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baruniversel-blog · 11 years
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baruniversel-blog · 11 years
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Château magot
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A voir la mine réjouie de Pas-Possible en déboulant dans le café, les trois gars accoudés au comptoir on compris tout de suite. L’as de la nouvelle fracassante, le pape de l’info du jour, le Mourousi du Bar Universel tenait un scoop de première. Ça n’a pas manqué. Il n’a pas même pris le temps de refermer la porte qu’il éructait déjà cela, dans un piaffement d’adolescent de 69 ans : - Mon cousin du sud-ouest m’a appelé pour me lire un article du journal local. Un truc extraordinaire ! - La porte ! beugla Mains-d’Oursins, le patron du bar, très regardant aussi sur sa note de chauffage. - Rendez-vous compte, la maréchaussée de Bordeaux a coincé lundi des cambrioleurs qui avaient volé, ce week-end… - La porte ! répéta Mains-d’Oursins. - Enfin, ils avaient cambriolé le Château Palmer. 318 bouteilles de Margaux… - La porte, bon Dieu ! se fâcha Mains-d’Oursins, ce qui eut le don de faire revenir sur terre Pas-Possible. Du pied, il repoussa la porte vitrée - et embuée - du troquet. A travers, on devinait, au comptoir, Tire-Bouchon, le collectionneur, Gras-du-Bide, licencié depuis peu de la cimenterie à 54 ans, et Fend-la-Poire, le comique de la bande… pas toujours si drôle. Tous en train d’attendre que Pas-Possible tire son penalty. Ce dernier ne se fit pas désirer : - Je disais donc qu’ils avaient volé, le week-end dernier, 318 bouteilles de grand cru classé Margaux, d’après le journal Sud-Ouest aujourd’hui. Le préjudice a été estimé à 72.000 € ; ça fait un magot, mais pas tant que ça finalement, parce que c’était de jeunes vins. Bref, les cambrioleurs du Château Palmer, à Margaux, se sont fait pincer dès le lundi. Même pas le temps de déboucher l’une de ces bouteilles connues dans le monde entier. Vous parlez d’un malheur, vous ! - « Les gens trop heureux sont comme les voleurs de profession, ils finissent toujours par être pincés », ce n’est pas de moi, ces mots-là, c’est du Graindorge dans le texte, poursuivit Fend-la-Poire. - Le malheur devrait être réservé aux cons. Mais ça ferait trop de malheureux, conclut Gras-du-Bide. Il n’était pas forcément des plus heureux pour sa part, depuis qu’il s’était fait éjecter de la cimenterie pour raisons économiques, après trente ans de bons et loyaux services. Devant le concert de ce drôle de quatuor, Mains-d’Oursins créa la sensation du jour. - C’est la maison qui offre, annonça-t-il fièrement, en remplissant les quatre ballons d’un margaux troisième cru. Jamais les clients n’avaient été témoins d’une telle générosité. Il se passait décidément quelque chose d’étrange, chez Mains-d’Oursins. En tout cas, ce margaux, avec sa robe pourpre aux nuances orangées, son attaque nette, sa puissance en bouche et ses tanins rustiques, fit rêver les quatre habitués du zinc. Sa petite note de réglisse les invita à savourer leur bonheur simple. Ils restèrent ainsi accroché un moment à leur verre, comme on suce longuement un petit bonbon sucré. --- Photo Willy Ronis, Café parisien, 1950
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baruniversel-blog · 11 years
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Crillon d’couleurs
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Du 18 au 22 avril, le prestigieux hôtel de Crillon, place de la Concorde, à Paris, vendra ses bijoux de famille pour s’offrir une cure de jouvence. En plus du mobilier et de la déco, seront également mis aux enchères de grands vins et spiritueux. Quinté-Plus ne tient plus en place depuis ce matin : il vient d’apprendre qu’Artcurial mettrait le catalogue en ligne dès le 15 mars. Il piaffe comme un trotteur derrière l’autostart, avant le départ du Grand Prix d’Amérique. Le turfiste impénitent qui, aux lendemains d’un gain faramineux à Vincennes, s’offrit aux enchères une impériale de Cheval Blanc 1947 adjugée à un prix inavouable, irait à coup sûr traîner ses guêtres aux cinq jours d’exposition précédant la vente. Voilà ce qui tint l’essentiel des clients du Bar Universel en haleine, ce mercredi. Pour le reste, ce fut une journée bien calme, comme il en existe tant, dans le moelleux de la semaine. Mais alors qu’ils devisaient sur l’inquiétante absence de Nez-Cassé, parti peut-être jeter son blues sur un autre zinc, Matière-Grise et Pas-Possible assistèrent à un événement sans précédent. C’était si calme que Mains-d’Oursins, le patron du bistroquet, offrit son après-midi à Y’a-Pas-l’feu, la serveuse de ce drôle de musée vivant du vin. Cela coupa tout net la chique de Pas-Possible, d’ordinaire si loquace avec ses nouvelles fracassantes du jour. Quant à Matière-Grise, le prof de philo retraité médita longuement sur cet excès soudain de générosité du commerçant connu surtout de ses clients pour son incurable avarice. D’où son surnom, d’ailleurs. Matière-Grise en conclut que, finalement, tout n’était pas perdu. Peut-être bien que l’homme est perfectible. Peut-être bien, aussi, qu’il accepterait de tremper son âme grise dans un bain de couleurs. Il suffirait peut-être de le lui proposer ou de l’y aider. De fil en aiguille, le prof à la retraite passa du visage de Mains-d’Oursins à celui de Quinté-Plus et, en lui adressant un sourire de bienheureux lui promit : - Je viendrai avec toi, voir ta collection de Crillon d’couleurs, rouges, ors et rosés. Mais en attendant, levons haut nos saint-joseph pour voir ce qu’ils cachent sous leur robe de rubis ! Mains-d’Oursins se demandait bien, de son côté, à quoi pouvait ressembler le bar du Crillon. Une lumière étrange, douçâtre, presque printanière, perçait à travers les vitres de son Bar Universel. On sentait le printemps, là, tout proche, à fleur de trottoir, comme un poussin, prêt à casser une coquille de glace. --- Photo : le bar de l’Hôtel de Crillon.
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baruniversel-blog · 11 years
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Patron, l’audition !
