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Le souffle épique chez Saint-John Perse
Près de cinquante ans après sa mort, plus de soixante ans après le Prix Nobel de Littérature, Saint-John Perse appelle encore à lui les jugements les plus contradictoires. les plus paradoxaux. Si l'on quitte les cercles assez restreints des universitaires et des lecteurs éclairés férus de poésie, deux cercles qui parfois se recoupent, son oeuvre est peu lue, quasiment jamais étudiée dans le secondaire, rarement à l'honneur des concours. L'image du poète est brouillée par celle du diplomate. La réception critique de son oeuvre fut longtemps troublée par une éditions de La Pléiade pour le moins discutable sur le plan philologique. Relevant davantage de l'oeuvre de fiction que de la démarche scientifique de présentation des textes. Réécriture de soi, forme originale d'autofiction. Au bout du compte, une réputation solide d'obscurité précède l'auteur, comme si la plaisante petite phrase attribuée par Marcel Proust au personnage de Céleste dans Sodome et Gomorrhe avait à jamais frappé la réception de son oeuvre d'un sceau d'incompréhensibilité : "Mais êtes-vous sûr que ce sont des vers, est-ce que ce ne serait pas plutôt des devinette? " Devant la difficulté d'identifier une oeuvre complexe, il est tentant pour le critique de recourir à l'oxymore et au paradoxe afin de jeter une lumière, fût-elle fugace, sur les écrits du poète. D'aucuns le firent avec grâce, tel Jean Paulhan qui parlait à propos de celle de Saint-John Perse d'une "épopée sans héros". Comme Paul Valéry qui reste aujourd'hui encore lié au titre de "mystique sans dieu", Saint-John Perse est souvent associé à ce verset d' Amers : « Ils m'ont appelé l'obscur et j'habitais l'éclat ». C'est en suivant le fil de ces trois citations que nous nous proposons de tisser notre commentaire de Vents, "oeuvre oeuvrée", pour reprendre les mots du poète, celle dans laquelle la poétique persienne semble la plus fidèle aux règles par le poète même édictées lors de son allocution au banquet de réception du Prix Nobel. Vents s'inscrit selon nous dans une double tension, poétique et historique, reliant le monde de l'écrivain et celui du diplomate, envers et contre les affirmations du poète qui toujours s'ingénia à dresser un mur infranchissable, entre Saint-John Perse et Alexis Leger. Mur édifié jusque dans l'élaboration de "son Pléiade", construction de contre-vérités et de mensonges. Rédigée sur l'île de Seven Hundred Acre Island, chez ses amis américains, Vents retrouve les accents d'un fil poétique dont les origines se perdent jusqu'aux Pontiques d'Ovide, jusqu'aux vers des lettrés chinois en vacance du pouvoir que le diplomate avait lus dans ses années de Chancellerie à Pékin. Certes l'exil déjà avait marqué la vie de Saint-John Perse. De ses premières évocations des Antilles de l'enfance aux "portes ouvertes sur l'exil" célébrées dans le recueil du même nom. Mais avec Vents, pour la première fois, l'histoire racontée se confond avec l'Histoire vécue. La distance politique prise par le diplomate outre-atlantique se change en distance poétique. Jeté sur un île, le diplomate soudain à l’écart du cours des l’Histoire se change en poète pour chanter les courants de la destruction. Alors que l’ancien monde s’effondre, Vents se présente sous certains aspects comme un poésie de la destruction épique. Mais cette destruction porte, comme toute apocalypse, en elle les germes d’une renaissance. Renaissance rendue possible par le poète qui, troisième visage de l’œuvre, se pose en hérault de l’apocalypse comme en héros du renouvellement des forces historiques et humaines. Telle est selon nous la place à part de Vents dans l’œuvre de Saint-John Perse : le réponse donnée par le poète au diplomate, réponse qui ne se pouvait concevoir que dans une forme épique. Un poème épique donc, dont nous entendons démontrer à la fois la fidélité aux modèles du genre et l’originalité dans les contours du héros épique ici célébré. Qu'est-ce qu'une épopée? Pour aller à l'essentiel d'une question