, les modules sur la conception d’une évaluation ou l’écriture d’un cours n’arrivent pas assez tôt ; autant il n’est jamais trop tard pour aider les élèves en difficulté. Mais en dépit de la bonne idée qu’il peut y avoir derrière ces cours, je ne peux m’empêcher de prendre du recul. Dans l’enseignement, l’essence même du métier est sous-tendue par la volonté d’aider les élèves et de les accompagner, mais certaines choses sont au-delà de nos compétences. Et si l’on nous fournit des outils, ceux-ci ne constituent qu’une demi-solution. 
À l’inverse de certains élèves qui utilisent un théorème complexe pour résoudre un problème simple, les outils que l’on nous propose — et qui, de toute façon, sont les seuls à notre portée — ne pourront jamais suffire à régler tous les problèmes. J’aime à dire à ces élèves qu’ils utilisent un tractopelle pour déterrer une salade ; nous devons quant à nous utiliser un pansement pour réparer un barrage. Je ne peux qu’espérer que nos efforts ne soient pas vains, bien sûr. Mais l’ineptie est systémique. 
À vouloir tout faire passer sur le dos de la vocation, c’est l’ensemble de la profession qui craque, chancelle et tombe. Mais à y bien penser, même en pleine chute, ce ne sont pas les enseignants qui sont à plaindre. 
Si (quand ?) le barrage cède, ce seront nos élèves qui recevront cette vague, et de plein fouet. 
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monsieurloutre · 3 years
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T01E05 : “ON NE S’AGENOUILLE PAS DEVANT LA CHIMIE !”
“Antiquae paginae narrant D'anciennes pages racontent Fabulas de antiquis temporibus” Les légendes d'autrefois ~ Secret Library ~ Daguerreo, Erutan
Quand on est élève, bien souvent, il est très facile de se rendre compte des tics de langage de ses enseignants. Et, à moitié sous cape, on en rit : M. T*** qui demande à chaque fois “Tu rigoles ?! Ton carnet !”, Mme D*** qui en milieu de phrase dit “…donc en fait… …vu, ce type de choses ?”, Mme P*** qui vocifère en séance de TP que l’“ON NE S’AGENOUILLE PAS DEVANT LA CHIMIE !”, Mme L*** qui s’exclame, à chaque flèche de mécanisme, “Pouf pouf !”, et tant d’autres aussi.
Quelques années plus tard, c’est à mon tour. Peut-être est-ce à cause d'un manque de recul, mais j’ai du mal à discerner la limite entre qui je suis et d’où je viens. Je m’explique : j’ai, comme probablement tout un chacun, été marqué par bon nombre de mes enseignants. Et j’ai comme l’impression de reprendre certains schémas à mon compte : chacun de ces motifs, chacune de ces expressions, je les utilise (donc en fait) aussi pendant mes cours. J’ai donc beaucoup plus de mal à me rendre compte de ce qui vient uniquement de moi.
Enseigner, c’est du théâtre, c’est jouer un rôle. Au premier ordre, c’est bien connu, dans l’imaginaire des élèves, un prof ne vit que pour enseigner. S’il ne dort pas en salle des profs (“mais chuis sûr lui il vit au lycée en vrai”), c’est qu’il y transplane au réveil pour faire ses photocopies et enchaîner directement sur les cours. Et quel choc lorsqu’un élève croise un de ses enseignants lors d’une activité aussi triviale que faire ses courses au Carrefour du coin ou faire la queue à la Poste ! Y aurait-il un véritable être humain au bout de ce stylo rouge ?
Je me suis souvent demandé quelle sorte de professeur j’allais être — et je me le demande encore. À ma très grande surprise, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui décide. À l’INSPÉ, M. Octodon nous a indiqué que nous allions découvrir des choses sur nous-mêmes. Je m’inscris en faux et nuance : ce n’est pas tant une découverte en soi de notre nature. C’est plutôt une découverte de comment l’on est vu. 
Chaque classe est un miroir, qui reflète à sa façon son propre regard. Par exemple, je me suis rendu compte que j’étais tout à fait en mesure d’imposer le silence à ma classe. Un seul geste, un seul mot ; c’est suffisant. J’en suis probablement bien plus surpris qu’eux. Et quelques tics de langage sont un prix bien faible à payer — j'en ai, c’est certain ; et je m’imagine assez facilement que quelques élèves décomptent, au crayon gris dans la marge, le nombre de “d’accord ?”, “OK ?” ou “du coup…” qui m’échappent. Mais c’est de bonne guerre. 
L’expérience n’est pas innée : c’est un truisme que de le dire. Mais cette expérience que j’ai, indirectement, ne vient pas que de moi. Plus ou moins inconsciemment, je l’ai aussi engrangée d’autres. Des amis, des collègues, des personnages de fiction. Par ma bouche, Mme D***, Mme Belette, F**, Mme Zibeline, Joy Hardbroom, Severus Rogue, Zeddicus Zu’l Zorander et tant d’autres s’expriment à chaque fois que je fais cours. 
“Laissez-moi passer, je suis [comédien] !” J’ai l’impression que c’est par l’artificiel, finalement, que s’exprime le plus vrai de notre profession : l’interaction, l’humanité, l’aide. Une connivence finit par s’établir ; avec un peu de chance, elle servira à asseoir certains schémas d’apprentissage. Quand j’étais moi-même au lycée, mon propre professeur de physique-chimie était un adepte de la mise en scène, via la “méthode gesticulo-visuelle”. Dans le supérieur, l’imitation fort réaliste par M. V*** de l’ion ponté bromonium, ou la danse de M. B*** sur la spectroscopie IR m’ont marqué pour toujours. Un sourire naît sur mon visage quand je m’en souviens. Peut-être que dans quinze ans, mes élèves aussi se rappelleront mes cours, avec un sourire.
En tout état de cause, quel bonheur est-ce que de jouer à cœur ouvert pour ses élèves.
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monsieurloutre · 3 years
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T01E04 : Espérance
“There's things that you guess Il y a des choses que l’on devine And things that you know” Et il y a des choses que l’on sait
~ I Want Your Sex in Faith, George Michael
Expliquer quelque chose à quelqu’un n’est pas forcément chose aisée. Que ce soit pour indiquer une direction à un étranger, une méthode à un collègue, une recette à un ami ; l’information reçue n’est pas nécessairement identique à l’information donnée. Quand votre assureur vous demande votre numéro de téléphone, ou que votre frère vous demande le titre du livre que vous souhaitez pour votre anniversaire, vous voudrez généralement être certain que le message est bien passé. Avec soixante-dix interlocuteurs, la tâche se complique. Il faut donc vérifier que le message a bien été reçu, et par chacun : cette semaine, j’ai donc fait ma première évaluation, et par conséquent ramassé mes premières copies. 
Soixante-dix évaluations, et autant de comptes rendus de TP. Ce ne sont pas les premières copies que je corrige : je me suis déjà autoproclamé stagiaire correcteur de Madame Belette, et j’ai aussi eu quelques copies rien que pour moi l’année passée. Et j’aimais bien ces moments passés à corriger des réponses oscillant entre la justesse et le fantasque. Mais cette fois-ci, il y a une différence, et elle est de taille : l’enseignant, c’est moi. Je sais donc pertinemment ce que je leur ai dit, comment, et combien de fois. À chaque réponse fausse, une petite voix se manifeste : est-ce que j’ai mal expliqué ? si cet élève n’a pas écouté, est-ce parce que je n’arrive pas à rendre mon cours intéressant ? est-ce parce que mon cours est mal construit ? Bref : un vrai moment de plaisir pour la légitimité. 
Pour évaluer les connaissances de mes élèves sur le premier chapitre, j’avais décidé de faire un devoir programmé court, d’environ une demi-heure. Des questions proches du cours, un QCM, un exercice d’application directe. Je ne sais plus bien pourquoi, probablement pour décourager les parieurs, j’ai décidé que les réponses fausses au QCM seraient assorties d’une perte minime de points, histoire qu’en cas de réponses aléatoires, il soit statistiquement impossible de gagner des points. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que plusieurs élèves avaient réussi à obtenir la note minimale : -2/4. 
Si mes souvenirs lointains de mathématiques sont correct, donner des points négatifs à une réponse fausse permet d’ajuster ce qui s’appelle l’espérance. Quand en Terminale, il y a dix ans de ça, j’ai entendu pour la première fois ce terme, je riais sous cape. Ce terme me semblait presque lyrique. Maintenant, quand j’y repense, je comprends. C’est que ce n’est plus une moyenne : c’est l’espoir que l’on a en cas d’urgence. 