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Après l’histoire des polyphenols détectés dans le vin rouge, dont les vertus sont reconnues pour lutter contre Alzheimer, Pas-Possible était porteur d’une autre bonne nouvelle médicale, ce midi. Pendant que sa femme fouinait sur Internet, il l’a surprise en train de lire ceci : le vin rouge contient aussi du resvératrol, un antioxydant efficace contre la perte d’audition. L’as de l’information, toujours le premier à colporter ce genre de grandes nouvelles qui font mouche au Bar Universel, jubilait déjà au comptoir, en commandant à Mains-d’Oursins un chinon que n’aurait pas renié Pantagruel. Un vieilles vignes rabelaisien, le genre de vin qui vous fait de l’œil avec sa robe grenat, moirée de rubis. En reniflant cette terre humide aux fruits noirs, Pas-Possible venait de franchir la première voûte du septième ciel. Nez-Cassé ne pipait mot. Le seul problème d’audition qu’il connaissait datait de plus de deux ans. Une audition au commissariat de Cherbourg, pour être tout a fait exact. L’ancien boxeur avait fait toute la route jusqu’au Cotentin pour défigurer le grand tatoué qui lui avait arraché sa belle des bras. Résultat : trois côtes et une mâchoire fracturées en face, et trois mois de prison pour Nez-Cassé. Autant dire que quand Pas-Possible s’est mis a parler d’audition, le boxeur à la retraite a gentiment jeté l’éponge en s’écartant jusqu’au bout du zinc. Matière-Grise, le prof de philo rangé des copies,, buvait les paroles de Pas-Possible en même temps qu’il descendait un cheverny rouge de bonne tenue. - Patron, l’audition ! lança Fend-la-Poire, jamais à court de blagues du genre. - Hein ? lui répondit Mains-d’Oursin avec un regard de mollusque endormi… - Tu devrais boire davantage de rouge, tiens, tu ne nous ferais pas répéter sans cesse les mêmes conneries, conclut Fend-la-Poire. C’est vrai que le patron de l’estaminet devenait dur de la feuille. Maintenant que Fend-la-Poire avait plaisanté sur le sujet, cela devenait une évidence pour toute l’équipée du Bar Universel. C’est là que Bar-à-Tribord-Toute leva son corps de géant pour raconter l’une de ses histoires glanées au long cours, quand il était encore dans la marchande. Les uns et les autres, qui n’avaient pas pu échapper à son entrée dans le bar (c’était le sport le plus intense au Bar Universel) allaient devoir maintenant embarquer sur la galère de ses histoires sans fin. Ils furent très surpris. Bar-à-Tribord-Toute leur dressa en un rien de temps le portrait de ce capitaine de supertanker, devenu sourd comme un pot, qui cacha assez longtemps son infirmité pour provoquer un jour une marée noire en manœuvrant exactement à l’inverse des prescriptions sur le détroit de Malacca, entre la Malaisie et Sumatra. - Nous étions pourtant quelques-uns à nous en être rendu compte. Mais, pesta Bar-à-Tribord-Toute, il ne voulait rien entendre ! A ces derniers mots, Fend-la-Poire éclata de rire. Comme chute, il n’aurait pas pu faire mieux. ---- Crédit photo : Robert Doisneau – « Les Tueurs mélomanes » (« The Accordionist », Paris 1953).
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baruniversel-blog · 11 years
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Les vers ébréchés
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N’allez pas croire avec toutes ces conversations de comptoir, mais la plupart du temps il ne se passe rien au Bar Universel. Ce rien de zinc, ce sera en tout cas toujours mieux que la vacuité de certains livres servis en cubi. Il suffit d’avoir l’œil, c’est tout. Dans les petits riens du Bar Universel se nichent souvent de si grandes choses ! Tout ne se résume pas aux conversations entre habitués, les Quinté-Plus, Colonne-Morris, Panier-Percé, Tire-Bouchon, Bar-à-Tribord-Toute, Gras-du-Bide, Nez-Cassé, Fend-la-Poire, Matière-Grise, Pas-Possible et on en passe ! Même Mains-d’Oursins, le patron de l’estaminet et Y’a-pas-l’Feu, son employée, peuvent verser autre chose que du vin. Pourquoi n’auraient-ils pas droit, eux aussi, de verser dans la poésie ? Même Nez-Cassé, tout au bout du zinc ! Quand il effeuille sa solitude de boxeur rangé des rings, il peut être poète à ses heures, sans forcément abuser du blanc sec. Voyez la lumière percer à travers les vitres du Bar Universel et frapper ses larges épaules. Suivez des yeux, tout autour de lui, ces poussières en suspension comme autant d’étoiles accrochées à ses rêves. Le visage de Y’a-pas-l’Feu, illuminé dans cette lumière, le galbe de ses seins tout contre son pull blanc ; le chapeau de Tire-Bouchon, léger comme une chanson de Trénet ; les voyages dans le temps de Bar-à-Tribord-Toute; ses vieilles photos dentelées, du noir et blanc trempé dans les ocres du passé, des images posées comme des pétales sur le formica du Bar Universel ; les blagues de Fend-la-Poire, lunaire, cosmique, intersidéral, deux planètes qui s’entrechoquent en jouant au tac-tac dans la stratosphère du Bar Universel. Les voici, les aspérités humaines du troquet, la poésie râpée, avec ses vers ébréchés. Il en faut souvent très peu. L’irruption de Pas-Possible, sourire goguenard, refermant la porte du café derrière lui, peut suffire : - Vous savez quoi ? Mon cousin qui habite dans le sud m’a envoyé cet article : Le vin rouge le plus sexy du monde est vauclusien ! Ça vous en bouche un coin, ça, les galopins ! Un châteauneuf-du-pape a été cité dans le roman érotique Cinquante nuances de Grey… C’est pas sexy, ça ? La moue dubitative de Matière-Grise, le prof de philo retraité, en dit la plupart du temps très long aussi. Il aurait voulu disserter sur le vide qui, l’entendons-nous souvent affirmer, emplit de plus en plus de journaux. Pas cette fois. L’art de la poésie consiste également à magnifier les silences. Et puis soudain, une étincelle s’accroche à l’une des poussières en suspension. Elle virevolte ainsi jusqu’à la flamme dans laquelle se consume son admiration pour les immenses petites mains de ce monde tentaculaire. Matière-Grise est un coloriste : - Tu nous parles de nuances de gris et d’eau de rose bon marché ? Alors laisse-moi illuminer tes nuits de mille couleurs et d’un plus précieux liquide encore que ton eau de rose, avec ce vin. Regarde bien ce Nuits-Saint-Georges. Vois comme sa robe pourpre ose caresser tes yeux. Tes mains voudraient déjà courir sur son corps charnel et relever délicatement sa robe. Rêves-tu des notes vagabondes de ce tabac blond sur ta langue ? Imagine, un instant, cette grâce sensuelle emplir toute ta bouche. Tu la tiens, la promesse d’un final élégant, tout en dentelle. Bientôt, pourtant, les regrets de la robe disparue couleront sur le verre, comme les larmes de tes souvenirs. ---- Crédit Photo, Willy Ronis (Pub à Soho, Londres, 1955)
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baruniversel-blog · 11 years