générique complexe, la réponse la plus simple, et donc aussi la plus approximativement réductrice serait de présenter l'épopée comme un récit narratif dans une forme poétique. Mais toute narration poétisée ne saurait prétendre à l'élévation épique. Avant toute chose, l'épopée est le récit d'un déplacement, d'un parcours. Tel est le cas de L'Odyssée, de L'Eneide, et même de L'Iliade qui obéit à cette poétique du mouvement. Par d'épopée immobile. Qu'elle chante une grandeur ou déplore une décadence, qu'elle tende vers l'anabase ou se ploie vers la catabase, l'épopée est fille du déplacement. Elle peut se définir avant toute chose comme la narration d'un mouvement, l'expression poétique d'une force qui va, si nous acceptons de reprendre la formule hugolienne. Elle même forgée par le poète avant qu'il ne connût lui-même un exil insulaire et atlantique. L'action épique s'inscrit dans la rupture de l'immobilité du héros. Enée part, Ulysse rentre, Achille est poussé par sa colère. Dans l'épopée, la muse chante un emportement enthousiaste. Exempte de nostalgie, l'oeuvre qui nous intéresse porte ainsi en elle trois sceaux. D'abord celui de la célébration d'un souffle épique, chassant dans son avancée les ruines d'un monde ancien que l'Histoire est en train de battre en brèche. Ensuite, celui de l'enthousiasme, car la force des vents balaie le monde décrit et l'oeuvre écrite, opérant par touches successives un passage du blame à l'éloge. Enfin, car il nous semble, contre l'affirmation de Jean Paulhan que cette épopée n'est pas dénuée de figures du héros, le poème offre au lecteur le masque d'un poète officiant aux cérémonies de l'élucidation du monde passé comme du monde à venir. Le souffle épique L'emportement, nous en trouvons naturellement le souffle dans Vents. Le titre, pour commencer, porte en lui cette charge, cette force. Il serait au demeurant presque possible d’éclairer le poème tout entier à la lumière du reste de l’œuvre. Julien Gracq commente ainsi dans En lisant en écrivant l’œuvre de Saint-John Perse « On peut ouvrir le recueil n’importe où, et porter la page ouverte à son oreille comme un coquillage, c’est toujours la même cantilène océanique qui se soude sans effort à elle-même et se mord à satiété l’étincelante queue. » . Cette phrase, ce compliment ambigu dirons-nous, nous invite à voir dans l’œuvre entière de Saint-John Perse une seule et même phrase. Et à la question qui nous intéresse, celle de la dimension épique de cette écriture, il serait presque possible de donner une réponse plaisante, construite par les seuls titres des œuvres successives rassemblées dans l’ OEuvre elle même. Considérant l’épopée comme le récit de hauts faits, notre poète a chanté la gloire des rois et offert le récit d’une anabase. Tel Enée fuyant par la force des choses une civilisation anéantie par la guerre, il a su changer son exil en épopée. Une épopée qui jamais ne sombre dans la nostalgie, qui ne se limite pas au tableau des destructions d’un monde ancien, qui toujours s’élève au rang de l’éloge. Telle est sa vision, et sa pratique, de la poésie. Comme Dante dont il dressa le portrait comme on contemple son image dans un miroir, il a suivi les chemins de l’Histoire, accompagnant les hommes de son temps, ainsi qu’un chemin spirituel, embrassant dans son œuvre la terre, le ciel et les enfers. Porté qu’ils étaient l’un et l’autre par une force qui incline jusqu’aux lettres du texte, toute en italiques, une force que Perse nommait les vents. Ce souffle épique, c’est dans Vents justement qu’il est le plus présent. Cette force du vent souffle d'ailleurs sur tout le poème puisqu'elle imprime, c'est le cas de le dire, un mouvement oblique à chaque lettre du texte. L'italique figure ici la lettre romaine que le vent a fait ployer, lui faisant dessiner cet angle aigu que premier Chant évoque "se hâter, se hâter, l'angle croit.". Ce souffle épique agite donc le verbe même du texte, de sa lettre comme nous venons de le voir, au "grand arbre du langage", lui aussi célébré dès le Chant I, dont les feuilles sont animées par