Incidemment, ce n’est pas seulement l’espoir de mes élèves : moi aussi, à la correction, j’espère. Soit que le cours ait été appris, soit que le sort puisse leur être favorable. Une petite voix sur ma droite espère et aimerait très fort que mes élèves aient juste, même par hasard ; une petite voix sur ma gauche me dit qu’ils n’avaient qu’à apprendre leur cours. Et je suis au milieu.
La bienveillance n’est pas un terme creux et vide de sens, sauf peut-être quand le ministère l’emploie. Je n’ai pas le moindre plaisir à mettre une mauvaise note. Tout au plus un sentiment de triste résignation, quand un élève m’a clairement fait comprendre que la matière que j’enseigne et lui ne s’entendaient pas ; et quand bien même, je me battrai jusqu’à la fin pour essayer de raccrocher cet élève. Soixante-dix copies, soixante-dix espérances, soixante-dix verdicts. Lorsqu’un enseignant corrige une copie, ce ne sont pas que les connaissances de l’élève qui sont évaluées. À chaque trait rouge, à chaque point accordé, à chaque commentaire, l’enseignant s’évalue lui-même. Et quelle que soit la façon de se protéger, par la distanciation ou par l’implication, le bilan est similaire : on en ressort marqué. La peur de l’imposture n’est jamais loin.
Peut-être que les collègues de dernier échelon, de chaire supérieure, bref, en fin de carrière, s’en sont-ils abstraits. Je n’en suis même pas sûr. Et peu importe : quoi qu’il en soit, je n’y suis pas encore. Dussé-je m’y perdre, et qu’importe comment je les ai rencontrés, je donnerais énormément pour mes élèves, s’en rendissent-ils compte ou non. 
Là encore, ce n’est que mon métier.
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monsieurloutre · 4 years
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T01EⅡ : Raisigue
“Ces Messieurs me disent Tellement de bêtises”
~ Une souris verte in Zen, Zazie
(Note : la numérotation romaine indique les épisodes à l’INSPÉ. Chouette.)
Chaque semaine, je dois, comme tous les autres stagiaires, passer deux jours à l’INSPÉ. Et c’est une véritable tempête. Hier soir, je ne savais plus où j’en étais, quel était le sens de cette formation, quel était le sens du métier. 
Devant mes élèves, avec mes collègues, je n’ai aucun mal à le savoir. Je pense sans problème à mes progressions, les (très) mauvais résultats de mes élèves me motivent, me poussent à m’améliorer pour leur montrer et leur enseigner les SPC. Je discute et échange avec les collègues, à qui prête un TP, à qui échange une évaluation, à qui propose une astuce. Mais deux jours par semaine, c’est un autre monde qui se présente, et hier soir, j'étais perdu.
Cette semaine, la formation à l’INSPÉ avait pourtant (étonnamment) bien commencé. Nous avons rencontré Monsieur Chinchilla, qui (accrochez-vous) est enseignant cette année. Il a donc, comme nous, de vrais élèves, contrairement à d’autres parmi nos formateurs. 
Monsieur Chinchilla nous a présenté la nomenclature SAMR, censée aider à comprendre et (re)penser l’inclusion des TICE dans les séquences. Nous avons dû, en groupe, analyser des séquences ou des propositions pédagogiques, et rationaliser l’emploi des technologies et du numérique au sein de ces séquences. En dépit de l’utilisation d’un peu de jargon (“La posture d’accompagnement est caractérisée par l’émergence et la dévolution dans l’apprentissage.”), cette séance, si elle n’était pas non plus une grande révolution, a permis de prendre du recul sur l’utilisation du numérique. Monsieur Chinchilla, en particulier, nous a fermement rappelé qu’il convenait, avant tout de réfléchir et de prendre en compte la réalité : n’utiliser que des outils dont on a besoin, et pas pour le plaisir d’utiliser des outils. Une rasade de bon sens et de sens pratique ; je l’aurais presque applaudi. 
Hélas, hélas, l’après-midi, ce fut Monsieur Octodon que nous retrouvâmes. Monsieur Octodon nous avait préparé une classe inversée pour ce cours. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le concept : lors d’une classe inversée, les élèves doivent lire (s’APProprier) le cours avant la séance, laquelle sera structurée par les questions des élèves, sous la bienveillante égide du professeur (souvenez-vous : notre collègue). Ce cours allait porter sur les compétences. 
Les compétences sont un concept qui a été introduit au collège pour remplacer les notes. De ce que j’en avais compris, en discutant avec les collègues PE de cycle 3 ou les collègues du secondaire qui récupéraient des élèves sortant du collège, il s’agissait de supprimer les classements (dévalorisants) et de permettre une notation plus fine, en terme de compétences, et plus seulement de connaissances. Je n’en savais pas plus ; j’émettais personnellement beaucoup de réserves sur l’idée, notamment la suppression des notes, même si je reconnaissais que vouloir évaluer des compétences techniques semblait être une bonne idée. Ou, pour être plus précis, une réinvention de la roue : quand j’étais moi-même au collège, j’appelais ça des savoir-faire. 
Par acquit de conscience, j’ai souhaité rentrer dans ce cours sans a priori aucun, seulement lire les documents de Monsieur Octodon, pour saisir ce qu’était une compétence, en comprendre l’intérêt, et savoir comment les utiliser.
Comment vous dire.
Je suis arrivé en classe avec une petite bordée de questions, n’ayant absolument rien compris (un exemple : “Le cahier de l’élève doit rendre compte d’un parcours intellectuels (sic) permettant à l’élève de se situer dans son parcours.”). J’ai l’impression que mes collègues stagiaires me trouvent divertissant. Contrairement à ce que je pensais initialement, ils ne buvaient pas les paroles des formateurs pendant les premières séances : ils s’ennuyaient à en crever. Mon ignorance didactique permet donc finalement un certain apport de fraîcheur dans les cours — ou en tout cas d’animation. Je ne sais par contre pas si Monsieur Octodon, lui, apprécie mes interventions. 
Avant même que la séance ne commence, je ne savais pas non seulement si Monsieur Octodon allait apporter une réponse à mes questions… ni s’il allait me laisser finir mes phrases. Quelle douce musique pour lui que le son de sa voix. 
Dès les premières minutes, je sens que tout ne va pas se dérouler comme prévu. Il ne compte initialement pas forcément reprendre tout ce qu’il y avait dans les documents. Je commence à me demander si le vrai nom d’une “classe inversée” n’est pas en fait une “classe évacuée” ; j’insiste pour qu’il reprenne, et commence mes questions.
La première d’entre elles est somme toute assez logique : qu’est-ce qu’une compétence ? C’est que non, je ne le sais pas, et à ma plus grande surprise (…) les documents qui nous ont été distribués n’ont fait que rajouter au grand flou qui régnait déjà dans mon esprit autour de ce mot. 
Au fur et à mesure de l’échange, beaucoup d’éléments de langage ou de rhétorique sont revenus. “Oui, dans ce cas-là, tu as raison, mais […]” ou encore “Non, une compétence ce n’est pas exactement ça.” sans finalement de réponse précise. Je ne réussis pas à être convaincu, quand apparaît à l’écran une image qui m’avait interpellé la veille : sur la différence entre savoir-faire, savoir et compétence. Quand soudain, la conversation suivante :
M. Octodon — Et donc les savoir-faire, qui avant n’étaient pas évalués, sont maintenant considérés par les enseignants. M. Loutre — Quoi ?! Mais… ça fait partie du métier dans tous les cas ! M. Octodon — Parce que tu peux me dire que quand tu étais élève, tu as eu au moins un enseignant de physique-chimie qui s’intéressait à ce que tu savais faire, en termes techniques, ou aux raisonnements que tu avais pour arriver à un résultat ? M. Loutre — Eh bien… oui, bien sûr ! Environ tous, à vrai dire. M. Octodon — Bah tu as eu de la chance. M. Loutre — Bien sûr… Mais bref, qu’est-ce que c’est, finalement, la différence entre savoir-faire et compétence ? Par exemple pour une compétence expérimentale ? M. Octodon — C’est globalement pareil, mais avant quand ça s’appelait savoir-faire, ce n’était pas évalué par les professeurs. M. Loutre — Du coup parce qu'une même chose, qui s'appelait avant savoir-faire et n'était pas évaluée alors qu’elle aurait dû l’être, s'appelle désormais compétence, elle va maintenant être évaluée ? M. Octodon — Oui. M. Loutre — Mais ça n’a aucun sens ! M. Octodon — Peut-être mais c'est ça qu'on vous demande de faire.
Que répondre ? En dépit (ou peut-être en raison) de son incapacité à expliquer clairement ce qu’était une compétence, Monsieur Octodon a quand même eu la grâce, de répondre honnêtement. Oui, le système est absurde. Non, ce n’est pas lui qui l’a créé — ce dont je me doutais. Oui, c’est ce qu’il faut utiliser, contre vents et marées. Mais il n’arrivera pas à m’en expliquer les motivations, ni les tenants, ni les aboutissants. Une différence bien plus fine que deux simples lettres.