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baruniversel-blog · 11 years
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Trois cheveux au galop
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Quinté-Plus n’a pas le moral. Le turfiste qui, un jour, s’était offert une impériale de Cheval Blanc 1947 grâce à un joli gain aux courses (lire ici) noie aujourd’hui son chagrin dans du mauvais vin. Dans son grand jour de bonté, Mains-d’Oursins a décidé de déstocker ses anciens flacons. Pas de chance pour la docte assemblée, c’est tombé sur un côte de bourg bon marché et vermouthé à force d’attendre autant d’années les lèvres des clients du Bar Universel. - Je ne comprends pas ces gens qui gardent trop leur vin, au point qu’il en devienne imbuvable, fit remarquer Quinté-Plus dans son élan de mauvaise humeur. Avec un cheval sur l’étiquette, en prime, le vin discount, bravo ! On aura tout vu… Mains-d’Oursins ne releva pas. A quoi bon. Quinté-Plus était chafouin depuis l’affaire de la viande de cheval retrouvée dans les lasagnes. On devine qu’il monta sur ses grands chevaux quand Pas-Possible poussa la porte de l’estaminet avec le genre de tirade qui fait mouche : - Vous connaissez la dernière ? La filière chevaline hennit de joie. Avec ce scandale agroalimentaire, les gens se rappellent qu’on peut manger du cheval et la vente de viande de bourrin serait dopée par tout ce battage médiatique ! Quinté-Plus arracha le journal des mains de Pas-Possible et, après un concours de sauts d’obstacles au courage entre tous ces mots qui font mal, il partit au quart de tour à travers le troquet en proférant des mots que la morale nous interdit de publier ici. Avec ses trois pauvres cheveux au vent sur son crâne d’obus, on eût dit un vieux galopeur affolé à la perspective de rentrer dans les stalles de départ. Ce grand regard noir hagard d’hongre bizarre fit même peur à Y’a-pas-l’feu, la serveuse. - Déjà que j’avais du mal avec les viandards, alors là, c’est le pompon, claironna Quinté-Plus. Le premier d’entre-vous que je trouve dans la chevaline du père Crayon-sur-l’Oreille, je l’étripe. Vous entendez bien, les poivrots du Bar Universel ? Je l’étripe, que je vous dis… Tout le monde piqua du nez dans son godet. Nez-Cassé, le boxeur rangé des rings, esquiva la colère du turfiste en poussant du pied tout discrètement son vieux cabas vichy, qu’il colla ainsi contre le zinc. Dedans, un papier vichy rose, assorti au cabas sortait tout droit de la chevaline du père Crayon-sur-l’Oreille. Il entourait une bonne grosse tranche de macreuse à steak de cheval. Si Quinté-Plus l’avait su, Nez-Cassé se serait rappelé au mauvais souvenir du KO qui mit un terme à sa carrière sur les rings, voici plus de vingt ans. Or, Nez-Cassé le sait sans doute plus que quiconque, on ne doit jamais mettre les gants contre ses mauvais souvenirs. --- Crédit photo, René Maltête
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baruniversel-blog · 11 years
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Château-Melon et mottes à cuire
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Parfois, la science s’invite au comptoir du Bar Universel. On n’a pas forcément affaire qu’à des chercheurs du CNRS chez Mains-d’Oursins mais le vin a cette propriété d’entretenir des conversations toujours très variées, au coin du zinc. Ce mercredi, à la façon décidée dont Pas-Possible a ouvert la porte du bistrot, les habitués ont deviné d’instinct qu’il traînait dans son sillage l’une de ces nouvelles qui vous occupent tout un midi de bistrotier. - On a trouvé la plus petite planète jamais découverte. Kepler 37 b, qu’ils l’ont appelée. Elle n’aurait pas d’atmosphère, ce qui est très grave quand on est habitué à l’atmosphère du Bar Universel, par exemple. Pas d’eau non plus, ce qui est moins grave quand on boit du vin. Et surtout, il y fait plus de 400° Celcius. Un peu fort pour chambrer un carafon, reconnaissez. En tendant le journal à Matière-Grise, Pas-Possible décrocha un petit sourire ravi. Le prof de philo retraité se plongea comme un gamin dans l’article sur la découverte scientifique. Pensez donc, une planète plus petite que la Lune, fit remarquer Matière-Grise, contemplatif. Nez-Cassé, le boxeur rangé des rings, songea aussitôt à Croissant-de-Lune, un ancien client du Bar Universel. A l’époque, Croissant-de-Lune était le crémier de la rue, célèbre pour son beurre « baraté maison ». C’était tout un poème quand une motte s’oubliait dans la poêle géante du traiteur d’à-côté et commençait à frissonner gentiment en virant vers des tons de lune rousse. Ce Normand devait non seulement son surnom à son sourire figé de croissant émietté, ce qui lui conférait le portrait parfait du benêt du village. Mais, en plus, il faisait partie de ces clients qui, de bon matin, piochaient dans la panière à croissants, sur le comptoir du Bar Universel. A midi, il aimait même picorer l’un des « cocos » du distributeur d’œufs à la coque. Il y ajoutait une pincée de sel et engloutissait l'œuf d’une seule bouchée. Le fait qu’il était souvent dans la lune parachève les contours du personnage. Le crémier, avec son chapeau melon en demi-lune sur sa face de travers, laissait une impression étrange. Il était de cette galerie de personnages que le temps ne réussit pas à effacer. Mais un jour, Croissant-de-Lune a baissé définitivement le rideau de sa crèmerie. Tout le monde a trouvé cela très joli et très poétique, parce qu’il est parti pour suivre une danseuse étoile. Même Nez-Cassé, qui n’était pas Rimbaud sur un ring, avait compris qu’un Croissant-de-Lune et une danseuse étoile étaient faits pour aller ensemble au septième ciel. - En parlant de la Lune, est-ce que quelqu’un a eu ici des nouvelles de Croissant-de-Lune, s’enquit d’ailleurs Nez-Cassé ? - Paraît qu’il est en Russie avec sa danseuse, répondit Mains-d’Oursins. Si ce n’est pas malheureux de nous avoir enlevé un si bon fabriquant de beurre ! - Tiens, verse-moi donc un melon, qu’on boive à sa santé, enchaîna Pas-Possible. Tout le monde, dans l’estaminet, se souvenait évidemment de Croissant-de-Lune, levant son verre de muscadet, dont le cépage de melon B (d’origine bourguignonne) est bien connu des amateurs de vin. - Levons nos verres de Château-Melon, lançait invariablement Croissant-de-Lune, quand toute la galerie du Bar Universel trinquait au muscadet. Avec son drôle de chapeau sur sa vieille caboche tordue, cela produisait son effet. Mais ce n’était rien à côté de ce jour – unique et bénit - où sa danseuse-étoile franchit le seuil du bistrot. Tout le monde resta con comme la lune en découvrant la beauté ravageuse de cette toute petite poupée russe, à côté de la tête de travers de ce bon vieux Croissant-de-Lune. Après cela, Matière-Grise devisa longuement sur les mystères de l’amour. --- Crédit photo : « Coco » par Robert Doisneau.
