Tumgik
#''JE NE VEUX QUE BERLIOZ ET MOI !''
marthajefferson · 3 years
Photo
Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media
"Pour moi, Louis de Funès est devenu l'acteur référent. Il a toujours été bon, même dans ses mauvais films; et sur un plateau, j'essaie toujours de me demander ce qu'il aurait fait."  —Alexandre Astier
JOYEUX ANNIVERSAIRE LOUIS DE FUNÈS 🍾🎂🎉 (31 juillet 1914 - ∞)
158 notes · View notes
chachapossum · 7 years
Text
Le prophète en forme de 4 [2010]
Possum Pizza bonsoir ?
- Oui euh bonsoir c’est pour commander des pizzas…
Bah oui espèce d’abruti tu ne vas pas appeler pour faire la causette avec le pauvre larbin aux tympans saignants que je suis.
- Je vous écoute ?
- Alors y’aurait une Rocka’bacon et une Mozzakipik.
Si je bosse ici c’est dans l’unique espoir d’un jour avoir assez de fric pour consommer les mêmes drogues que les inventeurs des noms de pizzas.
- Deux personnes ? Pâte normale ou crusticrou ?
Une pâte peut elle être anormale ? N’est ce pas de la discrimination d’utiliser de tels qualificatifs ? Mais la pâte à pizza a-t-elle seulement sa place à l’ONU ? Il me faut un café.
- Euh oui oui normale, deux, et…
- Vous payez comment ?
- En ticket resto.
Encore un livreur qui va se faire un bon pourboire.
- Ok, alors une Rocka’bacon, une Mozzakipik en pâte normale à livrer au 5 rue Hector Berlioz ?
- Euh… oui oui c’est ça.
Ah ça t’en bouche un coin que je sache où t’habites alors que hier c’est Medhi que t’as eu au téléphone pour commander ta Granoska hein.
- Vous serez livré dans 45 minutes, merci d’avoir choisi Possum Pizza et à très bientôt.
Je hais ce boulot. Je hais tous ces glandeurs boutonneux aux cheveux gras à qui je parle en souriant. Le sourire s’entend, c’est stipulé à l’alinéa 14 de mon contrat. Donc je dois montrer mes canines à l’ordinateur. Toute la soirée.
Faut bien payer le loyer. Quand j’étais en âge de perdre mes dents de lait je voulais être archéologue. Sortir de ma tente à dix heures du matin pour aller déterrer un squelette de T-Rex à l’aide d’un pinceau. Le rêve.
Puis j’en ai parlé à ma maîtresse qui m’a gentiment expliqué que faudrait faire 20 ans d’études après le CM2 pour avoir la chance d’exhumer des pots cassés en terre cuite avant d’un jour peut être atteindre la consécration en tombant sur un fossile de trilobite.
Moi je voulais un T-Rex après le bac.
J’ai rayé le mot ambition de mon vocabulaire et me suis réorienté. J’adorais écrire. Je passais des nuits fiévreuses à noircir des cahiers entiers jusqu’à la crampe du poignet. Je rêvais d’une histoire gigantesque et divinement bien articulée, avec des retournements de situation à faire pâlir le Scoobygang. Les mots ont un pouvoir fascinant, illimité. On peut même dépasser l’infini à coup de néologismes. Écrivain. J’avais trouvé.
Arrivée au collège j’ai compris qu’un romancier ne pouvait pas se payer un loft en face de Beaubourg à moins de savoir toucher les adolescentes pré-pubères et les mères au foyer fans de Patrick Sébastien qui lisent parce que c’est important de se culturer quand même. J’ai aussi vu tellement de camarades prendre la plume et inonder skyblog de leurs créations... Je n’arriverai jamais à me faire une place.
Alors quoi ? Le journalisme me tendait les bras. Des colonnes lues par d’autres gens que ma mère et mon chat, ma passion serait utile à la société, je n’aurais même pas l’impression de travailler. Donnez moi un sujet, je vous le raconte. Je serais capable de rendre intéressant un article sur les bégonias à un fan de tunning.
C’est au lycée que j’ai découvert à quel point c’était un métier gangréné, qu’on était promu à condition d'arborer la même moustache blanche que Jean Luc Delarue. J’ai décidé de boycotter TF1, c’est Victor qui me l’a conseillé, le pote avec qui j’échangeais des pin's du Che Guevara contre des bracelets cloutés.
Les années ont filé, les diplômes se sont accumulés sans savoir vraiment où est ce que j’allais. Un jour j’en ai eu marre que mon père me gronde lorsque je me couchais après minuit. À 24 ans il était peut-être temps de quitter le nid moisi, et puis je ne pouvais plus faire trois mètres à Paris sans avoir l’impression de croiser mon ex. Je suis partie loin de mes problèmes, sauf qu’ils m’ont suivie dans le déménagement.
- Possum Pizza bonsoir ?
- Bonsoir mademoiselle, j’allais commander une Bouldepux mais votre voix est si suave que je vais me rabattre sur la Rosécarlate
- Vic je bosse là, je finis à 23h et tu sais très bien que je vais devoir mettre fin à cette communication immédiatement
- Mais vous faites erreur, je ne suis qu’un innocent client qui n’a pas encore eu sa dose d’huile et...
Clac. Une commande prend en moyenne 2 minutes et 22 secondes, Possum Pizza a payé une boite spécialisée dans le chronométrage des opérateurs téléphoniques pour obtenir ce chiffre. Si un appel dépasse trois minutes j’ai le droit à une écoute en direct de la conversation par un manager, celui qui gagne dix balles de plus que moi, dix balles de plus que le smic, et le droit de mettre fin à mon CDD.
Parfois on se croirait dans Brazil, la torture en moins. Enfin je crois, j’espère.
Tiens, un numéro inconnu, un nouvel estomac à fidéliser.
- Bonsoir je voudrais commander une Gouinamane s’il vous plaît.
Je me souviens que les premiers jours fallait parfois me mordre la langue jusqu’au sang pour pas exploser de rire à ce nom là. Aujourd’hui mon sourire en carton ne tremble même plus. Je vieillis. Ou j’ai peut-être juste besoin d’une reconversion professionnelle.
- Alors je vais avoir besoin de votre numéro de téléphone fixe, téléphone portable, nom, prénom et adresse s’il vous plaît.
- Oui…
Il trouve ça normal de me photocopier sa carte d’identité pour commander une pizza.
J’ai en moyenne 28 nouveaux tas de cholestérol qui viennent grossir le fichier client quotidiennement. On ne sait pas ce qu’ils ont fait l’été dernier mais on sait tout le reste. L'ordinateur central réussi même parfois à choper la photo du client sur Internet, aidé par un sombre réseau social au nom ridicule quand on ose le traduire en français.
***
- Je préfèrerais subir un toucher rectal par un lépreux plutôt que d’être client chez Possum Pizza.
- Putain Vic t’es sale…
- Non mais sérieusement ça te dégoute pas de travailler pour une boite qui gère autant d’informations personnelles dans le seul but de livrer des pizzas ?
- Ce qui me dégoûte c’est ta barbe recouverte de sauce tomate mec… Et arrête de faire fumer Pixel !
- C’est pas ma faute si ton chat aime nuire à ses spermatozoïdes et réduire sa fertilité, mais il peut se faire aider pour arrêter de fumer en téléphonant au 113… C’est fou les romans qu’ils arrivent à caser sur six centimètres de carton.
Y’a onze ans Victor a fumé son premier joint avec moi. À l’heure actuelle il est héroïnomane et doit prostituer sa sœur de sept ans et demi pour se payer sa dose. C’est ce que Laurence Ferrari aurait bien aimé constater. La vérité c’est que ce soir là, le joint roulé par le dealer contenait autant de shit que pixel de spermatozoïdes.
Pixel est castré.
- Et sinon t’as toujours pas fini ton roman ?
- Tu sais très bien que c’est ni un roman ni un truc à finir et encore moins une chose commencée…
- Mais j’aime beaucoup tout ce que t’as écris, même si finalement c’est vrai que ça veut pas dire grand chose, mais j’suis certain que si tu bossais dessus tu pourrais te faire publier et...
- T’as fait le salon du livre cette année ?
- Bah je pouvais pas y’avait un raid organisé qui tombait pile sur le weekend en question et ma guilde avait vraiment besoin de moi...
- T’as rien loupé. Quand j’ai vu le gratin à la soirée d’inauguration j’ai eu envie de vomir par le nez. Ils sont tous agglutinés dans des carrés VIP entre un p’ti four et trois coupes de champagne, si tu passes assez près tu peux attraper un de leurs “Je suis auteuuuuhrr” sortant de leur orifice bucal en compagnie de postillons au saumon. Ce soir là je me suis dit que si j’avais de l’imagination et savais structurer mes textes, je pourrais atterrir là moi aussi. Je me suis rendue compte que je ne savais pas pourquoi j’écrivais, ni pour qui, mais que je n’avais pas envie de me retrouver à vendre des bouquins au nom d’un p’ti four au saumon.
Vic me regarde à travers un brouillard de nicotine, pas besoin d’y voir clair pour savoir qu’il sourit et n’est pas vraiment convaincu.
- Écoute, je veux pas te tenir de discours de rebelle en crise d’acné mais juste le fait que tu passes 35 heures par semaine à perdre ton temps pour que la pâte crusticrou domine le monde ça me fout un peu les glandes...
- 39.
- Quoi ?
- J’ai fait 39 heures cette semaine.
Le vide intersidéral qu’était ma vie sentimentale depuis cinq mois me laissait beaucoup -trop- de temps à tuer. J’avais fui Paris pour me retrouver paumée à 400km de mon ex. Au moins ici j’étais certaine de ne pas croiser ses sneakers à scratch vertes fluos. Les seules pompes sympathiques rencontrées depuis mon déménagement étaient celles d’un gamin qui courrait en hurlant qu'il avait trouvé la plume magique, il brandissant fièrement une plume de pigeon noire de crasse et sa mère trottinait derrière lui le visage assorti à son rouge à lèvre. Je ne juge pas les gens à leurs chaussures mais je reste persuadée que les êtres exceptionnels balancent des lasers d’un coup de talon.
Et j’avais plus envie de rencontrer autre chose que des êtres exceptionnels.
- Tu repars à quelle heure demain Vic ?
Il sort de son sac le dernier Mad Movies puis en extirpe un ticket racorni siglé SNCF.
- 12h08, j'arrive à 16h47 à Lille, juste à temps pour mon cours sur Malevitch.
- Ne me dis pas que vous êtes encore en train de disserter sur des toiles vierges ?
- T'es trop rustre pour apprécier la beauté du carré blanc sur fond blanc, déjà t'avais pas réussi à reconnaître la puissance du travail de Piero Manzoni, alors Malevitch...
Le jour ou Vic a quitté le palais de Tokyo en larmes après m'avoir traité de pauvre écervelée insensible à la beauté abstraite du monde, j'ai passé trois heures à culpabiliser en observant la toile blanche imbibée de vomi d'albatros en son coin inférieur droit. C'est la seule dispute qu'on ait connue en onze ans, je change donc subtilement de sujet quand on s'approche trop d'une discussion sur l'art content pour rien.