À l’issue de cette fantastique journée, pendant les dernières minutes du cours, contemplant mon dépit ainsi que la faillite de ses explications, Monsieur Octodon a envoyé un mail (“Objet : HELP”) à une de ses collègues, afin qu’elle lui donne un coup de patte : pour me donner les définitions de ce que sont un savoir, une compétence, un savoir-faire, vu qu’il en était manifestement incapable. À quelle collègue a-t-il demandé des définitions ? À Madame Tamia. L’ironie de la situation n’échappera à personne. 
Le lendemain matin, ce matin, donc, nous avons retrouvé Monsieur Octodon. La nuit portant conseil, je me suis réveillé avec une certitude : ce formateur sera incapable de répondre aux questions que je lui poserai. Pour partie parce qu’il préfère s’écouter plutôt qu’entendre un stagiaire lui poser une question en entier ; pour partie en raison de la méconnaissance navrante des concepts qu’il est censé nous expliquer. J’ai donc passé la matinée en mode automatique, sans l’écouter, à discuter avec mes voisines et en réalisant plus ou moins mollement les tâches qu’il nous astreignait à faire. Et c’est une utilisation du temps beaucoup plus agréable. En bonus, même, à la fin du cours, je réussis même à avoir une discussion très intéressante avec Monsieur Octodon, en parlant de son expérience personnelle. J’arrivai ce midi à la conclusion que c’est un collègue aussi intéressant en tant que personne qu’il est mauvais formateur. 
Cet après-midi, c’est Madame Tamia qui nous faisait cours, sur les représentations et les points de vue en chimie. Et c’était, somme toute, assez intéressant. Parce qu’il y avait un côté disciplinaire ? Parce que je suis chimiste ? Et donc que je ne suis pas du tout objectif ? Parce que la question de la représentation et de la formalisation faisait écho à des problématiques que j’avais rencontrées en design ? Probablement. Mais quand même. 
Et, vers la fin du cours, avec le regard de Madame Tamia rivé dans le mien — personne dans la salle n’était dupe : c’est à cause de moi qu’elle devait le faire — nous avons eu droit à des définitions formelles des compétences, des connaissances, des savoir-faire. 
En moins de dix minutes, Madame Tamia a été infiniment plus efficace que Monsieur Octodon en deux heures trente. Les définitions ont été posées, les limites mises en lumière, les besoins explicités. Je ne dirai pas que c’est un exemple flagrant de la nécessité des définitions ; je préférerai plutôt remercier Madame Tamia et son formalisme. Maintenant, je sais avec clarté ce que sont les compétences, et je peux donc formuler précisément mon avis sur leur utilisation : quelques bonnes idées, mais dont la possibilité de mise en œuvre est illusoire en l’état. Je ne m’attarderai pas là-dessus. Je mentionnerai simplement qu’un de mes collègues, qui a eu des cours de pédagogie et de didactique sur les compétences depuis deux ans, a ponctué l’explication de Madame Tamia par la phrase suivante : “Ah ! Mais c’était ça que ça voulait dire, en fait ?!”.
Hier soir, je ne savais plus où j’en étais. Ce soir, je pense qu’en réalité, sur certains aspects, personne n’en sait rien. Nos formateurs, et probablement pas qu’eux, sont aussi confrontés à de grands flous, et doivent faire bonne figure. Certains, comme Madame Tamia, s’appuient sur du formalisme ; d’autres, comme Monsieur Octodon, se conforment à l’usage et aux obligations. Et il n’y a pas forcément ni de vraie, ni de bonne solution. Et en dépit de cette conclusion, qui me laisse mi-figue mi-raisin, ce soir, je me sens beaucoup mieux. 
Si je me pose trop de questions ? Sans doute. Si je vais continuer ? Probablement. Mais maintenant, j’ai revu mes attentes à la baisse : à néant. Après tout je ne fais pas cours pour mes formateurs, ni pour des compétences, ni pour des mots de quatre syllabes. 
Je fais cours pour mes élèves.
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monsieurloutre · 4 years
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T01E03 : “C’est-à-dire que c’est mon métier.”
“La première fois, Un coup d'éclat et de panique la première fois”
~ La première fois in De bouches à oreilles, Tryo avec les Ogres de Barback
Une nouvelle semaine s’est passée ; les choses avancent, et j’en découvre d’autres. Premier chapitre bouclé. Première évaluation annoncée, prévue pour la semaine prochaine. Première visite de Madame Hermine dans ma classe. Première fois que je crie. Première fois que je ramasse les carnets. Première fois que j’écris un mot dedans. Première fois que je passe à la vie scolaire récupérer des formulaires pour quand je devrai mettre des heures de retenue. 
Mon premier combat, avec mes deux classes, sera un grand classique : le port de la blouse. J’ai décidé d’être extrêmement rigoureux en termes de sécurité chimique, et les réactions des élèves sont inégales. Certains ont été marqués par mes remarques, et enlèvent immédiatement leurs bagues, attachent leurs cheveux, et mettent leur blouse en rentrant dans la salle. D’autres “n’ont pas vu” qu’il y avait TP, “oublient” leur blouse, et viennent en short sans se poser la moindre question. Heureusement, seule une faible proportion des élèves semble ne rien en avoir à faire. Ça, c’est l’aspect positif.
L’aspect négatif, c’est que ceux qui s’en fichent ne font pas semblant. Je puise donc dans mes souvenirs, quand j’étais moi-même élève, pour trouver des contre-mesures. La première chose qui m’est spontanément venue, et j’en étais presque le premier surpris, a été de faire recopier une partie du cours aux élèves n’ayant pas leurs affaires. Peut-être était-ce la première fois que ça leur arrivait, mais lorsque j’ai récupéré leurs feuilles et les ai calmement déchirées sous leurs yeux ébahis, je pense avoir fait mon petit effet. Hélas, je sais déjà que ça n’a pas suffi pour tout le monde.
Le dernier demi-groupe que j’ai eu cette semaine a remporté le gros lot ngolo. Pour la première fois, j’ai crié quand des élèves ont commencé à poser leurs affaires sur du matériel et des produits chimiques sur la paillasse. D’autre part, deux élèves, en particulier, non seulement n’avaient pas leurs affaires, mais ne prenaient aucune note, n’écoutaient rien, et parlaient sans trop de complexes, en pensant qu’avec le masque, je ne me rendrais compte de rien. Mais non seulement je ne suis pas sourd, mais aussi leur masque bouge quand ils parlent. Après quelques rappels à l’ordre, et une évidente mauvaise volonté de leur part, j’ai ramassé leurs carnets. Quand j’étais au lycée, je n’ai pas souvenir d’avoir connu ça — cela dit, dans l’établissement où j’avais effectué ma scolarité, les enseignants avaient d’autres moyens de pression, mais c’est une autre histoire. J’espère que faire signer un mot à leurs parents les calmera. Me préparant aux autres éventualités, je suis allé rendre visite aux AED à la vie scolaire. J’ai donc maintenant, en permanence dans mon sac, des feuilles à remplir pour envoyer des élèves en retenue et enlever des points à leur maison. 
À part ces quelques rappels à l’ordre ponctuels, dans l’ensemble, tout continue à bien se passer. Je me rends compte, à fur et mesure, que je dois répéter toutes les informations et toutes les consignes plusieurs fois. Y compris quand lesdites consignes sont marquées en gros et en rouge au tableau et que j’ai passé cinq vraies minutes à les expliquer. Il va falloir s’y faire. Je m’habitue doucement aux questions naïves : “on marque sur notre feuille ?” “je fais quoi si y’a plus de place ?” “quand vous dites que vous ramassez la semaine prochaine, ça veut dire que la semaine prochaine vous ramassez ?”. Belle marquise. 
D’un point de vue plus pratique (pédagogique ? didactique ?), je me rends compte également que les élèves n’osent pas dire quand ils n’ont pas compris. Je rajoute ça à la liste de mes défis : leur faire comprendre qu’ils ont le droit de se tromper, ainsi qu’ils ont le droit de poser des questions — si ce n’en est le devoir. Avec un peu de chance, le retour de la première évaluation me permettra d’illustrer mon propos.