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baruniversel-blog · 11 years
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Le port du kiosque est obligatoire
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Ce n’est un secret pour personne, Mains-d’Oursins, le tenancier du Bar Universel, doit son surnom à sa pingrerie. Il a beau prétendre qu’il est seulement économe, il a toujours eu un rapport étrange avec l’argent. D’ailleurs, le patron de l’estaminet en parle si souvent que son obsession se voit comme le nez au milieu de la figure d’Henri Guybet. Pour tout dire, Mains-d’Oursins a le numéraire qui lui gratte le cerveau nuit et jour. Enlevez le saumon, gardez l’oseille et vous aurez son mets préféré. C’est pour cela que les habitués de son bistrot n’ont jamais compris pourquoi il s’évertuait, qu’il pleuve ou qu’il vente, à acheter chaque jour le journal chez le kiosquier du bout de la rue. Même Panier-Percé – d’ailleurs, qu’est-il devenu celui-ci ? – qui sème des euros à tout-va, s’est toujours demandé pourquoi le patron du bar ne préférait pas un abonnement à un tarif préférentiel. Sans compter qu’il se ferait livrer le canard à l’heure où blanchit la campagne, par Bougie-Solex, le porteur de journaux qui finit inexorablement sa tournée échoué sur le comptoir en formica du Bar Universel. - Je soutiens le petit commerce, moi, messieurs, répondait la plupart du temps Mains-d’Oursins quand la clientèle devenait insistante sur le sujet. L’absence de journal sur l’extrémité du zinc, ce mardi matin, relança une énième fois la question. - Ils est en grève, Colonne-Morris, que je vous dis !, finit par s’énerver le patron de café. Les kiosquiers faisaient grève aujourd’hui parce qu’ils en ont marre que leur diffuseur de presse fasse constamment grève. - Alors, elle est bien bonne, celle-là, releva Fend-la-Poire. Ils font la grève contre la grève ? C’est comme les enseignants qui manifestaient la semaine dernière contre la semaine de 4,5 jours par semaine pour laquelle ils s’étaient battus en 2008 ! Le bar au complet opina dans un tohu-bohu triomphant. Dans son coin, Y’a-Pas-l’Feu, la serveuse, reprit de plus belle le lustrage des chromes. Elle ne voulait pas être mêlée à cette conversation parce qu’elle savait exactement pourquoi Mains-d’Oursins faisait quoi qu’il arrive cap vers le port de Colonne-Morris avant d’ouvrir sa cambuse. Pas-Possible, jamais le dernier à aller fureter du côté du kiosque à journaux en quête de la nouvelle sensationnelle à colporter au bistroquet, piqua du nez dans son givry blanc au nez d’acacia. Lui aussi savait pourquoi Mains-d’Oursins passait chaque matin, invariablement, par la case départ au kiosque. Tout remontait à un fragile matin d’hiver, dans l’ambiance orangée des halos de réverbères. Colonne-Morris était passé prendre son petit café habituel chez Mains-d’Oursins. Quel mouche avait piqué l’affable vendeur de journaux, nul le sait, mais il attaqua le bistrotier bille en tête, avec le genre d’arguments qu’il vaut mieux éviter entre commerçants du même quartier. - Chaque matin je viens chez toi prendre un café et toi, tu ne t’es jamais arrêté prendre le moindre journal chez moi, alors que les nouvelles fraîches coûtent moins cher qu’un café. Tu ne trouves pas cela étrange, toi ? Les témoins de la scène comprirent vite que Colonne-Morris cherchait juste à taquiner gentiment Mains-d’Oursins sur son avarice. Mais ce dernier fut à ce point piqué au vif qu’il répliqua : - Donne-moi juste une raison d’acheter mon journal chez toi alors que j’ai 25 % de ristourne sur l’abonnement par mon beau-frère… - Je ne sais pas. Parions, répliqua Colonne-Morris. - Je ne parie jamais d’argent, répondit forcément Mains-d’Oursins. - Alors parions sur autre chose. - Sur quoi veux-tu parier Colonne-Morris ? - Je ne sais pas. Mais disons que si je gagne, tu viendras prendre chaque matin ton journal chez moi. Si tu remportes le pari, je continuerai à venir consommer mon café chez toi, tous tes jours d'ouverture. - Ok, top là ! C’était trop beau pour y croire. Colonne-Morris venait de faire admettre à Mains-d’Oursins le principe d’un pari. Y’a-Pas-l’Feu et Pas-Possible restèrent hébétés par la situation. - Tiens, je te parie que quand je vais claquer dans mes doigts, les candélabres vont s’éteindre, osa le kiosquier. - Alors là, je prends. Top là !, s’emporta le patron du bar. L’impensable se produisit. Sous le regard ébahi de Y’a-Pas-l’Feu, Pas-Possible et Mains-d’Oursins, Colonne-Morris regarda sa montre et au moment précis où il fit claquer ensemble son pouce et son majeur, les lumières de la ville disparurent comme par enchantement. Le genre de truc incroyable. Comme dans un film romantique à la guimauve ou un type, sur un balcon, frime devant sa prétendante, histoire de lui montrer aussi sa tocante dernier modèle. Bref, le genre de ficelle auquel on ne peut pas croire. Sauf que la ficelle était tellement grosse qu’elle forma le gros filet dans lequel Mains-d’Oursins s'était faire prendre. Chaque matin il devrait passer obligatoirement par le phare de Colonne-Morris. L’avenir, d’ailleurs, prouverait que le kiosquier avait bon fond puisqu’il continua à prendre son petit café au Bar Universel chaque matin avec une ponctualité d’horloger suisse. Et ce, grâce à la fameuse montre de son père, qu’il réglait chaque lundi, comme l’avait toujours fait son paternel, à la seconde près, sur les 7 heures de l’extinction matinale des réverbères. --- Photo / Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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baruniversel-blog · 11 years
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baruniversel-blog · 11 years
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A la santé des polyphénols !