- Ca te dis pas qu’on se mate un film et qu’on aille se coucher ? J'ai reçu L'attaque de la Moussaka géante en version director's cut, mais j'ai aussi La créature du lagon hanté, Le crâne hurlant, Chromosome 3, ou sinon on peut mettre Black Dynamite...
Le visage de Vic s'illumine au fur et à mesure que je liste ces merveilles. L'hémoglobine et la chair putréfiée ont toujours été nos éléments eucharistiques favoris.
“Donuts don’t wear crocodile shoes”
C’est ce que cracha mon ordinateur au moment ou je rejoignis Vic dans les draps de Morphée.
***
J’étais en train de mastiquer une plume de poulet au curry afin d’acquérir le pouvoir de diriger l’armée des ratons laveurs albinos quand on m’annonça à plein volume que la base de données avait été mise à jour.
J’ai frôlé l’arrêt cardiaque et envoyé mon poing directement dans la mâchoire du troubadour, à m’en briser les phalanges. J’aurais préféré un réveil Ricoré. Au lieu de ça j’ai du vider une bouteille de mercurochrome sur mes doigts zébrés de sang en maudissant les sadiques programmeurs d’antivirus. Je n’ai pas pu me rendormir.
Heure du décès 9h14.
Mon PC portable ressemble à un cyclope, son œil béant ouvert sur l’infini de mon 28 mètres carrés. Je viens de commettre un homicide involontaire en la personne de ma seconde vie, celle qui me redonnait le sourire après une nuit passée à dispatcher 133 pizzas.
J’ai acheté World of Wacraft après des efforts monumentalement infructueux pour oublier mon ex... Je m’étais laissée convaincre que seule une immersion totale dans un nouveau monde immaculé de sa présence pouvait me changer les idées. Le fameux jeu vidéo en ligne avait déjà plus de 11 millions de victimes à son actif, il fallait au moins que je teste. Au fur et à mesure que je me concentrais sur mon personnage, c’est à travers ses actions que je ressentais à nouveau de la joie, du bonheur, de la fierté et tout un tas d’autres émotions qui avaient déserté ma vie. J’aidais des vieillards à fabriquer des dentiers en crocs de dragons, je pourfendais des golems de marbre, je me battais à mains nues contre des oursons malfaisants, je sauvais des elfes de la nuit en détresse… Je me sentais enfin utile, je construisais quelque chose de solide entre les champignons grands comme des baobabs et les tigres à dents de sabre domestiques.
Et Vic trouvait ça pathétique.
Et Vic me regarde depuis trois minutes sans oser bouger un sourcil. Il sait que mon salaire ne me permet même pas d’acheter assez de PQ pour le mois, alors un nouvel ordinateur…
- Je veux bien me torcher avec les serviettes en papier de verre de Possum Pizza à chaque fois que je viens si ça peut t'aider… Et j’te prêterai ma Game Boy, j’ai Pokémon Rouge dessus.
J’ai envie de lui dire que non, ce n’est pas la peine de s’en faire, qu’il n’y a pas si longtemps que ça on passait des nuits entières sans écrans, que j’ai des livres qui prennent la poussière depuis Noël, que je vais sortir voir autre chose que le trajet de chez moi à mon boulot et…
- Ma vie est une merde.
Je n’aime pas qu’on fume le matin chez moi, mais lorsqu’il glisse une cigarette entre ses lèvres gercées j’ai presque envie de lui en demander une. De faire quelque chose d’inhabituel, sortir de mes gonds comme un porte de véranda trop bien huilée qui aurait soudain envie d’être un vélux.
Et puis je me rappelle que j’suis pas une porte, ni même une fenêtre. Et quitte à choisir je préfèrerais être un pont-levis. En bois.
Un bois aussi lourd que le battant sur lequel mon frère s’est éclaté le pouce il y a une dizaine d’années dans notre maison de campagne. Une bâtisse en pierre à moitié écroulée au cœur d’un village dont la moyenne d’âge ne descendait jamais sous le seuil des 80 ans. Je me souviens encore de ces matins où on fourrait dans un sac en toile la panoplie complète d’Indiana Jones afin de partir à l’assaut de la lande sauvage traquer les chevreuils. On pouvait être certains que les grognements venus des fougères étaient ceux d’un sanglier en rut que les chasseurs n’avaient pas encore réduit en trophée. Quand nous n’avions pas le regard vissé sur une queue verte à attendre que le lézard repousse, on animait Fort Escargot. La coquille bariolée de gouache, les concurrents devaient se démener corps et bave dans les épreuves impitoyables qu’on avait concoctées. France 2 nous a beaucoup encouragé à traumatiser des mollusques au nom du père Fouras. Le reste des vacances s’écoulait à l’ombre des chênes centenaires ou dans les ruelles du village à éclater des bulles de goudron, on délaissait même la télévision. Quand je regarde cette gamine la face tartinée de rouge à lèvres qui clame à qui veut l’entendre qu’elle est aigle courageux de la montagne rousse et que plus tard elle sera présidente du monde, je me rends compte qu’elle vivait sans arobase.
Pixel me sort de ma torpeur en mordillant mon orteil, Vic a terminé sa cigarette, il caresse ce qui reste de mon ordinateur, l’air désemparé. J’ai la désagréable impression qu’une partie de moi hurle de joie tandis que l’autre s’énerve et s’épuise à chercher des solutions inexistantes afin de retrouver ma vie deux point zéro au plus vite.
Victor n'ose rien dire, il ne sait jamais quoi dire quand je transpire des yeux. J'essaie de réfléchir. Je ne sais même pas pourquoi je vois Gandhi quand je ferme les paupières. Je me calme et pense à mon frère qui aurait déjà réduit en bouillie la bécane blessée en insultant la terre entière. Je me calme et me fais un sermon sur le matérialisme et la société de consommation. Je me calme et retrouve un rythme cardiaque normal. Je me  calme. Ce n'est pas un amas de composants électroniques qui va me guider dans la vie. Je ne m'appelle pas Tetsuo. Je n'ai pas besoin d'ordinateur pour être heureuse. Je me rends compte que je pense comme un alcoolique à qui il ne reste qu'une bouteille de bière Leader Price au frigo. Comment ai-je pu en arriver là ?
- Bon au moins le disque dur est pas atteint je pourrai toujours récupérer mes textes et photos... c'est pas la fin du monde hein... Et puis ça va me faire du bien de faire autre chose que tuer du gobelin et poker mes potes. J'ai même envie de me remettre à écrire, j'ai eu une super idée cette nuit c'est vraiment dommage que je ne fasse pas dans la fantasy parce que c'était un truc du genre à détrôner Tolkien... Mais je vais avancer sur mon roman, le mois prochain je t'envoie des chapitres frais... en colissimo.
Il ne me croit pas une seule seconde.
Forcément. Ce n’est pas la première fois que je lui fais le coup de l’illumination divine qui m’ordonne de réussir ma vie. Au lycée je lui ai promis qu’il serait le premier à avoir mon bouquin dédicacé, j’ai écris vingt deux pages puis j’ai laissé jaunir le papier jusqu’à ce que l’encre soit complètement effacée. L’année dernière j’ai monté une association pour la réinsertion de Burger King en France. Ma crédibilité s’est évaporée le jour où la co-présidente a annoncé en pleine réunion qu’il faudrait remplacer la viande par du tofu si on voulait vraiment concurrencer Ronald. Depuis ce jour je me suis désintéressée de toute forme de politique. Même Sarkozy m’évoque plus un champignon vénéneux qu’un nain sous stéroïdes. Avant de me convertir à Possum Pizza je voulais monter un site web avec Victor pour regrouper toutes nos chroniques de films gores, ceux dont les monstres en carton-pâte sont doublés par des poulets transgéniques. On a passé des nuits blanches entières à en parler sans jamais coder une ligne.
Mais cette fois ci c’était différent. Il fallait que ça marche. Je voulais que ça marche.
- Tu peux me laisser un stylo avant de partir?
***
“Alice pénétra dans l’amphi bondé avec une bonne demi heure de retard, elle ne pensa même pas à regarder à quoi ressemblait son voisin quand elle posa son séant sur le seul siège de libre. Le ptérodactyle qu’elle avait dans l’estomac sentait la présence toute proche de nourriture, ses grognements attireraient bientôt l’attention du professeur avant même qu’elle ait pu enlever son manteau. Il fallait réagir. Elle sortit de sa poche un kiri déformé qu’elle écrabouilla en vitesse sur le morceau de pain rassis qui dépérissait au fond de son sac depuis lundi.
- C’est ton pti déj ou ton goûter ?
Deux grands yeux bleus océan accompagnaient un sourire Colgate qui avait attendu la mise à mort de la tartine pour poser sa question. Hésitant entre consteller son visage de postillons au fromage ou exhiber ses maxillaires la bouche fermée, Alice se contenta finalement d’esquisser un sourire sans trop montrer les dents. C'est le moment que”
L’horreur sans nom qui se posa dans la marge m’arracha un cri. S’éjecter de la chaise. Écraser au passage le stylo bic. Saisir le premier truc qui me tombe sous la main. Tenter de frapper l’intrus. Être tétanisée. Retenir un cri. Hurler. Ne pas avoir réussi à lever le bras. Regarder l'indicible galoper sur le papier. Sur mes phrases. Faire une pause entre deux virgules, repartir vers une majuscule puis escalader la part encore tiède de Torahzola. Je dois réagir. Je psalmodie une prière improvisée aux tortues ninjas puis trouve la force de mouvoir mon bras en soufflant bruyamment. Du courage. Le premier coup fait voler trois rondelles de chorizo, l’ennemi s’embourbe dans le gorgonzola fumant, je frappe frénétiquement de toutes mes forces, il trouve le moyen de se réfugier sous une olive, j’abats mon arme sans pitié pendant que mon tshirt encaisse les giclées de sauce tomate. C’est une véritable boucherie. Ce n'est qu'au bout de trois minutes que je fais une trêve à cause de la douleur qui me vrille le bras. Mon rythme cardiaque redescend tout doucement à mesure que mes crampes disparaissent. J’ouvre avec difficulté des yeux imbibés de sauce piquante pour constater qu’il est impossible de faire la différence entre ce qu’il reste de ma pizza et feu ma petite culotte préférée. Les deux ressemblent à s’y méprendre au masque de leatherface.
Vic aurait été fier de me voir manier un slip avec autant de dextérité.
C’est la seule pensée constructive qui heurte mon cortex alors que je contemple la moitié de la bête frémir à six centimètres du reste de son corps noyé de garniture huileuse.
***
- C’était juste une araignée, tout va bien merci, j’ai juste perdu mon unique stylo dans la bataille.
C’est ce que je déclare à Laura, venue sonner à ma porte car elle entendait son plafond agoniser depuis une dizaine de minutes. Je n’ose même pas imaginer ce qui doit défiler dans son esprit à la vue de ma personne. Les cheveux gluants parfumés au gorgonzola, le tshirt maculé de taches écarlates, les yeux injectés de sang et la main droite encore tremblante, je m’excuse du dérangement et lui souhaite une bonne soirée. A aucun moment je n’avais envisagé la possibilité qu’elle m’adresse la parole. Mes voisins ont pour coutume de m’ignorer.