Cette semaine, c’est aussi la première fois que ma tutrice, Madame Hermine, est venue en visite dans ma classe, pour voir comment ça se passait. Nous en rediscuterons la semaine prochaine, car nous n’en avons pas encore eu le temps, mais dans l’ensemble, elle paraît plutôt satisfaite. Les points à améliorer sont principalement reliés à ce que j’écrivais plus haut : répéter, encore et encore ; indiquer une énième fois les relations fondamentales au tableau. Elle m’a aussi confirmé ce dont j’avais l’intuition : aux quelques perturbateurs près, mes classes sont quand même plutôt gentilles. Madame Hermine a même été surprise qu’après de très légers signes de ma part, ils s’auto-disciplinent si vite et fassent le calme. Puissent-ils continuer sur cette lancée. 
Pour achever ce billet, une petite anecdote : le TP (l’activité expérimentale ?) de cette semaine était placé sous le signe de la chromatographie. À un moment, une élève m’a demandé ce qu’il pouvait bien y avoir comme éluant dans les béchers posés sous la hotte. À ma réponse, précise, elle est restée bouche bée, et m’a spontanément demandé : “Ouah, mais Monsieur, vous faites comment pour savoir tout ça ?”. Tout aussi spontanément, sans vraiment réfléchir à une réponse élégante, amusante ou structurée, j’ai immédiatement répondu “Eh bien c’est-à-dire que c’est mon métier !”. Rires à la paillasse d’à-côté, petite fierté dans mon sourire, admiration dans son regard. 
Cela dit, la question me semble plus profonde qu’une simple remarque d’élève en passant. Que pensent les élèves de leurs enseignants ? C’est à la fois rafraîchissant et valorisant pour moi que de voir une élève admirer mes connaissances ; mais j’ai quand même une petite voix dans ma tête qui s'interroge : pourquoi est-il étonnant pour une élève que son professeur soit compétent dans son domaine ? 
Mais peut-être que je me pose trop de questions.
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monsieurloutre · 4 years
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T01EⅠ : Où l’on définit les choses
“L'horloge tourne, les minutes sont acides Et moi je rêve que passe le mauvais temps”
~ L’horloge tourne in Juste comme ça, Mickaël Miro
(Note : la numérotation romaine indiquera les épisodes à l’INSPÉ. Chouette.)
Les cours continuent, ceux que je dispense comme ceux auxquels j’assiste. Pour bien annoncer la couleur : j’ai avec moi une petite feuille, où je vais noter le moment à partir duquel j’ai l’impression d’être à la torture. Je me demande si mon seuil de tolérance va augmenter ou diminuer avec le temps. Je donnerai une petite courbe à la fin de la période. 
Hier matin, la formatrice qui nous avait expliqué qu’il ne fallait pas utiliser le terme “rappel”, Madame Tamia, a récidivé. D’abord, le terme de “TP” a été remplacé par “Activité expérimentale”. Peut-être parce qu’en faisant un TP, cela impliquerait qu’il faut travailler ? Je ne sais, ni ne souhaite vraiment savoir. Mais ça, c’est un détail, devant le véritable nœud de la chose.
J’ai appris qu’il ne fallait pas utiliser le mot “définition”. J’avais essayé, jusqu’alors, de réfréner mes remarques, de prendre sur moi ; cette fois-ci, je n’ai pas réussi à me contenir.
[…]M. Loutre — Allons, c’est quoi son problème à celui-là ? Mme Tamia — Pardon ? M. Loutre — Oui, quel est le problème ? On n’a pas le droit de poser des définitions en cours ? Mme Tamia — Ce qui gêne, c’est que la science n’est pas une leçon de mots. M. Loutre — D’accord, mais à un moment il faut bien partir de quelque part, les élèves ne peuvent pas deviner les choses à partir de rien. Mme Tamia — Ce qui est vraiment embêtant c’est le terme définition, en fait. Si on dit définition, ça fait référence à quoi ? Au dictionnaire. Et le dictionnaire définit des mots. En physique, on définit des concepts.  M. Loutre — …et donc ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que vous appelez concept ? Mme Tamia — Un concept, ça a des caractéristiques, des propriétés. Par exemple, prenons un carré. Vous le définiriez comment ? Ensemble des stagiaires — …un polygone, en 2D… …quatre côtés égaux… …quatre angles droits… Mme Tamia — Exactement ! Et ça n’est pas ce que dira le dictionnaire. M. Loutre — J’ai un dictionnaire ici. “Carré : Surface plane qui a quatre côtés égaux et quatre angles droits.” Mme Tamia — … M. Loutre — … Mme Tamia — De tout façon, ce qui est important, c’est que les élèves prennent du recul et sachent relier les choses entre elles. […]
À la suite de cette édifiante conversation, je restai comme frappé par la foudre. Une arnaque. A fraud. Comme une perte de temps, de moyens, d’efficacité. Malgré tout, je crois comprendre ce que Madame Tamia pense — et, soit dit en passant, elle croit à ce qu’elle tente de nous enseigner, de nous inculquer, et je pense que c’est positif. Mais même si j’arrive à concevoir pourquoi elle tient ce discours, j’ai quelque part la même impression que pour l’histoire des rappels. À un moment où à un autre, il faut définir les choses, les expliquer. Certaines choses, en dépit du vœu pieux que “les sciences ne sont pas une leçon de mots”, ne seront peut-être que des éléments de vocabulaire : on dit abscisse et ordonnée, et non horizontale et verticale, et encore moins axe tout plat et axe qui monte. Sont-ce des concepts ? Probablement. Mais n’en sont-ce pas moins des mots ? Bien sûr que si. Faut-il les définir ? Absolument.
Les concepts, aux dernières nouvelles, sont formalisés, c’est-à-dire prennent forme, par le biais de signes. Dans le cadre du langage, ce sont des mots. Et par ailleurs, la distinction ne sera pas faite par les élèves. Du moment que le cours présente des phrases telles que “Un carré est un polygone qui a quatre côtés égaux et quatre angles droits”, que l’on fasse dans le détail (famille des parallélogrammes, boule unité pour la norme infinie…) ou pas, c’est une définition, et les élèves, pour l’apprendre, vont bien se rendre compte que c’est une définition. Entre la novlangue et l’absurdité de la chose, je ne sais pas bien si je dois plutôt me réfugier du côté d’Orwell ou de celui de Beckett. 
L’après-midi, ainsi que ce matin même, un autre formateur, Monsieur Octodon, nous fait cours. Dès le début, il nous a indiqué que nous étions collègues, que nous pouvions le tutoyer, que nous étions entre pairs. Il est cependant primus inter pares : ce sera en effet bien lui qui notera écrits et oraux de son unité d’enseignement. C’est donc tout à fait naturellement que je le voussoierai au long de cette année : je ne tutoie que mes vrais collègues.
J’ai quelques impressions dérangeantes, dans les cours de Monsieur Octodon. Déjà, il part du principe que nous avons tous suivi les (comprendre “ses”) cours l’année précédente. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas non plus de son fait, bien sûr ; mais il semble surpris par certaines questions, et se trouve à la limite de la condescendance quand certains d’entre nous lui indiquons que nous ignorons tel ou tel autre terme. D’autre part, je trouve que certains aspects sont proches de la malhonnêteté didactique. Les exemples sont uniquement ceux qui l’arrangent, et il fausse et biaise notre discours en le rapportant pour qu’il aille dans son sens. Le tout avec une xyloglossie à faire frémir les plus aguerris des sénateurs : “Je ne conçois pas une évaluation : je la critérise. C’est de l’éclaircissement des consignes, ce qui s’appelle de l’étayage.”. Soit. Au moins, il fait des rappels et pose des définitions. 
La phrase qui revient souvent, c’est “Je n’ai pas répondu à ta question, mais […]”. Mais quoi, au juste ? Je me demande si la frontière entre former et formater n’est pas plus mince encore que deux simples lettres. 
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monsieurloutre · 4 years
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T01E02 : Mais rien ne se passe.
“Tykist sum okkurt rørir seg har On dirait que quelque chose bouge par là-bas Rópi men eingin svarar mær” J’appelle, mais personne ne me répond
~ Í Tokuni in Slør, Eivør
J’entre cette semaine dans ce qui sera la routine : la rentrée est passée, plus de réunions, c’est maintenant le temps des rires et des chants de la mise en place, de l’installation. Un moment où les choses se posent, se fixent, s’assemblent. 
Je commence la semaine comme je finis la précédente : par une séance de TP. À cette occasion, je remarque qu’en fait, sur les carnets sont indiqués des emplois du temps personnels : les créneaux par groupe ne ressortent pas du tout, et vu que la mention “TP” est absente, il est moins évident de remarquer l’alternance SPC/SVT. Cela dit maintenant que les premiers créneaux sont passés, ça ne posera sûrement plus problème par la suite. Évidemment.