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Au Bar Universel, on a discuté cinq minutes - sans grand intérêt – en accouchant de banalités à propos du côte de Provence (rosé) sur lequel Brad Pitt et Angelina Jolie vont apposer leur étiquette. Mains-d’Oursins, le patron de l’estaminet, avait lancé la conversation en débouchant une bouteille du domaine que les tourtereaux hollywoodiens ont acquis. Un rosé saumoné flanqué du nom d’un groupe rock mythique. Fermez le ban. Une fois de plus, Pas-Possible ramena l’auditoire du zinc sur un terrain nettement plus intéressant. Il venait de lire un article révélant les résultats de chercheurs américains : un antioxydant présent dans le thé vert et le vin rouge serait un précieux allié pour combattre la maladie d’Alzheimer. - Entre le thé vert et un verre de rouge, c’est tout choisi, pour ce qui me concerne, piaffa Fend-la-Poire, en pleine dégustation d’un magnifique minervois. Dans sa robe grenat, ce 100 % cinsault au nez de cerises à l’eau de vie, larguait son soleil, tout en équilibre, dans la bouche extatique du comique de service. - A la santé des polyphénols !, embraya Matière-Grise, le prof de philo qui avait bu l’article d’un trait, comme s’il s’agissait d’un vin de seconde zone. Ce que ce dernier se garda bien de révéler à l’assemblée, c’est sa trouille face à ses menues pertes de mémoire. Plus il s’enfonce dans sa retraite, plus il sent que ses connaissances sont réfractaires. Pas toujours évidentes à aller chercher dans les tiroirs de son cerveau. Disons que les tiroirs sont plus coriaces à ouvrir. Ça grince là-haut et ça flanque la panique à Matière-Grise qui, au moindre de ses oublis, perd les pédales. Au Bar Universel, il n’y en a pourtant pas deux comme lui pour abreuver l’estaminet de culture littéraire, de précisions sur les cépages et de propos enflammés d’anarco-gaucho-écolo-prof-de-philo. On lui fait d’ailleurs souvent remarquer qu’il a une mémoire d’éléphant. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Tire-Bouchon, par exemple, qui doit son sobriquet à sa collection, aurait de plus en plus de mal à rassembler les pièces de sa passion, si l’on en croit son épouse. Solange l’a même traîné chez le médecin. Ce dernier, qui lui avait interdit la cigarette il y a dix ans, lui a demandé d’arrêter séance tenante ses escapades bistrotières. Fini le vin ! Tire-Bonchon était pourtant bel et bien présent en ce vendredi radieux, devant le comptoir en formica, demandant à Y’a-Pas-l’Feu, la serveuse du Bar Universel, de lui servir un faugères. Avant même de le déguster, il savait que ces vieilles vignes donnaient un vin grenat, comme torréfié, avec des accents de réglisse. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas trempé ces lèvres dans cette cuvée, mais il se souvenait parfaitement des jeunes tannins offrant une bien étonnante note végétale à un tel vin. Pour ce qui était de la mémoire, si Solange savait combien les polyphénols sont actifs ! Mais ni Solange, ni Dites-Ah, le médecin de famille, ne sont chercheurs américains. Enfin, d’autant qu’il lui en souvienne. --- Dessin DR, Ysope.
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baruniversel-blog · 11 years
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L’export de l’angoisse
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Il arrive que l’on embarque dans des envolées oniriques, au Bar Universel. L’ancien boxeur Nez-Cassé n’est pas forcément un poète, mais c’est lui qui lancé la discussion. - J’aurais bien besoin de partir un peu. Ce ne sont pas vos têtes qui me fatiguent. C’est la mienne, quand je suis ici et que je vois son reflet dans mon verre de pinard. Matière-Grise sortit instantanément son petit carnet bleu ciel Moleskine. Tel Jean-Marie Gourio consignant ses « Brèves de comptoir », l’ancien prof de philo nota illico les mots de Nez-Cassé. - Partir, mais pour quoi faire, si c’est pour revenir ?, lui répliqua Gras-du-Bide, un peu grisé par son muscadet sur lie qui, dans sa tête, lui lançait un cri de supplicié en quête d’une bonne douzaine d’huîtres bien salées. Sans rien d’autre qu’un filet de citron frais dessus. Matière-Grise consigna encore cette réplique. Le Bar Universel suintait la dive inspiration par tous ses pores, aujourd’hui. Et qui sait si celui qui aurait raclé la buée sur les vitres du bistrot n’aurait pas vendangé un concentré de génie humain. Il y avait une de ces condensations aujourd’hui ! On ne voyait même plus la rue s’agiter. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne perçut pas la grande carcasse de Bar-à-Tribord-Toute, avant qu’il ne débarque dans l’estaminet. On parlait de pores tout à l’heure. Il s’agissait d’un tout autre port, cette fois. Le port de l’angoisse. - Salut la compagnie ! Me revoilà. Je rentre des Indes. Laissez-moi vous raconter… L’ancien subrécargue, qui n’avait jamais manœuvré une seule coque, s’était pourtant offert plus de trente fois le tour de la terre. A l’heure de la retraite, son plus grand vertige était de rester à quai. Alors, il voyageait. Régulièrement, entre chaque traversée, il venait faire escale au Bar Universel. Autour du zinc en formica, on savait qu’on en prenait pour plus d’une heure d’album de vacances, comme ces séances diapos chez la tente Rosalie, dont on n’avait que faire quand