le vent. L’âme du vent se présente avant toute chose comme une force destructrice donc, le renouveau porté par le langage ne pouvant souffler que sur un terrain battu en brèche par le souffle de l’histoire. Et sur le Chant I c’est ce vent destructeur qui s’abat sur terre. Tout ce chant étant placé sous l’autorité divine de cette chute : « Eâ, dieu de l’abîme… » L’image qui porte le mieux ce thème est présente dès la première Suite du chant. « … et nous laissaient, hommes de paille, En l’an de paille sur leur erre… » L’image ici évoque une confusion entre les hommes et leur monde, confondus dans un même fétu. Alors que le vent de l’histoire balaie la paille des êtres, c’est toute une ère qui semble prendre sa substance dans le brin asséché emporté par le vent. Et la troisième suite du Chant, jouant en répons avec ce couplet, instaure une amplification des forces destructrices. La matière lourde succède à la paille comme un jouet dans les mains du vent destructeur, qui disperse désormais les édifices de l’Histoire dans une longue énumération : « … balises… bornes milliaires… stèles votives… casemates.. batteries… edicules… oratoires.. » Et ainsi de suite jusqu’au comble de l’emportement « … toute pierre jubilaire et toute stèle fautive… » Jusqu’à la paronomase de « votive » en « fautive » qui donne au souffle le tour d’un châtiment. Destruction aussi des illusions du savoir, avec dans la quatrième Suite la destruction des « Basiliques du Livre » Ces palais royaux désertés, comme le diplomate désertait ses fonctions d’exil, à la Bibliothèque du Congrès, pour laisser parler le poète. Des savoirs livresque ne reste que la poussière des sépulcres blanchis : « Ah ! qu’on m’évente tout ce loess ! Ah ! qu’on m’évente tout ce leurre ! Sécheresse et supercheries d’autel… Car ce qui fut ancré dans l’Histoire des homme est emporté par le mouvement ou recouvert par le temps. Et en particulier les symboles de l’autorité morale, religieuse, savante. Toujours dans la troisième Suite du Chant I « Elles couchaient les dieux de pierre sur leur face, le baptistère sous l’ortie, et sous la jungle le Bayon » La nature a repris le dessus sur la civilisation des hommes et l’image des temples et des statues jetés à bas rend visible la fragilité de l’œuvre humaine. Jusqu’à la vanité des entreprises épiques des hommes de guerre, à la sixième Suite : « … où le temps fait son nid dans un casque de fer… » Dans le Chant II, c’est le Sud, cette patrie du premier exil, qui semble porter en elle tous les visages d’une décadence allant jusqu’au pourrissement. Géographie indistincte de fertilité et de corruption. « ô Sud pareil au lit des fleuves infatués… » « On ne fréquente pas sans s’infecter la couche du divin » De l’analogie évidente entre le lit des fleuves et la couche des dieux, le Sud semble porteur ici d’une fertilité malsaine que le poète rejette dans l’image symbolique des « …vierges cariées… » Comme si la pureté même portant ici les germes de sa déliquescence. Et c’est dans le Chant III que semble trouver son apogée ce chant de la destruction. Semblant pour un instant quitter l’élément aérien, le poète semble trouver la source d’un souffle nouveau et destructeur dans la matière même. Ainsi la troisième Suite du Chant évoque-t-elle : « …un silencieux tonnerre dans la mémoire brisée des quartz …» Cette foudre déchaînée par l’homme « Homme à l’ampoule, homme à l’antenne, homme chargé des chaînes du savoir … » c’est la force de l’atome que le poète évoquera, face à la lampe d’argile du poète, dans son discours de Stockholm, force désignée ici par l’image du monstre, « Et le monstre qui rôde au corral de sa gloire, l’OEil magnétique en chasse parmi d’imprévisibles angles… » Une épopée de la célébration En contrepoint à cette dévastations apportée par les vents, le poème chante aussi l’événement d’un nouveau monde. Comme si la destruction de la matière, paille et pierres emportées par le souffle épique comme nous venons de le voir, comme si la destruction au cœur de la matière, apportée par le tonnerre atomique de l’image que nous