 Mon premier TP, portant sur la masse volumique, était un TP classique, dans le prolongement du programme de cycle 4 (de la cinquième à la troisième). Une mesure de masse, une mesure de volume, un quotient : en trois briques, c’est une masse volumique. L’objet du TP est un petit bout de métal. Je rentre dans la salle avant l’entrée des élèves, j’allume l’ordinateur pour faire l’appel (on a maintenant besoin d’électricité pour compter les élèves ; tout un programme) et réaliser l’inventaire du matériel. Je constate qu’il manque un bécher à chaque paillasse, et constate avec quelques grognements que toute la verrerie présente est en plastique. On fera avec le plastique ; je rajoute quand même un bécher, en verre, à chaque paillasse.
La cloche sonne, je fais rentrer les élèves dans le respect des règles de sécurité : rien au sol, vestes et sacs accrochés au mur ou sur la table-au-fond-mais-pas-sur-les-paillasses-m’enfin. Je les laisse choisir leur binôme par affinité, en leur indiquant bien qu’en cas de problème, je reprendrai la main sur l’ensemble des binômes. Je fais quelques remobilisations des connaissances préalablement abordées au cycle 4 rappels de cours, nous répondons aux questions préliminaires, puis le TP commence véritablement.
Pour mesurer un volume, Madame Hermine et moi (qui faisons les mêmes TP) avons retenu la méthode de déplacement d’eau : on remplit un contenant gradué d’eau, on note le volume ; on rajoute un objet, le niveau monte, on note le volume après immersion. La différence des deux volumes donne celui de l’objet immergé. Dix minutes après le début des manipulations, pendant que je me déplace d’un binôme à l’autre, je constate avec stupeur qu’un binôme a trouvé une valeur négative pour son volume. Les deux membres dudit binôme en sont d’ailleurs beaucoup moins stupéfaits que moi. Je m’interroge une demi-seconde en me demandant comment ils ont pu faire ça, quand soudain un “plouf !” sonore, un bruit d’éclaboussure et un juron retentissent à deux mètres cinquante. “Eh Monsieur ! Ça fait de l’eau de partout !” Grmph. J’explique donc qu’il faut faire attention à ne pas fausser la mesure, et introduire dé-li-ca-te-ment l’échantillon dans l’éprouvette. 
Je continue mon tour, et constate qu’un autre binôme est en train d’éponger sa paillasse. Je constate les dégâts : un des béchers que j’avais apportés, en verre, présente un trou en forme d’échantillon. Je comprends maintenant pourquoi on m’avait mis à disposition des éprouvettes en plastique. Ma naïveté va mettre du temps à se déconstruire. Plus de peur que de mal cependant : à part quelques feuilles imbibées, aucun dégât matériel ni physique. L’avantage, c’est que ce demi-groupe a maintenant compris la nécessité de faire attention. La question, c’est de savoir pour combien de temps la leçon sera retenue. 
Les trois autres demi-groupes de TP ont plus ou moins reproduit ce schéma — avec plus ou moins de bons résultats, et avec cette fois-ci la mention à plusieurs reprises de ne pas jeter avec force l’échantillon dans la verrerie. Certains comportements devront cela dit être surveillés. Je commence déjà à repérer les binômes que je devrai probablement séparer — en tête de file, celle qui trouve amusant et opportun d’utiliser un réglet en acier pour tenter d’assommer son camarade, lequel juge inutile de prendre en notes le TP. Ce qui aura permis la conversation suivante : 
M. Loutre — Bon, vous deux, je vous préviens, si vous continuez comme ça je vous sépare. Élève 1 — Pourquoi ? M. Loutre — Parce qu’il faut se comporter correctement en classe, prendre des notes et répondre aux questions. Élève 2 — Wesh Monsieur, moi j’ai pris les notes ! M. Loutre — Vous, la ramenez pas, vous vous servez du matériel pour frapper vos camarades. Élève 2 — Ah oui. Pardon.”
Du côté des cours, à part une difficulté certaine à suivre un plan de place (et à se remémorer l’ordre alphabétique !), je commence à remarquer quelque chose. Avec les masques, les rapports et les contacts sont vraiment différents. L’interaction professeur-élève ne se fait pas de la même façon. D’où vient ce bruit ? Qui a parlé ? Pour le moment, ils n’ont pas encore décidé de discuter entre eux avec le masque, ni de chahuter, ou d’être trop bruyants. Mais déjà, quand un élève m’interpelle en TP, quand on répond à mes questions, je n’ai pas la moindre idée d’où vient le bruit. Au mieux, une vague idée d’un quart de classe. Je ne suis plus sûr de rien. Et en plus de cela, les élèves ont gagné en timidité, ils sont moins enclins à prendre la parole. Je parle, je demande, je questionne, m’agite sur l’estrade et gesticule ; rien ne se passe. J’espère pouvoir travailler sur ce point et construire quelque chose avec mes deux classes. Mais entre ce point-ci, et le fait qu’avec les masques j’ai une immense difficulté à retenir les prénoms, j’avoue que je suis un peu inquiet, certains soirs. 
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monsieurloutre · 4 years
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T01E01 : “Bonjour, je suis Monsieur Loutre, je serai votre enseignant de physique-chimie cette année.” (ter)
“Say what you wanna say Dis ce que tu veux dire And let the words fall out” Et laisse les mots sortir
~ Brave in The Blessed Unrest, Sara Bareilles
C’est passé.
Le vendredi de la rentrée était le premier jour où je rencontrais mes élèves — en trois parties. La première de mes classes en groupe entier, et la deuxième en deux demi-groupes — ce qui correspondra plus tard dans l’année au créneau des TP. Et dans l’ensemble… c’est passé. Sans grande surprise, ma troisième présentation s’est mieux passée que la deuxième, qui s’était déjà elle-même mieux passée que la première. Mais aucune catastrophe à recenser : je n’ai pas oublié mon nom, je n’ai pas été paralysé par le stress, je ne suis pas tombé de l’estrade, et ma braguette était bien fermée. Enfin je crois.
Lorsque mon heure a sonné, j’étais déjà en position devant ma salle, et pus donc commencer à voir les visages de mes élèves. Enfin, surtout leurs masques, mais au moins leurs yeux. Dans la salle avait déjà cours Madame Martre, collègue de SPC elle aussi ; elle m’adressa d’ultimes encouragements avant que de filer à toutes roues en me laissant seul face à trente-trois petits monstres. 
Suivant les conseils de Madame Hermine ma tutrice, j’avais préparé un plan de classe simple et efficace : les faire rentrer dans la salle par ordre alphabétique, et en commençant au milieu de l’alphabet. Non une simple lubie, mais ayant une élève avec quelques difficultés auditives, il fallait qu’elle fût placée ni trop près ni trop loin du tableau. J’annonçai donc à toute ma classe dans le couloir qu’il allait falloir qu’ils entrassent par ordre alphabétique, en commençant par l’un d’entre eux au beau milieu de la liste. 
L’expérience que j’avais avec des élèves jusque là était assez peu représentative de l’ensemble du système scolaire : tous les élèves ou presque que j’avais eus étaient majeurs, vaccinés, avaient le bac en poche, et s’étaient spécialisés dans les sciences. Avec un optimisme presque touchant a posteriori, je ne pensais donc pas que la tâche “vous rentrez quand j’appelle votre nom dans la salle, et vous vous assoyez les uns à la suite des autres dans l’ordre alphabétique” poserait problème. 
Or donc, voilà que, la consigne donnée, les élèves commencent à rentrer dans la salle. Certes dans l’ordre, mais déjà, c’est compliqué. Plusieurs remarquent, dans le couloir comme dans la salle, fusent : “Mais pourquoi on fait ça ?” “C’est quoi l’ordre alphabétique quand on commence à M ?” “Monsieur on se met un seul par table ?”… Je tique à cette dernière remarque, et confirme, sans trop regarder l’application de la consigne. J’aurais dû. Quelques noms plus tard, on m’interpelle de l’intérieur : “Monsieur, y’a plus de place !”. Je frémis. Madame Martre ne m’a pas prévenu ? Je donne cours dans un anti-TARDIS ? La salle rétrécit-elle après l’heure du déjeuner ? Je me retourne et constate que “par table” a été compris comme “par groupe de tables”. Du coup, il ne reste plus de place. Je soupire. 
Dix bonnes minutes plus tard, tous les élèves sont assis, et moi debout devant eux. “Bonjour, je suis Monsieur Loutre, je serai votre enseignant de physique-chimie cette année.” J’inscris mon nom et mon adresse électronique au tableau, et leur donne les consignes de la rentrée, mes attentes pour l’année. Tout est indiqué sur un document, que j’appelle le “Chapitre 0”, de mes préconisations sur le matériel aux règles de sécurité en TP, en passant par les évaluations. Certaines questions me surprennent, mais dans l’ensemble, ils m’écoutent. Je commence à prendre la pleine mesure de ce qu’implique le port du masque : avant même de parler de la compréhension ou de l’articulation, je réalise que je vais mettre un temps infini avant de retenir les prénoms de mes élèves. Nous verrons par la suite. 