on était mioche. D’ordinaire, Mains-d’Oursins sauvait l’équipage en le planquant dans la remise et trouvait un prétexte pour se débarrasser de ce client indésirable. C’est dire si cette buée avait joué un bien mauvais tour à Nez-Cassé, Matière-Grise, Gras-du-Bide et Tire-Bouchon, accoudés au comptoir en formica et empêtrés dans les mailles du filet de ce grand escogriffe estampillé populiste. Arriva alors un Superman, comme débarquant de Krypton, pour sauver tout ce monde. Pas-Possible ouvrit la porte sans un bonjour en beuglant qu’à « force de réaliser du profit à l’étranger avec notre pinard, il ne nous restera que les fonds de cuves et à un prix de folie pour lever le coude ». L’objet de son courroux : cet article du jour sur le record des vins et spiritueux français à l’export. - Mais au contraire, imagine tout ce travail, tout ce savoir-faire, toutes ces gouttes de sueur que l’on essaime sur la planète. Tu ne trouves pas ça joli, toi ?, demanda Matière-Grise, étonnant l’assistance de ce relent patriotique dont il n’était pas coutumier. - Tu as raison, il faut leur montrer à tous ces cons, ce qu’on sait faire, poursuivit Bar-à-Tribord-Toute, qui n’avait pas souvent l’occasion de saisir une perche aussi franchouillarde, au zinc universel. - Mais non, c’est toi le con avec ton discours de facho, s’emporta d’un coup Matière-Grise. Un homme à la mer ! Il se jeta dans un pamphlet poétique dont lui seul avait le secret : Je vous parle du partage sans frontières, pas de commerce ni de gloriole nationale. Je vous parle de l’idée de trinquer, sans le savoir, avec un Philippin qui boira peut-être le même vin que vous, à la même seconde exactement. Je vous parle avec les mots du poète turc Tevfik Fikret : « La terre est ma patrie, le genre humain, ma nation ». Je vous parle de toute l’humanité que transporte le vin et qui n’a pas de frontières. Je vous chante ces mots perses, remontés du fond des âges, et que l’on doit au poète Rudaki « C’est le vin qui met au jour la valeur des hommes et qui distingue des serfs ceux qui sont nés libres ». Et je vous parle d’un troquet. Ce n’est pas par hasard, s’il s’appelle le Bar Universel… Ce soir, en s’endormant, Y’a-Pas-l’Feu, la serveuse de l’établissement en question, s’endormira en rêvant à un jeune vigneron de la plaine de la Bekaa qu’elle croisa en vacances, en pleine station de métro Saint-Paul. Un jour, elle irait le voir au Liban. Elle embarqua ainsi pour le rêve éveillé de toute une nuit.
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baruniversel-blog · 11 years
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Nouveau bénéficiaire, à la graisse de retraite
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- Ça y est, les gars, j’arrête tout ! Avec une entrée aussi fracassante de Gras-du-Bide dans le bistrot, toute l’assemblée du Bar Universel ne pouvait que se retourner vers la porte de l’estaminet. - Non, tu plaisantes, tu arrêtes le vin et c’est pour ça qu’on ne t’a pas vu depuis une quizaine de jours ?, s’enquit Pas-Possible. - Le vin ? Jamais ! Voilà, j’arrête tout le reste : j’arrête les régimes, le beurre sans beurre, les frites sans mayonnaise et surtout les médicaments. Le cholestérol, c’était une fumisterie. C’est le professeur Philippe Even qui le dit. Il prétend même que le faire baisser est mauvais pour la santé, alors qu’un verre de vin par jour, ça te fait passer la barre des cent ans, à en croire le témoignage de tous les centenaires dans les journaux. Allez, un vin gras pour tout le monde, patron, et c’est ma tournée ! L’ancien cheminot avait envie d’une huile essentielle de raisin, un joli bain de bouche aux reflets dorés. Bref, un vin qui déborde, et avec du sucre par-dessus le marché. Mains-d’Oursins déboucha sur le champ un loupiac. Lequel ne tarda pas à pleurer sur les rebords des verres. Ce miel au nez de chèvrefeuille et de coing, généreux et ample comme Gras-du-Bide, était issu d’une vendange tardive par tries et, avec la complicité de cette pourriture noble puis d’un élevage d’un an en barrique neuve, laissa tous les habitués du Bar Universel ébahis. Gras et délicat à la fois. Un funambule habillé en taille triple-XL, jouant au mariole sur un fil de soie. Gras-du-Bide a passé un long moment à imaginer le mets à marier avec cette merveille. Eureka, il abreuva aussitôt, la larme à l’œil, la docte assemblée d’un foie gras aux cerneaux de noix et aux raisins que préparait son ami d’enfance, Flûtes-Sèches. Ce chat maigre, au passage, même sa production ne l’a jamais fait grossir. Tout le monde en eut l’eau à la bouche, jusqu’à inonder ses rêves de salive. Sauf Nez-Cassé, le boxeur retraité qui avait opté pour un blanc aussi sec que son cœur perdu. De ses grosses paluches d’ancien ouvrier ferroviaire, Gras-du-Bide lui flanqua une belle tape sur l’épaule. Une telle invitation à braquer la graisse de retraite, ça ne se refuse jamais. Quand Nez-Cassé trempa ses lèvres dans cet opulent bouquet de coing, gras et bien structuré, le temps se figea au Bar Universel, comme un couteau planté dans une motte de beurre. Enfin, le sourire de Nez-Cassé provoqua un brouhaha des meilleures heures dans l’estaminet en authentique formica. Cela faisait tellement longtemps qu’on n’avait pas vu l’ancien boxeur remplir de bonheur ses sacs de frappe.