- Tu écris ?
- Et bien non enfin je, j’essaye d’écrire des trucs mais rien de très constructif… et toi tu débutes ?
Elle rougit en rentrant sous son tshirt un badge doré où son prénom est précédé d’un « je débute » en italique.
- Ah ça c’est pour mon boulot... À la FNAC ils ont une certaine vision de la hiérarchie et de la communication. Je dois porter la mention “Je débute” pendant encore trois mois… Va conseiller quelqu’un avec une pancarte “je suis nouvelle donc incompétente bonjour”. D’ailleurs je dois remonter me préparer, je suis déjà à la bourre là… si tu as d’autres soucis sur pattes hésite pas à venir sonner chez moi, je suis juste au dessus.
Je ne sais pas si c’est le timbre de sa voix ou le simple fait qu’elle ne se soit pas enfuie en courant à la seconde ou j’ai ouvert la porte mais en regardant ses chaussons j’ai presque l’impression de voir les talons clignoter.
Une fois le parfum de Laura dissipé par les relents de pizza, je me laisse tomber dans mon canapé trop mou et essaie de me concentrer sur la suite de ma journée, sur mon seul jour de repos.
Je voulais écrire. Je revois Victor me demander de raconter ma vie sentimentale en 32 tomes car là dessus au moins même sans imagination j’aurais de quoi vendre des pavés qui rendraient jaloux Musso et Lévy… Mais si je crée un roman, je n’ai pas envie qu’il se résume à ce qui a torturé mon myocarde pendant une dizaine d’années, à la limite ça peut être un prétexte pour me lancer mais je veux m’écarter de cette voie le plus rapidement possible, pour aller je ne sais où. Et puis il y a ce scénario proposé par mon ex. Alice rencontre Max, un étudiant impliqué dans la mafia locale, s'en suit une folle histoire d'amour teintée de sang. J'en suis au troisième chapitre et ne connais même pas les noms des futurs cadavres, encore moins leur nombre. Je me demande soudain si écrire sans connaître la fin ni le milieu de son histoire n’est pas une entreprise vouée à l’échec. Des milliers d’heures qui ne mènent à rien, des hectolitres d’encre gâchés, des forêts assassinées gratuitement. Je suis un monstre.
Le stylo git sur le sol, pas besoin de m’approcher pour savoir qu’il est décédé. Ce fin cylindre en plastique contient de quoi écrire trois kilomètres mais si on brise sa carapace de plexiglas non seulement il perd ce merveilleux pouvoir mais en plus devient nocif et noirci tout ce qu’il touche. C’est terrifiant la mort d’un Bic.
***
L’unique avantage de mon boulot réside dans le fait de ne jamais commencer avant que la petite aiguille de ma flick-flack n’atteigne le dix. Mais Pixel n’a toujours pas compris le principe de la grasse matinée. Pas besoin de réveil quand ses griffes traversent la couette à huit heures du matin afin d’allumer le distributeur de croquettes. À mesure que ma main se couvre de poils, je pense à mon roman.
Ce n’est pas un roman. C’est un puzzle géant dont je n’ai jamais vu la boîte. Pas moyen de savoir si j’aurais un chaton ou un poney une fois la dernière pièce posée, de toute façon je préfèrerais un T-Rex. Pixel pose négligemment ses 8 kilos sur mon visage. Il ne compte pas attendre la fin de mes élucubrations matinales pour remplir son estomac.
Après m'être décroché la mâchoire et récuré les yeux je constate que le cadavre du bic n'a pas bougé depuis la veille. Je gratouille Pixel sous le menton et vais relever le courrier.
Échec cuisant. Ma mémoire a décidé d'occulter complètement cette tragédie, technique du poisson rouge. La mort de mon ordinateur n’était pas un cauchemar.  
Vexée comme un pou, je décide de me traîner jusqu’à ma boîte aux lettres matérielle histoire de prendre ma revanche sur le monde virtuel sans attendre. Pourquoi n’a-t-on pas encore inventé ce porte-clés qui répond quand on l’appelle ? Celui dont on parle à chaque fois qu’on cherche son trousseau en se disant que l’exercice est mille fois plus difficile que de trouver Charlie dans la dernière page du bouquin, celle ou il est paumé parmi des centaines d’individus qui ont eu le bon goût de se fringuer avec des rayures rouges et blanches. Même mon mot de passe hotmail est plus facile à retrouver. J’abandonne rapidement, incapable de me concentrer car obsédée par une question existentielle de la plus haute importance : comment savoir qu’un pou est vexé ? Google est mon ami. Mais pas aujourd’hui.
J’ai envie de pleurer. Je hais le matin. Quand j’étais petite, j’entendais dire que araignée du matin : chagrin. Il a fallu que je souffle une vingtaine de bougies pour me rendre compte qu’on pouvait remplacer araignée par à peu près l’intégralité des noms communs du Larousse, ça rimerait toujours avec chagrin du moment que ça se passe le matin.
J’essaie de ne plus penser aux poux, surtout en prenant ma douche. De ne plus penser à mon amis Google devant le miroir.Des cheveux en bataille cachent des yeux bleus aussi jolis que myopes. Peau blanche quasi transparente qui a certains endroits du corps permet de cartographier précisément mon réseau sanguin, une méduse en serait jalouse. Je n’ai pas beaucoup changé depuis hier. J’adresse un clin d’oeil à mon reflet avant d’enfourcher mes lunettes rectangulaires, celles qui me rendent physiquement intelligente.
8h45, je sors les raviolis du micro-ondes. Ce que je préfère dans les raviolis c’est la nappe de gruyère fondu qui croque sur les bords quand le bol a passé la nuit au frigo. Si je bossais chez Buitoni, il n’y aurait pas deux pièces contenant une garniture identique, ce serait 38 mini pochettes surprises dans chaque boîte. Y’en aurait même une au beurre de cacahuètes. J’explique mon projet à Pixel pendant que mon tshirt se transforme en pull angora, il me regarde et ronronne comme s’il croyait en moi et mes formidables idées culinaires. Ce chat est merveilleux. Je balade ma main sur son dos à rebrousse poil jusqu’à l’oreille gauche déchirée.
La blessure de guerre remonte à la période où j’étais un chef indien à mes heures perdues, occupée à explorer le désertique bac à sable en compagnie de Pixelor, mon féroce tigre du Bengale. Je n’avais pas vu arriver le berger allemand, je ne savais même pas qu’un mastodonte pareil pouvait être nommé. Quand il a commencé à boitiller dans ma direction en grognant, Pixel a triplé de volume et s’est mis à cracher en remuant les moustaches. Le molosse s’est arrêté net en face de cette boule de poils qui osait le défier. J’ai lâché mon arc au premier aboiement, mon chat ne bougeait pas, il émettait des sons rauques en continu. Je n’ai pas fait attention à ma mère qui me hurlait depuis le balcon de reculer puis je me suis pissé dessus au moment où le chien a recommencé à avancer vers moi. Pixel lui a sauté à la gorge, planté ses griffes dans l’épaule et s’est hissé sur son dos pour lui labourer la nuque. Une pluie de bave et de sang m'éclaboussait, le chien sautait dans tous les sens pour déloger son adversaire. Puis il roula sur lui même et Pixel s’éjecta juste à temps pour éviter d’être réduit en bouillie par 50kg de muscles. Il galopa  vers la rue, ne devant son avance qu’à la patte blessée du chien enragé. J’ai attendu toute la journée dans le bac à sable en pleurant. Ma mère tenta de me consoler sans succès en épongeant mes litres de morve. Le lendemain Pixel a gratté à la porte l’oreille en sang et le pelage couvert de cambouis. Il s’est mis à ronronner avant même que je ne l’étouffe dans mes bras.
Quand j’ose raconter cette aventure en société je peux déduire lequel de mes auditeur possède un chat, il a toujours les yeux qui brillent à la fin de l’histoire, les autres se marrent tout le long. Surtout Vic.
C'est en posant le bol sur la pile de vaisselle sale que je marche sur mes clés. Vu l'heure qu'il est je vais même avoir le temps de vidanger ma boîte aux lettres.
- Bonne journée mon petit amour, je ne rentre pas trop tard ce soir !
Je claque la porte et me pétrifie quand j'entends un écho. Je n'aime pas trop que mes voisins me surprennent en train de parler à mon chat. Laura dévale les marches, un morceau de croissant entre les dents et des miettes incrustées dans le labelo. Elle me crache un bonjour à la face sans s'arrêter de courir. Avant que j'ai eu le temps d'articuler quoi que ce soit l'escalier est déjà désert. C’est le plus joli sourire qu’on m’ait adressé depuis une éternité. J’ai un faible pour la nourriture.
***
Nina ? Stéphanie ? Vanessa ? Charlotte ? Cécile ? Marine ?
Impossible de me rappeler comment se prénomme la barbie qui pianote sur le poste voisin. Remarque cela ne fait que trois semaines qu'elle occupe cette place, et je me suis promis de n'avoir aucun échange social avec une personne dont le fond d'écran représente un nouveau né souriant à un géranium rose. Chez Possum Pizza, la seule chose qu'on a le droit de personnaliser dans notre espace de travail est le papier peint windows. Depuis deux semaines Edward Norton me souhaite la bienvenue en vomissant ses dents sur la barre des tâches.
- Excuse moi, t'aurais un stylo à me dépanner ?
Elle sursaute et me dévisage trois bonnes minutes. J'ai l'impression qu'elle va me sortir la carte de visite de son esthéticienne ou m'imprimer la liste de ses anticernes préférés. Je hausse mon sourcil droit en gardant le gauche bien à plat jusqu'à ce qu'elle se décide enfin à me donner un de ses 5 stylos Possum Pizza flambants neufs que je glisse dans mon sac avant de la remercier.
11h10. Le premier appel ne devrait plus tarder.
- Possum Pizza bonjour.
La fiche de la cliente apparaît, son double menton aussi. Je me demande quel est l'intérêt d'encombrer les serveurs avec toutes ces photos, est-ce seulement légal ? Je me prépare à noter la commande au moment où je lis son prénom. J'ai toujours pensé que c'était une légende urbaine, ces parents assez malades pour baptiser leur fille Clitorine. Remarque c'est peut être un acte purement artistique ou simplement sadique, ou c'est juste que mon esprit obtus n'arrive pas à percevoir la beauté intrinsèque de ce prénom. Quoi qu'il en soit je transfert l'appel à ma voisine histoire d'éviter de me faire virer pour fou rire intempestif.
Il est très rare que je délègue un appel, même lorsque je tombe sur un bègue ou quelqu'un qui a eu la bonne idée de composer le numéro avant même de choisir sa pizza.
- Possum Pizza bonjour ?
- Bonjour je voudrais une Tikenja à livrer rue des chênes au 14, non attendez plutôt une Razzorizo, la garniture est bio n'est ce pas ?