venons d’analyser, était le prélude nécessaire à l’instauration d’un monde épuré. A l'univers poussiéreux des archivistes du savoir, balayé par les vents dans la quatrième Suite du Chant I, répond la célébration des explorateurs et des pionniers. Dans la première Suite du Chant II, c’est le continent américain qui semble constituer, dans son ensemble et dans la virginité de son sol, la première page d’un livre exempt de cette poussière, de ce leoss honni. « Des terres neuves par là-bas… Toute la terre aux arbres par là-bas… comme une Bible d’ombre et de fraîcheur… » Ce chant du Nouveau Monde, puisque l’enthousiasme épique invite de façon répétée à « s’en aller, s’en aller… », c’est d’Est en Ouest qu’il se dirige. « La face en Ouest pour un long temps… » souligne explicitement le début de la deuxième Suite du Chant II Cet mouvement géographique qui suit la course du soleil comme celle des vents se complète par une célébration du Nord et de ses rigueurs. Nous l’avons vu dans une première partie, le Sud est peint par le poète comme le lieu mouvant des « délices de l’ordure et de la création ». Ces humeurs humaines que les pythagoriciens appelaient « miasma ». Monde grouillant, d’où les insectes et le crabes évoqués dans la quatrième suite du Chant II . Ce Sud, il s’oppose à toute la première partie du Chant II qui constitue une célébration des terres du Nord. L’ère chantée par le poète, celle de « l’An neuf », c’est celle de l’hiver nordique qui est présenté comme un modèle d’ascèse face à la vie putride des marais. Et c’est toute la deuxième Suite du premier Chant qui célèbre cette saison. Douze fois, la répétition anaphorique du mot « Hiver » décline les pouvoirs de ce moment privilégié, le reliant à tous les éléments du monde. Animaux, bisons, skunks... Végétaux, thyrses et pommes… Minéraux, cristaux, onyx… Métaux, fer et cuivre… Eléments chimiques, arsenic, bitume… Et pour encadrer cette énumération des vertus attachées à la saison hiémale, une question et une prière : « Et l’Hiver sous l’auvent nous forge-t-il sa clef de grâce ? » « Enseigne-nous le mot de fer, et le silence du savoir… » Sur ces deux axes géographiques, le poème écartèle le monde et fonde une ère nouvelle. Mais une ère pour les hommes, et point seulement pour les éléments. Ce fait, c’est dans le Chant III que le poète semble le crier. Dans la quatrième Suite « …Mais c’est de l’homme qu’il s’agit ! » « Se hâter, se hâter, témoignage pour l’homme ! » Cette célébration n’est en effet pas désincarnée. Elle trouve son point d’orgue dans la glorifications des explorateurs et des conquérants, dans le Chant III. La première Suite s’ouvre sur l’évocation des explorateurs : « Commentateurs de chartes et de bulles, Capitaines de corvées, Légats d’aventure… » A ces hommes encore trop attachés à la poussière du papier, succèdent les conquistadors : « Les cavaliers sous le morion, greffés à leur monture… » Cette « greffe », nous le savons, fut la cause même de la victoire des conquérants espagnols, que les Indiens, les voyant juchés sur leurs chevaux, prirent pour ces créatures divines dont leurs légendes annonçaient l’arrivée.   Pour finir cette célébration des hommes, le Chant III déroule dans sa deuxième Suite l’énumération de ceux qui ont érigé le Nouveau Monde « Des hommes encore, dans le vent, ont eu cette façon de vivre et de gravir. » Gouverneurs en tête, suivis des Réformateurs, des Protestataires, et jusqu’aux hommes de science « …lecteurs de purs cartouches dans les tambours de pierre… » Ceux-la même qui déchaînent pour la destruction du monde ancien le Monstre déjà évoqué. A ces hommes du renouveau, répondent des figures féminines. Aux "vierges cariées" du Sud, s'oppose la ruée, encore la force du mouvement "de filles à l'an neuf, portant sous le nylon l'amande fraîche de leur sexe." Célébration d'une fraîcheur opposée à la corruption. Cette corruption, nous l'avons vu, géographiquement ancrée dans le Sud, point cardinal pour le poète du retour nostalgique rejeté. Et c’est toute l’analogie tissée dans la première suite du Chant II qui