Cinquante-cinq minutes après le début du cours, la cloche sonne. Je les reverrai la semaine d’après. Maintenant, c’est au tour de l’autre classe, en deux fournées successives. J’ai exactement zéro seconde pour rassembler mes affaires, fermer la salle, traverser l’établissement jusqu’aux salles de TP, me réinstaller en accueillant mes élèves de l’autre classe. Conclusion, si un jour dans l’année je m’éternise ou que je n’entends pas la sonnerie, je vois venir d’ici le “Nan mais légalement ça a sonné depuis dix minutes on a le droit de partir !”. Par chance, les salles de TP sont au même endroit que la vie scolaire et le CPE. Quelle tuile — pour eux. 
Je sors de la salle, me dépêche dans les couloirs. Je croise Madame Hermine qui m’interroge d’un regard ; je la rassure d’un sourire. J’arrive ensuite à l’endroit indiqué sur l’emploi du temps, pour y trouver mon premier demi-groupe. Qui ressemble très fort à un trois-quarts-de-groupe. “Bonjour ! — Bonjour Monsieur ! — Mais vous êtes beaucoup là, non ? Vous êtes en demi-groupe ! — Mais sur l’emploi du temps c’est marqué qu’on a tous physique-chimie !” Mon cœur loupe un battement, et ma clé la serrure. Je reprends contenance, ouvre la porte, et vérifie mon emploi du temps : déjà, je ne me suis pas trompé. Je saisis le carnet d’une élève au hasard, et en effet, à première vue, ce ne sont pas des créneaux de demi-groupe mais de classe entière qui sont indiqués !
N’étant pas encore doué de télépathie pour communiquer avec le collègue de SVT à l’étage du dessus, je prends la décision arbitraire de couper la classe par le milieu, et renvoie le reste dans l’autre matière. Ils rentrent ; je commence mon cours. 
Quelques minutes plus tard, ça toque à la porte : le collègue de SVT me renvoie une demi-douzaine d’élèves, avec en pièce jointe la liste des demi-groupes. C’est donc que cette information existe. Note à moi-même : la trouver pour la prochaine fois. Je recommence donc une nouvelle fois à me présenter, et tout ressemble fortement à ce qui s’est passé l’heure d’avant.
Sauf que. Il s’agit ici d’un créneau de TP : j’ai donc une heure et demie à combler. Je réussis à m’en sortir en introduisant le premier chapitre en faisant construire une carte mentale à mes élèves. Le créneau se finit, les groupes s’échangent.
Le problème majeur, à force de se présenter trois fois, c’est que par peur de radoter, j’accélérai le rythme. Ce qui avait tenu une heure… ne tint finalement que quarante minutes. Bien joué, espèce de Loutre, tu as déjà réussi à avoir un décalage de progression à ta première journée, et au sein d’une même classe, avec ça ! Au prix d’une douloureuse opération escargot sur la carte mentale, je m’en sortis finalement assez honorablement. 
Au bout du compte, je n’ai finalement pas vraiment paniqué, les mots ont réussi à sortir, que ce soit pour me présenter, répondre aux questions, ou même rappelé à l’ordre. Je m’en félicite. Je sais en revanche que même si aujourd’hui ils m’ont paru tout mignons et sages, il faudra tenir pendant plusieurs semaines, jusqu’à Toussaint, me disait Madame Belette, une amie d’avant et collègue d’ailleurs. Je touche du bois, et pars en week-end. La pression doit redescendre.
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monsieurloutre · 4 years
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Moment 0 : je suis une truite
“Deja de taparte Arrête de te cacher Que nadie va a retratarte” Personne ne va te tirer le portrait
~ Atrévete-te-te in Calle 13, Calle 13
Ça y est. Je suis quelque part, dans un espace-temps assez flou, entre le jeudi soir et le vendredi matin — et je ne parlerai pas de l’INSPÉ dans ce billet. Demain, je rencontrerai tous mes élèves — vraiment tous. 
C’est que j’en ai déjà rencontré… deux. La pré-rentrée, c’était lundi. Et le jour d’après, c’était la rentrée des élèves, le premier septembre : j’y suis intervenu. Contrairement à ce que j’avais moi-même connu en temps qu’élève, au Lycée, à l’entrée en Seconde, il semble être d’usage de réaliser un entretien individuel avec chaque élève, afin de mieux cerner ses motivations, son parcours — et aussi ses moyens en terme de travail personnel et d’accès à l’informatique à la maison, en particulier dans le cadre d’un éventuel reconfinement. J’étais censé intervenir… mais j’avais une réunion avec mes collègues stagiaires sur l’établissement. Je suis donc arrivé en fin de bataille, et n’aurai rencontré que deux élèves.
Pendant la réunion des stagiaires avec la direction, le proviseur a été clair sur notre nouveau statut, nos devoirs et nos responsabilités. J’en retiens personnellement deux points majeurs : il ne faut pas faire cours en tailleur sur une table, et il faut éviter de se retrouver un caleçon sur la tête à courir dans la rue des bars de la ville. On risquerait de se retrouver affiché sur les réseaux sociaux, et les parents d’élèves ne seraient pas très contents de voir que les enseignants de leurs chers enfants ont une vie sociale.
OUI JE SAIS, ce n’est pas ça le problème. Les personnels de l’EN sont censés représenter un exemple pour les élèves, et il serait donc inconvenant d’avoir un respectable enseignant torché à quat’ du avec des sous-vêtements mal placés — quoiqu’avec les masques grand public distribués cette année, la question des sous-vêtements sur la tête est légitime. Je pense toutefois que dans le futur, je ferai un billet à propos de la respectabilité attendue et effective du personnel enseignant, qui me semble être à géométrie variable. Mais nous nous égarons.
Bref, les élèves sont rentrés le premier septembre. Dans le calendrier républicain, ce jour était connu comme le jour de la truite. Et je sens aujourd’hui une certaine sympathie avec cet animal. Une truite dans un fond d’eau seulement. Elle a juste assez d’eau pour respirer, mais ses mouvements sont difficiles. Elle s’effraie, elle panique, elle tressaute, elle bondit. Ce soir, je suis cette truite. Comme une petite sensation d’inadéquation ; d’usurpation peut-être. Ou finalement, tout simplement de peur panique. 
Est-ce rationnel ? Probablement pas. Les élèves ont probablement les mêmes peurs : qui sera ce nouvel enseignant ? l’année se passera-t-elle bien ? Et dans le contexte actuel, en 2020, les angoisses liées au milieu scolaire n’ont pas dû s’amenuiser, bien au contraire. Par ailleurs, comme le l’ai mentionné dans un précédent billet, je sais qu’en dépit de ces angoisses que je tente de taire, j’ai un minimum de bagage derrière moi. Cela devrait aller. 
Aujourd’hui, il est encore tôt lorsque j’écris ces mots. Ou peut-être est-il tard. Je ne sais bien. Beaucoup de choses risquent de se jouer à ce premier jour. Avec les deux élèves que j’ai rencontrés, j’ai eu la réponse à une question que je me posais depuis plus d’un mois : l’adresse aux élèves. Apparemment, cette année, je vais les voussoyer. Très bien. Il ne faudra pas que je glisse, par contre.
Les élèves sont-ils conscients de tout ce qui va se jouer ? En suis-je moi-même conscient ? Je pense que malgré ces incertitudes, demain je serai calme — peut-être à un quart d’heure près à tourner en rond dans la salle des profs de SPC les bras en l’air, d’accord. 
En tous les cas, dès demain, il faudra faire face.
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monsieurloutre · 4 years
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Moment 0 en chiffres romains : tout plein de petites cases
“Du hast den Weg verloren Tu as perdu ton chemin In einer mondlosen Nacht” Par une nuit sans lune
~ Hagazussa in Märchen & Mythen, Faun
Ça y est. La pré-rentrée à l’établissement, c’est une chose. La réalité du terrain, les collègues, les élèves : je suis professeur. Mais je suis professeur stagiaire : c’est qu’il faut aussi rentrer à l’INSPÉ. 
L’INSPÉ, anciennement ESPÉ, plus anciennement IUFM, c’est l’endroit où le personnel enseignant est formé. À ce propos, le saviez-vous ? Un Master de Formation à l’Enseignement Supérieur n’est pas considéré comme un Master d’enseignement par les Universités. Je peux donc raisonnablement dire que la préparation à l’agrégation est le contraire du Port-Salut. 