J'ai même droit à l'éternel indécis. Au bout de trois minutes un œil rouge clignote sur l'écran. Une oreille aurait été plus juste, le manager n'est pas branché en visioconférence, il ne fait qu'écouter. Mais se sentir observé est beaucoup plus intimidant, on se demande même si un bout de ravioli n'a pas échappé au brossage matinal. Sauron aurait-il été aussi terrifiant si il avait décidé de surmonter sa tour d'une oreille enflammée ?
Un appel coupe le fil de mon épique réflexion. Madame Béchade demande si les pizzas végétariennes contiennent des crevettes parce que vous comprenez elles aussi ont un système nerveux. Madame ne fait pas partie des traîtres carnivores qui osent se vanter d'appartenir à la race supérieure des bouffeurs de tofu alors qu'ils croquent sans pitié du poisson mort né.  
Je hais les végétariens. Les raisons obscures qu'ils avancent pour justifier leurs carences alimentaires rivalisent d'absurdité. Je peux encore voir les yeux d'Alex briller lorsque je lui parlais des centaines d'hectares de sapins cultivés dans le seul but d'être sauvagement tranchés pour Noël, combien de litres de sève sa famille avait-elle fait couler depuis sa naissance ? Et en quoi étaient fait son sac Marc Jacobs ? Et qui avait tricoté son top acheté chez Primark ? Puis je l'avais achevée en lui demandant si la viande lui manquait parfois. Non, pas vraiment, et puis c'était tout à fait normal de rêver qu'une dizaine de poulets rôtis l'invitaient à danser la farandole puis qu'elle se battait avec Jeanne Calmant pour avoir droit à du jambon mouliné, non ? C'est après son exposé passionnant sur Borges que j'avais proposé à Alexia de manger avec moi pour éclaircir quelques points. Face à mon assiette de charcuterie elle avait tenté de me faire comprendre qu'élever des bêtes dans l'unique but de les dévorer était une abomination. Je lui avais donc parlé des conifères, de ses fringues fabriquées par des esclaves, du refoulement de ses pulsions, d'une idéologie nuisible à sa santé, puis avait noté que son sac était tissé de peaux mortes et son mascara testé sur des lapins nains. On avait continué de se voir après la fac en préférant les bars aux restaurants.
- Possum Pizza bonjour ?
Ils ne se rendent pas compte qu'ils me dérangent, ils trouvent ça normal de troubler les tribulations de ma pensée toutes les neuf minutes.
À 17h28 je dépose mon casque et gobe un doliprane pour faire taire le grésillement de mes oreilles fondues. J'hésite à en avaler un second pour supporter l'ascenseur. Depuis trois jours l'escalier est condamné pour rénovations, Possum Pizza préfère dépenser ses bénéfices dans un nouveau revêtement de sol feng shui plutôt que dans une augmentation des salaires, normal. Je me faufile dans la boîte métallique aux angles noircis de crasse puis presse le bouton zéro. J'essaie de ne pas penser aux staphylocoques et autres joyeusetés que je viens d'accueillir sur mon pouce. Maintenant que la mâchoire d'acier s'est refermée il n'y a plus qu'à attendre docilement que les chiffres rouges se mettent à défiler. Je ne supporte pas les endroits confinés desquels il m'est impossible de sortir quand bon me semble. Si je ferme les yeux je vois le vide insondable au dessus duquel la cabine tangue au bout d'un câble usé. Se concentrer sur la tâche de sauce tomate qui orne ma braguette est une excellente diversion.
Une fois sortie de mon calvaire métallique j'entends un manager insulter météo france, le peu d'estime que j'avais pour lui est réduit à néant quand il ose m'apostropher.
- T'as vu ce temps pourri ? Une semaine qu'il fait moche !
- Vous avez raison, vivement l'été.
Toujours suivre le manager et balancer une banalité en fin de réplique garantie la possibilité de négocier son planning hebdomadaire.
- Mais on est le 29 juin !
- Oui en effet, il devrait y avoir du soleil.
Je m'éclipse vers la sortie avant que l'échange ne se transforme en dialogue digne de Ionesco. Mes lunettes se couvrent de gouttes avant même que le vent détruise ma structure capillaire. Je lève mes yeux vers les nuages.
À l'âge de huit ans j'étais fascinée par ces gros paquets de mousse dans le ciel, on aurait dit qu'ils étaient posés sur une plaque transparente faisant le tour de la Terre. Et puis un jour Fred et Jammy m'ont expliqué qu'il s'agissait de cumulus établis dans la troposphère. Ils ont brisé ce fantastique dôme de verre à coup de maquettes conçues par des daltoniens sous LSD. Ils en ont profité pour parler des dangers du soleil. Moi j'adorais fixer cette boule de feu jusqu'à la voir devenir noire, ensuite je fermais les yeux et ma tête devenait une discothèque silencieuse.
C'est au lycée que ma myopie est devenue trop handicapante pour continuer d'être ignorée. À force de confondre humains et lampadaires, progressivement plus personne ne s'est mis à me faire signe en souriant le matin. J'ai compris que le monde n'était pas flou, que c'était moi le problème, que mes beaux yeux devaient être parqués derrière des carreaux afin de mettre ma vie sociale et professionnelle hors de danger. Et que j'aurais du suivre les conseils fachistes de Fred et Jammy.
À mesure que je me rapproche du tramway je distingue une masse sombre qui tremble sous le toit de béton. Les gens sont littéralement agglutinés sur la partie du quai protégée de la pluie, on se croirait face à un régiment auquel Biggus Dickus a ordonné la formation en rectangle. Je décide de rentrer à pieds, les gouttes d'eau claquent sur ma peau, sensation grisante, j'aimerais qu'aucune parcelle de mon corps ne soit épargnée. Mes lunettes fondent, le paysage qui m'entoure se rapproche du pays des merveilles kaléidoscopiques. Il fait beau.
***
Il règne dans mon appartement un capharnaüm sans nom. Une caverne tapissée de cafards confits ? Je n'ai strictement aucune idée de l'étymologie du mot, en le griffonnant sur un post-it je réalise que je ne connais même pas son l'orthographe. J'irai voir sur Wikipédia plus tard. C'est la première chose qui me passe par l'esprit.
C'est toujours la première chose qui me passe par l'esprit.
La couche de poussière qui orne mes quatorze volumes d'encyclopédie Larousse est vierge de toute trace de doigt. Il est loin le temps où j'avais envie de disséquer un bébé phoque pour savoir si il était rempli de guimauve comme le prétendait mon frère. Mon cerveau s'est mis en veille à la seconde où il a été traversé par une onde wifi. Je suis devenue une assistée du clavier. Après m'avoir assommée, cette constatation déclenche une crise d'angoisse. Aussi aberrant que cela puisse paraître j'ai besoin de savoir d'où vient le mot capharnaüm. Une multitude d'images défilent. Un amas de turbans, une urne en terre cuite, un tas de cafards grouillants, une pierre tombale romaine, mais les romains avaient-t-ils des cimetières ? Je ne sais pas. Internet sait. Mon appartement n'est pas connecté. Il faut que je sorte. Il faut que ça cesse. Il faut que je trouve une explication rationnelle à Laura quand elle ouvrira la porte.
- Euh salut, c'est moi, ta voisine du dessous tu te souviens ?
Elle me dévisage de longues secondes, je grimace un sourire nerveux, une main tendue qu'elle attrape.
- Oui, oui qu'est ce qui se passe ? T'as pas l'air bien... Maïtica est revenue ?
- C'est à dire que j'aurais besoin d'aller sur Internet et mon ordinateur est mort donc je me disais que peut être je pourrais utiliser le tien...
- Ah c'est tout ? Mais rentre, fais comme chez moi, l'ordi est là.
Une plaque d'aluminium à la pomme traine sur le lit, unique meuble de l'appartement. J'essaie de ne pas trembler en relevant l'écran puis me calme lorsque s'affiche le multicolore Google. Je n'ai qu'à taper le début du mot pour qu'il apparaisse intégralement, une pression sur entrée, un clic, parfait. Capharnaüm était une ville de l'ancienne province de Gallilée, sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade au nord de l'état d'Israël, son nom vient de l'hébreu : village et compassion. Tout simplement.
- Tu veux un café ?
Au son de sa voix je déconnecte instantanément et rougis devant l'absurdité de mon acte, je ne me souviens même pas comment j'ai pu réussir à frapper à sa porte. Je m'apprête à bafouiller une réponse lorsque je croise son regard. Il m'enveloppe littéralement. La seule chose qui a le pouvoir de me calmer aussi rapidement c'est un mètre de papier bulle à éclater. Je hoche la tête puis m'entends dire que je ne suis pas contre une tasse du moment qu'elle contient plus de sucre que de café.
- Et ton roman avance bien ? Ca parle de quoi ?
- Euh c'est pas vraiment un roman, en fait je suis coincée au chapitre trois depuis pas mal de temps et ça ne ressemble pas à grand chose...
- Mais t'as pas tout perdu à cause de ton ordinateur au moins ?
- Non, non c'est un manuscrit uniquement papier, au fin fond de mon disque dur il y a mes chroniques de film et des souvenirs en jpeg que je dois récupérer.
Après avoir bu la moitié de son paquet de sucre et raconté ma vie en diagonale, je sors de chez Laura avec la ferme intention d'écrire le chapitre quatre avant l'aube.
***
Je n'arrive plus à écrire. Le stylo écarlate tatoué PP me nargue. La feuille est couverte de ratures. Cela n'a aucun sens. Je revois mon ex poser sur moi un regard emprunt de pitié puis me dire que Alix au moins sait exploiter brillamment ses talents de guitariste. Elle ne loupait pas un seul de ses concerts. Je revois sa bouche tordue me cracher qu'il est lamentable que ma plume ne serve qu'à remplir mes statuts facebook.
Quand est ce qu'on a décidé pour moi que je devais être écrivain sous prétexte que j'aimais écrire ?
Pas de message politique à délivrer, pas de révélations extraordinaires à dévoiler, pas d'histoire originale à conter, je n’ai strictement rien de nouveau à offrir en pâture aux libraires, ni aux analphabètes en quête d'auteurs à critiquer. Je remplis des cahiers entiers parce que j'en ressens le besoin, je communique par lettres car je ne peux pas faire autrement. Ce n’est pas une lubie ni une manière de tuer le temps, c’est une nécessité. Le sac de nœuds qui emplit mon crâne se transforme sur le papier, les kilomètres se démêlent pour former des mots, des phrases, du sens. Lorsque j'ai découvert les langues étrangères et la typographie, les limites de l'écriture ont explosées. L'intégralité du monde peut être traduite, même l'absence de mots prend sens. Je ne cherche pas à trouver mon style ou à être publiée, pour cela il faudrait savoir quel lectorat je veux toucher. Seules mes lettres sont véritablement travaillées, je retouche jusqu'aux virgules afin d'atteindre la perfection. Mon correspondant ne doit pas simplement comprendre mon propos, il doit le ressentir. C’est une façon de parler clairement sans être interrompue. Là où j’échoue à articuler un 'je t'aime', une lettre le crie sans que j'ai à écrire une seule fois les mots fatidiques.