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baruniversel-blog · 11 years
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Ils naviguaient en Père Pinard…
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La journée a été calme, au Bar Universel. Mais une étincelle est venue mettre le feu aux poudres, sur le coup de 17 h, à l’heure de la débauche. L’équipée d’habitués de l’estaminet a beau être retraitée pour l’essentiel, elle n’a pas perdu ses repères horaires. Au grand dam, d’ailleurs, de jeunes actifs toujours pressés qui slaloment entre les cheveux blancs, le samedi, dans les hypermarchés… 17h, donc au Bar Universel. Pas-Possible débarque dans cet univers en formica, le sourire radieux de celui qui a encore dégoté une étrange nouvelle dans un journal. - Les gars, lisez ça. Ce sont les confessions du soldat qui a descendu Ben Laden. Tout le monde l’a lâché, c’est incroyable ! - Ce n’est pas la première fois qu’un bon petit soldat qui remplit bien sa mission est lâché, rumine à haute voix, d’un ton blasé, Matière-Grise, prof de philo retraité, prêt à resservir encore une fois sa théorie du citron pressé. D’ajouter, « à l’air du jetable, pourquoi le soldat, plus que l’ouvrier ou tout autre employé échapperait-il à la règle ? » Cela plongea le Bar Universel dans un abîme de perplexité. Trêve des confiseurs, on décida sur le champ (d’honneur) de tirer à blanc avec un tout autre canon. Un frais reuilly avec ses arômes minéraux de pierre à fusil sortit enfin Nez-Cassé du blues léthargique dans lequel il trempait depuis quelque temps. L’ancien boxeur versa néanmoins dans la nostalgie et évoqua ses années de service militaire. La conversation dévia donc sur l’armée. Retour où elle avait débuté, finalement. Matière-Grise, anar tendance marxiste, athée et antimilitariste primaire, saisit l’occasion pour parler du « Saint-Pinard » : - Avant d’entrer dans toute la logorrhée sur le centenaire de 1914, l’an prochain, j’espère qu’on nous parlera de l’âme des poilus. Tenez, du vin, par exemple ! Leur jaja qui leur donnait la force et le courage de vivre l’horreur, ils l’appelaient le « Père Pinard » ou le « Saint-Pinard ». Des milliers d’hectolitres ont été engloutis sur le front. Rien que pour les vins du Sud, on parle de deux centaines d’hectolitres envoyés gracieusement dans les tranchées. On l’appela le vin de guerre. Derrière son comptoir en formica certifié d’époque, Mains-d’Oursins, proprio du Bar Universel, resta bouché bée. Que l’on puisse offrir de telles quantités de vin le laissa pantois. Boire à l’œil, tout de même ! Y’a-Pas-l’Feu, la serveuse, se garda bien de prendre part à la conversation. Mais elle n’en pensa pas moins sur cette espèce du va-t-en-guerre boit-sans-soif, beaucoup plus répandue chez le genre masculin, faut-il le souligner. Cela lui rappela de bien mauvais souvenirs.
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baruniversel-blog · 11 years
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Deux mitres devins, s’il vous plaît !
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Aujourd’hui, tournée générale. Allez, allez, châteauneuf-du-pape pour tout le monde ! Ce n’est pas tous les jours fête au Bar Universel. Usé, Benoît XVI a annoncé ce lundi (et en latin s’il vous plait) qu’il allait renoncer à son pontificat. Il jettera officiellement l’éponge le 28 février, le jour de la saint Romain. Et voilà pourquoi Maxime-le-Dicton est entré de manière aussi tonitruante dans l’estaminet où le conclave de l’apéro se tenait déjà depuis une bonne demi-heure. - Beau ciel à la saint Romain, Il y aura des denrées et du bon vin ! Cela faisait un sacré bout de temps que ce pape du proverbe, des maximes et autres dictons n’avait franchi le seuil du bistrot. On salua donc son arrivée avec une certaine effervescence. - Sois des nôtres, lui lança Matière-Grise, sur un ton messianique. Nous trinquons au pape Jean XXII sans qui ce châteauneuf ne serait sans doute pas ce qu’il est. Et au baron Le Roy, sans qui l’AOC ne serait pas non plus ce qu’elle est ! Le prof de philo retraité n’eut guère le temps d’expliquer que c’est au premier pape en résidence à Avignon, autour de l’an 1300, que l’on doit le développement de ce vignoble de la Vallée du Rhône. Il n’eut pas non plus le loisir de trop s’épancher sur cette terre vauclusienne de pionniers qui enfanta du premier syndicat viticole en 1924. Y naquit aussi Pierre Le Roy de Boiseaumarié, autrement dit le baron Le Roy, le vigneron inventeur de l’AOC. D’où le fait que le châteauneuf-du-pape figura au premier ban des appellations d’origine contrôlée de notre beau pays, le 15 mai 1936, avec le cassis, le monbazillac, le tavel, l’arbois, le cognac et le quincy blanc. - Alors là, ce n’est pas du vin de messe, ricana Fend-la-Poire, le regard rivé sur la robe quasi-brune de ce nectar. Presque dans les tons de la chemise de Benoît XVI, lorsqu'il avait 14 ans… - Moi, le vin de messe, je connais. J’ai été enfant de chœur. Je chantais même dans une chorale, genre les Petits chanteurs à la Croix de Bois, enchaîna Pas-Possible. - Tu vois, tu n’as pas changé. Tu chantes toujours, mais « en canons », gloussa Fend-la-Poire, en levant vers le ciel son vin aux treize cépages. Sur ce, Mains-d’Oursins, avare en tout, sauf en blagues Carambar, voulut amuser la galerie avec l’histoire du prêtre et du rabbin qui se rentrent dedans en voitures. Les autos sont hors d’usage, mais heureusement, les hommes sont sain(t)s (si on peut dire) et saufs. - Nous n’avons rien, c’est un signe de l’Eternel exulte le rabbin. Regardez, malgré l’état de ma voiture, ma bouteille de vin d’Israël est même intacte ! C’est un autre miracle ! Buvons pour fêter notre bonheur ! Le rabbin tend la bouteille au prêtre. Ce dernier boit une bonne rasade et rend le flacon au rabbin. Il s’étonne que ce fils d’Israël ne porte par le goulot à sa bouche. - Vous ne buvez pas, lui demande le prêtre. - Non, je préfère attendre la police, répond le rabbin. Pour une fois, l’assistance s’esclaffa à la blague de Mains-d’Oursins. Mais pas à celle de Fend-la-Poire, sur l’histoire de deux papes qui, au paradis, se lâchent en commandant leur couvre-chef à Saint-Pierre : « deux mitres devins, s’il vous plaît ». Dans la surenchère frénétique du Bar Universel, il y a toujours la petite blague de trop qui ne fait rire personne. Ainsi, conclurait un commentateur sportif, « la messe est dite » pour ce lundi, dans l’estaminet en authentique formica. In vino veritas. Amen.