Aujourd’hui, j’ai effectué ma rentrée à l’INSPÉ. Cette journée a commencé par un amphi de rentrée là aussi, rassemblant toutes les disciplines scientifiques (maths, SPC, SVT, BGB, EPS, SNT…) indifféremment du statut de lauréat (ou non) du CAPES et de l’agrégation ainsi que du niveau d’affectation — de la 6ème à la Tle. J’ignorais complètement la variété du public d’un INSPÉ, et je trouve intéressant de voir que la formation est commune. Intéressant, avec une petite nuance de circonspection, pour être totalement franc. 
Pendant cet amphi, au-delà de choix discutables de formalisme et de typographie (qui peut espérer qu’une URL écrite en jaune sur fond blanc soit lisible au-delà du premier rang ?), certaines remarques des intervenantes me laissèrent pantois. J’avais en tête l’image d’un bateau dans la brume, avec un barreur naviguant à vue ; une navigation enthousiaste entre l’amateurisme et l’incompétence, d’une façon tellement irréfléchie que l’on confine presque au domaine de l’art.
À l’issue de l’amphi, je retrouvai une de mes connaissances d’avant, Monsieur Kangourou, affecté dans l’académie comme unique stagiaire de sa discipline. Pour avoir comparé nos situations administratives, une fois de plus, je peux dire que j’ai de la chance. 
L’après-midi vint le premier cours. Affublé d’un titre à rallonge plein de substantifs à quatre syllabes. Je découvris à cette occasion les autres stagiaires de SPC de l’académie. Pour beaucoup, ils se connaissent de l’année précédente, ayant eu des formations communes en première année de Master MEEF — un Master dont le “E” d’enseignement est, lui, pris en compte. Mais à cette joie et cet intérêt de rencontrer des collègues dans la même situation que moi allait s’ajouter le dur retour à la réalité : je suis encore, cette année, deux jours par semaine, étudiant. Et quelles études. 
Cette année donc, je suis stagiaire. L’on va me donner des consignes, en matière de pédagogie et de didactique, et n’aurai d’autre choix que de les suivre, me semblent-elles absurdes ou bien absconses. J’ai l’impression que dans les hautes sphères des sciences éducatives, des choix ont été faits, afin de tout faire rentrer dans des petites cases, bien précises, bien étiquetées, que l’on peut ranger dans de jolis tiroirs bien ordonnés. 
J’ai aussi eu une révélation : mes collègues stagiaires qui sont passés par le Master MEEF semblent accepter bien plus volontiers que moi ces paroles, sans avoir l’air de les remettre en question. Peut-être n’est-ce qu’une façade ou bien, plus raisonnablement, sans doute ont-ils, eux, bien compris que nous n’avions pas le choix. Mon innocence et mon enthousiasme à l’égard du métier sont encore là ; je n’ai pas encore franchi ce pas. Il faudra que je leur en touche un mot. Je suis certain qu’ils peuvent m’aider.
Aujourd’hui, j’ai appris qu’il ne fallait pas utiliser le mot “rappel”, comme dans rappel de cours, avec les élèves. Ce terme pouvant, en effet, être peu valorisant s’ils ne se rappellent justement pas ledit cours. Ce que je peux comprendre. En revanche, avec un aplomb remarquable, nous fut indiqué immédiatement après qu’il était tout à fait possible de parler de “remobilisation des connaissances qui ont été vues”. À mon sens, c’est une erreur fondamentale : en dépit du jargon, on sous-estime trop largement le bon sens de nos élèves.
Un peu plus tard, la mention “justifier” dans une consigne a été jugée trop compliquée à comprendre par des élèves, devant être remplacée par “et dis pourquoi”. C’est effectivement plus simple à comprendre. C’en est même simpliste ! Et juste après, la remarque fut faite que, même en SPC, il fallait former les élèves à l’usage correct et précis de la langue française en utilisant un vocabulaire précis et adapté. Quel est le sens de cette formation, ou à telle minute le mot “justifier” est trop compliqué pour notre public, mais où à la minute d’après l’on souhaite que les enseignants fassent montre de rigueur en terme de vocabulaire ?
Je suis face à un cas de conscience. J’ai l’impression que ce creuset plein de différents acteurs est une farce, et j’ai encore à en identifier les dindons. Je n’arrive pas à savoir si ce sont les élèves, les enseignants, ou peut-être un savant mélange des deux. Mais j’ai la sinistre impression que si je veux réussir à être titularisé cette année, je vais devoir abdiquer tout esprit critique, rentrer dans un moule, accepter un jargon aussi abscons qu’inutile, et tout ça dans le plus grand des calmes et avec le sourire.
Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, j’ai eu des collègues, des proches, de la famille, tous travaillant dans l’EN, qui me mettaient en garde. Mais tout en écoutant ces avertissements, je n’avais jamais douté de ma vocation, de l’intérêt de l’enseignant, de la beauté et de la puissance de l’École, de l’Université et de la Connaissance.
Ce soir, en sortant de l’INSPÉ, à ma plus grande stupeur, j’ai le désagréable sentiment qu’aujourd’hui, un germe de doute a été instillé en moi. 
Ce soir, je comprends que l’année sera difficile. Mais les craintes que je m’imaginais jusque lors n’en seront pas la cause. 
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monsieurloutre · 4 years
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Moment -1 : comme dans un entre-deux
Dans la chambre, dans le salon Moi je tourne en rond, je tourne en rond
~ Je suis un homme in Totem, Zazie
Les choses ont évolué ! Finalement, assez rapidement, j’ai été contacté par mon tuteur, qui est d’ailleurs une tutrice. L’autre jour, en pleine chasse à l’appartement, Madame Hermine m’a appelé et s’est présentée : elle sera ma tutrice de terrain pendant cette année, pour m’aider, m’épauler et me guider. Le courant a eu l’air de passer dès le début. Le chef d’établissement m’avait aussi contacté par mail, presque immédiatement après que je me fus fait connaître. Je serai donc responsable de deux classes de seconde générale. Un demi-service de neuf heures, un seul niveau à préparer ; j’ai de la chance. 
Depuis la dernière fois, j’ai trouvé un appartement, miraculeusement vite. Celui-ci a le bon goût de se situer à mi-chemin de l’INSPÉ et de mon établissement. J’ai vraiment de la chance. Aujourd’hui, je suis tranquillement posé dans mon appartement. Tout va bien… à deux détails près : mes affaires ne sont toujours pas là, et l’électricité non plus. Pratique pour avoir de l’eau chaude, et préparer des cours. Au moment où j’écris ces lignes, sur le plan de travail de la cuisine, alors que la batterie de mon ordinateur agonise, j’attends minuit avec grande impatience : c’est l’heure où l’électricité devrait arriver. En tout cas si j’en crois le conseiller que j’ai eu tout à l’heure au téléphone, qui serait sans doute allé plus vite en prenant note de mes questions en morse. Et donc, entre mes grandes réflexions sur ce que je vais faire à ma première heure de cours et l’attente (non dénuée d’angoisse) de l’arrivée de l’électricité, je me balade dans mon appartement en me prenant pour une chanson de Zazie. 
Dans l’entre-temps, la pré-rentrée dans l’établissement a eu lieu. J’ai rencontré en personne Madame Hermine, et effectivement, le courant passe bien. Elle a du métier, de l’expérience, et il s’avère que dans notre vision du métier ainsi que dans notre pratique, plusieurs points communs nous unissent. J’intègre ainsi le lycée Tamref en confiance, rasséréné. Elle m’a aidé, m’aide et m’aidera pour les aspects pratiques : clés, carte de cantine, codes informatiques… Je suis soigné comme un bébé loutre. 
Ceci étant dit, la pré-rentrée avait un petit quelque chose de ventilateur : du vent fut brassé. Lors de l’amphi de rentrée — dédoublé pour des raisons sanitaires —, les personnels de direction ont donné un certain nombre d’informations. En pêle-mêle, nous sommes quatre stagiaires sur l’établissement, les manuels des Terminales arriveront au plus tôt en janvier, la sécurité en TP est une grande inconnue, et nous aurons des masques fournis par l’EN. D’une marque bien connue de sous-vêtements en trois lettres. Ce sont les fétichistes qui vont être contents. 
J’ai aussi rencontré l’équipe de physique-chimie : une quinzaine de collègues, semblant très sympathiques, soudés ; un terrain définitivement prometteur, qui plus est pour une année de stage. Nous nous trouvons tous un peu désemparés, y compris les plus expérimentés, face aux inconnues de la sécurité en TP. Qui désinfectera le matériel ? En combien de temps ? L’avenir nous le dira. Soit par une circulaire, soit par l’expérience.