Comme à son habitude Pixel me sors de mon état catatonique juste avant que je visage de mon ex submerge mes pensées.
- Merci, j'ai même pas eu le temps de distinguer ses tâches de rousseur cette foi-ci.
Je repousse doucement mon chat du bureau puis relis mon ébauche. Alice était sur le point de postillonner au visage de Greg, le fameux étudiant trempé dans la mafia locale. Mon ex disait toujours qu'un bon bouquin contenait au moins un mort. Quoi qu'il en soit j'avais commencé la rédaction de ce qu'on exigeait de moi : un bébé Goncourt. C'est après avoir terminé le troisième chapitre que j'avais reçu son dernier texto. Il ne m'était absolument pas destiné. Il eu le mérite de m'arracher les paupières, celles que j'avais cousues le jour ou j'avais entendu parler de son pote guitariste pour la première fois. Après la rupture je me suis attachée à cet embryon de vingt huit pages comme on s'agrippe à sa dissertation au moment où le professeur annule l'épreuve. Ce n'est qu'aujourd'hui que je me rends compte que je n'ai jamais voulu écrire cette histoire. Je lance un regard dramatique à Pixel, je suis à peu près certaine qu'il me trouve aussi touchante qu'un cochon d'inde atteint de strabisme divergent. Interminable soupir. Des pages nourries de peur et d'orgueil. Devant moi pourrit une fausse couche gorgée de bile.
Je n'ai jamais voulu écrire cette histoire.
***
En quelques secondes j’assassine sauvagement Alice. Pixel s’occupe de réduire son cadavre en charpie mieux que n’importe quel destructeur de documents. J’étais en pleine contemplation de mon nouveau parquet en papier mâché quand mon portable sonna.
- Salut Victor
- Wow je m’attendais pas à tomber sur Daria ! Il t’arrive quoi ? La dernière fois que t’as eu ce ton c’est à la fin de l’épisode ving-deux de la septième saison de Buffy. Me dis pas que t’étais en train d’écouter Thom Yorke gémir en pensant à ton ex ?
- Non, je viens juste de déchirer mon manuscrit en assez de morceaux pour que Valérie Damidot jalouse la déco de mon salon
- Ah mais oui, l’histoire d’amour entre Greg et Alice qui termine dans un bain de sang c’est ça ? Le scénario redoutablement original pondu par ton ex ? C’est pas plus mal que tu t’en sois débarrassée, quoique t’aurais pu remplacer Greg par un fille ça aurait été un pas vers la sortie de la bibliothèque des ménagères ménopausées…
- ouais c’est ça j’ai vraiment envie d’écrire un bouquin sponsorisé par Pink tv, tu sais être lesbienne c’est pas un phénomène socio-culturel fait pour remplir les rayons indés de la fnac hein…
- t’énerves pas je t’appelais juste pour avoir de tes nouvelles, maintenant que t’es plus sur le net je vois des pixels morts partout, sans vouloir offenser ton chat hein..
J’écourtais la conversation, moins parce que Vic m’avait gavé que parce que j’avais envie d’écrire. Le mot lesbienne méritait quelques lignes et si je laissais filer cette envie impulsive elles ne seraient jamais écrites. Je hais ce mot. Je l’entends comme un ongle rayant un tableau noir puis rebondir avec la grasse d’un bourrelet moite pour terminer en une trainée de bave tachant le reste de la phrase qu’il infecte. LESBIENNE.
Ce mot suinte, il me lèche l’intérieur de l’oreille, avec une langue râpeuse comme celle d’un chat, qui laisse des petits grumeaux de pâté saveur lapin partout où elle passe. Je n’assume pas cette intolérance, j’aimerais apprendre à aimer ces neuf lettres. Je les écris au centre d’une page blanche. J’essaie de les regarder sans les lire. LESBIENNE. J’aimerais être analphabète, admirer les caractères sans les lier à un son, prendre les mots comme des illustrations minimalistes stylisées. Je me force à fixer LESBIENNE, le brosse du regard dans tous les sens, je veux le décaper, qu’il soit nu et incompréhensible. LESBIENNE.
La migraine finit par s’installer, j’ôte mes lunettes et frotte mes yeux jusqu’à perdre un cil. Je ne peux pas désapprendre à lire. J’enrage contre mon cerveau formaté qui transforme la moindre matière brute en produit fini, lisse, transparent. La drogue pourrait m’aider à y voir moins clair mais ce serait un artifice, une grossière béquille plus encombrante qu’utile. Le stylo tremble entre mes doigts crispés. LESBIENNE. J’ai encore envie d’écrire sans savoir pourquoi et encore moins pour qui. Cela n’a aucun sens. Je suis Astérion qui se moque de savoir s’il y a une issue, je suis le rat qui prend plaisir à errer dans son labyrinthe. L’écriture est une fin en soi, je ne veux pas créer une histoire comportant un point final. Alors juste un début ? Même l’histoire sans fin a une fin... Ou alors quoi ? Juste un paragraphe ? Et si ce n’est pas une histoire je ne suis pas obligée de lui donner une fin. Ou une lettre ? Je sais écrire des lettres, il faut juste connaître le destinataire, ça n’a pas vraiment de fin ni de début, pas même de milieu, c’est juste des paroles figées. Une manière de s’adresser à quelqu’un en affinant notre propos à l’extrême tout en lui laissant le loisir de prendre son temps pour le lire, le comprendre, et surtout le faire à l’abri de notre jugement. Ce n’est pas un dialogue ouvert qui place l’introverti en position de faiblesse, qui permet par des acrobaties verbales de piéger l’autre, le convaincre ou l’empêcher de s’exprimer. Le papier est sourd, muet, aveugle, le papier ne demande pas une réponse, le papier ne demande pas d’être lu, compris, accepté il existe. Il est ce qu’on devrait être. On devrait juste vivre par et pour soi-même, sans jamais rien attendre de l’autre, vivre gratuitement,  sans exigences déguisées en innocentes demandes, sans sous-entendus.  Lisibles. J’en suis à me comparer à mon moleskine quand les manifestants passent sous mes fenêtres en hurlant. J’ai trouvé à qui écrire ma lettre.
***
J’ai compris quand j'étais au lycée. J'avais embrassé la même fille plusieurs fois, c'était ma “copine”, il était temps d'en parler à ma maman. Je savais déjà qu'elle accepterai, mais ne m'attendais pas à sa réponse : “oh tu sais ma chérie, je m'en doutais depuis la maternelle que tu préférais les filles et je suis très heureuse que tu m'en parles, n'oublie jamais que du moment que tu es en bonne santé et bien dans ta vie je suis une maman comblée”. Bon soit dit en passant j'aurais bien aimé qu'elle me tienne au courant que j'étais lesbienne, ça m'aurait évité des nuits entières de questions existentielles du genre “est ce normal d'être jalouse du mec de sa meilleure amie”. La suite de mon coming out s'est très bien passé, jusqu'à ma grand mère de 89 ans me disant qu'elle trouvait ça parfaitement normal, du moment qu’il y avait de l'amour et des personnes majeures consentantes. Oui je sais, j'ai une famille en guimauve, j'assume. Tout ça pour vous dire que j'ai grandi dans l'idée que j'étais parfaitement normale, saine et équilibrée, et que l'amour n'avait pas de sexe (ces idées déviantes ne m'ont pas pour autant fait flasher sur mon cochon d'inde ou me constituer un harem d'amantes). Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens mal d'être lesbienne. Ce qui était une chose anecdotique et que j'avais complètement intégré comme faisant partie de moi est une tare à vos yeux. Je ne comprends pas en quoi je suis moins saine d’esprit que vous, j’ai eu mon bac du premier coup, j’ai raté mon permis, je paye des impôts, je connais mes tables de multiplication. Non, vraiment je ne vois pas en quoi ma vie sexuelle influe de manière néfaste sur tout ça, à vrai dire je ne m’étais pas posé la question. Je n'ai jamais choisi de tomber amoureuse d'une fille, j'ai choisi de bien le vivre et d'être heureuse, tout comme ma meilleure amie a choisi de bien vivre le fait d'être en couple avec un homme. Je suis toujours restée à l'écart de la communauté gay, pour tout vous dire je la méprisais un peu, de vouloir se revendiquer comme des marginaux et afficher des arcs en ciel jusque sur l'élastique du slip. Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens plus à l'aise dans une gay pride que dans le bus. Lorsque je marche dans la rue je dévisage les passants à qui je souriais la semaine dernière, si ça se trouve, lui aussi il défile en lycra argenté en hurlant qu'on ne ment pas aux enfants… Si ça se trouve elle était à Paris le 13 janvier, la dame à qui j'explique mieux qu'un GPS je trajet pour aller au Palais des Beaux Arts. Alors je me retrouve à porter un ridicule bracelet rainbow que j'exhibe au monde entier, un peu comme un bouclier, et je me sens mal. De voir 20 ou 300 000 personnes se rassembler et hurler que je suis différente, contre nature, malade, incapable d’élever sainement un enfant, je me sens mal. J'ai l'impression d'être un sans papier à un meeting UMP. Pour la première fois de ma vie je me sens mal à cause de ma sexualité, c'est complètement absurde, ça ne devrait pas arriver. Je ne fais de tort à personne, et je ne viens pas vous demander quelles sont vos pages préférées du kamasutra, pourquoi vous vous intéressez à ce qui se passe dans mon lit ? C’est censé être utile pour élever des enfants ces détails ? J'ai l'immense chance d'avoir une famille et des proches qui me soutiennent et n'ont pas le discours hypocrite “on est pas homophobe mais tout de même accorder le mariage…”. Il n'y a rien de pire que ces gens qui se disent tolérants, qui pensent sincèrement ne pas être homophobes, mais qui sont en fait l'exemple parfait de l'homophobie latente, celle qui nous explique qu'à certains détails près, on ne doit pas être égaux. Je veux que vous sachiez à quel point je suis blessée de vous voir vous mêler d'une chose qui ne vous regarde pas, de parler au nom de l'enfant, comme si vous lui demandiez son avis avant de le faire, comme si le couple hétérosexuel était le seul capable d'élever sainement des enfants, comme si les milliers d’enfants maltraités étaient issus de couples non hétérosexuels, comme si l’actuelle société ne comptait pas déjà des familles heureuses avec deux mamans ou deux papas, handicapées par l’administration quand tout le reste de leur vie fonctionne très bien, comme si ça allait changer votre vie qu'une minorité de la population payant les mêmes impôts que vous puisse avoir les mêmes droits. Mais si vous faites tout ça c’est pour protéger l’enfant, qu’on lui assure une famille biologique avec des bonnes grosses racines, qu’il puisse remonter jusqu’au moyen âge pour savoir de quel ancêtre il tiens ses yeux bleus. Oui c’est important de savoir d’où l’on vient, et on apprendra pas à nos enfants qu’ils sont nés dans des choux, on ne veut pas transformer le monde, on veut juste en faire partie sur le papier, car on y est depuis le premier homme, nous et des centaines d’autres espèces d’être vivants qui ont des relations homosexuelles, on est déjà là, c’est un phénomène naturel et normal, pas un choix ou un style de vie. Heureusement qu’au vingt et unième siècle on arrive enfin à avoir des droits et ne plus être considérés comme malades mentaux, enfin cela dépends par qui, quand je vous vois défiler dans la rue pour me dire que vous m’aimez bien mais uniquement si vous ne me voyez pas trop. Vous vous trompez de croisade, l’enfant a besoin de repères, de compréhension et d’amour, et ça n’importe quel être humain est capable de lui donner ou de l’en priver, quelle que soit sa sexualité. Vous ne vous rendez pas compte à quel point on se sent mal face à tant d’incompréhension et de jugement, mais si vous êtes dans la rue aujourd’hui c’est qu’il y a un problème de communication. Rencontrons-nous, posez-moi toutes les questions qui vous démangent, comprenez moi au lieu de me »
Une atroce douleur stoppe la course de ma main au moment où j’entame la troisième page. Ma maîtresse de CE1 répétait que je n’étais pas faite pour l’écriture, mes lettres ne tenaient pas en place, mes capitales débordaient sur tous les carreaux, on avait le mal de mer rien qu’en lisant mon prénom. Et puis il y avait ma façon de manier le crayon. C’était une honte de tenir sa plume comme une truelle. À l’époque wikipédia n’était pas là pour définir ce mot barbare qui taillait en pièce le peu de confiance qu’un enfant de sept ans peut avoir en soi, j’imaginais un affreux ustensile et n’osait même pas demander d’explications à ma maman tellement j’avais honte d’être si nulle. Une truelle tout de même, ça devait être plus terrible que tout. Je n’ai jamais appris à manier le stylo proprement, les crampes me rappellent que je suis dans le monde réel. La douleur, rien de tel pour se sentir vivant. Je relis en diagonale ce que j’ai commencé, ça me plaît mais c’est plein de tournures maladroites et il peut se passer cinq ou six lignes sans autre ponctuation que des virgules qui soulignent des répétitions. Je corrigerai plus tard. L’écriture spontanée n’est que matière brute, seuls les dadaistes lui permettent d’exister par et pour elle-même, dans le monde réel elle ne peut se passer de corrections. Corrections. Un mot qui sonne comme une sanction d’écolier, le lire décrédibilise le propos, et pourtant elles sont essentielles et salvatrices, elles transforment un pavé illisible en une phrase claire, un dialogue kitchissime en échange passionnant, une histoire vraie en une histoire crédible. Il me faut un thé.