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baruniversel-blog · 11 years
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L’abus d’école est dangereux pour la santé
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Matière-Grise a passé sa journée accroché au zinc du Bar Universel, à commenter l’appel à la grève prévue mardi, partout en France, dans l’Éducation nationale. Le prof de philo retraité a un avis très tranché sur la question. En 2008, quand la semaine est passée à quatre jours il était contre, comme ses copain instituteurs. Avec les camarades de son syndicat, il pensait que l’on ne se préoccupait pas beaucoup des enfants pour leur faire subir ainsi des journées plus longues et plus chargées. - Tu as raison, l’interrompt Pas-Possible, j’ai lu quelque part que les écoliers français ont le nombre de jours d’école le plus faible des trente-quatre pays de l’OCDE : 144 jours contre 187 jours en moyenne, ce qui fait effectivement des journées très chargées. Matière-Grise sera pourtant dans la rue, mardi, avec ses copains actifs, pour protester contre la réforme des rythmes scolaires qui vise à rétablir les 4,5 journées d’école par semaine, avec donc le mercredi matin de retour dans les classes de maternelles et de primaires, et des horaires allégés l’après-midi, consacrés à des activités culturelles ou sportives. - Et pourquoi les enseignants seraient-ils les grands perdants de cette réforme manquée, peste Matière-Grise ! On va leur demander de travailler davantage sans contrepartie. Fend-la-Poire, qui n’est jamais à une blague près, ne peut s’empêcher de la faire : - Tu as raison, en plus, l’abus d’école est dangereux pour la santé. Mains-d’Oursins, le patron du Bar Universel n’est pas non plus à une provocation près : - Alors, en 2008, vous étiez contre, au nom des élèves. Et en 2013, vous êtes contre, au nom des enseignants, c’est ça ? Et après vous allez nous raconter que vous n’êtes pas compliqués, vous les profs ? Matière-Grise grommela puis se résolut à tremper ses lèvres dans son coteaux-du-layon. La magnifique vendange tardive de ce chenin servi par Y’a-Pas-l’Feu, la serveuse de son bistrot préféré, avait toujours le don de tempérer ses excès. De fait, ce petit bonbon sucré calma instantanément le prof de philo. A chaque fois qu’il levait son verre de moelleux, il se rappelait le jour de sa retraite, quand il cessa de prendre le chemin des écoliers. Ce jour-là, il paya la tournée générale de coteaux-du-layon aux habitués, comme lui, du Bar Universel. Alors, déclara-t-il solennellement : « Je me sens apte à prendre les ‘‘chenins’’ buissonniers ». Même Nez-Cassé l’applaudit de ses grosses paluches d’ancien boxeur. -- Crédit Photo : Robert Doisneau (Jacques Prévert).
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baruniversel-blog · 11 years
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On achète bien les chevaux
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-- Absent trop longtemps du Bar Universel à cause d’une fièvre de cheval qui l’a couché pendant six jours, il a fait irruption à point nommé dans l’estaminet. Quand Quinté-Plus a pointé le bout de son museau dans le bistrot, Pas-Possible débitait encore l’une de ses nouvelles abracadabrantes lues dans les journaux. Un sujet chevalin, pour le retour de Quinté-Plus à bord du Bar Universel, avouez que la musique du hasard est parfois troublante. On a découvert que des lasagnes supposées être composées de bœuf étaient en fait garnies de viande de cheval. Un nouveau scandale de l’agroalimentaire qui fit monter Matière-Grise sur ses grands chevaux. Le prof de philo retraité, gaucho-anarco-écolo, bref, prof de philo retraité, ne décolérait pas. Il tapait du poing sur le zinc et, à la surface du godet, des ronds couleur brique venaient s’échouer sur les bords de son verre de bordeaux Cheval Noir. Avec tout ça, même pas le temps d’attraper une lampée. Et l’arnaque au consommateur, et la fumisterie de la traçabilité, et le profit avant la santé, et cette maladie des intermédiaires pour noyer la chaîne des responsabilités. Même les OGM « qui ne s’arrêtent pas à la clôture du champ du voisin » y sont passés. Selon Matière-Grise, qui n’était pourtant pas un mauvais cheval, tout le monde était responsable. Même, soutenait-il, « ceux qui jouaient les victimes alors qu’ils n’avaient pas pris soin de contrôler le contenu des produits qu’ils refourguaient aux consommateurs ». - En qui voulez-vous faire confiance ?, conclut-il en levant enfin son verre. - Ah, ça, la confiance ! Il faut avoir confiance dans les surprises de la vie, a écrit Jean-Philippe Blondel, enchaîna Matière-Grise, redescendu enfin de quelques étages, grâce à son saint-émilion, une cuvée impétueuse comme un étalon entier. - Alors, vous comprenez pourquoi je préfère faire confiance aux chevaux plutôt qu’aux hommes ?, éructa Quinté-Plus en toisant l’assistance. Le turfiste impénitent était de retour au Bar Universel. Bientôt, ses journaux spécialisés seraient étalés toute la matinée sur l’une des tables en formica du troquet et, crayon en mains, ses rêves voltigeraient dans l’air de ce rade, avec l’élégance d’un trotteur mayennais. Quinté-Plus, le flambeur, grand amateur de bordeaux, s’offrit un immense plaisir, un jour, avec l’un de ses gros gains. Il se paya une impériale de Cheval Blanc 1947 adjugée aux enchères à un prix inavouable, qu’il partagea avec l’équipée du Bar Universel. Ce soir-là, derrière le rideau baissé, on devisa longuement sur le cabernet franc, le merlot et même sur le malbec, la larme à l’œil. Des larmes, justement, il en coulait tout au bout du zinc, pendant que Matière-Grise beuglait encore contre la mondialisation. Nez-Cassé était à nouveau dans les cordes. L’ancien boxeur noyait son blues dans une treille commerciale italienne infâme, estampillée de petits chevaux de couleurs, née dans des studios de marketing plutôt que dans le corps et l’esprit d’un vigneron. Pire pour tous ses camarades de zinc en empathie, Nez-Cassé avait mis ses chaussures à bascule. Il était ivre comme le bateau de Rimbaud. Fend-la-Poire ne pipa mot devant ce tableau et ravala ses blagues de potache. Il pensa à Gabin, crachant son petit bonbon par la fenêtre de l’hôtel Stella, pour donner un coup de sabot à sa vie de naphtaline, en déclarant à Suzanne Flon : « Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l’ivresse ». Albert Quentin face à Suzanne Quentin, sur la terre normande des trotteurs en route pour le Prix d’Amérique. Et Blondin, face au reste du monde. --- Crédit photo : cuvée spéciale, AuBarUniversel (montage).
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