Enfin, j’ai mis la main sur mon emploi du temps. Ce sera vendredi que je rencontrerai mes élèves, des deux classes. J’ai quelques jours pour préparer (au moins) ma première séance. Je suis, étrangement, plus intrigué que paniqué. Que vais-je pouvoir leur dire ? Sera-t-il évident de capter l’attention des élèves et de les reconnaître avec ces masques qui cachent la moitié du visage ? Cet aspect-là, lui, n’est pas le plus appréciable, a fortiori pour une entrée dans le métier. Mais comme une collègue l’a fait remarquer à sa stagiaire  : au moins, après ça, nous serons parés à tout.
Maintenant, c’est l’attente de la rencontre avec les élèves.
Je suis dans un entre-deux assez étrange, à moitié intronisé dans l’établissement, à moitié installé, mais sans avoir commencé mes cours, ni avoir véritablement déménagé. Comme une sensation étrange d’être à la bonne place, mais pas tout à fait, pas entièrement. 
Cela aussi passera. 
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monsieurloutre · 4 years
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Moment -2 : y être, mais juste au seuil
“I truly thought I was prepared Je pensais vraiment être prêt But now I’m panicked and I’m scared” Mais là, je panique et j’ai peur
~ Coward in Older, Yael Naim
Nous sommes maintenant au 15 août. Dans la liturgie chrétienne, cette date symbolise l’entrée de Marie au ciel en lieu et place du simple et classique passage de vie à trépas. Aujourd’hui, moi aussi je franchis le seuil. Non pas celui du ciel, ni d’ailleurs celui du trépas, mais je m’avance vers la réalité, vers le concret. 
Car oui, je sais désormais l’établissement dans lequel je vais travailler ! Je suis donc affecté au Lycée Tamref, dans la ville de Terbla — ne vous embêtez pas à chercher ces noms sur l’atlas ou le moteur de recherche le plus proche, vous ferez chou blanc : je protège seulement mon anonymat ainsi que celui des différents acteurs de l’histoire qu’à n’en point douter j’introduirai par la suite.
Mais c’est qu’en dépit de cette nouvelle information, je suis comme effrayé. À l’agréable certitude de savoir où je vais me retrouver, s’ajoute cette dimension beaucoup trop concrète à mon goût : oui, je suis affecté comme professeur. L’État, le ministère, l’EN ; tous ont jugé adéquat que de m’affecter à une fonction : enseigner des savoirs à la nouvelle génération. Je ne suis plus étudiant. Je ne suis plus élève. Je ne suis plus du bon côté du bureau. 
Y suis-je prêt ?
Je suis ravi que tant d’acteurs, pétris de certitudes, aient pensé que j’étais capable d’assumer tel rôle. Mais la pression n’en est que d’autant plus grande.
“Maman, je ne veux pas aller à l’école ! — Oui mon chou, mais c’est toi le professeur !” Ah, que c’était drôle. Avant. Je suis pris dans une sorte d’étau, deux branches d’une même fourche, liées par la contradiction. Autant suis-je enchanté de pouvoir partager mon savoir, autant suis-je apeuré d’être soudain projeté dans la position du maître.
Mais une contradiction, cela n’existe pas.
J’ai deux semaines pour me consacrer aux basses considérations matérielles de ce monde. Trouver un logement, déménager, trouver de l’argent, comprendre comment me déplacer, mettre la main sur un collègue, avec un peu de chance mon tuteur ou ma tutrice, contacter le chef d’établissement et tenter de savoir quels seront mes niveaux. Et du coup, accessoirement, monter de toutes pièces mes cours. Quand j’étais moi-même au lycée, j’avais choisi l’option théâtre. À l’époque, c’était pour assouvir mon amour de l’art et de la littérature, que je n’avais pu contenter en partant en filière scientifique. Aujourd’hui, je suis bien content d’avoir choisi cette option, pleine de compétences, de trucs et d’astuces qui, assurément, me seront du plus grand secours.
Ces questions, les autres enseignant s’y sont-ils confrontés ? Quelle a été leur réaction ? Est-il coutume de ne s’y trop attarder ? Depuis mon entrée en sixième, si ce n’est plus tôt, à l’école primaire, toujours ai-je eu l’impression que mes professeurs se déplaçaient avec une assurance formidable, pour ne pas dire avec désinvolture ; un naturel déconcertant. Étaient-ils effrayés comme je le suis aujourd’hui ? Est-ce que F*** se posait des questions existentielles avant de donner cours dans ma classe de CM2 ? Est-ce que M. T*** se remettait en question avant d’enseigner la technologie à ses 5è ? Est-ce que Miss K*** avait l’impression d’être à une place qui n’était pas la sienne avant d’adresser la parole à ses Tle ? Tant de questions qu’aujourd’hui je me pose, alors que je n’ai que deux semaines avant que d’être confronté à mes futurs élèves.
Depuis tant d’années maintenant, je sais que je souhaite enseigner. Mais alors que je pensais être prêt, aujourd’hui, c’est la peur qui m’étreint. Peut-être est-ce salutaire ? Peut-être n’est-ce que la volonté intime d’être à la hauteur pour mes futurs élèves ? L’avenir me le dira.
Aujourd’hui, j’ai l’espoir, qui me permet de rassembler mes forces. Et c’est un bon début malgré tous ces doutes que je peux avoir.
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monsieurloutre · 4 years
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Moment -3 : Lúnasa
“Diabhail fhios a'm cá bhfuil deireadh mo scéil Je ne sais où diable s’achèvera mon histoire Ach táim ar an mbealach ceart.” Mais je suis sur la bonne voie.
“Wake me up” le Avicii as Gaeilge~ , Stiofán ⁊ TG Lurgan
Aujourd’hui, le mois d’août a commencé. Il y a bien longtemps, pour les Celtes, c’était à cette période que l’on célébrait la fête de Luġnasaḋ. À mon tour, cette année, j’ai quelque chose à célébrer !
Eh oui : hier, un mois jour pour jour avant la pré-rentrée, j'ai en effet pris connaissance de l’académie dans laquelle j’allais être affecté pour l’année 2020-2021. C’est qu’au premier septembre, je vais rejoindre la grande cohorte des fonctionnaires, pour enseigner et faire découvrir de nouveaux horizons à des élèves : je deviens professeur de physique-chimie. Enfin, professeur stagiaire, ne mettons pas la charrue avant l’INSPÉ. Mais bref, ça y est : je peux désormais réduire la zone où je vais être affecté de la France entière à une petite poignée de départements. Je ne connaîtrai mon établissement (et donc ma ville) d’affectation qu’entre le 12 et le 14 août, mais je m’efforce malgré tout de voir l’aspect positif des choses : ça aurait pu être plus tard.
Ainsi donc, en septembre je rentre dans l’EN par la grande porte. J’ai déjà fait quelques incursions par la petite porte, en faisant quelques vacations çà et là en CPGE ; mais cela n’avait aucune commune mesure avec ce qui va m’arriver. Maintenant, je vais devoir faire illusion, donner l’impression d’être un adulte éthique et responsable devant une classe — que dis-je ? plusieurs classes — dont je ne connais d’ailleurs pas encore le niveau. En somme, donner le change. Mais j’aime bien relever des défis. En même temps, quand l’on y pense, si l’on réfléchit aux motivations poussant à devenir enseignant, je ne vois guère que cela : relever des défis. Si c’était pour l’argent ça se saurait. Et la prochaine fois que tonton Jean-Relou vous indique cordialement au repas de Noël que c’est pour les vacances, offrez-lui vos copies en retard et une barquette de fraises. 
Enfin bref. Aujourd’hui, ignorant encore dans quel établissement je vais travailler, je ne sais donc pas non plus le niveau des classes auxquelles je vais devoir enseigner, et je n’aurai que deux semaines pour trouver un endroit où vivre et y déménager. Comme je l’ai pu voir sur les réseaux sociaux, l’EN est une des rares entreprises où l’on apprend inopinément dans quel établissement l’on était attendu la veille — pensée émue aux TZR. Mais après tout, quelles que soient les contraintes, peut-être la vocation justifie-t-elle toutes ces difficultés, à l’égard du bonheur que l’on peut ressentir devant la compréhension dans le regard d’un élève, ou encore de la joie que l’on peut avoir en enseignant ce qui nous passionne ? C’est en tout cas encore mon espoir ; j’espère que cette année va me conforter dans cette attitude que je considère optimiste.
Mais même si c’est ce que je dis en public, je me réserve le droit d’avoir un peu peur. En privé. 
Et sinon, nous en reparlerons pendant l’année, ou peut-être dans douze mois. Mais avec un peu de chance, tús maith, leath na hoibre*, n’est-ce pas ? Cela dit, ce n’est pas encore le début.
La suite au prochain billet.
* Un bon début fait la moitié du travail.
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