Quelle force métaphysique pousse l’être humain à boire des infusions quand il emménage dans son premier appartement ? J’ai vus mes amis se convertir au Earl Grey du jour au lendemain, certains ont même acheté des boîtes en métal accordées au papier peint. Je me brûle quelques papilles. Ma langue existe. Ma cuisse droite aussi, celle dans laquelle Pixel enfonce ses griffes pour me signifier qu’il m’aime. Mon chat est formidable, mon Levis est foutu. Dehors les manifestants sont déjà loin et leur slogans enfin inaudibles.
***
Il me fait penser à un grain d'orge. Gros. Gras. Grand.
Je sens qu’il va encore payer une langue de veau ou des capotes au piment d’Espelette en pièces de cinq centimes. Le voilà qui attend nerveusement derrière une petite vieille, ses cheveux sont moins gras que dimanche, ou c'est peut être mes yeux qui ont finit par s'habituer à l'éclairage au néon. Client suivant. Je salue sa chemise à motifs auréoles-sous-les-bras puis bipe un os en plastique de 40 centimètres. J'aimerais savoir ce qui pousse les gens à commercialiser des répliques de fémurs humains à destination d'animaux domestiques. Peut-être est ce un complot à échelle mondiale, destiné à entrainer les caniches, ce qui expliquerait la dextérité de ces derniers à choper le mollet du premier coup. Mystère. Après s'être gratté le cortex en passant par sa narine gauche il me tend l'appoint en pièces brunes puis s'empresse de ranger son achat.
Il ne rougit pas autant que le jour où il a acheté dix kilos de litière à la lavande et un masque de plongée.
Bosser comme caissière à monoprix est une expérience anthropologique fascinante, j’y suis tous les dimanches, j’avais le choix entre un boulot en plus ou dix mètres carrés en moins, et Pixel a besoin d’espace. Je préfère bosser chez Possum Pizza, au moins là bas je n’ai que la voix, ici j'ai les postillons qui vont avec, sans mes lunettes j’aurais déjà chopé une conjonctivite.
Client suivant. Pouce. Lui je l'aime bien. L'étudiant qui dépense l'intégralité de sa bourse dans le loyer d'un neuf mètres carrés et des boîtes de cassoulet pouce, celles à 39 centimes avec de la gélatine de porc en forme de haricots et assez de flotte en rab pour avoir droit à la mention "500 grammes".
Parfois je bipe des produits périmés, ça me permet de faire de beaux cauchemars la nuit. Madame Dubroca assaillie de tremblements pendant que sa choucroute bio à moitié digérée lui déchiquette l'estomac, un geyser de sang sortant de son nombril. Ridley Scott devrait exploiter la choucroute.
Aurélie m'a expliqué qu'on pouvait toucher une prime à la fin du mois selon le nombre de produits périmés qu'on avait réussi à vendre. C'est ma deuxième semaine de boulot et j'ai déjà l'impression d'être auteur d'un génocide à coup de vache qui rit moisie.
- Tu savais que le rayon animalerie de Monoprix c’était un peu le sex-shop du pauvre ?
- J’en doute pas une seule seconde Vic’, tu peux m’attendre en terrasse du Sun Café ? J’vais pas tarder je termine à 19h mais si mon boss me voit encore te faire la causette je vais me taper la corvée des cartons et tu me verras pas avant la fermeture du bar…
- Pas de problème, et j’ai une surprise pour toi tu verras !
Je ne sais pas combien de bisounours Vic a mangé dans sa vie mais il est tout le temps heureux, tout est toujours beau, et quand ça ne l’est pas c’est que ça le deviendra, même au fond du trou il serait capable de dire qu’il est content de savoir qu’il ne peut que remonter. En tout cas ça fait du bien, j’ai presque le sourire alors que le client suivant est le collectionneur de bons d’achats, à voir sa liasse du jour j’en ai pour un bon quart d’heure de lecture...
***
Comme à son habitude Vic  a attendu la deuxième pinte pour sortir la surprise de son sac, et cette fois-ci ce n’était pas un hand-spinner qui joue du Patrick Sébastien quand il est lancé à une certaine vitesse mais un tas de feuilles A4 vieilles comme le monde, ou plutôt comme notre monde à tous les deux. C’est notre rencontre au collège cristallisée sur un devoir à la maison. Vic avait ramassé la note interdite en rédaction grâce à elles : un vingt sur vingt. Il est tout excité et les agite devant mes yeux en me racontant l’histoire comme si je ne la connaissais pas déjà par cœur. Il était une fois un gamin doué d’une imagination débordante et une enfant née avec un talent certain pour l’écriture, quand en commun ils mettaient leur savoir, leur travail ainsi obtenu était tel un mégazord : un monstre gentil prêt à tout écrabouiller sur son chemin pour triompher du mal et du prof de français. Une amitié était née, que rien sinon Malévitch n’avait pu altérer depuis dix-sept ans maintenant.
- Oui je connais cette histoire Vic, t’avais eu une super note, c’est celle du détective inachevée non ?
- C’est ça ! Et je te propose un truc, j’aimerais terminer cette histoire ! Vingt ans plus tard certes mais j’aimerais vraiment qu’on se remette dessus ensemble, ça te dis ?
Je n’arrive pas à savoir si il est sérieux ou si il fait ça uniquement pour que je me remette à écrire. Il me propose un prétexte, un cadre. C’est exactement ce dont j’ai besoin. Je range les feuillets dans mon sac et commande une troisième pinte.
***
Je m’appelle Mike Hammond. Cette première ligne n’est pas très aguicheuse. Elle n’annonce pas un bouquin original visant à concurrencer Musso. Non. Ce que j’ai à vous raconter n’est pas un récit sorti du bulbe rachidien d’un écrivain. Simplement les cauchemars se sont atténués le jour où j’ai décidé d’écrire cette histoire. Et puis Mike Hamond n’est pas mon vrai nom, c’est juste le premier qui me vient à l’esprit quand je pense à un détective. Le simple fait de coucher sur le papier ce que j’ai pu vivre en 2009 est synonyme de risque. Risque de perdre mon boulot, risque d’être interné en hôpital psychiatrique. Il est bien plus puissant que moi, en un sms il supprimerait mon existence. Ca y est le stylo glisse entre mes doigts moites. Il faut que je me calme pour ne pas céder à la panique et perdre sang froid et lecteur simultanément. Je vais parler en tant que Mike Hamond, cette mise à distance artificielle est un brin schyzophrénique mais salvatrice. Je m’appelle Mike Hamond.
Comme tous les mardis je regroupais mes notes et harcelait mon clavier jusqu’à ce que mes colonnes soient pleines. En sortant du CFPJ dix ans plus tôt je me voyais déjà rédacteur en chef du Monde Diplomatique. Ce n’est qu’après trois moi à vivre chez ma mère sénile en essuyant refus sur absence de réponse que je me suis résigné à chercher du côté des journaux les plus lus. Ceux qui débordent d’histoires sordides qui fond bander monsieur tout le monde, celui dont la vie est si creuse qu’il a besoin de savoir de quoi est morte Amy Winehouse pour se sentir vivant. Je n’ai jamais été très doué pour concurrencer les scénaristes des feux de l’amour, par contre mon ex m’a laissé de quoi remplir des milliers de pages à coup de textes morbides. Je l’ai tuée quatre cent douze fois au cours des nuits qui ont précédé ma décision d’aller voir un psy, de quatre cent douze manières différentes, avec trois cent quarante quatre accessoires divers et variés dont son propre intestin grêle. Mon psy dit que c’est sain d’avoir beaucoup d’imagination. Le Nouveau Détective a été conquis par ma lettre de motivation. L’entretien ne fut qu’une formalité, une visite de mon futur lieu de travail. Au départ j’ai continué de chercher un autre job en parallèle. Entre un article sur le zoophile de Calais et le laboratoire de crack de le none Ghislaine, je trouvais le temps de contacter d’autres journaux, sans oser inscrire le Nouveau Détective à mon C.V. C’était le genre de feuille de choux dont j’avais lu deux ou trois numéros pour animer des soirées alcoolisées, c’était le running gag de l’école, si t’as pas la moyenne tu finiras au ND disaient les copains… j’ai eu mention très bien. Mais quand ma mère a commencé à me confondre avec son amant prussien tous mes préjugés se sont évaporés. J’étais l’homme le plus heureux du monde avec ma nouvelle carte de presse. C’était mon passeport pour sortir de l’enfer et me retrouver dans un purgatoire de trente mètres carrés avec les chiottes sur le palier, le paradis Parisien.