met en parallèle les terres vierges du Nouveau Monde avec la figure de la femme. Dans cette suite, la répétition anaphorique des « terres neuves » croise la répétition du mot « fraîcheur ». De cette terre féminine célébrée naîtra le monde à venir, le fruit mûrit : « Des terres neuves, par là-haut, comme un parfum puissant de grandes femmes mûrissantes » « Toute la terre nubile et forte… » Et si, dans la deuxième suite du Chant III, sont célébrés, ces derniers pionniers en date d'une lumière nouvelle, pour une nouvelle ère, atomique, c’est à travers la métaphore du sexe féminin " ... nous cherchons dans l'amande et dans l'ovule et le noyau d'espèces nouvelles". Dans la rencontre entre ces hommes et ces femmes du renouveau, c’est le germe de l’avenir qui constitue au dernier Chant le point final de la célébration « Des messagers encore s’en iront aux filles de la terre, et leur feront encore des filles à vêtir pour le délice du poète. » Ainsi le souffle épique porte-t-il en son sein une parole de célébration. Le poète chante la décadence d'un monde qui a perdu sa sève, mais aussi l'avènement d'une ère nouvelle, celle qui s'ouvre à des hommes nouveaux. L'oeuvre poétique de Saint-John Perse semble bien dessiner ses contours de façon paradoxale : comme toute épopée, elle chante un exil, souvent un retour, mais l'un comme l'autre, exempts de toute nostalgie. Chant de célébration, elle oppose deux mondes, balayant l'un pour élever l'autre. Les masques du poète Et pourtant, l'essentiel n'est pas dit si l'on se contente de relever l'éloge d'un monde à venir. Le poète le rappelle lui-même à l'envi "c'est de l'homme qu'il s'agit." Et c'est l'homme comme poète qui dans Vents endosse le rôle du héros de cette épopée qu'est l'oeuvre de Saint-John Perse. Cette "oeuvre oeuvrée" dont il est question dans son discours de Stockholm. Vents nous révèle de façon directe cela. C'est une épopée qui invite l'homme à écouter la parole d'un poète qui a choisi de marcher "sur le chemin des hommes de son temps" Quel poète? Quel héros? Un poète inspiré, certes. Non pas apollinien, il a abandonné "la boue des feuilles mortes au bassin d'Apollon" En affirmant avoir "bu le vin de lierre" il se range explicitement du côté dionysiaque, du côté de l'enthousiasme. "Je te licencierai, logique, où s'estropiaient nos bêtes à l'entrave". Renonçant aux lumières de la logique, le poète cherche une illumination. "Et la réponse à lui donnée par illumination du coeur." Le masque ici porté, c'est pour certains critiques, Henriette Levillain en tête, celui du Shaman. Comme ce thaumaturge des steppes, le poète a survécu à la foudre « … par la foudre même mis sur la voie des songes véridiques… ». Comme le shaman, sa fonction est d’être parmi les hommes à qui il va révéler cette lumière frappant la terre depuis le ciel : « Son occupation parmi nous, mise au clair des messages ». Autrement dit, rendre audible une parole révélée par la foudre mais restée obscure aux hommes, toujours la poétique de l’oxymore. C’est précisément parce qu’il répète l’ « avertissement du dieu » qu’il évoque « Le monstre qui rôde au corral de sa gloire ». Car le « monstre », du latin « monere », est un avertissement. Ici, la « lampe d’argile du poète » éclaire les dangers de « l’ère atomique » qui s’annonce. Dans cette situation du poète entre deux mondes, nous voyons la preuve que le poète est bel et bien le héros de l’épopée. Porté par le souffle des vents, témoignant des grandeurs passées et de celles, fussent-elles terribles, à venir, le poète apparaît comme celui qui relie la terre au ciel et les enfers à la terre. Ne peut-il à cet égard être vu autrement que comme le héros d’une épopée par lui-même chantée. Si Saint-John Perse laisse aux antiquaires ou aux orties les feux éteints, les cendres, d'une religion passée, c'est pour mieux célébrer les lumières de la science. Cette épiphanie des savoirs est annoncée dès la première suite, les oracle du "très grand arbre du langage" murmurent dans les "quinconces du savoir".  
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