Ce mardi 7 juillet 2009 je n’avais plus qu’un paragraphe à saupoudrer d’adverbes pour boucler ma rubrique, j’avais passé mon weekend à interviewer la mère d’un bébé cannibale, j’avais même récupéré une photo de son téton gauche lacéré, et une autre du petit Teddy et son sourire rouge et blanc, l’auriculaire de son grand père coincé entre deux molaires. J’en étais à effroyablement quand Jack m’a balancé une enveloppe kraft bariolée de hiéroglyphes rouges.
- C’est urgent, bouge ta viande rue des mésanges, au 9, voilà ta carte pour passer les cordons de poulets, allez t’es encore là ?
- Mais Jack j’étais en train de boucler et –
Son front humide s’est barré d’une veine pourpre.
- Putain si je dis d’y aller immédiatement tout ce que t’as à foutre c’est commander à tes guiboles de trainer le sac à cendres qui te sers de tronc hors d’ici et plus vite que ça !
J’étais déjà dehors quand il a claqué la porte de son bureau à en faire péter les gonds. Jack était le genre de mec qui s’excitait rarement mais sûrement. Quatre vingt kilos de cholestérol armés d’une main droite tapissée de verrues était la dernière chose que j’avais envie de contrarier.
J’aurais aimé écrire qu’il pleuvait des cordes, que la ville était voilée de crasse, sépia… Mais la vérité c’est que ma chemise beige avait eu le temps de changer de couleur entre mon bureau et la rue des mésanges, de couleur et d’odeur. Il faisait chaud. Trop chaud.
Un cadavre se décompose trois fois plus vite au soleil, c’est le genre de banalités qu’on apprend dès la première semaine de boulot au Nouveau Détective. Le corps était au salon donc encore frais, je n’avais qu’à faire la mise au point pour que le téléobjectif capte le moindre détail, les flics avaient oublié de condamner les fenêtres, j’ai mitraillé jusqu’à ce que Viviane m’apporte un café à la ricoré, je l’ai poliment remercié en la regardant comme si elle avait encore toutes ses dents, je me souviens encore de ses bigoudis pailletés, ça m’avait surpris qu’on puisse en vendre avec des paillettes.
- Alors vous allez m’interviewer aussi monsieur ? J’aurai ma photo dans le journal ?
Ma carte de presse n’a jamais essuyé un seul refus, ce n’est pas à la flicaille que je la montre mais aux voisins. Mes collègues restent à trois kilomètres de la barrière «CRIME SCENE » en attendant sagement qu’un képi sur pattes accepte un pot de vin contre des renseignements stériles. Moi je contourne le moindre porte-matraque et j’agite ma carte sous les yeux vitreux des plus de soixante ans, ça marche à tous les coups et ce jour là j’ai tiré le gros lot
.
- Et bien Viviane je veux tout savoir, je suis certain que votre témoignage sera le pilier central de mon article !
Après avoir passé six mois à vivre avec ma mère j’avais pris la salle habitude de cimenter mes phrases avec des couches de pléonasmes. Dépasser la précision, transcender la répétition. Communiquer avec un être doté d’un QI d’huitre anémique était devenu ma spécialité. J’observais ses dents blanches parfaitement alignées sur le velours de sa gencive en caoutchouc, j’étais à deux doigts de fantasmer sur ce sourire au moment où elle a plongé sa main dans le verre pour l’attraper entre ses doigts fripés. J’aurais juré que du plancton tourbillonnait désormais à la place du dentier. Mais je n’ai pas eu le temps d’être dégouté, elle a décroché ma mâchoire en une phrase :
- Eh bien monsieur le journaliste détective, c’est mon petit-fils qui a découvert le corps du pauvre monsieur Hubert tout à l’heure, il en a vu d’autres avec ses jeux vidéos mais là c’est pas pareil mon pauvre petit… Léo croyait que monsieur Hubert dormait, il est entré par le jardin comme d’habitude, vous savez monsieur Hubert était très gentil, il laissait ouvert la véranda pour que Léo puisse venir jouer avec ses poissons, il a un très bel aquarium, enfin il avait, oh ça fait tout drôle de parler de monsieur Hubert au passé, mais j’ai des photos de ses poissons, même si je n’encourage pas l’aquariophilie car les poissons sont des êtres sensibles et devraient nager en liberté dans l’océan plutôt que dans un bocal vous savez, et
Aspirine. Doliprane. Lexomil. Valium. Si elle continue je vais avoir besoin d’un goûter chimique. Il faut la guider, je dois parler à son petit-fils, le patron aura son scoop et moi une prime, les dessins de témoins ont beaucoup de succès dans notre journal, surtout quand il s’agit d’un enfant.
- Viviane permettez moi de vous interrompre en vous coupant la parole de la sorte mais je n’ai pas beaucoup de temps, serait-il possible de parler à Léo ?
- eh bien la police doit le garder jusqu’à ce soir mais après peut-être que oui, vous êtes si gentil, vous n’avez qu’à rester dîner à la maison ce soir j’ai fait un rôti végétarien, les parents de Léo ne seront pas là par contre car ils sont au japon en ce moment, c’est moi qui garde le petit bout de chou jusqu’au 10, je me suis proposée car il est vraiment adorable, regardez je vais vous montrer des photos de lui bébé vous allez fondre…
Je ne saurais pas vous dire pourquoi je suis resté, j’avais assez de matière pour remplir une double page, pas besoin de m’infliger le repas de famille je pouvais dessiner moi-même à la place de Léo et demander une photo du petit à Viviane, ça serait passé crème… Mais non. J’ai attendu que le gamin rentre, je voulais voir ce gosse, écouter son histoire. Peut-être étais-je en train de me transformer en lecteur du Nouveau Détective, un zombie malsain vivant par procuration du malheur des autres. Je préférais éluder la question, de toute manière j’avais déjà un énorme travail sur moi même pour me calmer à l’idée de rencontrer un enfant.
Je déteste les enfants. La seule vision d’un être de moins de 12 ans me transforme en framboise. L’urticaire peut s’additionner au rougissement si le spécimen ose m’adresser la parole, le cas échéant je me débrouille pour répondre avec autant d’assurance qu’un bègue à un concours de poésie, en évitant bien sûr tout contact visuel. Si Viviane n’avait pas sauté sur le gosse pour lui expliquer qu’un journaliste détective voulait lui poser des questions j’aurais bredouillé une excuse pour m’enfuir. Mais trop tard, le gamin s’est approché de moi avec des yeux brillants
Et voilà, fin de la non-fin de l’histoire. L’exercice était clair, on devait en quelques pages écrire le début d’un roman policier et s’arrêter juste à temps pour frustrer le lecteur, qu’il ait envie de connaître la suite, qu’il rage et peste contre l’auteur qui le trahit, qui pose un cadre sans le remplir. Vingt sur vingt, faut croire que le prof de français voulait vraiment savoir ce qu’un gamin de douze ans avait à raconter au sujet de sa première rencontre avec un cadavre. Moi aussi je me suis prise au jeu, j’ai bien envie de connaître la suite, le seul problème c’est que c’est à moi de l’écrire. Mais c’est aussi la solution.
- Moi aussi plus tard je veux être détective, j’ai même pas peur du sang !
Portait-il encore des couches ? Devais-je m’abaisser à en faire crisser mes rotules ? Rester debout ? Était-il assez intelligent pour mépriser le Nouveau Détective ? Est-ce qu’il savait seulement lire ? Était-il en CP ou en troisième ? Fallait-il sourire en lui parlant ? À quand remontait mon dernier brossage de dents ? Fallait-il clore chaque phrase par un point d’exclamation pour l’intéresser ? Lui offrir une image ? En une seconde des milliers de questions ont surgit comme autant de pop-up apparaissent sur Internet Explorer sans Adblock. J’avais beau cliquer sur les croix rouges, ça continuait de clignoter.
- euh.. je ne suis pas vraiment détective en fait je suis plutôt un journaliste.. j’écris des mots, avec des lettres pour faire des phrases dans un journal… ton papa lit peut être le journal ? c’est tout plein de grandes feuilles de papier très fin avec beaucoup de pointillés noirs dessus, quand on s’approche on voit que ce sont en fait des lettres, comme des mini dessins différents les uns des autres mais qui ensemble racontent une histoire tu vois…
- Je sais ce que c’est un journal je suis abonné à Picsou Magasine moi !
Une momie dont les bandages élimés laissaient dépasser des plumes sales a surgit de mon esprit. Depuis combien de temps n’avais-je pas lu trois cases des aventures du canard le plus malchanceux et cool de l’univers ? Léo venait à son insu de déterrer les maillons d’une chaîne, l’encre rouillée remontait à présent les parois de ma gorge, et la nostalgie remplaçait le souvenir. Comment avais-je pu me piéger de la sorte ? J’avais bien établi un semblant de plan. Je savais quand est-ce que Mike Hamond allait se prendre une balle, combien de cadavres s’accumuleraient avant l’épilogue, le prénom du meurtrier… j’avais le squelette de mon histoire et m’amusais à le remplir d’organes plus ou moins peuplés de mélanomes. Je n’avais pas réalisé que le monstre pouvait échapper à mon contrôle.
Le caissier du Relay m’a dévisagé quand je lui ai tendu un billet de cinq euros trempé de sueur, je n’ai pas osé ouvrir la bouche pour articuler un merci de peur que l’écume pressant mes lèvres ne lui éclabousse le visage à la seconde où j’oserais desserrer les mâchoires. Rentrer chez moi. Passer la nuit avec Donald. Régresser de quinze années.
***
Je ne sais pas depuis combien de temps Pixel nettoie consciencieusement mon pouce droit de sa langue rose, ma montre indique neuf heures du matin. C’est en voyant une médaille des Castors Juniors sur mon oreiller que je me souviens de ma crise d’hier soir, celle qui m’a poussé à courir jusqu’au kiosque le plus proche et acheter le dernier Picsou Magazine. Tout ça à cause d’une réplique tiré d’une ébauche de nouvelle policière écrite par deux collégiens… Est-ce qu’un écrivain projette inconsciemment des éléments personnels dans ses écrits ? Peut on complètement s’abstraire ?
Pendant que je me prépare un petit déjeuner équilibré je relis en diagonale les feuillets rédigés la veille. Rien. Le piège dans lequel je suis tombée n’est préparé nulle part. Mike Hamond poursuit son histoire en toute logique, selon le schéma dont je suis l’architecte. Puis tout d’un coup il relève la tête et me plante ses crocs. Personne n’a rien vu, j’ai tout encaissé. Cette histoire n’a strictement aucun rapport avec moi, je ne fais que jouer avec des ingrédients déjà existants. Un meurtre, un journaliste, du monologue intérieur, des dialogues… Peut-on envisager l’aliénation à force de manier inlassablement vingt-six lettres ? Un écrivain peut-il perdre le contrôle de ce qu’il produit ? Je me sens comme une mère dont la chair de la chair décide un jour de se faire percer le nombril pour plaire à Kévin, celui qui fait du tunning et cultive le plus beau mulet gominé de Roubaix. Alfred dessinait ses films intégralement avant de commencer le tournage. Il suivait les moindres coups de crayons apposés sur le storyboard au coup de gomme près. Avait-il des surprises ? Un détail qui lui échappait était il considéré comme créatif ? Brillamment hitchcockien ?  J’ai envie d’être prof de philo et infliger aux lycéens une problématique du genre « peut-on contrôler sa création artistique ? ». Je gobe un doliprane. Si j’étais prof de philo je possèderai sans doute déjà la réponse à cette question. Mais les profs de philos n’ont sans doute pas de réponses valables à offrir aux milliers de questions dont ils remplissent les tableaux Velléda. Avant de me demander quelle est l’exacte définition de « réponse valable » j’empoigne mon stylo pour attaquer la description du premier cadavre, ce n’est pas aujourd’hui qu’un canard m’arrêtera.
2 notes · View notes
dimitricasali1 · 7 years
Text
« L’Histoire mondiale de la France » pensum de l’anti-France ?
L’Histoire mondiale de la France (Seuil), ouvrage collectif paru le mois dernier sous la direction de l’historien Patrick Boucheron apparait comme la dernière production effarante de cette volonté délibérée d’attaquer la connaissance et la culture qui saisit aussi les « pédagogistes » de l’Education Nationale.
<!-- @page { margin: 2cm } P { margin-bottom: 0.21cm } -->
« Voilà bien ces historiens soixante-huitards crépusculaires pris en flagrant délit d’instrumentalisation politique de l’histoire… » Dimitri Casali
Cet ouvrage qui parait bien plus politique qu’historique entend livrer un récit progressiste de l’Histoire de France en montrant que la nation française n’existe pas en tant que telle mais qu’elle est un tissu mouvant en perpétuelle en évolution. Curieuse histoire de France où Napoléon, justement le Français le plus populaire au monde, y est presque absent, où Jeanne d’Arc n’a pas même pas l’honneur d’avoir une entrée à son nom, où Versailles n’est pas le génie de la France mais la réussite du multiculturalisme et où le général De Gaulle est célébré le 28 août 1940 à Brazzaville, capitale de la France libre, et non pas à Londres en juin. Étrange histoire de France où l’on ne tient pas compte de ce que la France a apporté au monde et où ne sont présents ni Rabelais, ni Molière, ni Racine, ni La Fontaine, ni Poussin, ni Monet, ni Berlioz, Debussy, ni Ravel ( le compositeur le plus joué au monde…), mais où est rendu un vibrant hommage aux Mille et nuits (très progressiste, l’épouse d’un sultan luttant pour ne pas être décapitée) et abondamment salué son traducteur, Antoine Galland, qui eut l’audace d’ajouter au récit original des contes que lui avait fait un voyageur arabe venu d’Alep. Balzac est cité, mais les auteurs déplorent qu’il ne fasse pas la place belle à l’hybridation, et lui opposent l’universalisme de Claude Fauriel, un universitaire qui occupa la première chaire de littérature étrangère à la Sorbonne et qui consacra une partie de son temps à étudier l’influence des auteurs arabes sur la littérature française. Cette histoire pénitentielle ressemble à un film comique.
Voilà bien ces historiens soixante-huitards crépusculaires pris en flagrant délit d’instrumentalisation politique de l’histoire… Le but de cet ouvrage est de prendre systématiquement l’exact opposé de ce que nous apprenions jusqu’à présent, et de sans cesse rabaisser, dénigrer tout ce qui a pu être grand dans l’histoire de notre pays. Tout ce que décrivait encore le grand historien George Duby dans son « histoire de France des origines à nos jours », publiée en 1995 il y a encore un peu plus de vingt ans…
En accumulant les références aux migrations des populations, à la mondialisation et à l’écologie, Histoire mondiale de la France souffre d’anachronismes et de paradoxes. Patrick Boucheron oublie la première leçon que tout historien apprend en première année de faculté d’Histoire : toujours replacer dans le contexte de l’époque les faits et personnages historiques. À trop retracer le passé à travers les obsessions d’aujourd’hui ces historiens prennent le risque d’être taxer de révisionnisme… On expliquera aux morts de 14-18, pourquoi on raconte leur histoire à partir d’un épiphénomène, celui de la réticence des kanaks en passant sous silence tout ce que la défense du territoire nationale représentait pour nos arrières-grands parents.
Un histoire… bien politisée
Ainsi le sens de cette entreprise est de dissoudre ce que l’histoire de France a de spécifique dans des idées dans l’air du temps que sont la diversité et le métissage. Selon la fine fleur des historiens français (122), la réponse contemporaine au terrorisme islamisme est donc d’affirmer la dette de l’Occident envers l’Islam, par une étrange auto-flagellation, ainsi du récit de l’invasion de Narbonne par les musulmans en 719 où « les cultures se sont mêlées » avant que les Francs, « hélas », n’intègrent de force cette ville à leur royaume. On est d’autant plus surpris de ce parti pris qu’aucune mention n’est faite de ces « étrangers » que sont Hérédia, Romain Gary, Troyat, Sarraute, Cioran, Ionesco, Lévinas, Kundera qui ont pourtant enrichi le patrimoine français pour qui la France était la « Patrie littéraire ». Mais sans doute n’avons-nous pas de dette coloniale envers eux à réparer.
Mondialiser l’histoire de France, c’est dissoudre son identité son génie propre dans le grand bain de la mixité. Le rejet obsessionnel de l’identité a fait place nette de la culture. La haine de toute affirmation identitaire pousse ces chercheurs à vider la France de sa substance et de son héritage. Cette histoire toute entière est consacrée au dogme du politiquement correct.
Exit Hérédia ou Ionesco et vive Lilian Thuram !
C’est grave car cette histoire mondiale de la France écrite sous l’égide du Collège de France est relayée par l’unanimité des médias. Si elle s’impose aujourd’hui on assistera à une véritable Désintégration Française pour reprendre le titre de mon dernier essai, ça y est ! Nous y sommes… ! Si ce bréviaire de la repentance et de la soumission s’impose, la France va perdre la mémoire de ce qu’elle a de meilleur…toute sa civilisation. Encore un autre lien avec Georges Duby et son « Histoire de civilisation française » et que l’on ne peut surtout pas le qualifier historien réactionnaire. Lui et Emmanuel Le Roy Ladurie, ont su rappeler à travers leurs œuvres que la France est une nation avec laquelle on peut s’attacher par le cœur aussi fortement que par les racines. « L’histoire Mondiale de la France » rend cet attachement impossible. À force de récuser le concept d’identité française puisque désormais il n’y a rien de spécifiquement français, la France n’est plus la France, tout intégration à la culture française semble inutile…
« Le national renvoie à une vision figée et idéologique de l’histoire, quand celle-ci, par nature, doit être libre, toujours en mouvement, sans cesse analysée et réinterprétée » malgré les précautions oratoires de Patrick Boucheron dans son introduction, tombe le masque. Sauf que la dénonciation de l’instrumentalisation des faits, exercice qui n’a jamais échappé aux historiens, est chez lui le prétexte au vagabondage culturel et ne l’exempte pas, bien au contraire, d’instrumentaliser l’histoire selon sa propre idéologie. En m’attaquant personnellement dans l’Humanité du 5 janvier en traitant d’escroquerie intellectuelle ma réédition « complétée » d’Ernest Lavisse, alors qu’il n’a même pas lu mon livre, montre sa suffisance tant il croit détenir la vérité. L’étude historique n’a rien gagné à devenir, comme l’enseignement ces dernières années, la lice des joutes politico-politiciennes ! Il est certain que quand des historiens veulent prouver quelque chose dans l’air du temps d’aujourd’hui, faciliter le vivre ensemble avec des populations qui, sociologiquement ou culturellement, veulent une autre Histoire, on risque effectivement de s’éloigner de celle qui a façonné l’esprit des Français de toutes origines jusqu’à plusieurs dizaines d’années. Pas d’histoire de France sans histoire du monde, d’accord. Mais la réciproque ? Pas d’histoire du monde sans la France il l’oublie totalement. L’idée que nous avons été le pilote du vaisseau de l’humanité peut faire sourire. Il se trouve qu’il y eut en effet de nombreux moments où la France le fut. Et un autre à partir de la Révolution où son projet universaliste
eut l’originalité de se fonder sur la liberté. On est en droit d’espérer que ces moments puissent survivre à toutes les déconstructions et toutes les repentances.
A lire Patrick Boucheron, on y décèle le contentement de soi de celui qui a enfin trouvé la martingale permettant de déconsidérer ceux qui sont attachés à une identité nationale et territoriale. Le récit national s’appuie sur des réalités : de la guerre des Gaules en passant par Jeanne d’Arc (dont nous avons les écrits de son procès et les témoignages) jusqu’aux trente glorieuses. Autant de personnages qui ont construit une identité, des valeurs, la société de partage qui a vécu jusque dans les années 80. Le patriotisme, c’est d’abord sa patrie et ensuite les autres pays, comme chacun d’entre nous fait avec ses proches : d’abord sa famille et ensuite les autres. Après, le tout est de savoir ce qu’est la « patrie » – pendant la révolution, patriotisme est quasiment synonyme de « civisme »- dans cette conception, la patrie n’est pas un univers étriqué, c’est la « res publica… ».
Patrick Bouchron
L’acharnement d’épuration post-colonialiste de ces universitaires rejoint la bêtise de ces étudiants de l’Université de Londres membres de la School of Oriental and African Studies (SOAS) qui ont récemment voulu interdire l’étude des philosophes blancs tels que : Platon, Aristote, Voltaire, Montesquieu, Kant. On est bien évidemment en présence d’un aveuglement totalitaire de la pensée, qui sous couvert de progrès rejoint en effet des archaïsmes profonds (on pense par exemple à l’Index des livres interdits par l’Eglise ou bien par les Nazis ou encore Staline). Mais là où on se dit que ces propos sont le fait d’une poignée d’étudiants illuminés, l’on se rend compte que tous les jours, en France sous la plume d’universitaires émérites du Collège de France, l’opportunisme idéologique gagne du terrain…
  Je veux bien que l’on s’inquiète du concept d’identité Française pour qu’il ne devienne pas complètement figé. Certes, mais alors remplaçons-le par le concept de civilisation qui pousse à prendre en compte toute sa culture et tous ses arts. Romain Gary – pas cité dans l’Histoire Mondiale de la France- a bien écrit : « je n’ai pas une goutte de sang français mais la France coule dans mes veines… ». Les civilisations s’élèvent et s’effondrent selon la vitalité de leurs idéaux culturels, et non seulement selon le poids de leurs richesses matérielles. L’Histoire nous apprend que la plupart des sociétés cultivent des valeurs sacrées pour lesquelles leurs peuples sont prêts à se mobiliser passionnément, sans faire de compromis. La recherche du savoir, de la connaissance, la quête de l’excellence et du progrès sont des valeurs qui nous protégeront de la barbarie et de la montée de l’ignorance. Celles-ci doivent être enseignées. Il y va de notre avenir…
Cet article « L’Histoire mondiale de la France » pensum de l’anti-France ? est apparu en premier sur Dimitri Casali.
from http://dimitricasali.fr/2017/01/30/lhistoire-mondiale-de-france-pensum-de-lanti-france/
0 notes